La Mission Marchand (I. Congo - Nil ; II. Fachoda)
Fayard Frères (p. 5-7).

AVANT-PROPOS


Dans ces vingt dernières années, les Européens se sont partagé l’Afrique.

Deux peuples surtout ont réussi à se faire la part large : l’Anglais et le Français.

Le premier occupa le Sud de l’Afrique, du Cap de Bonne-Espérance aux grands Lacs ; puis il s’implanta au Nord-Est du Continent noir, occupant effectivement l’Égypte et nominalement la Nubie.

La France, elle, appuyée au Nord sur sa vieille colonie algérienne ; à l’Ouest, sur ses établissements du Sénégal et du golfe de Guinée, étendit son influence sur la plus grande partie du bassin du Niger, conquit la côte d’ivoire, le Dahomey, le Congo, tandis qu’à l’extrémité opposée de la terre africaine, elle plantait son drapeau à Obock, Djibouti et Tadjourah.

Tout naturellement la Grande-Bretagne devait être tentée de réunir l’Égypte au Cap, et la France de joindre le Soudan et le Gabon au territoire d’Obock.

De là, deux mouvements d’expansion, perpendiculaires l’un à l’autre et appelés fatalement à se contrecarrer.

Si les soldats et fonctionnaires de la République soudaient l’Ouest africain à l’Hinterland d’Obock, les Saxons se trouvaient coupés du Cap ; si, au contraire, les sujets de S. M. la Reine Victoria pouvaient faire leur trouée, l’importance de nos établissements de Tadjourah était considérablèment diminuée, et la liberté de l’Abyssinie, notre alliée naturelle, était compromise.

Voilà pourquoi l’on organisa la mission Congo-Nil. La route de pénétration des Anglais vers le Sud ne pouvait être, de par la configuration du pays, que le lit du fleuve autrefois rougi par Moïse. Donc une mission, partie du Congo et venant occuper une agglomération quelconque sur les berges nilotiques, assurait le succès de la France dans cette course aux territoires.

Par malheur, la chose une fois décidée en principe, on hésita beaucoup.

Le commandement fut d’abord donné, puis retiré au lieutenant-colonel Monteil, lequel, pour se venger — se venger ainsi qu’il convient à un officier de grand mérite et de grand cœur — exécuta cette marche de 4.000 kilomètres, admirée par tous, qui le conduisit, de l’Atlantique au lac Tchad et du lac Tchad à la Méditerranée.

Enfin, au début de l’année 1896, le commandant Marchand[1] fut désigné pour former, et diriger la mission.

Nous n’avons point l’intention de suivre pas à pas l’héroïque explorateur. Nous voulons seulement utiliser nos correspondances particulières, pour relater, d’après les acteurs mêmes du drame, les principales étapes d’une expédition qu’en des temps moins prosaïques, les poètes eussent chantée.

28 mai 1899.
Paul d’Ivoi.




AVERTISSEMENT

Un mot de préambule s’impose. La traversée de l’Afrique par la colonne Marchand a duré trois années.

Elle a eu ses péripéties romanesques que nous raconterons sans rien exagérer, sans rien atténuer. Les épisodes qui vont suivre sont, nous le garantissons, strictement conformes à la vérité.

C’est du reste dans des rapports anglais que nous avons puisé. Les termes des conversations ne sont pas textuels, cela est certain, mais les idées ont réellement été exprimées dans les circonstances que nous rapportons.

  1. Marchand était seulement capitaine à cette époque ; il n’obtint le quatrième galon qu’à son arrivée à Fachoda.

    Toutefois, dans le récit, nous l’appellerons commandant, parce que tel est le titre donné aux chefs de mission, quel que soit leur grade.