La Maison de granit/2/Je vous écris

Plon-Nourrit (p. 83-85).

JE VOUS ÉCRIS…



J’avais dit : Je saurai porter ma solitude ;
Je resterai debout sous le fardeau si lourd
Du silence, du soir, du devoir, de l’étude ;
Je n’écrirai jamais une lettre d’amour.

Et maintenant je suis seule devant ma table,
Chaque mot que je trace est un monde d’espoir
C’est le rêve ancien qui vient, inexorable,
Arracher de mon front les plis d’un voile noir.


Bien longtemps j’ai voulu me cacher à moi-même
Le secret qu’aujourd’hui je ne peux plus porter :
Qu’on me laisse crier enfin que je vous aime ;
Il me faut cet aveu pour me réconforter.

Il faut le murmurer au vent qui me caresse,
À la brise qui passe effleurant mes cheveux ;
Je le dis cette nuit dans l’ombre qui m’oppresse,
Je le dirai demain à la face des cieux !

Mon espoir refleurit comme une fleur d’automne,
Comme une rose pâle au parfum plus léger !
Sous un dernier rayon tout mon être frissonne :
Ah ! comme il vous faudrait savoir me protéger !

Que de soins, de tendresse et de bonté divine
Deviendrait nécessaire à mon frêle bonheur !
Que je me blottirais contre votre poitrine,
Dans vos deux bras aimés pour sentir leur chaleur !


Il me semble parfois que vous devez comprendre
Que c’est vous qui tenez mon sort entre vos mains,
Et que c’est bien fini de souffrir et d’attendre,
Et que j’entends vos pas sonner sur les chemins.

Ce soir, enfin, je vous écris pour vous le dire,
Pour faire cet aveu qui me brûle le cœur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais je vous vois, cruel et sceptique, sourire ;

Je subis votre arrêt dans toute sa rigueur.

Vous ne me croiriez pas… Vous tourneriez les pages
Où ma main frémissante a tracé votre nom ;
Peut-être liriez-vous les plus graves passages
Aux femmes qui, jamais, n’ont su vous dire : non !

Ma missive d’amour restera sur ma table…
J’écrirai sagement et sans la raturer
Une autre lettre… Et, la trouvant si raisonnable,
Vous oublierez qu’un jour, pour vous, j’ai dû pleurer.