La Monnaie et le mécanisme de l’échange/18
CHAPITRE XVIII
des méthodes à l’employeur pour régler la circulation du papier
Nous sommes maintenant en état d’étudier avec fruit les différentes méthodes d’après lesquelles on peut régler l’émission du papier-monnaie. Il n’y a peut-être, dans tout le domaine de l’économie politique, aucune question plus souvent agitée et qui soulève plus de débats ; mais, si nous nous attachons soigneusement à l’analyse des faits, peut-être pourrons-nous nous faire une idée assez nette du sujet, et le dégager des obscurités dans lesquelles il est d’ordinaire complètement enveloppé. Les principes élémentaires de la question ne sont pas d’un caractère complexe ; et si nous nous attachons fermement à ces principes, nous éviterons peut-être ce genre dangereux de vertige intellectuel dont les écrivains qui traitent du numéraire sont souvent attaqués.
L’État peut : ou bien garder entre ses mains le droit d’émettre la monnaie représentative, comme il fait pour les espèces métalliques, ou bien autoriser soit des particuliers, soit des compagnies et corporations à demi publiques, à se charger de ce travail sous un contrôle législatif plus ou moins rigoureux. Plus tard nous examinerons rapidement les avantages relatifs de ces deux genres d’émission ; mais, dans l’un comme dans l’autre cas, nous devons établir la série suivante des méthodes d’après lesquelles on peut régler la quotité de l’émission et assurer l’exécution des engagements.
1o Méthode du dépôt simple. Celui qui émet les titres peut être obligé d’avoir constamment sous la main un stock de monnaies ou de lingots égal à la totalité des billets non détruits ; et chacun de ses billets, payable immédiatement sur présentation, produira une diminution correspondante dans la réserve.
2o Méthode du dépôt partiel. Au lieu d’être obligé de garder la totalité des métaux précieux déposés dans ses caves, celui qui émet les billets peut être autorisé à employer une somme déterminée en fonds de l’État, ou en autres valeurs sûres et de rapport.
3o Méthode du minimum de réserve. Celui qui émet peut être tenu d’avoir entre les mains, en toutes circonstances, un minimum déterminé d’espèces et de lingots.
4o Méthode de réserve proportionnelle. On peut faire varier la réserve proportionnellement au montant des billets en circulation, la fixer, par exemple, au tiers ou au quart du total.
5o Méthode du maximum d’émission. L’autorisation peut être donnée d’émettre des billets dont le total ne dépassera pas une somme déterminée ; et des pénalités prohibitives sanctionneront cette restriction.
6o Méthode de limite élastique. On peut assigner une limite au total des billets, comme dans la méthode précédente ; mais les pénalités infligées à une émission excessive seront à dessein rendues si légères, que, dans certaines circonstances, l’auteur de l’émission aimera mieux ne pas la restreindre et payer l’amende.
7o Méthode de réserve sur titres. La propriété que l’émetteur est obligé de tenir en réserve, peut ne pas consister en pièces ou en lingots d’or ou d’argent, mais en fonds d État, en actions, en obligations ou autres garanties de même nature.
8o Méthode de réserve par propriétés réelles. Au lieu d’une propriété composée de simples titres, on peut permettre que la réserve soit composée de propriétés variées, telles que terres, maisons, navires, actions de chemins de fer, etc.
9o Méthode du change avec l’étranger. On peut autoriser une banque importante à émettre des billets convertibles, en stipulant qu’elle n’augmentera pas le montant de ces billets en circulation tant que le change avec l’étranger sera au désavantage du pays, et rendra profitable l’exportation des espèces.
10o Méthode de libre émission. On peut abandonner à la libre concurrence des particuliers l’émission des billets, l’affranchir de toutes restrictions et de toutes conditions, et la soumettre uniquement aux lois qui s’appliquent à tous les contrats et engagements commerciaux.
11o Méthode du pair de l’or. On peut émettre du papier-monnaie ayant l’apparence des promesses de paiement, mais non convertible en espèces. L’émission en serait interdite tant que l’on constaterait que l’or fait prime, et le papier-monnaie pourrait être ainsi maintenu égal en valeur aux espèces dont il est la représentation nominale.
