La Logique déductive dans sa dernière phase de développement/3/11

Possibilité de réduire le vocabulaire logique à trois symboles

127. À l’occasion d’un cours de conférences que j’ai donné à l’Université de Padoue en 1906, je me suis proposé de choisir un groupe peu nombreux de symboles logiques, au moyen desquels on pouvait exprimer tous les autres et je suis arrivé a la réduction que je vais exposer et qui est encore inédite.

Les symboles que j’ai choisis comme point de départ sont au nombre de trois, à savoir

Il résultera donc que, en le voulant, on pourrait se servir toujours et seulement de ces trois symboles logiques ; mais ce qui est intéressant c’est seulement la possibilité de cette réduction, car il serait très incommode de renoncer aux autres symboles, et par suite je ne propose pas leur élimination effective.

Au contraire, des que j’aurai défini un symbole[1], je m’en servirai pour en définir d’autres, en formant ainsi une chaîne de définitions dont on ne pourrait pas altérer l’ordre d’une façon arbitraire (bien qu’on puisse faire quelques transpositions).

Les que j’emploie étaient presque toutes connues et je les ai déjà énoncées (toutefois avec quelques modifications que j’y ai introduites en vue du but actuel, que je m’étais proposé dès le commencement) ; c’est que, dans les questions de ce genre, plus que de découvrir de nouvelles P, il s’agit de découvrir de nouveaux liens entre les connues.

128. Par la 68 :
(I)


on définit le symbole «  ». Comme je suppose connue la signification du signe «  » dans ses deux rôles, à savoir d’intersection et d’affirmation simultanée, le signe «  » résulte aussi défini dans ses deux rôles d’inclusion et d’implication[2].

On remarquera qu’il n’est pas même nécessaire d’apprendre à lire la formule qu’on définit ; car de sa signification (c’est-à-dire de la formule définissante) n’importe qui est amené à trouver la lecture la plus à propos.

En effet, dans les explications préalables (dont j’ai touché un mot[2]), on aura eu soin d’éclaircir les concepts de classe et de condition, en ajoutant que le signe «  » sera employé seulement entre deux classes ou entre deux conditions, et de préciser quelle est la nouvelle classe ou la nouvelle condition qui en résulte.

Il s’ensuivra ainsi que :

1) si a et b sont des classes, on n’aura «  » que lorsque « il n’y a pas des a qui ne soient pas des b », à savoir lorsque « tout a est un b » ;

2) si a et b sont des conditions, on n’aura «  » que lorsque « a ne peut jamais être vérifiée sans que b le soit aussi », à savoir lorsque « a implique b ».

Ainsi, les deux lectures du signe «  », en correspondance de ses deux rôles, seront :

« tout… est un … »et« … implique … »

ou d’autres équivalentes, telles que :

« … est contenu en … »et« sialors … ».

129. Par la  59:
(II)

on définit le symbole «  ».

Des explications préalables [1281] il résultera que «   » est « l’ensemble des valeurs de y, telles que y soit la même chose que x », c’est-à-dire qu’il est « l’ensemble auquel n’appartient que x ». La phrase « l’ensemble auquel n’appartient que… » est donc une lecture possible du signe «  » ; si en ce cas on n’en trouve pas spontanément une autre plus concise, c’est que le langage courant ne nous en donne pas ; donc, seulement pour des raisons de concision, on pourra conseiller la lecture « isos » tirée de la langue grecque [45,89].

Par la  61 :
(III)

on définit le symbole «  », moyennant les deux symboles que je viens de définir[3].

Par ce qui précède, «  » signifie « l’ensemble, auquel n’appartient que x, est contenu en a », c’est-à-dire en abrégeant « x appartient à a » ou « x est un a » ; ainsi, on arrive spontanément à la lecture « est un » du signe «  ».

Par la  4 [ 2]


(IV)


on définit le symbole «  » moyennant le symbole «  » que je viens de définir[4].

