La Météorologie nouvelle et la Prévision du temps
De même que les villes se transforment avec les années et deviennent plus commodes et plus sûres à la fois en faisant rayonner du centre aux extrémités ces admirables services qu’un ingénieux écrivain a nommés les organes des cités ; de même nous voyons le globe, notre commune demeure, devenir peu à peu plus habitable, à mesure que se nouent les vastes réseaux qui facilitent les transports, le commerce incessant des esprits et la transmission instantanée des volontés. La prédiction du temps, l’annonce des tempêtes, constitue un service international de cet ordre : le télégraphe devance l’orage qui traverse les mers et engage les navires à chercher un abri. Cette organisation ne date que d’hier et elle est encore trop incomplète, parce que les hommes se décident difficilement à faire la dépense des semailles et du labour quand la moisson est à longue échéance.
En effet, il s’agit ici d’une de ces grandes choses qui demandent un long temps d’incubation et beaucoup de sacrifices avant de donner les résultats dont elles sont capables. La météorologie est restée pendant des siècles une science sans application pratique, parce que le problème des mouvemens de l’atmosphère est un des plus complexes qu’il y ait et l’un de ceux qui exigent le concours d’une armée de collaborateurs. La persévérance des observateurs s’est souvent lassée autrefois parce qu’elle n’était soutenue par l’espoir d’aucune découverte. On avait d’abord cru qu’en accumulant les observations journalières dans un même lieu, on finirait par y démêler des périodes assez régulières pour qu’il devînt possible de fixer le retour de tel phénomène à une date éloignée. Mais en constatant que ces entassemens de chiffres restaient stériles, que les moyennes seules revenaient avec régularité, et que les perturbations ne paraissaient obéir à aucune loi, on s’est découragé et le travail a été arrêté. Il y a seulement vingt-cinq ans que l’illustre Biot, dans une mémorable séance de l’Académie des sciences, crut pouvoir prononcer une condamnation formelle des établissemens météorologiques, en affirmant que « par le manque d’un but spécial et par la nature de leur organisation, ils ne pouvaient rien produire, sinon des masses de faits disjoints, matériellement accumulés, sans aucune destination d’utilité prévue, soit pour la théorie, soit pour les applications. » Or déjà le jour était proche où la météorologie, changeant tout à coup de méthode et de procédés, devait prendre rang parmi les sciences appliquées auxquelles est réservée la sollicitude des hommes d’état.
Cette évolution ne s’est pas toutefois accomplie sans quelque lenteur ni sans lutte. C’est que, même après avoir entrevu la possibilité de la prédiction du temps, on se rendait difficilement compte de toute la portée d’une pareille innovation. On n’a pas toujours présente à l’esprit toute l’étendue de l’action destructive des météores, et l’on ne se dit pas que la grandeur des pertes pourrait justifier de fortes dépenses pour les études qui nous fourniront le moyen de lutter contre les fléaux. Quand les journaux annoncent un désastre, — incendie, inondation, naufrage, — tout de suite il y a un magnifique élan de la charité publique, l’argent afflue de tous côtés. Mais, dans ces cas, l’imagination est frappée, elle vous représente vivement les souffrances qu’il s’agit de soulager, et l’urgence des secours ne laisse pas le temps à la réflexion de contrecarrer le premier, le bon mouvement. Au contraire, lorsqu’il s’agit de dangers lointains, l’appel ne s’adresse plus au sentiment, mais à la froide raison ; la lutte contre un péril abstrait n’a rien qui passionne, et l’incertitude du succès refroidit le zèle de ceux qui disposent des destinées de la science.
Pour la France seulement, les pertes causées chaque année à la fortune publique par le feu, la grêle, la gelée, les orages et les inondations, les épizooties, varient de 200 à 400 millions de francs. Les pertes résultant de la mortalité du bétail et celles qui sont occasionnées par les incendies se reproduisent avec une certaine régularité ; on les évalue, en moyenne, à environ 30 millions et 40 millions par an. Au contraire, l’action destructive des météores se manifeste d’une manière assez capricieuse : de 1873 à 1877, le chiffre des pertes attribuées à la grêle varie de 47 à 152 millions ; la part de la gelée varie de 15 à 247 millions, celle des inondations de 6 à 150 millions. Ces chiffres donneront au moins une idée de l’importance relative des fléaux[1]. Pour la même période, le chiffre moyen des naufrages et accidens de mer est de 280 par an, et, une fois sur deux, il s’agit de navires perdus ; je pense qu’on ne sera pas loin de la vérité en évaluant le dommage matériel à 20 ou 30 millions. Pour l’ensemble de toutes les marines, le chiffre des pertes est environ dix fois plus fort, et l’on peut dire qu’en moyenne il se perd chaque année 1 ou 2 navires sur 100. En méditant ces chiffres, on comprendra sans peine que les avertissemens météorologiques destinés aux ports et à l’agriculture, s’ils contribuent tant soit peu à diminuer le nombre des sinistres, constituent assurément un service des plus importans.
Les affaires humaines sont tellement subordonnées aux caprices du temps que l’idée de demander à la science le moyen de les prévoir a dû se présenter de bonne heure aux esprits pratiques. Et, de fait, les notes laissées par Lavoisier et qui ont été récemment publiées, prouvent que ce grand esprit, aux vues lointaines, s’était déjà sérieusement préoccupé de l’organisation d’un système d’observations simultanées qui devaient conduire à la solution du problème. Lavoisier commence par rappeler une tentative qui avait été faite par Borda et qui constitue le premier essai de météorologie comparée : il avait fait observer pendant quinze jours, aux mêmes heures, des baromètres placés aux extrémités de la France, et la discussion des observations l’avait amené à soupçonner l’existence d’une corrélation entre la force, la direction des vents et les variations du baromètre notées dans un grand nombre de lieux éloignés les uns des autres. Frappé de l’importance des résultats qu’on pourrait obtenir en suivant le même plan, Borda proposa à quelques membres de l’Académie d’entreprendre en commun un travail plus étendu sur le même objet. Le premier point était d’établir, en un grand nombre de stations du globe, des baromètres exacts et comparables entre eux ; il y eut à ce sujet plusieurs conférences auxquelles assistèrent, avec Lavoisier, le chevalier d’Arcy, Vandemonde, Laplace, Montigny et d’autres académiciens. Un certain nombre de baromètres furent même distribués, et « quand on en a lu la description, dit M. Dumas, l’éditeur des Œuvres de Lavoisier, il n’est pas difficile de s’assurer que quelques châteaux possédaient encore, il y a peu d’années, des instrumens donnés par lui à cette occasion. »
En 1852, les fondateurs de la Société météorologique de France disaient, dans la circulaire qu’ils adressaient aux physiciens : « Avant peu, l’Europe entière sera sillonnée de fils métalliques qui feront disparaître les distances et permettront de signaler, à mesure qu’ils se produiront, les phénomènes atmosphériques et d’en prévoir les conséquences les plus éloignées. » Cinq ans auparavant, dans un Mémoire inséré au Journal américain des sciences et des arts, Redfield avait proposé l’application du télégraphe électrique à l’étude de la propagation des tempêtes : il paraît même qu’à partir de 1850, des essais pratiques ont été faits aux États-Unis dans cette direction ; la guerre de sécession, par malheur, arrêta ces tentatives. On voit que l’idée de cette nouvelle application du télégraphe était dans l’air ; mais il fallut un gros événement pour qu’elle devînt une réalité.
Cet événement, ce fut l’ouragan qui, le 14 novembre 1854, assaillit les flottes alliées dans la Mer-Noire et causa la perte du vaisseau le Henri IV. On constata que, le même jour, ou à un jour d’intervalle, des coups de vent avaient éclaté dans l’ouest de l’Europe, sur l’Autriche, sur l’Algérie, et il parut évident que la tempête s’était propagée de proche en proche sur une vaste étendue. Invité par le maréchal Vaillant à faire une enquête sur les circonstances du phénomène, M. Le Verrier adressa une circulaire aux météorologistes de tous les pays, les priant de lui transmettre les renseignemens qu’ils auraient pu recueillir sur l’état de l’atmosphère pendant les journées du 12 au 16 novembre. En réponse à cette circulaire, on reçut plus de deux cent cinquante documens, dont la discussion montra que la tempête avait traversé l’Europe du nord-ouest au sud-est, et que, s’il y avait eu un télégraphe entre Vienne et la Crimée, nos flottes auraient pu être averties à temps de l’arrivée de l’ouragan.
Le 16 février 1855v M. Le Verrier soumit à l’empereur le projet d’un vaste réseau météorologique qui devait fournir les élémens d’un service régulier d’avertissemens maritimes, et trois jours après, le 19, il put déjà présenter à l’Académie des sciences une carte de l’état atmosphérique de la France d’après les observations reçues le même jour, à dix heures du matin[2]. L’organisation du réseau français était à peu près terminée en 1856 ; treize stations adressaient chaque jour un télégramme météorologique à l’Observatoire de Paris, onze autres expédiaient leurs observations par la poste. Bientôt aussi les pays voisins commencèrent à contribuer à ces envois réguliers. Vers la fin de l’année 1857, on décida d’insérer ces documens dans le Bulletin international, publication qui devint quotidienne à partir du 1er janvier 1858 et qui paraît régulièrement depuis cette époque.
Ces trois années marqueront dans l’histoire de la météorologie. Quelles qu’aient été les premières origines et la filiation des idées qui ont pris corps à cette époque, il faut convenir que c’est Le Verrier qui a vraiment fondé la météorologie télégraphique. Il a fallu sa rare énergie et l’indiscutable autorité de sa parole pour vaincre les préjugés, l’indifférence, l’inertie, tous ces obstacles sans nombre que toute innovation rencontre sur son chemin. Il a retracé lui-même l’histoire de ses efforts et de ses luttes dans un écrit qui n’a reçu qu’une publicité très restreinte, mais dont nous trouvons de nombreux extraits dans une intéressante étude de M. Brault, intitulée : Le Verrier météorologiste[3]. On l’y voit, au milieu d’entraves et d’ennuis de toute sorte, avançant à pas lents. « Je n’avais songé, dit-il, qu’aux difficultés inhérentes à la question scientifique, sans prévoir les embarras de toute nature et les obstacles qu’on nous a sans cesse opposés et contre lesquels aujourd’hui encore il nous faut lutter chaque jour. » Et il ajoute « qu’en disant ces choses, son but est de faire comprendre, à ceux qui ne s’en doutent guère et qui ne voient que les résultats d’une organisation, de combien d’entraves les ennemis de tout progrès ont toujours soin de l’entourer et à quel prix on peut espérer en triompher. » Peut-être bien que l’humeur acariâtre et les façons impérieuses de l’illustre astronome n’ont pas toujours été étrangères aux complications où il se débattait ; cependant les résistances passives qui usent les forces des inventeurs sont un phénomène trop ordinaire pour qu’il y ait lieu de s’étonner de ses plaintes.