12o Méthode par le paiement des impôts. On peut émettre librement un papier-monnaie non convertible, mais essayer en même temps d’en soutenir la valeur en le recevant au lieu d’espèces pour le paiement des impôts.
13o Méthode de convertibilité différée. On peut émettre des billets avec promesse de les rembourser en monnaie métallique à une époque ultérieure, soit définitivement fixée, soit subordonnée à des événements à venir, politiques ou autres.
14o Méthode du papier-monnaie. Enfin, ceux qui émettent des billets constituant des promesses apparentes de paiement peuvent être dispensés entièrement de l’exécution de leurs promesses, de telle sorte que les billets circulent par la force de l’habitude, par l’ordre du souverain, ou par suite de l’absence de tout autre moyen d’échange.
Quoique j’aie énuméré dans cet exposé jusqu’à quatorze manières distinctes de régler l’émission du papier-monnaie, il n’est nullement certain qu’on n’ait pas employé de temps en temps d’autres méthodes. Il peut y avoir, en fait, un nombre presque illimité de marches à suivre pour assurer l’exécution des promesses ou pour en rendre l’exécution inutile. De plus, ces méthodes se combinent parfois les unes avec les autres, dans des proportions presque infiniment variées. On peut exiger, par exemple, que la réserve consiste partie en espèces, partie en titres ou bien en propriétés réelles. On peut autoriser un banquier à émettre des billets pour une certaine somme sans lui faire aucune condition relativement à une réserve, mais ne lui permettre l’émission, en dehors de ces limites, qu’avec la méthode du dépôt. Il faudrait tout un volume, et des plus gros, pour décrire suffisamment ces méthodes, leurs avantages ou leurs défauts relatifs, les manières différentes dont elles ont été combinées et appliquées en des temps et dans des lieux différents. Je dois donc me borner, dans ce livre, à exposer brièvement ce sujet cependant si étendu.
Cette méthode était parfaitement représentée par les anciennes banques de dépôt qui existaient dans les Républiques commerçantes de l’Italie, par les banques d’Amsterdam et de Hambourg, ou par les orfèvres de Londres, tant qu’ils se contentèrent de conserver sous bonne garde les espèces confiées à leurs soins. Les billets émis dans ce système ont un caractère purement représentatif, comme des certificats d’entrepôts et des reconnaissances de prêteurs sur gages, ainsi que je l’ai déjà expliqué tout au long.
La loi rend alors aussi assurée que possible l’exécution des engagements. La somme totale d’une circulation de ce genre variera exactement comme celle d’une circulation métallique ; il n’y aura pas à craindre que le papier remplace les espèces et les fasse sortir du pays, parce que toute banque, avant d’émettre des billets, doit nécessairement avoir les espèces dans ses caves.
D’un autre côté les avantages de cette méthode sont relativement peu considérables, attendu que l’usage du papier représentatif n’épargne que le frai des monnaies, ainsi que l’embarras et le risque de les transporter et de les compter. La communauté perd l’intérêt de toute la somme qui est retenue comme garantie ; or c’est là, et de beaucoup, la principale dépense occasionnée par la monnaie, ainsi que nous l’avons déjà vu. Les espèces seraient peut-être aussi plus en sûreté dans les mains du public. Lorsqu’elles restent sans utilité apparente, et qu’elles ne sont pas hors des atteintes d’un pouvoir arbitraire, elles exercent souvent sur lui une fascination irrésistible. Charles Ier saisit la monnaie déposée à la Tour. Lorsque les Français envahirent la Hollande en 1795, on reconnut qu’une grande partie des espèces que l’on croyait déposées dans les caves de la Banque d’Amsterdam avaient disparu, parce qu’elles avaient été prêtées secrètement à la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales et aux autorités de la ville. Le gouvernement russe avait amassé avec soin, dans la citadelle de Saint-Pétersbourg, une réserve de banque qui fut administrée par les membres du bureau de Change, jusqu’au moment où les troubles de 1848 forcèrent l’empereur à en prendre lui-même le contrôle. Dans une foule de circonstances, des gouvernements, y compris le gouvernement anglais en 1797, ont fait usage des dépôts de banque, en suspendant les paiements en espèces.
