Amyot (p. 448-461).

XL.

La loi de Lynch.

Avant que d’aller plus loin, nous expliquerons en quelques mots ce que c’est que cette loi de Lynch dont plusieurs fois nous avons parlé dans le cours de ce récit et qui joue un si grand rôle non-seulement dans les prairies de l’Amérique septentrionale, mais encore dans certains comtés des États-Unis.

Bien que nous autres Européens nous nous étonnions avec raison que dans une société morale une monstruosité comme la loi de Lynch puisse exister, malgré cela, pour être juste envers les Américains, et bien que nous devions désapprouver leur système actuel dérivé de la loi originelle de Lynch, on est forcé d’avouer que dans le principe cette loi fut le résultat d’impérieuses circonstances. La loi de Lynch n’était dans les premiers temps de l’arrivée des pères pèlerins sur la terre de Plymouth que le châtiment imposé par une communauté privée de toute loi, qui ne pouvait avoir recours qu’à sa propre justice pour punir une offense.

Aujourd’hui, dans les grands centres de l’Union, cette loi n’est au contraire que l’exercice illégal du pouvoir par une majorité en opposition avec les lois du pays qu’elle brave, ainsi que les peines infligées par ces lois.

Dans les nouveaux établissements où la population est rare et qui, d’après la constitution, doivent avoir un certain nombre d’habitants pour être reconnus comme districts, jusqu’à cette reconnaissance, ceux qui sont venus chercher leur existence sur ces établissements au milieu des bandits de toutes sortes, contre lesquels ils ne peuvent en appeler à aucune protection légale, sont forcés de se protéger eux-mêmes et de recourir à la loi de Lynch.

Dans les prairies du Far West cette loi est positivement semblable à l’ancien talion des Hébreux.

Nous ne nous étendrons pas davantage sur cette loi de Lynch, si obscure quant à son origine que son nom même est une énigme sans mot, bien que quelques personnes prétendent, à tort selon nous, que Lynch était un fermier qui le premier appliqua cette loi ; la seule difficulté qu’il y ait pour la véracité de cette histoire, c’est que la loi de Lynch exista, ainsi que nous l’avons dit, en Amérique, dès le premier jour que les Européens y débarquèrent. Seulement, sans prétendre garantir autrement l’authenticité de notre assertion, il est évident que la loi de Lynch ; n’a réellement commencé à être appliquée dans les provinces civilisées de l’Union que dans les dernières années du XVIIIe siècle ; alors elle était beaucoup plus sommaire, un réverbère était décroché et la victime hissée à sa place : du reste nous croyons que le mot lynch n’est qu’un dérivé ou, si l’on aime mieux, une corruption du mot light (lumière).

Nous reprendrons à présent le cours de notre récit.

Quatre jours après les événements que nous avons rapportés dans notre précédent chapitre, le camp de l’Unicorne offrait un aspect étrange. Non seulement il renfermait des guerriers indiens appartenant à toutes les nations alliées de la nation des Comanches, mais encore beaucoup de chasseurs, de trappeurs blancs et de métis étaient accourus de tous les points de la prairie afin de juger les prisonniers faits quelques jours auparavant et de leur appliquer la loi de Lynch ainsi qu’elle est comprise dans la prairie.

Le père Séraphin, qui se trouvait en ce moment au camp occupé à prodiguer ses soins et ses consolations à Mme Guillois dont le mal était arrivé à sa dernière et fatale période, et qui se sentait tout doucement mourir, avait cherché à s’opposer de tout son pouvoir au jugement des prisonniers.

Vainement il avait représenté aux Indiens et aux blancs qu’il y avait des magistrats intègres aux États-Unis, qu’ils sauraient faire appliquer les lois et punir les coupables ; ses efforts n’avaient obtenu aucun résultat, et il avait été obligé de se retirer le cœur navré.

Ne pouvant sauver les prisonniers, il avait voulu les préparer convenablement à la mort ; mais là encore le digne missionnaire avait échoué : il avait trouvé des misérables au cœur atrophié et bronzé par le vice qui n’avaient rien voulu entendre et s’étaient moqués de lui.

