Challamel aîné, Libraire-éditeur (p. 25-36).


IV


Instruments de l’industrie des pêches. — Ses pratiques préférées. — On ne saurait attendre de l’initiative de cette industrie la modération dans les récoltes. — Devoir des gouvernements. — L’intérêt du producteur et celui du consommateur. — Le homard et la langouste.

Pour moissonner dans les eaux avec cette intelligente prévoyance dont nous parlions tout à l’heure, il s’agit de n’employer à la cueillette que des appareils graduant leur travail sur la nécessité d’épargner, en majeure partie, les produits encore imparfaits, afin de laisser, autant que possible, s’accomplir, dans ses phases successives, l’œuvre d’élaboration de la nature. Or, ce que fait l’industrie des eaux salées est absolument l’opposé de ce qu’elle devrait faire. On peut s’en assurer par l’examen de ses instruments. Elle en a de deux sortes : les instruments passifs et les instruments actifs.

Nous entendons par instruments passifs tous les engins de pêche n’offrant que le caractère de pièges fixes ou mobiles, tels que les madragues, les filets de parcs, les filets de senche ou d’enceinte, les rets traversiers à nappe simple ou enchevêtrée, les filets quelconques qui sont tendus verticalement ou horizontalement pour opérer leur capture sur place, en combinant leur action avec celle des courants ou du retrait de la mer, les filets flottants jetés à la surface ou à mi-fond, sur le passage des bandes migratives, et, enfin, les cordes ou palangres, les verveux, les nasses et les lignes. Par instruments actifs nous désignons la série de filets de tous noms et toutes formes, organisés pour la poursuite du poisson, c’est-à-dire tous les appareils, grands ou petits, qui, chargés de poids et armés d’un sac pour la récolte, sont traînés sur les fonds, les uns à la voile ou à la vapeur, les autres au moulinet ou à bras.

Les instruments passifs fonctionnent pour ainsi dire comme des souricières, n’atteignent que partiellement les agglomérations poissonneuses et rejettent généralement le menu poisson. Leur emploi suppose une abondance de produits qui n’existe plus ; aussi, sont-ils de plus en plus délaissés. Les instruments actifs poursuivent les multitudes, les enveloppent, les emboursent et retiennent tout. Leur énergie peut être comparée à celle de rouleaux de foulage promenés sur une aire, ou à l’action de gauler certains arbres pour en faire tomber les fruits. Naturellement les pêcheurs préfèrent ces moyens expéditifs aux moyens lents, la pêche à la traîne, qui rémunère encore leur dur métier, à la pêche sur place, qui ne rapporte plus que de minces bénéfices. Il est facile de prévoir les résultats que cette préférence doit amener fatalement.

Au moment où nous écrivons ces lignes, nous avons sous les yeux une assiétée de fretin dont on va faire une crêpe pour notre usage domestique. Il y a là trois cent quatre-vingt-huit individus, des labres de toutes les variétés, des joues cuirassées, des sparlins, des mules et des gobies, pesant ensemble cinq cents grammes. C’est une petite partie de la capture opérée par un de ces filets racleurs, espèces de seine à chevrettes, qui, sur les côtes de Provence, portent le nom de Tartanons. Cette livre de nourriture prématurément retirée de la mer, en eût incontestablement produit plusieurs quintaux, si elle y avait été laissée pendant deux ou trois années encore. Quel gaspillage !

En vérité, ils sont bien primitifs, bien barbares, ces procédés de pêche qui détruisent ainsi les ferments d’abondance répandus dans les eaux. Au moins, ces pratiques arriérées se réduisent-elles à quelques faits isolés de maraudage dont les Hurons seraient seuls excusables ? Non, c’est l’usage général, dans la Méditerranée comme dans l’Océan, de donner aux instruments de capture une énergie qui s’accroît à mesure que le poisson devient plus rare. À voir cette inconsciente témérité, cette incroyable et navrante dilapidation des fruits du domaine social, on se croirait encore au milieu des ténèbres du premier âge du Monde, ou l’on s’imaginerait que nous traversons une de ces néfastes époques de famine pendant lesquelles toutes les règles de prudence s’effacent et disparaissent devant une nécessité impérieuse, celle d’échapper au danger de mourir de faim. Quelle insouciance de l’avenir dans cet acharnement à infertiliser, tout à la fois, les fonds du large et les fonds de la côte par un travail exterminateur des germes !

