La Maison aux phlox/3/17

Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 170-174).


Au bois magique…

Trois jeunes filles cherchaient des fleurs. Septembre commençait. Dans les prés mouillés d’embrun, seules poussaient encore d’éphémères campanules bleues, et des verges d’or rouillées de sel. Leur faudrait-il, pour leur table de fête, avoir recours aux jardins mieux abrités du village ?

Comme elles cherchaient toujours, en causant elles atteignirent l’entrée d’une forêt. Une route large s’engageait dans le bois d’abord assez clair, qui laissait voir entre ses arbres, des échappées sur le monde des alentours, la mer, le village. Des sapins, des épinettes par petits groupes, étalaient des rameaux riches et parfaits. Il avait plu. Ils étaient d’un vert qui luisait même sous le ciel gris. Le sol humide et mousseux, feutré d’aiguilles résineuses, était doux aux pieds. Imperceptiblement, la route rétrécissait ; elle fit bientôt place à une sente étroite, sinueuse, et les branches frôlaient les robes pâles.

Alors, soudain, le bois devint magique. La terre sentait bon et les sapins mouillés exhalaient un arôme puissant comme un parfum. L’heure fuyait, les jeunes filles avançaient toujours, attirées irrésistiblement par la profondeur verte de la forêt, la forêt silencieuse, recueillie, déserte et qui devenait mystérieuse à mesure que les arbres grandissaient, se resserraient.

Et c’est ainsi que, surprises, elles arrivèrent au pays des champignons. Elles aperçurent d’abord de fausses oronges, isolées, et puis tout à coup, le bois fut enchanté. Sous tous les rameaux étalés bas, — où coulait et s’étendait une étonnante lumière, — le monde des champignons surgit ; un monde jaune, rouge, rose, un monde violet, blanc, orangé, grisâtre, couleur de fumée, couleur de soleil, couleur de fruits !

Trois par trois, d’énormes bolets sur leur pied gonflé arboraient un chapeau charnu et rond, brunâtre et gluant ; et, près des énormes bolets, de tout petits perçaient la mousse de leur tête où collaient encore des aiguilles d’épinettes ; des lycoperdons neigeux, brillaient ; d’inquiétantes russules semblaient vouloir se mêler à des familles qui ne les aimaient pas. Des chapeaux étaient ronds, ou s’ouvraient en parasols, ou se creusaient en entonnoirs, ou déformés se rompaient ; celui des hydnes sinués ou pieds de mouton…

Toujours surgissaient de nouvelles espèces et disposées dans la mousse comme pour une exposition, ou pour illustrer un conte. Les jeunes filles poussaient maintenant leurs exclamations enthousiastes d’une voix étouffée. Il leur semblait nécessaire de parler bas, pour ne pas voir s’évanouir ce pays enchanté. Penchées, elles surveillaient le sous-bois, pareil à un souterrain mystérieusement plein de lumière et de couleur ; les fausses oronges au chapeau serin marqué de verrues blanches, grandissaient de plus en plus, fières de leur puissance mortelle ; ailleurs toute une colonie de chanterelles invitait à un festin de roi ; de beaux cortinaires violets restaient enveloppés d’un demi-voile ; des russules rousses, pourpres, violacées faisaient les belles sur leur pied si blanc, mais jamais les jeunes filles n’avaient vu ces champignons aussi nombreux, aussi colorés, aussi lumineux, aussi gigantesques ; quelque chose s’y ajoutait ; cette forêt était de celles dans lesquelles se jouent les contes de fées ; et personne n’aurait été surpris de voir soudain s’animer ces parasols, d’entendre parler ces fantastiques petits êtres. Charmées elles continuaient à marcher, sans souci de l’heure, sans souci du passé, sans souci de l’avenir, les yeux grands, l’oreille attentive, émues d’être pour une fois admises au pays des merveilles.

Le sol du sous-bois tour à tour s’élevait et s’abaissait légèrement ; et les champignons aux chapeaux de soleil étaient sur ces minuscules collines comme sur un amphithéâtre, pendant que d’autres, au fond de l’arène paraissaient jouer une scène. Puis, les jeunes filles aperçurent sur une butte des touffes de monotropes qui se cachaient près d’un tronc. Jamais la ressemblance de cette fleur fantôme ne les avait tant frappées. Les tiges minces, longues, blafardes, un peu de noir à la tête, représentaient bien une phalange de revenants lilliputiens, qui, ayant peur d’être vus des vivants, droits, élancés, se serraient dans leur suaire lumineux, argenté ; suaire pâle, qui noircit si on le touche, mais qui brillait d’un indescriptible éclat, dans l’étrange jour du sous-bois.

— Le soir, se dirent presque tout bas les jeunes filles, cette forêt sûrement doit s’animer. On doit y entendre des voix, à l’abri des rameaux de tant d’arbres de Noël parfaits…

Car cette forêt était de sapins sans défauts ; quelques-uns poussés deux ou trois ensemble, formaient un seul arbre magnifique, aux branches bien symétriques descendant de la pointe fine dessinée sur le ciel, jusqu’au sol où elles protégeaient comme un toit, le peuple magique des champignons et des fleurs fantômes.

Un cri de train, perçant, ramena les jeunes filles au monde réel. Elles regardèrent l’heure. La forêt continuait sans fin ; il leur fallait retourner à la vie…

Plus loin, auraient-elles découvert un étang, des libellules bleues, un château où la Belle au bois dormait ? ou bien auraient-elles rencontré le prince charmant, charmant, et qui serait toujours charmant ?