Son altesse la femmeA. Quantin, imprimeur-éditeur (p. 33-78).




La Mie du Poëte

GLOSE ET PARAPHRASE

sur

LA BEAUTÉ FÉMININE AU XVIe SIÈCLE







La Mie du Poëte

ET LA BEAUTÉ FÉMININE AU XVIe SIÈCLE

J’ayme mieux ma mie, ô gué,
J’ayme mieux ma mie.
(Vieille chanson.)

Dans aucun païs, — si ce n’est asseurément en Italie, — à aucune époque de l’histoire, la femme n’a esté chantée avec plus d’ardente adoration païenne, plus de grâce tendrement amoureuse, plus d’art et plus de sentiment profondément poétique que dans le cours de nostre grand xvie siècle françois. Il y eust vers cette époque une sorte de vigoureuse reflorescence héroïque et semy-gothique dans nostre littérature et plus spécialement dans nostre poésie. La chevalerie avôit vécu, mais on se monstroit peut- estre plus chevaleresque, plus preux que jamais ; François Ier raffoloit des Amadis et aymoit à voir flatter ses gousts ou plutost son orgueil. Héros fabu- leux et héroïnes romanesques du moyen âge reve- noient en faveur ; les flexibles courtisans, ces serin- gues de la flatterie, disoit-on, les jeunes muguets et les belles damoiselles se plongeoient dans l’idéal des passions surhumaines avec les Lancelot, les Renaud, les Olivier, les Artus, les Roland, les Tristan, les Cléomade, ou la divine Clarémonde ; ils faisoient de tous ces romans extraordinaires, presque autant de bibles de l’amour héroïque et de la noble foy cheva- leresque, autant de codes de la loyauté et de l’hon- neur.

Au milieu des naifves peinctures de ces grandes fictions, qui alloient de Finouï au sublime, l’esprit françois s’esiouissoit et s’enthousiasmoit pour ces amours, ces tournois, ces prodiges ; l’âme s’ensorce- loit aux sortilèges de Merlin l’enchanteur, sans iamais se laisser assaigir dans sa course folle à travers tant de fables puissantes et gigantesques.

C’est de cette gothicité intellectuelle que sortit pour ainsy dire notre poésie si éminemment vivante et chaude du xvi° siècle, et surtout cette gualanterie alambiquée et charmante, tout en l’honneur des Dames de Cour. Chasque poëte fist porter à sa muse la couleur de la mie de son cueur et — ainsy que le remarque Philarète Chasles, — « chascun d’eux eust sa devise, son escù ; le Parnasse se couvrit de symboliques emblesmes et on ne vit plus que des Don Quichottes poétiques qui ne chantoient point, mais qui blasonnoient. Tous les membres humains eusrent leur blason : on fist le blason des cheveux, du sourcil, de l’œil, du cou. On introduisit l’art héraldique dans l’art poétique. »

Il sembleroit que tous les poëtes de la nouvelle escole se fussent piqués d’entendre et d’interprester les éloquents regrets jadis exprimés par Villon en son célèbre Grand Testament :

Où sont les gracieulx guallants Que je suivoye au temps jadis ? Si bien chantants, si bien parlant, Si plaisants en faictz et en dictz ? Les uns sont morts et roidis. D’eulx n’est-il plus rien maintenant. Respit ils aient en Paradis Et Dieu sauve le ramenant.

Environ soixante-dix ans après maistre Fran- çois Villon, Clément Marot, le royal valet de chambre, à son tour chantoit, lui aussy, les charmes admi- rables du siècle antique, le bon vieux temps des Cours d’amour, des Parlements de gentillesse, des Chansons de gestes, des virelais, motets et burze- lmtes disparus si vite de nostre littérature. Il s’écrioit dans un rondeau charmant — un bijou de son œuvre — en une heure de profonde tristesse et de despit amoureux :

Au bon vieux temps, un train d’Amour régnoit Qui, sans grand, art et dons, se démenoit ; Si qu’un bouquet donné d’amour profonde, Ces toit donné toute la terre ronde ; Car seulement au cueur on se prenoit.

Et si par cas à jouir on venoit, Sçavez vous, bien comm’ on s’entretenoit ? Au bon vieux temps.

Or est perdu ce qu’Amour ordonnoit : Rien que pleurs saints, rien que change on n’oit. Qui voudra donc qu’à aimer je me fonde ; Il faut premier que l’amour on refonde Et qu’on la mène ainsi qu’on la menoit Au bon vieux temps.

Ce bon vieux temps n’était vrayment pas regret- table pour les heureux qui vinrent à naistre vers l’aurore de ce fécond xvie siècle où les mœurs s’alté- rèrent peut-être, mais où le goust se forma si rapi- dement. La politesse du langage, l’élégance des manières, la grâce adorable des Beautés qui appa- roissoient à la Cour et qui aydoient les Roys à régner apportant avec elles l’esprit, l’esclat, la magni- ficence, la courtoisie, toute une lumière d’art dont elles estoient le foyer estincelant ; la coquetterie qui prenoit alors des allures fines, desjà quintessenciéd^ vives, spirituelles et enjouées, les querelles reli- gieuses, l’esmulation ardente des talens littéraires, tout contribuoit à donner une vigoureuse poussée de sève, à apporter un superbe levain de fermentation dans les âmes d’eslite de ce siècle naissant. Victor Brodeau pou voit doncques respondre à Marot avec plus de sens rassis et d’aisance, ce qu’il fit dans les termes suyvants qui monstrent en luy des sentimens de progressiste et d’utilitaire (mots ignorés alors).

Au bon vieux temps, que TAipour par bouquets

Se demenoit, et par joyeux caquets,

La femme estoit trop forte ou trop peu fine ;

Le temps depuis qui tout fine et affine,

Luy a monstre à faire ses acquêts.

Lors les Seigneurs estoient petits nacquets ; D’aulx et oignons se faisoient les bouquets, Et n’estoit bruit de ruer en cuisine, Au bon vieux temps.

Dames aux huys n’avoient clefz ne loquets ; Leur garde-robe estoit petits paquets De canevas ou de grosse étamine : Or, dyamants, on laissoit en leur mine, Et les couleurs porter aux perroquets, Au bon vieux temps.

D’ailleurs, les vrays « guallants d’antan » et le « train d’amour » alloient renaistre nombreux et plus gaillards que jamais. Nourrissons des muses et raf- finés d’honneur estoient prests à rimer et à s’entre esgorger pour les belles dames « de pensées amou- reuses » que le bien disant Coquillard desjà nous monstra à son époque.

Si cointes, si jolies, si frisques, Si pleines de doulces amours, Si propres pour treuver replicqucs, Si promptes pour donner secours, Si humaines à Gens de Cour.

II

Nos admirables poëtes de la Renaissance, ceux de la Pléiade et les aultres, ont compris et senty la femme en masles sanguins qu’ils estoient, glorieuse- ment avec ce culte de la forme et cette mesme pas- sion ardente qui faisoit vivre les chairs rosoyantes, si largement modelées des vierges de Vinci ou des courtisanes du Titien et qui animoit les marbres des Diane ou des Psyché sous le ciseau de Michel-Ange, de Cellini, de Jean Goujon ou de Germain Pilon.