Chose singulière, depuis que ces trois hommes étaient tombés entre les mains de leurs ennemis, ils n’avaient pas échangé une parole ; accroupis chacun dans un coin de la hutte qui leur servait de prison, sombres comme des bêtes fauves, ils s’évitaient autant que les liens qui les attachaient leur permettaient de le faire.

Seule, Ellen passait au milieu d’eux comme l’ange de la consolation, leur prodiguant de douces paroles et cherchant surtout à adoucir les derniers jours de son père.

Le Cèdre-Rouge, lui, ne vivait plus que pour et par sa fille ; chaque sourire de la pauvre enfant qui lui cachait ses larmes faisait éclore un sourire sur son visage flétri et ravagé par les passions ; s’il avait pu revenir au bien, certes, son amour paternel eût accompli ce prodige ; mais il était trop tard, tout était mort dans ce cœur qui ne renfermait plus qu’un sentiment, un seul, l’amour paternel à la façon des tigres et des panthères.

— Est-ce enfin pour aujourd’hui, mon enfant ? demanda-t-il à la jeune fille.

— Je ne sais, mon père, répondit-elle timidement.

— Je te comprends, ma pauvre chérie, tu crains de m’affliger en me disant la vérité ; mais détrompe-toi, lorsqu’un homme comme moi est tombé aussi bas que je le suis, le seul bien qu’il ambitionne, c’est la mort, et tiens, voilà qui me répond : le juge lynch va commencer son office ; il aura ample curée aujourd’hui, ajouta-t-il en ricanant.

On faisait en ce moment même grand bruit dans le camp.

Trois poteaux avaient été dressés le matin, et autour de ces trois poteaux la population élisait tumultueusement les juges chargés de venger la vindicte publique.

Les juges choisis furent au nombre de sept.

Voici leurs noms :

Valentin, Curumilla, l’Unicorne, le Chat-Noir, l’Araignée et deux autres chasseurs des Comanches.

On avait eu soin de ne pas mettre au nombre des juges ceux qui avaient des accusations à porter contre les prisonniers.

À midi précis, il se fit un silence de plomb dans l’assemblée.

Une troupe de guerriers et de trappeurs avait été chercher les prisonniers à la prison pour les conduire devant les juges réunis en face des potences.

Bien que ses efforts pour éveiller quelques bons sentiments dans le cœur des bandits eussent échoué, le père Séraphin avait voulu les accompagner et les exhorter jusqu’au dernier moment.

Il marchait à droite du Cèdre-Rouge et Ellen à sa gauche.

Lorsque les prisonniers furent arrivés devant le tribunal, Valentin, nommé président malgré lui, appela les accusateurs.

Ils se présentèrent aussitôt.

Ils étaient cinq.

C’étaient don Miguel Zarate, don Pablo de Zarate, son fils, Andrès Garote, la Gazelle blanche et le Blood’s Son.

Valentin prit la parole d’une voix haute et ferme :

— Cèdre-Rouge, dit-il, vous êtes jugé selon la loi de Lynch, vous allez entendre les crimes dont on vous accuse ; entière liberté vous est laissée pour vous défendre.

Le squatter haussa les épaules.

— Votre loi de Lynch est stupide, dit-il avec dédain ; elle ne sait que tuer sans que la douleur ait seulement le temps de se faire jour ; au lieu de ce moyen de vengeance absurde, attachez-moi au poteau de torture pendant tout un jour, et alors vous vous divertirez, car vous verrez comment un guerrier sait regarder la mort en face et supporter la douleur.

— Vous vous trompez sur nos intentions ; nous ne nous vengeons pas, nous vous punissons ; le poteau est réservé pour les guerriers braves et sans reproche : les criminels ne sont dignes que de la potence.

— Comme il vous plaira, répondit-il insoucieusement ; ce que j’en disais, c’était pour vous faire plaisir.

— Quelles sont les personnes qui ont des griefs contre le Cèdre-Rouge ? reprit Valentin.

— Moi, don Miguel de Zarate.

