Amyot (p. 89-102).

IX.

Le rendez-vous.

L’explication qui précède donnée, nous reprendrons notre récit au point où nous l’avons laissé en terminant le septième chapitre.

Le Rayon-de-Soleil sans parler présenta à l’Espagnole une feuille de papier, une espèce de poinçon en bois et une coquille remplie de peinture bleue.

La Gazelle fit un mouvement de joie.

— Oh ! je comprends, dit-elle.

Le chef sourit.

— Les blancs ont beaucoup de science, fit-il, rien ne leur échappe ; ma fille dessinera un collier pour le chef pâle.

— Oui, murmura-t-elle, mais voudra-t-il me croire ?

— Que ma fille mette son cœur sur ce papier, le chasseur blanc le reconnaîtra.

La jeune fille poussa un soupir.

— Essayons, dit–elle.

Par un mouvement fébrile elle prit le papier des mains du Rayon-de-Soleil, écrivit quelques mots à la hâte et le rendit à la jeune Indienne, toujours immobile et impassible devant elle.

Le Rayon-de-Soleil roula le papier, l’attacha avec soin autour du bois d’une flèche.

— Dans une heure il sera à son adresse, dit-elle.

Et elle disparut dans le bois avec la légèreté d’une biche effarouchée.

Ce petit manège avait duré moins de temps qu’il ne nous en a fallu pour le rapporter.

Dès que l’Indienne avertie de longue main par le Chat-Noir du rôle qu’elle devait jouer fut partie pour s’acquitter de son message :

— Voyons, dit le chef, nous ne pouvons les sauver tous, mais au moins j’espère que ceux qui nous sont chers échapperont.

— Dieu veuille que vous ne vous trompiez pas, mon père ! répondit la jeune fille.

— Wacondah est grand ! Sa puissance est sans bornes, il peut tout ; que ma fille espère !

Alors il y eut entre les deux interlocuteurs une longue conversation à la suite de laquelle la Gazelle glissa inaperçue entre les arbres et se rendit à une colline peu distante du poste occupé par les blancs, nommée la colline de l’Elk, où elle avait donné rendez-vous à don Pablo.

À la pensée de se retrouver en présence du Mexicain, la jeune fille était, malgré elle, en proie à une émotion indéfinissable.

Elle sentait son cœur se serrer ; tous ses membres étaient agités de mouvements convulsifs.

Le souvenir de ce qui s’était passé entre elle et lui, il y avait si peu de temps, jetait encore le trouble dans ses idées et lui rendait plus difficile la tâche qu’elle s’était imposée.

En ce moment ce n’était plus la rude amazone que nous avons représentée à nos lecteurs, qui, aguerrie depuis son enfance aux scènes terribles de la vie des prairies, bravait en se jouant les plus grands périls.

Elle se sentait femme ; tout ce qu’il y avait de viril en elle avait disparu pour ne plus laisser qu’une jeune fille, timide et craintive, qui tremblait de se retrouver face à face avec l’homme qu’elle se reprochait d’avoir si cruellement outragé et qui, peut-être, en la voyant ne voudrait pas condescendre à entrer en explication avec elle et lui tournerait le dos sans lui répondre.

Toutes ces pensées et bien d’autres encore tourbillonnaient dans son cerveau, tandis que d’un pas furtif elle se dirigeait vers le lieu du rendez-vous.

Plus elle approchait, plus ses craintes étaient vives, car son esprit frappé lui retraçait avec plus de force l’indignité de sa conduite antérieure.

Enfin elle arriva.

Le sommet de la colline était encore désert.

Un soupir de soulagement s’échappa de sa poitrine oppressée, et elle rendit grâce à Dieu qui lui accordait quelques minutes de répit pour se préparer à l’entretien solennel qu’elle avait elle-même demandé.

Mais le premier moment passé, une autre inquiétude la tourmenta : elle craignit que don Pablo ne voulût pas se rendre à son invitation et méprisât la chance de salut qu’elle lui offrait.

Alors, la tête penchée en avant, les yeux fixés dans l’espace et cherchant à sonder la profondeur des ténèbres, elle attendit en comptant avec anxiété les secondes.

Nul n’a pu calculer encore de combien de siècles se compose une minute pour celui qui attend.