Le langage courant suggère immédiatement de lire l’écriture
«  » comme il suit : « … etsont des … » [65].

130. Maintenant je vais définir le symbole «  » ; à ce sujet, dans le Formulaire on trouve seulement la  1 :


(1)


c’est-à-dire « si a est une , alors l’ensemble des valeurs de x, telles que xsoit un a, est a ».

Comme dans le Formulaire on n’a donné aucune signification (et par suite aucune propriété) à l’écriture «  » lorsque a n’est pas une , je lui donne en ce cas cette propriété :


116.                    


qu’on peut lire : « si a n’est pas une , aucune valeur de x n’est telle que x soit un a ».

Or, comme «  » [ 20], de la  58 on tire que


d’où [ 99]

De la comparaison de cette avec la  116 il résulte que, si a n’est pas une , alors les deux écritures «  » et «  » ne peuvent pas être égales entre elles, parce que la première est égale à «  » et la seconde non ; donc [69]


d’où [ 99] la  :


117.                    


En résumant [ 52] cette avec la (1), on obtient


118.                    


c’est-à-dire « a est une  » signifie que « l’ensemble des valeurs de x, telles que x soit un a, est a ».

En voulant isoler le symbole «  », on arrive ainsi [60] à la P


119.                    (V)


c’est-à-dire : «  » est « tout symbole a tel que, l’ensemble des valeurs de x, telles que x soit un a, est a ». Cette définit le symbole «  » par le symbole «  », qui a été déjà défini (III)[5].

131. Par le symbole «  », qui a été déjà défini (II), je définis le symbole
«  » [45], au moyen de la P


120.                    (VI)[6]

Maintenant on pourrait définir l’écriture «  » en disant qu’elle signifie que « a est contenu dans une quelconque » ; en symboles


121.                    

Mais nous voulons isoler le symbole «  » [37] ; à cet effet, dans la  121 remplaçons «  » par «  » [ 60], en obtenant


d’où [60]


d’où (VI) la P


122.                    (VII)


c’est-à-dire «  » est « cet a qui est contenu (extensivement) dans toute  », à savoir « rien » ; ainsi on définit le symbole «  » par les symboles déjà définis «  » (I) (III) (V) (VI)[7].

132. Pour définir le symbole «  » devant une [70], je me sers d’une qui se trouve déjà dans le Formulaire, et dans laquelle sont employés les symboles «  » que j’ai déjà définis (II), (III), (V), (VII) :


123.                    (VIII)


c’est-à-dire si a est une , alors «  » désigne l’ensemble desx tel que a et «  » [ 64] sont disjointes [40], c’est-à-dire l’ensemble des individus qui n’appartiennent pas à a.

Maintenant, on peut définir la négation d’une appartenance, au moyen de la P, qui se trouve déjà dans le Formulaire,


124.                    (IX)


qui découle des  22, 28 et dans laquelle le définissant «  » correspond en même temps aux deux formules définies «  » (il n’est pas vrai que x soit un a) et «  » (x n’est pas un a).

Nous savons que toute condition peut acquérir la forme d’une appartenance [60] ; par suite la (IX) définit la négation d’une condition quelconque.

Par exemple, des  60 et 98 on déduit


d’où (IX) la P


125.


c’est-à-dire « il n’est pas vrai que x soit égal à y » signifie que « x est différent de y ».

La  125 ne doit pas être considérée comme une Df, parce qu’elle est une conséquence de la (IX) ; plutôt, si l’on veut adopter la formule « », on la définira par la  21


(X)


dont la  125 complète l’explication.

Après quoi, je définis la formule «  » dans ses deux rôles, moyennant la  29 :


(XI)


et je définis le symbole «  » dans ses deux rôles au moyen de la  105


(XII)[8]

Le symbole «  » se trouve déjà défini par la  36


(XIII)

et le symbole «  » (aut) par la  30


(XIV)


Je définis l’écriture «  » par la P


126.(XV)


c’est-à-dire : «  » signifie que « a est une distincte de  », d’où la lecture : « il y a des a »[9].