Oncques la femme ne fust asseurément mieulx divinisée dans sa forme visible et tangible ; oncques sa beauté, sous toutes ses faces, ne fust plus poéti- quement amignardée, diasprée, pourprée et nimbée d’amour ; oncques enfin on n’apporta dans l’ex- pression de ses sentimens plus d’audace, plus d’énergie et d’enthousiasme, plus de verve, plus de Fluidité de veine, comme on disoit alors. Les poëtes du xvie siècle sont bien ces Appasteurs d’oreille dont parle du Bellay. Ils dissimulent leur rusticité, leur puissance virile et leurs désirs impestueux sous de doulces façonnettes ; ce sont des maniéristes pleins d’accortise et d’élégance extresmes, qui affec- tent moins de licence qu’ils n’en prennent, qui voyent la vie avec la philosophie épicurienne des latins décadens et pensent au demeurant qu’

Œuvres d’amour sont œuvres de Féerie, Un jour croissant, l’autre fois en décours.

Aussy les gentes et mignonnes maistresses de tous ces enfans du Parnasse fleury hantent souvent nos resves comme des types achevés et exquis de la femme pestrie d’idéalité, A travers chansons , stances, sonnets, odes et ballades, ces doulces mies apparoissent, semblables à des roynes simplettes, à des nymphettes divines, à des bergères diadesmèes par l’amour et la poësie ; elles se proufilent dans nostre esprit, ces sveltes Cythérées, pareilles âla déli- cieuse image de Mathilda dans le Purgatoyre du Dante, alors qu’elle apparust subitement aux trois poètes sur les bords du fleuve Léthé, chai)tant et cueillant l’une après l’aultre les fleurs dont sa route estoit esmaillée. C’est pourquoy, à l’exemple du Dante, nous serions tenté de nous esclamer, en pluria- lisantle vœu : « 0 belles Dames, qui vous reschauffez aux rayons d’amour… s’il faut en croire les traicts qui d’ordinaire sont un tesmoignage du cueur, dai- gnez approucher.. M venez qu’on vous boive du res- guard et qu’on vous entende psalmodiant lentement les choses de la Passion. »

Ce qui caracthérise ces superbes artistes de la Renaissance, c’est l’unique enthousiasme du Beau, dans sa splendeur et sa santé ; non pas ce beau mala- dif, miesvre, estiolé comme une fleur du mal que les espoques de transition et de mue comme la nostre cultivent et font mine d’adorer bassement, mais le Beau plantureux, d’essence céleste et humaine à la fois, le Beau qui rayonne et esjouit l’âme par la veue et qui fit dire à Jamyn :

Je n’ay qu’une maistresse et son nom est Beauté.

C’est que l’Amour et le Beau vont ensemble et ont mesme origine ; l’un et Taultre font saulter les cueurs et danser l’âme dans les yeux. Estomirons- nous doncques pas de voir ce mesme gentil Amadis Jamyn rimer ainsy que suyt la naissance du Beau :

Je crois que la Beauté nasquit avec Amour Et qu*ils furent tous deux conçus le mesme jour ; Car tout ce qui est beau soudain est agréable. Et la beauté surtout est une chose aimable. Cela fait que Ton chante Amour, estre enfanté De Vénus, qui se dit Déesse de beauté, Car Vénus, qui nasquit d’une conque marine, Est la beauté qui prist du chaos origine, Lorsque l’Esprit de Dieu porté dessus les eaux Fit le monde et beauté naistre comme jumeaux : Le monde et la beauté, l’un masle et l’autre fille, Sortis du noir chaos comme d’une coquille.

Ainsy l’Amour en nous, qui de la beauté naist, Est un commencement, un principe qui donne Naissance au mouvement désirant chose bonne, Et, tel plaisant désir, tel plaisir désireux, Rend tout en l’univers, heureux ou malheureux.

Il est plus aysé, a-t-on dit, de treuver la Beauté que de la définir. Le Beau est ce qui plaist ou séduit, ce qu’on ayme et ce qu’on souhaitte de posséder ; ce qui nous attire, nous esmeut et nous transporte et les poètes ont toujours esprouvé qu’un seul mou- vement du cueur a cent fois plus de cresdit sur l’âme que toutes les meilleures raisons du monde.

Le philosophe Chrysippe soustenoit avec grand sens que la Beauté n’estoit adorable que parce que les Dieux paroissoient sous sa forme. Ores, le Beau est un Éternel subjet de concours offert par Apollo le Rousseau à ses disciples et courtisans.

La Beauté, c’est la grande muse inspiratrice. — Ne demandons pas, disoit judicieusement Aristote, ce que c’est que le Beau ; — laissons faire cette sin- gulière question à des aveugles de naissance, à ces pauvreteux bannis de liesse et exilez par les yeux du paradis des formes.

III

S’il est impossible d’exposer la théorie de la Beauté, il seroit peut-estre aysé d’en escrire l’his- toire, car chasque siècle eust son beau idéal comme chasque nation possède le sien. — Du nud des peintres primitifs aux nuds de Rubens il y a une effrayante diversité de perceptions. Nous allons tenter d’entrevoir quel genre de beauté fust prin- cipalement en honneur au siècle des Valois et ce que fusrent, à certains poincts de vue, ces gentilles amies des Parnassiens de la Renaissance.

Deux Gynographes ou Callimorphographes — le mot est à créer, — Cornélius Agrippa et Augus- tin Niphus, sont là pour respondre, bien qu’en langue latine, à notre curieuse investigation. Le premier, docteur en médecine et docteur in utro que ; offi- cier au service de Maximilien contre Venise et tour à tour advocat, historien, astrologue, adventurier et soldat de fortune, homme admirable en tous poincts, publia un opuscule dédié à Marguerite d’Autriche, intitulé De Nobilitate et Prœcellentia sexus feminei. Le second, Augustin Niphus, philosophe attitré de la cour pontyficale, favori de Léon X et de Charles- Quint, laissa un livre très estimé sur la science du beau, qui a pour titre : De Pulchro et Amore.

Voicy, d’après Agrippa, et selon les règles vulgarisées par la Renaissance, le type de la femme dans son espanouissement d’harmonieuse beauté. Traduisons fidèlement :

« L’homme est le produit de la nature, la femme est l’œuvre de Dieu mesme. La beauté n’est qu’un reflect de la splendeur de Dieu et de la lumière divine qui brille du plus vif esclat sur les contours fémi- nins. Le corps de la femme, en toutes ses parties, est plus agréable à la vue que le corps de l’homme, et au toucher plus délicat, plus poly, d’une coulouration plus claire et plus doulce. Sa chevelure superbe est composée de cheveux souples, brillans et abon- dans ; son visage enfin présente un ovale moins rond que le faciès masculin.

« Rien n’approuche de cette beauté du visage de la femme. Le col est blanc comme laict, le front des- gaigé, large et brillant, l’esclat estincelant des yeux est tempesré parla grâce et la gayeté, et l’arc fin des deux sourcils est séparé par un entrœil agréable, d’où descend un nez régulier et droict sous lequel s’en- tr’ouvre une bouche sanguine, dessinée par deux lèvres tendres et harmonieuses. Le ris qui les escarle monstre des dents blanches comme yvoire, petites et bien rangées. Sur les joues duveteuses, apparoist le rose tendre de la pudeur ; le menton, si gentiment rondelet, est marqué d’une fossette mignarde. La teste est portée ou bercée sur un cou mince, un peu long, qui s’eslève entre les deux espaules arrondies. De ce col délicieux sort une voix exquise et mélo- dieuse. — (Agrippa oublie la nuque, le misérable !… la nuque> cette chose adorable où se nichent les désirs…, la nuque, cette Amorceuse si vantée dans la Bible l…) — Sur la poitrine, large, proesminente ’ et charnue, s’eslèvent deux seins esgaux et fermes. Le ventre est plein et arrondy, les flancs flexibles, les hanches et la tournure (coxas) sont opulentes, le mollet est charnu et les attaches des pieds et des mains sont sculptées d’une courbe élégante et plai- sante au reguard.