La Banque d’Angleterre, telle que l’a organisée l’Acte de Constitution de la Banque en 1844, représente parfaitement cette méthode. Chaque fois qu’un nouveau billet de cinq livres sort du service de l’émission, il faut que 616 grains 37 d’or soient déposés dans les mains des directeurs de ce service. Toutefois la somme totale de l’or déposé dans les caves est inférieure de quinze millions de livres à celle des billets en circulation, cette différence constante étant couverte par des garanties sur titres, et par une somme d’environ onze millions que la Banque prête au gouvernement sans intérêt. Grâce à cet arrangement, l’Angleterre a tous les avantages du système à dépôt simple, tandis que la communauté bénéficie des intérêts qui se montent à 445,000 livres, sur lesquelles le gouvernement en reçoit annuellement 188,000. Le contrat passé entre la Banque et le gouvernement est d’une nature trop complexe pour qu’on puisse aisément l’approfondir ou même l’exposer ; en somme il revient à un arrangement par lequel le gouvernement emprunte une grande partie des quinze millions déposés, et autorise la Banque à employer le reste pour se couvrir des dépenses qu’exigent l’impression des billets et le service de la circulation. Je reparlerai de ce système dans le chapitre xxiv (p. 256). La méthode du dépôt partiel est le principe de la nouvelle loi sur l’émission des billets dans l’empire d’Allemagne ; elle s’y combine avec la méthode des limites élastiques, ce qui constitue peut-être un perfectionnement.
Voici un autre moyen pour garantir le remboursement des titres, c’est d’obliger ceux qui les émettent à garder entre leurs mains une réserve en espèces qui jamais ne devra tomber au-dessous d’un montant déterminé. C’est comme si l’on recommandait à un homme de n’être jamais dépourvu d’argent, et, pour cela, de garder toujours un shelling dans sa poche. En effet, du moment que ce minimum de réserve doit rester dans les caves, on ne peut s’en servir pour répondre aux demandes quand elles se présentent, Une réserve de ce genre est sans utilité, à moins que le pouvoir législatif ou exécutif ne puissent suspendre arbitrairement les effets de la loi quand les porteurs des billets se précipitent sur les banques.
Celui qui s’engage par des billets à payer les sommes qui lui seront demandées, peut être obligé de conserver une réserve en espèces qui sera toujours égale au moins au quart des billets en circulation. C’est à peu près de cette façon que la circulation des billets des Banques nationales était réglée aux États-Unis dans ces derniers temps ; et peut-être vaut-il mieux fixer la réserve d’une manière impérative que de s’en rapporter entièrement là-dessus à la discrétion et à la bonne foi des particuliers qui émettent les billets. Quand le banquier verra sa réserve descendre tout près de la limite légale, il sera forcé d’avoir recours à des garanties exceptionnelles, s’il ne veut pas enfreindre la loi. Mais si l’état fâcheux du commerce et du crédit fait qu’une grande partie des billets en circulation lui sont présentés, la réserve en espèces diminuera dans une proportion plus forte que le total des billets, puisque la quantité absolue de ceux-ci est plus considérable. S’il y a des billets en circulation pour 100,000 dollars, et 40,000 dollars de réserve, il est clair que la présentation de 20,000 dollars de billets réduira les nombres indiqués ci-dessus à 80,000 dollars en billets, contre 20,000 dollars de réserve. Or, si la loi exige que la réserve soit toujours égale au quart des sommes dont la banque a pris la responsabilité, il devient impossible alors de rembourser aucun billet. Ainsi, du moment que le banquier laisse sa réserve descendre au minimum légal, il ne peut plus se servir de sa réserve, à moins d’enfreindre la loi, et l’on peut dire que la loi lui rend fort peu de services, excepté quand il la viole. En réalité ce système, lorsqu’on veut l’appliquer, revient à la méthode d’un minimum de réserve que nous venons de décrire. C’est justement quand le banquier a le plus grand besoin de sa réserve qu’il ne peut y toucher, et l’arrêt forcé occasionné ainsi dans les paiements et dans les affaires eut aux États-Unis de cruelles conséquences dans la panique de 1873.
