Librairie académique Perrin (p. 60-118).

II


Au delà du bourg de Gausson, au point où les premières futaies de la forêt de Lorges se dressent, cernant la plaine, un lieutenant de Boishardy[1] guette dans la lande. L’endroit est désert ; la maison la plus proche est une masure blottie contre la forêt[2]. Il est tombé de la neige et quand, en ces âpres lieux, les grands espaces sont givrés par l’hiver, les bois dépouillés qui ferment l’horizon semblent plus noirs et plus hostiles.

Humbert paraît, suivi de son aide de camp ; l’officier royaliste vient à eux, salue, se présente « dans les termes les plus honnêtes », prie les républicains de mettre pied à terre et d’avancer jusqu’à une portée de fusil : le chef est là, en pleins champs ; on causera plus librement. À une centaine de pas, en effet, Boishardy attend ; quand il voit Humbert s’approcher, il sort de sa ceinture son poignard qu’il lance dans les bruyères ; Humbert déboucle son ceinturon, jette son sabre et les deux jeunes gens désarmés vont l’un vers l’autre[3].

Le premier mot de Boishardy est pour déplorer le conflit qui divise les Français « et les oblige à s’entretuer »… Humbert répond que « sa démarche a pour but de ramener des compatriotes fourvoyés ; il vient à eux, les bras ouverts : repousseront-ils ses avances ? » Également émus, ils se considèrent : pour la première fois, depuis vingt mois, un bleu et un chouan se trouvent face à face ailleurs que dans l’acharnement du combat et déjà les voilà séduits tous les deux : même âge, même bravoure, même amour de la France, — et si différents pourtant. Le contraste de leur origine et de leur éducation ajoute encore à l’étonnement de leur sympathie subite : l’un, fruste de ton et de manières, habitué au tutoiement démocratique, ravalant de son mieux le mot citoyen qui lui monte aux lèvres à chaque réplique, et s’efforçant, par savoir-vivre, de ne jamais répondre sans un solennel Monsieurre Boyarredy[4] ; l’autre distingué, naturellement protocolaire, disant Général, et poliment inattentif aux pataquès de son interlocuteur. D’ailleurs tous deux soldats dans l’âme, ne parlent-ils pas la même langue ? La causerie, tout de suite, est familière, sans réticences ; Humbert s’informe : — « Combien avez-vous d’hommes ? — Aujourd’hui quatre cents, demain dix mille. — Parmi eux, beaucoup d’émigrés ? — Les émigrés ? Ce sont des lâches. Les chouans les méprisent et seraient les premiers à garder les côtes pour les empêcher de débarquer. — Qui donc informe si bien les royalistes des mouvements de l’armée républicaine ? — Ils ont des amis dans tous les corps constitués et reçoivent d’eux, outre des avis, les gazettes et le bulletin des lois. — Les chouans savent donc que la République est partout victorieuse ? — Ils le savent et ils s’en réjouissent ; la défaite de l’Autriche les a ravis d’aise. — Alors pourquoi ne pas se rallier au régime nouveau ? — Ils le feraient pour la tranquillité du pays si le gouvernement était plus stable et plus tolérant ; du reste ils ne sont pas les maîtres : leurs camarades ont horreur de la Révolution et ne pardonneraient pas la défection des chefs ; cependant le système d’humanité, adopté depuis quatre mois par la République est le plus sûr moyen d’apaiser les esprits[5]. »

Il est certain que l’entretien fut sans contrainte puisqu’il se prolongea jusqu’à la tombée du jour. Boishardy offrit l’hospitalité au républicain ; très satisfaits l’un de l’autre et déjà camarades, ils allèrent souper à Plémy et y passèrent la nuit dans l’un des refuges du proscrit[6]. Humbert reprit, au matin, le chemin de Moncontour. Dans l’après-midi du même jour les habitants de la petite ville assistèrent à ce spectacle extraordinaire : sept chouans armés, descendant du Mené, pénétrèrent dans le bourg et, marchant militairement, allèrent droit à la demeure du général ; ils apportaient à celui-ci, de la part de Boishardy, un compliment amical :

« Général, il ne faut entre nous que quelques instants pour apprécier l’avantage de nous connaître : c’est à ce titre que nous vous devons confiance, estime, amitié et que nous nous flattons de montrer les mêmes sentiments. Notre cause est celle de la France entière[7]

Un post-scriptum ajoutait, il est vrai que Boishardy attendrait, pour traiter, « un gouvernement que de vrais Français sont en droit d’exiger » ; mais deux bouteilles de vin de Malaga accompagnaient cet élégant billet et amortissaient le fâcheux effet de la restriction. Alors advint cette chose inouïe : leur commission faite, les sept chouans de Boishardy entrèrent se réchauffer au poste des soldats de garde ; on vit les faces brunes et maigres des grenadiers de la République, — si farouches sous le tricorne roussi, coiffé de travers, et le balai de crin rouge épanoui en panache, — s’éclairer d’un bon rire pour faire accueil aux « brigands » figures rasées, bouches minces, regards aux aguets ; on vit les peaux de bique et les habits bleus se coudoyant sur les mêmes bancs et, dans la fumée des pipes fraternellement allumées, cocardes blanches et cocardes tricolores voisinant pacifiquement[8]. Ceux qui ont discerné en cette belle histoire la ruse de deux ennemis s’embrassant pour gagner le temps de s’égorger d’un coup plus sûr, ignorent à quelles illusions se complaisent la franchise sans détour et la cordialité native des Français de tous les temps.

L’heureuse nouvelle fusa dans le pays avec l’instantanéité d’une détonation et causa une joie délirante : à la pente de tous les talus on voyait écrit dans la neige le nom de Boishardy[9]. Puis, ainsi qu’il arrive dans les grands mouvements d’émotion populaire, sourdirent les faux bruits : on raconta que le chef royaliste « s’était rendu » ; suivant d’autres « les Bleus l’avaient amené de force à Moncontour[10]. » De fait il y parut, mais volontairement, pour offrir le 12 nivose, en son vieux manoir de Bréhand, un souper au général Humbert et à trois de ses officiers ; on répudiait ainsi le calendrier républicain : le 12 nivose de l’an III coïncidait en effet avec le 1er janvier 1795 et l’on but ensemble à la nouvelle année[11]. On trinqua aussi entre bleus et chouans aux corps de garde, dans les cabarets et il en fut de même en bien des endroits. Le 6 janvier, ci-devant jour des Rois, des officiers de la république, voire des députés à la Convention, choquèrent leurs verres à « la santé » de la pacification naissante[12].

À ce moment, Cormatin parut. Depuis son débarquement, en septembre, très embarrassé de sa promotion imprévue, il s’était tenu discrètement à l’écart. Peut-être ne prenait-il pas au sérieux son aventure, à proprement parler invraisemblable. Puisaye, ayant enfin obtenu des frères de Louis XVI la ratification de tous ses actes et la confirmation des grades fantaisistes qu’il s’était attribués[13], avait aussitôt, de Londres, nommé Cormatin maréchal de camp, major général de l’armée catholique et royale et, par surcroît, chevalier de Saint-Louis ; celui-ci, bien convaincu maintenant qu’il ne rêvait pas, dut chercher longtemps par quel coup d’éclat il justifierait un si mirobolant avancement. Et puis il lui fallut le temps de se pourvoir d’une garde-robe appropriée à sa dignité. À présent que la détente s’accentuait, il jugea enfin sonnée l’heure de se produire et, dès le 30 décembre, il accourait au quartier général de Boishardy[14]. Le lendemain il voyait Humbert, l’éblouissait par sa faconde intarissable, traçait, sans désemparer, de sa plume facile, les termes d’un armistice qui commencerait le 3 janvier et se prolongerait jusqu’à nouvelles conventions[15], et se décidait à parcourir les provinces insurgées pour rallier à la pacification tous les chefs royalistes. Il passera dans le Maine et dans l’Anjou, poussera jusqu’en Vendée, ira trouver Charette dans le Bocage… Ce rôle impromptu qu’il s’adjuge, il le jouera désormais, — c’est justice de le reconnaître, — avec une ardeur, une ténacité, un aplomb, une adresse même parfaitement méritoires. Il lui faut l’agrément des Conventionnels, et le voilà, traînant Humbert qu’il fascine, courant à la recherche de Bollet ; il le découvre à Saint-Brieuc, obtient de lui les laissez-passer nécessaires et l’autorisation d’emmener Humbert dans la tournée qu’il prépare. De Saint-Brieuc il roule vers Rennes, toujours accompagné du général républicain, et, dans la matinée du 11 janvier, il se présente au quartier général de Hoche ; il est reçu, grâce à Humbert, car il importe de noter que le nom de Cormatin est encore tout à fait ignoré des généraux de la République, des représentants du peuple et de la presque totalité des royalistes.

Hoche écouta Cormatin qui parla durant cinq heures, — éloquemment, sans doute, et même avec émotion ; quand il en vint à exposer son désir de mettre fin à la guerre civile, il y mit tant d’impétuosité que ses yeux se remplirent de larmes[16]. Bref, le jeune général en chef accorda son approbation. Cormatin et Humbert partent : à Vitré, à Laval, à Angers, à Ancenis, à Nantes, ils répandent des proclamations, se mettent en rapport avec les chefs de bandes royalistes ; propagande trop rapide et souvent peu comprise : pour mieux impressionner les populations, Cormatin a soigné sa tenue : suivant l’occasion il ne néglige ni les bottes à revers, ni les plumes, ni les éperons, ni l’écharpe, ni le sabre, accessoires indispensables de son grade éminent ; ou bien, pour se donner l’allure d’un vrai chouan, il porte la veste de drap gris de fer à revers noirs, le Sacré Cœur sur la poitrine, le chapelet passé à la boutonnière, un gilet de drap vert et de larges culottes à bandes de velours[17]. S’il plaît généralement aux femmes, il étonne plutôt les rudes gas qui, depuis deux ans, se battent « pour leur Dieu et pour leur Roi », effarés d’entendre cet inconnu, loquace comme un personnage de théâtre, assisté d’un général bleu, muet comme un figurant, les exhorter à déposer les armes et à rentrer paisiblement chez eux. — Les églises sont-elles rouvertes ? — Louis XVII est-il aux Tuileries ?… On est troublé, on soupçonne quelque piège, et Cormatin, sur son passage, fait moins de prosélytes que de mécontents.

Il y en a dans les deux camps : les fonctionnaires de tous rangs, les spéculateurs enrichis par l’acquisition de biens nationaux, les « patauds » qui, par peur ou fanatisme, se sont compromis dans la Terreur récente et répugnent à l’apaisement, prélude certain d’imminentes représailles. Les royalistes, particulièrement ceux qui, au cours de la chouannerie, ont conquis un grade, purement nominal, qu’on ne leur a pas marchandé ; ceux aussi que la révolution a spoliés, ne renonceront pas à la lutte, si désintéressés soient-ils, avant d’être assurés d’un dédommagement proportionné à leurs sacrifices. C’est pourquoi Cormatin dépense en pure perte son éloquence. Que vient-il prêcher la paix cet homme qui n’a rien perdu et qu’on n’a vu combattre nulle part ? En vain pour se parer d’un opportun vernis de chouannerie, s’est-il affublé de deux surnoms, à la manière des batteurs de landes : le premier est Théobald ; le second Obéissant, sobriquet mal justifié, car tandis que de l’autre côté du Détroit, Puisaye prépare la guerre à outrance, arme des flottes, enrôle des régiments, embarque des équipements, des boulets, des canons, de la poudre, des balles et des fusils par milliers, lui, Cormatin, contremine ce chef qu’il remplace temporairement et s’érige en missionnaire de concorde et de réconciliation.

Au nombre des démocrates farouches qu’inquiètent ces tentatives d’apaisement, compte Besné, l’accusateur public du tribunal criminel des Côtes-du-Nord. Il suit les événements avec une tristesse indignée : la Convention, à son avis, se déconsidère : n’a-t-elle point pardonné aux brigands ? Ne va-t-elle pas se montrer miséricordieuse envers les prêtres insermentés ? Il en détient deux dans sa prison du chef-lieu, et le représentant Bollet estime qu’il serait politique de « les oublier ». Ne voilà-t-il pas que ces criminels vont bénéficier de l’amnistie ! Pas d’indulgence ! Besné désapprouve la mollesse des députés en mission ; pour sa part, rien ne le fléchira. Son devoir est de juger sans délai et selon la rigueur des lois les ecclésiastiques réfractaires et il n’y faillira pas[18]. Une admonestation sévère du Comité de Législation et la menace de perdre sa place calment tout de même son zèle intempestif[19]. Il s’incline, mais « il s’ouvre de ses inquiétudes au Comité » : La République est « sans énergie » ; un scélérat, nommé Boishardy, « se disant chef de division de l’armée catholique et royale… ose prétendre capituler avec elle ! » — « Je crois, citoyens, qu’elle peut traiter avec les puissances ennemies quand sa gloire et son intérêt n’en souffriront point… Mais un traître doit être puni avec les conspirateurs qu’il s’est associés pour multiplier ses forfaits. » Et Besné, amèrement, termine : « — Je supprime mille réflexions… » C’est cela surtout qu’il ne supporte pas : ce Boishardy, dont il a naguère obtenu la tête, soupe à présent avec les généraux de la République ; il a repris possession de son château, vendu cependant « nationalement » ; il y reçoit des royalistes avérés et devant ce scandale la justice a les bras liés ! Mais Besné guette et ne perd pas l’espoir d’une revanche contre ce contumace qui s’est insolemment soustrait à l’échafaud.

