La Monnaie et le mécanisme de l’échange/13
CHAPITRE XIII
questions techniques relatives au monnayage
Dans ce chapitre je me propose d’étudier plusieurs points secondaires relatifs à l’organisation et à la réglementation métallique. Quoique les premiers principes de la monnaie soient simples, on est surpris de voir combien il faut considérer de petits détails avant de pouvoir atteindre le maximum de commodité. Nous avons déjà discuté le choix des métaux à employer, les diverses manières dont ils peuvent se combiner pour faire un système, les règlements à adopter pour l’émission, etc. Dans ce chapitre et dans les suivants nous devons en outre considérer le caractère de l’alliage le mieux approprié au monnayage, les dimensions les plus commodes pour les monnaies, les moyens qu’on emploie pour en compter des quantités considérables, la dépense qu’exige l’entretien de la monnaie, les avantages et les désavantages d’une circulation internationale, la difficulté de choisir un étalon unique, la série la meilleure de multiples et de sous-multiples de l’unité. Mais tout ce que je puis faire dans cet ouvrage, c’est de tenter une étude rapide des questions de détail fort compliquées qu’il est nécessaire d’approfondir avant d’opérer aucun changement dans la monnaie. Quoique nous parlions ordinairement de la monnaie comme si elle était composée d’or et d’argent, les pièces réellement employées contiennent des alliages soit d’argent et de cuivre, soit d’or et de cuivre.
Cependant on a frappé, dans les temps anciens et dans les temps modernes, des monnaies faites d’or presque pur, parmi lesquelles on peut citer l’ancien besant, le ducat d’Autriche, beaucoup plus récent et qui contenait 986 parties d’or sur 1000, la pièce de six ducats de Naples, qui en contenait 996, ou le sequin Toscan, qui est, dit-on, d’or presque pur, c’est-à-dire à 999 millièmes. Mais l’or et l’argent sont des métaux mous ; et ainsi, même si on les trouvait naturellement à l’état de pureté, il serait avantageux d’y ajouter du cuivre, qui leur communique de la dureté et diminue beaucoup le frai des pièces.
On a souvent discuté sur la quantité de cuivre qu’il fallait ajouter, et la proportion en est déterminée par des raisons moitié historiques, moitié scientifiques.
La nature de l’alliage employé en Angleterre semble avoir été déterminée par le système de poids employé. L’argent se pesait à la livre troy de 12 onces, sur lesquelles 11 onces 2 diots devaient être d’argent pur et 18 diots de cuivre. Cette proportion qui, dès 1357, s’appelait déjà le bon et ancien titre d’Angleterre, s’est soutenue, malgré des altérations temporaires, jusqu’à nos jours, et correspond à la proportion actuelle de 925 parties sur 1000. Comme l’or se pesait autrefois à l’aide de l’ancien et curieux système de pesage au carat, qui venait, dit-on, des graines d’une plante abyssinienne, l’unité de poids de l’or était de 24 carats, dont 22 devaient être d’or pur et 2 d’alliage. Cette proportion, qui s’est conservée pendant plusieurs siècles, s’exprime en décimales par 916,66 sur 1000.
Les titres différents employés à diverses époques dans des pays divers sont infiniment variés. On a frappé l’argent au titre de 200 parties seulement ou même de 150 sur 1000, et l’or à 750 ou 700 parties ; et il existe des monnaies qui présentent presque tous les titres, en parlant de ces limites jusqu’à un métal d’une pureté presque absolue. Les seules proportions qu’il soit utile de discuter à présent sont celles de 900 et de 835 sur 1000 qu’on propose d’adopter dans la monnaie internationale. Le gouvernement de Berlin songeait, il y a quelques années, à adopter comme monnaie typique une couronne composée de dix grammes d’or pur et d’un gramme d’alliage, ce qui donnerait un titre de 10/11 ou 909,09 sur 1000. Ce projet ne parait présenter aucun avantage, et on y a renoncé heureusement dans la monnaie allemande actuelle qui, soit pour l’argent soit pour l’or, est au titre de 900 sur 1000. Cette proportion décimale simple fut adoptée par les Français à l’époque de la Révolution ; elle s’est étendue aux pays qui appartiennent à la Convention Monétaire de 1865. ainsi qu’à l’Espagne, à la Grèce, et à d’autres pays qui ont plus ou moins imité le système français. Elle a été depuis longtemps consacrée par les États-Unis, et récemment on l’a introduite dans la monnaie d’or des états Scandinaves. Le gouvernement allemand ayant maintenant décidé de l’adopter, le titre décimal simple est établi dans tous les pays les plus civilisés, si nous exceptons l’Angleterre et quelques-unes de ses colonies, ainsi qu’un petit nombre de nations comme la Russie, le Portugal et la Turquie qui ont imité la monnaie anglaise et frappé de l’or à 916,66 millièmes de fin.