Mais la prévoyance dans la moisson on ne saurait l’espérer de l’initiative de l’industrie des pêches qui, sans rester étrangère à la civilisation, tient, cependant, à ses routines séculaires et à son insolidarité. « Si la mer, au lieu d’être une propriété indivisible de sa nature, disons-nous, page 177 de notre livre, pouvait, ainsi que le sol, être morcelée et adjugée par lots à des fermiers, il est probable que la multiplication et la succession des récoltes y seraient assurées par le même intérêt qui garantit l’ensemencement de la terre. Nous verrions là ce que nous voyons ici, la prévoyance se substituer à l’insouciance, la pensée de conserver et d’accroître faire place à l’âpre désir de s’emparer, le plus que l’on peut, d’une chose incessamment ravissable et qui, aujourd’hui, épargnée par un, sera, demain, saccagée par un autre. Mais la mer n’est pas susceptible de morcellement et, par suite, ses richesses se trouvent à la merci d’une exploitation incontinente, entraînée par un intérêt immédiat, toujours pressant, à puiser le plus qu’il est possible, à cette source que ne protègent ni les soucis du propriétaire, ni ceux du fermier. Prendre, prendre encore, prendre toujours, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien du bien commun, c’est la seule règle d’une industrie qui ne possède pas le fond qu’elle exploite et n’en est pas responsable. »

À qui donc devons-nous demander de faire cesser « le triste spectacle d’un grand peuple, le plus éclairé de tous, ne sachant pas tirer la millième partie de sa subsistance des eaux qui baignent les six cents lieues de sa frontière maritime ? » À qui nous adresserons-nous dans le but d’obtenir que la mer cesse d’être saccagée et infertilisée par les filets traînants, « ces instruments de récolte qui ne peuvent fonctionner en séparant le produit développé de celui qui ne l’est pas, ces engins balayeurs qui, atteignant et retenant tout, le fruit mûr et la semence à peine germée, les générations naissantes plus encore que leurs aînées, frappent de coups dévastateurs l’œuvre de la reproduction ? »

Évidemment, c’est le devoir des gouvernements de surveiller et de protéger l’ensemencement naturel des eaux ; c’est leur devoir de garantir, par une sage et judicieuse administration de la pêche, ce grand objet de la succession et de l’abondance des récoltes de la mer. Après Dieu, c’est à eux qu’appartient le soin d’assurer la nourriture des peuples, ce premier besoin des sociétés civilisées comme de la tribu sauvage.

Toutefois, appeler sur cet objet la sollicitude des gouvernements, c’est se donner une vaine peine, car c’est les placer en face d’une question purement pratique qui leur est à peu près inconnue. C’est du moins ce qui ressort de la crédulité avec laquelle ils ont généralement accueilli les résultats erronés de l’enquête anglaise et de l’enquête belge, sur la pêche, résultats d’autant moins dignes de confiance qu’ils se résument en une dénégation qui n’a pas le sens commun.

Non, elle n’a pas le sens commun cette prétention sophistique alléguant l’immensité du domaine des mers pour ériger en principe que l’influence de l’homme ne peut ni augmenter ni diminuer la fécondité de la faune marine. C’est le contraire qu’il est raisonnable d’admettre et qui est vrai : de l’influence de l’homme dépend absolument la fertilité ou la stérilité des régions riveraines, l’abondance ou la rareté du poisson sur les marchés.

Il ne saurait donc suffire d’éveiller l’attention des hommes d’État sur l’intéressant problème qui nous occupe ; il faut encore les mettre à même d’apprécier combien est dangereux le préjugé issu d’enquêtes plus fastidieuses que sérieuses, et combien s’éloigne de la vérité l’idée que les ichtyologistes se font de l’étendue du champ élaborateur des aliments que la terre demande à l’eau.

