La Métallurgie du fer et de l’acier procédé Siemens

LA MÉTALLURGIE DU FER ET DE L’ACIER
PROCÉDÉ SIEMENS.

Il y a vingt ans, la métallurgie du fer était arrivée à un degré de perfection qu’il semblait difficile de dépasser. La production de l’acier était plus en retard, ce que l’on attribuait surtout à l’ignorance dans laquelle on restait encore de la véritable composition de cette matière. Le plus fâcheux était de ne pouvoir fabriquer l’acier que par petites quantités à la fois et avec un prix de revient très élevé. Rappelons par quels traitements passait le minerai pour être transformé en fonte d’abord, puis en fer, puis en acier. Cet exposé n’aura pas d’ailleurs un intérêt purement historique, car les nouvelles méthodes sont encore loin d’avoir détrôné partout les anciennes.

Le fer se trouve généralement dans la nature sous forme d’oxyde. Quand on le chauffe au contact du charbon, cet oxyde de fer est réduit par l’oxyde de carbone qui se transforme en acide carbonique. Le fer se sépare donc ; mais le minerai est mélangé d’une gangue argileuse réfractaire qui retient les particules métalliques. Il faut transformer cette gangue en une matière plus fusible ; on y parvient en ajoutant du carbonate de chaux.

Fig. 1. — Haut fourneau.

L’opération s’effectue dans un haut fourneau (fig. 1). On verse par l’orifice du haut le gueulard B, surmonté de la cheminée A, des couches alternatives de minerai, de combustible et de carbonate de chaux que les ouvriers appellent castine. Tout cela se mélange, s’échauffe et se combine en descendant peu à peu du haut en bas de la cuve BC du haut fourneau, puis dans le ventre CD. Par l’orifice inférieur, s’écoulent en circulant dans la partie EF dite l’ouvrage, les laitiers formés d’argile et de chaux. Tout au fond du creuset G s’assemble le métal qui est passé à l’état de fonte, car la température très-élevée qu’exige la fusion des laitiers favorise la combinaison du fer et du charbon.

L’air lancé par les tuyères pour alimenter la combustion s’est d’abord transformé en acide carbonique dans la partie où le feu est le plus ardent ; puis ce gaz s’élève, rencontre de nouvelles couches de charbon et se réduit en partie à l’état d’oxyde de carbone. Aussi les gaz qui sortent par le gueulard sont-ils très-combustibles ; on peut les allumer, et ils brûlent avec une longue flamme transparente ; mais c’est de la chaleur perdue. Comme la consommation de charbon est excessive dans la métallurgie du fer, et en constitue la plus forte dépense, on s’est efforcé d’utiliser cette chaleur perdue. Tantôt on l’a employée pour échauffer l’air insufflé dans le haut fourneau ; tantôt on s’en est servi pour chauffer les chaudières qui font marcher la machine soufflante, ou bien pour faire subir au minerai un grillage préalable. Mais rien de tout cela n’a bien réussi. D’une façon ou de l’autre, on dérange l’allure du haut fourneau et on perd d’un côté ce que l’on gagne de l’autre.

La fonte que produit le haut-fourneau passe successivement dans d’autres foyers, feu de finerie et four à puddler où elle se transforme en fer malléable. Enfin on obtient l’acier, soit par le puddlage, en réduisant peu à peu des fontes de première qualité dans un foyer à flamme oxydante, soit par cémentation, en chauffant doucement le fer avec un mélange de charbon.

Telles étaient, il y a quelque vingt ans, les méthodes métallurgiques en usage. On croyait alors avoir réalisé de grands progrès, notamment par la substitution du coke, comme combustible, au charbon de bois. Au lieu des forges catalanes de l’ancien temps qui donnaient 600 à 700 kilogrammes de fer par jour, on avait des hauts fourneaux gigantesques qui fournissaient 30 à 40 tonnes de fonte en vingt-quatre heures. Le prix du fer et de la fonte s’était beaucoup abaissé, mais l’acier avait encore une valeur vénale exorbitante ; aussi n’en consommait-on guère.

L’acier puddlé ne se produisait qu’au moyen de fontes aciéreuses, provenant de certains minerais manganésifères que l’on ne trouve pas en tous pays.

Vers 1856, un ingénieur anglais, M. Bessemer, fit connaître un procédé nouveau qui devait être une révolution dans l’industrie de l’acier. M. Bessemer fait couler de la fonte dans une cornue de grande dimension, capable de recevoir jusqu’à 10 tonnes de métal, et préalablement chauffée au rouge. À travers la masse liquide, il insuffle des courants d’air à haute pression introduits par le bas de la cornue (fig. 2). L’oxygène décarbure la fonte et, dans un espace de vingt minutes, la réduit en acier de composition bien homogène. On est arrivé ainsi à fabriquer des rails d’acier à 320 francs les 1 000 kilogrammes, tandis que les rails en fer valent encore 180 francs.