— Moi, don Pablo de Zarate.

— Moi, que l’on nomme le Blood’s Son, mais qui pourrai révéler mon véritable nom si le Cèdre-Rouge le désire.

— C’est inutile, fit-il d’une voix sourde.

— Moi, la Gazelle blanche.

— Formulez vos accusations.

— J’accuse cet homme d’avoir enlevé ma fille, qu’il a ensuite lâchement assassinée, dit don Miguel ; je l’accuse, en outre, d’avoir causé la mort du général Ibañez, mon ami.

— Qu’avez-vous à répondre ?

— Rien.

— Que dit le peuple ? reprit Valentin.

— Nous attestons, répondirent d’une seule voix les assistants.

— J’accuse cet homme des mêmes crimes, dit don Pablo, il a enlevé et tué ma sœur.

— J’accuse cet homme d’avoir brûlé la maison de mon père et de ma mère, d’avoir assassiné mes parents et de m’avoir livrée à des bandits pour m’élever dans le crime, dit la Gazelle blanche.

— Moi, dit le Blood’s Son, je l’accuse des mêmes crimes ; le père de cette jeune fille était mon frère.

Il y eut un mouvement d’horreur dans l’assemblée.

Valentin, ayant consulté les juges à voix basse :

— Le Cèdre-Rouge, reconnu coupable à l’unanimité, est condamné à être scalpé, puis pendu.

Sutter fut condamné à être pendu seulement ; les juges eurent égard à sa jeunesse et aux mauvais exemples qu’il avait constamment eus sous les yeux.

Le tour du moine était arrivé.

— Un instant, dit le Blood’s Son en s’avançant ; cet homme est un misérable aventurier qui n’a pas le droit de porter la robe que depuis si longtemps il déshonore ; je demande qu’avant de dire ses crimes on l’en dépouille.

— À quoi bon perdre votre temps à m’accuser et à faire toutes vos simagrées de justice ? répondit ironiquement Fray Ambrosio. Vous tous qui nous jugez, vous êtes aussi criminels que nous ; vous êtes des assassins, car vous usurpez sans aucun droit un mandat qui ne vous appartient pas. Cette fois, par hasard, vous frappez juste ; dans mille autres circonstances, dominés par la populace qui nous environne, vous condamnez des innocents. Ce sont mes crimes que vous voulez savoir, je vais vous les dire, moi.

Cet homme a raison, je ne suis pas moine, je ne l’ai jamais été ; j’ai commencé par la débauche, j’ai fini par le crime. De complicité avec le Cèdre-Rouge, j’ai incendié des fermes dont j’ai brûlé ou assassiné les habitants pour les voler ensuite. J’ai été, avec le Cèdre-Rouge encore, chasseur de chevelures ; j’ai aidé à enlever cette jeune fille qui est là. Quoi encore ? j’ai tué, pour lui voler le secret d’un placer, le père de ce gambucino. Que voulez-vous de plus ? Inventez les crimes les plus atroces et les plus hideux, je les ai tous commis. Maintenant prononcez votre jugement, exécutez-le, vous ne parviendrez pas à me faire dire une parole de plus ; je vous méprise, vous êtes des lâches !

Après avoir prononcé ces odieuses paroles avec un cynisme révoltant, le misérable promena un regard provocateur sur l’assemblée.

— Vous êtes condamné, lui dit Valentin après avoir recueilli les voix, à être scalpé, à être pendu par les aisselles, à être enduit de miel, et à demeurer pendu jusqu’à ce que les mouches et les oiseaux du ciel vous aient dévoré.

En entendant cette sentence terrible le bandit ne put réprimer un mouvement de terreur, tandis que le peuple applaudissait avec frénésie à cette sévère justice.

— Maintenant les jugements vont être exécutés, dit Valentin.

— Un instant ! s’écria l’Unicorne en se levant d’un bond et allant se placer devant les juges. Pour ce qui regarde le Cèdre-Rouge, la loi n’a pas été suivie ; ne dit-elle pas œil pour œil, dent pour dent ?