Ce qui importe surtout, c’est de dissiper l’ignorance presque générale, en cette matière dont la pratique n’est qu’aux mains d’une classe d’hommes aussi dépourvue d’instruction qu’elle est intelligente et intrépide ; c’est de faire pénétrer partout les notions du vrai en l’art d’exploiter sans l’épuiser l’abondance de principes nourriciers que renferment les eaux.

Tel est le but à poursuivre. Nous l’avions en vue en publiant l’Industrie des eaux salées et nous nous proposons de l’atteindre en soutenant avec une persévérance énergique les convictions exprimées dans cet ouvrage, fruit de trente-quatre années d’application à la recherche de la vérité.

L’expérience des temps consultée et, avec les faits de l’homme, les faits de la nature, nous disons :

L’œuvre providentielle dans les eaux s’effectue pleinement sans notre participation.

Les produits marins sont généralement incultivables.

La culture de ces produits est non seulement inutile, mais encore dangereuse ; inutile, parce que l’action naturelle y suffit ; dangereuse, parce que notre intervention, dans un ordre de choses qui la repousse, n’a et ne peut avoir d’autre résultat que celui de contrarier et d’arrêter l’œuvre de la nature.

C’est improprement que l’on nomme aquiculture une industrie ne produisant rien et qui est, au contraire, une cause de ruine pour les foyers de peuplement des eaux libres dont elle exploite la production en lui faisant subir un déchet de quatre-vingt-dix pour cent au moins, sans compter le préjudice qu’elle porte à la multiplication du poisson local.

En effet, les essais de culture tentés sur divers rivages, durant une période de plus de deux mille ans, n’ont abouti qu’à des pratiques d’élevage de quelques-unes des espèces qui n’émigrent pas.

Ces pratiques ne sont donc que le monopole, entre les mains de quelques particuliers, des fruits de l’œuvre générale appartenant à tous. Elles sont un expédient commercial et non, ainsi que l’on voudrait le faire croire, un moyen d’accroissement des ressources alimentaires que la mer nous fournit.

Puisque la faune marine parvient à son complet développement, sous la seule influence de la nature, et accumule ses moissons précisément dans les parties du lit de la mer qui sont accessibles aux instruments de récolte, il est évident que de notre manière d’opérer la capture de ces précieux épanchements de richesse dépend leur abondance ou leur insuffisance.

Non plus que la terre, la mer ne peut produire abondamment si la semence lui fait défaut. Conséquemment, elle ne saurait être poissonneuse à proportion des besoins de la consommation, si les procédés de récolte dont nous y faisons usage atteignent et retiennent, tout à la fois, le fruit mûr, le fruit vert et la semence à peine éclose.

Si nous délaissions la pêche immodérée pour revenir à la pêche modérée, à la pêche intelligente, celle qui, au lieu de saccager les foyers producteurs, ménage la production en en épargnant les germes, si, pour le dire en termes techniques, nous nous interdisions absolument, dans nos eaux, l’emploi des filets de traîne pour ne recourir qu’à des filets dormants ou flottants et aux cordes, il est probable, il est même certain, que, en peu d’années, notre pêche côtière serait aussi productive qu’elle l’est peu aujourd’hui.

Voilà les idées que nous voudrions voir faire leur chemin dans l’esprit public et monter jusque vers les hautes régions gouvernementales avec une salutaire inspiration ; car, s’il est une chose à souhaiter, dans l’intérêt de la subsistance des peuples, c’est que les gouvernants et les gouvernés se pénètrent de cette vérité vraie que, pour devenir une industrie largement nourricière, la pêche sur les côtes doit remplacer ses engins follement pillards par des appareils intelligemment captureurs.

« La rareté du poisson, dit M. le docteur Turrel, dans les Annales des Voyages — mois de décembre 1868 — c’est la cherté des autres comestibles et c’est la misère pour les classes les plus nombreuses. Un pareil mal ne saurait rester sans remède. »