De plus cette réglementation est peu efficace, ou même tout à fait impuissante à lutter contre une extension exagérée de la circulation. La plus grande partie de la valeur de tout billet additionnel maintenu dans la circulation est une addition gratuite au capital empruntable de la banque, et produit un intérêt tant que la circulation peut en être maintenue.
On peut permettre à une ou à plusieurs banques d’émettre des billets dont le total ne devra pas dépasser une certaine somme fixée ; c’est une méthode qui me parait tout à fait en accord avec les principes de l’économie politique. Elle épargne les intérêts sur une certaine portion du médium circulant, et fournit un numéraire commode et économique. En même temps les billets émis ne peuvent chasser l’or du pays que dans des limites déterminées. M. R. Inglis Palgrave et d’autres ont fortement insisté sur ce que ce genre de limitation est arbitraire et sur ce que le public a besoin d’un numéraire plus abondant ; mais il est toujours permis au public d’employer, au lieu de ce numéraire, la monnaie métallique. La limitation imposée porte non pas sur la monnaie totale, mais sur la partie représentative de cette monnaie ; et, quoique par là nous renoncions aux épargnes plus fortes d’intérêt qui résulteraient d’une émission plus considérable, il est un avantage qui peut compenser cette perte ; c’est que nous ne courons ainsi aucun risque de produire une abondance factice d’or. Ce système peut être facilement étudié dans les 170 banques anglaises qui sont encore autorisées à émettre des billets. Sir Robert Peel fit décider, dans l’Acte de 1844, qu’elles pourraient, sans aucune condition de réserve, continuer à émettre en moyenne autant de billets qu’elles en avaient émis dans les douze semaines qui précédaient un jour fixé. Si l’une de ces banques dépassait le total ainsi déterminé, elle encourait une amende égale à la moyenne de l’excédant émis dans le mois ; de plus on exigeait de toutes les banques d’émission qu’elles fissent, sous la loi du serment, des rapports sur l’état de leur circulation.
Ce terme est le meilleur que je puisse trouver pour une nouvelle méthode de réglementation qui vient d’être adoptée dans la loi relative à l’organisation des banques de l’empire d’Allemagne En ce qui concerne l’émission des billets, l’organisation des banques en Allemagne sera au fond la même qu’en Angleterre. La nouvelle Banque Impériale, et les autres banques d’État ou banques particulières qui se conformeront aux exigences de la loi, auront collectivement le droit d’émettre des billets sans garantie en or jusqu’à concurrence de 385 millions de marcs. Elles peuvent en outre faire une nouvelle émission correspondant à un dépôt d’or d’une valeur égale. Jusque-là, c’est exactement la méthode du dépôt partiel que nous avons déjà décrite (p. 181). Cependant, comme on objectait que l’Acte de Constitution des banques anglaises avait été violé en plusieurs occasions, pour prévenir une panique, les législateurs allemands ont permis une émission plus considérable de billets, pourvu qu’on payât sur cet excédant une taxe de 5 pour cent. On a voulu par là qu’aucune banque ne trouvât de profit à excéder les limites normales. Il nous semble que cette organisation fonctionnera d’une manière satisfaisante, et qu’elle constitue un perfectionnement sur la méthode anglaise. Sans doute le gouvernement anglais u toujours privé la Banque d’Angleterre des intérêts qu’elle percevait sur l’excédant de billets émis pendant la suspension de l’Acte de 1844. Mais la loi allemande rend élastique dans tous les cas la limite de l’émission, de manière qu’une panique n’est plus à craindre.