« Chascun des membres de la femme est gonflé de sève (Succiplena). Sa desmarche et ses pas sont me- surés, ses mouvements, ses gestes plus voluptueux et plus expressifs. Par la beauté de son corps, elle met ausecundplan toutes créatures humaines ; bref, elle est le spectacle le plus merveilleux et le plus rare de ce monde. Dieu, cela est indesniable, a ras- semblé chez la femme tout ce que l’Univers contient de beauté afin que tout ce qui vit s’extasiast à sa veue et Taccablast de louanges et d’adoration. Aussy a- t-on veu des esprits immatériels, anges ou daemons, se desseicher en l’amour d’elle, bruslés d’un feu ter- rible sans cesse attisé par sa beauté. »

Cornélius Agrippa vient d’encenser fort honnes- tement nostre Altesse féminine, et l’on sent dans sa description combien le type dont il fixe les principales lignes s’escarte dèz ce moment, par la richesse de la carnation et la rotondité des courbes, des mai- gres contours et des formes esmaciées du Moyen Age. Le byzantin fait place icy au florentin de la nouvelle escole florissante. Ce n’est pas encore la beauté débordante et massive, mais c’est à coup seur la grâce éburnine bien à poinct, la belle chemisée de chair dont parle Rabelais, la gracilité desjà rondelette et fosselue qui nous conduyra aux amplitudes sen- suelles et aux larges troussures du colossal Rubens.

Augustin Niphus, dans son livre De Pulchro et Amore, prend pour parangon de haulte beauté la célesbre Jeanne d’Aragon, immortalisée par le pin- ceau de Raphaël, et dont Jérôme Rusculli a recueilli les louanges inspirées par ses charmes, dans toutes les langues, aux principaux poètes de l’Europe. Nyphus ne cèle pas qu’il soit enthousiaste de son modesle ; oyons-le parler à son subjet :

« La stature de Jeanne est de haulteur moyenne, droicte et élégante et possède cette grâce que donne seul l’assemblage de membres individuellement irré- prochables. De complexion ni grasse ni maigre, mais nourrie de sève (succulenta), son teint n’est point pasle, mais blanc nuancé de rose ; ses longs cheveux ont des reflects d’or, ses oreilles sont petites et en proportion avec sa mignonne bouche. Ses sourcils, formez de soies courtes, pas trop touffues, dessinent un arc de cercle parfaict ; ses yeux bleus, rayonnants comme estoiles, esclatent de grâce et de gayeté derrière l’obombration de ses cils espacez,

« Entre les deux sourcils s’incline presque per- pendiculairement un nez de dimension moyenne et symétrique ; la petite vallée qui sépare le nez de la lèvre supérieure est d’une courbe divine ; la bouche, plutost petite, entr’ouvre par un doulx sourire deux lèvres un peu espanouies, formées de miel et de coral et qui appellent les baisers plus que l’aymant n’attire et ne retient le fer. Les dents, petites, doulces comme yvoire, se rangent en belle symétrie et son haleine a la saveur des plus doulx parfums.

« Sa voix résonne comme celle d’une déesse ; une fossette divise le menton ; le rose et la neige cou- lourent ses joues dont l’ovale, comme chez l’homme, se rapprouche de la forme ronde ; le col droict, allongé, blanc et plein, s’eslève avec grâce entre les espaules ; sur la poitrine large et dont les plans unis ne laissent apparoistre aucun os, s’arrondissent deux seins charmans, fermes et suaves comme des pesches de la Perse. L’ensemble de la poictrine a la forme d’une poire renversée, mais un peu comprimée, dont le cosne est estroit et rond à sa section inférieure et dont la base se rattache au col par des courbes et des mesplats d’une ravissante proportion.

« Le ventre, les flancs, les charmes secrets, sont dignes de la poictrine ; les hanches sont larges et arrondies ; la cuisse, la jambe et le bras sont, pour la grosseur, dans la juste proportion sequialtère.. ., enfin la beauté et l’harmonie de son corps sont telles qu’on peut, sans faire injure à celles-cy, mettre Jeanne au rang des immortelles !

« Si doncques, la convenance de ses mœurs, si sa grâce, si sa beauté sont si grandes, il en faut conclure que non seulement le beau absolu existe dans la nature, mais de plus qu’il n’y a rien de beau que le corps humain. »

Ce portraict à la plume, si ténesbreux soyt-il, en despit des abresvialions que nous avons faictes en l’interprestant, réalise les trente beaux 5is que François Gorniger a mis en dix-huit vers latins dans son livre : De la louange et beauté des Dames et que Branthôme desclare nécessaires à la grâce absolue.

Montaigne, parlant vers le mesme moment des charmes féminins, se montre, comme de coustume, philosophe fort sceptique à cet endroict ; mais non sans raison :

« Il est vraysemblable, dit-il, que nous ne sçavons guères ce que c’est que beauté en nature et en général ; puisqu’à l’humaine et nostre beauté nous donnons tant de formes diverses, de laquelle, s’il y avoyt quelque prescription naturelle, nous la recognoistrions en commun, comme la chaleur du feu.

« Nous en fantasions les formes à nostre appétit ; les Italiens la façonnent grasse et massive, les Espagnols vuidée et estrillée, et, entre nous, l’un la fait blanche, l’aultre brune, l’un molle et déli- cate, l’aullre forte et vigoureuse ; qui, y demande de la mignardise ; qui, de la fierté et de la majesté. »

Ce qui est indesniable cependant, c’est la varia- tion du goust pour les formes féminines à différentes espoques ; peut-estre ne faut-il veoir là qu’une ques- tion de température morale, comme on l’a prestendu, et, si le critérium du Beau est l’Amour qu’il inspire, il est juste d’adjouster que l’idéal d’un peuple est par- fois assujetty àcerlaines idées presdominantes venues de hault ; c’est ainsy que le type réel Toyalement vanté, recogneu et généralement adoré, le vrai type de la beauté féminine au xvi° siècle fut cette Diane chasseresse, symbolisant les grâces d’une concubine royale qui sçut maintenir son pouvoir pendant deux règnes et marquer son passage icy-bas par la créa- tion de plus d’œuvres d’art à son image qu’aulcune aultre femme n’en inspira jamais.

La m^istresse des poètes de la Renaissance fust doncques en général mignonne et poupine, blanche et blonde, plutost maigrette que grasselette, bien que Ilonsard se soit laissé veoir dans ses Gayetès très éclectique pour son temps en chantant l’une et l’autre au mesme diapason :

Une jeune pucelette, Pucelette grasselette, Qu’csperduement j’ayme mieux

Que mon cueur ny que mes yeux,

A la moitié de ma vie.
Esperdument asservie
De son grasset en-bon-point ;
Mais fasché je ne suis point
D’estre serf pour l’amour d’elle,
Pour l’cn-bon-point de la belle
Qu’esperdument j’ayme mieux
Que mon cueur ny que mes yeux.
Las ! une autre pucelelle,
Pucelettc maigrelette,
Qu’esperdument j’ayme mieux
Que mon cueur ny que mes yeux,
Esperdument m’a ravie
L’autre moitié de ma vie.
De son maigret en-bon-poinct
Même fasché je ne suis point
D’estre serf pour l’amour d’elle,
Pour la maigreur de la belle
Qu’esperdument j’ayme mieux
Que mon cueur ny que mes yeux.
Autant me plaist la grassette
Comme me plaist la maigrette,
Et l’une à son tour autant
Que l’autre me rend content.
Je puisse mourir, grassette,
Je puisse mourir, maigrette,
Si je ne vous ayme mieux
Toutes deux que mes deux yeux ;
Ny qu’une jeune pucelle
N’ayme un nid de tourterelle
Ou son petit chien migijon
Du passereau compaignon, etc.


