La Maison de granit/2/Une autre te dira

Plon-Nourrit (p. 108-110).


UNE AUTRE TE DIRA



Une autre te dira l'émouvante parole
Qui fait bondir le cœur ;
Une autre t’offrira le baiser qui console
De toute la douleur.

Une autre posera sa douce joue ardente
Entre tes chaudes mains ;
Une autre te suivra, docile et consentante,
À travers les chemins.


Une autre aura de toi la flamme de ta vie
Et ton brûlant plaisir ;
Une autre te tendra son âme inassouvie
Et son jeune désir.

Mais tu ne sauras pas le charme intraduisible
De plus chastes bonheurs ;
Et, sous mes doigts, jailli d’une source invisible,
Coule un ruisseau de pleurs.

Lorsque la volupté posera sur ta lèvre
L’âpre goût de la mort,
Que la chaleur du jour brûlera de sa fièvre
Ton cœur fragile et fort :

La rose de la joie en tes mains sera sèche,
Et tu voudras pleurer !
Alors viens te pencher près de cette onde fraîche
Pour te désaltérer.


Et relève tes yeux obscurcis par les larmes !
Écarte le passé…
Pour te vaincre, la vie a de perfides armes,
Ô pauvre ami blessé !

Repose-toi, veux-tu, près de la rive étroite
Qu’enveloppe le soir,
Toi qui n’as pas suivi la route large et droite
Du lumineux devoir.

L’arbre de mon amour et de ma pitié tendre
Fleurit près de ses bords ;
Vers ses fruits merveilleux si ta main veut se tendre,
Leur fraîcheur calmera ta soif et tes remords.