Au point de vue chimique et mécanique l’exactitude dans le titre de l’alliage n’a pas grande importance. La différence entre 11/12 et 9/10 n’est que de 1/60, et quoique les expériences souvent citées de Hatchett aient montré, dit-on, que le titre anglais avait quelques légers avantages sur le titre français, la différence est si petite et si contestable qu’elle ne fournit pas un motif bien sérieux de préférence. Le dernier directeur de la Monnaie anglaise, M. Th. Graham, était tout disposé à accepter le titre de 900/1000, pour l’or comme pour l’argent, et il n’y a réellement aucune raison, si ce n’est le préjugé et l’usage traditionnel, qui puisse empêcher l’Angleterre de l’adopter à son premier changement monétaire. L’uniformité dans la pratique des nations est avantageuse, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, et les économistes français attachent une grande importance à cette question du titre. Cependant il me semble que le degré exact dans la pureté du métal est d’une importance tout à fait secondaire. Si nous voulions maintenant donner à nos souverains le titre de neuf dixièmes, nous devrions en élever le poids de 123,274 grains à 125,557, et le mélange des anciennes pièces et des nouvelles rendrait absolument impraticable la méthode adoptée par toutes nos banques pour compter la monnaie d’or en la pesant. Il est donc certain que nous devons différer ce changement dans le titre de nos pièces d’or jusqu’à ce que nous fassions une réforme monétaire plus considérable. D’un autre côté je ne vois aucune raison pour que la Monnaie ne soit pas autorisée à frapper des pièces d’argent au titre de neuf dixièmes. Une telle mesure n’amènerait qu’une augmentation imperceptible dans l’épaisseur des pièces, et pour les menues monnaies, cette modification serait avantageuse.
Le titre de 835 millièmes a été adopté par la France, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer (p. 86), afin de réduire les pièces de deux francs et au-dessous à l’état de monnaies à valeur conventionnelle, sans en changer en rien le poids et l’apparence. Il n’y a aucune objection contre cet alliage, qui est parfaitement propre au monnayage et d’une bonne couleur ; mais il n’est pas probable qu’il soit adopté par le gouvernement anglais pour remplacer le titre actuel de notre monnaie d’argent, qui est de 925 millièmes ; c’est un point qui n’a guère besoin d’être discuté. On peut ajouter qu’il y a quelques années l’alliage contenu dans les monnaies d’or se composait en partie d’argent, métal qui se trouve toujours associé en plus ou moins grande quantité à l’or natif partout où celui-ci se rencontre. L’apparence jaunâtre des guinées, comme de beaucoup de souverains, était due à cet alliage d’argent ; mais toutes ces pièces d’or mêlé d’argent sont actuellement retirées avec une grande rapidité par les raffineurs d’or qui trouvent du profit à en séparer l’argent, L’invention très-remarquable de M. F. B. Miller, de la nouvelle Monnaie de Melbourne, permet d’effectuer cette séparation avec beaucoup de facilité et une très-faible dépense, presque sur les terrains aurifères. Il suffit de fondre l’or argenté et d’y faire passer un courant de chlore, pour obtenir l’argent à l’état de chlorure ; cette dernière substance est facilement séparée de l’or et ramenée à l’état métallique. Un autre avantage de ce procédé si simple, c’est que, du même coup, l’or ainsi traité est débarrassé des impuretés accidentelles, et devient parfaitement malléable et propre au monnayage. Une des grandes difficultés que rencontrent les monnayeurs, la tendance de l’or à se rompre, est ainsi entièrement surmontée. Si l’on désire une description complète du procédé, tel qu’il est employé dans les ateliers monétaires anglais, australiens, américains, norvégiens et autres, on la trouvera dans le premier rapport annuel du directeur délégué de la Monnaie d’Angleterre (p. 93), et dans le second rapport (p. 33), ou dans le brevet même tel qu’il a été imprimé par le Bureau des brevets.