C’est convenu, mais, nous le répétons, il n’y a point à songer que les pêcheurs appliquent eux-mêmes le remède dont on sent la nécessité. Des travailleurs qui gagnent à peine le pain de leur famille à tirer tout ce qu’ils peuvent de leur œuvre journalière, sont plutôt entraînés à activer leur labeur qu’à le ralentir. La conscience se tait facilement lorsqu’elle se trouve aux prises avec le besoin péniblement satisfait. C’est ainsi que nous nous expliquons comment certains groupes de pêcheurs anglais ont osé affirmer, devant l’enquête, que les produits de leur baie multipliaient d’autant plus qu’on les décimait davantage. La même cause produisant partout même effet, nous ne serions nullement surpris de voir tous les pêcheurs de France et de Navarre se liguer pour soutenir que si la cherté du poisson est progressive ce n’est pas parce qu’il devient rare. Allez en Espagne ou en Italie, vous ne verrez pas moins couvrir, par des mensonges dénégateurs, le même acharnement à dessécher la source d’aliments que la mer renferme.

L’année dernière, dans un État qui a ses frontières maritimes sur deux mers, sur l’Océan et sur la Méditerranée, les pêcheurs étaient consultés afin de savoir s’il n’y avait pas lieu d’interdire, durant une partie de l’année, la pêche du homard et de la langouste.

« Il y a lieu, répondaient ceux qui ne pratiquent pas ordinairement la pêche de ces crustacés, il y a lieu, parce que la diminution du nombre des homards et des langoustes est un fait. »

« Il n’y a pas lieu, disaient les interpellés intéressés à la question, il n’y a pas lieu, parce que la diminution n’est pas avérée et parce que, s’il y a de mauvaises années, il y en a aussi de bonnes et que, après avoir disparu de certains parages, le homard et la langouste y reviennent en aussi grand nombre qu’auparavant. »

Ainsi, d’une part, affirmation et, de l’autre, négation, deux forces égales se neutralisant pour éterniser le statu quo.

Mais on n’en était qu’à la première moitié du problème, car il restait à fixer l’époque de l’interdiction annuelle pour le cas où il serait reconnu nécessaire de l’édicter. Grand embarras encore devant la divergence des opinions. Les riverains de l’Océan étaient à peu près d’avis que l’époque la plus propice se renfermait dans les mois de mars, avril et mai. Les riverains de la Méditerranée prétendaient, eux, qu’elle devait durer du mois de février au mois d’août. Qui donc se chargerait de mettre les pêcheurs d’accord sur les intérêts de leur industrie ?

On n’y arriverait, croyons-nous, qu’en évitant de leur demander leur avis. Pour les crustacés, ainsi que pour le poisson en général, l’époque de la ponte se manifeste par deux caractères qui ne sauraient échapper à l’attention, le degré d’avancement de la gestation, chez les femelles, et l’agglomération des espèces sur les frayères. Pourquoi néglige-t-on de consulter les faits pour s’en rapporter à des opinions plus ou moins intéressées ?

C’est parce que, dans tous les pays qui ont une marine, la profession de pêcheur, pénible entre toutes, plus périlleuse qu’aucune autre, et d’autant plus sympathique qu’elle joue un rôle utile dans la formation de la force navale de ces pays, est traitée en privilégiée. L’intérêt du producteur est tout, celui du consommateur n’est rien lorsqu’il s’agit de toucher à l’industrie des pêches. À preuve les incroyables résultats de l’enquête anglaise et l’accueil empressé qui a été fait à l’erreur capitale sur laquelle ils reposent, à cette imprudente déclaration niant le fait certain, le fait évident de l’infertilisation des côtes par une exploitation à outrance de toutes les régions poissonneuses.

Toutefois, l’État que nous citions, tout à l’heure, comme s’étant occupé du homard et de la langouste, n’a pas encore renoncé à découvrir un moyen d’arrêter la disparition de ces précieux animaux. Si l’administration de la marine, dans ce pays possesseur de plus de six cents lieues de côtes, est lasse de ne recueillir partout, sur les faits de l’industrie des pêches, que des renseignements à contre-sens de la vérité, elle ne désespère pas, cependant, de parvenir à s’éclairer avec plus de certitude à l’aide de recherches poursuivies sans la participation des pêcheurs ; mais c’est là une vaine confiance, à en juger par les résultats que nous avons sous les yeux de toute une année de laborieuses perquisitions effectuées dans l’une des principales circonscriptions maritimes de la nation.