Enfin, je définis mon symbole «  » [44] par la P


127.(XVI)


c’est-à-dire «  » est tout symbole a tel qu’on puisse déterminer x de manière que a résulte égal à «  » ; on la déduit immédiatement [60] de la  67.

Ainsi tous les symboles logiques résultent successivement définis par les trois symboles :


comme j’avais annoncé [17, 127].

133. Ainsi le problème de la construction d’une Idéographie logique est complètement résolu.

Leibniz, le plus grand logicien après Aristote, en a conçu le projet et en a commencé l’exécution [11], qui a été poursuivie par ses disciples Segner et Lambert, et par d’autres savants, notamment De Morgan et Boole [12].

Enfin, surtout au moyen de l’analyse des idées qu’il représenta par les symboles «  » [24, 33, 45, 58], M. Peano l’a complétée définitivement ; en effet, son Formulaire démontre que l’idéographie logique suffit désormais à exprimer toutes sortes de propositions [13].

Leibniz, ses disciples et ses continuateurs, en donnant trop d’importance à l’analogie frappante entre certains concepts logiques et certains concepts arithmétiques, les avaient représentés par les mêmes signes [30, 38, 39]. Mais les nombreux manques d’analogie [49, 68, 94, 95] constituaient une violation trop grave au principe de permanence [28], et le double emploi des mêmes signes empêchait toute application de la Logique à l’Arithmétique [30].

Ces considérations ont amené M. Peano à imaginer une idéographie logique complètement distincte de l’idéographie arithmétique. Et, à cet effet, il n’aurait pu choisir un système de signes qui fût plus propre à faire ressortir les deux grandes lois logiques : à savoir, l’identité substantielle entre les deux théories des classes et des conditions [61], et le principe de dualité [115].

Ainsi, le vocabulaire logique de M. Peano, bien qu’il soit incomparablement plus mince que tout autre [76], est le plus complet et le plus exact, le plus commode et le plus clair. Je souhaite d’avoir contribué, par cette étude, à en révéler toute la beauté à un public un peu plus vaste que celui des lecteurs du Formulaire.

L’analyse que je viens de faire de cette idéographie, en dégage aussi le vrai noyau ; car, au moyen de mon système de définitions, tous les symboles de M. Peano découlent de trois seuls d’entre eux [127], qui résument donc virtuellement toute l’idéographie logique.


Séparateur



  1. Ici on parle seulement de ces Df (définitions} que les scholastiques appellent nominales ; et il suffit de savoir que définir une écriture (nouvelle ou qu’on suppose telle) vaut la déclarer égale à une autre dont la signification soit connue ; le symbole «  » [23], qui relie entre eux le terme défini et le terme définissant, pourra être lu « signifie ».
  2. a et b Dans le Formulaire on trouve la (I) sous la forme


    Or, puisque le signe «  » d’implication y est employé comme lien entre l’ et la , celle-ci pourrait définir le signe «  » seulement dans le rôle d’inclusion ; mais, tandis que moi, pour le définir en même temps dans ses deux rôles, j’emploie seulement les 2 symboles «  », ici il faudrait employer les 6 symboles «  » (dont le «  » dans le premier rôle et le «  » dans le second).

    On voit par là comme une petite modification peut avoir des conséquences très importantes.

    Mais on pourrait me demander si la suppression de l’ ne peut produire des ambiguïtés ; et je répondrais que non. En effet, d’abord il faudra expliquer (d’une manière empirique et par suite en ayant recours à des exemples, à des figures et même à des concepts qu’après on définira) la signification des symboles par lesquels on entend commencer, et à cette occasion on devra distinguer et préciser les deux rôles du signe «  », et déclarer qu’il n’en aura pas d’autres. Par suite, — comme la Df (définition) I dit simplement que, partout où l’on rencontrera une des écritures «  » et «  », on pourra les remplacer l’une par l’autre, — il résulte (sans aucune ) que la nouvelle écriture à aussi deux rôles, bien distingués et bien précises, et qu’elle n’en aura pas d’autres.