Les dimensions que nous devons donner aux pièces de monnaie semblent être comprises entre des limites assez bien déterminées. Les monnaies doivent être assez grandes pour qu’on ne les perde pas facilement et pour qu’on puisse les saisir sans difficultés. On peut, il me semble, établir comme règle que la monnaie doit couvrir la surface de contact entre les extrémités du pouce et de l’index ; et quoique cette surface puisse varier, bien entendu, chez les hommes, les femmes et les enfants, il vaut mieux se tromper en trop qu’en moins. C’est pourquoi je condamnerais la pièce anglaise d’argent de trois pence comme trop petite. Pour la même raison la pièce suédoise de dix ore, la pièce d’or américaine d’un dollar, l’ancienne pièce papale d’un scudo, sont d’une exiguïté vraiment incommode. La pièce d’or française de cinq francs du type le plus récent, la pièce anglaise de quatre pence, la pièce canadienne de cinq cents, et la nouvelle pièce d’argent de vingt pfennings, que l’on introduit à présent dans l’empire d’Allemagne, doivent être considérées comme les plus petites pièces admissibles. Cependant il faut tenir compte de l’épaisseur des pièces aussi bien que de leur diamètre. Les monnaies émises par les États-Unis dépassent l’épaisseur ordinaire ; quoique cela leur donne une apparence un peu massive, il me semble qu’elles n’en sont que plus commodes.
Les Français ont donné dans l’autre extrême ; leur pièce d’or de cinq francs est très-mince, et d’un diamètre de 17 millimètres environ, tandis que le dollar américain, qui a plus de valeur, n’a guère que treize millimètres de diamètre.
La dimension maximum des monnaies a sans doute été déterminée surtout par les difficultés pratiques du monnayage. La plus grande pièce qui ait eu une circulation très-étendue, est peut-être le dollar de Marie-Thérèse, dont le diamètre est de 41 millimètres. Les autres espèces de dollars les plus communes sont un peu plus petites ; ainsi le dollar espagnol de 1858 mesure 37 millimètres ; le dollar américain de 1846, l’espagnol de 1870, le mexicain de 1872 mesurent de 37 à 38 millimètres. Le diamètre moyen des dollars que j’ai examinés est de 38 1/2 millimètres. Dans leurs plus fortes pièces d’or les Américains conservent une épaisseur peu ordinaire. Ainsi le double aigle, quoiqu’il vaille plus de quatre livres sterling, n’a que 34 millimètres de diamètre. Le diamètre de la belle pièce autrichienne de quatre ducats dépasse celui du double aigle, bien que la pièce contienne moitié moins d’or fin.
Il faut tenir compte des détériorations que les pièces subissent par le frai et le frottement. Pour les pièces d’or, la perte de métal due à cette cause est importante, et amène, ainsi que nous l’avons vu (p. 61 et 92), une dépréciation graduelle de la monnaie. Comme les pièces passent fréquemment de main en main, la quantité de métal ainsi enlevée sera presque la même pour chaque pièce du même type, et chaque année de circulation. La perte sera proportionnelle à la durée de l’usage. Actuellement la loi anglaise reconnaît qu’un souverain a cours forcé, tant qu’il pèse 122 grains 5 ou davantage, et la différence de 0 grain 774, qui existe entre ce poids et le poids normal, représente la tolérance accordée pour le frai. Or, d’après des expériences décrites dans un travail lu à la Société de statistique de Londres en novembre 1868 (Journal of the Statistical Society, déc. 1868, vol. XXXI, p. 426), j’ai estimé la perte de poids moyenne et annuelle d’un souverain par le frai à 0 grain 043 (en grammes, 0,00276). Il en résulterait qu’en général un souverain ne peut circuler plus de dix-huit ans sans tomber au-dessous du poids accordé par la loi. Cet espace de temps constituerait donc ce qu’on peut appeler la vie légale d’un souverain. Le docteur Farr a montré depuis que certaines considérations, dont je n’avais pas tenu compte dans mon calcul, réduiraient à quinze ans la durée de cette vie légale. D’un autre côté M. Seyd pense que vingt ans peuvent être adoptés comme âge légal du souverain.