Le Verrier affirme que, dès l’année 1857, il avait proposé au ministre de la marine de se servir du réseau météorologique établi pour suivre les tempêtes à la surface de l’Europe et prévenir les ports de l’approche du fléau ; diverses causes, et surtout les hésitations qu’il rencontra au sein d’une commission nommée pour s’occuper de cette affaire, retardèrent, nous dit-il, la mise à exécution de son projet. Les première essais d’avertissement des ports eurent lieu en 1860. En 1857, les stations étrangères qui envoyaient des informations à l’Observatoire de Paris n’étaient encore qu’au nombre de cinq (Bruxelles, Genève, Madrid, Rome, Turin) ; mais le réseau dont elles formaient les premières mailles s’étendit rapidement et couvrit bientôt toute l’Europe. Les documens qui s’accumulaient ainsi étaient soumis à une discussion de plus en plus approfondie, surtout depuis que le service météorologique avait été confié à M. Marié-Davy, et dans le Bulletin du 23 novembre 1863 on trouva pour la première fois une carte synoptique de l’état de l’atmosphère à la surface de l’Europe. Les « cartes du temps » sont aujourd’hui familières à tout le monde. Ce qui s’y voit de plus caractéristique, ce sont les courbes appelées isobares ou lignes d’égale pression : elles réunissent les points où le baromètre atteint le même niveau. Des flèches empennées y indiquent la direction et la force des vents ; on y inscrit aussi la température, et des signes de convention représentent l’état du ciel aux diverses stations. C’est par l’étude de ces cartes qu’on arrive, ainsi que nous l’expliquerons, à prévoir les perturbations qui menacent nos côtes.
En Angleterre, les premiers essais d’avertissement ont été faits en 1861. Déjà, à la réunion de l’Association britannique pour l’avancement des sciences à Aberdeen, en 1859, une résolution avait été adoptée en faveur de l’organisation d’un service de cette nature. Un mois plus tard, la perte du Royal Charter, sur la côte d’Anglesey, vint fournir un puissant argument aux partisans du service projeté. Au commencement de l’année 1862, le système des avertissemens, tel qu’il avait été conçu par l’amiral Fitzroy, se trouvait définitivement établi. Le succès ne répondit pas d’abord à l’attente du public ; c’est que les avis étaient formulés d’une manière trop vague. L’amiral, lorsqu’il signalait une tempête, entendait qu’elle pouvait arriver pendant les soixante-douze heures suivantes ; les signaux, arborés le matin, étaient amenés le soir, mais l’avertissement devait compter pour trois jours, et si, dans l’intervalle, la situation s’améliorait, il n’y avait pas moyen d’annoncer ce revirement aux marins qui avaient été inquiétés par une fausse alerte. Après la mort de l’amiral Fitzroy, survenue en 1865, son successeur, M. Robert H. Scott, a réorganisé le service météorologique sur un plan plus rationnel. On n’annonce plus que les tempêtes complètement déclarées, et les signaux ne sont amenés que lorsque tout danger a disparu. Aussi le succès des avertissemens est-il devenu plus satisfaisant.
Comme les bourrasques se transportent en général de l’ouest à l’est, il est clair que les pays qui forment la rive orientale de l’Atlantique, — les Iles-Britanniques, la France, le Portugal, — sont beaucoup plus exposés que le reste de l’Europe à être surpris par les gros temps. Une des conséquences de cette situation, c’est que les avertissemens que le Meteorological Office de Londres peut envoyer à Hambourg, par exemple, sont en général plus sûrs que ceux qu’il expédie aux côtes anglaises. Au contraire, la côte atlantique des États-Unis est admirablement située pour être avertie à temps de l’approche d’un danger qui vient de l’ouest, car les dépêches que reçoit le Bureau central de Washington permettent souvent de suivre un tourbillon, pour ainsi dire, d’étape en étape pendant sept ou huit jours avant le moment où la côte peut être menacée. Aussi n’a-t-on pas hésité, aux États-Unis, à donner à la télégraphie météorologique un développement en rapport avec les services qu’elle est appelée à rendre. La subvention que le gouvernement accorde au Signal Service s’élève à 1,200,000 francs par an, tandis que les fonds dont dispose le Meteorological Office de Londres ne dépassent pas (ou du moins ne dépassaient pas il y a quelques années) 250,000 francs.
Le Signal Service, qui a été organisé par le général Albert Myer, dépend du ministère de la guerre ; il est confié au corps des officiers et soldats de la télégraphié militaire. Le nombre des stations disséminées sur le vaste territoire de l’Union est de plus de cent, auxquelles s’ajoutent les dix-sept stations du Canada ; les observations sont envoyées à Washington trois fois par jour. « Le réseau a été si bien combiné, nous disent les auteurs d’une intéressante monographie[4], qu’environ une heure après le moment où l’observation a été faite, une station quelconque connaît les données de toutes les autres. L’observatoire central les résume au moyen de courbes en une carte du temps qui est rapidement décalquée et envoyée dans les ports et les centres de population où leur connaissance peut être utile. Les probabilités qui résultent de l’observation de onze heures du soir arrivent à temps pour être publiées pour tout le pays dans les journaux du matin et affichées dans les plus petites villes avant dix heures du matin. » Les pronostics sont toujours accompagnés d’un résumé des caractères principaux du temps et de quelques indications propres à initiée le public à l’esprit de la méthode par laquelle on arrive à ces résultats. C’est le meilleur moyen d’intéresser la foule à ces travaux et de former des adeptes. Chaque année, le Signal Service publie, en outre, un rapport d’ensemble sur les phénomènes météorologiques de l’année, où l’on trouve notamment de précieux détails concernant les trombes, tornades et cyclones.
Pendant que la télégraphie météorologique se développait ainsi en Angleterre, en Amérique, en Hollande, où M. Buys-Ballot organisait à son tour un réseau ayant Utrecht pour centre, elle ne restait point stationnaire en France. Le Verrier avait compris de bonne heure l’utilité des dépêches quotidiennes au double point de vue de la sécurité des marins et de l’étude suivie des phénomènes. Peu de temps après qu’il eut repris la direction de l’Observatoire, dont il était resté éloigné pendant quelques années, il obtint même que la dépêche détaillée de midi fût complétée par une seconde dépêche expédiée vers sept heures du soir, qui devait être particulièrement utile aux bateaux pêcheurs. — On sait que les sémaphores dont nos côtes sont garnies ont des signaux qu’ils doivent hisser à leurs mâts suivant la teneur des dépêches. Un cylindre noir qui reste en vue pendant vingt-quatre heures avertit les marins de l’approche d’une tempête. Un temps douteux au large est indiqué par un pavillon ; le mauvais temps, la mer grosse et une baisse marquée du baromètre, par un guidon ; une flamme annonce que le temps s’améliore. En outre, on affiche dans les ports la carte synoptique du Bulletin international.
C’est en 1876 qu’une nouvelle extension fut donnée au service météorologique en vue de son application aux besoins de l’agriculture. On conçoit que les avertissemens destinés à nos campagnes diffèrent beaucoup de ceux que réclament les populations maritimes. Tandis que les marins ont surtout besoin de connaître la force et la direction du vent, les agriculteurs ont intérêt à être prévenus de l’arrivée des orages et de la chute des pluies. « Le service agricole, disait une circulaire de Le Verrier, ne peut pas consister en des avis absolus envoyés par l’Observatoire de Paris ; il est indispensable que les avertissemens généraux qui sont expédiés aux chefs-lieux des départemens y soient commentés par les commissions météorologiques, en tenant compte des circonstances locales et d’une étude attentive, particulière aux différentes contrées. » Cette étude doit porter plus spécialement sur la marche des orages, la fréquence des grêles, les gelées tardives de printemps, les inondations, etc. Les premiers avertissemens agricoles furent transmis, en 1876, à titre d’essai, dans trois départemens seulement : le Puy-de-Dôme, l’Allier et la Vienne. Les résultats obtenus dans cette première campagne furent assez encourageans pour qu’on s’empressât de généraliser la mesure, et, à l’heure qu’il est, le service fonctionne dans tous les départemens.
La centralisation, à l’Observatoire de Paris, du service qui prenait peu à peu d’aussi vastes proportions avait cependant ses inconvéniens qui frappaient tous les yeux, et se conciliait mal avec les devoirs multiples imposés aux fonctionnaires de cet établissement, C’est sans doute cette considération qui a motivé, en 1871, la création d’un observatoire météorologique indépendant à Montsouris, dont la direction rat d’abord confiée à une commission présidée par M. Charles Sainte-Claire-Deville. Au mois de juin 1872, l’établissement de Montsouris fut rattaché à l’Observatoire de Paris et chargé, pendant quelques mois, du service international des avis météorologiques, qui ne tarda pas à faire retour à l’Observatoire national, aussitôt que Le Verrier en eut repris la direction (février 1873). Après sa mort (1877), la nécessité de détacher le service météorologique de l’Observatoire de Paris fut comprise par tous les hommes au courant de ces questions, et le décret du là mai 1878 donna satisfaction à un vœu souvent formulé, en créant le « Bureau central météorologique ; » Placé sous la direction d’un homme éminent que de beaux travaux sur diverses questions d’optique et d’électricité ont depuis longtemps mis au premier rang de nos physiciens, le Bureau central n’a pas tardé à imprimer à la météorologie pratique une vigoureuse impulsion. Il reçoit chaque jour les observations de cent vingt stations disséminées à la surface de l’Europe et de l’Afrique, depuis Bodö, au nord de la Norvège, jusqu’à Laghouat, au sud de l’Algérie, et depuis Moscou jusqu’à la Corogne ; le câble qui relie le Brésil à l’Europe a permis d’étendre le réseau jusqu’à l’Ile Madère.
Les dépêches comprennent les observations faites le matin à sept heures et la veille à six heures du soir, concernant la pression atmosphérique, la température, l’humidité, la direction et la force du vent, l’état du ciel, les températures minimum du matin et maximum de la veille, ainsi que la quantité d’eau tombée et, pour les stations maritimes, l’état de la mer. L’ensemble de ces observations est publié chaque jour dans le Bulletin international du Bureau central météorologique de France sous forme de tableaux numériques et de cartes où sont figurées : 1o les isobares ou courbes d’égale pression échelonnées de 5 millimètres en 5 millimètres ; 2o les courbes qui réunissent les points où la variation de pression depuis la veille est la même ; 3o les isothermes, ou courbes d’égale température, tracées de 5 en 5 degrés. Des flèches pennées et d’autres signes particuliers indiquent sur ces cartes l’état du ciel, la direction et la force du veut, l’état d’agitation de la mer, les pluies, les chutes de neige, les orages. C’est par l’interprétation de ces hiéroglyphes qu’on parvient à formuler les prévisions que le Bureau central adresse chaque jour, à midi, à tous les ports français, au nombre de quatre-vingt-cinq. En même temps, d’autres avertissemens concernant les probabilités de pluie, de neige, d’orages, de gelées blanches, etc., sont expédiés aux communes qui ont souscrit un abonnement annuel, et pendant les six mois d’été à celles qui se contentent d’un abonnement semi-annuel. La discussion d’une seconde série de télégrammes que les stations françaises transmettent au Bureau central à deux heures du soir et auxquels s’ajoutent deux dépêches d’Irlande, permet de vérifier et de rectifier au besoin l’avertissement du matin expédié aux ports. Le Bulletin est distribué le soir même aux abonnés de Paris et expédié dans les départemens par les courriers du soir.
Depuis un certain nombre d’années, des journaux politiques (le Temps entre autres) ont pris l’habitude de donner à leurs lecteurs une réduction des cartes du Bulletin international, accompagnée d’un commentaire où sont discutées les probabilités du lendemain. Parmi les journaux de Londres, le Times, le Daily News, le Daily Télégraphe publient également, soit une carte des isobares, soit un diagramme des variations du baromètre. Ce sont là de bonnes habitudes qui familiarisent le grand public avec le mécanisme des prévisions méthodiques et le mettent à même de se rendre compte des progrès réalisés lentement, mais sûrement.
