La Lune de miel parlementaire
LA LUNE DE MIEL
PARLEMENTAIRE
pour la première fois à la « Bodinière »
le 4 mai 1899.De Marsac (Jeune premier)
Germain (Comique)
Blanche (Jeune première)
Sidonie (Soubrette)
Un riche boudoir ; du feu pétille dans la cheminée à droite, — Une lampe éclaire la pièce. — Entrée au fond. — Portes à droite et à gauche. — Au fond deux crédences, sur l’une à gauche un samovar allumé. — Devant la cheminée à droite, un peu en arrière, canapé, guéridon, un fauteuil tourné de dos vers le public, à gauche, premier plan, petite table, deux chaises, sonnerie électrique à la cheminée.
Scène I
Au lever du rideau, Germain arrange le feu, Sidonie met de l’ordre dans une corbeille à ouvrage où sont enfouies des dentelles, de la broderie et de la tapisserie.
Voilà le travail de Madame pour ses bonnes œuvres. Dieu la jolie dentelle ! Oh ! elle ne le leur regrette rien à ses pauvres.
Elle s’occupe, elle n’est pas gâtée de ce côté, madame. Il montre la chambre à gauche
Comme vous dites cela, Germain ?
Comme je le pense… avec consternation.
Ne dirait-on pas que Madame est malheureuse ; elle est riche, jeune, presque jolie.
Presque jolie ! Vous êtes difficile, Mademoiselle Sidonie.
Oh ! mon Dieu, Monsieur Germain, elle n’est pas mal. Elle a les traits réguliers, la taille fine, la tournure distinguée ; mais, entre nous elle manque de capiteux, de montant.
Comment entendez-vous cela ?
Comme ceci, et puis comme cela.
Vous avez peut-être raison.
Sûrement raison. Voyez-vous M. Germain. Les femmes ont tontes besoin de capiteux.
Délicieux. Voyons Mlle Sidonie, faites moi un peu de capiteux. (Sidonie même jeu.) Ma parole vous damneriez un saint.
Voilà ce qu’il manque à Madame qui a tout ce qu’il faut pour être heureuse sauf cela.
Avec tout ça, je lui trouve un petit air chagrin ; elle souffre, c’est évident.
Bah ça passera.
Vous croyez ?
J’en suis sûr. Comme toutes les jeunes tilles, elle avait dû rêver un mariage tout rose, avec une lune de miel perpétuelle. Mais tout ça, c’est vieux jeux. C’est bon pour une semaine et encore, il n’y a plus guère que les orgues de barbarie qui nous la fassent à la lune de miel. Vous devez comprendre ça, M. Germain, vous qui êtes sentimental. (Elle fait mine de jouer de l’orgue de barbarie d’une voix trainante les yeux au ciel.)
Le temps des amours
N’a duré qu’une semaine
Le temps des amours
Devrait durer toujours.
Eh ! Eh ! ça ne serait pas si bête.
Grand merci ! madame en reviendra, ne craignez rien, on ne noie pas son cœur dans la première larme, comme dit le feuilleton du « Figaro » de ce matin.
Riez tant que vous voudrez, moquez-vous à votre aise, vous ne m’empêcherez pas de trouver que Monsieur délaisse un peu trop Madame. Il reste dehors des journées entières, parfois même des nuits. Une pauvre femme timide, et cela au bout de trois mois de mariage ; c’est pitié de la voir s’ennuyer.
Quand on s’ennuie, on se distrait.
Ah !
Tiens, pourquoi pas : Madame trouvera bien dans les amis de Monsieur, une bonne âme qui viendra lui chanter une chanson à la mode.
Oh ! oh !
Eh bien quoi ! Ne me dites-vous pas que Madame s’ennuie. L’ennui est une maladie et le seul remède, le seul vous entendez bien, Monsieur Germain, c’est l’amour. Il n’y a pas d’autres médecines pour nous autres femmes. Mais n’ayez donc pas l’air d’un ahuri.
Vous êtes étonnante, ma parole.
L’amour et la liberté, voilà le double rêve, de ceux qui sont dignes de rêver quelque chose de grand.
Peste !
C’est de Lamartine, ça, M. Germain.
Vous connaissez !
Aimer c’est le moyen de Dieu pour apaiser… pour apaiser le cœur ! C’est de Victor Hugo, ceci, M. Germain ; il repose au Panthéon, dans les caveaux, deuxième voûte à gauche… saluez… plus loin on entend le canon.
Ah vous avez de la littérature, vous !
Et de la poésie plein le cœur. Oui, j’ai servi jadis chez un académicien et il m’en est resté quelque chose, comme vous voyez.
Est-ce vrai que vous avez servi aussi chez une actrice ?
Oui, mais où donc est le mal ? chez Mlle Grandio.
La célèbre chanteuse d’opérette !
Elle même. Et c’est moi qui lui faisais répéter ses rôles. Oh ! c’qu’il y en avait du rigolo !