Boishardy, en effet, depuis ses entrevues avec Humbert, était rentré dans son petit manoir de Bréhand, soit qu’une entente avec l’adjudicataire de ses biens lui en eût rendu la jouissance, soit que l’acquéreur, pris de panique à la tournure des événements, eût délibérément cédé la place. Le jeune chef royaliste vivait en quotidiennes relations avec sa jolie voisine, Joséphine de Kercadio, dont la mère était gardée en surveillance à Lamballe, et qui habitait la maison de la Ville-Louët, distante d’une demi-lieue à peine du château de Boishardy. Mademoiselle de Kercadio avait à son service une fille de chambre, Marie-Anne Le Roy et un jardinier, homme de confiance, Jean Le Mée : mais elle passait la plupart de ses journées au Boishardy où l’existence était plus animée et plus distrayante que dans la solitude de la Ville-Louët. Malgré la suspension d’armes, le château de Boishardy gardait, en effet, l’animation d’un quartier général : une assez forte garnison, composée de chouans et de déserteurs, cantonnait dans les dépendances, et il était rare que le châtelain ne reçût nombreuse compagnie. D’abord il logeait habituellement chez lui ses aides de camp, de Jouette, Chabron de Solilhac, le chevalier de Chantreau de la Jouberdière et d’autres, tous jeunes, aventureux et gais compagnons ; en outre les émigrés qui débarquaient de Jersey et faisaient route vers le Morbihan, ne manquaient pas de s’arrêter au Boishardy, poste important de la ligne de correspondance et devenu l’un des principaux centres de la conjuration bretonne. Ces arrivants apportaient les nouvelles de l’émigration, les bruits de Londres et surtout des faux assignats qui, eux, parvenaient en masse, par ballots, par caisses, par tonneaux[20]. Toute expédition de munitions ou d’équipements était accompagnée d’un gros paquet de ce papier-monnaie ; dans une lettre saisie sur un émissaire débarqué à la côte, lettre qui se retrouve, déchirée en deux morceaux, aux Archives de la Guerre, on lit : — « Vous recevrez dix millions cette fois et, à chaque occasion, encore davantage…  » La manufacture de Puisaye travaillait à plein rendement. On ne manquait donc de rien au Boishardy en ce début de 1795 ; on y menait joyeuse vie. Besné, qui se méfiait de quelque chose, écrivait : — « Les domestiques de la Kercadio viennent à Saint-Brieuc vider les boutiques… » Les proscrits qui, depuis des mois ou des années n’avaient pas vécu en France, trouvaient une agréable étape en ce logis breton, placé sous la sauvegarde de toutes les autorités de la République et qu’égayait la présence de la charmante hôtesse de Boishardy.

L’aimait-elle ? Ardente royaliste, brave, aventureuse, d’esprit romanesque, il est hors de doute qu’elle considérait comme un héros ce maître adoré de tout le pays et dont le prestige s’augmentait, aux yeux de la jeune fille, des dangers sans nombre qu’il avait bravés. Mêlée à sa vie de hasards, elle savait les dévouements qu’il suscitait et elle se rappelait aussi que, toute fillette, il l’avait prise sous sa protection. De l’enthousiasme à l’amour la distance est courte. D’ailleurs on possède, tracé de la main même de mademoiselle de Kercadio, l’aveu sans détour de ses sentiments : c’est un billet d’elle, adressé à Boishardy et qui fut découvert en des circonstances dont on lira bientôt le récit :

Est-il possible, mon cher petit époux, que je sois assez malheureuse pour être loin de toi, de toi qui fais tout mon bonheur. De quelque manière que les choses se tournent, je veux être avec toi. Oh ! si tu m’aimais autant que je t’adore, il n’y aurait jamais eu de couple si heureux que nous, car tous les malheurs qui pourraient m’arriver me seraient indifférents pourvu que je te sache bien portant et que tu aimes celle qui n’est heureuse qu’avec toi. Si tu changeais de sentiments à mon égard, je crois que je serais assez courageuse pour m’ôter une vie qui m’est importune loin de toi, les fois que tu m’as dit que tu n’avais pas un instant pour m’écrire. Oh ! quand on aime comme moi, on trouve toujours un instant pour dire à sa femme qu’on l’aime. Quand tu sacrifierais un demi-quart d’heure par semaine à la pauvre Fifine qui croit que ça ne devrait pas trop te coûter[21].

On a tiré argument de ce tendre billet pour décider que Joséphine de Kercadio avait été la maîtresse, voire l’épouse de Boishardy. Il apparaît, au contraire, que c’est là style de très jeune fille s’épanchant avec l’exubérance de la naïveté. On peut croire que mademoiselle de Kercadio et Boishardy s’étaient fiancés ; qu’ils se traitaient préventivement, en leurs badinages amoureux, de mari et de femme, d’où cette expression qui vient sous la plume de la pauvre Fine parce qu’elle en conçoit une grande fierté. Telle était la réalité, en dépit des suppositions malveillantes et des médisances : Boishardy allait épouser son amie et le trousseau était commandé chez la veuve Saint-Marc, à Rennes. Trousseau d’une richesse et d’une élégance mal adaptées à la vie errante dans les bruyères du Mené ou les forêts du Penthièvre : — « 16 aunes de moëre de soie chinée et satinée pour robe et jupe ; — 6 aunes de pékin blanc satiné pour une seconde jupe ; » — la robe de mariage, sans doute — « 5 aunes de taffetas blanc pour jupe de dessous ; — un pierrot de batiste brodé en couleurs ; — un manchon d’ourson doré ; » et des gants de peau rose brodés ou peints, et des gants chamois, et d’autres « amadis » ; et puis encore six pots de pommade fine à odeur ; six livres de poudre parfumée ; 25 livres de poudre ordinaire… Pour Boishardy : 5 aunes de drap de Louviers de différentes teintes pour trois habits ; — un gilet de casimir brodé de guirlandes de roses avec revers à trois pointes ; — un autre à bouquets détachés ; un autre écarlate, brodé en guirlande ; des parures de boutons d’acier, des boucles, des jarretières[22]. Il y en avait, en tout, pour 2.500 livres en numéraire, — près de 10.000 livres en assignats.

Quand, le 12 janvier, l’avis parvint au Boishardy que les caisses contenant ces merveilles étaient arrivées chez la citoyenne Le Landais, à Saint-Brieuc, mademoiselle de Kercadio envoya sa femme de chambre, Marie-Anne Leroy, et son jardinier Le Mée pour en prendre livraison ; ils étaient munis d’un gros paquet d’assignats tout neufs, si neufs que la commerçante eut méfiance et, avant de donner quittance, les porta chez le receveur du district afin qu’il les vérifiât. Les assignats étaient faux ! La femme de chambre et le jardinier sont conduits au bureau municipal où Besné, triomphant, les interroge : il apprend que les marchandises « sont destinées aux noces de la fille Kercadio » ; c’est elle qui a remis à ses domestiques la somme en papier-monnaie nécessaire au paiement. Besné fait emprisonner le jardinier et la servante et court enfermer les assignats dans le tiroir de son bureau au Palais de Justice. Même il prend la précaution : — « car je vois à tout », écrit-il, — de placer pour la nuit deux sentinelles à la porte de son cabinet ; il craint que Boishardy, dont il connaît par expérience le caractère entreprenant, ne lui ravisse cette redoutable pièce à conviction. Maintenant Besné tient sa revanche : la loi punit de mort le propagateur de faux assignats : il n’a pas eu la tête de Boishardy ; il aura celle de « la Kercadio ».

La lutte fut épique : le 13 janvier, dès sept heures du matin, cent hommes du 60e régiment d’infanterie quittent Lamballe sous le commandement du citoyen Dubreuil, assisté de deux délégués du comité de surveillance munis d’un ordre de perquisition. On arrive à la Ville-Louët vers neuf heures ; la maison est cernée ; la demoiselle Kercadio s’enfuit dans le jardin ; les soldats la saisissent et arrêtent aussi un homme qui se sauve dans un champ voisin : on le somme de décliner ses noms et qualités : il sort de sa poche un sauf-conduit : — « Laissez passer librement le citoyen Chantreau, voyageant pour ses affaires. Signé Humbert, général de brigade. » Il n’y a qu’à s’incliner ; quant à la citoyenne Kercadio, on l’invite à présenter ses poches et à ouvrir ses armoires ; elle obéit, frémissante : on trouve sur elle une liasse d’assignats qu’on enveloppe et qu’on cachette ; mais elle refuse d’apposer sur ce paquet sa signature. Dans un placard on découvre un brevet portant un cachet à écu fleurdelisé, surmonté de la couronne royale et supporté par deux chats-huants : les commissaires s’en emparent ; mais la jeune fille le leur arrache des mains et le déchire[23]. On va la conduire à Lamballe ; elle déclare qu’elle n’ira pas ; si on la laisse libre, peut-être consentira-t-elle à s’y rendre le lendemain, mais de son propre mouvement. Les commissaires n’osent employer la violence et se retirent. Comme ils sont en route pour regagner la ville avec la troupe, Boishardy surgit d’un fourré, interpelle le commandant Dubreuil, proteste vertement contre cette audacieuse infraction à la convention du 3 janvier et menace de déposer plainte. Sévir contre mademoiselle de Kercadio c’est rompre la trêve et, dans ce cas, on peut « s’attendre à des surprises » ; il n’a pas licencié ses hommes et il est résolu à livrer bataille si la troupe reparaît à la Ville-Louët pour mettre la jeune fille en arrestation[24]. Il adresse le lendemain semblable ultimatum aux administrateurs du département, non cependant sans proposer d’effectuer en assignats vérifiés le paiement des marchandises en dépôt chez la citoyenne Le Landais. C’est, sans doute, cette transaction qu’adoptèrent les magistrats briochains, car les domestiques inculpés bénéficièrent d’un verdict d’acquittement[25].

Mais le duel se poursuivait entre Boishardy et Besné, et celui-ci ne désarmait pas. Il avait adressé un rapport de l’affaire au Comité de Sûreté Générale, concluant que « la Kercadio était justiciable du tribunal révolutionnaire de Paris ». — Je ne compte pas avec la loi, écrivait-il, et celle de 23 août 1793 est impérieuse… On m’assassinerait, plutôt que j’entrave l’action nécessaire de la justice[26]. » Boishardy, voyant le danger, réclama la médiation d’Humbert, qui intervint[27] et s’attira une lapidaire réplique du spartiate Besné : — « Humbert, ta loyauté a été trompée ; tu ne sais pas tout et je regrette de ne pouvoir rien faire qui te soit agréable. Les ministres de la loi ne transigent pas avec ceux qui la violent… J’ai juré d’être fidèle à ma patrie et je tiens mon serment. Salut et fraternité[28]. » On le fit taire pourtant. Par quel moyen ? Bollet, peut-être, le calma, à moins que Boishardy en personne se fût décidé à employer des arguments lénitifs. Même avec l’austérité républicaine de Besné, — la suite de ce récit le montrera, — il était « des accommodements ».

Cependant Cormatin, continuant sa propagande pacificatrice, débarquait à Nantes le 19 janvier, convoyant toujours le docile Humbert. Le major général des armées catholiques et royales de Bretagne se trouvait là sur un grand théâtre : une douzaine de représentants du peuple étaient rassemblés au chef-lieu de la Loire-Inférieure ; Hoche y venait d’arriver la veille ; il s’agissait d’amener Charette, qui tenait la Vendée, à traiter avec la République. Cormatin se fait fort de l’y décider ; il se présente aux conventionnels qui paraissent plus étonnés que séduits par la suffisance de cet inconnu : il leur donne lecture d’un emphatique factum de sa composition : Paroles de Paix, et réclame l’honneur de porter au chef vendéen les propositions du gouvernement, s’engageant, au nom de tous les royalistes de la rive droite de la Loire, — qu’il commande, — à ratifier les conditions qu’acceptera Charette. On l’éconduit ; mais quand vingt jours plus tard, Charette s’installe avec ses lieutenants au petit château de La Jaunais, près de Nantes, pour s’y rencontrer avec les délégués de la Convention, Cormatin est là, siégeant parmi les chefs royalistes. Plusieurs de ceux qui participèrent à ces entrevues fameuses ont laissé des notes ou écrit des mémoires : aucun ne semble avoir pris Cormatin au sérieux ; pourtant il se dépense sans ménagement ; il est, de tous, le plus ardent avocat de la paix ; il exhorte les indécis, tente de convaincre les opposants, poussant ses instances jusqu’à l’indiscrétion, s’exposant même à des camouflets qu’il endure sans fierté excessive[29]. Et quand, le traité enfin signé, Charette fait dans Nantes son entrée triomphale, à cheval aux côtés des généraux de la République et suivi de son état major chevauchant parmi les officiers bleus, Cormatin est encore de la fête, de toutes les fêtes, jouissant vaniteusement de cette pacification qu’il croit son œuvre, sans songer certainement au quiproquo tragique dont seront victimes tant de braves gens persuadés qu’il est le fidèle porte-parole de Puisaye, et ne pouvant se douter que celui-ci, bien loin de préconiser la réconciliation, poursuit ardemment sa politique belliqueuse.

