La Loi de huit heures jugée par les faits

Raphaël-Georges Lévy
La Loi de huit heures jugée par les faits
Revue des Deux Mondes7e période, tome 7 (p. 605-630).
LA LOI DE HUIT HEURES
JUGÉE PAR LES FAITS

La question de la limitation légale de la durée du travail, c’est-à-dire de l’intervention du législateur sur un domaine duquel pendant de longs siècles il s’était tenu écarté, a pris, au cours des dernières années, et particulièrement depuis la guerre, un développement extraordinaire. Non seulement elle a donné naissance à des lois et règlements qui, chez de nombreuses nations, ont traité de la matière ; mais elle a débordé les frontières des peuples et a fait l’objet des délibérations d’organes internationaux, essayant d’établir une législation internationale et de lier ainsi les divers groupements humains les uns vis-à-vis des autres.

La loi de huit heures, brusquement imposée à la France par une sorte d’improvisation gouvernementale et parlementaire, a produit un véritable bouleversement dans les conditions du travail, de la production industrielle, de l’activité commerciale de notre pays. Appliquée avec un zèle qu’il est permis de qualifier d’excessif, elle a entraîné des conséquences que personne n’entrevoyait d’abord, ou plutôt sur lesquelles on a voulu fermer les yeux. Le réveil a été rapide et douloureux. De toutes parts il a fallu constater le relèvement des prix de revient, qui, à une époque où le renchérissement de la vie est un des plus graves sujets d’inquiétude, rend plus difficile la solution des problèmes économiques. C’est par milliards que se chiffrent les pertes annuelles que subit de ce chef la communauté, et cela au moment où la concurrence étrangère est plus pressante que jamais. Les augmentations invraisemblables d’effectifs du personnel auxquelles il a fallu procéder, l’accroissement soudain des charges imposées aux entreprises, ont ébranlé jusque dans leurs fondements un certain nombre de celles-ci. Aussi des plaintes s’élèvent-elles de tous côtés. Des voix innombrables réclament une modification de l’état de choses actuel. Le lecteur ne s’en étonnera pas, lorsque nous aurons mis sous ses yeux les faits qui jugent la législation des huit heures.


I. — HISTORIQUE

Remontons aux origines, dont quelques-unes sont lointaines. La Grande-Bretagne avait inauguré en 1802 la réglementation légale du travail en limitant à douze heures la journée des « apprentis des paroisses, » c’est-à-dire des enfants des indigents assistés. La mesure fut généralisée par la loi Ashley (factory act) de 1833, qui établissait un maximum de 48 heures par semaine pour tous les enfants jusqu’à 13 ans et de 69 heures par semaine pour les adolescents de 13 à 18 ans, avec interdiction du travail de nuit et création d’inspecteurs des fabriques. La journée de 40 heures pour les femmes et les enfants employés dans les grandes industries fut votée en 1847.

En France, la première loi sur le travail des enfants fut promulguée le 22 mars 4841. En 1848, un décret du 21 mars fixa la journée de travail des adultes à 10 heures à Paris et à 11 heures en province : mais il n’a pas été appliqué ; il fut remplacé par la loi du 9 septembre 1848, qui fixait le maximum de la journée à 12 heures. Cette dernière loi resta en vigueur jusqu’à l’établissement de celle de 8 heures, pour les fabriques occupant exclusivement des hommes adultes. Depuis 1904, la limite légale était abaissée à 10 heures dans les établissements industriels occupant à la fois des hommes et des femmes. Parmi les inconvénients de cette dernière disposition, on a signalé celui de faire regagner le logis simultanément par le mari et sa compagne, au lieu de permettre à celle-ci de rentrer plus tôt et de préparer le repas familial. Quoi qu’il en soit, on voit que l’intervention du législateur s’était surtout exercée en faveur des femmes et des enfants ; en aucun cas, il ne s’était préoccupé de se lier vis-à-vis des nations étrangères ni de demander à celles-ci de prendre des engagements envers nous. Cette phase nouvelle du problème est apparue à la suite de la Grande Guerre.

L’article 427 du Traité de Versailles, qui en forme à lui seul la section II intitulée : « Principes généraux, » débute ainsi : « Les hautes parties contractantes, reconnaissant que le bien-être physique, moral et intellectuel des travailleurs salariés est d’une importance essentielle au point de vue international, ont établi, pour parvenir à ce but élevé, l’organisme permanent prévu à la section I et associé à celui de « la Société des Nations. » Puis, parmi les méthodes et principes que toutes les communautés industrielles devraient s’efforcer d’appliquer, autant que les circonstances spéciales dans lesquelles elles pourraient se trouver le permettraient, le même article 427 inscrit l’adoption de la journée de huit heures ou de la semaine de quarante-huit heures, comme but à atteindre partout où il n’a pas encore été obtenu. La Conférence générale de l’organisation du Travail de la Société des Nations, réunie à Washington en octobre 1919, exécuta cette recommandation en adoptant un projet de convention à ratifier par les membres de l’organisation internationale du travail.

Ce projet énumère les établissements industriels auxquels la convention s’applique, les soumet à la loi de huit heures par jour et quarante-huit heures par semaine, sauf exceptions, n’autorise d’ailleurs de dépassements passagers qu’à la condition de ramener ensuite la moyenne du travail à un maximum de 48 heures par semaine, accorde 56 heures par semaine dans les travaux à effectuer par équipes, indique les dérogations permanentes ou temporaires autorisées pour les travaux intermittents ou de surcroît, oblige les Gouvernements adhérents à communiquer au bureau international du Travail les renseignements sur tous les cas ayant donné lieu à une dérogation à la loi. Le projet contient des dispositions particulières à un certain nombre d’Etats, tels que le Japon, l’Inde, la Grèce, la Roumanie. Il prévoit que la convention peut être suspendue dans tout pays par ordre du Gouvernement, en cas de guerre ou d’événements présentant un danger pour la sécurité nationale. Ne sont liés que les membres ayant expressément ratifié la convention.

Si nous examinons la question au point de vue philosophique, nous pouvons nous demander quelle est la portée du passage du Traité de Versailles déclarant que « le travail ne doit pas être considéré simplement comme une marchandise ou un article de commerce. » Certes, nous ne songeons pas à proclamer identique le travail intellectuel ou manuel de l’homme et le produit matériel de ce travail, né de la conception d’un inventeur et de l’exécution par un manœuvre.

Cependant nous ne pouvons pas ne pas reconnaître que la vie de l’humanité est faite de marchés dans lesquels le travail s’achète et se vend. Lorsque Pasteur recevait à l’Ecole normale le prix des leçons qu’il y professait, ou lorsque le maçon touche le salaire de la journée au cours de laquelle il a édifié le mur d’une maison, le premier donnait sa science, et le second dépense sa force musculaire contre une rémunération en argent. Si ce n’est pas un acte de commerce, c’est tout au moins un acte d’échange, sans que pour cela le mérite ni la valeur de l’enseignement du grand savant ou de l’effort du tailleur de pierres se trouvent le moins du monde diminués.

Il est bien peu d’actes de notre existence qui n’impliquent pas l’utilisation de notre travail en vue de l’obtention d’une récompense matérielle, qui en est le prix direct ou indirect. C’est là un commerce qui n’a rien de contraire à la dignité humaine. En dehors du nombre très restreint d’hommes, qui, ayant hérité d’un capital, lequel d’ailleurs n’était lui-même que du travail accumulé, peuvent, pendant un certain temps, vivre du produit de ce capital, sans y ajouter un effort nouveau, l’universalité des êtres humains gagne sa vie, c’est-à dire vend son travail.