— Oui, oui ! s’écrièrent les Indiens et les trappeurs.

Frappé d’une espèce de pressentiment, le Cèdre-Rouge trembla et sentit son cœur se serrer.

— Oui, dit le Blood’s Son d’une voix creuse, le Cèdre-Rouge a tué doña Clara, la fille de don Miguel : sa fille Ellen doit mourir.

Les juges eux-mêmes reculèrent épouvantés.

Le Cèdre-Rouge poussa un rugissement terrible.

Seule, Ellen ne trembla pas.

— Je suis prête à mourir, dit-elle d’une voix douce et résignée. Hélas, pauvre jeune fille ! Dieu sait avec quelle joie j’aurais donné ma vie pour sauver la sienne.

— Ma fille ! s’écria le Cèdre-Rouge avec désespoir.

— C’est ainsi que criait don Miguel pendant que vous assassiniez lâchement son enfant, répondit cruellement le Blood’s Son : œil pour œil, dent pour dent !

— Oh ! c’est horrible ce que vous faites là, mes frères, s’écria le père Séraphin. C’est le sang innocent que vous versez, il retombera sur vos têtes. Dieu vous punira. Par pitié, mes frères, par pitié, ne tuez pas cette innocente jeune fille !

Sur un signe de l’Unicorne, quatre guerriers s’emparèrent du missionnaire, et, malgré ses efforts, tout en usant de grands ménagements avec lui, ils l’enlevèrent et le conduisirent à la hutte du chef, où ils le gardèrent à vue.

Valentin et Curumilla cherchaient vainement à s’opposer à cet acte barbare ; les Indiens et les trappeurs, travaillés par le Blood’s Son, réclamaient à grands cris l’exécution de la loi et menaçaient de se faire justice eux-mêmes.

En vain don Miguel et son fils suppliaient l’Unicorne et le Blood’s Son ; ils ne pouvaient rien obtenir.

Enfin l’Unicorne, fatigué des prières du jeune homme, saisit Ellen par les cheveux, lui plongea son couteau dans le cœur, et la lui jeta dans les bras en lui criant :

— Son père a tué ta sœur, et tu pries pour elle ! tu es un lâche !

Valentin, à cette action inqualifiable, cacha son visage dans ses mains et s’enfuit.

Les assistants applaudirent avec frénésie.

Le Cèdre-Rouge se tordait en écumant dans les liens qui l’enchaînaient ; en voyant tomber Ellen expirante, une révolution s’était faite en lui ; il ne criait plus qu’un mot avec une expression déchirante :

— Ma fille ! ma fille !

Le Blood’s Son et la Gazelle blanche furent implacables, ils assistèrent impassibles à l’exécution du jugement rendu contre les prisonniers.

Le Cèdre-Rouge et son fils ne souffrirent pas longtemps, bien que le premier eût été scalpé d’abord ; la folie qui s’était emparée de lui le rendit insensible à tout.

Celui qui souffrit un supplice auquel nul autre n’est comparable, ce fut Ambrosio ; le misérable se tordit pendant vingt-deux heures dans des souffrances inimaginables avant que la mort vint mettre un terme à ses effroyables tortures.

Aussitôt que les coupables eurent été exécutés, le Blood’s Son et la Gazelle blanche montèrent à cheval et s’éloignèrent au galop.

Depuis, jamais on n’a entendu parler d’eux, nul ne sait ce qu’ils sont devenus.

C’était le huitième jour après l’horrible application de la loi de Lynch que nous avons rapportée, vers le soir, un peu avant le coucher du soleil.

Toutes traces du supplice avaient disparu. Le camp de l’Unicorne était toujours établi au même endroit ; le chef lui-même avait exigé que sa tribu demeurât provisoirement où elle était, à cause de la maladie de Mme Guillois, dont l’état réclamait le repos le plus absolu.

La pauvre dame se sentait mourir peu à peu, de jour en jour elle s’affaiblissait davantage, et, douée de cette lucidité que Dieu donne parfois aux mourants, elle regardait venir la mort en souriant, tout en cherchant à consoler son fils de sa perte.

