La Mer élégante/La Mer du Nord

La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 7-9).

La Mer du Nord

 
Ce n’est pas la mer bleue où se mire et se mêle
Le beau ciel du Midi toujours d’azur comme elle
Que je veux chanter dans mes vers ;
La mer où les bateaux voguent comme des cygnes,
Où les bords sont ourlés d’oliviers et de vignes
Et de larges pins toujours verts !

Ce n’est pas l’Océan aux falaises massives
Où le troupeau hurlant des vagues convulsives
Est battu sans cesse et broyé,

L’Océan qu’on prendrait pour un grand cimetière
Car de loin chaque flot semble un tombeau de pierre
Qui recouvre un marin noyé !

Non ! c’est la mer du Nord, la mer brumeuse et glauque
Qui berce avec sa voix exaspérée et rauque
Ses bruns enfants, les matelots ;
La mer du Nord qui vient en chantant vers la Flandre
Pour la baiser, comme un amant fougueux et tendre,
Avec les lèvres de ses flots.

C’est elle que je veux chanter : ses dunes blondes,
Ses mouettes formant sur les vagues profondes
Un archipel de blancs îlots ;
Et ses barques de pêche inclinant leurs voilures,
Et ses baigneurs joyeux mêlant leurs chevelures
Aux longues crinières des flots !

C’est elle ! c’est la mer du Nord ! la sœur jumelle
De la terre de Flandre, indomptable comme elle ;
Sur leur double horizon mouvant
— Dès que la nuit s’enfuit dans son manteau d’étoiles —
La barque et le moulin livrent tous deux leurs voiles
Au souffle impétueux du vent.


C’est sa côte étalant dans les brumes dormantes
Tant de hameaux coquets et de villes charmantes,
Fraîches oasis de la mer,
Ostende, Blankenberghe, Heyst, Nieuport et La Panne
Où tous mes souvenirs s’en vont en caravane
Pendant les tristes mois d’hiver !

C’est devant cette mer où se mire un ciel terne
Que je peindrai la vie élégante et moderne
S’étalant au seuil des villas
Où les femmes debout sous les dômes de verre
Montrent leurs blancs profils, comme au fond d’une serre
De très pâles camélias.

Tout ce monde pimpant, poudré, rieur, prodigue,
Le matin sur la plage et le soir sur la digue
Viendra s’ébattre au bord de l’eau ;
Il papillonnera, ce monde tout en joie
Drapé dans le satin, la dentelle et la soie
Comme des bergers de Watteau.