Cependant le temps s’écoulait avec rapidité, la lune avait presque disparu à l’horizon ; une heure encore et le soleil se lèverait.

La jeune fille commençait à douter de l’arrivée de don Pablo ; un sourd désespoir s’emparait d’elle, et elle maudissait l’impossibilité matérielle qui l’obligeait à rester inactive à cette place et la réduisait à l’impuissance.

Disons en quelques mots ce qui se passait en ce moment sur la colline du Bison-Fou.

Valentin, Curumilla et don Pablo, assis au sommet de la colline, fumaient silencieusement leur calumet, chacun songeant à part soi au moyen à employer pour sortir de la position fâcheuse dans laquelle la petite troupe se trouvait, lorsqu’un sifflement aigu se fit entendre, et une longue flèche passant rapide entre les trois hommes vint profondément s’enfoncer dans le tertre de gazon au pied duquel ils se tenaient.

— Qu’est-ce-là ? s’écria Valentin qui, le premier, reprit son sang-froid ; vive Dieu ! les Peaux Rouges commenceraient-ils déjà l’attaque !

— Réveillons nos amis, dit don Pablo.

— Ami ! fit Curumilla qui avait arraché la flèche du tertre où elle tremblait et la considérait attentivement.

— Que voulez-vous dire, chef ? demanda le chasseur.

— Voyez ! répondit laconiquement l’Indien en lui remettant la flèche et lui montrant d’un geste un papier roulé autour du bois un peu au-dessus des plumes dont les Apaches garnissent cette arme.

— En effet, reprit Valentin en détachant le papier pendant que Curumilla prenait un tison allumé pour lui servir de fanal et le levait à la hauteur des yeux.

— Hum ! murmura don Pablo, cette façon de correspondre me semble assez louche.

— Nous allons savoir à quoi nous en tenir, répondit le chasseur.

Il déplia le papier sur lequel quelques lignes étaient écrites en espagnol avec une substance bleuâtre.

Voilà ce que contenait cette lettre :

« Les Faces Pâles sont perdues ; les tribus indiennes levées en masse, aidées par les pirates des prairies, les cernent de tous les côtés. Les blancs n’ont de secours à attendre de personne. L’Unicorne est trop loin et le Blood’s Son trop occupé à se défendre lui-même pour avoir le temps de songer à eux. Don Pablo de Zarate peut, s’il le veut, échapper à la mort qui le menace et sauver ceux qui lui sont chers. Son sort est entre ses mains. Aussitôt après la réception de cet avis, qu’il quitte son campement et se rende seul à la colline de l’Elk, il y rencontrera une personne qui lui fournira les moyens qu’il chercherait en vain autre part ; cette personne attendra don Pablo de Zarate jusqu’au lever du soleil. Elle le supplie de ne pas négliger cet avertissement ; demain il serait trop tard pour le sauver, il succomberait infailliblement dans une lutte insensée.

« Un ami. »

À la lecture de cette étrange missive, le jeune homme laissa tomber sa tête sur sa poitrine et resta quelque temps plongé dans de profondes réflexions.

— Que faire ? murmura-t-il.

— Y aller, pardieu ! répondit Valentin. Qui sait ? peut-être ce chiffon de papier contient-il notre salut à tous.

— Mais si c’est une trahison.

— Une trahison ! Allons donc, mon ami, vous voulez rire ! Les Indiens sont traîtres et fourbes à l’excès, je vous l’accorde ; mais ils ont une frayeur épouvantable de tout ce qui est écriture, qu’ils tiennent pour un grimoire émanant du génie du mal. Non, cette lettre ne vient pas des Indiens. Quant aux pirates des prairies, ils savent fort bien se servir d’un rifle, mais ils ignorent complètement l’art de se servir d’une plume d’oie, et je vous affirme que d’ici à Monterey d’un côté, et à New York de l’autre, vous n’en trouveriez pas un qui sût écrire. Cet avis émane donc, sans aucun doute, d’un ami. Quel est cet ami ? voilà ce qui est plus difficile à deviner.

— Votre opinion serait donc d’accepter le rendez-vous ?

— Pourquoi pas ? en prenant, bien entendu, toutes les précautions usitées en pareil cas.

— Je dois m’y rendre seul ?

