La Liberté de l’enseignement supérieur en France

De la Réforme de l’Enseignement supérieur, par M. Hillebrand. — Étude sur l’instruction secondaire en Allemagne, par M. Minssen. — État de l’Instruction supérieure en Belgique, par M. Piercot. — Statistique de l’Enseignement supérieur français.

De toutes les questions qui préoccupent en ce moment l’opinion publique, il n’en est pas qui soit plus digne d’être méditée que celle de la liberté de l’enseignement supérieur. Éclairée par les brillantes discussions soutenues devant l’une et l’autre chambre pendant les dernières années de la monarchie de juillet, cette question, qui paraissait abandonnée, s’est représentée de nouveau il y a deux ans, et les lecteurs de la Revue n’ont certainement oublié ni la fameuse pétition Giraud dont le sénat fut saisi au mois de juin 1867, ni le vif débat qui s’ensuivit en mai 1868. Pour la première fois depuis longtemps, le sénat offrit le spectacle de séances tumultueuses et de contradictions violentes. Il s’agissait d’imposer au gouvernement des mesures réactionnaires contre la faculté de médecine de Paris, et d’arrêter le prétendu débordement des doctrines matérialistes. On dénonçait l’enseignement de l’école, on faisait aux professeurs un procès de tendance, et l’on voulait convertir la haute assemblée en un concile qui se fût déclaré compétent pour connaître des méthodes et des doctrines. Après une discussion qui prit plusieurs séances, le sénat votait l’ordre du jour sur cette pétition, qu’un des orateurs du gouvernement avait qualifiée de « pièce fausse. »

Le parti qui demandait la liberté de l’enseignement supérieur avait donc fait une mauvaise campagne, et le gouvernement pouvait repousser une réclamation appuyée sur des imputations injustes contre des personnes respectables et sur des théories qui étaient la négation même des droits de la science[1] ; mais les maladresses d’un parti ne suffisent pas à compromettre une bonne cause. La liberté de l’enseignement supérieur a recruté, depuis l’an dernier, de nombreux adhérens. Aux élections générales de 1869, cent vingt députés environ se sont engagés à réclamer cette liberté, les uns pour se ménager l’appui du parti clérical, les autres pour ne pas laisser au clergé le monopole d’une revendication légitime. Aujourd’hui la liberté de l’enseignement supérieur figure sur les programmes du centre droit et du centre gauche. Le moment paraît donc venu d’aborder cette question et de la traiter avec tout le développement qu’elle comporte. Parmi ceux qui se sont déclarés les partisans de la liberté de l’enseignement supérieur, il en est sans doute qui n’ont pas mesuré toute la portée de l’engagement qu’ils ont pris, et dans le public on a été amené peut-être à ne voir qu’une œuvre de parti dans une revendication à laquelle tous les esprits libéraux devront s’associer, une fois qu’on aura bien déterminé les conditions d’exercice de la liberté qu’on réclame.

La Revue n’a pas attendu jusqu’à ce jour pour se préoccuper des réformes dont est susceptible notre enseignement supérieur[2] ; mais les études qu’elle a publiées ont eu pour principal objet d’indiquer les transformations que paraît nécessiter l’état de torpeur où languissent plusieurs de nos facultés. Dans ce travail, on s’attachera surtout au côté politique de la question, qui avait été jusqu’ici laissé en dehors comme important moins à l’honneur de la science dans notre pays et à sa bonne renommée dans le monde.

I.