Ajoutons que beaucoup d’hommes qui ont travaillé pendant une partie de leur existence passent, à un certain âge, par suite de l’organisation moderne des retraites, de la première dans la seconde catégorie. On connaît le développement considérable pris par ces institutions, soit que l’Etat intervienne, soit que les employeurs particuliers organisent les Caisses qui serviront des rentes à leur personnel au fur et à mesure qu’il acquiert le droit au repos. Si les retraites ouvrières et paysannes, créées par la loi de 1910, ne fonctionnent pas encore dans la mesure espérée par le législateur, les compagnies de chemins de fer, les charbonnages, la Banque de France, de nombreuses entreprises privées servent à leur personnel, après qu’il a quitté leur service, des retraites souvent élevées. Tous les fonctionnaires de l’Etat et des administrations publiques sont dans le même cas. On sait quelle fraction de plus en plus grande ils représentent dans la population. Voilà donc des millions de Français qui, après avoir travaillé pendant 25 ou 30 ans, c’est-à-dire la moitié de leur vie, ont droit à un revenu viager. Ils entrent ainsi dans la classe des oisifs. Certains d’entre eux recherchent un nouvel emploi de leur activité. On voit des hommes de 50 ou 55 ans, vigoureux de corps et d’esprit, recommencer une carrière et en joindre le produit à la pension qu’ils touchent en vertu de leur travail antérieur. Le législateur va-t-il s’aviser un de ces jours d’intervenir de ce côté, et, après avoir limité les heures du travail, prétendra-t-il borner le nombre des années au cours desquelles il sera permis à chacun de nous de s’occuper ?

Le travail, de plus en plus en honneur dans les sociétés modernes, à mesure que leur existence se complique davantage et que la nécessité pour chacun des membres de la communauté de contribuer pour sa part au résultat d’ensemble apparaît plus clairement, n’est plus abandonné aux esclaves comme dans certaines sociétés antiques. Il n’est évidemment pas une marchandise comme une autre ; il en est une d’une nature spéciale, infiniment respectable, puisqu’elle n’existe que par l’énergie morale et physique de l’homme. Il dépend au premier chef de la personnalité humaine, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus élevé et de plus précieux sur cette terre. Mais il s’échange, et dès lors il fait l’objet d’un acte commercial.

Cette conception, si elle avait été clairement réalisée par les auteurs du Traité de Versailles et les membres de la Conférence de Washington, les aurait peut-être arrêtés dans la voie de la réglementation à outrance dans laquelle ils ont engagé l’univers. Si la liberté de commerce, est aujourd’hui proclamée chez la plupart des peuples, n’y a-t-il pas contradiction entre ce principe et l’intervention de l’Etat dans les rapports entre ouvriers et patrons, entre travailleurs et employeurs ?

Notons d’ailleurs que patrons et employeurs travaillent en général beaucoup plus qu’ouvriers et employés, et que le législateur n’a pas songé à limiter ce travail intellectuel des chefs d’entreprise, qui use les forces bien autrement qu’une simple contraction musculaire. Si la loi devait véritablement protéger l’homme contre lui-même, c’est-à-dire l’empêcher de travailler au delà de ce qui est raisonnable, elle viserait en première ligne ceux qu’on appelle parfois les capitaines d’industrie et dont le labeur dépasse fréquemment, et comme durée et comme intensité, la commune mesure. La conservation de ces individus importe autant à la nation que celle des autres. Cependant le législateur les ignore, de même qu’il laisse libres ceux qui travaillent isolément, en famille ou avec un petit nombre d’ouvriers.

On argue de la nécessité de protéger l’homme dénué de ressources, qui est obligé de conquérir chaque jour son salaire en luttant contre les exigences de celui qui détient le capital. Mais, dans le monde moderne, le travailleur, sans lequel aucune entreprise ne peut vivre, est dans une position de plus en plus forte : il a à sa disposition la puissance de l’association. Partout nous avons vu s’organiser des groupements d’ouvriers qui défendent leurs intérêts. Ne sont-ils pas de taille à discuter et à obtenir satisfaction ? De leur côté, l’Etat et les municipalités peuvent intervenir en vertu de leurs droits de police et s’assurer, notamment au point de vue de l’hygiène, que les prescriptions sanitaires sont observées.

Il est à remarquer que l’article 427 du Traité de Versailles ne parle que des communautés « industrielles « et ne mentionne en aucune façon le travail agricole, auquel on a voulu étendre les projets de réglementation internationale.

Nous examinerons l’état actuel de la législation française, l’effet qu’elle a eu sur un certain nombre d’industries. Nous jetterons ensuite un coup d’œil sur les principales législations étrangères. Nous terminerons en exposant les desiderata qui se font jour à l’heure actuelle au point de vue de l’abrogation, de la suspension ou de la modification de la loi de huit heures.


II. — LÉGISLATION FRANÇAISE

Sans attendre la réunion d’une conférence internationale, appliquant chez elle les principes qu’elle faisait inscrire dans le Traité de Versailles, la France établit, par la loi du 23 avril 1919, la journée de huit heures. Cette réforme a été opérée par une modification du titre Ier du livre II du Code du travail : elle s’est traduite par le texte suivant : « Dans les établissements industriels ou commerciaux ou dans leurs dépendances, de quelque nature qu’ils soient, publics ou privés, laïques ou religieux, même s’ils ont un caractère d’enseignement professionnel ou de bienfaisance, la durée du travail effectif des ouvriers ou employés de l’un ou l’autre sexe et de tout âge ne peut excéder soit huit heures par jour, soit quarante-huit heures par semaine, soit une limitation équivalente établie sur une période de temps autre que la semaine. Des règlements d’administration publique déterminent par profession, par industrie, par commerce ou par catégorie professionnelle pour l’ensemble du territoire ou pour une région, les délais et conditions d’application de cet article. »

Postérieurement à cette loi fondamentale, sont intervenus des lois et des décrets réglementant, pour chaque profession, l’application de la loi de huit heures en France. Nous en citerons un certain nombre, afin de montrer dans. quel sens se sont développées les prescriptions législatives ou administratives.

La loi du 24 juin 1919 s’applique aux mines de combustibles ; elle admet des dérogations en cas de guerre ou de tension extérieure et pour travaux continus. Le décret du 30 août 1919 concerne les industries du livre, des cuirs et peaux ; il permet la récupération des interruptions au moyen de journées de 10 heures au maximum. La ganterie fait l’objet d’un décret du 27 août 1920 ; le vêtement, d’un décret du 12 décembre 1919. Celui-ci autorise 120 heures par an de travail supplémentaire, réparties par moitié sur 15 samedis et sur 60 journées autres que le samedi. La dérogation est élevée à 250 heures par an pour la teinturerie de plumes.

Le même décret s’applique aux textiles. Si le mode adopté est la semaine anglaise de 48 heures, le repos du samedi après-midi peut être remplacé par un repos égal les jours de marché local. L’inspecteur du travail peut autoriser la récupération des heures de chômage de morte saison jusqu’à concurrence de 100 heures par an.