La grasselette de Ronsard, s’il faut en croyre ce que Ton sent à la lecture de cette longue pièce (dont nous ne donnons que le début), n’estoit pas une beauté redondante d’appas, ni une de ces femmes cspanouies et cuirassées de graisse, une de ces créatures de kermesse qui firent l’esjouissance des reistres du Nord au siècle seizième. L’idéal de nos poêles estoit généralement dans la sveltesse et l’allongement des formes ; ce qu’ils prisoient par- dessus tout chez leurs mignonnes amoureuses, c’es- toit l’élégance de la ligne, la gentillesse, la légèreté, la grâce, et ce je ne sçays quoy qu’on nommoit la coïntise, la floridité, la souefvetè et qu’ils résumoient dans les qualificatifs raffinés de Nymphette, de Mi- gnardelelte, de Camusette et autres termes sémil- lants et fluets, toujours diminutifs, toujours sculp- tant l’image ou l’idée dans des.formes graciles et harmonieuses, car les charmants énamourés ne voy oient que le nud et la naturelle parure, à l’exemple des admirables statuaires de l’anlicquité, ces grands artistes qui se mocquèrent du pli comme la beauté fièrement rayonnante se gausse des voiles.

S’agissoit-il de la femme sous le harnois du cos- tume, on la vouloit non pas Allertuinizèe à la ma- nière de certaines Dames de Ilolbeipou de : Durer, mais Espagnolizèe, la taille d’une minceur ex- tresme, — Guespèe, dîsoit-on plus tard. — Un ambassadeur vénitien, qui vint en France peu aprèz

la mort de Charles IX, escrivoit à propos des Fran
Illustration d’Adrien Moreau
Illustration d’Adrien Moreau



çoises de la Cour cette curieuse analyse du cos- tume :

« Elles sont minces de la taille au delà de toute expression ; elles se playsent à enfler leurs robes, de la ceinture au bas, par des toiles apprestées et des vertugadins, ce qui augmente la grâce de leur tour- nure. Elles mettent beaucoup de coquetterie à se chausser, soit de la pantoufle basse, soit de l’escar- pin. Le cotyllon, qu’à Venise on appelle la carpetta, est toujours de grande valeur et de l’élégance la plus recherchée chez les bourgeoises aussy bien que chez les nobles ; quant à la robbe de dessus, qu’elle soyt de serge ou d’escot, on n’y donne pas grande attention, parce que les femmes, quand elles vont à l’esglise, s’agenouillent et mesme s’asseyent dessus. Par des- sus la chemise, elles portent un buste ou corsage, qu’elles appellent corps piqué (cecy n’est-iL pas nostre corset ?) qui leur donne du maintien ; il est attaiché par derrière, pour faire yssir la poictrine. Les espaules se couvrent de tissus très fins et de réseaux ; le cou et les bras sont aornés de bijoux. Elles se servent pour la chevelure de cercles de fer ou de tampons sur lesquels sont tirés les cheveux pour faire le front large ; la pluspart ont les cheveux noirs, ce qui fait ressortir la pasleur de leurs joues, car la pasleur, si elle n’est pas maladive, est res- guardée ici comme un agrément. » ,

Cette ultime observation du Vénitien ne laisse pas que de nous troubler. La littérature poétique du xvi° siècle nous peint la femme blonde ; partout ce sont des tresses blondoyantes, des fils d’or, des espis meurs, des mousses frisottantes ; il semble que les Cythèrêes de ce gentil Parnasse blondissent comme les Roynes symboliques de Tescole de Venise. C’est à peine si quelques jeunes poètes osent célébrer les grâces accentuées de la brunette, et l’amoureux Guy de Tours, voulant vanter sa maistresse à son amy Guy Favereau, advocat en parlement, s’excuse pres- que de luy veoir la chevelure et les yeux ébesnins :

Il est vray, je le confesse,

Favereau, que ma déesse

A les cheveux brunelets,

Et les deux yeUx noirelets ;

Qu’elle a de brune teinture

La délicate vousture

De ses sourcils gracieux,

Dont amour ingénieux

Fait l’arc duquel il me jette

Au cœur sa fière sagette.

Mais pour cela, Favereau,

Son visage est-il moins beau ?

Sa grâce est-elle moindre ?

Son œil en peut-il moins poindre ?

Et le coral doux, riant/

De sa bouche moins friand ?

Guy de Tours ne semblç-t-il pas effrayé comme d’un crime de lèze-esthétique d’oser adresser à une brunette ses souspirs amoureux ? Olivier de Magny, luy, est plus noblement hardy ; sa qualité de « méridional » luy permet d’arborer « l’aile de corbeau » de sa gente mie et de nous laisser à son subjet un des plus délicieux sonnets qui existent dans notre poësie chastement éroticque :

Je l’ayme bien pour ce qu’elle a les yeux
Et les sourcils de couleur toute noire,
Le teint de rose et l’estomac d’yvoire,
L’haleine doulce et le col gracieux.

Je l’ayme bien pour son front spacieux
Où l’amour tient le siège de sa gloire,
Pour sa féconde et sa riche mémoire,
Et son esprit plus qu’aultre industrieux.

Je l’ayme bien pour ce qu’elle est humaine,
Pour ce qu’elle est de sçavoir toute pleine
Et que son cueur d’avarice n’est poingt.

Mais qui me fait l’aymer d’une amour telle,
C’est pour autant qu’elle me tient bien en poinct
Et que je dors quand je veux avecqu’elle.

En despit de ces exemples, la Mie du Poëte, le type mesme de cette maistresse bercée dans des stances, caressée dans les sonnets, glorifiée dans les odes, lutinée dans les rondeaux, restera toujours aux yeux ou plutost dans l’imagination des érudits une absolue beauté blonde, de mesme qu’elle nous apparoistra toujours jeunette, pucelette, verdelette, jouvencelle de quinze à vingt ans, d’une fraischeur de bouton mi-esclos ; plus gentille encore que belle, plus mutine qu’esclavée, plus folastre que pensante à travers tant de vers expressifs qui chantent et chanteront longtemps encore dans nostre cerveau.

Mignonne, allons voir si la rose…

ou encore :

Maistresse, cmbrasse-moy, baise-moy, serre-moy ;

Haleine contre haleine, eschaiiffe-moy la vie ;

Mille et mille baisers donne-moy, je te prie.

Amour veut tout sans nombre, Amour n’a point de loy.

Pierre Mathieu, dans Quatrains de la vie, où la phylosophie fait place aux observations et au goust de son temps, a condensé dans sa formule ordinaire cette vérité que la femme sans grâce ne sauroit exister :

Une beauté sans gfrâce est un vaisseau sans voiles, Sans verdure un printemps, sans lumière un flambeau, Un jour sans le soleil, une nuit sans estoiles, Et la grâce pourtant n’affranchist du tombeau.

Baïf, en veine de gaillardise selon sa coustume, fait parade de son goust pour les femmes meures ; il l’avoue fort explicitement et à la bonne franquette en un simple huictain :

Je n’ayme ni la pucelle, (Elle est trop verte), ny celle Qui est par trop vieille aussy ; Celle qui est mon soucy,

C’est la femme déjà meure ;
La meure est toujours meilleure.
Le raisin que je choisy
Ne soit ni verd ny moisy.