Il est de mode aujourd’hui d’attribuer à l’assemblée constituante et à la convention tous les abus de centralisation qui pèsent sur notre société moderne, et dont on cherche avec raison à la décharger. Certains esprits ne tiennent aucun compte de cette longue période monarchique qui a précédé nos deux grandes assemblées, et se refusent à voir autre chose que de regrettables nouveautés dans une œuvre où l’expérience des siècles n’apparaît pas avec moins de clarté que les idées et les tendances modernes. On voudrait creuser un abîme entre l’ancien régime et la révolution, et faire croire que nos pères, s’inspirant de la méthode de Descartes, ont tout renversé pour tout édifier à nouveau. Le passé n’abdique pas ainsi, et une société qui meurt lègue toujours à la société qui s’élève sur ses ruines un certain nombre d’idées et de maximes dont elle a vécu et qui survivent à sa chute. Ainsi l’une des maximes fondamentales de notre ancien droit monarchique était que l’instruction publique dépend de l’état. «Ce fut sous l’autorité de l’état, dit M. Villemain, que s’établirent successivement les universités locales. Ce fut cette autorité qui, à diverses époques, en supprima ou en réforma quelques-unes, et qui permettait ou interdisait la fondation de tout collége dépendant d’une université, d’une corporation religieuse ou d’une communauté municipale. » Sans doute l’église avait alors, grâce à sa forte organisation, à son admirable discipline et surtout aux mœurs du temps, une influence prépondérante dans les universités mêmes, et en ce sens l’on a pu dire avec vraisemblance qu’elle possédait la liberté d’enseignement ; les particuliers cependant n’avaient aucune part à ce privilége. L’état consentait bien à s’en dessaisir en faveur de l’église ; mais il eût trouvé fort mauvais que l’on fît de la licentia docendi une liberté de droit commun. On peut même remarquer qu’au fur et à mesure qu’il se dégagea de l’église, sans pourtant se séparer d’elle, l’état vit croître son influence dans le domaine de l’enseignement.

Singulier rapprochement ! le prince qui souffleta la papauté fut aussi le premier qui proclama le droit de la royauté sur l’enseignement ; c’est dans une ordonnance de 1312, signée de Philippe le Bel, que ce droit fut pour la première fois inscrit. Plus tard, les rois donnèrent aux parlemens juridiction sur les universités, et par l’édit de Blois (mai 1579) ils firent une première tentative pour établir ce système d’unité où l’on a voulu voir un effort de la centralisation moderne. Véritable règlement organique pour toutes les universités de France, cet édit maintenait le droit d’autorisation de l’état, ainsi que l’obligation des épreuves et des grades. Il fut confirmé, vingt ans après, en 1598, par l’édit réglementaire de Henri IV sur l’Université de Paris, lequel ne tarda pas à être appliqué dans presque toutes les autres universités.

Indépendamment des droits que la royauté prétendait avoir sur les universités, elle intervenait directement dans la fondation des colléges, et elle se réserva toujours scrupuleusement la faculté exclusive d’en autoriser l’ouverture. Le premier collége établi par les jésuites à Paris, en 1562, fut longtemps sans pouvoir obtenir le plein exercice, et lorsqu’après avoir expulsé les jésuites une première fois on leur permit de rentrer en 1603, ce fut à la condition de « ne rien faire ni entreprendre contre la paix publique et le repos du royaume, et de n’ouvrir aucune école qu’en vertu d’une permission expresse. » On leur refusa le droit de préparer directement leurs élèves aux grades, et quand ils voulurent usurper ce droit, qu’ils prétendaient tenir d’une bulle pontificale, les parlemens intervinrent et provoquèrent par leur résistance une ordonnance royale de 1629 qui porte que « nul ne sera reçu aux degrés qu’il n’ait étudié l’espace de trois ans en l’université où seront conférés lesdits degrés. » Malgré ces restrictions et sous l’empire de causes qu’il serait trop long d’énumérer ici, le nombre des colléges de la société de Jésus alla toujours croissant au xviie et au xviiie siècle. Il y en avait cent vingt-quatre en 1762 quand la société fut dissoute. Il fallait s’occuper de réparer les vides produits par cette brusque mesure. De nombreuses ordonnances y pourvurent, et, pour la première fois, apparut nettement la conception d’un enseignement national sous la surveillance et l’autorité du gouvernement. C’est ce que Turgot voulait instituer, d’accord avec le parlement de Paris. La révolution ne lui en laissa pas le temps ; mais elle lui prit son idée, qui n’était elle-même que la suite et la conséquence nécessaire de la vieille maxime royale : « l’instruction dépend de l’état. » Or ce fut sur cette maxime que Napoléon établit l’Université. « Seulement à l’esprit de corps, toujours un peu étroit, dit M. Villemain, l’Université nouvelle, fondée sur une base plus large, celle même de l’empire, substituait l’impartialité de l’état. » Elle fut, selon M. Royer-Collard, « le gouvernement appliqué à la direction universelle de l’instruction publique ; elle eut le monopole de l’enseignement, à peu près comme les tribunaux ont le monopole de la justice, et l’armée celui de la force publique. » Il serait donc injuste de l’accuser d’avoir détruit le principe de la liberté d’enseignement et d’y avoir substitué le principe de l’autorisation préalable. Ce dernier principe était de droit monarchique, et l’Université en se l’appropriant ne fit que recueillir une tradition séculaire que la révolution elle-même avait respectée.