— Canarios ! on se rend toujours seul à ces sortes d’entrevues ; c’est convenu cela, dit Valentin en ricanant, seulement on se fait accompagner, et bien fou celui qui négligerait cette précaution.

— En admettant que je sois disposé à suivre votre conseil, je ne puis abandonner mon père seul ici.

— Votre père est en sûreté quant à présent. D’ailleurs il a avec lui le général et Curumilla, qui, je vous en réponds, ne se laissera pas surprendre pendant notre absence. Du reste, réfléchissez, cela vous regarde ; seulement je vous ferai observer que nous sommes dans des circonstances assez critiques pour que toutes considérations secondaires soient mises de côté. Canarios ! ami ! songez qu’il y va peut-être du salut de tous !

— Vous avez raison, frère, dit résolument le jeune homme ; qui sait si je n’aurais pas à me reprocher votre mort et celle de nos compagnons si je négligeais cet avis ? Je pars.

— Bon ! fit le chasseur, partez ; pour moi, je sais ce qui me reste à faire. Soyez tranquille, ajouta-t-il avec son rire sardonique, vous irez seul au rendez-vous ; mais si vous aviez besoin d’aide, je ne serais pas long à paraître.

— Fort bien ! mais il s’agit de sortir d’ici sans être vu et de gagner la colline de l’Elk en échappant aux milliers de regards de chats-tigres que les Apaches fixent probablement sur nous en ce moment.

— Fiez-vous à moi pour cela, dit le chasseur.

En effet, quelques minutes plus tard don Pablo, guidé par Valentin, gravissait la colline de l’Elk sans avoir été dépisté par les Apaches.

Cependant la Gazelle blanche attendait toujours, le corps penché en avant et l’oreille tendue, un bruit quelconque qui lui révélât la présence de celui qu’elle avait si instamment prié de venir.

Tout à coup une rude main s’appesantit sur son épaule et une voix moqueuse murmura à son oreille :

— Hé ! niña, que faites-vous donc si loin du campement ? est-ce que vous avez peur que vos ennemis ne s’échappent ?

L’Espagnole se retourna avec un mouvement de dégoût mal dissimulé et reconnut Nathan, le fils aîné du Cèdre-Rouge.

— Oui, by God ! c’est moi, reprit le bandit, cela vous étonne, niña ? Oh ! oh ! nous sommes arrivés depuis une heure déjà avec la plus belle collection de vautours qui se puisse imaginer.

— Mais vous-même que faites-vous ici ? dit-elle sans même savoir pourquoi elle lui adressait cette question.

— Oh ! reprit-il, c’est que moi aussi je veux me venger ; j’ai laissé mon père et les autres là-bas, et je suis venu explorer un peu les lieux. Mais, ajouta-t-il avec un rire sinistre, il ne s’agit pas de cela dans ce moment ; avez-vous donc le diable au corps, que vous courez ainsi la nuit, au risque de faire une mauvaise rencontre ?

— Que puis-je craindre ? Ne suis-je pas armée ?

— C’est vrai, répondit le pirate en ricanant ; mais vous êtes jolie, et Dieu me damne si je ne connais pas des gens qui, à ma place, se moqueraient des joujoux que vous avez à votre ceinture ! Oui, vous êtes jolie, niña, ne le savez-vous pas ? Le diable m’emporte, puisque personne ne vous en a encore fait la confidence, j’ai bien envie de vous le dire, moi ; qu’en pensez–vous, hein ?

— Le malheureux est ivre ! murmura la jeune fille en voyant la face hébétée du brigand et le flageolement de ses jambes. Laissez-moi, lui dit-elle, l’heure est mal choisie pour plaisanter, nous avons à nous occuper de choses plus importantes.

— Bah ! après nous la fin du monde ! nous sommes tous mortels, et du diable si je me soucie de ce qui m’arrivera demain ! Je trouve, au contraire, l’heure supérieurement choisie : nous sommes seuls, nul ne peut nous entendre ; qu’est-ce qui nous empêche de nous avouer franchement que nous nous adorons ?