Le personnel employé à la conduite des fours, fourneaux, étuves, sécheries, chaudières, cuves et bacs, les mécaniciens, électriciens, chauffeurs, réparateurs de matériel, peuvent travailler 2 heures après la fin du travail des autres ouvriers. Le personnel dont le travail est coupé de longs repos, tel que surveillants, gardiens, aiguilleurs, conducteurs d’automobiles, charretiers, livreurs, magasiniers, service d’incendie, peuvent aller jusqu’à 12 heures de travail, nous aurions dit de « présence. » En cas d’accident ou de force majeure, les heures perdues peuvent être récupérées, avec un maximum de 10 heures de travail sur 24.

Pour les chaussures en gros, les décrets du 19 novembre 1919 et du 16 mars 1921 prévoient la semaine de 48 heures, avec un maximum de 9 heures les cinq premiers jours et de 5 heures le samedi matin. Dans le département de la Seine, la limite est de 8 heures 40 minutes et 4 heures 40 minutes le samedi. Cette différence de vingt minutes nous laisse rêveurs.

Pour la batellerie fluviale, le décret du 28 novembre 1919 prend comme base non pas la durée du travail, mais la présence, qui est fixée à 9, 10 ou 11 heures, selon les mois de l’année ; des dérogations sont autorisées pour les chauffeurs, charretiers, conducteurs de tracteurs. C’est un des cas très rares où le législateur, se rendant à l’évidence, a consenti à distinguer entre l’effort véritable du travailleur et sa présence sur les lieux où il est occupé de façon intermittente.

Pour les hôtels, restaurants et cafés de la région parisienne, un décret du 2 août 1920 exige un repos ininterrompu de douze heures entre deux journées de présence, accorde des dérogations pour les cuisiniers, lingères, chauffeurs, chefs d’équipe, surveillants, gardiens, concierges, conducteurs d’automobiles, porteurs, pompiers. Ne bénéficient pas du décret, les directeurs, secrétaires, gérants, maîtres d’hôtel, chefs de cuisine, chefs sommeliers, cavistes, premières caissières, premières lingères.

Les magasins de coiffure et postiches (décret du 26 août 1920) ont droit à 51 heures de travail par semaine à Paris, 54 heures dans les villes de plus de 25 000 habitants, 60 heures dans les autres communes. Il y a des dérogations pour les jours fériés ; un surcroit de travail est autorisé.

Nous pourrions multiplier les citations. Il est bien peu de branches de l’activité humaine qui ne se soient vues gratifiées d’un règlement particulier. Un décret spécial a organisé un régime temporaire pour les entreprises de bâtiments et de travaux publics dans les régions libérées.

C’est un véritable code de la durée du travail qui a été rédigé depuis deux ans. On voit quelle en est l’extrême complexité. Ne démontre-t-elle pas à elle seule l’erreur du législateur, qui, après avoir voulu coucher dans un lit de Procuste toutes les formes de l’activité humaine, a dû reconnaître aussitôt que ces formes sont essentiellement variables, qu’elles ne se manifestent pas également à toutes les époques de l’année, qu’il est des besognes dont l’ordre est commandé par les lois naturelles et ne saurait se plier au joug d’une règle uniforme, que d’autre part le mot travail sert à désigner des efforts d’une intensité bien différente les uns des autres, qu’il n’y a par exemple aucune comparaison à établir entre le labeur d’un métallurgiste qui manie des lingots d’acier à une température de 1 500 degrés et celui d’un garde-barrière qui, en vingt-quatre heures, regarde passer deux trains montants et deux trains descendants.

Voyons maintenant quelles ont été, dans la pratique, les effets de ces mesures. Il nous suffira de passer en revue quelques-unes de nos principales industries pour constater le désordre qu’elles ont provoqué.


III. — EFFETS DE LA LOI DE HUIT HEURES DANS QUELQUES INDUSTRIES FRANÇAISES

Commençons par les chemins de fer, cette industrie essentielle, de laquelle toutes les autres dépendent. La mesure fut mise en vigueur au moment le plus critique, alors que le parc national de matériel était amoindri de près d’un septième du nombre de wagons et de voitures qu’il comptait au début des hostilités et qu’il était en fort mauvais état d’entretien : le chiffre moyen des locomotives réformées s’était accru dans la proportion de 1 à 12, celui des wagons de 1 à 10 et demi. La reprise de la vie économique exigeait cependant un trafic intense et un redoublement d’activité. C’est l’heure que l’on choisit pour limiter la durée du travail. Les réseaux émirent, à l’unanimité, l’avis que la loi ne pourrait être appliquée intégralement sans porter un grave préjudice au régime des transports : ils n’en durent pas moins s’incliner et modifier de fond en comble les conditions d’exploitation.

La loi de huit heures a nécessité une augmentation brusque de plus de 100 000 agents, dont 10 000 pour la seule catégorie des mécaniciens et chauffeurs. L’effectif s’est accru dans la proportion de 25 à 32 pour 100 pour les agents des gares, de 30 à 37 pour 100 pour les agents des trains, de 40 à 42 pour 100 pour les mécaniciens et chauffeurs. En même temps, la dépense moyenne par agent passait de 2 160 francs avant la guerre à 6 632 francs. Les frais du personnel ont représenté, en 1920, 58 pour 100 des recettes d’exploitation, au lieu de 36 pour 100 en 1913.

Cette multiplication des emplois, loin d’améliorer le trafic, a amené une diminution du rendement. Il a fallu instantanément élargir les cadres et recruter du personnel à tout prix. La nécessité d’assurer le service a fait abaisser les périodes de stage. C’est ainsi que le certificat d’aptitude a dû être accordé aux mécaniciens au bout de quelques mois, au lieu de trois ou quatre ans. Les résultats inévitables n’ont pas tardé à se faire sentir ; le nombre des accidents s’est accru. Au lieu de 61 tués et 412 blessés en 1913, il y a eu 122 tués et 1 164 blessés en 1920. D’autre part, les vols, pertes et avaries ont passé de 17 millions de francs en 1913 à 242 millions de francs en 1920 ; cette formidable aggravation est due en grande partie à l’inexpérience des agents ; des hommes insuffisamment préparés encombrent les services, où ils mènent une vie de paresse obligatoire. Leur nombre a été doublé dans mainte petite gare où il passe un ou deux trains par jour. Aux heures de désœuvrement, les employés exercent un second métier et contribuent ainsi à augmenter le chômage parmi ceux dont ils prennent la place. Une protestation du syndicat des ouvriers tonneliers de la Seine a été significative à cet égard : beaucoup de tonneliers, disait-elle, ne peuvent trouver de travail, parce que leur place est prise, dans les chais et les magasins, par des bénéficiaires de la loi de huit heures, et en particulier par des cheminots. L’augmentation de l’effectif de ceux-ci a eu pour résultat de faire abandonner les campagnes par un grand nombre d’ouvriers agricoles. Un préfet écrivait à une compagnie de chemins de fer que « si elle continuait à drainer les ruraux, le jour arriverait vite où la population ouvrière de la campagne serait tellement réduite que la terre ne pourrait plus être cultivée. » Cette remarque s’applique d’une façon générale à toutes les augmentations d’effectifs d’ouvriers industriels provoquées par la loi de huit heures. M. Jeanneney, rapporteur au Sénat du budget des Chemins de fer de l’Etat, a déclaré « qu’enlever aux campagnes, comme on l’a fait, des travailleurs dont elles ont tant besoin, pour surpeupler et encombrer des bureaux et des gares, pour les y entretenir, faute de travail, dans une oisiveté pernicieuse pour eux, démoralisante pour ceux qui la constatent et ruineuse pour les finances publiques, c’est faire œuvre lamentable. »