C’était à Cormatin maintenant d’entrer en scène et d’assumer le premier rôle : il s’était engagé, on l’a vu, à obtenir de tous les chefs royalistes de Bretagne, du Maine, de la Normandie et de l’Anjou l’assentiment du traité signé par Charette. Or, la tâche se présentait rude. Bon nombre de ces chefs ne connaissaient pas Cormatin, même de nom ; la plupart étaient bien résolus à ne pas déposer les armes et aucun n’avait autorisé quiconque à parler en son nom. Ceci n’effrayait pas l’insouciant major général : il était de ces hommes pour qui la confiance en leur propre aplomb tient lieu de méthode et il imaginait que, en déclarant la pacification irrévocable, il obtiendrait de tous l’adhésion au fait accompli. Il serait toujours temps de s’expliquer par la suite. Tel était son programme qui présentait l’avantage de le dispenser de toute démarche préventive. Il vint donc s’installer à Rennes, capitale qu’il avait élue pour y réunir tous les chefs de la Chouannerie en une conférence dont l’éclat effacerait le souvenir de La Jaunais. De là il voisinait avec le quartier général de Boishardy, où il ne comptait que des approbateurs et où « sa politique » n’était pas discutée.

Séjour peu banal, la résidence de Boishardy dans ces premiers mois de 1795. Ce nid de chouans, si longtemps occulte et ténébreux, se trémoussait, au grand jour de la trêve, avec une désinvolture presque insolente. On y vivait comme des vainqueurs en pays conquis et ce fut une heure joyeuse : paysans royalistes et soldats de la République fraternisaient bruyamment. — « Moncontour, Loudéac et Lamballe retentissent des cris de Vivent la Constitution, l’Union et la Paix !  » écrit Hoche[30] ; à Boishardy et à ses lieutenants il adresse ce billet presque tendre : — « Venez, messieurs, venez voir ce que sont les officiers français républicains. Ils vous tendent les bras en hommes qui brûlent de vous embrasser comme des frères et comme des amis[31]. » Seuls les jacobins non repentis, les fonctionnaires, les détenteurs de biens d’émigrés, ceux que l’on nomme « les Terroristes », montrent triste mine : leur bon temps est périmé ; ils jugent prudent de se terrer à leur tour et de se taire : — « Sur trente-cinq municipalités du district de Loudéac, il n’y en a plus qu’un très petit nombre qui correspondent encore avec l’administration[32] » ; c’est aux chefs chouans qu’on s’adresse ; c’est à eux qu’est passée l’influence : — « Sous prétexte de l’amnistie et d’une prétendue suspension d’armes, Boishardy donne des lois dans les districts de Saint-Brieuc, de Lamballe et de Broons[33]. » De fait, on croirait que son manoir de Boishardy est devenu le centre de l’Administration départementale : c’est un défilé constant de visiteurs : émigrés arrivant d’Angleterre et officiers de la République y festoient, s’y rencontrent journellement. Dans les dépendances du château est logée la petite garnison de chouans composant la garde du chef, une centaine de fidèles, uniformément vêtus « d’une veste grise à parements noirs[34] ». Ceux-là aussi se félicitent de leur sort : un belge, déserteur des troupes autrichiennes, enrôlé dans cette troupe d’élite, déclarera plus tard que, dès les premiers mois de 1795, « il n’a rien fait d’autre que de boire et manger et qu’il n’a jamais eu d’armes[35] ».

Plus réjouis encore de rencontrer sur leur route cette oasis sont les malheureux émigrés que Prigent débarque sur la plage d’Erquy ou sur celles du Clos-Poulet. Ils sont exclus de la pacification, d’avance condamnés à mort s’ils paraissent en France. Le moment d’aborder au rivage est si angoissant que les premiers mois de 1795, « il n’a rien fait d’autre écrites par quelques-uns de ces proscrits sont unanimes sur l’effroi que tous éprouvent à affronter, de nuit, les lignes de sentinelles, les chiens dressés par les gardes-côtes pour les chasses aux «  ci-devant », la traîtrise des embûches tendues dans l’ombre à toutes les passées praticables. Ces premiers obstacles par miracle franchis, il faut gagner une maison de refuge, souvent difficile à repérer pour qui ne connaît pas le pays et n’ose demander son chemin ; il faut encore garder présent à l’esprit le mot de passe qui change fréquemment et fixer dans sa mémoire des consignes telles que celles-ci : — « Tu diras en frappant à la porte : Pierre et on te répondra du dedans : Étienne. Ceci n’est que pour la première fois ; au second voyage ce sera Granville pour toi et Dinan pour ceux de la maison ; pour le troisième voyage tu diras François, on te répondra Saint-Louis[36]… » Quand on s’engage enfin sur la route de correspondance, le trajet est facilité, il est vrai, par les guides, les conseils, les réconforts de tout genre ; mais que de risques encore et de fatigues ! La marche de nuit par les landes et les bois ; les longues journées sous la paille d’un grenier ou dans une cache étroite ; les déguisements, les rencontres inquiétantes… C’est à travers de telles aventures que, en février 1795, parviennent au Boishardy Frotté, Bellefonds, d’Urville, Tinteniac, un habitué, presque un amoureux de ces audacieuses expéditions, et le chevalier d’Andigné qui, pour la première fois, venant d’Angleterre, débarque en Bretagne.

D’Andigné arrivait ne sachant rien des récents événements et bien décidé à s’enrôler dans quelque bande pour y faire le coup de feu. Sa stupéfaction fut grande lorsque, entrant dans le salon de Boishardy, il y aperçut, parmi les chefs royalistes assemblés, un général républicain installé là comme chez lui. C’était Humbert, qui ne quittait plus le manoir de Bréhand et s’y trouvait bien. On comprend aisément l’émoi d’un émigré à rencontrer face à face un de ces impitoyables ennemis qui, la veille encore, l’auraient fusillé sans pitié. D’Andigné jugea, d’ailleurs, celui-ci « assez bon diable » ; Humbert se mêlait familièrement aux conversations de ses hôtes, leur empruntait de l’argent, qu’il oubliait de leur rendre, la République le laissant très dénué : « il jouait aussi et ne payait pas quand il perdait[37] ». Il s’était manifestement attaché à ces gentilshommes avec lesquels il habitait ; le reste de poudre dont se paraient leurs manières n’effarouchait pas sa rusticité, non plus que ses façons et son ton plébéïens ne choquaient leur élégance native. À se trouver réunis, sans distinction de drapeaux, ces jeunes Français appréciaient d’autant plus la vie qu’ils se savaient prêts à la sacrifier pour leurs convictions et ils ne la gâtaient point par d’acrimonieuses et vaines rancunes de partis. On s’attablait ensemble avec autant d’entrain qu’on avait combattu ; on riait, on chantait au dessert, on s’attardait en longues parties de cartes. À voir, dans le vestibule de ce château breton, les chapeaux à plumes tricolores accrochés pêle-mêle avec les feutres à panaches blancs, ou les chouans de Boishardy présenter l’arme au général républicain quand il sortait sur le pas de la porte pour fumer sa pipe, un étranger aurait jugé sévèrement cette accommodante insouciance entre adversaires réputés irréconciliables. Certains épisodes de notre histoire demeurent inintelligibles à qui n’est pas de chez nous.

Un autre attrait de ces réunions était la présence de mademoiselle de Kercadio. La jeune fille « ne quittait jamais Boishardy » ; aimable, élégante, valeureuse, — charmante dans sa très petite taille, avec ses traits fins, ses cheveux châtains, ses yeux bruns, — grisée peut-être par l’étrangeté de sa situation, cette maîtresse de maison qui n’avait pas seize ans[38], étonnait un peu les nouveaux arrivants mal informés de son histoire et des raisons de son isolement. D’Andigné s’en offusqua ; tout frais débarqué d’Angleterre, il est naturel qu’il se trouvât dérouté par le spectacle de cette chouannerie pacifique et galante si différente de ce qu’il avait imaginé. Il estimait scandaleux qu’un chef royaliste affichât ainsi « sa maîtresse » ; il tranche de ce mot une question délicate que bien des chroniqueurs ont discutée, sans qu’aucun document précis ne permette, bien entendu, d’authentiquer leurs suppositions. Boishardy présentait à tous mademoiselle de Kercadio comme « sa fiancée », et c’est à quoi l’Histoire a le devoir de s’arrêter[39]. En pareille matière, a dit un homme d’esprit, « ceux qui parlent ne savent pas, ceux qui savent ne parlent pas ». Pourquoi, à défaut de témoignages probants, décisifs, ternir d’un soupçon probablement injustifié, la touchante idylle de ces amoureux acheminés vers de cruelles catastrophes ?

Un lien de famille unissait cette gracieuse enfant au chevalier de Tinténiac ; — il l’appelait : ma cousine[40]. Or, on n’aperçoit pas que ce scrupuleux Breton eût désapprouvé ni l’intimité de sa parente avec Boishardy, ni l’affectation de celui-ci à la produire dans toutes les assemblées locales. Car le pays était en liesse ; les Bleus fêtaient les chouans qui leur rendaient la politesse et cette heureuse fusion, après tant et tant de désunions et de luttes, apparaissait si belle qu’on n’osait croire à sa réalité. Une de ces fêtes fut célébrée à Moncontour ; d’Andigné, qui s’y rendit, croyait rêver : il passa une partie de la nuit « au milieu des Républicains » et quand, le matin, il ouvrit sa fenêtre après quelques heures de sommeil, « la vue des troupes d’Humbert qui couvraient la place lui inspira de singulières réflexions ». Cette vieille et jolie ville de Moncontour, berceau de la fraternisation, devenait, en quelque sorte, la métropole de la Concorde ; Cormatin, entouré de ses « aides de camp », y tenait une manière de Cour, en relations ininterrompues avec le quartier général de Boishardy, tout voisin. Même, un jour, — c’était le 9 mars 1795, — celui-ci reçut un court billet de Cormatin l’avisant que le général Danican, porteur d’ordres du général Hoche, désirait l’entretenir et lui demandait un rendez-vous[41]. Danican était chargé d’annoncer la prochaine venue de Hoche à Moncontour : depuis longtemps l’illustre général en chef désirait parcourir ce petit coin de terre où avait battu le cœur de la chouannerie bretonne et connaître Boishardy qui, le premier, comprenant que l’intérêt de la France prime celui des partis, s’était noblement prêté à ses propositions de paix.

Hoche arriva à Moncontour au début de la seconde quinzaine de mars[42] et prit séjour dans la demeure d’un riche négociant, M. Latimier du Clèzieux[43]. Cette maison à pilastres et à beaux balcons de fer ouvragé existe encore, malheureusement découronnée de son toit à la Mansard et de son fronton triangulaire où s’enchâssait un cadran solaire ; elle est située sur la place de l’église et le décor n’a guère changé depuis le jour où Hoche, avec ses cavaliers d’escorte, mousqueton au poing, s’arrêta et mit pied à terre devant la porte des du Clèzieux. Il parut, tel que l’a décrit une contemporaine, « grand et beau garçon, en longue redingote avec un long sabre. Point de façons, point de luxe ; parlant bref, avec une grande politesse aux dames, une grande cordialité aux soldats, une grande réserve aux civils[44]. »

Madame du Clèzieux, jeune et très belle, d’esprit cultivé, s’était ingéniée, durant la Terreur, à prêcher la modération ; royaliste de sentiment, elle avait maintes fois tenté d’assoupir les haines et d’arrêter l’effusion du sang. Au prestige de ses charmes s’ajoutait l’autorité de sa vertu ; il est à supposer que son influence sur Boishardy, particulièrement lié avec elle, avait contribué à calmer l’ardeur belliqueuse du tenace révolté. Tout de suite elle prit sur Hoche le même empire et, sous sa douce et irrésistible action, ces deux hommes, si distants en apparence, se rapprochèrent, pénétrés d’une réciproque estime[45]. Qu’éprouva-t-il, le jeune chouan, dont le nom et les exploits n’étaient connus que des paysans de sa contrée, lorsqu’il se trouva en présence de ce glorieux rival de vingt-sept ans auquel obéissaient des armées et dont la renommée rayonnait loin au delà des frontières ? Des remords ? — Non, certes ! — Des regrets ? — Peut-être. — De l’envie, sans nul doute pour cet heureux soldat qui avait combattu les ennemis d’Outre-Rhin et posé de nouveaux lauriers au front de la France. De telles rencontres imposent aux consciences droites des examens redoutables. Qui sait si, ce jour-là, ne naquit pas la répugnance de Boishardy pour l’ingérence anglaise dans l’insurrection royaliste ? Dès lors, assurément, ses amis s’étonneront de « son indécision », voire de « sa nonchalance[46] » ; il venait de comprendre, et il allait en mourir, qu’aucun devoir, fût-ce le plus noble et le plus impérieux, ne permet d’aider l’étranger à meurtrir la Patrie.

À Moncontour étaient autour de lui groupés plusieurs chefs royalistes : Chantreau, Solilhac, d’Andigné, Tinténiac qui se préparait à retourner en Angleterre[47], Cormatin et ses « officiers d’ordonnance » : Jarry, Gazet, Boisgontier, La Nourais, Dufour, ce commandant du Clos-Poulet qui avait « passé » Puisaye à Jersey. Hoche tint avec eux une « très longue conférence[48] ». Il les questionna en camarade sur leurs intentions, la force de leur parti, leur situation personnelle et emporta l’impression que le nombre des chouans de toute la Bretagne montait, — non pas à 100.000, comme on le lui dit, — mais à 35 ou 40.000 hommes, bien suffisant pour « intercepter les communications, affamer les villes et molester les patriotes ». — « Tous les chefs, note-t-il, sont d’anciens pages de Capet, des officiers de la marine ou de l’armée de terre ; sauf quelques jeunes têtes, très bouillantes et sortant des bois, ils paraissent désirer la paix. » Et il conclut, mélancoliquement : — « Il n’y a, en Bretagne, que deux partis : les chouans qui veulent tout envahir, et les terroristes, qui veulent tout brûler[49]. »

Il fut convenu qu’on se retrouverait le 1er avril à Rennes où les chefs de toute la chouannerie seraient invités à se rencontrer avec les députés de la Convention.