— Personne, si cela était vrai, répondit résolument la jeune fille ; mais je ne suis pas d’humeur à écouter plus longtemps vos sornettes ; ainsi faites-moi le plaisir de vous retirer. J’attends ici le détachement de guerre des Bisons apaches qui ne tardera pas à arriver et à prendre position sur cette colline ; au lieu de perdre un temps précieux, vous feriez mieux de rejoindre le Cèdre-Rouge et Stanapat, avec lesquels vous devez arrêter tous les détails de l’attaque de demain.

— C’est vrai, répondit le bandit que ces paroles avaient un peu dégrisé ; vous avez raison, niña, je m’en vais ; mais ce qui est différé n’est pas perdu : j’espère, un autre jour, vous retrouver moins farouche, ma colombe. Au revoir !

Et, tournant insoucieusement sur lui-même, le bandit jeta son rifle sur l’épaule et descendit la colline dans la direction du camp des Apaches.

La jeune Espagnole, demeurée seule, se félicita d’avoir échappé au danger qui l’avait un instant menacée, car elle avait tremblé que don Pablo n’arrivât pendant que Nathan était avec elle.

Cependant la nouvelle de la jonction du Cèdre-Rouge avec sa bande augmentait encore les appréhensions de la Gazelle blanche et redoublait ses inquiétudes pour ceux qu’elle avait résolu de sauver coûte que coûte.

Au moment où elle n’espérait plus voir le jeune homme et où elle ne regardait plus que par acquit de conscience plutôt que dans la persuasion que celui qu’elle attendait vainement depuis si longtemps allait paraître, elle aperçut, à une portée de flèche à peu près, un homme qui s’avançait à grands pas de son côté.

Elle devina plutôt qu’elle ne reconnut don Pablo de Zarate.

— Enfin ! s’écria-t-elle avec bonheur en se précipitant à sa rencontre.

Le jeune homme fut bientôt auprès d’elle.

En la reconnaissant il fit un pas en arrière.

— Vous, madame ! lui dit-il ; c’est vous qui m’avez écrit de me rendre ici ?

— Oui, répondit-elle d’une voix tremblante, oui, c’est moi.

— Que peut-il y avoir de commun entre nous ? reprit dédaigneusement don Pablo.

— Oh ! ne m’accablez pas, je comprends à présent seulement tout ce que ma conduite a eu de coupable et d’indigne ; pardonnez un égarement que je déplore. Écoutez-moi, au nom du ciel ne méprisez pas les avis que je veux vous donner, il s’agit de votre salut et de celui de ceux que vous aimez !

— Grâce à Dieu, madame, répondit froidement le jeune homme, pendant les quelques heures que nous avons été réunis, j’ai assez appris à vous connaître pour ne plus ajouter foi à aucune de vos protestations ; je n’ai qu’un regret en ce moment, c’est celui de m’être laissé entraîner dans le piège que vous m’avez tendu.

— Moi, vous tendre un piège ! s’écria-t-elle avec indignation, lorsque je verserais avec joie la dernière goutte de mon sang pour vous sauver !

— Me sauver ? moi ! Allons donc, madame ! me perdre, vous voulez dire, reprit don Pablo avec un sourire de mépris, me croyez-vous si niais ? Allons, soyez franche au moins, votre projet a réussi, je suis entre vos mains ; faites paraître vos complices qui sont sans doute cachés derrière ces massifs de broussailles, je ne leur ferai pas l’honneur de leur disputer ma vie !

— Mon Dieu, mon Dieu ! s’écria la jeune fille en se tordant les mains avec désespoir, suis-je assez punie ? Don Pablo, au nom du ciel, écoutez-moi ! Dans quelques instants il sera trop tard ; je veux vous sauver, vous dis-je !

— Vous mentez impudemment, madame, s’écria Valentin qui apparut en s’élançant d’un buisson ; il n’y a qu’un instant, à cette place même où vous êtes, vous annonciez à Nathan, le digne fils de votre complice le Cèdre-Rouge, l’arrivée d’un détachement de guerre apache ; osez dire que ce n’est pas vrai !

Cette révélation fut un coup de foudre pour la jeune fille. Elle comprit qu’il lui serait impossible de désabuser celui qu’elle aimait et de le convaincre de son innocence devant cette preuve en apparence si évidente de sa trahison.

Elle se laissa tomber accablée sur le sol aux pieds du jeune homme.