Quand-nous comparons ensemble les monnaies de différents pays, il devient évident pour nous que la quantité du frai dépend en partie de l’activité de la circulation, en partie de la dimension et de la nature des monnaies. Suivant les recherches de M. Feer-Herzog en Suisse, la perte moyenne de la pièce de vingt francs s’élève chaque année à 200 millionièmes de son poids total, tandis que dans les pièces d’or de dix et de cinq francs, les pertes correspondantes sont de 430 et de 620 millionièmes. Pour l’or anglais, les pesées que j’ai faites moi-même montrent que le souverain perd environ, pour chaque année d’usage, 350 millionièmes de son poids, tandis que le demi-souverain ne perd pas moins de 1,120 millionièmes, c’est-à-dire plus d’un dixième pour cent. Comme les pièces anglaises sont plus lourdes que le napoléon et le demi-napoléon, elles devraient souffrir proportionnellement moins de perte. M. Feer-Herzog attribue ces pertes excessives de la monnaie anglaise au métal plus mou que produit l’alliage à onze douzièmes. Cette cause peut contribuer à produire l’effet observé ; mais il est probable que la rapidité plus grande avec laquelle l’or circule en Angleterre, est la principale raison d’une différence si considérable.
La quantité du frai dépend beaucoup, ainsi qu’on le verra, des dimensions de la monnaie. Une grosse pièce, — la couronne anglaise, l’écu d’argent français, le double aigle américain, — subit comparativement une perte faible, parce que sa surface s’accroît dans une proportion beaucoup moins rapide que son volume. Le peu de frai des différente dollars d’argent est peut-être une des causes de leur popularité en Orient, Les petites pièces d’argent perdent relativement beaucoup plus. Ainsi, d’après des expériences faites à la Monnaie en 1833, la perte annuelle sur les demi-couronnes, est d’environ 2 shellings 6 pence pour 100 shellings ; la perte sur les shellings est de 4 sh., et sur les 6 pence de 7 sh., 6 pence : c’est-à-dire, en décimales, que la perte est respectivement de 0,125, de 0,200, et de 0,375 pour cent. Cette perte, avec le temps, devient considérable, comme on le voit facilement pour les six pence usés. La perte de poids moyenne des vieilles monnaies d’argent qu’on soumet à la refonte semble être d’environ 16 1/2 pour cent ; mais cette perte est plus que couverte par le profit que donne la fabrication des pièces nouvelles. En 1798 on fit des expériences à la Monnaie sur le poids des pièces anglaises alors en circulation. On trouva que la perte de poids s’élevait, dans les couronnes, à 3,31 pour cent ; dans les demi-couronnes, les shellings et les six pence respectivement, à 9,90, à 24,60 et à 38,28 pour cent. Dernièrement, lorsqu’on retira la vieille monnaie d’argent de l’Allemagne du sud, on trouva qu’elle avait perdu en moyenne un cinquième de son poids.
Pour diminuer la perte qui résulte du frai des monnaies d’or, il peut sembler avantageux d’émettre des pièces de grande dimension. Les Américains avaient d’ordinaire une quantité considérable d’aigles et de doubles-aigles ; ces dernières pièces étaient particulièrement fort belles et ressemblaient à des médailles. Autrefois il y avait dans la circulation beaucoup de grosses pièces d’or, comme le carlino, le dobraon, le doublon, la quadruple et le double ryder. Il y a cependant une objection sérieuse à adresser à des pièces comme le double-aigle, la pièce de cent francs ou celle de cinq livres : c’est qu’il est aisé de les altérer. On peut percer dans leur épaisseur de petits trous qui sont ensuite dissimulés à l’aide du marteau. L’emploi de la lime, des procédés par lesquels on fait ressuer le métal, des agents chimiques, serait probablement plus sûr, avec les grandes pièces qu’avec les petites. On a quelquefois scié complètement un double-aigle en deux disques plats qui ont été ensuite ressoudés habilement l’un à l’autre avec une plaque de platine entre les deux pour leur donner le poids voulu. Il semble que le travail et l’habileté nécessaires pour exécuter une falsification de ce genre auraient été mieux rémunérés si on leur avait donné quelque emploi plus honorable : mais, d’après les rapports du directeur de la Monnaie des États-Unis, il y a des raisons de croire que l’opération est profitable. On a proposé de prévenir cette falsification en diminuant l’épaisseur du double-aigle, et en lui donnant une forme un peu concave ; mais il serait préférable de renoncer à ces grosses monnaies d’or, ainsi qu’on l’a fait depuis longtemps en Angleterre et en France. L’expérience nous montre que les souverains, les napoléons, les demi-aigles, et les pièces d’or de la même dimension ne sont pas exposés à ce genre de fraude, et que les pièces d’argent ne sont jamais falsifiées par le procédé que nous venons de décrire.