Le Bureau central météorologique a dans ses attributions l’étude des grands mouvemens de l’atmosphère, les avertissemens aux ports et à l’agriculture, l’organisation des observatoires météorologiques et des commissions régionales ou départementales, la publication de leurs travaux et l’ensemble des recherches de climatologie. Il est assisté d’un conseil composé de représentans des divers ministères et de l’Académie des sciences et qui doit se réunir une fois par trimestre pour donner son avis sur les dépenses projetées et sur les études à poursuivre dans les divers établissemens qui ressortissent au Bureau central. Le concours empressé qu’il rencontre auprès des hommes de bonne volonté, dont les commissions départementales ont pour but de grouper les efforts, devient de jour en jour plus précieux. Leurs travaux concernent la marche des orages, de la grêle, la distribution des pluies ; les cartes partielles d’orages et de pluies qu’ils adressent au Bureau central sont utilisées pour la construction des cartes générales. Une circulaire du ministre de l’instruction, publique recommande encore à leur attention diverses questions qui touchent à l’agriculture et à l’hygiène : le régime des cours d’eau, le développement des productions du sol, l’apparition des feuilles et des fleurs et la maturation des fruits sur les arbres des forêts et sur les espèces les plus communes, l’arrivée et le départ des oiseaux de passage, le développement des insectes nuisibles, les gelées de printemps, les endémies, etc. M. Mascart s’est ensuite attaché à réorganiser les observations dans les écoles normales et à compléter leur matériel. Enfin le concours de la marine a été assuré au Bureau central par un arrêté qui rend réglementaires à bord des navires de l’état deux observations simultanées, c’est-à-dire correspondant partout au même instant physique, dont la première doit être faite à midi 53 minutes du temps moyen de Paris, et la seconde six heures plus tard. La plupart des compagnies de paquebots ont déjà recommandé les mêmes observations aux capitaines de leurs navires, et un grand nombre de stations continentales font également au moins l’une de ces deux observations.
Les publications du Bureau central météorologique, en dehors du Bulletin quotidien, forment déjà une imposante collection de volumes qui renferment des mémoires, des tableaux numériques, et de nombreuses planches. Elles continuent les belles publications que l’Observatoire de Paris avait entreprises avec le concours de l’Association scientifique de France. Désireux d’agrandir le champ de ses informations, Le Verrier avait demandé que les registres météorologiques tenus en mer, conformément aux conclusions de la conférence internationale de Bruxelles, fussent envoyés à l’Observatoire de Paris pour servir de base à une étude plus approfondie des tempêtes qui traversent l’Atlantique. Les documens affluèrent, et bientôt M. Marié-Davy put commencer, avec M. Sonrel, la construction d’une série de cartes synoptiques allant des côtes de l’Amérique à l’Europe et jusqu’aux monts Ourals. Ce grand travail, continué pendant quelque temps par M. Baille, a fourni les élémens de l’Atlas des mouvemens généraux de l’atmosphère, qui comprend six mois de l’année 1864 et toute l’année 1865. Abandonnée en France, cette publication a été d’abord reprise partiellement par M. Mohn, à Christiania, puis, sur une échelle plus restreinte, par le capitaine Hoffmeyer, directeur de l’observatoire météorologique de Copenhague. Les documens recueillis et discutés par les administrations départementales ont permis de publier ensuite l’Atlas des orages de l’année 1865, et une série d’Atlas météorologiques, comprenant une période de dix années (1866-1876). Les Annales du Bureau central météorologique de France, qui forment la suite de ces publications, renferment l’ensemble des observations françaises, des rapports détaillés sur les orages de chaque année, des revues climatologiques mensuelles et des mémoires concernant diverses questions spéciales, dus aux chefs de service (MM. Fron, Angot, L. Teisserenc de Bort) et à d’autres collaborateurs autorisés. En parcourant ces travaux, on peut se convaincre que les bases sur lesquelles repose la prévision du temps deviennent chaque jour plus larges et plus solides.
Si l’on songe à toutes les causes qui troublent sans cesse l’équilibre de l’atmosphère, on ne pourra s’étonner de l’inconstance de ses mouvemens, et l’on sera tenté de se demander si ce n’est pas poursuivre une chimère que de chercher à en découvrir les lois. Et pourtant, au milieu de cette apparente complication, un certain nombre de faits connus et bien constatés se présentent comme des repères où pourront s’appuyer les recherches, et nous prouvent que la règle n’est pas absente de ces luttes confuses des élémens. Les vents alizés, ces vents d’est dont le souffle persistant causa tant d’effroi aux compagnons de Christophe Colomb, inquiets de leur retour, voilà déjà un de ces phénomènes où se trahit le jeu régulier d’un enchaînement de causes et d’effets abordable au calcul. Ajoutons-y les contre-alizés, qui soufflent en sens contraire dans les hautes régions de l’atmosphère, comme le prouve le mouvement des nuages et comme l’ont constaté directement les voyageurs qui ont fait l’ascension du pic de Ténériffe, — et nous ne pourrons plus douter de l’existence d’une circulation des vents, assujettie à des lois simples que nous finirons par connaître un jour complètement.
Il y a deux siècles que Halley a indiqué les causes générales de cette circulation atmosphérique : d’une part, l’action de la chaleur solaire qui, en dilatant l’air des tropiques, provoque un échange continuel entre l’équateur et les pôles ; de l’autre, la rotation de la terre, qui fait dériver vers l’ouest les courans qui vont des pôles à l’équateur, et vers l’est les courans de retour. Cette déviation des vents, que l’on peut considérer comme une preuve tangible de la rotation de la terre, est la conséquence de l’inégalité des vitesses absolues des différens parallèles : un point situé sous l’équateur est emporté dans la direction de l’est avec une vitesse de 1,660 kilomètres à l’heure, tandis qu’à la latitude de 60 degrés (latitude de Saint-Pétersbourg) la vitesse de rotation n’est que de 830 kilomètres, et il en résulte que l’air qui arrive des hautes latitudes, animé d’une vitesse de rotation relativement faible, reste en arrière et dérive vers l’ouest, tandis que celui qui reflue de l’équateur vers les cercles polaires est toujours en avance sur les parallèles qu’il traverse et dérive vers l’est. C’est ainsi que naissent les alizés, vents du nord-est pour notre hémisphère et venus de sud-est pour l’hémisphère opposé, et souvent même vents d’est dans le voisinage de la zone des calmes qui les sépare. C’est encore ainsi que s’expliquent les contre-alizés, — vents de sud-ouest et de nord-ouest, — qui, descendus des hautes régions de l’atmosphère, soufflent à la surface du sol dans les latitudes tempérées.
Mais comment se forment, sous l’influence du soleil tropical, ces deux systèmes de courans superposés ? La théorie qui a cours depuis Halley veut que la zone équatoriale, chauffée par les rayons solaires, joue le rôle d’un vaste foyer d’appel où s’élèvent incessamment des colonnes d’air raréfié qui se déverse ensuite au sud et au nord. C’est ainsi que le tirage qui s’établit dans une cheminée entraîne de bas en haut les masses d’air qui viennent s’y engouffrer. On sait aussi qu’en ouvrant une porte qui sépare une chambre chauffée d’une chambre froide, on détermine deux courans opposés, car, en bas, la flamme d’une bougie est entraînée vers la pièce chaude et en haut vers la pièce froide. On peut donc faire tous les jours une expérience qui réalise en petit le phénomène des courans contraires, et les physiciens s’en sont tenus à cette démonstration, qui semble sans réplique ; mais pourquoi n’a-t-on jamais constaté sous les tropiques ce mouvement ascensionnel de l’air dont on parle toujours comme d’un fait avéré ? Un météorologiste distingué, M. Tarry, a proposé d’étudier les courans ascendans à l’aide de girouettes d’une forme spéciale, semblables aux banderoles qui sont placées au haut des mâts ; M. Faye a fait observer à ce propos que les flammes d’ordre ou d’armement de nos navires auraient déjà fait reconnaître cent fois de tels courans s’ils existaient.
Il y a là évidemment une difficulté à laquelle se heurte la théorie du tirage équatorial, et, en attendant que l’existence des courans ascendans soit démontrée par l’observation, il me paraît plus rationnel d’admettre avec M. Faye que les vents permanens sont dus au soulèvement des couches supérieures, qui est la conséquence immédiate de la dilatation des couches voisines du sol, gonflées par la chaleur. L’équilibre, troublé par cet exhaussement local des couches de niveau, tend à se rétablir par l’écoulement de l’air vers les régions plus froides ; mais, ces régions ayant reçu en surcharge la masse d’air dont la région centrale se trouve allégée, leurs couches inférieures tendront à prendre un mouvement inverse, et il en résultera des courans dirigés vers l’équateur. C’est pour la même raison, comme l’a fait remarquer M. L. Teisserenc de Bort, que souvent le baromètre tombe en même temps que la température s’élève, et alors le vent marche du lieu le plus froid vers le lieu le plus chaud. Ce phénomène est très apparent dans le régime des vents particulier à l’Espagne.
Quoi qu’il en soit d’ailleurs de ces explications théoriques, les courans permanens qui forment les alizés et les contre-alizés existent. Ils ne sont pas tout à fait aussi réguliers que le veut la théorie un peu sommaire que nous venons de rappeler : leurs allures sont modifiées par des circonstances locales, surtout dans le voisinage des côtes, et la zone des calmes équatoriaux qui les sépare se déplace et oscille avec les saisons. Enfin il est clair qu’on ne peut concevoir un échange régulier d’air entre l’immense région intertropicale et les parallèles de plus en plus rétrécis des hautes latitudes ; les deux circuits principaux doivent être renfermés dans une zone limitée par des latitudes moyennes où les courans supérieurs, les contre-alizés, se rapprochent du sol. Il est difficile de se faire une idée nette de la manière dont s’opère cette inversion, cette descente des courans supérieurs de retour, qui sont pour nous des vents de sud-ouest, et les traités de météorologie ne donnent à ce sujet que des explications embarrassées et confuses. Une complication nouvelle naît du renversement périodique des vents réguliers qui constitue les moussons de l’Océan indien et de quelques autres régions du globe.
Ne serait-il pas possible de mieux coordonner tant de faits épars et d’en tirer une théorie générale des grands mouvemens de l’atmosphère qui, du même coup, fît entrevoir l’explication de ces accidens que nous appelons tempêtes ? C’est le problème qu’a tenté de résoudre M. de Tastes dans une remarquable étude sur la Théorie de la circulation atmosphérique, que l’on trouve dans le livre des Annales du Bureau central météorologique (année 1879). Pour M. de Tastes, les mouvemens verticaux qui ont lieu dans la mince enveloppe aérienne du globe peuvent être négligés, et il suffit de considérer les mouvemens tangentiels à la surface, qui n’ont d’autre cause que l’inégale densité de l’air froid du pôle, et de l’air chaud des tropiques, d’où résulte une tendance au mélange. Si la surface terrestre était homogène, il n’y aurait aucune raison pour que les courans par. lesquels s’accomplirait le mélange s’établissent suivant des méridiens déterminés : ils s’entre-croiseraient dans une extrême confusion, comme nous voyons les filets ascendans et les filets descendans se croiser dans un liquide chauffé par le bas. Mais la nature particulière des surfaces que ces courans effleurent détermine des lignes d’élection que les courans directs et les courans de retour sont forcés de suivre, et il se forme ainsi un certain nombre de circuits fermés, analogues aux courans marins, avec lesquels ils coïncident en partie. C’est la distribution des terres et des mers qui règle cette circulation complexe des eaux et des vents.