  3. On voit par là qu’on pourrait transposer les Df I et II, mais qu’elles doivent précéder la Df III. Dans le Formulaire on trouve la (III) sous la forme


    qui ne peut pas servir comme Df du symbole «  », car ce signe se trouve déjà dans l’.

  4. Dans le Formulaire, la (IV) aussi est précédée de l’ «  », qui est devenue inutile.
  5. L’analyse qui précède cette a seulement pour but d’indiquer la voie par laquelle j’y suis arrivé et d’y distinguer ce qu’elle renferme de connu et ce qu’elle contient de nouveau [ 116] ; mais, en voulant l’adopter comme Df, elle n’a besoin d’aucune prémisse.
    xxxxPlutôt, le fait de donner une propriété quelconque à l’écriture «  » lorsque a n’est pas une , pourrait sembler en contradiction avec la  6


    c’est-à-dire : « l’assertion qu’un x quelconque appartient à a implique que a soit une  ».
    xxxxMais il s’agit d’une contradiction apparente ; car, au contraire, si l’on regarde bien, cette et la  116 énoncent, de différente manière, un même fait (il suffit de comparer leurs lectures).

  6. Dans le Formulaire on définit le symbole «  » au moyen de la P
    (1)

    c’est-à-dire :
    si   1) a est une .
    2) il y a des a
    3) si y et z appartiennent à a, alors y doit être égal à z ;
    alors, dire que « x est le a » signifie que a est l’ensemble auquel n’appartient que x ».
    xxxxCe qui était le définissant dans la (1) devient la seule de ma Df (VI), parce qu’elle renferme, d’une manière implicite, les trois conditions dont se compose l’ de la (1).
    xxxxEn effet comme «  » [ 64], «  » implique [ 58] :
    1) «  » ; après quoi [ 53], « r » implique
    «  »et«  » ;


    mais «  » implique (III) «  », qui implique [ 63] :
    2) «  » ; enfin «  » implique que [ 56] si «  », alors «  », c’est-à-dire [ 60] que «  » ; donc


    et de même


    d’où [ 91 et IV]


    d’où [ 44, 46] :

    3)

    J’ai donc obtenu une vraie simplification de la (1), sans rien lui ajouter ou lui ôter, et j’ai obtenu deux avantages dans la (1) la formule définie était
    «   », tandis que dans la Df VI elle est simplement «   » (qui contient seulement le symbole à définir) ; dans l’ de la (1) était employé le symbole «  » que je n’ai pas encore défini et que je définirai par le symbole «  », que je vais définir justement par le symbole «  ». Donc, sans ma simplification, on se trouvait dans un cercle vicieux qui forçait à adopter sans Df un des symboles «  ».

  7. Dans le Formulaire on trouve une presque identique à la (VII)

    La petite simplification que j’y ai introduite, et qui d’ailleurs n’était pas nécessaire pour l’exécution de mon plan général de réduction, se fonde sur la  55 ; car, s étant une , on ne pourrait avoir «  » si a aussi n’était pas une , ce qui rend superflu de l’énoncer.

  8. Les (XI), (XII) se trouvent aussi dans le Formulaire, mais précédées de l’
    «  »


    et par suite elles peuvent servir à définir les écritures «  » et «  » seulement dans leur premier rôle.

  9. Si dans la  38


    on remplace «  » par «  » (X) et ensuite par «  » [ 125], on obtient

    d’où, en appliquant au second membre les  3 et (XI), on obtient la (XV).
    xxxxDans le Formulaire, l’écriture «  » est définie par la P


    mais je trouve plus convenable de renfermer la condition «  » dans la signification de l’écriture «  ».