Afin de diminuer autant que possible le frai des pièces par le frottement, le dessin et la légende doivent être exécutés avec aussi peu de relief que possible tout en conservant à l’empreinte sa netteté ; la tête du monarque ou de la figure, quelle qu’elle soit, ne doit pas être saillante. À ce point de vue, comme à beaucoup d’autres, le dessin plat, et cependant d’un contour fort net, que porte le florin anglais, est de beaucoup supérieur aux ornements trop saillants de l’ancienne couronne, de la demi-couronne et du shelling. Les ateliers de la Monnaie française semblent être très-heureux dans l’exécution des coins ; car toutes les monnaies d’or, d’argent et de bronze qui en sortent ont des empreintes d’une exécution admirable, quoique fort plates. La plus belle pièce moderne que j’aie vue est peut-être la nouvelle pièce de vingt francs en or frappée en 1874 pour la Hongrie ; la gravure du coin est excellente. Les nouvelles pièces d’or de cinq dollars, ou de vingt couronnes, des pays Scandinaves, sont aussi d’une bonne exécution.
Quand on a de grandes quantités de monnaies à compter, si on les comptait pièce par pièce l’opération ne serait pas seulement fastidieuse ; mais on ne serait guère sûr de l’exactitude du résultat. On a imaginé plusieurs méthodes pour faciliter cette opération. Dans les Monnaies, à la Banque d’Angleterre, et dans d’autres établissements où l’on manie des quantités considérables de monnaie, on emploie des plateaux compteurs (counting boards). Des appareils de ce genre sont employés de temps immémorial dans quelques parties de l’Inde par les changeurs et les commerçants. Ceux de Londres consistent simplement en plateaux présentant plusieurs centaines de dépressions disposées régulièrement, et de telle dimension qu’une pièce remplit exactement chaque cavité. On jette par poignées sur le plateau des pièces d’ailleurs uniformes, et on les y secoue jusqu’à ce que la plupart des trous soient remplis. Ceux qui restent vides se remplissent alors l’un après l’autre à la main. On connaît alors avec une exactitude infaillible le nombre des pièces contenues par le plateau ; et en même temps il est très-facile d’examiner les pièces et de découvrir celles qui sont contrefaites, défectueuses ou étrangères. Avec ces appareils, on remplit avec promptitude et sans erreur des sacs contenant des nombres égaux de monnaies quelconques.
Dans les banques anglaises il est nécessaire de compter avec rapidité des sommes considérables en monnaie d’or pour payer des chèques à caisse ouverte, ou pour vérifier le nombre de souverains qu’on reçoit en dépôt. Dans ce cas on emploie des balances avec des poids équivalant à 5, 10, 20, 30, 50, 100, 200, 300 souverains. Toute somme qui est un multiple de cinq souverains peut ainsi être pesée, d’une manière infaillible, en quelques secondes, pourvu que les pièces ne soient pas trop vieilles et usées. Dans une grosse somme une erreur d’un souverain est quelquefois possible à cause du défaut de poids de quelques pièces. Pour les demi-souverains on ne peut guère compter sur ce procédé, à cause de la légèreté excessive des pièces. Cette incertitude dans les pesées est un des inconvénients graves qui résultent de l’état défectueux de nos monnaies.
Cependant les demi-souverains, comme toutes les pièce qui, en moyenne, sont approximativement égales l’une à l’autre, peuvent se compter rapidement avec la balance, grâce à l’ingénieuse méthode de duplication. Un nombre convenable, — de cinquante pièces par exemple, — étant compté dans un des plateaux, on peut lui faire équilibre dans l’autre plateau, à l’aide d’un nombre égal, qu’on n’a pas besoin de compter. Les deux lots égaux sont alors réunis, et on leur fait équilibre à l’aide d’une autre centaine ; ces deux sommes se réunissent encore pour faire deux cents pièces. Nous pouvons répéter cette duplication, si la balance suffit à porter ce poids ; puis ensuite, employant un lot de monnaies en guise de poids fixe, nous pouvons compter successivement plusieurs lots égaux à celui-là en poids comme en nombre.
Quand on ne peut se servir ni de la balance ni du plateau compteur, on peut compter les pièces par petites piles de dix, de quinze ou de vingt. Si l’on met ces piles les une à côté des autres sur une surface unie, il est facile de découvrir toute inégalité de hauteur, soit simplement à l’œil, soit en posant une règle droite sur le sommet des piles. S’il y a eu une erreur dans le compte, ce moyen la fait ordinairement reconnaître.