Quelle que soit la cause qui, à l’origine, ait fait naître le gulf-stream, ce fleuve aux rives liquides existe, et la configuration même du bassin de l’Atlantique lui trace le lit où il coule aujourd’hui. L’air qui repose sur ces eaux tièdes, échauffé par leur contact, forme une longue traînée de gaz chauds et dilatés qui, pour ainsi dire, sert d’amorce au mouvement de translation de l’air dilaté des tropiques vers les régions polaires, et constitue un véritable gulf-stream aérien. « Or, celui-ci n’étant pas arrêté, dit M. de Tastes, comme son congénère liquide, par la barrière des continens, après avoir abordé nos côtes occidentales, continue sa marche vers l’est à travers le nord de l’Europe, où il condense sous forme de pluie ou de neige les vapeurs dont il est saturé et qui sont comme son certificat d’origine, entretient l’abondance des eaux dans les innombrables lacs de la Suède, de la Finlande et de la Russie septentrionale, et amorce à son tour les courans de retour des régions polaires vers l’équateur ; il revient vers le sud, à travers l’Europe orientale, sous la forme d’un vent sec et froid qui imprime à ces régions leurs caractères météorologiques dominans. » À mesure qu’il se rapproche de l’équateur, il se réchauffe, et devenu vent de nord-est dans l’Afrique tropicale, il contribue à la stérilité des déserts qu’il traverse. Il reparaît enfin sur la côte occidentale de l’Afrique et complète ainsi un vaste circuit, délimitant une aire centrale où règne un calme relatif et qui n’est pas sans analogie avec la « mer de Sargasses » de l’Atlantique. Cette conception d’un fleuve aérien presque circulaire qui suit en partie le cours du gulf-stream, s’accorde assez bien avec ce que nous savons du régime des vents dans notre hémisphère. Elle semble également propre à expliquer toutes les allures des bourrasques qui nous atteignent. En effet, sur la rive gauche de ce fleuve, qui est la rive concave, où le courant a le plus de vitesse, il doit se produire des tourbillons analogues à ceux que nous observons dans les eaux courantes quand la nature des terrains les force à décrire une courbe. Dans ces tourbillons, l’eau tourne avec rapidité comme tournerait une roue horizontale assujettie à rouler sur la rive dans la direction du courant ; pour la rive gauche de notre fleuve aérien, le sens de cette rotation serait inverse de celui des aiguilles d’une montre, et c’est là précisément le sens de la rotation des tempêtes qui traversent l’Atlantique ou notre continent en suivant des routes dirigées d’un point compris entre le sud-ouest et le nord-ouest vers un point compris entre le nord-est et le sud-est. Le fleuve circulaire de M. de Tastes, cet anneau formé par l’alizé et le contre-alizé de l’hémisphère nord, peut donc aussi rendre compte de l’origine des bourrasques et des ouragans. Toutes les vicissitudes de nos climats dépendent des oscillations qui déplacent le lit de ce fleuve, et c’est par l’observation attentive de ces fluctuations que l’on parviendra sans doute à prévoir le caractère des saisons.
Le bassin du Pacifique nord renferme un circuit analogue, mais plus vaste et moins bien dessiné que celui de l’Atlantique. Amorcé par le kuro-siwo (courant noir) des côtes du Japon, le fleuve aérien suit la courbe formée par les Kouriles, les Aléoutiennes et la presqu’île d’Aliaska, côtoie l’Orégon et la Californie, alimente de ses vapeurs condensées les grands lacs de l’Amérique du Nord, redescend à travers la vallée du Mississipi vers le golfe du Mexique, où il produit ces norte si connus des marins, et reparaissant sur le Pacifique sous le nom d’alizé, va rejoindre le courant équatorial qui complète le circuit. En suivant ce tracé sur une carte, on remarquera que la branche descendante du circuit du Pacifique est assez voisine de la branche montante du circuit atlantique ; elles sont exposées, dans leurs fluctuations, à se mettre en contact et à réaliser les circonstances favorables à la formation des tornades et des cyclones, si fréquens dans ces parages. Là évidemment est la source des tempêtes qui désolent les régions tempérées. Dans l’hémisphère austral, M. de Tastes retrouve deux circuits analogues, qui sont comme les contre-parties des deux grands circuits de l’hémisphère boréal, mais dont les contours ont moins d’ampleur. Remarquons maintenant que, dans les branches équatoriales de tous ces circuits, le courant marche toujours de l’est à l’ouest, pour se diriger ensuite vers les pôles ; il s’ensuit que la circulation générale a lieu en sens inverse dans les deux hémisphères. On s’explique ainsi pourquoi le sens du mouvement giratoire des tourbillons qui parcourent ces fleuves aériens, invariable pour chaque hémisphère, n’est pas le même au nord et au sud de l’équateur. Sur l’hémisphère sud, les cyclones tournent toujours de gauche à droite, comme les aiguilles d’une montre, et sur l’hémisphère nord de droite à gauche. C’est bien le sens que la théorie assigne à la rotation de tourbillons qui se forment dans les conditions indiquées.
Dans la partie sud de la mer des Indes, on constate encore des traces de courans analogues ; mais la configuration de l’hémisphère austral, où domine l’élément liquide, empêche les circuits de s’accuser aussi nettement que sur l’hémisphère boréal. Il semble que des dérivations issues de ces circuits se confondent sur la mer libre qui fait le tour du continent antarctique et y produisent un courant continu dans le sens même de la rotation du globe. Pour compléter cette esquisse, il nous reste à parler de l’Asie ; cet immense continent est soumis à un régime tout spécial : au sud, les moussons ; au nord, le type achevé du climat excessif, presque entièrement soustrait à l’action modératrice des vents marins. Enfin le pôle nord est le centre d’une région à part où l’air n’est animé d’aucun mouvement de sens constant, sorte de banquise aérienne, incessamment entamée par les assauts que lui livrent les ondes des deux grands circuits qui la côtoient. Les cartes du Bulletin international et celles que publie le Signal Office montrent d’ailleurs que ces deux courans se bifurquent assez fréquemment devant les promontoires formés par les aires de hautes pressions de l’Asie et de l’Amérique septentrionale, et que les branches dérivées qui atteignent les côtes sibériennes et le Haut-Canada constituent un courant continu marchant de l’ouest à l’est, comme celui des mers australes.
Cette nouvelle théorie de la circulation atmosphérique, que je viens de résumer brièvement, semble s’adapter mieux qu’aucune autre aux faits observés. Comme le fait remarquer M. de Tastes lui-même, elle laisse entièrement de côté les mouvemens secondaires dus à des circonstances locales, comme les brises de terre et de mer qui règnent dans le voisinage des côtes, des vents particuliers aux pays de montagnes, etc. Elle ne tient nul compte non plus des courans ascendans ou descendans, qui jouent un si grand rôle dans la théorie ordinaire fondée sur l’hypothèse des centres d’aspiration. Mais il ne serait probablement pas très difficile de la compléter de manière à y faire rentrer tous les faits provisoirement laissés en dehors de son canevas. Il importerait notamment, — et je m’étonne que M. de Tastes ne l’ait point essayé, — de la concilier avec l’existence indubitable des courans supérieurs, qui ont, en général, plus de vitesse et de violence que les vents de surface, comme le prouvent les observations faites, au sommet du pic de Teyde, dans l’île de Ténériffe, et celles qui se font journellement au sommet du Pike’s Peak, à une altitude de 4,300 mètres. Il y a là évidemment une lacune à combler. Rien n’empêche, au demeurant, d’admettre, avec la plupart des météorologistes, que les vents supérieurs se rapprochent souvent du sol : ils peuvent ainsi constituer régulièrement l’une des branches d’un courant circulaire de surface, et de plus, lorsqu’ils s’abattent sur le domaine d’un courant polaire de direction opposée, faire naître ces troubles que nous appelons tornades, cyclones ou bourrasques. C’est évidemment ce qui arrive souvent dans la vallée du Mississipi.
En attendant que les courans des hautes régions nous soient mieux connus, — et l’étude attentive du mouvement des nuages finira par nous les faire connaître, — il est temps de coordonner les riches matériaux qui ont été recueillis depuis vingt ans, pour établir, par une discussion méthodique, le régime des courans inférieurs. Ce sera un travail long et pénible ; mais, tant qu’il n’aura pas été fait, la théorie des grands mouvemens de l’atmosphère ne pourra s’appuyer que sur des bases plus ou moins hypothétiques. Parmi ceux qui ont entrepris cette discussion préliminaire et indispensable des matériaux d’observation accumulés, il faut citer M. Elias Loomis, en Amérique, qui a publié un grand nombre de mémoires où les faits recueillis parlé corps des signaux depuis 1872 sont examinés, confrontés, pesés et classés avec une sagacité qui laisse rarement prise à la critique[5]. Il serait à souhaiter que la même méthode fût appliquée aux observations fournies par les stations de l’ancien comment, car on raisonne trop souvent sur des faits isolés, que l’on se hâte de généraliser en laissant dans l’ombre tout ce qui ne veut pas cadrer avec la thèse à soutenir.
M. Loomis s’est appliqué à mettre en lumière toutes les circonstances qui accompagnent la formation et la marche des centres de basse pression, autour desquels soufflent les tempêtes, — tornades ou cyclones, — et des aires de haute pression que l’on désigne par le mot d’anticyclones, parce que les isobares, tout en formant des courbes fermées comme dans le cas des cyclones, se succèdent ici dans l’ordre inverse. Les anticyclones sont des montagnes d’air, tandis que les cyclones sont des entonnoirs. Mais les isobares, autour des anticyclones, sont plus espacées et les vents y sont plus faibles ; leur direction est l’inverse de celle qu’ils affecteraient dans un cyclone. En Amérique, on a constaté que ces aires de haute pression accompagnent souvent les cyclones dans leur marche à travers le continent ; chez nous, au contraire, leur caractère principal est la stabilité. En tout cas, l’étude de leurs propriétés sera peut-être d’un grand secours pour la prévision du temps à long terme. Les anticyclones accompagnent les périodes de beau temps ; en hiver, ils sont l’indice d’un froid persistant. M. Lespiault a fait remarquer une coïncidence de ce genre à propos du caractère exceptionnel de l’hiver de 1879-1880. On n’a pas oublié les traits généraux de l’hiver en question : sécheresse à peu près absolue se prolongeant pendant deux ou trois mois, ciel habituellement sans nuages, brouillards fréquens, température excessivement basse[6], plusieurs dégels sans pluie suivis d’une reprise de froid. Or, si l’on examine les cartes du temps publiées pendant cette période par le Bureau météorologique, on constate que les isobares forment, pendant plus de deux mois, sur l’Europe entière, un puissant anticyclone d’une hauteur et d’une stabilité extraordinaires. Dès le milieu du mois de novembre, les hautes pressions tendent à s’établir sur l’ouest et le centre de l’Europe ; après quelques fluctuations, l’anticyclone est complètement constitué le 9 décembre, et il se maintient presque invariable jusqu’au 26 avec un maximum de pression de 785 millimètres au sommet. Il s’allonge alors un peu vers le nord ; le 28, il est assailli par une forte bourrasque arrivant de l’ouest, et on dirait qu’il va être coupé en deux ; mais il résiste, il est seulement aplati et refoulé vers le sud. C’est à ce moment qu’a lieu un premier dégel, suivi bientôt d’une reprise du froid ; l’anticyclone a repris sa position et la garde jusqu’au 7 février, jour où une violente bourrasque le rejette sur l’Asie. Pendant toute cette période, la carte dés températures est pour ainsi dire le décalque de la carte des pressions, à cela près qu’il n’y a qu’un maximum dépression errant sur l’Europe centrale, tandis qu’on remarque souvent deux centres distincts de froid. La température se relève sur le pourtour de l’anticyclone, pendant que dans l’intérieur règne un froid très vif ( — 20 degrés à Paris, + 11 degrés en Norvège). Enfin, au haut du Puy-de-Dôme, le thermomètre marque 12 ou 14 degrés de plus qu’à Clermont, et le vent souffle de l’ouest, tandis que le vent de plaine vient de l’est ou du nord. Il y a là toute une série de phénomènes nettement caractérisés, qui pourront être considérés comme des présages certains d’une période de temps très beau et très sec.