Il semble qu’il suffise, pour assurer la convertibilité des billets, que les banquiers, en les émettant, prouvent qu’ils possèdent des propriétés considérables sous forme de fonds d’État, d’obligations, de billets du trésor, de rentes, ou même de bons billets de commerçants, le tout en assez grande quantité pour établir la parfaite solvabilité de leur maison. Surtout si on laisse une marge considérable, il peut paraître impossible que les billets ne soient pas finalement payés. Cependant, lorsqu’on raisonne ainsi, on oublie que les billets de banque constituent des promesses de payer en or ou en espèces métalliques ayant cours forcé, et de payer sur présentation, ce qui n’est pas du tout la même chose que de payer finalement. Avec une réserve de cette nature, on ne peut effectuer de paiements considérables qu’en vendant, contre de la monnaie métallique, les bons et les obligations ; or, c’est justement lorsque l’or et l’argent sont rares que les billets sont présentés pour être remboursés. Sans doute des fonds d’État et de bons billets peuvent toujours se vendre à un certain prix, de sorte qu’une maison de banque pourvue de ce genre de réserve pourra toujours conserver sa solvabilité. Mais pour la communauté le remède pourrait être pire que le mal, et la vente forcée de la réserve pourrait causer sur le marché monétaire une perturbation plus dangereuse que la suspension du paiement des billets. Le paiement des billets sur présentation implique la possession d’une quantité parfaitement suffisante d’or et d’argent ; et, s’il n’y a pas dans le pays assez de lingots et d’espèces, il n’est pas de titres ni d’engagements de payer a une échéance ultérieure qui puissent en tenir la place.
Beaucoup de théoriciens ont soutenu, que pour assurer le remboursement des billets nous ne devons pas nous en tenir à une seule marchandise, c’est-à-dire a l’or, mais que nous pouvons à cet effet hypothéquer la terre, les maisons et tout autre genre de propriété réelle immobilière. Le célèbre projet de J. Law était de cette nature. Dans son remarquable traité intitulé Considérations sur la monnaie et le commerce, et Projet pour fournir de la monnaie à la nation, traité publié en 1705, il parle de nommer des commissaires pour monnayer des billets qui seraient reçus en paiement quand ils seraient présentés ; ce qui veut dire, je présume, qu’ils auraient le cours forcé. Il propose successivement trois manières d’émettre ces billets sur la garantie de biens-fonds : la première et la plus simple était de les prêter aux propriétaires territoriaux à l’intérêt ordinaire, dans la proportion de la moitié ou des deux tiers de la valeur de leurs biens. Il essaye de prévenir la dépréciation des billets en ayant soin que les prix soient toujours évalués en monnaie d’argent.
Les assignats du gouvernement révolutionnaire français représentaient des terres assignées, c’est-à-dire des domaines confisqués sur l’Église et les émigrés. Ils devaient être retirés et détruits à mesure que les terres seraient achetées par le public. Mais, comme le prix de la terre n’était pas fixé, on n’établissait aucune proportion entre la terre et le papier, et aucune quantité de terre ne pouvait empêcher les assignats de tomber, comme ils firent, jusqu’au deux-centième de leur valeur originelle. Plus tard, lorsqu’on émit des mandats, on essaya de fixer dans ces mandats le prix de la terre : mais cette tentative échoua encore. Les billets inconvertibles, représentant des terres hypothéquées, qui furent émis par Frédéric-le-Grand pour remplir son trésor épuisé par les guerres, étaient d’une nature analogue ; mais ils produisaient des intérêts.
La terre est assurément une des meilleures garanties pour assurer le paiement final d’une dette, et par conséquent elle est d’un emploi très-convenable quand l’argent est prêté à longue échéance. Mais les billets représentatifs se proposent d’être équivalents à des sommes d’or payables sur demande, et rien n’est moins facile que la terre à convertir en or au besoin. À cet égard une réserve en propriétés réelles ne vaut pas une réserve en bons du Trésor ou en Consolidés.
On a généralement soutenu cette méthode de se procurer le papier-monnaie, en disant que la quantité de monnaie en circulation pourrait être par là grandement accrue, et la richesse de la nation augmentée. Il serait cependant aisé de montrer qu’une augmentation dans la quantité de monnaie en circulation doit amener une réduction dans la valeur de cette même monnaie. L’industrie étant dans un état donné, on n’a besoin que d’une certaine quantité de numéraire ; et si les billets étaient réellement convertibles en quantités déterminées de terre ou de toute autre marchandise réelle, les billets en excès finiraient toujours par être présentés en paiement. Supposer qu’on peut rendre la circulation égale, en valeur totale, à une partie considérable des terres d’un pays, c’est une absurdité évidente.
