La Loi sur la Presse et le Syndicat des Journalistes


LA LOI SUR LA PRESSE ET LE SYNDICAT DES JOURNALISTES


Diverses propositions de loi ont été déposées tendant à modifier la loi de 1881 sur la presse. L’objet principal de ces propositions est de rendre plus facile et plus effective la répression de la calomnie.

Le Conseil d’administration du Syndicat a adopté, le 4 novembre 1918, le vœu suivant qui lui avait été soumis par le secrétaire général :

Le Syndicat des Journalistes :

En présence des propositions de loi concernant les modifications à apporter à la loi de 1881 sur la presse :

Considérant que ces propositions ont pour objet unique, de rendre plus rapide et plus efficace la répression des délits d’injure et de diffamation ;

Mais, considérant que, à l’heure actuelle, l’insuffisance de cette répression provient uniquement de ce que la loi n’est pas appliquée ;

En effet, d’une part, la loi fixant à trois mois les délais de la prescription, exige évidemment une répression rapide ;

D’autre part, la loi prévoyant des peines qui peuvent atteindre un an de prison (en cour d’assises), six mois de prison (en correctionnelle), et des amendes qui peuvent atteindre deux mille et trois mille francs, la loi prévoyant des dommages-intérêts illimités, autorise évidemment et exige une répression efficace ;

Considérant qu’il appartient dans ces conditions, non pas au législateur de modifier une loi qui n’est pas appliquée, mais à la Chancellerie et aux Parquets de prendre les mesures pratiques pour assurer l’application régulière et intégrale de la loi et qu’il appartient à l’opinion publique d’imposer d’urgence ces mesures indispensables ;

Émet le vœu que rien ne soit changé sur ce point aux dispositions de la loi de 1881.

En outre, considérant que la liberté de la presse doit être intangible et que la responsabilité est non plus la rançon, mais le complément nécessaire et comme le couronnement de la liberté ;

Considérant que, au point de vue de l’admission de la preuve, le législateur de 1881 a suivi les errements du législateur de 1819 qui, par défiance à l’égard des mœurs publiques, par peur de la puissance nouvelle et déjà grandissante que représentait la presse et par peur de la liberté qu’elle préparait, a supprimé le délit de calomnie, c’est-à dire d’imputation sans preuves, pour le remplacer par le délit de diffamation, c’est-à-dire d’accusation même prouvée, et a abouti ainsi à l’interdiction pour le journaliste de tout dire, même le vrai ;

Considérant que le législateur de 1881 n’a pu persister dans ces errements qu’en vertu d’une argumentation dont la casuistique paradoxale est indiscutable, à savoir que la diffamation constituant, malgré la vérité des faits, un délit, la preuve de la vérité du fait ne saurait être autorisée, car ce serait diffamer deux fois que de prouver que le fait diffamatoire est constant ;

Considérant qu’il est contraire à l’ordre public que le calomniateur, pour qui le mensonge est une industrie, alors qu’il devrait être châtié avec une extrême rigueur, ne soit pas plus répréhensible aux regards de la loi que l’écrivain qui entreprend de dire ce qu’il croit loyalement être la vérité, et la vérité dont il croit honnêtement la divulgation utile à l’intérêt général ;

Émet le vœu que le régime de la preuve, tel qu’il est établi par la loi de 1881, soit élargi et que, tout en garantissant l’inviolabilité absolue de la vie intime, tout en déterminant avec circonspection les preuves qui peuvent être admises, le législateur en finisse avec l’hypocrisie du délit de diffamation qui n’a d’autre effet que d’engendrer l’impunité à peu près constante et presque absolue du calomniateur professionnel.

Pour le Conseil d’administration
du Syndicat des Journalistes :
Le Secrétaire Général,
J. Ernest-Charles.

Le texte de ce vœu a été adressé aux membres de la Commission de Législation civile et criminelle de la Chambre des Députés.

Plusieurs d’entre eux nous ont envoyé leur adhésion aux idées exprimées dans le vœu et nous ont assuré de leur appui pour les faire triompher.