L’appestit de Baïf pour la femme bien à poinctet dans Testé de son âge, appestit sensitif qui s’est généralisé ce jourd’huy, ne passoyt pas pour avoir esté partagé par la majorité de ses compaignons de la lyre. Durant toute la première partie du siècle de François Ier, on fut aussy aimablement porté vers les minois tendrelets et les naifvetés virginales que sur la fin du siècle on s’adonna furieusement à la ma- trone experte ez jeux d’amour. Il y a une terrible distance de Marot ou de Du Bellay, aux satyriques Mot tin ou Théophile. — Mathurin Régnier, on le sent, est venu avec son superbe cynisme faire table rase des derniers vestiges de la gentillesse gothique et des mignarderies poétiques. Régnier ne conte plus fleurette et n’empapillotte pas ses désirs, il ayme le plaisir ; il le prend où il le treuve et le rime sans façon là où il le prend. Luy n’eust point de mie privée à courtiser, il pescha l’amour au hasard de sa route, mesme dans le ruisseau ; il fust plus gran- dement humain que gentiment féministe, car il put ébaucher ainsy une de ses célèbres poésies :


Toute femme m’agrée, et les perfections
Du corps ou de l’esprit troublent mes passions… Quel éclectisme ! — Mais le Mathurin « desbour-

deaux » fit l’amour partout et…. n’ayma nulle part.



IV


L’histoire ne nous a pas légué les noms de toutes les gentes maistresses si bien amiellées dans les gualantes poésies de Messieurs de la Pléiade et de leurs disciples ; quelques presnoms ou surnoms mas- quent fort bien ces damoiselles de condition. Du Bellay escrivit cent quinze sonnets pour sa belle qu’il nomme Olive (anagramme de Viole, dit-on) ; Baïf rima les charmes de Francine et de Mèline ; Remy Belleau vanta les folastreries de Catin ; Jo- delle asservit sa muse à caresser Délie ; Amadis Jamyn se consacra à Oriane, à Callirée et à Ar- thémis ; Ponthus de Thyard s’en tint à Pasithée, tandis que le grand maistre Ronsard dystilla le suc des fleurs de la double colline en faveur de Cas- sandre, de Marie et d’Hélène. Parmy les autres Pindariseurs ou Pètrarquiseurs, Desporles vient en premier rang, tour à tour plus espris de Diane, d’Hippolyte ou de Clèonice ; Olivier de Magny ne chante que pour sa nymphette sucrée, pour sa mi- gnardelette Castianire ou,sa Diane ; Jacques Gré vin, aussy fameux médecin que célèbre poëte, offrit tous ses soins à Olympe ; Gille Durant, moins modeste, mit son cueur en sonnets, stances et rondeaux aux pieds de Charlotte, puis aux genoulx de Camille ; Nicolas Ellain recueillit les rimes à Pandore ; Claude de Buttet ne modela ses quatrains et tercets que pour Amalthèe ; Tahureau exalta sa divine sous le nom de YAdmirée, tandis que le coquef Guy de Tours réservoit ses plus ardentes flammes pour cette Ente exquise dont il nous laissa le pourtraiçt en vingt-neuf sonnets, de la chevelure à l’orteil, sans rien omettre, mais cependant avec une grâce chaste et discrette.

Parlerons-nous des amours royales de Fran- çois Ier, qui fit des ballades et chansons qu’on hésite à restituer à Mellin de Saint-Gelais ; de Charles IX, disciple de Ronsard, qui fisl bruyre sa lyre d’em- prunct aux oreilles de Marie Touchet ; de Henri IV - enfin, le Roy gaillard qui œillada un jour à la muse » et dont nous chantons encore parfois la charmante Gabrielle, cette mirlitonnesque rytournelle :

Charmante Gabrielle,
Percé de mille dards
Quand la gloire m’appelle
A la suite do Mars,
Cruelle despartie,
Malheureux jour,
Que ne suis-je sans vie
Ou sans amour ?

A cette chanson combien est presférable ce simple billet du vert-galant alors absent de maistresse : « Mes chers amours, il faut dire vray, nous nous aymons bien ; certes pour femme, il n’en est poinct de pareille à vous ; pour homme, nul ne m’esgale à sçavoir bien aymer. »

Mais n’oublions pas encore le capitaine Lasphrise, le poëte soudard et vicieux qui publia un volume de vers sous ce titre : les Gaillardes, et qui fîst rimer guerre et tonnerre, cueur et vainqueur pour les beaux yeux de sa Théophile et de sa Noémie. Le poëte Pontoux donna à sa mie le nom d’Idée, Robert- Angot lui forgea le nom d’Erice, Pierre de Brach, le chantre bourdelais, symplifia les choses et nomma modestement sa charmante : Aimée.

Parfois aussi, il faut l’advouer, la « Royne des pensées » estoit-elle absolument imaginaire ; c’est ainsy que le folastre Jacques Tahureau, qui en ses Mignardises avoit caressé de ses rimes les plus mys- térieux appas de son Admirée et qui avoit peint ses transports les moins esquivoques, fust obligé (lors- qu’on crut recognoistre en Y Admirée une vertueuse damoiselle de Gennes) de confesser publicquement, pour l’honneur de la Dame, que sa mie estoit faite de resve, pestrie de souspirs, exclusivement formée d’idéal.

Il seroyt difficile en vérité de rechercher le rang ou la classe de ces belles amoureuses ; depuis le sceptre jusqu’à la houlette, de la Dame de Cour à la bourgeoise, tous les desgrés de l’eschelle sociale fus- rent mis, il est probable, à contribution. L’amour s’inquiette peu des dignités, des castes et des hyérar- chies ; il frappe là où la beauté apparoist portant d’azur dans le resguard et champ d’or ou de sable sur le chief ; peu lui importe d’où elle vient, ne dit-elle pas assez où elle mesne, et n’achetteroit-on pas sou- vent au prix de son sang le droict de la posséder ! Il suffit qu’elle soit de nature divine, lumineuse et auréolaire ; l’âme des amoureux la sacre noble d’em- blée, et, fust-elle de basse plèbe, elle se relève super- bement dans le baptême des sens. D’aultre part, la femme ne naist jamais Bourgeoise, l’éducation et les préjugés seuls la gauchissent et la dévient. Il existe d’ailleurs assez peu de pièces qui puissent mettre au courant des idées générales du temps à ce sujet. Le poëte vendômois est peut-être le seul qui nous ait laissé quelque aperçu curieux sur un des poincts qui nous occupent. Dans le sonnet qui suyt, l’amant de Cassandre estime que les honnestes courtoisies ne se doivent, selon luy, adresser qu’aux jolies citadines d’esprit délicat et disert, et que la fille de la cam- pagne grossière et rude ne mesrite pas, les hom- maiges des gualants cavaliers.

Mon amy puisse avoir une femme de ville,
Belle, courtoise, honneste et de doux entretien :
Mon haineux puisse aymer au village une fille,
Qui soit badine, sotte et qui ne sçache rien.
Tout ainsy qu’en amour, le plus excellent bien
Est d’aymer une femme et sçavante et gentille :
Aussy le plus grand mal à ceux qui ayment bien,
C’est d’aymer une femme indoctc et mal habile.
Une gefitille Dame entendra de nature
Quel plaisir c’est d’aymer, l’autre n’en aura cure,
Se peignant un honneur dedans son esprit sot.
Vous l’aurez beau prescher et dire qu’elle est belle,
Froide comme un rocher, vous entendra près d’elle
Parler un jour entier et ne respondra mot.