Cette loi a diminué le rendement du personnel, prolongé la crise des transports, née de la guerre, ralenti et contrarié l’effort de la réorganisation ; elle a augmenté les dépenses d’exploitation et par suite relevé le prix des transports. Malheureusement, les règlements interprétatifs, loin d’essayer d’appliquer la loi dans un esprit large, semblent n’avoir eu pour but que de la rendre plus vexatoire. On sait qu’elle ordonne que les règlements à intervenir soient pris, d’office, ou bien à la demande d’une ou plusieurs organisations patronales et ouvrières nationales ou régionales intéressées. Dans l’un et l’autre cas, les organisations patronales et ouvrières doivent être consultées : elles forment alors ce qu’on appelle les commissions paritaires. Or la minutie des prescriptions dans lesquelles elles sont entrées a quelque chose de déconcertant. En voici un exemple pris au hasard : il est emprunté au Régime du repos du personnel sédentaire. » Dans les services organisés en trois postes successifs de huit heures, chaque agent effectuera en vingt-quatre jours huit périodes de nuit, suivies d’une interruption de cinquante-six heures, et cinq périodes de soirée suivies d’une interruption de trente-deux heures. Dans les services organisés en deux postes, les repos périodiques seront donnés par alternance des agents d’un poste à l’autre. » Ces quelques lignes ne sont que le début d’une infinité de dispositions rigides, dont les effets économiques ont été désastreux. C’est ainsi qu’il est prescrit que le repos de l’agent doit commencer à telle heure. S’il se produit le moindre retard, non seulement la Compagnie paie une indemnité en argent, mais elle doit, ce qui est infiniment plus grave, la payer aussi en repos supplémentaire. On voit ainsi des mécaniciens ne travailler parfois que quatre heures sur vingt-quatre.

Le service des gares est plus mal fait avec trois équipes de huit heures qu’il ne l’était avec deux de douze heures. Quand par exemple la relève se fait à quatorze heures, beaucoup des arrivants ont travaillé le matin, en dehors du chemin de fer ; lorsqu’ils se mettent à l’ouvrage, ils sont déjà fatigués.

Autrefois, les Compagnies s’arrangeaient de façon à avoir leur personnel présent aux heures d’affluence. Dans l’intervalle, elles leur laissaient une certaine liberté, dont ceux qui habitaient le voisinage profitaient même souvent pour rentrer chez eux. Le système actuel, qui implique la clôture des gares de midi à deux heures, fait que les expéditions sont singulièrement ralenties. Des colis en grande vitesse mettent trois ou quatre jours à arriver à destination. Certains grands magasins parisiens ont renoncé à solliciter des commandes de fin d’année en province : à cause de la lenteur des envois, elles ne pouvaient pas garantir à leur clientèle qu’ils leur parviendraient avant le 1er janvier. Une de nos compagnies affirme qu’il lui faut 15 000 wagons de plus du seul chef de ce ralentissement des chargements.

Les calculs du temps compté comme travail sont abusifs : quand certains poseurs de la voie ont un trajet de plus de deux kilomètres à effectuer pour se rendre au lieu de leurs occupations, on leur paie le temps qu’ils mettent à venir et on le compte à raison de 15 minutes le kilomètre. Ici encore, ces dispositions ont eu pour effet d’augmenter brusquement le nombre des ouvriers, dont le recrutement est d’autant plus difficile et la qualité d’autant plus médiocre. Les voies sont moins bien entretenues qu’autrefois, ce qui a contribué à la plus grande fréquence des accidents.

La loi, étroitement ou plutôt inexactement interprétée, a obligé les compagnies à ne pas compter les heures de travail, mais les heures de présence. Sur des lignes à faible rendement, il a fallu de ce chef doubler le nombre des agents : si par exemple un train passait à six heures et le suivant à dix-neuf heures, deux équipes étaient nécessaires, alors même que dans l’intervalle le calme fût absolu. Dans le service de l’entretien de la voie, les agents travaillent peu en hiver ; ce temps perdu était jadis regagné dans la belle saison, de sorte qu’ils travaillaient en moyenne dix heures par jour. Désormais, ils sont toujours payés à raison de huit heures, même s’ils n’en font que cinq ou six. Pour la traction, chaque mécanicien entretient sa machine et reçoit une prime sur l’économie de houille ; le temps de service étant réduit, il a fallu plus de mécaniciens et plus de locomotives. Les Compagnies ont dépensé 2 milliards de francs à acheter au dehors des machines aux plus hauts prix, à bâtir des remises pour les machines, des logements pour le personnel ; il a fallu organiser ces installations sur les divers points où le service abrégé s’arrêtait. Ces travaux ont été exécutés au moment où le coût de la construction était au maximum. Cela a été une des conséquences les plus onéreuses de la réglementation. L’application étroite qui en a été faite a eu pour conséquence, d’après M. Margot, directeur général du Paris-Lyon-Méditerranée, de réduire à six heures par jour la durée moyenne du travail effectif.

Les conséquences financières directes sont évaluées à 1 100 millions de francs de dépenses supplémentaires annuelles. A ce chiffre il convient d’ajouter l’intérêt et l’amortissement des 2 milliards dépensés pour locomotives, remises et logements ouvriers, soit au total 1 250 millions de Francs. Tels sont les résultats pour les chemins de fer de la loi de huit heures ; elle a entraîné en outre des conséquences indirectes que nous avons indiquées et qu’il est malaisé de chiffrer.

Le travail dans les houillères a été réglementé par la loi du 24 juin 1919. L’article 9 en fixe la durée maximum à huit heures ; l’article 10 porte qu’ « en ce qui concerne les ouvriers du fond, cette durée est calculée par chaque poste et chaque catégorie d’ouvriers, depuis l’heure d’entrée réglementaire dans le puits des premiers ouvriers descendant jusqu’à l’heure réglementaire de l’arrivée au jour des derniers ouvriers remontés. » Il a aussi été accordé aux mineurs que le repas qu’ils prennent au fond, appelé le briquet, serait compté comme temps de travail. Il en est résulté une diminution générale de la production, que le Comité central des Houillères de France, dans son rapporta l’Assemblée générale du 18 mars 1921, évalue à un cinquième environ par rapport à l’avant-guerre. De ce chef, c’est 10 millions de tonnes de moins que produit notre pays, et qu’il est forcé d’importer. Au prix de 250 francs la tonne, c’est un tribut additionnel de 2 500 millions de francs que nous payons à l’étranger. Si l’on ajoute cette somme à celle de 1 250 millions que nous avons indiquée pour les chemins de fer, on voit que, pour ces deux industries seules, le surcroît de charges annuel atteint 3 750 millions de francs.

D’une enquête faite dans les industries métallurgiques et mécaniques, il résulte que, en ce qui concerne les travaux à feu continu, pour une production journalière restée constante, les effectifs ont dû être augmentés de 45 à 50 pour 100, et, comme la loi oblige de maintenir à chaque ouvrier le même salaire journalier que sous le régime des dix heures, la majoration des dépenses de main-d’œuvre a été, elle aussi, de 45 à 50 pour 100. D’autre part, il a été établi que la réduction de la journée de travail a été sans influence sur la productivité horaire des ouvriers. Dans les travaux mécaniques et à feu continu, l’augmentation de frais a été de 20 pour 100.