Il y avait, au commencement du siècle, une théorie fort en faveur parmi les directeurs de banques : c’est qu’une circulation en papier pouvait se régler uniquement en observant le taux des changes avec l’étranger, et en restreignant L’émission quand la baisse du taux et l’exportation des espèces montraient une dépréciation du papier. C’était une des méthodes proposées en opposition au célèbre Bullion Report, et si l’on veut avoir une idée des discussions interminables qui eurent lieu à ce sujet, on en trouvera le résumé dans le Traité de M. Macleod sur les Banques, vol. II, chap. ix.
Sans doute il vaut mieux régler l’émission sur le change avec l’étranger que de ne pas la régler du tout ; mais cette méthode, appliquée rigoureusement, donnerait les mêmes résultats que la méthode du dépôt, et ce n’est qu’un moyen indirect et peu sûr d’atteindre au même but.
Une certaine école d’économistes soutient, en Angleterre comme en Amérique, qu’on devrait permettre à tous les particuliers d’émettre autant de billets remboursables sur demande qu’ils en peuvent faire accepter à d’autres personnes. Ils appellent ce système : Système de la liberté des banques. Mais cette désignation n’est pas correcte, parce qu’il n’entre pas nécessairement dans les fonctions d’un banquier d’émettre des engagements de ce genre, et il existe en Angleterre beaucoup de banques qui n’ont aucun pouvoir d’émission. Nous discuterons plus longuement cette question dans un chapitre ultérieur : j’ajouterai seulement ici que, dans le système de l’émission illimitée, un banquier est tenu par la loi de payer un billet émis par lui ; mais qu’il reste entièrement libre de garder à cet effet la réserve en espèces qu’il trouve bon de conserver. Sans doute, en règle générale, les billets émis ainsi seront remboursés ; mais, si nous considérons les fluctuations du commerce, qui, loin de diminuer, deviennent de plus en plus marquées, nous voyons qu’il se présentera des périodes où tout le monde voudra toucher la valeur de ces billets. L’expérience prouve surabondamment qu’un certain nombre d’individus compteront beaucoup trop sur leur bonne fortune et se trouveront incapables, quand le moment critique arrivera, de tenir les promesses auxquelles ils voulaient rester fidèles.
Supposons qu’un numéraire en papier non convertible soit émis et entièrement réglé par le gouvernement ; la plupart des inconvénients d’un pareil système pourront être évités si rémission est limitée ou arrêtée dès que le prix de l’or relativement à celui du papier s’élève au-dessus du pair. Tant que les billets et les monnaies d’or qu’ils prétendent représenter, circulent sur un pied d’égalité, ces billets sont aussi bons que s’ils étaient convertibles. Depuis le commencement de la guerre entre la France et la Prusse, la Banque de France paraît avoir appliqué ce principe avec succès. Malgré les troubles politiques et financiers qui ont agité la France, les billets non convertibles n’ont jamais subi qu’une dépréciation de 1/2 à 1 pour cent. Mais il s’est présenté bien peu de cas où, comme dans celui-ci, une circulation en papier non convertible n’ait pas été sérieusement dépréciée. Pendant la restriction des paiements en espèces en Angleterre, l’or se vendait et s’achetait avec une prime qui atteignait jusqu’à 25 pour cent ; et cependant Fox, Vansittart et les principaux politiques de l’époque déclaraient qu’il était absurde de supposer une dépréciation du papier. Les préjugés des hommes au sujet du numéraire sont tellement inexplicables qu’il est bon en pareille matière de ne rien livrer à un pouvoir discrétionnaire.
Souvent des gouvernements ont essayé de soutenir la valeur d’un numéraire en papier en s’engageant à le recevoir pour le paiement des taxes, ou même en le déclarant obligatoire à cet effet. Quand le gouvernement russe émettait des assignats, il les recevait à un taux fixe au lieu de monnaie de cuivre, et exigeait que le vingtième au moins de tout paiement fût effectué ainsi. Les assignats français du temps de la Révolution étaient aussi reçus dans les caisses publiques. Ce serait là une bonne méthode d’assurer la stabilité de la valeur du papier monnaie à deux conditions : — 1o que les taxes et les droits divers fussent eux-mêmes perçus selon un tarif fixé ; 2o que la quantité des billets émis restât dans des limites modérées, et que par suite toute personne qui voudrait réaliser les siens en monnaie métallique pût en trouver une autre obligée de payer des impôts et disposée par conséquent à lui donner des espèces en échange de billets. Mais il est très-improbable que ces conditions puissent jamais être pleinement et commodément réalisées dans la pratique.