Vous devriez bien m’en donner un échantillon !
Je veux bien, je suis bonne fille, vous savez ! (Elle chante une chanson du jour), au choix de l’actrice mais deux couplets seulement.
Fermez la boite, voici Madame.
Scène II
Vous préparerez le thé, Sidonie, pour moi seule. Je n’attends personne.
Bien Madame. (Elle se dirige vers un samovar et se met en mesure d’obéir.)
Germain !
Madame.
Avez-vous dit d’atteler ?
Suivant vos ordres… la voiture est prête.
Dites de dételer, je ne sortirai pas aujourd’hui.
Scène III
Quel dommage que Madame ne veuille pas sortir aujourd’hui. Il fait un temps superbe. L’allée des acacias doit être trop étroite.
Je suis souffrante, ces premiers froids ne me sont pas favorables.
Je vais déshabiller Madame ?
Merci ; surveillez mon thé, très chaud n’est-ce pas ? (Elle sort à droite)
Scène IV
Décidément elle en manque !
C’est fait, c’est le cocher qui est content ! Il m’a dit comme ça ! « chouette ! Je vais aller à mon syndicat !!! »
Il est du bureau. Il doit prononcer un discours au prochain meeting.
Oui, je le sais. « Influence de l’augmentation des gages des gens du monde sur la moralité parlementaire ! »
Comme il doit sourire des naïvetés de l’épousée ; il la trouve charmante, souvent elle est jolie, il croit l’aimer, il déclare à ses amis qu’il est pincé : il met la main sur son cœur avec de petits soupirs étouffés. Bientôt la lassitude vient.
Oh parfois, ça n’est pas long, les vieilles habitudes reparaissent.
D’abord on va faire un tour de cercle, une heure…
Ou deux…
La femme, indulgente, sourit.
L’homme a besoin de distraction.
N’est-ce pas ? Et puis elle l’aime tant. Peu à peu, monsieur ne rentre que pour les repas, la femme s’inquiète, s’attarde, interroge ? Elle craint pour son bonheur, elle devient coquette, provoquante, utilise toutes les ressources de son esprit et toutes les ingéniosités de son cœur. Peine perdue.
Le pli est pris.
Comme vous dites, enfin, le mari vient à peine ; il donne des prétextes, tous meilleurs les uns que les autres. Il rentre mécontent, ne s’apercevant pas des yeux rougis de la pauvre petite femme qui, timidement, lui tend le front. Mais on s’arrête au front. Bonjour Mignonne ! Et c’est tout.
Je la connais cette histoire, pour l’avoir vue dix fois autour de moi. Le mari est entraîné malgré lui, oui, malgré lui. Avec le cercle, le jeu, l’ancienne vie de garçon le reprennent. Finies les douces caresses, les baisers dérobés et rendus. C’est à peine si la délaissée attire ses regards ; elle est trop naïve, trop simple.
Trop aimante.
Trop aimante si vous voulez, mais aussi trop popotte. Et alors le mari, pour fuir l’ennui, court Dieu sait où, Dieu sait avec qui ; où plutôt non, il ne le sait pas, Dieu, car il le défendrait à coup sûr.
Mais dans tous les cas, tout ce temps on le lui vole, à elle, et pourtant quel bon emploi on en ferait. N’est-il pas vrai ?
Que voulez-vous, c’est la vie.
Ah oui, c’est notre vie à nous autres qui voulons rester ce que nous sommes, ce qu’étaient nos mères ce serait pourtant si tacite. Mais non ! oh ! pouah !…
Et vous souffrez ?
Ah ! oui !
Mais en vous plaignant.
Non. nous souffrons en silence. À qui raconter cela, du reste, à qui ? à la mère ? je la vois d’ici : tu l’as voulu, je te l’avais bien dit et patati et patata aux bonnes amies ? Elles riraient et ne comprendraient pas, ou bien elles conseilleraient… ah ! mais non ! mais non ! l’horreur !
Il est pourtant des femmes heureuses, celles qui ont des enfants, ces joyeuses fauvettes du logis, les enfants qui courent, pépient, gazouillent, égaient le mari de leur babil, et il n’est rien comme ces petits bras frêles et roses pour enchaîner les papas au logis. Ah ! On ne retrouve pas ça ailleurs, allez.
AL je crois que tout n’est pas perdu.
Mais vous me faites prêcher là, et vous donner la réplique sur un sujet fort peu réjouissant ; ma parole, on dirait que vous m’adressez des reproches.
Je ne crois pas.
Ah ! vous êtes toutes les mêmes ; et moi qui vous vantais à mes amis comme une merveille, comme une gentille petite femme, pas gênante du tout.
Un peu bébête, n’est-ce pas ? Mais puisque je vous dis que ce ne sont pas des reproches tenez, mon cher ami, je n’y pense déjà plus (Elle se lève, va à la cheminée, puis se rassied). Ce feu mourant, avec cette bûche qui grésillait tristement, tout cela m’avait, je ne sais pourquoi, porté à la tête mais c’est passé et tout à fait.
