La Maison de la Courtisane (recueil)/Sa Voix

SA VOIX

L’abeille sauvage tournoie incertaine de branche en branche, sous son vêtement de fourrure et son aile de gaze, dans la coupe d’un lis, ou met en branle la cloche d’une jacinthe, dans sa course errante. Asseois-toi plus près, amie. Ce fut ici, je crois, que je fis ce voeu.

Et jurai que deux existences n’en feraient qu’une, aussi longtemps que la mouette aimerait la mer, aussi longtemps que l’héliante chercherait le soleil. « Vous et moi, dis-je, ce sera pour l’éternité. » Chère amie, ces jours sont finis, passés : le fil de l’amour est filé.

Lève les yeux vers ces peupliers qui se balancent, se balancent dans l’air de l’été. Ici dans la vallée, jamais une brise n’éparpille le duvet du chardon, mais là-bas soufflent de grands vents, venus des puissantes mers aux mystérieux murmures et des vastes espaces, que cinglent les vagues.

Regardez là-haut où la blanche mouette jette son cri aigu. Que voit-elle que nous ne voyons pas ? Est-ce une étoile ou la lampe qui scintille sur quelque navire en route pour l’étranger ? Ah ! Se peut-il que nous ayons vécu nos vies sur une terre de rêve, que cela serait triste !

Chérie, ici il ne nous reste rien à dire que ceci : que l’amour n’est jamais perdu. L’âpre hiver poignarde le sein de mai dont les roses cramoisies crèvent ses glaçons. Des navires ballotés par la tempête trouveront un havre dans quelque baie et ainsi nous aussi nous ferons.

Et ici il n’y a rien à faire que de nous baiser de nouveau et nous séparer. Ah ! Il n’est rien que nous ne puissions affronter. J’ai ma Beauté, vous avez votre Art. Ah ! Ne vous arrêtez pas. Un monde n’est pas assez pour deux êtres comme vous et moi.