Pour les industries textiles, le travail dans les usines étant limité par le fonctionnement des machines et la vitesse de celles-ci ne pouvant plus être développée, la diminution de production est proportionnelle à la réduction intervenue. Sur les marchés mondiaux, la France se heurte à la concurrence des nations qui n’appliquent pas la loi de 8 heures ; la durée du travail dans les tissages et filatures de coton des Etats du Sud de l’Union américaine est de 54 heures par semaine ; en Angleterre, les accords entre ouvriers et patrons, pour des heures supplémentaires au delà des 48 heures normales, sont constants. Au Japon, les tissages de coton travaillent à raison de deux équipes de dix, ou même de onze heures. Aux Indes, la semaine paraît devoir être ramenée à 60 heures, mais en fait la durée en est encore bien supérieure.

Dans les autres industries, nous recueillons des résultats analogues. Une observation faite dans beaucoup de cas, c’est que, contrairement à un espoir qui avait été exprimé, la production de l’ouvrier travaillant 8 heures n’a pas été proportionnellement supérieure à ce qu’elle était lorsqu’il travaillait 10 heures. Non seulement le rendement ne s’est pas amélioré, mais souvent il a diminué ; on a constaté des cas où, au lieu de se réduire du cinquième, il avait baissé du tiers.

Nous savons que d’autres circonstances n’ont pas été étrangères à ce fléchissement du rendement au cours des dernières années. La santé de certains travailleurs avait été éprouvée par la guerre : beaucoup de ceux qui représentaient l’élément le plus vigoureux manquent à l’appel ; la proportion des malingres, qui n’avaient pas été reconnus aptes au service militaire, diminue la valeur moyenne des équipes ; les tout jeunes gens, dont l’éducation s’était achevée ou plutôt s’était arrêtée pendant que leurs pères mobilisés n’étaient plus là pour les surveiller, s’étaient prématurément fatigués. Mais, même en tenant compte de ces faits, il n’en est pas moins certain que l’on ne saurait espérer trouver dans l’intensification du travail au cours d’une période plus courte une compensation, même partielle, à l’abréviation du temps de présence à l’atelier.

Il en résulte qu’au point de vue économique, la loi de 8 heures, contrairement à ce que pourrait faire croire un raisonnement superficiel, augmente, au lieu de les restreindre, les risques de chômage. En effet, la diminution de rendement de la journée de travail se traduit par un relèvement du prix de revient et par conséquent du prix de vente. Dès lors, les débouchés se restreignent, les commandes se font plus rares, la fermeture totale ou partielle de l’usine est à redouter.

La loi de huit heures n’a pas seulement eu un effet direct sur les frais de main-d’œuvre, elle a eu, sur cet élément de la production, des répercussions multiples. Comme elle a majoré les prix de revient industriels, elle a indirectement fait monter ceux des produits agricoles, par suite de l’augmentation du prix du matériel nécessaire à la culture, de la hausse des frais de transport et surtout de l’accroissement des salaires que l’agriculteur a dû consentir à ses ouvriers, de plus en plus sollicités par les conditions plus avantageuses du travail industriel et par l’attrait des centres urbains. Dès lors, l’ouvrier, voyant diminuer la puissance d’achat de son salaire, en réclamait la hausse ; et le renchérissement gagnait de proche en proche.

Certaines usines ont dû s’arrêter. On cite celle de Mouterhouse dans les Vosges, où une industrie métallurgique, utilisant des chutes d’eau et brûlant le charbon de bois fourni par les forêts du voisinage, existait depuis le XVIe siècle. Elle occupait 260 ouvriers travaillant en deux équipes. Du jour où il a fallu en avoir trois, les frais sont devenus prohibitifs ; et d’ailleurs, la population du village n’aurait pas suffi à fournir le nombre voulu d’ouvriers. Il a fallu fermer l’établissement.

Pour la marine marchande, la loi du 2 août 1919 a posé le principe de la journée de 8 heures et du repos hebdomadaire. Le décret du 20 février 1920, qui en a réglé l’exécution, stipule ce qui suit : « Est considéré comme temps de travail effectif le temps pendant lequel le personnel embarqué est, par suite d’un ordre donné, à la disposition du capitaine, hors des locaux qui lui servent d’habitation à bord. » Il faut n’avoir jamais navigué pour assimiler à un travail d’atelier les périodes de veille ou d’attente, si fréquentes dans la vie du matelot. M. Raymond Leygue, rapporteur au Sénat, déclarait que « du fait de l’application de la loi de 8 heures, le taux du fret français augmente dans de telles proportions que notre commerce ne peut plus l’utiliser. »

Les vapeurs qui, avant la loi, avaient six hommes de pont et deux officiers en dehors du capitaine, sont maintenant tenus d’avoir un effectif de neuf hommes et de trois officiers. En outre, le travail du dimanche à la mer est payé au titre d’heures supplémentaires. Sur la plupart des cargos, l’augmentation du personnel a été de 30 pour 100, ce qui représente une dépense additionnelle annuelle de 84 francs par tonne de jauge brute.

Les résultats n’ont pas tardé à se faire sentir dans notre industrie de la pêche maritime. Nous avons vu les comptes d’armement d’une flottille dans laquelle le produit de la vente du poisson suffit tout juste à couvrir les frais de l’équipage, sans laisser un centime à l’armateur. Aussi les pêcheurs anglais apportent-ils leur poisson dans nos ports du Havre, de Dieppe, de Fécamp, de Dunkerque. Celui de la Belgique arrive par camions automobiles dans nos villes du Nord, celui de l’Allemagne et de la Hollande, dans nos régions de l’Est. Nos voiliers désarment les uns après les autres : sur une belle flotte de quatre-mâts qui allait chercher du fret dans les deux Amériques, deux bâtiments seuls naviguent à l’heure actuelle. Les chargeurs étrangers viennent, jusque dans nos ports, faire concurrence aux nôtres. Nos bateaux de 1 500 tonnes sont obligés d’avoir un effectif de pont égal à celui des vapeurs de 6 000 tonnes.

Dans l’ensemble, la surcharge imposée à l’armement français par la loi du 2 août 1919 peut être évaluée à 50 millions de francs par an. Les pertes indirectes atteignent un chiffre supérieur. Les autres nations ont refusé d’imiter la France. La loi de 8 heures n’est pas appliquée par les Anglais, c’est-à-dire la nation dont la flotte marchande dépasse de beaucoup en importance celle de n’importe quel autre pays. La conférence de Gênes, à laquelle un accord international avait été proposé, a échoué devant le refus de la Grande-Bretagne.


IV. — ÉTAT DE LA QUESTION A L’ÉTRANGER

La conférence générale de l’organisation internationale du travail de la Société des Nations, convoquée à Washington par le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique, le 29 octobre 1919, a décidé d’adopter diverses propositions relatives à l’application du principe de la journée de huit heures ou de la semaine de 48 heures : elle a rédigé en conséquence un projet de convention qui a été soumis à la ratification des Etats membres de l’organisation internationale du travail. Mais quatre Etats seulement : Grèce, Roumanie, Inde, Tchécoslovaquie, y ont adhéré jusqu’ici. Et encore la Grèce s’est-elle réservé le droit de ne mettre la loi en vigueur qu’au 1er juillet 1923, et même, pour certains établissements, le 1er juillet 1924. La Roumanie a reporté l’exécution au 1er juillet 1924. L’Inde a obtenu un régime spécial de 60 heures par semaine. La Tchécoslovaquie a stipulé des exceptions pour l’industrie sucrière.