Pour M. de Tastes, les anticyclones ou aires de haute pression ne sont autre chose que les espaces circonscrits par les courans généraux : c’est ce qui nous explique leur stabilité. Mais le flot du courant général peut se frayer un chemin à travers le massif des hautes pressions et en détacher des îlots, tout comme les fleuves qui coulent dans une vaste plaine se divisent en plusieurs bras et forment des îles aux dépens de leurs rives. C’est par l’étude attentive de ces îles et îlots de haute pression que la météorologie pratique peut espérer d’étendre beaucoup son domaine. Pour nos climats, il importe surtout de surveiller les fluctuations lentes des aires de haute pression de l’Atlantique et de l’Asie, dont les bords sont toujours visibles dans les limites de la carte de l’Europe. En effet, du courant aérien qui circule entre ces deux régions semblent dépendre les modifications du temps et les caractères des saisons.
Jusqu’à présent, les efforts des météorologistes se sont portés de préférence vers l’étude de ces perturbations accidentelles que l’on appelle bourrasques ou cyclones, de ces mouvemens tournans, parfois si dangereux, dont les propriétés, désormais suffisamment connues, servent de base aux prédictions du temps à courte échéance. D’après une récente communication de M. Chevreul à la Société nationale d’agriculture, ce serait Joseph Hubert, le continuateur de l’œuvre de Pierre Poivre à l’île de la Réunion, qui aurait le premier, vers 1788, reconnu et signalé le caractère giratoire des cyclones. Ce n’est que beaucoup plus tard que les mêmes idées se font jour en Angleterre : on les trouve indiquées dans un écrit du colonel Capper (Observations on winds and monsoons, Londres, 1801). En 1818, Hubert était en possession de la formule complète du mouvement de rotation et de translation des cyclones. Dix ans plus tard, Dove publie sa carte de la tempête du 25 décembre 1821, qui a traversé le nord de l’Europe dans la direction du sud-ouest au nord-est, et dont il signale le caractère cyclonique. Puis viennent les travaux de W. -G. Redfield (1831), de sir William Reid, d’Henri Piddington, sur les ouragans des Antilles et de la mer des Indes.
Les lois des ouragans, telles qu’elles se dégagent de ces recherches, sont d’une remarquable simplicité. Les ouragans (cyclones, typhons, etc.) sont des tourbillons dans lesquels la violence du vent augmente de la circonférence jusqu’à une certaine distance du centre, où la fureur de la tempête s’éteint subitement ; sur les deux bords du calme central soufflent des vents de directions diamétralement opposées. Le sens de la rotation de ces tourbillons est constant pour chaque hémisphère : sur l’hémisphère nord, le mouvement de l’air a lieu de droite à gauche (en sens inverse de celui des aiguilles d’une montre), et de gauche à droite (dans le sens des aiguilles) sur l’hémisphère sud. De là, pour notre hémisphère, la règle de Buys-Ballot : « Tournez le dos au vent, étendez le bras gauche, le centre est dans cette direction. » Ce serait le bras droit, pour l’hémisphère opposé. Mais ces tourbillons ne tournent pas sur place : ceux qui naissent dans les régions tropicales parcourent des trajectoires paraboliques qui s’infléchissent d’abord vers l’ouest, puis montent vers les pôles pour revenir ensuite vers l’est, des paraboles ne sont peut-être que des portions d’un circuit fermé, légèrement elliptique, où les tourbillons flottent ainsi que des bouées entraînées par un cours d’eau. Les tornades de l’Amérique du Nord suivent d’autres routes ; mais, pour chaque région du globe, l’itinéraire de ces redoutables visiteurs varie assez peu. La vitesse de leur mouvement de translation est en moyenne de 30 ou 40 kilomètres, mais elle peut être beaucoup plus grande. Une conséquence de ce déplacement rapide des tourbillons, c’est que les vents sont plus forts dans le demi-cercle où la vitesse de rotation s’ajoute à la vitesse de translation, que dans le demi-cercle opposé, où les deux vitesses sont de sens contraires : le tourbillon a un bord maniable et un bord dangereux (pour notre hémisphère, c’est le demi-cercle situé à droite de la trajectoire). Les manœuvres recommandées aux navires qui se trouvent sur la route d’un cyclone ont pour but d’éviter le passage du centre et de fuir le bord dangereux. Quant à la distance à laquelle on se trouve du centre, il faut tâcher de la conclure de la marche du baromètre, qui baisse d’une manière continue depuis la circonférence jusqu’au centre, où s’observe le minimum. Dans certains cas, la dépression barométrique a dépassé 50 millimètres.
« Il faudra connaître les runes de la tempête, dit la Volsunga-Saga, si tu veux garder saufs, dans la baie, tes coursiers à voiles ; il faut les graver sur la carène et le gouvernail. » L’homme de mer les connaît désormais suffisamment pour ne plus se trouver désarmé en face des redoutables météores qui le guettent sur sa route ; avec un peu d’expérience, il est en état de juger la distance et la direction de son ennemi et parvient à lui échapper. Le commandant Bridet termine ainsi la préface de sa célèbre Étude sur les ouragans de l’hémisphère austral, destinée aux marins : « Je n’ai plus qu’à leur recommander vigilance et foi aveugle, ils se riront de la fureur des vents qu’ils auront appris à maîtriser, et ils affronteront sans crainte les tempêtes qui leur étaient si funestes auparavant. » Il est certain que les cyclones sont déjà moins redoutés des marins ; quelques-uns se sont enhardis jusqu’à s’en jouer, à les « enfourcher » pour abréger certaines traversées. Cela s’appelle takimg aride upon a cyclone. Le 24 octobre 1842, le navire marchand Lady Clifford, capitaine Miller, est allé ainsi très vite de Nagore à Madras, à la faveur d’un cyclone dont le centre passait sur Pondichéry. Au mois de juillet 1848, le capitaine Erskine a pu abréger de la même façon la traversée du cap de Bonne-Espérance à Sidney ; le chapitre V du livre de M. Bridet a pour titre : Manière d’utiliser les cyclones pour se rendre à sa destination.
Il faut convenir toutefois que les lois qui viennent d’être exposées ne sont pas absolues. En traçant sur une carte les cercles concentriques qui représentent les circonvolutions d’un cyclone et en figurant par des flèches la direction des vents observés en divers points, on constate le plus souvent que ces flèches, loin d’être tangentes aux circonférences, les coupent sous un angle aigu : preuve évidente que l’air qui circule dans le tourbillon afflue du dehors en dedans. D’après Redfield, l’obliquité des flèches est d’environ 5 ou 10 degrés pour les grands cyclones qu’il a étudiés, et il pense qu’elle ne dépasse jamais 2 quarts (22° 1/2). Piddington admet qu’elle peut atteindre 2 et même 3 quarts et produire une assez forte attraction vers le centre. Il cite à l’appui de cette opinion l’histoire du Charles-Heddle, qui, surpris par un cyclone dans la mer des Indes le 22 février 18Â5, et ayant perdu toutes ses voiles, fut forcé de tournoyer autour du centre « ainsi qu’une phalène autour d’une chandelle, » et de faire, du 22 au 27, cinq tours entiers, en décrivant des spires de plus en plus resserrées. Pour les bourrasques ou tempêtes ordinaires qui traversent nos continens, l’obliquité des vents par rapport aux isobares circulaires est parfois encore plus sensible, car M. Loomis déduit d’un grand nombre d’observations une inclinaison moyenne de 45 degrés.
S’appuyant sur ces faits, des météorologistes distingués, comme M. Mohn, M. Wilson, M. Meldrum, rejettent maintenant les diagrammes circulaires des tourbillons et les remplacent par des spirales. M. Meldrum a développé ses idées dans un mémoire où l’on trouve une critique assez vive des manœuvres faites par divers navires aux prises avec le désastreux cyclone de février 1860, et qui ont eu le tort de se fier à la « loi des tempêtes[7]. » M. Bridet a réfuté ces critiques dans la dernière édition de son livre, mais le mouvement centripète de l’air dans les tourbillons est un fait trop manifeste pour être nié. « Tous les navigateurs qui ont traversé des cyclones, dit l’amiral Mouchez[8], sont unanimes à reconnaître qu’il faut lutter énergiquement quand on y pénètre trop avant pour réussir à s’écarter du centre : c’est là une preuve évidente d’abord que le vent tourne en se rapprochant du centre, c’est-à-dire en spirale, et ensuite qu’au centre du cyclone le mouvement de l’air a lieu de bas en haut ; car, s’il avait lieu en sens contraire, il produirait à la surface de la mer un vent centrifuge qui écarterait les navires de la zone dangereuse, ce qui malheureusement ne s’est jamais vu. » M. Knipping, dans ses intéressantes études sur les typhons du mois de septembre 1878 et 1879, arrive à cette conclusion que l’obliquité des vents, variable selon les circonstances, peut dépasser 60 degrés ; les routes des molécules d’air qui affluent vers le centre s’infléchissent d’abord en spirales et deviennent, plus près du centre, presque circulaires. La trajectoire d’un typhon, déterminée d’après ces principes, peut être très différente de ce qu’elle serait si on l’établissait suivant l’ancienne méthode par des relèvemens du centre perpendiculaires à la direction des vents.
Il est clair que la question reste ouverte et qu’il faudra sans doute attendre encore bien des années avant que les météorologistes s’accordent sur la véritable nature de ces mouvemens tournans. En attendant, toutes ces discussions ont un peu ébranlé la confiance des marins dans les règles pratiques qu’on leur recommande comme infaillibles. M. Faye a pris à tâche de la raffermir en réfutant toutes les objections dans un éloquent plaidoyer, qu’il a intitulé : Défense de la loi des tempêtes[9], et dans de nombreuses communications à l’Académie des sciences. Il fait remarquer avec raison que l’indétermination des routes spirales que l’on assigne aux molécules d’air entraînées dans le tourbillon ne permet pas d’établir des règles de manœuvre simples et précises, de sorte que, privés de tout fil conducteur, les marins n’auront plus qu’à se fier à leur inspiration. L’histoire des navires tels que le Charles Heddle ou l’Earl of Dalhousie, qui, enveloppés par un cyclone, en ont fait le tour malgré eux quatre ou cinq fois dans l’espace de quelques jours, prouve assez que l’erreur qui peut résulter de l’hypothèse circulaire n’est pas aussi grande qu’on veut bien le dire ; et en attendant mieux on fera sagement de ne pas y renoncer.