Je vais sonner Germain, il arrangera votre feu et préparera ma chambre, car je suis fatigué ce soir et pour une fois, je veux essayer de me coucher de bonne heure, comme un bon bourgeois, et je dînerai au lit comme un grand seigneur d’autrefois. (Il sonne deux coups).
Scène XVIII
Deux coups, ce n’est pas vous, ma fille, c’est Germain que je désire (Elle sort).
Scène XIX
Décidément votre femme de chambre a quelque chose.
Je commence à le croire ; son air bouleversé !
Scène XX
Ah c’est vous : enfin… arrangez le feu ici… (Germain obéit) Après quoi vous irez préparer ma chambre, je désire me coucher. (Germain se dispose à obéir), (le retenant). Vous mettrez une boule.
Scène XIX
Je vais vous quitter, ma chère, et vous souhaiter une bonne nuit. Dormez bien et ne rêvez pas trop, car les songes roses sont songes d’enfant, et maintenant que vous voilà une grande personne, il faut être raisonnable. (Il s’approche pour l’embrasser au front, il s’arrête tout à coup, il aperçoit le petit bonnet garni de dentelles qui est sur ses genoux. Il le regarde avec curiosité pendant que Blanche baisse les yeux, troublée) Oh le joli bonnet, vous travaillez comme un ange, en admettant que les anges se livrent aux travaux de couture. Plaisanterie à part, un minois rose et joufflu sera admirablement là-dessous ; il me semble le voir rire et grimacer. (S’abandonnant) Ah ! les enfants ! Blanche il n’y a encore que cela pour égayer la maison et mettre la joie au cœur de la famille.
Vous les aimez beaucoup, les enfants ?
Je crois que oui ; tenez, quand je rencontre la petite baronne, qui n’est certes pas jolie mais qui a toujours après elle sa grosse nourrice hollandaise avec son superbe poupon, je me sens tout chose, et je me dis que je voudrais bien être le mari de la petite baronne qui n’est pas jolie, pour embrasser souvent les joues de ce bambin là. Ce doit être si bon.
N’est-ce pas ?
Mais ce bonnet, Blanche, si pimpant, si coquet, c’est pour…
C’est pour mes pauvres…
Que c’est mal de me tromper, Blanche, ma Blanche adorée, non, ce n’est pas pour vos pauvres, c’est… pour nous, n’est-ce pas ? (Il la prend dans ses bras. Blanche s’abandonne, sa tête glisse sur son épaule et dans une caresse elle murmure :)
Oui, pour nous, mon bien aimé, je puis l’avouer avec fierté, maintenant que j’en suis sûre.
Oh ! que nous allons être heureux, ma chère enfant, comme nous allons l’aimer ! il sera beau comme toi, nous recommencerons cette bonne vie d’autrefois ; nous quitterons Paris ; adieu le cercle et ses plaisirs, et nous irons cacher notre bonheur dans ce petit coin perdu où nous sommes si fort aimés tous deux.
Et votre mandat de député ?
Bah ! je demanderai un congé et puis quand on n’est pas là, votre voisin vote pour vous, c’est la même chose.
Ce n’est donc pas un rêve !… après la lune… parlementaire, j’aurai la lune de miel pour de vrai, le bonheur pourrait revenir !
Mais le bonheur il est déjà revenu (revenant à la cheminée) Oh ! comme je me sens bien ; me voilà calme, reposé et quelles douces heures en pensant au cher petit qui nous arrivera bientôt frais comme un bouton de rose.
Scène XXII
{{acteurs|LES MÊMES, GERMAIN}
Monsieur !
Vous porterez la boule dans la chambre de madame.
Oui, monsieur. (Il sort en roulant des yeux étonnés).
Scène XXIII
Alors vous voulez ?
Reprendre notre bonne existence d’autrefois et recommencer à deux vos rêves de jeune fille.
Que tu es bon Je savais bien que tu me reviendrais, et que tout au fond (lu cœur tu aimais encore ta petite Blanche.
Je t’adore !
Scène XXIV
Allez préparer notre chambre (à de Marsac) Notre chambre.
Oui madame.
Êtes-vous malade, ma fille ?
Oui, madame, c’est-à-dire, non, je suis malade, mais je ne le suis pas.
C’est la tête qui déménage.
Madame, si j’étais obligée de me marier, me renverriez-vous ?
Ça dépend avec qui.
C’est Germain, madame.
La boule de monsieur est placée !
Dites, mon garçon, il paraît que vous vous mariez ?
Il faut bien réparer.
Ah ! pour compromise, si je l’étais en grand, ouf !
Encore un petit bonnet !
Il n’y a rien qui vous attache à la vie, et à la femme, comme ces bouts de dentelle-là.
- ↑ Note de Wikisource : les scènes 5 à 17 sont manquantes, numéros correspondants absents de Gallica