Aussitôt Cormatin qui doit, en sa qualité de major général, présider cette réunion solennelle et attacher ainsi son nom à l’un des plus heureux événements de notre histoire, expédie en fourrier son aide de camp, Dufour, avec ordre de « bien faire les choses » et de tout disposer de manière à éblouir les républicains. Dufour reçut la mission de choisir à un tiers de lieue de Rennes, au moins, un lieu convenable aux Conférences ; de trouver, non loin de là, une résidence où l’on pût luxueusement installer le quartier général de Cormatin et recevoir les cent cinquante ou deux cents chefs royalistes sur la présence desquels il comptait, — de trouver près de cette résidence l’emplacement d’un camp de 800 hommes formant la garde de sûreté et d’honneur de M. le Major Général, — enfin de remettre au commissaire ordonnateur de la division militaire un état portant la nomenclature « de tous les objets nécessaires pour le campement de la troupe, lits, vivres, bois, ustensiles de cuisine, indispensables à cette foule qu’augmentait encore une liste considérable de domestiques, de cuisiniers, d’estafettes, etc.[50] »

Dufour se mit en quête et réussit à miracle : à trois quarts d’heure des portes de Rennes, il découvrit, au bord de la Vilaine, et réquisitionna le château de La Prévalaye, ancienne seigneurie quelque peu délabrée en ce temps de révolution, mais qui gardait grand air avec ses pignons, ses toits à pente rapide, et la jolie tourelle en avant-corps sur la façade. De magnifiques prairies, de longues et majestueuses avenues de vieux arbres, s’étendaient au loin, formant parc ; même on conservait dévotieusement dans ce château le lit où avait couché Henri IV, une nuit de mai, deux cents ans auparavant. Les chouans trouveraient sous ces beaux ombrages un cantonnement de rêve et Dufour réclama sans tarder à l’Administration militaire qui ne lésina pas, des tentes pour abriter ces bonnes gens. Puis, à mi-chemin entre La Prévalaye et Rennes, le fourrier de Cormatin avisa un petit manoir, transformé en ferme, et qu’on appelait La Mabilais. En y ajoutant deux baraques couvertes en chaume, il obtint un local suffisant pour la tenue des Conférences avec les représentants : c’était bien assez bon pour des républicains.

Déjà, du fond du Morbihan, des landes de Paimpont et de Lanvaux, des forêts de la Nouée et de Camors, les chefs de la chouannerie se dirigeaient vers la capitale bretonne ; voyage extraordinaire et triomphal de ces sans asile dont beaucoup, depuis le temps lointain de La Rouerie, n’étaient sortis de leurs fourrés et de leurs « loges » que pour se poster en embuscade ou pour livrer bataille, et qui, à présent, munis de bons passeports, salués bas par les Bleus maudits, refaisaient joyeuse connaissance avec la vie d’auberge et les chaudes couëttes des lits bretons. Quand ils passaient, arborant leurs insignes d’officiers de l’armée du Roi, la foule applaudissait, disant « que les États de Bretagne se réunissaient enfin et qu’ils allaient rétablir le trône et l’autel[51] ». À l’entrée de toutes les bourgades, au cri Qui vive ? ils répondaient orgueilleusement : Députés royalistes ! Le poste sortait, rendait les honneurs militaires et les chouans passaient, soulevant leurs chapeaux couverts de plumes blanches[52]. En certains endroits on illumina et l’on fit fête durant trois semaines[53].

Ce qui surprend ce sont les exigences, le besoin subit de bien-être de ces hommes rudes accoutumés pourtant à toutes les privations : d’Andigné juge bien misérable le cortège de « deux ou trois mauvaises voitures paraissant avoir séjourné sous la remise depuis nombre d’années » mises à sa disposition, à celle de Boishardy et de « leur suite » pour se rendre de Moncontour à Rennes. « Il fallut, dit-il avec dédain, employer les chevaux des charrois militaires, ainsi que ceux des particuliers pour conduire notre convoi dont l’aspect assez grotesque n’était pas relevé par l’élégance de nos costumes. » Humbert allait devant pour préparer les logements sur la route et cet appareil si nouveau d’un général républicain servant de courrier à Boishardy et à ses compagnons, attirait sur leur passage les paysans ébahis à la vue de ce chef mystérieux au nom déjà légendaire, et aussi les « jacobins », les « terroristes », indigènes, frémissant à la pensée que la République, si grande au bon temps de Robespierre, s’abaissait maintenant à pactiser avec ces farouches rebelles. On fit le trajet en deux jours : aux auberges, Boishardy et son État-Major daignaient admettre à leur table le général et faisaient honneur aux repas, « somptueux » d’un bout à l’autre de la route, préparés par les ordres et aux frais de la République[54].

Mademoiselle de Kercadio, bien entendu, est du voyage[55]. Boishardy veut que sa fiancée assiste aux fêtes de la Pacification ; et certes le spectacle vaut d’être vu. En arrivant à La Prévalaye, on est reçu par Cormatin, veillant à tout, commandant à tous, « faisant l’empressé » dans son beau costume de major général, — grande redingote à haut collet, large cravate blanche gracieusement nouée, cocarde blanche, écharpe blanche, panache blanc[56]. Le château a été remis en bon état ; une garde d’honneur de deux cents chouans[57], d’une tenue « impeccable », occupe les tentes fournies par la République ; sur toutes flotte le drapeau blanc ; et, non loin d’eux, est cantonné un détachement de dragons républicains, envoyés par Hoche pour servir d’ordonnances[58], maigres, misérables, mal vêtus, mal montés et qui regardent avec envie les beaux soldats de Cormatin. Celui-ci, d’ailleurs, est bon prince ; ne représente-t-il pas ici le Roi de France ? Les pauvres Bleus trouveront toujours table servie et vont se refaire à satiété. Les broches tournent et les ragoûts mijotent sans arrêt dans les cuisines du château ; on y nourrit « près de cinq cents personnes par jour[59], aux dépens de la République ». Un soldat déserteur, enrôlé par les chouans et cantonné à La Prévalaye, écrit à l’un de ses camarades, caporal à la 76e demi-brigade : — « Je ne suis plus taxé à cinq quarts de pain par jour ; le pain blanc comme la neige ne quitte jamais la table, non plus que le porc, le veau, le bœuf, le beurre frais et aussi le bon cidre. Et l’amitié de tout le monde, particulièrement celle des filles. » Tableau enchanteur ! Le soir on danse, on joue, on chante… On chante la Marseillaise, un peu modifiée pour plaire à l’assistance :


Aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons !
   Marchons ! Marchons !…
  Va-t’en voir s’ils viennent, Jean,
  Va-t’en voir s’ils viennent.


On chante aussi le Ça ira, agréablement parodié par un spirituel adaptateur qui n’a pas pleine confiance dans le résultat des négociations :


Ah ! ça ira, ça ira, ça ira…
Cahin-caha, cahin-caha !


Mademoiselle de Kercadio n’est pas la seule de son sexe qui figure en ces entraînantes réunions. Cormatin envoie chercher à Rennes de jolies femmes afin d’égayer la fête ; même il va faire son choix et on le rencontre circulant entre la ville et son quartier général, promenant dans sa voiture des élégantes à coiffure de plumes blanches. En ce temps reculé, les femmes saisissaient, avec une sorte de frénésie les occasions les plus inattendues de s’affubler de toilettes excentriques ; depuis l’ouverture des conférences la mode était, dans la capitale de la Bretagne, de s’habiller « en chouanne[60] ». Les dames royalistes de Rennes, celles du moins que n’effrayaient pas ces assemblées un peu libres et bruyantes, accouraient pour le plaisir d’entendre crier Vive le Roi. Quant à Cormatin, il donnait libre cours à sa galanterie naturelle de beau quadragénaire : deux jeunes actrices, Ninette Belval[61], tenant au théâtre l’emploi d’ingénue, et Agathe Cassin[62], sémillante et brune soubrette, paraissent avoir partagé, sans jalousie, ses hommages[63]. Tout cela amusait les uns et scandalisait d’autres ; la bombance et la gaieté n’étaient pas, il est vrai, « dans la situation » ; mais ce recul subit aux dissipations mondaines d’avant 89 ne manquait pas d’une certaine grâce et symbolisait presque un programme : il marquait la réaction complète, la rupture avec la morosité démocratique, le retour au bon temps de l’insouciance et des effusions ; bouffée de griserie dans l’ouragan : ce fut si court que l’Histoire n’a pas le droit de se montrer sévère.

Les jeunes gentilshommes, anciens officiers pour la plupart, qui, jadis, avaient fréquenté dans le monde et entrevu la Cour, — les Béjarry, les La Bourdonnaye-Montluc, les Mayneuf, les Dieusie, les Nantois, les Busnel et bien d’autres, — jugeaient délicieux cet entracte à leur dure vie de partisans ; les paysans ou les bourgeois, tout aussi nombreux, — le manceau Caquereau, le morbihannais Guillemot, Terrien, marchand de bois, Palierne, receveur de rentes à Ancenis, Gourlet, percepteur à Riaillé, Cadoudal, Billard de Veaux, cultivateurs ou petits propriétaires[64], les plus fervents peut-être, les plus intransigeants à coup sûr, blâmaient la présence des belles dames avec lesquelles ils ne dansaient pas, ainsi que le luxe de la table et du service dont s’effarouchait leur rusticité. L’argent ne manquait point, car les faux assignats de Puisaye circulaient à flots : — « Nous les jetions à pleines mains », écrit d’Andigné ; on rencontrait peu de scrupuleux qui hésitassent à les répandre. En général, on n’y faisait pas grande différence ; Bleus et Chouans se félicitaient de cet afflux de papier monnaie qui ne valait guère moins que l’autre, — le vrai. Les commerçants de Rennes acceptaient tout : les tailleurs et les lingères de la ville réalisèrent de gros bénéfices ; car les hôtes de Cormatin profitaient de cette vacance pour commander « force hardes » et renouveler leur garde-robe, endommagée par les longs séjours dans les bois[65].

Et les conférences ? Elles vont… cahin-caha. Le conseil des royalistes s’assemble à La Prévalaye. Cormatin le préside et dépense toute son éloquence. La pacification est sa raison d’être, sa conception personnelle ; il l’a promise aux représentants ; il s’effondrera si elle avorte. Et voilà qu’il se heurte à des résistances : la première condition du traité est la reconnaissance de la République et l’engagement de ne plus porter les armes contre elle ; ceci suscite des colères : les Chouans sont-ils des vaincus pour se soumettre à l’ennemi ? N’ont-ils pas juré de servir la cause du Roi jusqu’au triomphe ou jusqu’à la mort ? Vont-ils trahir ce serment à l’heure où la République agonise, où d’un bout à l’autre du royaume, le peuple épuisé et contrit aspire au rétablissement de la monarchie ? D’ailleurs, la paix ne serait pas
générale : Stofflet, qui commande l’armée catholique d’Anjou, ne veut pas céder : l’abandonner serait une lâcheté.

Pour gagner du temps et décider Stofflet, on dépêche Boishardy en Anjou. En attendant son retour, les discussions se poursuivent souvent acerbes et tumultueuses. Deux ou trois fois par semaine, on se réunit aux Conventionnels en des conférences tenues à la maisonnette de La Mabilais. Cormatin s’y rend avec sept royalistes, prudemment choisis, et escorté d’une garde de cinquante Chouans. Les représentants du peuple y arrivent de Rennes dans des voitures qu’entourent cent grenadiers. Hoche les précède avec ses chasseurs à cheval[66]. Les deux portes de la salle s’ouvrent en même temps : les royalistes entrent d’un côté, cocarde blanche au feutre ; les républicains entrent de l’autre, plumet tricolore au chapeau. Ce sont Ruelle, Bollet, Delaunay, Jary, Chaillon, Corbel, Guezno, Guermeur, De Fermon, et Lanjuinais. Hoche reste dehors avec ses officiers ; Cormatin, qui redoute sa droiture, a proposé l’exclusion des militaires et les représentants y ont volontiers consenti, ne s’illusionnant pas sur l’opinion qu’a prise d’eux le général. Ah ! comme il les méprise ! — « Voilà donc, note-t-il pour soulager son indignation, voilà donc les soutiens de ma triste patrie ! Envieux, incapables de toute honnêteté, ivrognes, débauchés, ignorants et vains, tel est, à l’exception de Lanjuinais et de Fermon, le caractère des membres de notre congrès. Dans les délibérations, nul ordre ; l’un crie, son voisin dort, un troisième… Est-ce ainsi que se comportent nos adversaires ? Leurs repas sont moins longs et moins fréquents. Indigne Ruelle ! Reçois ici le tribut de mon indignation ! Après avoir rampé devant Charette, tu fais servilement ta cour à Cormatin[67] !… » Quelques-uns des représentants s’expriment avec élégance ; plusieurs « parlent raisonnablement » ; « la plupart sont modérés[68] ». Pourtant, des mots aigres sont échangés ; les Chouans, peu parlementaires, perdent la mesure et s’emportent. Et pendant ces parlotes qui ne mènent à rien, car « la paix n’est pas dans les cœurs », tandis que finasse Cormatin, que patelinent Ruelle ou Delaunay, aux abords de La Mabilais, parmi la foule parfois sympathique[69], parfois hostile[70], venue de Rennes pour surprendre quelque incident de ce rapprochement paradoxal, Hoche et ses généraux s’entretiennent avec les officiers royalistes. Il leur témoigne « beaucoup d’estimes » et paraît flatté de leurs prévenances[71]. Comme la paix eût été facile entre ces soldats français, sans l’odieuse politique et les criards qui en vivaient[72] !