On peut faire des calculs assez intéressants sur les dépenses que l’usage d’une monnaie métallique occasionne d’une manière ou de l’autre au public. Pour parler d’abord des monnaies auxiliaires d’argent et de bronze, le gouvernement tire profit de leur fabrication, en raison du poids réduit auquel elles sont émises comme monnaies à valeur conventionnelle. D’ordinaire la Monnaie peut acheter l’argent au titre légal à 5 shellings l’once. Il est versé dans la circulation avec la valeur de 5 sh. 6 pence l’once, de sorte que le gouvernement touche un droit de neuf pour cent au moins sur la valeur nominale des pièces émises. Dans les dix dernières années la Monnaie anglaise a frappé annuellement en moyenne 546,580 livres, sur lesquelles le bénéfice serait d’environ 49,200 livres par an. D’un autre côté la Monnaie doit racheter les vieilles pièces d’argent à leur valeur nominale ; et en refondant cette monnaie elle subit une perte qui dans ces mêmes dix années (1854-1873), a été en moyenne de 16,700 livres : il restait donc en somme chaque année un bénéfice net de 32,500 liv., si l’on ne tient aucun compte des frais courants de l’établissement. Actuellement le prix de l’argent ne dépasse pas 4 sh. 10 pence l’once, de sorte que le droit de monnayage est environ de 12 pour cent ; et le bénéfice obtenu dans la fabrication des monnaies d’argent augmente proportionnellement.
Nous pouvons considérer la question d’un autre point de vue, et regarder ce droit de monnayage comme une somme placée à intérêt, pour faire face aux dépenses qu’exige le retrait des monnaies quand elles sont hors d’usage, disons trente ans après l’émission. Or, si une livre rapporte 3 1/4 pour cent, avec l’intérêt composé elle nous donnera en 30 ans 2 livres 61, de sorte que le 9 pour cent de profit sur le monnayage sera ainsi transformée en 23,5 pour cent. Mais le défaut de poids réel de la monnaie d’argent retirée est, en moyenne, de 16 1/2 pour cent seulement ; par conséquent, sans tenir compte du nombre considérable de pièces qui doivent être nécessairement perdues, emportées, fondues, qui restent dans les mains des thésauriseurs ou au fond de la mer, ou qui sont définitivement retirées de la circulation de quelque autre manière, la fabrication de la monnaie d’argent donne un bénéfice avec les règlements actuels.
Dans l’émission de la monnaie de bronze il y a eu, ainsi que nous l’avons établi plus haut, un bénéfice de 270,000 livres dont il faut déduire la dépense possible, mais incertaine, qu’occasionnera quelque jour à l’avenir la refonte de ce genre de monnaie.
Le coût de la monnaie se compose de quatre articles principaux : la perte d’intérêt sur le capital placé dans le numéraire, la perte occasionnée par le frai des pièces d’or, les dépenses du monnayage, et enfin les pertes accidentelles de monnaies. Le montant de ce dernier article est complètement inconnu ; les autres peuvent être fixés comme il suit. Nous pouvons dire, en gros, que les espèces en or du Royaume Uni consistent en 84,000,000 de souverains et en 32,000,000 de demi-souverains, dont la valeur totale monte à 100,000,000 sterling. Les souverains perdent chacun par an en moyenne 0,043 millièmes de grain, ce qui fait une perte totale de 30,000 livres par an. Les demi-souverains perdent 0 grain 069, ce qui fait une perte de 18,000 livres. Toutefois la perte d’intérêt est bien plus sérieuse.
Voici quelle est, en gros, la valeur totale des métaux employés pour la monnaie.
Monnaie d’or en circulation | 100 | millions sterling | |
Métal en lingots à la Banque d’Angleterre | 15 | — | |
Monnaies d’argent | 15 | — | |
Monnaies de bronze | 1 | 1/8 | — |
Total | 131 | 1/8 | milll. sterl. |
L’intérêt de cette somme, à 3 1/4 pour cent, n’est pas moindre de 4,262,000 livres sterling.
L’établissement de la Monnaie coûte environ 42,000 livres par an. Le relevé suivant comprend donc les frais totaux de la circulation métallique autant que le calcul peut les atteindre.
Perte d’intérêt | 4,262,000 | liv. sterling | |
Usure des monnaies | 48,000 | — | |
Fabrication de la monnaie | 42,000 | — | |
4,352,000 | liv. sterling |
De cette somme il faut déduire le bénéfice que fait la Monnaie sur la fabrication des pièces d’or et d’argent ; mais nous pouvons considérer ce profit comme contrebalancé par la dépense complètement inconnue qu’occasionnent à la communauté les pertes accidentelles de monnaies.