Si nous recherchons la conduite adoptée par d’autres pays, nous voyons qu’en Allemagne la journée de huit heures a été établie par les ordonnances des 23 novembre et 17 décembre 1918 pour les ouvriers et parcelle du 18 mars 1919 pour les employés. Le code du travail agricole du 30 juin 1919 limite à 2 900 heures par an le travail à la campagne.

Le rapport du directeur du bureau de la Conférence internationale du Travail à Genève prétend que ces ordonnances sont mieux observées qu’on ne l’assure. Une enquête récemment faite aurait établi que la semaine de 48 heures est généralement respectée dans la métallurgie allemande. Cette affirmation est contredite par les rapports de nombreux voyageurs qui ont eu l’occasion de parcourir les districts industriels d’outre-Rhin. En tout cas, l’Allemagne tarde à consacrer législativement le régime des huit heures : le Gouvernement hésite à le proposer au Reichstag.

Le ministre du Travail a soumis au Conseil d’Empire un projet qui, tout en paraissant respecter le principe, cherche à l’adapter aux nécessités économiques. Ce projet ne s’applique d’ailleurs qu’aux travailleurs des usines ; il laisse de côté les employés, le personnel des hôpitaux, les domestiques, les agents de chemins de fer, tramways, canaux et autres moyens de communication d’intérêt public, les pêcheurs et marins. Une clause qui mérite d’être relevée est celle qui défend aux ouvriers d’effectuer un travail de la nature de leurs occupations habituelles auprès d’un autre employeur, si de ce fait la durée légale se trouve dépassée. Les prescriptions ne s’appliquent pas aux travaux urgents. Le Ministre du Travail peut autoriser par décret un travail supplémentaire de 2 heures par jour dans certains cas déterminés, tels que surcroit de commandes, et pour des industries saisonnières. D’une façon générale, le projet consacre les dérogations, intervenues à la suite d’ententes entre patrons et ouvriers.

Le ministre peut prolonger la durée du travail au delà de 9 heures pour économiser le combustible, à la condition que la durée hebdomadaire ne dépasse pas 48 heures. Il peut, pour motifs d’intérêt public, accorder des dérogations à l’ensemble des dispositions légales. En réalité, cette dernière disposition permet au Gouvernement allemand d’apporter à l’application de la loi tous les tempéraments qui lui paraîtront justifiés par la situation économique.

En Bavière, les démocrates ont proposé un règlement en vertu duquel, dans les industries saisonnières, patrons et ouvriers pourront convenir d’une durée de travail supérieure à 8 heures par jour.

Le ministre de la prévoyance sociale, Oswald, estime qu’il vaut mieux « laisser purement et simplement les choses suivre leur cours et accorder toute liberté aux parties intéressées dans leurs conventions. » Au même moment, M. Mohlich, commissaire d’Empire dans la Ruhr, adresse un appel pressant aux mineurs pour les engager à consentir des heures supplémentaires.

D’autre part, les règlements spéciaux aux chemins de fer distinguent entre le temps de travail et le temps de service, lequel peut atteindre quinze heures.

La Belgique vient à peine de voter la loi de 8 heures qu’elle recule déjà effrayée des conséquences qu’elle entrevoit. Pour les cheminots, les employés de chemins de fer et de tramways, la durée sera celle du travail effectif et non pas de la présence : le temps des pauses et des relèves d’équipes ne comptera pas dans le calcul des huit heures. De nombreuses associations réclament une adaptation de la loi aux conditions de leurs travaux.

La Grande-Bretagne est, de tous les pays industriels, celui où la journée de huit heures, instituée par des conventions collectives entre associations patronales et ouvrières, est le plus généralement pratiquée et le mieux entrée dans les mœurs. A l’exception de l’agriculture et de la marine marchande, la plupart des industries sont dans ce cas. La loi n’est intervenue que pour les houillères (coal mines act 1919). Néanmoins, l’Angleterre refuse d’adhérer à la convention de Washington. Les associations ouvrières, satisfaites du régime des accords librement consentis par elles, n’insistent pas pour cette adhésion. Les accords prévoient des dépassements de la durée hebdomadaire du travail, payés à un salaire majoré, pour faire face aux nécessités de service. Le Gouvernement anglais déclare que, selon lui, » une méthode rigide de réglementation des heures supplémentaires par voie de législation ou de règlements, ne donne pas des résultats aussi satisfaisants que le système souple des contrats collectifs. »

Nous voyons se dresser là contre l’idée d’une soumission à un code international, le désir anglo-saxon de conserver sa liberté d’action.

La Grande-Bretagne d’ailleurs n’a peut-être pas à se féliciter de la réduction excessive des heures de travail ni surtout des limitations que les Trade Unions ont apportées à l’intensité du travail. C’est à elles en partie que sont dues les souffrances que traverse en ce moment l’industrie anglaise et les difficultés que rencontre son exportation.

En résumé, des trois grands pays industriels, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la dernière seule a une loi générale de huit heures, dont on peut dire qu’elle n’a guère que la valeur d’un geste théorique. Aucun d’eux n’a adhéré à la convention de Washington.

Le fait que ces nations ne signent pas cette convention est de la plus haute gravité. C’est en effet la perspective de leur adhésion qui avait décidé un certain nombre des groupements qui avaient été consultés par le Gouvernement français, à se prononcer en faveur de la loi de huit heures. La délégation patronale, après avoir énergiquement formulé et développé ses réserves de doctrine et ses objections d’opportunité, avait pris acte de l’éventualité, qu’on lui présentait comme certaine, d’un accord international ; elle déclarait que cette considération l’empêchait d’ajourner l’examen de la loi, et qu’il n’eût pas été patriotique de refuser de « collaborer à l’étude des modalités de nature à en atténuer les dangers. » D’un autre côté, les patrons enregistraient l’affirmation des délégués ouvriers que la limitation de la durée du travail ne nuirait pas à la production et même l’accroîtrait. Nous avons montré plus haut qu’il n’en a rien été.

Le directeur du bureau de la Conférence internationale du Travail est aujourd’hui forcé de reconnaître qu’une réaction s’est produite contre le mouvement qui entraînait en 1918 et 1919 les Parlements à voter des lois consacrant la journée de huit heures et la semaine de quarante-huit heures. Nous retenons l’aveu suivant échappé à sa plume : « L’opinion, se demande-t-il, a-t-elle été frappée par les conséquences économiques de la réforme ? ou bien la concurrence sur le marché mondial est-elle devenue telle que les États industriels ne puissent y souscrire ? Comment, à l’heure où les demandes paraissent inférieures aux offres, envisager le développement, ou même le maintien, d’une réforme qui peut constituer une charge pour l’industrie ? et cela en présence du fait que les plus grands pays industriels du monde, les États-Unis, l’Angleterre et l’Allemagne, restent en dehors de l’organisation internationale du Travail ? »