— Oh ! dit celui-ci avec dégoût, cette misérable est mon mauvais génie.

Il fit un mouvement pour se retirer.

— Un instant, s’écria Valentin en l’arrêtant, cela ne peut finir ainsi ; terminons-en une bonne fois avec cette créature avant qu’elle ne nous fasse massacrer.

Après avoir armé un pistolet, il en appuya froidement le canon sur la tempe de la jeune femme, qui ne fit pas un geste pour se soustraire au sort qui la menaçait.

Don Pablo lui saisit vivement le bras.

— Valentin, lui dit-il, qu’allez-vous faire, ami ?

— C’est juste, répondit le chasseur ; si près de la mort, je ne me déshonorerai pas en tuant cette malheureuse.

— Bien, frère ! fit don Pablo en lançant un regard de mépris à la Gazelle qui l’implorait en vain ; des hommes comme nous n’assassinent pas les femmes. Laissons cette misérable et vendons chèrement notre vie.

— Bah ! bah ! la mort n’est peut-être pas aussi proche que vous le supposez ; pour ma part, je ne désespère pas de nous sortir de ce guêpier.

Ils jetèrent un regard anxieux dans la vallée pour reconnaître leur position.

L’obscurité était presque dissipée ; le soleil, encore invisible, teintait le ciel de ces lueurs rougeâtres qui précèdent de peu d’instants son apparition.

Aussi loin que la vue pouvait s’étendre, la plaine était envahie par de forts détachements indiens.

Les deux hommes reconnurent qu’il leur restait de bien faibles chances de regagner leur forteresse.

Pourtant ces hommes, accoutumés à tenter journellement l’impossible, ne se découragèrent pas en présence du danger imminent qui les menaçait.

Après s’être silencieusement serré la main dans une étreinte suprême, ces deux natures d’élite relevèrent fièrement la tête, et le front calme, l’œil étincelant, ils se préparèrent à braver la mort horrible qui les attendait s’ils étaient découverts.

— Arrêtez, au nom du ciel ! s’écria la jeune fille en se traînant sur les genoux jusqu’aux pieds de don Pablo.

— Arrière, madame ! répondit celui-ci ; laissez-nous mourir bravement.

— Mais je ne veux pas que vous mouriez, moi, reprit-elle avec un cri déchirant ; je vous répète que je vous sauverai si vous y consentez.

— Nous sauver ! Dieu seul peut le faire, dit tristement le jeune homme ; réjouissez-vous que nous ne veuillions pas rougir nos mains de votre sang perfide, et ne nous importunez pas davantage.

— Oh ! rien ne pourra donc vous convaincre ! fit-elle avec désespoir.

— Rien ! dit froidement le Mexicain.

— Ah ! s’écria-t-elle l’œil rayonnant de joie, j’ai trouvé !… Suivez-moi et vous rejoindrez vos compagnons !

Don Pablo, qui déjà s’était éloigné de quelques pas, se retourna en hésitant.

— Que craignez-vous ? reprit-elle, vous serez toujours à même de me tuer si je vous trompe. Oh ! fit-elle avec exaltation, que m’importe de mourir si je vous sauve !

— Au fait, observa Valentin, elle a raison ; et puis dans notre position nous n’avons plus rien à ménager. Qui sait ? elle dit peut-être la vérité !

— Oui ! oui ! s’écria la jeune fille avec prière, fiez-vous à moi !

— Bah ! essayons, dit Valentin.

— Marchez, répondit laconiquement don Pablo, nous vous suivons.

— Oh ! merci ! merci ! dit-elle avec effusion en couvrant de baisers et de larmes la main du jeune homme, dentelle s’était emparée malgré lui ; vous verrez que je vous sauverai !

— Étrange créature ! murmura le chasseur en s’essuyant les yeux avec le dos de sa main calleuse ; elle a le diable au corps, elle est capable de le faire comme elle le dit.

— Peut-être ! répondit don Pablo en hochant tristement la tête ; mais notre position est bien désespérée, mon ami.

— On ne meurt qu’une fois, après tout ! dit philosophiquement le chasseur en jetant son rifle sur l’épaule ; je suis on ne peut plus curieux de savoir comment tout cela finira.

— Venez ! dit l’Espagnole.