Boishardy ne rapporta pas d’Anjou une réponse décisive de Stofflet : la conférence allait s’éterniser ou se rompre. Cormatin joua son va-tout. — Il faut reconnaître la République ; c’est là une simple formalité qui n’engage à rien ; elle donnera au parti royaliste le temps de s’organiser et de préparer la victoire… Il parle ainsi, à l’étourdie, se grisant de mots selon sa méthode ; des rumeurs l’interrompent. Cadoudal écume : « les traits crispés, le cou nu, la poitrine découverte comme dans un jour de bataille », il fait effort pour réprimer son dégoût : — « Monsieur, dit-il, au nom de tous les royalistes de Bretagne et de Vendée, je vous défends de poursuivre ! » Il sort de la salle, d’autres l’imitent, parmi lesquels Guillemot, Le Gris-Duval, Saint-Régent. Ceux qui restent, très échauffés, repoussent bruyamment la soumission aux régicides. Poirier de Beauvais qui, au temps de la Vendée, a été le commandant général de l’artillerie royale, tire de sa poche un papier et commence à lire[73] : son thème est celui-ci : tous désirent la paix ; mais non au prix d’une lâcheté, encore moins d’une trahison. Reconnaîtra-t-on la République avec l’intention de violer le traité ? Cette fausseté répugne « à des chevaliers français accoutumés à être le modèle des nations pour tout ce qui s’appelle honneur… » Cormatin se cabre, essaie de parler. Beauvais poursuit, imperturbable : — « Vous, gentilshommes bretons, Messieurs de la Normandie, du Maine et de l’Anjou, vous tous dont les sentiments sont si purs »… songez que la démarche qu’on exige de vous « éloigne peut-être à tout jamais de leur patrie des Princes dont nous comblons les malheurs… » Cormatin bondit, s’emporte : il se lève, frappe sur la table : Boishardy, Chantreau, Solilhac, Dufour le soutiennent ; on s’invective dans le tumulte… Mais Beauvais continue, et, cette fois, c’est un coup droit qu’il porte à son adversaire : — « M. Cormatin a l’honneur de commander ici les Bretons par une commission du général de Puisaye. Cette commission lui a-t-elle été donnée au nom des Princes pour reconnaître la République ou pour la combattre ? Il est nécessaire que M. Cormatin soit suspendu de son commandement jusqu’à nouvel ordre… » À ces mots, toute délibération est rompue : Cormatin jette dans le vacarme quelques paroles et, s’emparant d’un feuillet où sont écrits, d’un côté le mot Paix, de l’autre le mot Guerre, il signe à la première colonne, tire son sabre, jure de reprendre les armes dès une occasion favorable ; ses partisans inscrivent leurs noms sous le sien, puis la feuille circule et tous ceux qui sont là signent également, — sauf Beauvais[74]. Et tous sont sincères : ils souhaitent la paix ; la guerre civile leur répugne ; ils s’accordent à l’avouer en une saisissante unanimité ; mais ils n’iront pas plus loin dans les concessions et ne se soumettront pas à la Convention régicide. Déjà ils se préparent à quitter La Prévalaye ; ils retournent à leurs broussailles ; le soir même beaucoup sont en route ; un plus grand nombre partira le lendemain, et quand, le 20 avril, Cormatin arrive à La Mabilais pour l’entrevue décisive avec les représentants, il n’amène avec lui qu’une vingtaine de royalistes, résignés à la soumission : ses aides de camp, ceux de Boishardy, Boishardy lui-même… seul dont le nom soit éclatant, seul aussi, peut-être, dont la sincérité, en cette conjoncture épineuse, soit affranchie de supputations intéressées, et de restrictions tacites. Il se souvient de l’embrassement de Hoche ; cette sorte de baptême a dessillé ses yeux qui entrevoient maintenant, au-dessus des rouges vilenies révolutionnaires, une France nouvelle s’élevant aussi glorieuse que celle des Rois.

La déclaration des Chouans est noble et digne : — « l’amour de tout Français pour son pays, le désir d’éteindre les discordes civiles, l’oubli du passé, les gloires communes, les mêmes souhaits de tout ce qui peut garantir la sûreté et le bonheur de la France », tels sont leurs motifs. « En conséquence nous déclarons solennellement nous soumettre à la République française, une et indivisible, en reconnaître les lois et prendre l’engagement de ne jamais porter les armes contre elle. » Ils obtiennent par compensation le retrait des troupes républicaines, la liberté des opinions et des cultes, l’amnistie des émigrés rentrés, et une indemnité pour les habitants des campagnes. Ils signent[75]. Aussitôt la nouvelle se propage jusqu’à Rennes : la paix est conclue : Vive l’Union, Vive la France ! Les fanfares éclatent, les salves tonnent… Hoche, sceptique en présence de cette joie populaire, montre à ses généraux Chèrin et Krieg, deux bandes de corbeaux qui tournoient au-dessus de La Mabilais ; elles se séparent ; l’une reste unie, l’autre se disperse, et il voit là un présage à la manière des anciens[76]. Là-bas, à La Prévalaye, un homme effondré sur un canapé sanglote ; c’est le comte de Silz ; il vient de signer[77] ; au compagnon d’armes qui s’efforce à le réconforter, il dit, « fondant en larmes » : — « J’ai perdu votre amitié… vous ne m’estimerez plus… Et les princes ? Quelle idée auront-ils de moi ?… »

Cormatin, lui, exulte : comme Charette à Nantes, il va faire à Rennes son entrée triomphale : les représentants ont invité à souper les signataires du traité ; le cortège se forme : les tambours, la musique, les vingt « pacifiés » signalés par leurs panaches blancs, puis les voitures des représentants, Hoche, ses cavaliers et son état-major ; enfin la foule tumultueuse, et tout cela défile entre deux haies de gardes nationaux. Cormatin guette les acclamations ; pour qu’on le distingue bien, il a entouré son chapeau d’une couronne de lauriers. On arrive rue de la République, à l’ancienne Intendance, qu’occupent les représentants. Le repas préparé avec pompe est l’occasion de terribles bousculades : la plupart des convives, à jeun depuis le matin, se jettent sur les plats avec une avidité peu décorative[78]. Le peuple est admis dans la salle du banquet et s’y presse sans discrétion. Hoche juge la scène « un peu gauche, pour ne pas dire indécente » ; les royalistes la voient « d’une tristesse remarquable[79] ». Seuls les conventionnels s’efforcent de garder le décorum et se plaignent de la cohue : l’un d’eux « se voyant enlever par un jeune officier une bouteille de vin d’Espagne, proteste qu’on avilit la représentation nationale. Le ravisseur, par chance, put se perdre dans la foule et s’échapper avec son larcin[80] ».

De plusieurs jours Cormatin ne quitta pas sa couronne de lauriers : il se croyait « le dictateur de la Bretagne ». Installé au château de Cicé, pour « organiser la pacification », il y signait « autant de passeports qu’une municipalité », écrivait Hoche qui, ne comprenant rien à cet hurluberlu vaniteux, ajoutait : — « Je crois qu’il veut toucher la forte somme et quitter le pays. » Cormatin s’attribuait, disait-on, sur le chiffre des indemnités allouées aux campagnes, 30.000 francs en numéraire et 40.000 en assignats : certains parlaient d’un million de livres, empoché par le pacificateur… Tout de même, il avait réussi à ébaucher un semblant de réconciliation entre royalistes et républicains, jouant, il est vrai, pour obtenir ce succès inespéré, une comédie périlleuse : aux uns il atteste qu’un article secret du traité assure la mise en liberté du fils de Louis XVI ; à d’autres il glisse discrètement que la Convention elle-même se prépare à restaurer la monarchie. Il a prêché la paix et juré qu’il veut la guerre ; il prend pour finesse diplomatique cette palinodie criminelle, persuadé que « le temps arrangera tout ». Il s’illusionne ; mais il est sincère, même dans ses vantardises. Sincères aussi les royalistes signataires du traité : on le vit bien quand, au cours des négociations, une escadre anglaise se montra sur les côtes, s’apprêtant à opérer un débarquement d’émigrés, d’armes et de munitions : au premier avis qu’ils en reçurent, Boishardy, Tinténiac et Frotté informèrent spontanément les Conventionnels et leur remirent une lettre destinée à « Messieurs les Officiers anglais[81] », par laquelle ils déclaraient que, « entrés en pourparlers avec la République, les Bretons ne pouvaient accepter désormais aucun secours de l’Angleterre ». Ils furent moins bien inspirés en réclamant des représentants du peuple la mise en liberté de Prigent, le commissionnaire de Puisaye, capturé à la côte dans la nuit du 1er janvier : en prison depuis quatre mois, Prigent, pour sauver sa tête,

accablait les représentants de dénonciations, révélant tout ce qu’il savait des lignes de correspondance, des points de débarquement, des projets du cabinet britannique, des préparatifs de l’Angleterre[82]. Puisqu’on était réconcilié, la plus
élémentaire délicatesse commandait aux Conventionnels d’avertir les royalistes que Prigent était un traître, indigne d’intérêt : ils s’en gardèrent bien, accordèrent la libération du misérable et présentèrent cette « faveur » comme une preuve de générosité, plaçant ainsi auprès des pacifiés un espion qui, durant douze ans, grâce à l’aveuglement protecteur de Puisaye, vendra à la police tous les secrets dont il sera porteur[83].

Tels étaient les procédés des représentants du peuple ; l’incohérent emploi de leur omnipotence ne palliait pas ce manque de loyauté : ainsi, à l’heure où se répandait à peine en Bretagne le texte de la Pacification, accordant le libre exercice du culte, la Convention votait, le 1er mai, la peine de mort contre tout prêtre réfractaire découvert sur le territoire de la République ! Le 27 mai Guermeur et Brue, en mission à Quimperlé, ordonnaient l’arrestation « de tous les individus connus pour avoir occupé un grade dans la Chouannerie[84] ». Le lendemain, le comte de Silz tombait sous les coups des Bleus ; et il n’était pas le premier qui pérît des signataires de la Mabilais ; dès le 30 avril Geslin, chef manceau et son compagnon Lhermite, revenant de Rennes, avaient été massacrés à Saint-Denis-d’Orques[85].

En vain Cormatin se démenait-il en un fébrile apostolat, attestant aux représentants, chez qui il soupait deux fois par semaine[86], qu’il apaisait les Chouans, aux Chouans qu’il dupait les Bleus, à tous que l’âge d’or était proche. Au château de Cicé, son quartier général, il tenait des « conseils de guerre », distribuait des cocardes blanches, donnait des audiences et de grands dîners. Il s’exhibait quotidiennement, à Rennes, « escorté d’une garde prétorienne » ; il exigea un jour l’ouverture d’une église pour présider en personne une cérémonie religieuse et « recevoir les plaintes des divers particuliers ». Était-il devenu fou ? Le 9 mai, Hoche, revenant de Laval, le rencontra aux environs de Vitré, en compagnie du général Humbert costumé en Chouan ; tous deux venaient de procéder à l’arrestation d’une diligence[87] ! Dès cet instant, dans l’esprit du général en chef, Cormatin était condamné. À quelques jours de là, on saisissait, près de Ploërmel, sa correspondance avec les chefs morbihannais et l’on y trouvait l’occasion de se débarrasser de lui. Le lundi de la Pentecôte, 25 mai, vers trois heures de l’après-midi, comme, avec ses officiers, il se rendait, ainsi que d’habitude, au dîner des Conventionnels, un avis secret lui parvint de son imminente arrestation. Il en avisa ses aides de camp : — « Que faire ? — Mon général, nous vous suivrons partout. — Alors, messieurs, allons dîner avec nos bourreaux. » Ils gagnèrent l’hôtel de l’Intendance, séjour des représentants. L’accueil fut fort amical ; comme à l’ordinaire Hoche était là ; dîner très gai, causerie cordiale. À sept heures du soir, Cormatin rentrait chez lui, toujours escorté des six officiers de son état-major, quand le citoyen Latapie, adjudant de place, se présenta fort poliment, au nom de la Loi, exhiba ses ordres et mit Cormatin et ses aides de camp en arrestation. Le soir même, ils soupaient à la Tour Le Bat, la vieille prison de Rennes et, dans la nuit, encaqués dans deux fourgons à pain, encadrés d’un bataillon d’infanterie et de trente-six gendarmes, ils partaient pour Cherbourg où on les embarqua à destination de l’Île Pelée, rocher fortifié, à deux lieues en rade[88]. On les y enfouit au fond d’un cachot sans air et sans jour. C’est là que, dans les dernières pages de ce récit, on retrouvera Cormatin.