Le problème a été résumé par M. Jonnart dans le discours qu’il a prononcé au mois de novembre 1921 à l’Assemblée générale de la Fédération des Associations agricoles du Pas de Calais et des départements voisins. « En Angleterre, disait l’éminent homme d’État, pas de loi. Les industries où la journée de huit heures est en vigueur, la doivent à des accords collectifs librement consentis entre les Trade Unions et les patrons. Aux États-Unis, la durée du travail n’est limitée que pour les ouvriers travaillant au compte de l’Union ou dans une entreprise adjudicataire de travaux publics. Les autres ouvriers ne bénéficient des huit heures que là où un contrat collectif l’a établie. En Australie, au Canada, dans les colonies Sud-Africaines, pas de loi de huit heures. En Allemagne, le projet déposé comporte des dérogations telles qu’il n’en subsiste guère qu’un principe abstrait. Il en est de même en Autriche, en Pologne, en Espagne, en Suède. Ce n’est qu’en France que la loi est strictement appliquée. »

Ce n’est pas l’heure qu’il faudrait choisir pour songer à étendre à l’agriculture une réglementation du travail qui, sur ce domaine, est en contradiction avec la nature elle-même. L’organisation du labeur agricole ne dépend pas de la volonté de l’homme, elle est commandée par les éléments qui se rient des prescriptions du législateur : c’est le soleil, la pluie, la chaleur, la sécheresse, l’avance ou le retard de la germination, de la floraison, qui dictent les occupations du campagnard. Comment assujettir les efforts, qu’il doit soudainement faire à des époques impossibles à prévoir et pour une durée essentiellement variable, aux articles d’un règlement d’administration publique ? Il convient d’écarter les tentatives de mise en discussion du problème de la main-d’œuvre agricole par la question préalable, en invoquant le texte même de l’article 427 du Traité de Versailles.

Un débat s’est engagé le 1er décembre 1921 à la Chambre des députés sur la question de savoir si la Société des Nations était compétente ou non pour connaître de la question. L’article 427 ne parle que des communautés industrielles comme devant « appliquer des méthodes et des principes pour la réglementation des conditions du travail. » Néanmoins, le gouvernement français, par son mémoire du 13 mai 1921 [1], paraissait avoir admis la compétence du Bureau international du travail, tandis que, le 7 octobre de la même année, il a non seulement soulevé la question d’opportunité, mais fait des réserves sur la compétence. Il est ainsi revenu sur une première démarche qui avait certainement dépassé la portée du Traité de Versailles.

Nous ferons d’ailleurs remarquer que, si on en arrivait, dans une hypothèse qui nous semble devoir être exclue, à réglementer le travail agricole en France, la loi ne s’appliquerait qu’à un petit nombre d’individus. Que nous apprend en effet la statistique ? D’après le recensement de 1911, notre population agricole comprenait 8 531 000 personnes, dont 5 220 000 patrons propriétaires, fermiers, métayers, patrons, jardiniers et 3 290 000 employés et ouvriers. Dans cette seconde catégorie se trouvent 2 400 000 individus dénommés « ouvriers journaliers agricoles, » qui sont en réalité de petits propriétaires exploitant leur terre et travaillant chez autrui pendant le temps où leur modeste domaine ne les occupe pas : ce sont des salariés d’occasion, dont le caractère distinctif est de posséder une parcelle du sol et d’échapper en conséquence à toute réglementation du travail. Il ne reste dès lors que 890 000 salariés proprement dits, savoir 745 000 domestiques agricoles, 30 000 charretiers, 115 000 ouvriers jardiniers, auxquels s’appliquerait une loi de huit heures agricole. On voit combien faibles en seraient les répercussions.


V. — ÉTAT DE L’OPINION EN FRANCE

Les vœux tendant à une modification de la loi de huit heures arrivent de tous côtés.

Les Conseils généraux de l’Aube, des Alpes-Maritimes, de la Charente, de la Moselle ; les Chambres de commerce de Montluçon, de Foix, de Carcassonne, de Blois, de Calais, de Thiers, de Lyon, de la Roche-sur-Yon, d’Auxerre, de Mazamet, de Bougie, la Chambre syndicale du cycle et de l’automobile, la Ligue de Navigation fluviale ont demandé l’abrogation de la loi. D’autres Conseils généraux, de très nombreuses Chambres de commerce, des groupements tels que le Comité républicain du Commerce, de l’Industrie et de l’Agriculture, la Conférence internationale du bâtiment et des travaux publics, ont demandé qu’il fût sursis à l’application de la loi. Des dérogations ont été et sont journellement réclamées par les Chambres de commerce, les Conseils généraux, et des groupements de plus en plus nombreux : citons parmi ces derniers l’Union des Chambres syndicales lyonnaises, l’Association nationale d’Expansion économique, le Syndicat général du Commerce et de l’Industrie, la Fédération des commerçants détaillants de France, la Société industrielle du Nord de la France, l’Association de l’industrie et de l’agriculture françaises, l’Union syndicale des banquiers de Paris et de la province, le Congrès de la meunerie. L’une des manifestations récentes les plus significatives a été le dépôt, à la Chambre des députés, par M. Isaac, ancien ministre du Commerce, d’une proposition de loi tendant à suspendre jusqu’au 1er janvier 1925 l’application de la loi du 23 avril 1919. A partir de cette date, la durée du travail dans l’industrie et le commerce serait fixée à neuf heures de travail effectif, sauf pour certaines professions dont le tableau serait dressé par le ministre du Travail. Il serait réservé à une loi ultérieure de fixer la date de la remise en vigueur définitive des dispositions de la loi du 23 avril 1919.

Le débat engagé autour de la loi de huit heures est un des aspects du duel qui se poursuit entre les deux conceptions de la société humaine, l’étatisme et la liberté. D’un côté se rangent ceux qui estiment que la société, représentée par un certain nombre de mandataires, est plus apte à connaître les besoins des hommes que les individus eux-mêmes et qu’elle a par conséquent le droit et le devoir de leur imposer des règles de conduite de plus en plus nombreuses, de plus en plus astreignantes. De l’autre côté, nous voyons les partisans du libre arbitre, ceux qui croient à la volonté humaine, à la responsabilité de chacun de nous et qui, en assurant l’exercice des facultés individuelles, considèrent qu’il n’y a pas lieu d’intervenir, ou qu’il faut intervenir le moins possible dans les conventions qui, selon la forte expression du Code civil, font la loi des parties.

La législation sur la durée du travail est un des produits les plus remarquables de l’esprit interventionniste. En présence de cette multitude d’actes et de décrets essayant de réglementer l’application d’une sorte d’idéal, une réflexion ne se présente-t-elle pas à l’esprit ? Combien le principe d’une loi doit être contestable, à laquelle, dès sa naissance, on est obligé d’apporter tant de dérogations ! Cette effroyable complication de prescriptions innombrables ne doit-elle pas nous mettre en garde contre l’atteinte fondamentale portée à la liberté humaine ? Voilà à peine deux ans que la loi d’avril 1919 a été présentée au peuple comme un fruit de la victoire, comme une sorte de récompense des efforts et des sacrifices consentis par lui au cours de la guerre ; et à chaque pas nous nous heurtons à des difficultés de toute nature. Certes, il n’est pas un de nous qui ne désire procurer à ceux qui travaillent, c’est-à-dire, on l’oublie trop souvent, à la quasi universalité des hommes, la vie la moins pénible possible ; mais il s’agit de savoir si c’est en réglant minutieusement chacune de ses journées, en organisant l’emploi de chaque seconde de son temps que l’on rendra le meilleur service à l’ouvrier.