On avait voulu relever minutieusement, jour par jour, la quantité, la dimension et l’état sous le rapport génératif, des langoustes pêchées, durant l’année, dans les eaux de cette circonscription. Ce travail, exécuté à la halle, avait pour objet de faire apprécier jusqu’à quel point il pourrait être efficace d’élever la taille au-dessous de laquelle la capture de ces crustacés est interdite. Il en ressortait : 1o que 30,000 langoustes environ avaient figuré sur le marché ; 2o que plus de la moitié d’entre elles n’atteignaient pas la taille réglementaire de 0,20 c. ; 3o que les autres avaient ou dépassaient cette dimension ; 4o que pas une seule n’était grenée.

Or, l’absence complète de mère en couvaison, dans le nombre total des langoustes mises en vente à la halle, fait présumer que le relevé dont nous parlons n’offre pas l’expression de la vérité. Et, en effet, nous savons pertinemment que les pêcheurs ayant connaissance de l’enquête qui avait lieu quotidiennement à la poissonnerie, ont eu la précaution, pendant la saison du frai, de séparer les sujets grenés de ceux qui ne l’étaient pas et d’expédier les premiers, par la voie ferrée, sur les marchés de l’intérieur, afin de déjouer les investigations administratives. Il s’en est suivi que, au lieu de se procurer, ainsi que l’on en avait le désir, des indications précises sur la taille minimum de la langouste adulte et sur le rapport du nombre de sujets au-dessous de cette taille avec la quantité générale des langoustes capturées, on n’a obtenu que de faux renseignements, tendant à faire croire que les femelles grenées avaient été rejetées à l’eau. C’est une preuve de plus de la résistance que rencontre, chez les travailleurs de la mer, toute idée de prévoyance qui pourrait, ne fût-ce que pendant une courte période, les contraindre à ménager, au profit de l’avenir, la fertilité des fonds qu’ils exploitent.

Mais, si adroite et si persévérante que soit l’industrie des pêches à dissimuler ses pratiques professionnelles afin d’en cacher les funestes conséquences, il n’est point en son pouvoir de répandre l’obscurité sur les faits du ressort de l’histoire naturelle. C’est celle-ci et non celle-là qui doit être consultée par qui veut réellement savoir à quelle époque de l’année il pourrait être avantageux, à la multiplication du homard et de la langouste, de prohiber temporairement la pêche et la vente de ces crustacés. Nous ne sachons pas que les interdictions ou les restrictions nécessaires à la conservation du gibier, soient prononcées sur l’avis préalable des chasseurs.

L’histoire naturelle enseigne à ceux qui l’étudient pratiquement, que la langouste et le homard, presque introuvables en janvier, février et mars, deviennent plus nombreux en avril et en mai, s’agglomèrent en juin et en juillet et pondent à partir du mois d’août ; que la maturation des œufs, considérée généralement, dure du mois d’août au mois de février inclusivement, c’est-à-dire sept mois ; que chez les deux espèces, ce n’est pas la ponte qu’il faut protéger, mais l’éclosion ; que celle-ci survient individuellement le cinquième mois après la ponte, et enfin que s’il n’en est pas exactement de même, dans nos eaux océaniques et dans nos eaux méditerranéennes, cela tient, non à une différence de mœurs ou d’instinct chez les animaux, mais seulement à une différence climatologique, qui ne peut avoir d’autre effet que celui d’avancer ou de retarder, de vingt à trente jours, l’accomplissement des phénomènes de la génération.

Ces faits étant connus de la manière la plus certaine, on ne peut que repousser absolument et l’opinion des pêcheurs de la Méditerranée et celle des pêcheurs de l’Océan, qui placent entre le mois de février et le mois d’août l’utilité d’une mesure protectrice de la reproduction des crustacés. Quoi ! c’est avant que les femelles de ces animaux n’aient pondu et non pendant qu’elles couvent, amassés sous la queue, les germes de leur postérité, qu’il faudrait respecter leur existence ! Si ce n’est de la dérision, c’est une ignorance inexplicable chez les hommes du métier. Puisque la ponte commence au mois d’août et que l’éclosion se termine au mois de février, c’est en novembre, décembre et janvier qu’il peut être utile d’interdire la pêche du homard et de la langouste.