Cela implique bien, n’est-il pas vray ? cette pas- sion si françoise des conversations aimables et des biendisances entre amoureux ; on aymoit desjà plus que tout les paroles blandissantes, l’accortise de l’esprit, le pathelinage des respliques, les mignar- dises et les bragueries courtisanesques et folles, toutes les petites guerres du sentiment, les musar- dies du cueur avant de livrer assault.

Lespoëtes d’alors n’estoient point des pauvreteux d’imagination, des guenilleux comme fust plus tard un Collelet fils, mais bien plutost de gracieux damoi- seaux qui prenoient titre de gentilshommes et qui n’estoient pas jugés indignes de s’apparier avec de nobles dames de plus haulte condition.

Puis, ils chantoient, nous allons en juger, si mélodieusement, leurs Souspirs, leurs Baisers, leurs Rancueurs et leurs Adieux ; ils peignoient si genti- ment, avec tant de suavité la mie de leur choix !


V


Voyons d’abord les messages d’amour.

Où trouver sonnet plus chevaleresque, plus tendrement esmu que celuy que voicy, fait par Ron- sard, pour ta belle Hélène de Surgères ; c’est un chef-d’œuvre exquis qui caresse l’imagination et qui grise l’esprit de plaisir : on diroit d’une légende de vitrail moyen âge :

Mon page, Dieu to gard ! que fait nostre maistresse ? Tu m’apportes tousjours ou mon mal ou mon bien. Quand je te voy, je tremble et je ne suis plus mien, Tantost chaud d’un espoir, tantost froid de tristesse.

Çà, baille-moy la lettre, et pourtant ne me laisse ; Contemple bien mon front, par qui tu pourras bien Cognoistre, en le fronçant ou dëfronçant, combien Sa lettre me contente ou me donne de détresse.

Mon page, que ne suis-je aussy riche qu’un Roy ! Je feroy de porphyre un beau temple pour toy, Tu serois tout semblable à Ge Dieu des voyages.

Je peindrois une table où l’on verroit pourtraicts Nos sermens, nos accords, nos guerres et nos paix, Nos lettres, nos devis, tes tours et tes messages.

Veut-on une desclaration alambicqùée, métapho- rique, maniérée ? Jacques Gré vin, poëte clermontois, calviniste forcené, médecin à l’égal de Rabelais et auteur tragique à l’enseigne de Robert Garnier, nous la fournira parmy dix aultres. Impossible d’estreplus dameret, plus mourant et plus enjoué à la fois. Grévin eust fait asseurément sa fortune cinquante ans plus tard dans le salon bleu d’Arthénice :

Passant et repassant devant Fhuys de ma mie,

Je trouve un escadron de jeunes amoureaux,

Qui, avec leurs carquois remplis de traicts nouveaux,

Ne me font qu’espier pour arracher ma vie.

Et alors qu’asseuré j’ay la meilleure envie D’endurer vaillamment les plus cruels assauts, C’est alors que j’augmente au double mes travaux, Voyant devant mes yeux une doulce ennemie.

Ces guerriers sont campés, les uns dedans son sein, Les uns dans un bouquet qu’elle tient en sa main, Les aultres sur le val de ses deux mammelettes.

Mais, hélas ! les plus fiers et les plus furieux Sont tous en embuscade à l’entour de ses yeux, Ainsi que sur le thin un grand essain d’avettes.

Qui choisir encore dans cette élite des poésies françoises, au milieu de tant de poëtes merveil- leusement doués pour exprimer leurs flammes ? Parmy de si nombreux génies anacréontiques, quoy cueillir si ce n’est ces pièces où la verve mouve- mentée des Baisers présente des allures si chaudes, si fiévreuses que la mie doucerette s’y laisse veoir ingénuement en bacchante eschevelée ou en colom- belle becquetante et fresmissante. Olivier de Magny est passé maistre en ce genre ; voicy un de ses appels à s9amie que n’eust pas désavoué Catulle :

Ma mignarde nymfelette, Ma nymfe mignardelette, Ma petite dont les yeux Semblent deux astres des cieux, Je te supply, ma mignonne, Ma mignonnette Dione, Je te supply par la foy, Par la foy que je te doy, Que tu me donnes, maistresse, De ta bouche enchanteresse, Mile et mile baisers or, Et mile miliers encor ! Non telz qu’en donne à son père, Non telz qu’en donne à son frère La Vierge que Cupidon N’enflamme de son brandon : Mais telz qu’une gaye espouse, De son cher espoux jalouse, Les donne à son cher espoux, S’asseant sur ses genoux, Ou bien telz qu’une pucelle Qui brusle de l’estincelle De l’amour, donne à l’amant Qu’elle ayme parfaitement. Donne donc, ma mignonnette, Ma mignonne camusette, Mile et mile baisers or, Et mile miliers encor !

Louise Labé, la Belle Cordière, la muse lyon- noise, la passionnée rivale en beauté et en poësie de Pernette du Guillet, de Clémence de Bourges, de Claudine, Sy bille et Jeanne Sève, toutes l’ornement de la cité de Lyon, la fervente amoureuse du fougueux Olivier de Magny, dont on vient d’apprendre à cognoistre la verve éroticque, la charmante Louyse Labé ne desdaignoit pas, elle aussy, de respondre aux Baisers par des Baisers plus ardens encore. Voicy une invitation aux tendres esbatz sous forme de sonnet qui est la perfection mesme :

Baise m’encor, rebaise-moy et baise ;
Donne-m’en un de tes plus savoureux ;
Donne-m’en un de tes plus amoureux,
Je t’en rendray quatre plus chauds que braize.

Las ! te plains-tu ? ça, que ce mal s’apaise,
En t’en donnant dix aultres doulcereux.
Ainsy, meslans nos baisers, tant heureux
Jouissons nous l’un de l’aultre à notre ayse.

Lors double vie à chascun s’ensuyvra,
Chascun en soy et son amy vivra.
Permets, m’amour, penser quelque folie ;

Tousjours suis mal, vivant discrètement,
Et ne me puis donner contentement
Si hors de moy ne fais quelque saillie.


Amadis Jamyn ne se contourne poinct l’esprit davantaige, il est de Tescole des maniéristes ; aussy feint-il de veoir ses yeux enjalousés, lorsque ses lèvres connectoient celles de sa mie. On en jugera par les sixains suivants :

Ma folastre, ma rebelle,
Mon désir, ma pastourelle,
Je baizerois mille coups
Ton front, tes yeux et ta bouche ;
Mais quand ma langue les touche,
Mes deux yeux en sont jaloux.
Quand, baisant les yeux je presse,
0 ma douce enchanteresse,
Mon âme, mon cueur, mon œil,
Mon plaisir, ma mort, ma vie,
Mes yeux pleins de jalousie
Sont en incroyable deuil.
Aussy, petite mignarde,
Quand ton œil ses rayons darde,
Benignement dessus moy,
Tout mon cerveau il essuyé
De cette amoureuse pluye
Que je verse absent de toi, etc.