Que se passe-t-il d’ailleurs dans un grand nombre de cas ? Personne n’ignore que tel ouvrier, après avoir travaillé huit heures dans une fabrique, se rend chez un autre patron, où il s’occupe pendant un temps additionnel plus ou moins long. Il va parfois cultiver la terre, ce qui est à coup sûr le plus hygiénique de ses loisirs. Ce n’est cependant pas à cet effet que les Compagnies de chemins de fer paient à leur personnel un salaire élevé et lui assurent des pensions de retraite de plus en plus avantageuses. C’est un des plus étranges paradoxes de la situation créée par la loi que cette latitude laissée aux ouvriers de travailler autant qu’ils le veulent, pourvu que ce ne soit pas plus de huit heures chez un même patron ? Est-ce ainsi que le législateur croit protéger la santé de l’ouvrier et ménager ses forces ?

Il est peut-être difficile de demander aujourd’hui une abrogation de la loi, qui apparaît comme tutélaire aux yeux de la foule. Mais il est permis d’en réclamer une application conforme à l’esprit et même à la lettre de son texte. Or il semble bien que, partout où la nécessité s’en fait sentir, les règlements d’administration publique, autrement conçus et rédigés qu’ils ne l’ont été, amélioreraient la situation. Tout d’abord, ils peuvent prescrire des périodes au cours desquelles la durée du travail, tel qu’il était pratiqué avant le 23 avril 1919, ne serait ramenée qu’en une ou plusieurs étapes à la limitation nouvelle. D’autre part, des dérogations permanentes devront être autorisées pour les catégories d’agents dont le travail est essentiellement intermittent. On sait combien ces catégories sont nombreuses, par exemple dans l’industrie des chemins de fer, pour lesquels maint passage de la loi semble avoir été rédigé. Des dérogations temporaires sont admises pour des surcroîts de travail extraordinaire. N’y a-t-il pas lieu d’appliquer ces dérogations, chaque fois par exemple que des commandes pressantes nécessitent une production plus intense ?

Il faudrait que plus de souplesse fût donnée à la législation, que, en dehors des dérogations qui découlent du texte même de la loi de 1919, toutes celles sur lesquelles patrons et ouvriers, employeurs et employés se seraient mis d’accord fussent autorisées. Pourquoi refuser à des hommes majeurs, citoyens libres, le droit de faire entre eux telles conventions qu’ils jugent opportunes ? En dehors de l’abrogation pure et simple, ou de la transformation des règlements, une troisième solution, qui consisterait à suspendre provisoirement l’application de la loi du 23 avril 1919, présenterait de sérieux avantages. En rendant la liberté au monde du travail, par exemple pour les trois années à venir, on provoquerait un sentiment de soulagement chez tous ceux qui souffrent de la réglementation tyrannique et méticuleuse qui a si gravement altéré les conditions de fonctionnement d’un grand nombre d’industries. Et que l’on ne croie pas que les patrons sont les seules victimes de cette erreur. Les ouvriers ne sont pas les derniers à ressentir directement et indirectement les effets funestes du renchérissement de toutes choses, provoqué par la diminution de la production, — directement parce que leur salaire réel se trouve ramené au-dessous du salaire normal, indirectement parce que la difficulté de vendre les produits dont le prix de revient est élevé, tend à augmenter le chômage. Tout récemment un de nos plus grands établissements métallurgiques du Nord faisait savoir à son personnel qu’en présence des pertes continues que lui causait un prix de revient supérieur au prix de vente, il allait se voir obligé de fermer ses ateliers. Spontanément, les ouvriers ont offert de travailler dix heures : le chômage a été évité.

Si l’on songe aux bienfaits que la nation retirerait du retour à une exploitation plus économique d’une seule branche d’industrie, de celle des transports, on ne peut s’empêcher de penser que les intéressés eux-mêmes seraient les premiers à s’en réjouir. Une période de liberté rendue aux employeurs et aux employés leur permettrait de réajuster la vie économique du pays. Les milliards que nous dépenserions en moins pour l’exploitation de nos chemins de fer, de nos houillères, de notre marine marchande, s’appliqueraient à des dépenses productives et donneraient une sève nouvelle aux branches de l’activité nationale qui dépérissent aujourd’hui.

La question est mûre pour un examen nouveau. Bien que la loi de huit heures ne soit pas vieille de trois ans, elle a déjà eu des répercussions telles que chaque citoyen a pu se rendre compte de la nécessité de la réviser. Certes, en se lançant généreusement dans la voie d’une législation qu’elle croyait de nature à améliorer le sort des travailleurs, la France, une fois de plus, donnait au monde la preuve de son ardeur toujours prête à servir les nobles causes. Mais, en présence du refus des grandes nations industrielles d’adhérer à la convention de Washington et des résultats constatés sur un grand nombre de domaines dans notre vie économique, bien des Français sont disposés à reprendre l’examen de la question.

Les ouvriers eux-mêmes, tous ceux du moins qui n’apportent pas dans l’étude de ces problèmes des idées préconçues ou des partis pris irréductibles, devraient voir sans déplaisir l’ouverture d’une période au cours de laquelle la liberté reprendrait ses droits. Instruits par l’expérience des trois dernières années, employeurs et employés, s’étant rendu compte du trouble que la loi de huit heures a jeté dans les conditions de la production, chercheraient et trouveraient les bases d’accords contractuels qui les satisferaient les uns et les autres bien mieux que les règlements d’administration publique. Une fois de plus, le libre jeu des forces économiques ferait sentir son action bienfaisante, en assurant aux travailleurs la juste rémunération de leurs efforts et en permettant aux chefs d’industrie de proposer à leur personnel des conditions d’exercice de leur activité favorables à la fois au bien-être des ouvriers et au succès des entreprises.

Si le principe des huit heures devait rester inscrit dans notre législation, nous voudrions qu’il ne le fût qu’à titre de base du salaire et qu’il fût toujours permis, en vertu d’accords librement consentis, d’y ajouter des heures supplémentaires. Par ailleurs, il nous paraîtrait équitable d’exiger de nombreuses catégories de fonctionnaires un travail effectif de la durée légale. Ce n’est un secret pour personne que la médiocrité des efforts d’un certain nombre de titulaires de fonctions publiques, dont l’indolence contraste avec l’énergie déployée par les hommes dont l’intérêt est directement en jeu dans les carrières privées. Mais, pas plus pour ceux qui travaillent douze heures que pour ceux qui n’en fournissent que quatre ou six, nous ne souhaitons de contrainte légale. C’est aux chefs d’un personnel de savoir stimuler l’activité de chacun et d’obtenir le maximum d’effort et d’effet utile. D’autre part, même parmi les partisans de la loi, il en est beaucoup qui reconnaissent aujourd’hui qu’il n’est pas possible de prendre à son égard des engagements internationaux. A l’intérieur de nos frontières, des modifications de l’état de choses actuel permettraient à chacun de retrouver son équilibre, de considérer le problème non pas au point de vue d’une sorte de mysticisme égalitaire et d’une codification rigide de préceptes aussi variables que les forces de chaque individu, mais à la lumière d’expériences séculaires et d’accords nés d’une longue tradition.

La paix sociale, que nous appelons de tous nos vœux, gagnerait à cette solution, que seuls les adeptes de l’étatisme combattront. L’heure est venue d’une révision de laquelle doit sortir une amélioration notable de l’état économique du pays, dont tous les citoyens ressentiront l’effet bienfaisant.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.

  1. Cité par M. Queuille à la tribune de la Chambre des députés, le 2 décembre 1921.