Mais Valentin, qui après tant d’années n’avait revu sa mère que pour s’en séparer à jamais, était inconsolable.

Privé de don Miguel et de son fils qui étaient retournés au Paso del Norte en emmenant avec eux le corps de l’infortunée Ellen, le chasseur pleurait sur le sein de Curumilla, qui pour toute consolation ne savait que pleurer avec lui et lui dire :

— Le Grand-Esprit rappelle la mère de mon frère, c’est qu’il l’aime.

Phrase bien longue pour le digne chef et qui montrait l’intensité de sa douleur.

Le jour où nous reprenons notre récit, Mme Guillois était étendue sur un hamac devant sa hutte, le visage tourné vers le soleil couchant.

Valentin était debout à sa droite, le père Séraphin à sa gauche et Curumilla auprès de son ami.

Le visage de la malade avait une expression radieuse, ses yeux brillaient d’un vif éclat et une légère nuance incarnadine dorait ses joues ; elle semblait heureuse.

Les guerriers, s’associant à la douleur de leur frère adoptif, étaient silencieusement accroupis auprès de la hutte.

La soirée était magnifique ; la brise qui commençait à se lever agitait doucement les feuilles des arbres ; le soleil se couchait dans un flot de vapeurs irisées de mille nuances changeantes.

La malade prononçait parfois des paroles entrecoupées que son fils recueillait religieusement.

Au moment où le soleil disparut derrière les pics neigeux des montagnes, la malade se souleva comme poussée par une force irrésistible ; elle promena autour d’elle un regard calme et limpide, posa ses deux mains sur la tête du chasseur, et prononça ce seul mot avec un accent rempli d’une mélodie étrange :

— Adieu !

Puis elle retomba.

Elle était morte.

Par un mouvement instinctif, tous les assistants s’agenouillèrent.

Valentin se courba sur le corps de sa mère, dont le visage avait conservé cette auréole de beauté céleste, dernière parure de la mort ; il lui ferma les yeux, l’embrassa à plusieurs reprises, et, serrant dans les siennes sa main droite qui pendait hors du hamac, il pria.

Toute la nuit se passa ainsi sans que personne abandonnât la place.

Au point du jour, le père Séraphin, aidé par Curumilla qui lui servit de sacristain, dit l’office des morts, puis le corps fut inhumé ; tous les guerriers indiens assistèrent à la cérémonie.

Lorsque tout le monde se fut retiré, Valentin s’agenouilla devant la fosse, et quelques instances que lui fissent le missionnaire et le chef indien, il voulut, cette nuit encore, veiller auprès de sa mère morte.

Au point du jour, ses deux amis revinrent ; ils le retrouvèrent agenouillé et priant ; il était pâle ; ses traits étaient fatigués ; ses cheveux, si noirs la veille, étaient maintenant mêlés de mèches blanches.

Que s’était-il passé pendant cette longue nuit ? Quel secret la mort avait-elle révélé au vivant ?

Le père Séraphin chercha à lui rendre le courage. Le chasseur, à toutes les saintes exhortations du prêtre, secouait tristement la tête.

— À quoi bon ? disait-il.

— Oh ! lui dit enfin le missionnaire, Valentin, vous si fort, vous voilà faible comme un enfant ; la douleur vous terrasse sans combat ; vous refusez la lutte ; vous oubliez que vous ne vous appartenez pas, enfin.

— Moi ! s’écria-t-il ; hélas ! que me reste-t-il à présent ?

— Dieu ! dit le prêtre d’une voix sévère en lui montrant le ciel.

— Et le désert ! lui dit Curumilla en étendant le bras du côté du soleil levant.

Un éclair s’alluma comme une flamme dans l’œil noir du chasseur ; il secoua la tête à plusieurs reprises, jeta sur la tombe un regard chargé de tendresse, en disant d’une voix brisée :

— Au revoir, ma mère !

Et, se tournant vers le chef indien :

— Partons ! dit-il résolûment.

Valentin allait recommencer une nouvelle existence.

FIN DE LA LOI DE LYNCH.