La Maison aux phlox/1/7

Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 52-55).


La poupée

Elle dormait depuis des années, avec du linge, dans un coffre. Enroulée d’une vieille toile comme une momie, elle pouvait se croire morte ; croire que jamais plus elle ne reverrait la lumière, que c’en était fini des joies, du soleil. Qui aurait pu, dans ce néant, lui apprendre qu’elle possédait encore ses yeux clairs, ses joues roses, ses dents d’émail et que ses cheveux mieux bouclés pourraient redevenir beaux ?

Parfois, on secouait bien les chiffons qui l’entouraient, mais toujours le lourd couvercle du coffre retombait sur elle. Nul espoir d’ailleurs ne l’agitait plus. Elle s’était habituée à ce sommeil dans l’ombre.

Un midi des éclats de voix la réveillèrent pourtant. Étonnée, elle crut reconnaître la voix qui l’avait autrefois bercée, elle crut aussi s’entendre appeler. Cette voix s’exclamait :

— Ma poupée, ma poupée ! Je n’y pensais plus.

À l’instant le coffre s’ouvrait, les chiffons s’écartaient, la vieille toile était déroulée ; mais la poupée serrée dans des bras tendres ne reconnut pas sa maman des jours enfuis. Non, ce n’était pas elle, ce visage de femme, et cet homme qui la regardait aussi, que faisait-il là ? Qui était-il ? La poupée ne comprit pas malgré la même voix qui répétait :

— Je l’aime toujours, crois-le si tu veux, mais je l’aime toujours cette poupée !

Deux baisers sonores s’appliquèrent sur les joues de porcelaine.

Comme en rêve, la poupée s’attendit à être emmaillottée de nouveau et rejetée au fond du coffre après ces démonstrations. Mais on la transporta dans une chambre baignée de soleil, on lui retira sa robe jaunie, on lui mit de la mousseline fraîche, et même des chaussettes de laine, les plus coquettes du monde.

Et alors commença pour la poupée une existence incompréhensible, après l’abandon prolongé, une existence de poupée riche, choyée, heureuse, que chaque jour on habille de neuf et qui du matin au soir est fêtée, admirée. Jamais dans ses plus beaux jours elle n’avait connu tant d’attentions, suscité pareil enthousiasme. Un matin, on la revêtait des pieds à la tête de broderie, le lendemain, on la couchait dans le plus mignon des lits roulants. Sous la douillette rose, elle fut promenée de pièce en pièce. Puis un jour, ce fut une apothéose. Elle vit déballer tout un trousseau enrubanné, une robe longue, une cape brodée de grosses fleurs de soie, un bonnet, des châles. Et tout cela était pour elle ! On la vêtit et pour qu’elle parût mieux, on l’étendit sur le grand lit…

Elle se crut vraiment ressuscitée, elle crut le bonheur revenu. Quand on lui enleva, le soir, tous ces beaux vêtements, nulle inquiétude ne la tourmenta. Tôt ou tard, on les lui remettrait. Sous la douillette rose, elle se rendormit.

Lorsqu’elle s’éveilla, personne ne se penchait plus sur elle. La maison était silencieuse et abandonnée. Les stores baissés ne laissaient plus pénétrer le soleil. Ce n’était plus l’affreux oubli du coffre noir, mais une solitude à la longue plus angoissante. Qu’était donc devenue son attentive maman ?

Des jours passèrent, dans ce silence. Elle attendit, comprenant de moins en moins. Puis, un soir, ce fut le bruit des portes ouvertes, elle réentendit soudain la voix, parmi d’autres voix. Elle eut un grand mouvement de bonheur ; on se précipitait tout de suite vers son lit.

Hélas ! c’était pour l’en déloger et la jeter négligemment dans un fauteuil. Et elle vit entrer une autre poupée, brillante des beaux vêtements qu’on lui avait un jour essayés, une autre poupée que tout un cortège suivait, une poupée qui remuait et vagissait.

Alors, la vieille poupée comprit. Elle n’avait servi que de mannequin. Toutes les faveurs qu’elle avait reçues n’étaient que des apprêts pour ce nouveau-né. Qu’allait-elle devenir ? Retournerait-elle pour toujours dans le coffre noir ?

Saisie du seul espoir qui restait encore possible, elle se rendormit en se disant :

— Peut-être est-ce une petite fille, et demain elle sera ma nouvelle maman.