La Linguistique/Introduction

C. Reinwald et cie (p. ix-xi).

INTRODUCTION



Il était réservé aux dernières années du dix-huitième siècle de donner le jour aux méthodes d’investigation scientifique. La tâche était immense ; mais les hommes qui tentèrent de l’accomplir n’y firent pas défaut. C’est aux écrivains de l’Encyclopédie qu’il fut donné d’ouvrir l’ère contemporaine, la période de la science expérimentale.

L’esprit méthodique renouvela les procédés de recherche et les modes d’enseignement. Les sciences mathématiques, les sciences chimiques, les sciences naturelles rompirent enfin, et pour jamais, avec la métaphysique.

La linguistique n’est ni la moins importante ni la moins intéressante des sciences contemporaines ; ce volume lui est consacré. Notre intention est de montrer quelle place elle occupe dans l’histoire naturelle de l’homme. Tout d’abord, nous aurons à la définir. Les questions les plus délicates de cette science sont abordées et résolues chaque jour par des personnes tout aussi ignorantes de son objet que de sa méthode. C’est le sort commun de toutes les sciences naturelles. On y supplée volontiers par des assertions purement sentimentales au défaut d’études fondées sur l’expérience. C’est ainsi qu’on se déclare hardiment polygéniste ou monogéniste, ami ou ennemi de la doctrine de l’évolution, sans avoir jamais mis le pied dans un laboratoire d’anthropologie.

Nous ne chercherons pas à éviter l’examen de la question de l’origine du langage. C’est une question purement anthropologique. Sans nous occuper des rêveries auxquelles elle a donné lieu, nous la traiterons uniquement au point de vue de l’histoire naturelle, c’est-à-dire de l’anatomie et de la physiologie. Le langage articulé est un fait naturel, soumis, comme tout autre fait, à l’investigation libre et désintéressée, et ce n’est pas une entreprise téméraire que d’aborder la question de son origine. L’écarter sous prétexte qu’il faut proscrire toute recherche des « origines premières », c’est admettre la possibilité même de ces causes premières, dont les mathématiques et la chimie ont fait justice.

À côté des questions de linguistique pure, nous avons introduit çà et là, mais dans une faible mesure, certaines questions de philologie qui s’y rattachaient directement. Nous avons traité plus volontiers de quelques points d’ethnographie linguistique, mais d’une façon très-incomplète. Nous nous promettons d’y revenir. Quant aux questions de linguistique proprement dite, nous étions contraint, par la nature et le but de cette Bibliothèque, à les parcourir toutes fort rapidement ; c’est une difficulté dont le lecteur voudra bien tenir compte.

Avant d’entrer en matière, qu’il nous soit permis d’adresser nos remercîments à MM. Picot et Vinson, pour la part qu’ils ont prise à notre travail. Nous leur devons beaucoup : des notes, des renseignements, et surtout les conseils d’esprits sûrs et méthodiques.