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De sa disparition la guerre renaissait, plus âpre, plus haineuse, entre adversaires s’accusant réciproquement d’une odieuse violation du traité. Hoche reprit le premier les armes : sa proclamation fameuse : — « Braves camarades ! Votre courage n’est plus enchaîné… » est du 1er juin. Elle ravit d’aise la racaille jacobine, les Robespierres de chefs-lieux de cantons, les survivants des clubs et des comités de villages, tous ceux qui, redoutant la réaction, assourdissent les représentants de leurs doléances, prophétisent que « le fanatisme reprend son empire » ; et que « tout ce qui a voté la mort de Capet va être immolé[89]. » L’accusateur public, Besné, est de ces aboyeurs : il prédit à la Convention le prochain rétablissement de la royauté et déplore le sort de la Bretagne où « une nouvelle Vendée se prépare[90]. » Quand il apprend l’arrestation de Cormatin, il déraisonne de joie : — « Bandit ! Voleur ! Meurtrier à gage ! L’exécrable brigand ! La vie chère ! Les prêtres criminels !… » Il envisage déjà une prochaine revanche contre son ennemi de toujours : — « Un ex-noble douteux dont j’ai parlé dans le temps, Boishardy… Il faut que ce brigand soit arrêté… Il est la cause de toutes les calamités qui ont désolé et désolent ce département. Nul n’en peut être instruit comme moi qui ne connais pas l’art perfide de flagorner[91]… »

De douloureux scrupules harcèlent celui que Besné pourchasse ainsi de sa haine. On a déjà dit combien la rencontre de Boishardy avec les généraux républicains a émoussé son ardeur à la lutte. Il s’est, à La Prévalaye, montré l’un des plus ardents pacifistes, professant la même répugnance que son ancien chef, La Rouerie, pour l’intervention armée de l’Angleterre. Or, à ce début de juin 1795, de tous les chefs des Côtes-du-Nord, il est seul à savoir que, en ces jours mêmes, une escadre anglaise, sous le commandement effectif de Puisaye, fait voile vers la France[92], apportant aux royalistes bretons des renforts, des munitions et de l’argent. Que fera Boishardy ? Il a juré de ne jamais reprendre les armes contre la République : manquera-t-il à son serment ? Ou se résignera-t-il à ne point prendre sa part de l’immanquable victoire de la cause royale ? D’Andigné qui le vit dans les premiers jours de juin fut frappé de son indécision : — « Elle me laissait, écrit-il, des inquiétudes d’autant mieux fondées qu’elle tenait à une confiance mal placée dans la parole des républicains. Hoche, en effet, lui avait témoigné de l’intérêt et n’avait rien négligé pour se l’attirer[93]. »

Depuis le 14 mai, l’adjudant général Crublier commandait le camp de la lande du Gras, entre Lamballe et Moncontour. Incorrigible coureur de jupons, en dépit de ses 56 ans, c’était un soldat énergique et dur ; Hoche avait en sa fermeté grande confiance[94]. Le jour où il prit possession de son nouveau poste, Crublier rencontra, dans une auberge de Lamballe, Boishardy, vêtu ce jour-là d’une veste de chouan, grise à revers noirs, nouée d’une écharpe de soie violet[95]. Dix jours plus tard, la paix était rompue, Crublier se mit en chasse. Le 3 juin, apprenant, de Lamballe, que Boishardy avait passé la nuit à La Ville-Louët, chez les dames de Kercadio, il part avec un détachement de sa troupe ; aux approches du manoir, une fusillade l’accueille ; pas un de ses hommes n’est atteint. Poursuivant sa marche, il cerne la maison dont les habitants se sont évadés au signal des coups de fusil, sauf une servante et deux paysans[96] aussitôt mis en arrestation. On perquisitionne ; on trouve des provisions de farine, de cuirs, de toile, de chandelles, sept habits de gardes nationaux, un habit d’uniforme blanc brodé de fleurs de lys et vingt-cinq assignats faux qui sont saisis « pour être biffés par le vérificateur ». Les vêtements sont distribués aux soldats et les provisions chargées sur deux voitures à destination de Lamballe[97]. Le surlendemain, 5 juin, nouvelle expédition : Crublier quitte le camp avant le jour, divise sa troupe en deux détachements : l’un, sous sa direction, marche vers La Ville-Louët en suivant la grand’route ; l’autre, commandé par le chef de bataillon Coulombeau, se détourne par le Pont-de-pierre, le château de Launay et La Ville-es-chiens, hameau situé au bord de la Truite, petite rivière qui descend du Mené. Comme ils arrivent là, surgit d’un champ de blé une soixantaine d’hommes qui se dispersent et disparaissent avant que la surprise de leur envolée subite ait permis à la troupe de faire feu. À l’emplacement de leur campement abandonné, on découvre une petite tente, 12 paquets de faux assignats, — environ 12.000 francs, — 5 paquets de poudre à canon, un porte-manteau, une paire de bottes, une houppelande, et une écharpe de taffetas violet que Crublier reconnaît pour celle que portait Boishardy quand il l’a vu à Lamballe. Sous un buisson, on avise un lit fait d’une paillasse, d’un petit matelas de balle et garni de draps, auprès duquel un grenadier saisit « un très beau sabre avec son ceinturon » et divers papiers[98].

Peut-être faut-il placer à cette date un passage de Hoche à Moncontour : il éprouvait une sorte d’attachement pour ces lieux témoins des premiers rapprochements entre soldats des deux partis. On le vit parfois, dit-on, le mousquet à l’épaule, parcourir à pied la campagne à la tête d’une compagnie de grenadiers. Espérait-il sauver Boishardy et l’amener à une soumission sans réticence ? On a conté « qu’un sentiment plus tendre qu’il ne se l’avouait à lui-même le retenait à Moncontour ». Quand il quitta cette aimable ville, « avec une émotion bien vive et les larmes aux yeux », il dit à madame du Clézieux qui l’avait reçu plusieurs fois : — « Votre vertu, unie à tant de charmes, vous a placée sur un piédestal d’où vous nous dominez tous… Malheur à celui qui tenterait de vous en faire descendre : celui-là ne périrait que de ma main[99]. »

Hoche ne rencontra pas Boishardy ; Boishardy se faisait invisible. Traqué par les soldats de Crublier il menait de nouveau la vie du proscrit, bien plus incertaine encore que naguère : il errait, désemparé, par la campagne, changeant de gîte toutes les nuits. Un fidèle réussit à parvenir jusqu’à lui et le découvrit, non sans peine, tapi dans un champ, parmi les moissons hautes. Il pouvait encore cependant grouper douze ou quinze cents hommes et disposait d’une compagnie de déserteurs à sa solde ; mais à ceux-ci il réservait la surveillance de La Ville-Louët qu’habitaient Joséphine de Kercadio et sa mère. Il connaissait trop ses paysans pour ignorer leur lassitude : la paix fallacieuse, les désillusions avaient tué les enthousiasmes. Lui-même, certainement, était hanté par un pressentiment d’aventures prochaines et tragiques, car, dans sa détresse, il sentait l’urgence d’assurer l’avenir de la jeune fille qu’il aimait, et, malgré les misérables conditions de son existence présente, il résolut d’épouser sans retard, mademoiselle de Kercadio.

Non loin d’un chemin de traverse qui, de Bréhand, conduit à Moncontour, il y a, perdue dans les vergers, une petite chapelle qu’on appelait alors et qu’on appelle encore, bien qu’elle ait été reconstruite depuis la révolution, la chapelle de Saint-Malo. Un étroit cimetière l’entourait et c’était, avant la Terreur, un lieu de pèlerinage, de «  pardon ». Depuis que sévissait la persécution religieuse, les fervents catholiques de la région venaient là, secrètement, la nuit, faire rectifier par quelque prêtre insermenté, les baptêmes et les mariages célébrés à contre-cœur devant les ecclésiastiques constitutionnels[100]. Boishardy décida que son mariage serait béni à la chapelle de Saint-Malo ; sa fiancée y viendrait, sans danger, de la Ville-Louët sous la conduite de deux dévoués compagnons, le jeune Hervé Du Lorin, âgé de dix-sept ans[101], et le fermier Jacques Villemain[102], qui serviraient de témoins et signeraient, avec les époux, au registre de catholicité où les « bons prêtres » consignaient les actes de cette sorte pour faire foi lors des régularisations futures. Il suffisait de trouver le « bon prêtre », et ce fut facile : la Bretagne ne manquait pas, même aux pires époques de la Terreur, d’ecclésiastiques réfractaires exerçant clandestinement leur ministère et toujours empressés à l’appel des fidèles qui réclamaient leur secours.

La sommaire cérémonie fut fixée à la nuit du 16 au 17 juin. Le 12, deux chouans déserteurs se présentent au commandant Coulombeau, déclarant leur intention de profiter de l’amnistie. Coulombeau, le lendemain, apprit d’eux que Boishardy viendrait, ce jour-là, vers midi, à La Ville-Louët. Le général Crublier, prévenu sur-le-champ, donne ordre à tous ses cavaliers de monter à cheval ; chacun d’eux prend en croupe un grenadier ; La Ville-Louët est investie ; trois hommes sont aperçus « se sauvant à toutes jambes » ; fusillade : l’un des fuyards tombe ; c’est « un chef », mais on ne peut l’identifier ; les deux autres ont disparu[103]. La troupe s’avance jusqu’au manoir de Boishardy : elle y saisit trois chouans, bien armés et qui, tout de suite, implorent grâce, promettant « qu’ils vont faire prendre beaucoup de chefs ». Sur leur indication Coulombeau et ses hommes regagnent la route de Moncontour ; au Pont-de-Pierre sous lequel coule un affluent du ruisseau l’Évron, ils s’engagent dans un étroit chemin qui les amène au moulin de Rainon voisin de la ferme du Vaugourio. La maison est, en effet, occupée par les Chouans : au cri Voilà les Bleus ! deux seulement tirent sur la troupe ; les autres tentent de fuir : dix sont tués ; deux s’esquivent ; trois se rendent : au nombre des morts se trouve un prêtre. Les soldats de Coulombeau, victorieux, regagnent leurs cantonnements, emmenant les trois prisonniers[104].

Suivant une tradition locale, un jeune garçon de dix-sept ans, recueilli naguère par Boishardy parmi les échappés du désastre vendéen et confié par lui à la femme d’un de ses partisans, Carlo, le métayer du Vaugourio, serait allé trouver le général Crublier : il se faisait fort de connaître la mystérieuse retraite de Boishardy et d’y conduire les Bleus[105] ; on donne même le prénom de ce traître : il s’appelait Charles[106]. Cette tradition n’est pas en désaccord avec les documents authentiques. À la date du 16 juin, le chef de bataillon Coulombeau écrit, en effet, au général de division Rey : — « Il nous est impossible de t’envoyer l’homme qui nous sert… vu que nous ne le voyons point et qu’il ne nous donne de renseignements que par correspondance. De plus, il est très soupçonné et même à la veille d’être fusillé par les chouans. » Coulombeau ajoutait que, la nuit prochaine, « les troupes, divisées en deux colonnes, l’une commandée par lui, l’autre par le général Crublier, marcheraient sur le Vaugourio ; un troisième détachement, sous la conduite du capitaine Ardillos, s’avancerait par la route de Moncontour, jusqu’au Pont-de-pierre et s’engagerait dans le chemin du moulin de Rainon… » Le Vaugourio serait ainsi cerné.

Là, dans une prairie dite les Bas-Champs, entre le Vaugourio et l’étang du moulin, Boishardy attendait avec sa fiancée l’heure de se rendre à la chapelle de Saint-Malo. Un hamac avait été tendu pour la jeune fille, aux branches d’un pommier. Le domestique de Boishardy, Le Borgne, était posté en surveillance sur la chaussée de l’étang : une soixantaine de Chouans, blottis dans les haies, formaient un cordon de sentinelles autour du campement. Vers deux heures du matin, Le Borgne perçoit le bruit d’une troupe en marche avançant avec précaution ; il prévient Boishardy qui prend ses armes, écoute, guette : le bruit vient du grand chemin ; sans doute un détachement du camp de Meslin se dirigeant vers Moncontour. Mais non ! Les Bleus quittent la route au Pont-de-pierre et s’enfoncent, suivant le ruisseau, dans le chemin du moulin. C’est Boishardy qu’ils cherchent ! Vite, celui-ci revient vers sa fiancée, la confie à ses deux amis Du Lorin et Villemain ; il faut qu’elle s’éloigne ; par les landes désertes du Mené, en suivant la piste de correspondance, ils la conduiront de l’autre côté de la montagne, au château de Bosseny ; lui viendra l’y retrouver dans la journée ; il ne craint rien ; connaissant tous les sentiers, tous les fossés, toutes les barrières du pays, il échappera facilement.

Dans ces campagnes morcelées et touffues, déchiquetées en mille enclos cernés de hauts talus sinueux et boisés, aucune troupe ne peut, en effet, atteindre un fugitif auquel ce dédale est familier. Mais, cette fois, les Bleus vont à coup sûr. Charles, le traître, est avec eux ; arrivé au Vaugourio, il frappe à la vitre, appelle la femme Carlo et lui demande où est Boishardy. La métayère, reconnaissant une voix amie, répond, sans méfiance, que « le chef est couché dans les Bas-Champs ». Charles indique la direction aux soldats : à ce moment les Chouans, mis en éveil, tirent au jugé quelques coups de fusil et se dispersent[107]. Les républicains ripostent : l’un d’eux fait feu visant un homme qui traverse le pré, sans hâte, à petits pas, le long de la haie, comme cherchant à s’y enfoncer ; l’homme tombe. C’est Boishardy. Atteint aux reins, il se relève, tamponne sa cravate sur sa blessure, et, se traînant, gagne du terrain dans la direction de la chapelle où, sans doute, sait-il qu’il trouvera du secours. Mais il se heurte à la ligne des soldats de Coulombeau et se détourne vers La Saignerie et La Ville-Graland ; il y a là un chemin tortueux, le chemin des Champs-Piroués, qui le ramènera à la grand’route ; au delà il sera sauvé. Il s’y engage ; mais ses forces s’épuisent ; on le poursuit. À quatre-vingts pas à peine de la route, devant la brèche du champ de François Verdes, il tombe ; déjà les Bleus sont sur lui ; trois coups de feu à bout portant l’atteignent au flanc ; tirant son épée, le capitaine Ardillos achève le chouan moribond. On le dépouille, on prend son fusil, on fouille les poches d’où on retire deux montres, une bourse, des papiers[108], parmi lesquels la tendre lettre de Joséphine de Kercadio que l’amoureux conservait sur lui :


Est-il possible, mon cher petit époux, que je sois assez malheureuse pour être loin de toi…, de toi qui fais tout mon bonheur…


Puis les soldats s’éloignent, laissant le corps de Boishardy au pied du talus, dans l’herbe foulée et sanglante, sous les premières lueurs de cette aurore de juin, parfumée et joyeuse, — l’aurore qui devait être celle des noces[109]. La fiancée, soutenue et entraînée par ses deux guides, fuyait, suivant des sentiers rudes, vers la montagne et s’enfonçait dans les vastes landes du Mené.