Les greenbacks des États-Unis étaient reçus dans toutes les caisses de l’État ; ils devaient être acceptés aussi en paiement de toutes les taxes et de tous les droits jusqu’à concurrence de certaines sommes déterminées, excepté pour les droits de douane ; mais, quoiqu’il y ait ainsi un certain nombre de billets retirés, cela n’empêche pas la dépréciation, si ces billets sont rejetés bientôt dans la circulation avec addition de billets nouveaux destinés à faire face aux besoins pressants du gouvernement.
Les timbres-poste s’emploient en petites quantités comme monnaie dans plusieurs pays. Dans les premières années de la guerre d’Amérique on en faisait un grand usage, comme monnaie divisionnaire. Ils constituent maintenant un moyen de paiement reconnu en Angleterre, et la plupart des directeurs des postes les reprennent avec un escompte de 2 1/2 pour cent, pourvu qu’on en présente deux ou davantage encore adhérents l’un à l’autre. Toutefois, indépendamment de ce rachat, on fait une telle consommation de ces timbres que l’excès dans la quantité n’en peut guère diminuer la valeur. Ils fournissent un moyen commode et peu dispendieux d’envoyer de petites sommes, par exemple d’un demi-penny à cinq shellings, et il n’y a guère d’inconvénient à ce qu’ils soient employés à l’occasion pour rendre de la monnaie, au lieu de pièces de bronze. Toutefois ce serait un fort mauvais numéraire s’ils circulaient en grandes quantités.
Une ressource souvent employée par les gouvernements insurrectionnels ou belligérants, dépourvus de fonds, consiste à émettre des billets par lesquels ils s’engagent à payer en espèces lorsqu’ils auront réussi à s’établir. Quand on promet aussi un intérêt proportionnel au délai, ces billets doivent être regardés plutôt comme des obligations. Tels étaient les billets émis à New-York par Kossuth pour fournir des fonds aux Hongrois ; ils devaient être payés après l’établissement d’un gouvernement hongrois indépendant. Le fameux Walker signa de semblables billets en qualité de président du gouvernement provisoire de la république de Nicaragua. Le meilleur exemple de ce genre de numéraire nous est certainement fourni par les billets du Trésor des États confédérés révoltés, billets dont les premiers émis devaient être payables six mois après la ratification d’un traité de paix avec les États-Unis, et les derniers deux ans après la conclusion de ce traité.
Nous arrivons enfin au papier-monnaie proprement dit, émis par un gouvernement dont la volonté lui donne cours forcé. Ces billets non convertibles ont toujours été jetés dans la circulation comme convertibles ou à la place de titres convertibles, et leur valeur est toujours exprimée en unités de monnaie. Ainsi les mandats français de 100 francs portaient cette inscription équivoque « Bon pour cent franc». » Les misérables chiffons de papier qui circulent à Buenos-Ayres sont marqués ainsi « Un peso, moneda corriente, » en souvenir du temps où le peso était une belle pièce de bon poids. Lorsqu’on a reconnu que ces promesses de paiement en espèces sont illusoires, les billets circulent encore, en partie par l’effet de l’habitude, en partie parce qu’on a besoin d’un numéraire quelconque, et qu’on est dépourvu d’espèces, ou bien qu’on conserve les espèces, si l’on en possède, pour en tirer un bénéfice ou s’en servir au besoin. Beaucoup d’exemples prouvent cependant qu’un papier-monnaie non convertible, si la quantité en est soigneusement limitée, peut garder toute sa valeur. C’est ce qui arriva pour les billets de la Banque d’Angleterre pendant plusieurs années, lorsque les paiements en espèces eurent été suspendus en 1797 ; c’est ce qui arrive encore actuellement pour les billets de la Banque de France.
Les principales objections qu’on peut adresser à la circulation d’un papier non convertible sont au nombre de deux.
1o Les grandes tentations qu’il offre pour une émission exagérée qui serait suivie d’une dépréciation.
2O L’impossibilité d’en faire varier le montant pour le mettre en accord avec les exigences du commerce.