La discussion sur la vraie forme des tourbillons se complique d’ailleurs d’une question de théorie que nous devons nous borner à effleurer ici. Le fait de l’obliquité des vents est l’argument principal des nombreux partisans de l’hypothèse de l’aspiration, qui cherchent l’origine de tous les mouvemens tourbillonnaires dans des courans ascendans causés par réchauffement du sol. Après les travaux du météorologiste américain Espy, cette hypothèse a trouvé d’habiles défenseurs dans M. Th. Reye et M. Peslin, qui ont fait intervenir dans la question la théorie mécanique de la chaleur. On suppose qu’une nappe d’air surchauffée au contact du sol sous l’influence d’un soleil ardent finit par se trouver dans un état d’équilibre instable : il suffit dès lors d’un trouble accidentel pour rompre le charme, et des courans d’air chaud qui affluent de tous les côtés s’engouffrent dans la trouée pour monter à des hauteurs vertigineuses. L’ascension des colonnes d’air léger est singulièrement facilitée par la présence de la vapeur d’eau, qui, en se condensant dans les régions supérieures plus froides, dégage de la chaleur qui entretient, pour ainsi dire, la dilatation de l’air et la poussée verticale qui en résulte. Mais les différences de température qui peuvent exister dans l’atmosphère sont-elles comparables à celles que produit un feu allumé dans un foyer, et la gaine d’air froid qui entoure une colonne ascendante peut-elle jouer le rôle d’une cheminée qui active le tirage ? M. Reye a calculé la vitesse que doit prendre, dans certaines conditions, un courant ascendant d’air chaud saturé de vapeur d’eau, et il a trouvé ainsi des vitesses considérables ; mais il a complètement oublié de tenir compte, dans ses calculs, de la résistance du milieu ambiant, qui est ici du même ordre que la force impulsive.
Pour rendre compte du mouvement giratoire des vents d’aspiration, on a recours à la rotation de la terre, qui fait dévier en sens contraires les courans attirés du nord et du sud, et leur imprime des obliquités analogues à celles des alizés et des contre-alizés ; l’effet doit augmenter avec le diamètre du tourbillon, qui, parfois, dépasse 2,000 et même 3,000 kilomètres. Quant au mouvement de progression du centre, l’explication la plus acceptable était encore celle qui avait été proposée par M. Mohn. D’après cet auteur, les grandes pluies qui accompagnent un cyclone dans sa marche se produisent à l’avant ; à l’arrière, le ciel est moins chargé de nuages, il ne pleut pas ; dès lors, le mouvement de translation du centre pourrait avoir pour cause la différence de pression entre l’arrière et l’avant, due à la condensation des vapeurs. Mais l’on voit des dépressions barométriques, et même des tornades, marcher sans qu’il tombe une goutte de pluie, et M. Loomis, après avoir discuté un grand nombre de cas de ce genre, conclut que « la pluie n’est point essentielle à la formation des aires de basse pression et n’est pas la cause principale de leur mouvement de progression. »
Comme s’ils sentaient eux-mêmes la faiblesse de leurs raisonnemens théoriques, les partisans de l’aspiration cherchent à les étayer d’analogies plus ou moins forcées. M. Reye[10] reproduit une quantité de récits concernant des trombes de fumée observées au-dessus d’une forêt ou de vastes amas de broussailles auxquels on avait mis le feu, au-dessus du volcan de Santorin, etc. Il cite les témoignages que M. Espy a recueillis et qui se rapportent à des orages de pluie provoqués par des incendies ; parmi les plus curieux, il faut noter celui de M. G. Mackay, qui se vante d’avoir réussi plus d’une fois à « faire la pluie » en allumant les hautes herbes d’une prairie par un ciel parfaitement serein. Dobrizhoffer rapporte aussi que les Indiens mettent le feu aux prairies pour faire tomber la pluie. Il y aurait sans doute intérêt à instituer des expériences de ce genre sur une grande échelle et dans des conditions nettement déterminées. Jusqu’à ce jour, on a trop négligé les ressources que l’expérimentation directe peut offrir toutes les fois qu’il s’agit de vérifier les conséquences d’une théorie ; il y a lieu de le regretter d’autant plus que l’hydrodynamique, la science du mouvement des fluides, est à peine née et se trouve impuissante à résoudre la plupart des problèmes que lui pose la pratique : elle se borne à les « mettre en équation, » et ce n’est qu’à coups d’hypothèses et de restrictions qu’on arrive parfois à établir un résultat qui ressemble à une loi. On ne cite guère, pour appuyer la théorie de l’aspiration, que des expériences sur le tirage des hautes cheminées, une expérience de cabinet, due à M. Espy, qui consiste à produire une trombe d’eau dans un tube de verre placé sous une machine soufflante, etc., et il est à peine besoin de faire remarquer combien, par la nature des appareils employés, on s’éloigne ici des conditions dans lesquelles s’accomplissent les phénomènes météorologiques. Lorsqu’il s’agit de la théorie des mouvemens giratoires des vents, on se contente le plus souvent d’invoquer l’analogie des tourbillons qui se forment dans les rivières, ou les résultats de quelques expériences déjà anciennes qui se rapportent à dès tourbillons provoqués artificiellement dans un liquide. Telles sont les expériences de Saulmon, de l’ancienne Académie des sciences, ou celle du comte X. de Maistre, qui excite le tourbillon par la rotation d’un volant à quatre ailes, placé au centre ; il trouve qu’une couche d’huile, déposée sur l’eau dans l’entonnoir qui se forme, est d’abord entraînée vers le bas, puis, arrivée au contact de l’obstacle du fond, remonte en gouttelettes tout autour du tourbillon qu’elle a quitté. Il y a donc ici un mouvement descendant suivant les spires d’une hélice conique, et un mouvement ascendant tumultueux en dehors du cône. C’est bien ce qui s’observe dans les tourbillons des cours d’eau, qui engloutissent les nageurs imprudens et même des barques légères, les entraînant jusqu’au fond et les laissant remonter à la surface un peu plus loin. Comme l’a dit le général Morin, les bateliers des grands fleuves connaissent ce danger et savent que le seul moyen d’échapper à sa perte, quand on est saisi par le tourbillon, est de se laisser couler vers le fond, où son action cesse à peu près de se faire sentir, puis de chercher à regagner, le plus loin possible, la surface de l’eau, en nageant horizontalement pour s’en écarter. Des expériences du même genre ont été encore entreprises par Œrsted et plus récemment par M. Lalluyeaux d’Ormay, par M. Hirn, parle docteur Andries ; quelques-uns de ces expérimentateurs ont constaté que, lorsque le fluide était mis en giratioo par le haut, le courant dans le tourbillon était ascendant.
Jusqu’à ce jour, ni l’expérience ni l’observation directe n’ont pu trancher la question de savoir si, à l’intérieur des trombes, tornades, cyclones et autres tourbillons semblables, le courant va de bas en haut ou de haut en bas. M. Faye soutient, contre les partisans de l’aspiration, que le mouvement est toujours descendant, même dans les trombes, et il attribue à une illusion d’optique, à un préjugé invétéré, l’opinion qui veut que les trombes marines pompent l’eau. Il semble assez difficile de concilier l’hypothèse d’un courant descendant avec les nombreuses relations qui prouvent que les trombes terrestres soulèvent et transportent à de grandes distances des corps très lourds : partout, ce sont des arbres arrachés avec leurs racines, des meules de foin emportées jusqu’aux nues, des hommes et des animaux enlevés, des débris de toute sorte semés à des distances de plusieurs lieues. La trombe de Hallsberg (1875) jette une machine à battre le blé par-dessus les ruines d’une grange ; celle de Moncetz (1874) soulève plusieurs personnes à 2 mètres du sol ; un scieur de long voit sa voiture à bras, laissée à quelques pas de lui, disparaître dans l’air par une ascension presque verticale. Il serait fastidieux d’énumérer tous les faits du même genre qu’on peut relever dans les ouvrages spéciaux.
Au reste, deux mouvemens de sens contraire pourraient bien coexister dans les tourbillons. « Dans le cratère de Saint-Paul, dit l’amiral Mouchez, où ce remarquable phénomène se reproduisait si fréquemment sous l’influence des rafales tombant du haut des montagnes et réfléchies sur les parois opposées, on voyait toujours des colonnes d’eau et de vapeur s’élever à 10 ou 30 mètres de hauteur et dessiner nettement l’axe de ces tourbillons, bien que la composante verticale eût évidemment une direction de haut en bas. » Quelques météorologistes ont essayé de concilier les opinions contraires, en admettant que l’air pénètre dans les cyclones à la fois par la base et par le sommet et qu’il est expulsé latéralement ; d’autres soutiennent qu’il afflue en bas et déborde en haut, ce qui s’accorde avec l’existence des aires de haute pression à côté des dépressions qui marquent les centres des bourrasques. Cette opinion trouve un appui dans les résultats auxquels M. Clément Ley, M. Hildebrand Hildebrahdsson, M. Loomis, ont été conduits par l’étude de longues séries d’observations des cirrhus recueillies en Angleterre, en Suède, en Danemark et en d’autres parties de l’Europe ainsi qu’aux États-Unis. D’après ces deux météorologistes, les mouvemens des nuages prouveraient que, dans les hautes régions de l’atmosphère, l’air s’éloigne des minima de pression et afflue vers les maxima, tandis que l’inverse a lieu près de la surface terrestre.
Dans l’état actuel de la science, la théorie mathématique de ces phénomènes est à peine abordable, et peu de géomètres s’y sont risqués. Il y a quelques pages consacrées aux tourbillons dans les savans mémoires de M. Boussinesq ; on trouve aussi dans les traités de mécanique la démonstration d’une loi déjà indiquée par Léonard de Vinci, d’après laquelle la vitesse angulaire des molécules croît en raison inverse du carré du rayon. Mais cette loi est en défaut près du centre, où nous savons que la vitesse s’annule. M. A. Colding est parvenu à établir des formules qui répondent mieux à la réalité des choses, car elles font prévoir l’existence d’un calme central[11]. En les appliquant aux ouragans du 2 août 1837 et du 21 août 1871, observés l’un et l’autre à Saint-Thomas, M. Colding fait voir qu’elles représentent très bien la marche du baromètre telle que la donnent les observations. Il conclut de sa théorie que des courans qui rasent le sol pénètrent dans les cyclones toutes les fois qu’un obstacle ralentit la vitesse de rotation ; ces courans s’y élèvent et, parvenus au sommet, sont refoulés vers la circonférence. Enfin M. Colding démontre que les bords des fleuves aériens qui circulent côte à côte entre les pôles et l’équateur présentent les conditions voulues pour la production des mouvemens tournans, mais avec cette différence que, sur la rive gauche, il peut facilement naître des tourbillons violons qui, tous, tournent contre le soleil, tandis que les mouvemens tournans qui se produisent à droite et qui nécessairement tournent avec le soleil, ne peuvent jamais devenir des ouragans ni même des bourrasques. Il s’agit ici de l’hémisphère nord ; sur l’hémisphère sud, c’est la rive droite qui fournit les tourbillons.
