La Maison aux phlox/4/3

Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 207-209).


Bonheur gratuit

Il y a toujours des peines latentes, c’est inévitable ; il y a des épreuves tenaces, temporaires ou perpétuelles. Il y a aussi la pensée des misères humaines, des méchancetés humaines, des guerres inhumaines…

Mais il y a tous les matins un grand ciel bleu, au-dessus des arbres d’un vert tout neuf ; il y a de vastes gazons reposants et beaux ; il y a eu des buissons de lilas mauves ou blancs, des masses de chèvrefeuilles roses et odorants ; il y a eu les iris, les pivoines, les tout petits lis jaunes au parfum si doux ; il y a toutes les fenêtres ouvertes, et la légèreté de l’air, et la longueur des jours, avec plus de beauté le soir, plus de beauté à l’aurore.

Sans autre raison, en regardant tout cela, nous devrions être heureux. Il y a les rivières aussi qui reflètent le ciel ; qui le mirent, le promènent dans leurs courants ; il y a beaucoup de jeunes jardins ; des lacs, des montagnes, la mer, … il y a les vastes champs où les futures moissons germent…

Il y a l’air du matin, frais, léger, limpide même en ville. Il y a l’air du soir, un peu plus lourd, un peu chaud souvent, mais si coloré par ce soleil jaune qui se couche dans un beau lit violacé. Il y a tout le jour le triomphe de la lumière sur d’inimaginables teintes ; le triomphe sur le monde, d’ineffables parfums, le triomphe de l’été étendu devant vous, paré de ses plus splendides atours.

Et cela peut combler de joie même les plus pauvres ; ces spectacles sont gratuits ; cet air, n’importe qui peut en savourer la jeunesse ; la voix des oiseaux, tout le monde peut l’écouter ; cet air, ce soleil, ils font pousser partout des fleurs, autant dans les champs que dans les plus riches parterres ; ils en font pousser dans les jardins et en vous-même…

De la moindre promenade, ne rentrez-vous pas ébloui, enthousiasmé ? Heureux malgré les peines latentes, les constantes et incurables peines, heureux de marcher d’un pas allègre ? heureux d’avoir des yeux, de respirer ? heureux comme dans la jeunesse, même si vous avez fini d’en vivre les âges joyeux ? Ne rentrez-vous pas avec un panier de fleurs ?

Mais les autres, hélas, pourquoi ne veulent-ils pas voir comme vous que ces fleurs sont magiques ? Pourquoi ne sentent-ils pas en eux la confiance qui est en votre âme, qui nait en vous parce que le monde est vert et le ciel si grand, si bleu ?

Pourquoi tous ne sont-ils pas convaincus qu’à la fin tout sera merveille, joie, triomphe ? Pourquoi la foi au Ciel sans limites n’est-elle pas à tous facile, devant le monde, quand le monde est ainsi neuf et beau ?

Quand le monde ainsi crie alleluia, alleluia ?