Mais c’est assez emprunter à nos chers poëtes sur un sujet si bruslant. Tous sonnent goliardement la fanfare des Baisers, tous y apportent la mesme furie d’amour, le mesme assoiffement de muqueuse, et semblable appétence charnelle, paraphrase de la caresse sur des rhythmes les plus variés. On se ruoit alors à l’amour, aux enlacements, aux contacts fré- tillards et lascifs, sans mesnagements ; la folastrerie regnoit partout avec le sentiment troublant de la briefveté de nos jours et la conscience de sa vitalité. Passerat (le joli nom léger de resveur phylosophe !) chantoyt sur ce thème, en petit-fils d’Anacréon, les jolis vers suivants à sa mie :

Laissons le regret et le pleur

A la vieillesse. Jeunes, il faut cueillir la fleur

De la jeunesse. Or que le ciel est le plus gay, En ce gracieux mois de May,

Aimons, mignonne ; Contentons nostre ardent désir. En ce monde n’a du plaisir

Qui ne s’en donne.

La même perception du mémento, honzo, quia pulvises… se retrouvoit partout : ainsy que Passe- rat, Baïf murmure à sa maistresse de tendres paroles où, comme tousjours, ridée de la mort intervient en

finale.

Assis-toy sur mes genoux ; Au jeu des baisers folastre, Comme hier remettons-nous. Vois, vois ; du temps la carrière Jamais ne tourne en arrière : Vois, après F enfance, comme La jeunesse ores nous tient ; De près la suit l’âge d’homme Et puis la vieillesse vient.

N’avoient-ils pas raison de glisser dans la vie, les sages qui sentoient ce que Pascal résuma plus tard, à sçavoir que « se mocquer de la phylosophie c’est vrayment phylosopher ». Au demeurant, si leurs sveltes amyes se monstroient folastres, frivoles, aymantes, coquines, rieuses, folles, habiles, ensor- celantes et agréables au desduit, elles estoient aussy filles d’Eva la t rai stresse, à — la fois amoureuses du masle et du mal ; — ruzées comme le dyable, chan- geantes comme Prothée, inconstantes comme le ciel et malignes comme la fièvre quarte. Aussy répettoit-on ce vieil proverbe ores désusité : « Il n’est si bon que femme n’assotte. »



VI


Branthôme nous a suffisamment renseignés sur la moralité et les amoureuses feinctises de ses hon- nestes et chaleureuses Dames. L’humanité en vérité reste tousjours la mesme, et, de génération en géné- ration la femme a trahy ses sermens, oublié ses amours, fait couler des larmes et respandre des im- prescations à tous les sensibles, à tous les hommes vibrants et passionnés. Heureux les poètes trompés qui fredonnoient à leurs maistresses de suaves villa- nelles semblables à celle que le joyeux abbé de Tiron composa pour la sienne, et qui fut célèbre à la Cour ! Oncques on ne chanta plus doulcement l’infidélité :

Rosette, pour un peu d’absence,
Votre cueur vous avez changé ; Et moy, sçachant cette inconstance,

Le mien aultre part j’ai rangé. Jamais beauté si légère Sur moy tant de pouvoir n’aura. Nous verrons, volage Bergère, Qui premier s’en repentira.

Tandis qu’en pleurs je me consume,

Maudissant cet éloignement,

Vous qui n’aymez que par coustume,

Caressiez un nouvel amant.

Jamais légère girouette

Au vent si tost ne vira.

Nous verrons, Bergère Rozette,

Oui premier s’en repentira.

Celuy qui a gagné ma place

Ne vous peut aymer tant que moy ;

Et celle que j’ayme vous passe

De beauté, d’amour et de foy.

Gardez bien votre amitié neuve ;

La mienne plus ne variera.

Et puis nous verrons à l’espreuve

Qui premier s’en repentira.

Ne sent-on pas combien le poëte des Contes d’Espaigne et d’Italie s’est plus tard inspiré de ces rhythmes délicats et railleurs à ses heures de folles tristesses amoureuses, quand les trahysons de ses amantes lui rongeoient le cueur ! C’est que l’âme des resveurs est éternellement semblable et passe par des sensations estouffantes qui lui donnent de belles envolées vers les mesmes paradis d’idéal, et, —quelque despit qu’ils en ayent, — rie répettent-ils pas tous, à l’exemple de Desportes, avec un inconscient retour à la femme :

Celuy qui tout ravy contemple incessamment La royne de son cueur, que le ciel a fait telle Qu’il y treuve tousjours quelque beauté nouvelle, N’estime rien plus doulx que Testât d’un amant.

Tous les poètes du xvie siècle, à costé des chan- sons et sonnets enflammés que nous avons entrevus au passaige, se firent les échos harmonieux de Tin- constance féminine du temps. Depuis Marot jus- ques à Régnier ce n’est qu’une série de pièces poéti- ques sombres ou enjouées sur le mesme subjet, mais toutes reflectant un scepticisme persifleur, une ironie en sourdine, ce « fifre au rire aigu raillant le violon- celle » dont le chantre de la Bohême devoit parler trois siècles plus tard. Du Perron, — un Bernisde la fin de la Renaissance, — escrivit une pièce d’une dizaine de strophes intitulée : le Temple de Vincon- stance où il vante gayement, avec sans soucy, les per- fydes et les volages, les serments légers comme fumée et toutes les girouettes du sentiment.

C’est que la gentille Mie du poète que nous avons voulu présenter dans ses atours et sa grâce n’estoit point constamment une sorte de grisette anticque beuvant l’herbette arrousée et vivant des pétales de la rose fraische éclose ; quelques-unes aymoient à s’aparesser dans de tièdes voluptés, derrière Thuys bien joincte, craygnant les jours disetteux, et par là mesme les Chevaliers de l’Espérance : celles-là es- taient les Héloïses qui nous apparoissent cyniques dans Boccace, Desperriers, Straparole, Cholières. •. et tous les conteurs anciens. Ce fust en songeant à elles qu’Eustorge de Beaulieu fit ce rondeau bien ouvré, document précieulx, et qui fournit matière à la glose :

Argent fait beaucoup en Amours, Si fait jeunesse et bonne grâce ; Mais argent, en bien peu d’espace, Y fait plus qu’un aultre en cent jours.

Beau parler, gambades et tours N’y valent, pour bien qu’on les fasse Argent.

Beauté, pour avoir beaux atours, Entre souvent dedans la nasse ; Mais dessus tous, Amour fait place Et loge au plus haut de ses tours Argent.

Jacques Tahureau, dans ses estranges Dialogues, où il resprend fort asprement les vices d’un chascun, pour nous animer, dit-il, davantaige à les fuir et à suyvre la vertu, s’exprime sans destour et « à la Juvénal » sur ses contemporaines. Voicy quelques citations dignes d’être recueillies en tant qu’elles sont fort incognues :

« Sy d’adventure nos belles Dames hantent les esglises ou les sermons, ce n’est à aultre intention que pour attirer à soy, par resguards lascifs et conte- nances impudiques, quelque jeune clerc ou aultre novice écharmoucheur de cottes, qui se montrera, à les voir, dispos ou content et prest à satisfaire à leur paillardise démesurée, et ainsy sera pippé Monsieur le jeune homme qui croiera incontinent estre quel- qu’aultre Adonis, ou pour le moins un secund cheva- lier de l’ardente espée, d’avoir fait un si grand coup que d’entrer en la faveur et s’insinuer en la grâce de si gentille Madame qui ne tend à autre fin, qu’aprèz avoir sucé toute la substance de son corps et de ’sa bourse, tirer la langue sur luy et s’en moquer aper- tement devant un chascun… »

Aultre part Tahureau se mocque des amoureux rymeurs de son temps et de tous les faiseurs de bal- lades à la Dame de leur cueur, comme si luy-mesme n’avoit point signé des Mignardises, des odes et des sonnets bruslans :