La théorie mécanique de la chaleur, à laquelle on n’a pas manqué de faire appel en dernier ressort, a répondu, comme l’oracle, à chacun selon ses désirs. Au premier qui l’a consultée elle a répondu que l’air, s’il était entraîné de haut en bas, s’échaufferait par compression, que dès lors il ne pourrait y avoir de pluie dans un tourbillon descendant. À l’autre elle a dit que la chaleur de compression serait absorbée par la vaporisation des lambeaux de nuages, formés d’eau et d’aiguilles de glace, qu’entraînerait avec lui le courant descendant, qui arriverait au sol, saturé de vapeur et très froid. Il faut, on le voit, renoncer à cet argument à deux tranchans. On s’est encore demandé si la thermodynamique pouvait indiquer la source de l’énorme force vive que possède un ouragan, et qui doit être incessamment renouvelée à mesure qu’elle s’use par le frottement, par la résistance du milieu ambiant, et par les ravages qu’elle exerce. Le terrible cyclone du 10 octobre 1780, qui s’étendit sur toutes les Antilles et jusque dans le nord de l’Atlantique, fit sombrer une centaine de navires, arracha des bancs de corail du fond de la mer, renversa les plus solides édifices, et, sur quelques îles, ne laissa rien debout, ni arbres ni demeures : à Sainte-Lucie, six mille personnes furent ensevelies sous les décombres ; à la Martinique, le nombre des victimes dépassa neuf mille. L’ouragan de 1844, qu’on appelle « l’ouragan de Cuba, » fit sombrer ou démâta soixante-dix navires, et produisit à la Havane seulement, dans l’espace de quelques heures, des ravages estimés à plus de 20 millions de francs. Or, ces effets destructeurs, qui frappent l’imagination, sont bien peu de chose au prix du travail mécanique total accompli par le vent qui alimente le cyclone, en ne tenant même pas compte de la force incessamment dépensée à soulever les flots. D’après Redfield, le cyclone de Cuba couvrait un espace de 500 milles ; en ne considérant qu’un cylindre de 320 kilomètres de diamètre et d’une hauteur de 100 mètres, et en supposant que le vent s’écartait d’environ 6 degrés de la direction tangentielle lorsqu’il s’engouffrait dans le cyclone avec une vitesse de 40 mètres par seconde (144 kilomètres par heure), M. Reye a calculé qu’au bout de cinq heures la masse d’air contenue dans cet immense cylindre se trouvait déjà complètement renouvelée. Les 500 millions de kilogrammes d’air que les poumons de la tempête aspirent chaque seconde représentent 40 milliards de kilogrammètres, soit au bas mot une force de 500 millions de chevaux-vapeur, mise en œuvre durant trois jours : c’est, dit l’auteur, au moins quinze fois ce que peuvent fournir, dans le même temps, tous les moulins à vent, roues hydrauliques, machines à vapeur, locomotives, hommes et animaux du monde entier. Où faut-il chercher la source de ce prodigieux travail moteur ? M. Reye la trouve dans les pluies qui accompagnent les cyclones. En prenant la moyenne des données qu’on possède pour quelques-uns des ouragans les mieux étudiés, il admet que, dans un rayon de 250 kilomètres, il tombe 200 millions de kilogrammes d’eau par seconde. Avec une hauteur de chute de 300 mètres, cela donnerait un travail moteur de 800 millions de chevaux, fourni par la pesanteur ; mais la condensation de la vapeur d’eau qui produit ces averses dégage 120 milliards de calories, par seconde, dont l’équivalent mécanique ne représente pas moins de 660 milliards de chevaux ! C’est plus de mille fois la quantité de travail qu’exige la respiration du cyclone. Le poids de la vapeur entraînée par l’air qui entre dans le cyclone, et qui se refroidit en s’élevant, ne dépassera pas 6 ou 7 millions de kilogrammes ; cependant sa chaleur de condensation représente encore au moins quarante fois le travail exigé.
On voit par ces chiffres que le réservoir de force vive capable d’alimenter l’ouragan ne fait pas défaut : mais ce que la théorie de l’aspiration laisse dans l’ombre, c’est la manière dont cette riche provision de chaleur est convertie en travail mécanique et employée à produire le mouvement de rotation et de translation.
Dans les tornades, notamment, la vitesse de rotation peut atteindre 100 mètres par seconde, et la vitesse de procession est parfois celle d’un train express ; pour expliquer ces mouvemens violens, il faut toujours revenir aux grands courans atmosphériques, dont la vitesse, dans les régions supérieures, paraît être toujours considérable. Par l’observation des cirrhus, on a trouvé assez souvent des vitesses de 150 kilomètres à l’heure, et parfois 200 ou 250 kilomètres. On sait aussi que M. Bollier, parti en ballon de Paris, le 24 novembre 1870, fut forcé de descendre, quatorze heures après, dans les montagnes de la Norvège, et qu’à un certain moment, à l’altitude de 4,000 mètres, la vitesse du ballon était de 30 lieues à l’heure. Quand ces courans descendent à la surface et qu’ils y rencontrent des courans dirigés en sens contraire, on conçoit sans peine qu’ils donnent naissance à des tourbillons d’une violence extraordinaire. C’est l’impulsion d’un irrésistible flot d’air concentrée subitement sur un seul point. « La trombe, dit à ce propos, M. Faye, est un simple organe de transmission de la force ; c’est un outil gigantesque qui recueille en haut la force vive dans son vaste entonnoir et qui l’amène en bas en la concentrant sur un petit espace pour la dépenser contre l’obstacle du sol. » Que les courans à l’intérieur du tourbillon soient d’ailleurs ascendans ou descendans, c’est une question qu’il sera permis de réserver. Il en est de même du rôle qu’il convient d’attribuer à l’électricité dans la production de ces phénomènes, et qui pourrait bien être, pour les trombes en particulier, le rôle principal. Malheureusement l’origine de l’électricité atmosphérique, dont la tension paraît augmenter avec l’altitude, et la manière dont elle intervient dans la plupart des grandes crises de la nature, sont encore mal connues[12].
Pour les orages, on sait au moins qu’ils marchent comme les bourrasques ordinaires, ce qui permet d’en signaler l’approche aux régions menacées. Longtemps on avait admis comme un axiome que les orages se formaient sur place. Pour un simple spectateur, un orage est un accident local, une sorte de drame isolé qui éclate à l’improviste, au milieu du calme trompeur des élémens ; un drame avec l’unité de temps et de lieu. Et pourtant, à plusieurs reprises, des enquêtes conduites avec un grand soin (comme celle de l’Académie des sciences sur le terrible orage à grêle du 13 juillet 1788) avaient révélé que ces météores nous viennent de la mer et parcourent nos pays dans la direction du sud-ouest au nord-est. En dépit de ces constatations réitérées, il a fallu que la télégraphie météorologique fût née pour qu’on se décidât à renoncer à un vieux préjugé.
La prévision du temps à courte échéance, dans l’état actuel de la météorologie, est fondée sur l’interprétation des signes précurseurs des bourrasques : c’est essentiellement une affaire d’expérience personnelle, pour ne pas dire un art, car on n’a, pour se guider, que des règles empiriques. C’est toujours le baromètre, — le même instrument qui, en 1660, permit à Otto de Guericke d’annoncer à ses amis l’approche d’un ouragan, — c’est toujours le baromètre qui est notre principale source d’information ; seulement le télégraphe en a centuplé la valeur. Nous sommes loin du temps, pourtant si près de nous, où l’on se contentait de lire : beau fixe, variable, pluie, tempête sur l’échelle de son baromètre, tout en riant des déceptions qu’il vous causait. Aujourd’hui nous demandons le secret du lendemain à la disposition des isobares, qui sont comme un dossier d’enquête contenant les dépositions d’une centaine de témoins ; Lorsqu’elles s’arrondissent et se ferment autour d’une dépression, c’est une bourrasque qui nous arrive de la mer avec son cortège de pluie et de vents. Toutes choses égales d’ailleurs, nous savons que la menace est plus grave quand les isobares se montrent serrées autour de la tempête qui approche que lorsqu’elles s’écartent et se détendent alentour. En d’autres termes, la violence des vents est en raison de la pente atmosphérique, du gradient, comme on dit habituellement, car les isobares, qui sont des courbes de niveau, se rapprochent d’autant plus que cette pente est plus prononcée. La forme et la disposition de ces courbes peut donc faire reconnaître l’existence d’une perturbation, et sa marche à travers l’Europe se devine d’après ses premiers pas. Quand la bourrasque est sur nous, en un même point, le vent tourne assez vite et, sous nos climats, le plus souvent avec le soleil (de l’est au sud), comme le veut la loi de Dove. Cette loi n’est, au fond, qu’une conséquence particulière de la loi des tempêtes : la rotation de la girouette correspond au passage d’un tourbillon dont la trajectoire passe au nord de la station considérée.
Aux indications des isobares il faut joindre celles que fournit la marche du thermomètre ; d’autres pronostics se tirent de l’état du ciel. Ces fins nuages, formés d’aiguille de glace, qu’on nomme des cirrhus et qui flottent en longues bandes à des hauteurs prodigieuses, sont les premiers avant-coureurs du mauvais temps ; puis apparaissent des nuages plus épais, plus lourds et plus foncés, dont les aspects variés et caractéristiques sont des symptômes qu’il ne faut point négliger.
En somme, nous dit M. Mascart dans une conférence recueillie par M. Th. Moureaux, d’après les vérifications que le Bureau central demande régulièrement à ses correspondans les plus autorisés, les avertissemens maritimes, portant principalement sur la probabilité de la direction et de la force du vent, réussissent 83 fois sur 100 ; les avertissemens agricoles, qui concernent les probabilités de pluie, de beau temps, etc. se confirment seulement 78 fois sur 100. Mais la valeur de ces résultats, déjà considérables, s’accroît chaque année, et les services rendus ne peuvent être contestés.
Malgré les conditions, à beaucoup d’égards défavorables, où se trouve encore placé le Meteorological Office de Londres, le succès des avertissemens qu’il expédie aux ports du Royaume-Uni est également satisfaisant, comme le prouve le résumé des résultats de l’année 187à présenté au parlement anglais. Sur un nombre total de 317 avis expédiés en 1874, 144 (soit 45 pour 100) ont été justifiés par des coups de vents forts ou des tempêtes, 104 (33 pour 100) par des coups de vents modérés ; 52 (16 pour 100) n’ont pas été justifiés, et dans 17 cas seulement (5 fois sur 100) l’avis a été reçu trop tard. Ce qui reste à faire se trouve nettement indiqué dans l’intéressant petit livre qu’a publié récemment le secrétaire du Bureau météorologique et qui a été traduit en français par MM. Zurcher et Margollé. M. Scott se plaint de l’absence de stations convenablement distribuées sur les côtes ouest de l’Irlande et de l’Ecosse, régions d’où il importerait d’avoir de bonne heure l’annonce des changemens de temps. Mais, d’une part, les communications télégraphiques sont peu développées dans ces régions presque désertes, et, de l’autre, les endroits habités se trouvent dans des baies abritées où la vraie force du vent est difficilement connue, d’où l’on ne peut, par conséquent, obtenir des renseignemens très exacts. C’est ce qui arrive, par exemple, pour les stations de Valentia et de Greencastle. Il serait aussi fort utile d’avoir des postes avancés à Saint-Kilda, la plus occidentale des Hébrides, et aux îles Féroë, situées au nord de l’Ecosse, car un grand nombre de tempêtes, et des plus désastreuses, arrivent de la partie nord de l’Atlantique en passant sur ces lies ; mais l’importance commerciale d’une communication télégraphique avec ces rochers étant à peu près nulle, il n’est guère probable qu’on se décide à l’établir dans un intérêt scientifique. Et pourtant les avis que pourraient envoyer ces stations avancées seraient plus précieux, à en croire M. Scott, que ceux que procurerait une communication télégraphique avec les Açores, plus précieux même que les télégrammes reçus des États-Unis. Les avis que le Bureau météorologique de Londres a reçus, pendant assez longtemps, de la station de Heart’s-Content (Terre-Neuve) n’ont pu être utilisés pour deux raisons : d’abord parce que cette station est trop abritée des vents du large ; ensuite, parce que les tempêtes qui traversent quelquefois l’Atlantique d’une rive à l’autre changent de caractère en route, se transforment et même se perdent complètement. « Quand les tempêtes du continent américain passent sur l’Atlantique, dit M. Loomis, elles subissent généralement d’importans changemens dans l’espace de quelques jours et sont souvent comme absorbées par d’autres tempêtes qui paraissent naître sur l’Océan, de sorte qu’on peut rarement les suivre dans tout leur trajet. » M. Scott cite, à ce propos, le coup de vent qui, le 30 novembre 1874, fit sombrer le bateau à vapeur la Plata près des îles de la Manche ; cette tempête s’éteignit ensuite complètement et disparut avant d’avoir traversé la mer du Nord.
