Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 7-9).


Délice, tourment d’écrire

Tous croient que vous n’écrivez que pour vous amuser ; que c’est un passe-temps agréable pour les jours d’ennui, mais qu’en somme ce goût, ce n’est rien dans une existence.

Et personne ne sait la vérité, personne ne l’imagine, personne ne comprend que pour vous, écrire est la question primordiale, celle qui règle la joie de vos jours, celle qui, à tout instant, tinte en vous, — comme un reproche, si les soirs achèvent des journées vides, — comme un joyeux son de cloche, si les dernières pages noircies sont bonnes, nombreuses…

Pour tout le monde, les heures les plus belles sont celles qui passent gaiement, les heures faciles et douces. Pour vous, les heures sont parfaites si vous avez travaillé. Autrement un remords secret vous ronge. Le temps que sans écrire vous laissez fuir, toujours vous le regrettez.

Les autres peuvent rire, chanter, danser tant qu’ils le veulent. Pour vous seul importe le délice, le tourment d’écrire.

Pourtant que malgré cette constante préoccupation vous produisez peu ! Les grands rêves, les beaux projets demeurent irréalisés, et les manuscrits, inachevés. Des idées qui paraissaient splendides cessent soudain de vous inspirer. Tous les jours des circonstances contraires surgissent ; travaux manuels indispensables, vie familiale, vie sociale.

Mais il subsiste en dépit de tout votre perpétuel désir d’écrire. Il subsiste, l’espoir caché de frapper un jour l’œuvre que vous réussirez. En dehors des tendresses qui vous entourent, rien ne vous tient plus à cœur que cet espoir. En échange, vous refuseriez tout l’or du monde.

Plutôt que de le sacrifier, vous refuseriez tout. Car pour vous rien ne vaut ce tourment, ce délice d’écrire, qui vous gâte parfois les plaisirs ordinaires du monde, mais qui vous remplit plus souvent d’une joie unique, d’une joie que les autres ne connaissent pas. Peu d’heures dépassent en richesse les heures d’enthousiasme, les heures où les paysages, les pensées, naissent sous votre plume qui court, alerte, rapide, plus lente encore cependant que votre esprit subitement plus prompt que l’éclair.

Délice de créer, de voir pousser les phrases comme des fleurs dans un magique jardin, de les voir pousser et à votre insu se ranger, s’agencer, compléter votre idée, l’éclairer d’une lumière que tout d’abord vous n’aviez pas soupçonnée…

Délice, tourment d’écrire. Bien qui console des douleurs, du temps qui passe, des pauvretés, des injustices, bien qui console de tout.