  1. Chantreau, bien probablement.
  2. Peut-être la maison dite Le Pavillon, voisine du hameau du Haut-Questel, en Gausson, parfois signalée comme lieu de correspondance des Chouans.
  3. On a parlé d’une escorte de cinquante Chouans que Boishardy aurait amenés et qu’il renvoya aussitôt en voyant Humbert se présenter, accompagné d’un seul aide de camp. Les documents ne disent rien de tel.
  4. C’est ainsi qu’Humbert écrivait le nom de Boishardy. Puisaye, Mémoires, IV, 348-349.
  5. Archives de la Guerre, Armées des côtes de Brest et de Cherbourg réunies, 11 nivôse, III, Humbert, général de brigade, au général Hoche.
  6. « Boishardy a couché à Plémy avec un général de la République, la nuit du 8 au 9 nivôse. » Lettre de Boudart, juge de paix à Plémet, citée par M. É. Bernard, loc. cit.
  7. Chassin, Pacifications, III.
  8. Lettre de Boudart, juge de paix à Plemet.
  9. Archives de la Préfecture de Police, A A/295, pièce 156.
  10. Archives de la Préfecture de Police, A A/295, pièce 156.
  11. « Dites-nous des nouvelles de votre souper de jeudi soir… » Lettre non signée adressée à Boishardy le 3 janvier 1795. Même dossier. — « Ce fut hier au soir que nous soupâmes, dans la maison de M. Boishardy, avec Solilhac, Chantreau et moi, le général Humbert, son aide de camp et deux autres officiers. Le général est jeune et aimable ; il n’y a pas de prévenances qu’il ne nous ait faites, ainsi que ses officiers. » Lettre de Cormatin à Puisaye, 2 janvier 1795. Mémoires de Puisaye, IV, 309.
  12. D’après une note de Boursault, citée par Deniau, V, 67.
  13. Extrait des lettres adressées par Monseigneur comte d’Artois, lieutenant général du royaume, en vertu des pouvoirs à lui conférés par Monsieur, régent de France, à M. le comte de Puisaye, général en chef de l’armée catholique et royale de Bretagne : — « Au château de Zipendal, près Arnheim, 6 novembre 1794. Mon cœur sait apprécier les sentiments qui vous animent et je me réserve de vous bien prouver tout ce que vous m’inspirez le jour heureux où je combattrai avec vous et vos intrépides compagnons. Et je vous autorise à vous considérer comme lieutenant général au service du Roi de France et à vous faire obéir en cette qualité par l’armée de Sa Majesté très chrétienne… Je ratifierai votre travail lorsque je serai moi-même à la tête de cette invincible armée… » Imprimé, Archives de la Préfecture de Police.
  14. D’une pièce qui se trouve en copie aux Archives de la Préfecture de Police, il apparaît que Cormatin connaissait, dès le 29 décembre au soir, le résultat de la première entrevue d’Humbert et de Boishardy. Il écrivit dans la nuit même à celui-ci pour lui demander de participer au prochain entretien avec le général républicain. — « Il est à présumer, Monsieur, que le général Humbert cherche à avoir une autre entrevue avec vous… Ayez la bonté de le voir et de lui demander à exécuter le plan que nous avons formé… Réunissons tous nos efforts pour que les Français ramènent entre eux le calme et la paix qu’ils désirent depuis si longtemps. » Chose singulière, dans la crainte, sans doute, que son nom soit inconnu de Boishardy, Cormatin signe cette lettre du nom de Puisaye, comme si celui-ci était encore en France, et il ne signe, lui-même, qu’en second. (C’est peut-être à cette pièce et à d’autres similaires que Puisaye, plus tard, faisait allusion quand il accusait Cormatin d’avoir falsifié sa signature.)
  15. Copie au dossier de la Préfecture de Police. Cet arrêt des hostilités n’était étendu qu’au territoire occupé par les troupes du général Humbert. Il suspendait, de part et d’autre, toute poursuite contre les personnes, moins les déserteurs, toute réquisition, toute mutilation d’arbres de la liberté, etc.
  16. Rapport de Hoche au Comité de Salut Public.
  17. H. Welschinger, Aventures de guerre et d’amour du baron de Cormatin, p. 74.
  18. Archives nationales, D111 58. Deux lettres de Besné, l’une sans date, l’autre du 10 pluviôse III.
  19. Archives nationales, D111 58, pièce 179. « Aux citoyens Boursault et Bollet, en mission dans le département des Côtes-du-Nord. Le Comité a lieu de concevoir quelque inquiétude de la moralité du citoyen Besné dont la correspondance est imprégnée de ce système de terrorisme qui a trop longtemps entravé la marche de l’esprit public. Il est possible que ce citoyen ne soit qu’emporté par son zèle peut-être louable dans son principe ; il nous suffit de le recommander à votre vigilance. En éclairant sa conduite, vous jugerez s’il y a moyen de le ramener à cette véritable mesure qui concilie la justice et l’humanité, ou s’il est nécessaire de l’éloigner d’une fonction importante dans laquelle l’exagération et le faux zèle peuvent faire des maux sans nombre et sans remèdes. »
  20. « Ce dont l’armée (royaliste) actuellement a le plus besoin, c’est d’assignats. Je viens d’en charger à bord d’un brick. » Lettre de Prigent, datée de Portsmouth, 2 octobre 1794. — « L’objet le plus pressé et le plus important est de faire passer d’abord les assignats. Il faut venir aux Minquiers avec toute la pacotille et faire un voyage tous les soirs… Vous trouverez des paquets d’assignats étiquetés ; il y en aura à votre disposition. Répandez-les à pleines mains… Quand vous les aurez dépensés, vous en aurez d’autres. » Lettre de Puisaye à Dufour, Londres, 29 septembre 1794. On remarquera que, à ces dates des 29 septembre et 2 octobre, Puisaye arrivait à peine en Angleterre, ayant quitté la France le 24 septembre, probablement. Il faut donc croire que les Anglais ne l’avaient pas attendu pour mettre son projet à exécution. D’après Louis Blanc, qui dépouilla les papiers de Puisaye au British Museum, on doit évaluer à 12 ou 15 milliards les sommes totales représentées par les assignats faux depuis le mois d’octobre 1794 jusqu’en mai 1795.
  21. Émile Bernard, Un chef de Chouans dans les Côtes-du-Nord, Revue des Études historiques, 1915, p. 399.
  22. Archives nationales, D111 58, pièce 220.
  23. Un fragment de ce brevet lacéré par Joséphine de Kercadio est conservé aux Archives des Côtes-du-Nord. (P. Hémon, Le comte du Trévou, p. 63, n.)
  24. P. Hémon, Le comte du Trévou, p. 66. — « Au surplus, ajoutait Boishardy, si les commissaires veulent entendre ses raisons, il les recevra, à 9 heures du soir, dans une maison située sur la route de Moncontour à la sortie de Lamballe. » Deux officiers du 60e régiment de ligne et l’agent national du district se présentèrent au rendez-vous. Boishardy arriva « avec quatre camarades ». Il déclara se porter garant de l’innocence de mademoiselle de Kercadio : « les assignats faux ont été introduits à la Ville-Louët par un déserteur qui courtise une servante du château et c’est à cette fille qu’étaient destinés les robes et objets de toilette. »
  25. Archives nationales, D111 58.
  26. Archives des Côtes-du-Nord, 29 nivôse, III.
  27. « J’ai appris par Boishardy, écrit Humbert à Besné, que mademoiselle de Kercadio est à la veille d’être envoyée par votre tribunal à celui de Paris ; d’après ce que m’a dit Boishardy, ce jugement pourrait occasionner de nouveaux malheurs. Je vous invite donc, au nom du bien public, de mettre toute la lenteur possible dans cette affaire jusqu’à mon arrivée à Nantes où j’en parlerai aux représentants. » Archives nationales, D111 58.
  28. Archives nationales, D111 58.
  29. Comme ce jour où, après une discussion avec Poirier de Beauvais, l’un des chefs de l’armée d’Anjou, il fut mis en présence de Stofflet, très opposé à la pacification, qui infligea à Cormatin un démenti public et le somma de montrer ses pouvoirs. — « Cormatin balbutia et ne répondit rien. » Mémoires de Poirier de Beauvais, p. 334-335.
  30. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, p. 159.
  31. Louis Blanc, Révolution. Crimes des Chouans.
  32. Archives nationales AF11 270. Loudéac, 20 nivôse, III. Lettre de Le Sénéchal, agent national.
  33. Lettre de l’agent national de Guingamp au Comité de Salut public, citée par Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy. Études p. 152. — « Boishardy n’a plus fait attaquer nos convois, en revanche il a envoyé ses sous-chefs dans toutes les communes pour enrôler de force les habitants. Il a réussi au delà de son attente, puisque les sept huitièmes des communes du district de Port-Brieuc ne correspondent plus avec l’Administration. Il y a deux jours que beaucoup de patriotes de ces communes vinrent à l’Administration demander de la troupe, et sur la réponse qui leur fut faite qu’il n’y en avait pas, ils déclarèrent en pleurant que, pour conserver leur vie, ils allaient être contraints de s’enrôler parmi les brigands. « Lettre de Robineau, commandant temporaire à Saint-Brieuc. Archives de la Guerre. Armées des côtes de Brest et de Cherbourg », pluviôse, III.
  34. Archives des Côtes-du-Nord. Interrogatoire de Pierre Daguenet, demeurant au bourg de Bréhand.
  35. Archives des Côtes-du-Nord. Déclaration de Le Vasseur, déserteur des troupes de l’Empire, 18 prairial, III.
  36. Archives de la Préfecture de Police. Lettre de Prigent, datée de Portsmouth, 2 octobre 1794.
  37. Le jugement de d’Andigné sur Humbert est injuste : — « Hoche, dit-il, l’avait placé auprès des chefs bretons sous le prétexte de les escorter… C’était sa mission apparente ; la réelle était d’observer leurs mouvements, de connaître leur force, leurs ressources, d’étudier le caractère de ces chefs dont il était l’espion… » Si Humbert fut un espion, c’est certainement à son insu ; il était naïf, mais franc ; il n’entrait ni dans sa pensée, ni dans celle de Hoche qu’un général de la République pût s’abaisser à un rôle odieux.
  38. Joséphine Quintin de Kercadio était née le 13 juin 1779. On possède d’elle un signalement, daté de 1795, ainsi libellé : — « Cheveux et sourcils châtains, yeux bruns, nez bien (sic), bouche petite, menton rond, taille 4 pieds 8 pouces (— soit : un mètre 524.) » Renseignements obligeamment communiqués par M. A. Brohan, procureur de la République, à Saint-Brieuc.
  39. Injuste pour Humbert, d’Andigné est sévère pour mademoiselle de Kercadio — « Boishardy ne la quittait jamais, écrit-il, ce qui lui nuisait singulièrement dans l’opinion d’un pays religieux où on ne pouvait tolérer ce qui avait l’apparence du désordre. À cette époque on revenait aux principes de la morale la plus sévère et on supportait difficilement de lui voir une maîtresse qu’il annonçait, à la vérité, comme devant devenir sa femme, mais qui aurait dû l’être plus tôt. Cette jeune personne était riche et bien née ; malheureusement c’était une enfant sans caractère et la guerre civile ne peut vouloir qu’une héroïne pour maîtresse d’un chef de parti. » Il y a, dans cette diatribe, plusieurs erreurs : l’une de celles que les documents autorisent à réfuter permet de supposer d’Andigné mal renseigné : mademoiselle de Kercadio n’était pas riche : sa mère possédait à peine « 2.600 livres de revenu », ainsi que le constate l’accusateur public Besné dans une lettre au Comité de Législation. Archives nationales, D111 58, pièce 24.
  40. Archives des Côtes-du-Nord. Pièces relatives à l’entrevue du général Humbert avec Boishardy : — « Je vous prie de faire mes compliments à ma cousine et à nos camarades et de me croire avec un sincère attachement, le chevalier de Tinténiac. »
  41. Archives des Côtes-du-Nord. Cormatin s’adressant à Boishardy signe : Ton bon camarade. L’enveloppe, qu’a fermée un joli cachet de cire rouge figurant une couronne de fleurs et des guirlandes, porte : à Monsieur, Monsieur de Boishardy, au quartier général.
  42. Le 18 probablement.
  43. Dans la liste des candidats pour les Conseils Municipaux de l’an XII, on lit : Saint-Brieuc ; Olivier Latimier Duclésieux, avant 1789, négociant ; depuis, négociant et receveur général du département. Fortune personnelle, en capitaux, 300.000 livres. Archives nationales, F1b II, Côtes-du-Nord, 3.
  44. Grille. Pièces inédites sur la guerre de l’Ouest, p. 18-20. C’est une dame Blas, d’Angers, qui a tracé de Hoche ce rapide croquis. Elle ajoute : — « Il nous tourne la tête à nous autres femmes… Nous irions toutes l’embrasser, lui baiser les mains, lui porter des couronnes. C’est un enthousiasme général. »