Nous savons que le plus souvent les bourrasques suivent le fil du grand courant que M. de Tastes appelle le gulfstream aérien, courant dont le lit éprouve une lente oscillation qui tantôt le rapproche de nous en le ramenant au sud, tantôt le relève vers les hautes latitudes ; il semble aussi qu’une branche dérivée va rejoindre un large courant circumpolaire. On a eu la pensée d’utiliser cette disposition des courans aériens pour des prévisions à huit ou dix jours d’intervalle. Depuis quelques années, l’administration du New-York Herald expédie à Londres et à Paris des avis annonçant l’arrivée de tempêtes. Ces avis ne se justifient qu’aux époques où le régime des basses pressions est établi dans nos régions ; quand ce sont les hautes pressions qui dominent, les perturbations venues d’Amérique sont refoulées vers le nord et n’atteignent pas nos côtes. En étudiant l’Atlas de l’Observatoire de Paris et les cartes plus récentes de M. Hoffimeyer, M. Loomis est arrivé à cette conclusion, que, lorsqu’une dépression quitte les États-Unis, la probabilité qu’elle atteindra l’Angleterre quelque part est seulement de 1 : 9 ; la probabilité pour qu’elle produise une tempête au voisinage d’une côte anglaise est de 1 : 6, et la probabilité d’une fraîche brise est de 1 : 2. Nous sommes loin, on le voit, de l’assertion, souvent citée, de M. Daniel Draper, qui veut avoir constaté que, sur quatre-vingt-six tempêtes parties de New-York, et dont il a suivi la marche, trois seulement ne sont pas arrivées, soit à Valentia, soit à Falmouth. M. Hoffmeyer a examiné, de son côté, la marche des perturbations de l’Atlantique pour deux périodes comprenant ensemble vingt et un mois ; il a trouvé que 19 sur 34, c’est-à-dire 56 pour 100, ont atteint l’Europe, et sur ce nombre, 10 seulement, soit en tout 29 pour 100, ont amené des tempêtes. Quant aux lieux menacés, la probabilité qu’une dépression partie des États-Unis amènera la tempête en Europe est de 1 : 3 pour la Norvège, 1 : 4 pour les Iles-Britanniques, 1 : 7 pour la France, et 1 : 11 pour le Portugal. Ajoutons que les tempêtes qui atteignent l’Europe occidentale ne viennent pas toutes de l’Amérique : sur 100 dépressions qui abordent nos côtes, 12 viennent des régions arctiques de l’Amérique, 47 de l’Amérique du Nord et du Canada, 5 des régions tropicales ; 33 sont des minima partiels ou secondaires formés en plein Océan par segmentation des perturbations principales ; 3 naissent spontanément sur l’Océan. Il s’ensuit que les avertissemens venus de l’Amérique seule ne se vérifient en moyenne qu’une fois sur deux, et qu’en tous cas la moitié seulement des tempêtes d’Europe peut être annoncée par cette voie. Mais M. Hoffmeyer estime que les prévisions deviendraient tout à fait sûres, si l’on avait en même temps les renseignemens des îles Féroë, de l’Islande, du Groenland et des Açores. Le Verrier espérait beaucoup d’une communication télégraphique avec les Acores. Pour l’Angleterre, M. Scott est d’avis qu’elle n’est guère intéressée à l’établissement de cette communication, car en rapprochant les observations simultanées faites pendant deux ans et demi aux Açores et à Valentia (Irlande), on n’a remarqué aucun rapport entre les phénomènes observés aux deux stations.
Ce qui manque pour compléter nos informations peut paraître, à première vue, hors d’atteinte : ce serait un réseau de stations semées à la surface même de l’Atlantique jusqu’à une distance d’environ 1,000 kilomètres de nos côtes. Elles serviraient à signaler les bâtimens en détresse ou retenus par des vents contraires, en même temps qu’à nous renseigner sur les conditions météorologiques dur large. Mais le problème des stations télégraphiques flottantes n’a pas encore été résolu d’une manière vraiment pratique. On a proposé d’ancrer des navires par de grandes profondeurs et de les mettre en relation avec la côte par un câble sous-marin ; mais en supposant qu’on réussît à vaincre les difficultés du mouillage à la profondeur de 1,000 ou 2,000 mètres, il serait encore malaisé de maintenir le câble électrique en bon état. On a pu s’en convaincre en 1869 : l’amirauté anglaise avait permis de mouiller le navire de l’état le Brisk, à titre d’essai, vers l’entrée de la Manche ; l’expérience dut être abandonnée au bout de six semaines, et elle coûta à ses promoteurs, nous dit M. Scott, « autant de mille livres sterling que le Brisk passa de jours à la mer. »
Pour diminuer les frais et les risques de ces entreprises, quelques savans, comme M. Morse, ont proposé que ces stations flottantes, ne fussent pas pourvues d’équipages, mais seulement d’appareils enregistreurs en communication électrique avec une station du littoral. Enfin, tout récemment, on a mis en avant un autre projet qui ne laisse pas d’être séduisant : c’est le système de « télégraphie superocéanique » imaginé par M. Ernest Menusier ; L’inventeur propose de jeter un câble entre Saint-Nazaire, Bordeaux et New-York, avec embranchement, au milieu de l’océan, sur Panama ; de 60 lieues en 60 lieues, il greffe sur ce câble principal, un câble vertical soutenu par urne bouée et deux branches en croix de 10 à 20 lieues, terminées aussi par des câbles verticaux suspendus à des bouées. Ces bouées, qui portent des numéros d’ordre, forment ainsi trois lignes parallèles sur la route des paquebots transatlantiques ; on peut admettre qu’en moyenne chaque navire en rencontrera une par jour. L’extrémité libre des câbles verticaux est disposée de manière à pouvoir être facilement mise en communication avec les fils de l’appareil télégraphique installé à bord des navires, et l’on conçoit que, par ce moyen, un échange de dépêches puisse s’établir entre les navires en route et les ports de départ ou d’arrivée. Des postes centraux échelonnés, en manière de relais, sur des îles ou sur des navires solidement amarrés, faciliteraient l’organisation de ce réseau télégraphique et postal à la surface de l’océan. Les difficultés pratiques qui semblent, à première vue, s’opposer à l’exécution de cette conception hardie me resteront pas toujours invincibles au génie de nos »savans. Entre temps, il faut souhaiter qu’on se décide à poser entre l’île Maurice et la Réunion le câble électrique que M. Bridet ne cesse de réclamer : il permettrait à l’observatoire de Port-Louis d’avertir notre colonie, dix-huit ou vingt-quatre heures d’avance, de l’arrivée d’un cyclone et de lui épargner ainsi beaucoup de désastres.
Quand le réseau d’observations, dont les mailles se complètent et se resserrent chaque jour, embrassera toute l’étendue de notre hémisphère, on pourra sans doute aborder avec succès les prévisions à long terme, qui seraient si importantes pour l’agriculture, et déterminer plusieurs mois d’avance le caractère dominant des saisons. La possibilité d’une pareille entreprise résulte de la lenteur des oscillations par lesquelles se déplace le lit des fleuves aériens qui sont les grandes routes des météores. Il suffirait d’en connaître les périodes ou d’en découvrir les signes précurseurs, qui sans aucun doute existent. C’est en se fondant sur des considérations de cette nature que M. de Tastes a réussi à prévoir la sécheresse du printemps de 1870, et l’hiver rigoureux que l’on sait.
Il ne semble pas que l’état moyen du globe ait sensiblement changé depuis les temps historiques ; les cycles se suivent, ramenant les mêmes vicissitudes, et le passé contient le secret de l’avenir. Nous voyons pourtant se produire dans les climats des modifications locales ; l’action de l’homme peut se faire sentir à la longue et dans un sens qui n’est pas toujours heureux. On sait quelle influence les déboisemens exercent sur le régime des pluies et des inondations. Faut-il attribuer à des causes du même ordre la fréquence de plus en plus en plus inquiétante des tornades et des trombes sur le territoires des États-Unis, qui fait que, dans le Far-West, on choisit, pour bâtir les fermes, des sites abrités du côté du sud et de l’ouest, et qu’à défaut d’un abri naturel on construit des souterrains à l’épreuve des tourmentes ? On a consulté les chroniques pour savoir si ces phénomènes étaient moins fréquens autrefois ; mais la rareté des récits peut s’expliquer, dans ces contrées, par la rareté des témoins. Il existe d’ailleurs, dans les vieilles forêts de la Pensylvanie, des bandes d’arbres d’une venue plus récente et qui semblent avoir comblé des rues ouvertes par le passage de trombes.
Sauf les cas bien rares de changemens dus à des causes locales, tout porte à croire que les années, les saisons, les jours, en se succédant, ne font que parcourir une série plus ou moins longue, mais limitée, d’aspects caractéristiques, d’aspects bénins ou mauvais, dont il suffirait de fixer les images pour les reconnaître plus tard de fort loin. Pour M. Robert Scott, en fait de signaux, l’idéal serait un recueil de cartes typiques du temps que l’on distribuerait aux marins : on se contenterait ensuite de hisser chaque fois le numéro de la carte à laquelle ils auraient à se reporter. De même, les années de sécheresse ou de pluie, les étés chauds et les étés tempérés, les hivers doux et les hivers rigoureux, se dessinent probablement, longtemps à l’avance, dans les méandres des isobares ; il nous faudra l’expérience de quelques dizaines d’années pour en établir le pronostic à coup sûr. Et quand nous serons parvenus à ce résultat, quels qu’aient été les efforts dépensés, nous reconnaîtrons sans doute que nous ne l’aurons pas payé trop cher.
- ↑ Annuaire statistique de la France, 1880.
- ↑ Cette carte avait été dressée par M. E. Liais, alors chef cbs travaux météorologiques à l’Observatoire de Paris.
- ↑ Annales du Bureau central météorologique de France, année 1879, tome I.
- ↑ Trombes et Cyclones, par MM. Zurcher et Mirgollé ; Paris, Hachette.
- ↑ Mémoires de météorologie dynamique. Résultats de la discussion des cartes du temps des États-Unis, par M. E. Loomis, traduits par M. H. Brocard. Paris, 1880 ; Gauthier-Villars.
- ↑ Le 11 décembre, à une heure du matin, le thermomètre du parc de Saint-Maur accusait 25°6 au-dessous de zéro ; c’est la température la plus basse qui ait été mesurée à Paris. Dans les Ardennes, le froid a dépassé 30 degrés.
- ↑ M. le capitaine Ansarl, l’un de ceux qui ont eu le bonheur d’échapper au cyclone, se range au même avis dans sa Théorie rationnelle des ouragans. Paris, 1875 ; Berger-Levrault.
- ↑ Mission de Saint-Paul. (Recueil de mémoires, rapports et documens relatifs au passage de Vénus. )
- ↑ Annuaire du Bureau des longitudes, 1875.
- ↑ Die Wirbelstürme ; Tornados und Wettersäulen, von Th. Reye, 2e édition, Hanovre, 1880.
- ↑ Nogle Bemœrkninger om Luflens Strœmingsforhold. Copenhague, 1871. — Om Hvirvelstormen paa Saint-Thomas. Copenhague, 1872.
- ↑ Voir à ce sujet l’intéressante conférence de M. Spring publiée dans la Revue scientifique du 12 août.