« Les uns appellent leurs amies Déesses et non Femmes, les aultres les font vaguer et faire des gambades en l’air avec les Esprits, les aultres les citent avec les estoiles aux cieux, aucuns les eslèvent avec les anges pour leur vouer de belles offrandes, tellement que je croys, sy on leur veut davantaige prester l’oreille, ils s’efforceront de les mettre au-dessus des Dieux. Le courtisan du jourd’huy ou tel aultre faisant estât de servir les Dames ne sera estimé bien appris, s’il ne sçait, en déchiffrant par le menu les fadaizes, songes et folles passions, se passionner à l’Italienne, souspirer à l’Espaignole, frapper à la Napolitaine et prier à la mode de Cour ; et qui est le pis, pensant bien veoir et louer, je ne sçais quoy de beauté qu’il estime estre sa Mie. Il ne la veoit le plus souvent qu’en peincture, j’entens peincture de fard ou d’autre tel masque, de quoy ne se sçavent que trop resparer ces vieux idoles revernis à neuf. Et tout cela ne suffiroyt s’ils n’y entremesloient quelques triolets, virelais, rondeaux, ballades et autres telle espèce de vieille quinquaille rouillée, dont ils empeschent à toute heure les presses des imprimeries et en raptassent, je ne sçays quelles œuvres qu’on ne peut nommer superflues et inutiles… Mais, pour ne nous escarter point de nos premières erres, nous fuyons le mespris de ceux, lesquels, ayant perdu toute cognoissance de leur perfection et bon sens naturel, n’ont point desdaigné de s’abastarder jusqu’à dire ; qu’ils baisent l’ombre des souliers de leur Dame, appelans leur âme chambrière et esclave d’icelle, voulant ainsy abaisser et anéantir chose si haulte et tant précieulse et ce qui ne doit estre employé qu’à la contemplation des choses grandes et secrets de nature, l’adonner jusques au service de chose si petite, et tant vile, comme est la femme, animaux de tous ceux de la nature le plus pernicieux et abbominable. »

C’est une ombre vigoureuse au tableau que de citer ces passaiges ; mais il ne faut oublier que Tahu- reau est le seul peintre en son genre des caracthères de son époque • Son ironie est inexorable ; il fouaille superbement ce qu’il croyt estre les ridicules à la mode et il occupe une place tant originale entre Henry Estienne et Théodore de Bèze. En oultre, sa satyre ne portoit pas tousjours à faux, si Ton observe qu’en dehors des poètes que nous avons citez, il exis- toit des grotesques ampoulés qui, comme Claude de Pontoux, ne craignoient pas de peindre les souf- frances qu’ils subissçient pour leur Mie par des mé- taphores aussy extravagantes que celles-cy :

Mon pauvre cueur, hélas ! lui sert d’enclume, Mes souspirs de soufflets, mon foye de fourneau : Pour arrouser son feu, mes pleurs lui servent d’eau.

Desportes, qui fust réellement le premier poëte françois dans toute sa puissance et sa verve, et qui joua un rosle plus efficace que Malherbe, à ce point qu’on devroit dire : Enfin Desportes vint…, bien qu’il vécut sous Henri III, — Desportes, ce bon chanoine de la Sainte - Chapelle, a laissé des vers admirables sur l’inconstance féminine, qui font sin- gulièrement pressentir Molière dans leur eston- nante vigueur. Ils se rencontrent au cours d’une de ses plus parfaictes élégies :

Féminin cerveau ! — dit-il en souspirant, Traistre, feint, sans arrest, deçà, delà courant, Contraire objet de foy, parjure et variable,

Que celuy qui te croit est pauvre et misérable !

Je t’ay cru toutefois, aussy tu m’as fait voir

Combien ton naturel est propre à décevoir.

Mais, las ! qui ne t’eust cru ? cette aspre violence,

Ces sermens, ces propos, tout vrais en apparence,

Tout enflammés d’amour, tout chauds d’affection,

Ces reguards desrobés, bruslants de passion,

Ces doulx languissements, ces mignardes caresses,

Ces larmes, ces propos et ces longues promesses,

Ëstoient-ce les tesmoins d’une légère foy, *

Et qu’on favorisât les aultres comme moy ?

Ah ! traistre et lasche cueur ! de quel masque hypocrite

As-tu sceu desguiser ta volonté maudite,

Sans que, par mon amour ny par ma fermeté,

J’aye pu retenir tant d’infidélité ?

Las ! je crois que les dieux ardamment courroucez, Un jour que les humains les avoient offensez, Firent naistre icy bas, pour punir leur audace Et pour les travailler, la féminine race, Ainsy que les serpents, les tigres et les loups, Aux mortels mille fois plus courtois et plus doulx ; Et comme on voit sortir parmi les bonnes plantes Des chardons inutiles et des herbes meschantes.

Mais il nous faut arrester le cours de cette disser- tation bavarde sur cette gentille Mie du poète au xvie siècle. Dans notre Galerie de Souveraines à tra- vers les siècles, la maistresse inspiratrice de notre Parnasse méritoit un large médaillon ; nous avons tenté de l’esquisser en l’entourant de toutes les légendes poétiques puisées aux sources les plus diverses. Si cette belle figure en mosaïque d’érudition prend quelque relief en ce livre tant varié de manières et de formes, nous en tirerons quelque agrément sensible. Son Altesse la Femme règne ici jalousement sur les cueurs avec plus de pouvoir peut-estre que dans les siècles advenir. Elle est la grand muse qui fait chanter l’âme du païs et met l’espérance au cueur des enfans sans soucy. Le moraliste et le pédagogue trouveroient certainement à resprendre dans les doctrines la culture intellectuelle de la femme de ces temps heureux ; mais la forme sociale de la Renaissance ne doyt pas nous préoccuper au cours de ces pages poétiques. Est-il d’urgence d’apprendre la science de la vie et de former son caracthere et ses mœurs d’aprèz les traictéz d’un Fénelon ou les saiges préceptes d’une gueuse repentie comme Mme de Maintenon ? — Les poètes et les amoureux n’ont jamais eu besoin de la rédaction d’un art poétique ou d’un code d’amour. L’esprit féminin estoit tousjours assez ouvert pour vibrer aux échos des chansons de gestes et des fières poésies des troubadours et des trouvères. Amadis, Mélusine, Florisandre, Paris et Vienna, Ponthus et Sidonie, Pierre et Maguelonne ne valoient- ils pas les héros et héroïnes de la Calprenède, de Mlle de Scudéri, de Rousseau, de Richardson, de Chateaubriand, de Byron ou de Balzac ? Le tempesrament de l’âme françoise ne s’en accommodoit-il mesme pas mieux que des doulceurs de Tèlèmaque ?

La grande Mie du poète, ne l’oublions mie, celle qui planoit sur la pluspart des esprits, fust encore et surtout la Patrie. Ronsard est peut-être le premier patriote qui ayt fait une hymne superbe et amou- reuse à la France :

Que dirons-nous encore de nostre France ?
C’est cette terre aux deux Pallas adestrc,
Et qui nous a de son ventre fait naistre
Tant de vainqueurs de lauriers couronnez
Et tant d’esprit aux muses adonnez.

N’est-ce pas tout reporter glorieusement à la mère patrie ? D’aullre part, l’illustre barde adjoute :

Je te salue, ô terre plantureuse,
Heureuse en peuple, et en princes heureuse,
Moi ton poëte, ayant premier osé
Avoir ton los en rymes composé.

France de Ronsard, de François Ier, de Branthôme, d’Amyot, de Montaigne, France guallanle, chevaleresque etfière ; France, nostre Mie à tous, — Mie des poêles et des héros, — en concluant, je te salue !



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