Fig. 2. — Appareil de Bessemer, pour la fabrication de l’acier.
Montrant l’ouverture pour l’introduction de la fonte en fusion et les tuyères en terre réfractaire.

Il a été dit plus haut que les gaz sortant par le gueulard des hauts fourneaux entraînent avec eux beaucoup de chaleur perdue et que l’on n’a pas réussi à employer utilement cette chaleur sans déranger l’allure de la fabrication. Le même fait se produit dans toutes les industries qui consomment une grande quantité de houille. Par exemple, toutes ces hautes cheminées de chaudières à vapeur que l’on voit dans les villes industrielles lancent dans l’atmosphère des gaz chauds qui représentent du charbon brûlé en pure perte.

M. Siemens a proposé d’y remédier au moyen de son régénérateur. Cet appareil se compose de deux fours accolés, pourvus chacun d’une cheminée d’appel. Dans chacun d’eux aussi se trouvent des carneaux en briques, d’une vaste surface, à travers lesquels l’air est obligé de circuler. Par l’un d’eux, entre l’air qui alimente le foyer ; par l’autre sortent les gaz produits par la combustion. Ce dernier s’échauffe donc. Lorsqu’il a acquis une certaine température, on renverse le courant d’air au moyen de registres disposés à cet effet. L’air atmosphérique arrive alors au foyer après s’être échauffé dans le four, et, il sort du foyer en traversant le four froid auquel il abandonne sa chaleur en excès. On renverse de nouveau le courant après un temps convenable, en sorte que chaque four absorbe et rend successivement la chaleur. Il est aisé de se rendre compte qu’un foyer alimenté avec de l’air chaud consomme moins de combustible que s’il était alimenté avec de l’air froid, puisqu’on économise tout le charbon qui serait employé à donner cette chaleur initiale à l’air d’alimentation.
Fig. 3. — Appareil Siemens, pour la fabrication directe du fer et de l’acier.

On comprendra maintenant en quoi consiste le nouveau procédé métallurgique de M. Siemens pour la fabrication du fer et de l’acier : la cornue rotative et l’ensemble de l’appareil sont représentés dans la figure 3. S est l’un des deux fours accolés du régénérateur. H et H′ sont les deux cheminées, l’une pour l’entrée et l’autre pour la sortie de l’air. Contre la bouche commune aux deux fours s’appuie un creuset cylindrique R, en fer, garni intérieurement d’une couche épaisse de terre réfractaire. Ce creuset repose sur quatre galets et reçoit, par des engrenages et une manivelle M, un mouvement de rotation, lent ou rapide à volonté ; il a 2 mètres de diamètre sur 2m,70) de long.

Voici maintenant comment se conduit l’opération. On chauffe le creuset au rouge en faisant entrer le courant d’air fourni par le régénérateur ; puis, on y charge une tonne environ de minerai broyé en fragments de la grosseur d’un pois ou d’une fève, avec la quantité convenable de castine. En même temps on donne un léger mouvement de rotation. En quarante minutes, la masse est chauffée à blanc ; on y ajoute alors 250 à 300 kilogrammes de charbon et on tourne plus rapidement pour opérer le mélange. Les réactions chimiques s’opèrent comme dans un haut fourneau, mais plus rapidement et plus complètement. Le métal produit, se précipite au fond du creuset où, grâce à deux nervures circulaires indiquées sur le dessin, il se sépare en trois blocs. En deux heures de temps, l’opération est terminée. On arrête le creuset dans une position telle que l’orifice d’écoulement soit en bas, et les trois blocs de métal produits sont recueillis dans un wagon inférieur C. Il est clair que le résultat obtenu est du fer ou de l’acier, suivant que l’affinage est plus ou moins prolongé.

L’un des avantages de ce procédé est, paraît-il, de fournir un métal d’une pureté remarquable, le soufre et le phosphore que peuvent contenir les minerais étant presque absolument éliminés. Un autre avantage est de restreindre beaucoup la quantité de charbon consommée. M. Siemens prétend arriver à produire une tonne de fer avec 1 250 kilogrammes de charbon, et une tonne d’acier avec 2 tonnes de charbon, tandis que les anciennes méthodes métallurgiques exigent 3 à 4 tonnes de charbon pour une tonne de fer.

Le creuset rotatif de M. Siemens est déjà en usage dans plusieurs usines anglaises, et notamment dans les usines de la Landore Steel Company, à Sivansea, qui produit par ce moyen mille tonnes d’acier par semaine.

L’Exposition universelle de 1867 fut, on s’en souvient, un vrai triomphe pour la métallurgie du fer. Depuis lors, cette industrie n’est pas restée stationnaire ; comme on le voit, elle progresse et se perfectionne sans cesse. Il y a lieu de s’en féliciter, car il n’est guère de substances plus utiles à l’humanité que le fer et l’acier, dont les applications s’étendent et dont la consommation s’accroît, d’année en année, d’une façon prodigieuse.

Henri Blerzy.