  45. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, 160.
  46. Mémoires du général d’Andigné, I, 221.
  47. Il devait partir le 24 avril sur le bateau d’Armand de Chateaubriand. Contades, Émigrés et Chouans, p. 89.
  48. Le 19 mars. Dans une lettre datée du 30 ventôse, il écrit : — « Hier, une très longue conférence avec les principaux chefs. » Archives de la guerre, Armée des Côtes de Brest et de Cherbourg, à la date.
  49. Archives de la Guerre, même dossier.
  50. Mémoires du colonel Dufour, p. 21.
  51. J. Le Fahler, Le Royaume de Bignan, p. 443.
  52. « À tous les postes que nous rencontrions sur notre route, nous répondions au Qui Vive ? Députés de la Vendée ! et on nous laissait passer en nous rendant les honneurs militaires. » Mémoires de Poirier de Beauvais. Beauvais venait de l’armée de Stofflet.
  53. À Ploërmel, à Josselin, notamment. J. Le Fahler, Le Royaume de Bignan, p. 442-444.
  54. Mémoires du général d’Andigné, I, 142.
  55. Moncontour-de-Bretagne et ses environs, par A. Houssaye. L’auteur a eu connaissance d’un interrogatoire de mademoiselle de Kercadio où celle-ci reconnaît avoir accompagné Boishardy à La Mabilais, lors de la tenue des conférences. Page 100, note.
  56. Welschinger, Cormatin, p. 74.
  57. C’est le chiffre donné par d’Andigné, I, p. 143. On a vu que Dufour dit : huit cents.
  58. D’Andigné, p. 143.
  59. Idem.
  60. V. Georges Cadoudal, par M. de Cadoudal, et aussi Mémoires de Billard de Vaux.
  61. De son vrai nom Adèle Deschamps, femme Ninet, 22 ans en l’an IV. Archives nationales, F7 6327.
  62. Agathe-Françoise Cassin, 25 ans en l’an IV, même dossier.
  63. Et, semble-t-il, ceux du général Humbert.
  64. On n’a pu dresser la liste complète des 125 chefs de bande ayant assisté aux conférences de La Prévalaye : voici les noms qu’on a pu relever : — d’Andigné, Boishardy, Béjarry, Billard de Veaux, de Busnel, de Belleveue, les deux frères du Boisgny, Boisgontier, de Bouan, Sévère de la Bourdonnaye-Montluc, Le Bouteiller, Cormatin, Cadoudal, de Chantreau, Armand de Chateaubriand (ne fit que paraître), Coquereau, de Cintré, Closmadeuc, de Concoret, de Dieusie, Dufour, Frotté, Geslin, Guillemot, Gazet, Gourlet, Guignard, le chevalier de l’Hermite, Jarry, de Kerveno, Lambert, de Lantivy, Le Gris-Duval, de Lesseignes, Lefaive, de Mayneuf, Moulé de la Raîtrie, de Méaulne, de Nantois, de la Nourais, Palierne, Poirier de Beauvais, comte de Silz, de Scépeaux, de Solilhac, Saint-Régent, Le Thieis, Tinténiac, Terrien de la Trébonnierre, de la Vieuxville.
  65. Archives de la Guerre. Lettre d’un bon citoyen ami de l’Humanité. 8 floréal, an III. Armée des Côtes de Brest et de Cherbourg.
  66. Louis de Frotté et les insurrections normandes, p. L. de la Sicotière, I, 85.
  67. Bergounioux, Essai sur la vie de Hoche, 133.
  68. La Sicotière, Frotté, I, 87.
  69. « Je rougis d’avoir à vous dire qu’une infinité de personnes, pour faire leur cour aux Chouans… sont assez déhontées pour ôter leur cocarde nationale. » Lettre de Hoche aux représentants du peuple, à Rennes. Savary, IV, 469.
  70. « Pendant tout le temps de notre séjour à La Prévalaye, nous fûmes dans des alertes continuelles. Tantôt c’étaient des patriotes de la ville de Rennes, auxquels les conférences déplaisaient et qui voulaient marcher sur nous et nous égorger ; c’étaient tous les postes environnant notre quartier, décidés aussi à tomber sur nous si, finalement, nous refusions d’adhérer à la paix. » Mémoires de Poirier de Beauvais, p. 358.
  71. La Sicotière, Frotté, I, 87, note.
  72. « La paix pourrait être bientôt faite si des entraves de tous genres ne venaient s’y opposer : les aristocrates et les terroristes s’agitent en tous sens : leurs hurlements affreux épouvantent encore ces malheureux départements ; joignez à cela les Administrations, les commissions centrales révolutionnaires, philanthropiques et mille autres encore, et vous aurez le complément des intéressés à ce que le désordre existe. » Lettre de Hoche au Comité de Salut Public, 15 mars 1795. Archives de la Guerre.
  73. Le discours est reproduit in-extenso dans ses Mémoires, p. 364 et suiv.
  74. Mémoires de Poirier de Beauvais, p. 369.
  75. Chantreau, Solilhac, Boishardy, Moulé de la Raîtrie, Geslin, Gourlet, Busnel, Bellevue, Terrien, Guignard le jeune, Jarry, Lefaure, de Méaulme, de Silz, l’aîné, l’Hermite, Lambert, Lantivy, de Nantois, Goubert de la Nourais, d’Andigné, Dufour.
  76. Extrait des notes de Hoche. Correspondance, p. 125.
  77. Il n’était pas allé à La Mabilais ; mais on lui avait dépêché Humbert qui l’avait décidé à donner son adhésion. Poirier du Beauvais, p. 372.
  78. Extrait des notes de Hoche. Correspondance, p. 125.
  79. D’Andigné, I, 180.
  80. Extrait des notes de Hoche. Correspondance, Idem.
  81. Le texte de cette lettre est donné par Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études sur la Révolution en Bretagne : — « Entrés en négociations avec la République, il nous est impossible de nous frayer un passage, que nous aurions ouvert trois mois plus tôt. La loyauté et le zèle qui nous a toujours animés pour le bien de la France nous imposent aujourd’hui la loi de vous dire qu’il nous est impossible de vous donner le moindre secours sur nos côtes. »
  82. C’est à Boursault surtout qu’il adressait ses suppliques et ses confidences. Voici un aperçu de sa manière : « Rennes, 24 nivôse III. Aie pitié de mon sort, citoyen représentant ! Tu vois et verras que je reconnais mon égarement. Veuille te ressouvenir que je suis un jeune homme qui veut travailler pour le soutien et la défense de la Patrie… Ton prisonnier, Prigent. » Archives de la Préfecture de Police. A A/295. Du même jour : — « Boursault est un nom qui doit être à jamais gravé dans le cœur de tous les enfants de la Patrie, de la République, de cette mère tendre et généreuse qui tend à tous des bras de miséricorde. Oui, son nom à jamais sera dans le mien, dans celui d’une tendre épouse qui te devra son fidèle époux, dans celui d’un pauvre enfant qui te devra son malheureux père. Ils le sauront ; oui, ils le sauront : je le leur dirai que c’est toi qui as veillé sur mes jours… etc. Ton prisonnier, Prigent. » Archives de la Guerre, Armée des Côtes de Brest, et de Cherbourg, à la date.
  83. Prigent resta, en effet, le protégé de Puisaye jusqu’en 1808. Dénoncé alors par un de ses compagnons, nommé Bouchard, il fut arrêté par la police impériale, essaya encore de racheter sa vie par d’abondantes révélations. L’empereur, pris de dégoût, ordonna qu’il fût mis à mort avec de malheureux émigrés qu’il avait trahis.
  84. Le texte de l’arrêté a été donné dans Georges Cadoudal, par son neveu G. de Cadoudal, p. 71.
  85. Le général Tranquille, chef de Chouans, par A. Duchènes et R. de la Peraudière, p. 15.
  86. Mémoires de Dufour, p. 23.
  87. Correspondance de Hoche, 10 mai 1795, p. 134.
  88. Mémoires de Dufour. Il donne un intéressant récit de l’arrestation et du transfèrement des prisonniers jusqu’à Cherbourg.
  89. Au citoyen Gillet, représentant du peuple, 20 germinal, III. Archives de la Guerre. Armée des Côtes de Brest et de Cherbourg.
  90. Archives de la Guerre, même série. 16 ventôse, III.
  91. Lettres des 31 mai et 1er juin au Comité de salut public. Archives de la guerre, même dossier.
  92. « Quatre personnes seulement en Bretagne avaient le secret de l’expédition que préparait l’Angleterre, MM. de Silz, de Boishardy, de La Vieuxville et moi. » D’Andigné, Mémoires, I, 219.
  93. D’Andigné, Mémoires, I, 221.
  94. « 14 mai 1795. Vous voilà enfin commandant d’un camp, mon cher Crublier, je ne doute pas que vous alliez oublier et Mariette et Manon pour ne vous occuper que des hommes à la tête desquels vous vous trouvez placé. N… a été dénoncé par de vils coquins comme un efféminé qui faisait gémir le duvet dans la ville de Lamballe. Ne vous attirez pas de pareils reproches… Ne laissez entrer aucun étranger dans le camp, surtout point de femmes. » Correspondance de Hoche.
  95. Archives des Côtes-du-Nord, 17 prairial, III.
  96. François Le Moine, ancien marin et Louis Tirel, de Bréhand.
  97. Archives des Côtes-du-Nord, 15 prairial, III.
  98. Archives des Côtes-du-Nord, 15 prairial, III.
  99. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, p. 171. Ces écrivains assurent tenir cet épisode d’une source parfaitement sûre. »
  100. A. Houssaye, Moncontour de Bretagne et ses environs, p. 20.
  101. Louis-Joseph Hervé du Lorin, né à Ploeuc, le 14 avril 1778, de maître Louis-Joseph-Marie Hervé, sieur Du Lorin et de Dame Charlotte Pinault, son épouse.
  102. Jacques Villemain est souvent désigné sous la qualité d’aubergiste. Il avait, en 1795, 60 ans.
  103. Les Bleus prirent ce jour-là à La Ville-Louët « un cochon gras, une truie et quatre petits ». (Archives de la Guerre, Armée des Côtes de Brest et de Cherbourg, 16 juin 1795.)
  104. Rapport au chef de bataillon Coulombeau des différentes affaires qui ont eu lieu entre les Républicains et les Chouans. (Archives de la Guerre, Armée des Côtes de Brest et de Cherbourg, 16 juin 1795.)
  105. Émile Bernard, Un chef de Chouans dans les Côtes-du-Nord, p. 410.
  106. Note de Biré dans les Mémoires de d’Andigné, I, 126.
  107. Archives de la Guerre : Rapport de Crublier : — « Boishardy, poursuivi près du Vaugourio, a tiré quelques coups de fusil qui n’ont atteint personne des nôtres. »
  108. Lettre de la Municipalité de Moncontour à celle de Saint-Brieuc, 24 prairial, à six heures du matin. Citée par M. Émile Bernard.
  109. Il serait téméraire de prétendre que ce récit de la mort de Boishardy est, dans toutes ses péripéties, absolument conforme à la réalité des faits. Duchatellier, Histoire de la Révolution en Bretagne ; Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études sur la Révolution en Bretagne ; de Kerigant, Les Chouans ; Habasque, Notions historiques sur les Côtes-du-Nord ; Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire ; Chassin, Les Pacifications de l’Ouest ; Le Maout, Annales armoricaines ; E. Veuillot, Les Guerres de Vendée ; Levot, Biographie bretonne ; Puisaye, Mémoires ; Deniau, La Guerre de Vendée ; Hémon, Le Comte du Trévou ; le Moniteur lui-même, Réimpression, XXV, 146, ont traité le sujet et tous de façon dissemblable. Le plus récent historien de Boishardy, M. Émile Bernard, est, de tous, celui qui a mis en œuvre, le plus de documents inédits et authentiques, extraits des Archives des Côtes-du-Nord, particulièrement la précieuse lettre adressée le 17 juin, dès six heures du matin, par la Municipalité de Moncontour à celle de Saint-Brieuc. On a tenté ici, non pas d’emprunter aux diverses chroniques, mais de faire état des traditions du pays recueillies en une relation encore inédite, très obligeamment communiquée par M. le docteur O. Sagory, maire de Moncontour, — relation dont M. Émile Bernard a certainement eu connaissance, — et de les accorder avec les documents restés également inédits jusqu’à présent, que conservent les Archives de la Guerre, rapports du chef de bataillon Coulombeau, — 16 juin, — du général Crublier, — 14 et 17 juin, — lettre de Hoche à Pille, commissaire des armées de terre — 18 juin, etc. Encore doit-on remarquer, en ce qui concerne le dénouement du drame, qu’on n’a pas cru devoir adopter l’une des versions de ces rapports. Crublier, en effet, écrit à ses chefs que Boishardy, blessé, se voyant près d’être prisonnier, « employa le peu de forces qui lui restaient à terminer sa vie ». Hoche transmet à Pille la nouvelle en ces termes : — « Prêt à être pris, il se tua. » Version tout à fait opposée à celle des Municipaux de Moncontour, et de ceux de Saint-Brieuc, qui écrivent : — « Boishardy… vient d’être, en fuyant, tué de trois coups de feu. » On peut croire que le capitaine Ardillos, coupable d’avoir achevé le malheureux chouan blessé, dissimula la vérité et tenta d’imposer la version du suicide, dans le regret de son acte brutal et dans l’espoir d’échapper au châtiment que ce mouvement d’emportement méritait, — et qui ne lui manqua pas.