La Machine à courage/Avant-propos
AVANT-PROPOS
Notre planète est couverte aujourd’hui de machines à courage.
Cela m’incite à expliquer, à excuser même le titre de
ce livre annoncé dans mes Souvenirs.
D’abord ce titre n’est pas pour moi seule, il comporte les vies de tous les artistes. Quand je dis artistes je parle de quelque chose de périmé ; de cette race romantique destinée à disparaître dans un monde que j’appelle le monde matière. Je fais partie de cette espèce. C’est un malheur et c’est tous les bonheurs. C’est avoir mille palais pour goûter l’infini des délices de la vie.
Si je veux définir ma vie par un mot je dirai : recherche. Recherche de quoi ? Il faut presque le temps d’une existence pour le savoir.
J’ai d’abord cherché la vie dans ce qu’on appelle vivre. J’y ai trouvé l’amour et du bonheur. Mais j’ai senti toujours que la vie n’est pas là où nous sommes, ni dans les événements qui nous atteignent. Où est-elle ?… J’ai cherché. À force de chercher je me suis trouvée dans le noir. Je suis restée long temps ainsi… je pourrais dire nulle part, ayant tout perdu et n’ayant encore rien gagné. Entre ce qu’on ne veut plus et ce que l’on veut il y a le vide. Peu à peu tout s’est éclairci.
J’ai vécu à côté de la mort.
Mais j’avais le pressentiment que quelque chose d’essentiel — entrevu à New-York — m’arriverait dans ces dernières années. Je ne me trompais pas. Entre ma vie en Amérique et celle d’aujourd’hui un énorme espace s’est étalé. C’est que les années à partir de quarante à quarante-cinq ans comptent double. On a gardé ce qu’on avait et on a gagné ce que l’on n’avait pas. Le livre suit donc une évolution qui pour moi n’est pas une courbe, mais une montée mathématique. C’est pourquoi il m’a semblé plus vrai de la diviser selon ma vie en quatre parties (quatre roues) complètement différentes. La première partie est : recommencement ; la deuxième : mouvement ; la troisième : recherche ; la quatrième est de nouveau mouvement ; mais à un autre plan essentiel, où l’apparence s’immobilise.