À peine est-il nécessaire de raconter une fois de plus la vieille histoire de l’émission exagérée de papier-monnaie qui s’est presque toujours produite chaque fois qu’on a supprimé la nécessité légale de la convertibilité. Il n’y a guère de nation civilisée, si l’on excepte quelques-unes des colonies anglaises les plus récentes, qui n’ait souffert du fléau du papier-monnaie. La Russie a eu, pendant plus de cent ans, une circulation consistant en papier-monnaie déprécié, et l’on en peut lire l’histoire dans l’ouvrage de M. Wolowski sur les finances de la Russie. À plusieurs reprises des édits impériaux imposèrent des limites à l’émission ; mais elle reprenait de plus belle à la première guerre. L’Italie, l’Autriche et les États-Unis, pays où l’on pourrait supposer que les gouvernements sont guidés par la science économique la plus avancée, souffrent tous les inconvénients d’un papier. Dans l’histoire des premiers temps de la Nouvelle-Angleterre et dans celle des autres États qui font maintenant partie de l’Union américaine, nous voyons sans cesse des émissions nouvelles de papier-monnaie entasser de nouvelles ruines. On trouvera des détails complets dans le livre nouveau et intéressant du professeur Sumner « History of American Currency ». Quelques-uns des politiques les plus illustres ont signalé ces résultats, et l’on ne devrait jamais oublier l’opinion de Webster à ce sujet. Il dit du papier monnaie : « Il nous a fait plus de mal que toute autre calamité. Il nous a tué plus d’hommes, il a plus contribué à corrompre et à troubler les intérêts les plus chers de notre pays, il a occasionné plus d’injustices que les armes et les artifices de nos ennemis. »
L’émission d’un papier-monnaie non convertible a souvent été recommandée, ainsi que le fait remarquer le professeur Sumner, comme un moyen commode de faire au peuple un emprunt forcé, lorsque les finances d’un gouvernement sont dans une situation désespérée : il est fort vrai qu’on peut ainsi soustraire de l’argent au peuple, et que les dettes du gouvernement sont réellement diminuées. Mais, en même temps, tout particulier qui est débiteur est autorisé à lever une contribution forcée sur son créancier. Il faut qu’un gouvernement soit dans une situation bien désespérée, pour se hasarder à violer ainsi tous les contrats, toutes les relations sociales pour la protection desquels il avait été créé.
Une autre objection à faire au papier qui n’est pas convertible en espèces, c’est que la quantité n’en varie point en obéissant à l’action naturelle du commerce. On ne peut l’exporter ni l’importer comme la monnaie métallique. Le gouvernement seul, ou les banques autorisées par le gouvernement ont le droit de l’émettre ou de le retirer. Par conséquent, si le commerce devient plus actif, un décret du gouvernement peut seul autoriser la production d’un surcroît de numéraire ; si ce surcroît est versé dans la circulation et que le commerce se ralentisse, le numéraire devient surabondant et perd de sa valeur. Or, on ne peut se fier au service gouvernemental, même le mieux informé, pour décider avec sagesse et impartialité du moment ou une plus grande quantité de monnaie est nécessaire. Le numéraire doit être fourni, comme toutes les autres marchandises, conformément à la libre action des lois de l’offre et de la demande.
Quelques personnes ont soutenu qu’il était bon d’avoir du papier-monnaie, pour former une circulation nationale incapable de s’épuiser en s’écoulant à l’extérieur et affranchie des influences perturbatrices du commerce étranger. Mais nous ne pouvons séparer le commerce intérieur du commerce étranger qu’en renonçant complètement à ce dernier. Si deux nations trafiquent ensemble, les métaux précieux formeront nécessairement le moyen international d’échange à l’aide duquel les dettes seront soldées, et l’équilibre entre les deux peuples rétabli. Par conséquent, chaque commerçant, en donnant des ordres, en livrant ou en vendant ses marchandises, doit tenir compte, non pas du prix en papier de ces marchandises, mais du prix en or ou en argent qu’il paie réellement pour les acquérir.
En résumé l’or et l’argent continuent à être la mesure réelle de la valeur, et le numéraire variable en papier n’est qu’un terme de comparaison additionnel propre a entraîner la confusion.