D’où vient que, moins de vingt ans après la fondation du corps qui semblait avoir réalisé dans sa vigoureuse discipline et sa forte hiérarchie une pensée constante de la monarchie de droit divin, ce corps était déjà en butte aux hostilités déclarées des partisans de la royauté légitime ? Comment l’Université se trouvait-elle si tôt menacée dans son existence, soupçonnée et dénoncée ? Et comment, pour la combattre, fut-on amené à produire le principe nouveau de la liberté d’enseignement ? Ce serait une longue histoire qu’il n’est pas dans notre dessein de raconter ; nous voulions seulement, avant d’entrer dans l’examen même de la question, montrer combien les origines en sont récentes.

Il importe avant tout de s’entendre sur la signification et la portée réelle de ces mots : la liberté de l’enseignement supérieur, car il en est de cette liberté comme de toutes celles qui ont été successivement demandées et obtenues depuis une soixantaine d’années. On est d’accord sur le principe, on diffère sur le mode d’application ; les uns veulent une liberté réglée, les autres ne reculeraient pas devant la liberté absolue. Nous croyons inutile d’exposer longuement îe système de ces derniers. Parmi ceux-ci, les uns, sans tenir compte des traditions, voudraient faire table rase de toutes nos institutions universitaires et supprimer l’enseignement de l’état. Pour eux, le droit d’enseigner est un droit naturel comme la propriété, la liberté individuelle, la liberté de conscience, et le libre exercice de ce droit doit donner naissance à une industrie qui ne saurait pas plus que îes autres industries être soumise à des restrictions. Ce n’est pas un pouvoir public que la loi confère, qui puisse être mesuré et réglé par elle, ni par conséquent assujetti à des conditions préalables d’exercice. À leur avis d’ailleurs, l’état est incompétent en cette matière. Il pouvait être instituteur alors qu’il y avait une religion et une philosophie d’état ; aujourd’hui qu’il n’a plus ni doctrines philosophiques officielles ni dogme privilégié, de quel droit prétendrait-il se substituer à l’autorité paternelle dans une de ses fonctions essentielles ?

Un autre groupe se compose des publicistes qui, sans réclamer comme les précédens la suppression de l’enseignement de l’état, demandent pour des particuliers ou pour des associations le droit de fonder soit des universités, soit de simples facultés ayant une existence propre, complètement indépendantes et libres, et délivrant des grades qui puissent donner accès dans toutes les carrières libérales. Ils veulent substituer la concurrence au monopole, le régime du droit commun au régime du privilége. Ils ne croient pas que l’état empiète sur la liberté des pères de famille en fondant des écoles, pourvu qu’il laisse d’autres écoles s’ouvrir à côté des siennes. Ils lui reconnaissent la faculté de délivrer des grades, mais à la condition que la même faculté soit octroyée aux corporations libres d’enseignement. À la différence des précédens, ils demandent la liberté pour tous, même pour l’état.

Avec un point de départ dissemblable, ces deux systèmes arrivent à une conclusion identique : ils suppriment la garantie du grade exigé [à l’entrée des professions libérales, le premier directement en refusant à l’état le droit de délivrer des grades, le second indirectement en accordant le même droit à des corporations. C’est là une forme mitigée de la liberté des professions, c’est-à-dire de ce régime où le public s’en fie à lui-même pour discerner la capacité ou l’insuffisance de ses médecins ou de ses hommes de loi. Il se peut qu’un jour, grâce aux progrès des lumières, l’état, en France, renonce à exiger des garanties de ceux qui veulent entrer dans les carrières libérales, et laisse les citoyens s’adresser, pour la défense de leurs intérêts ou le soin de leurs corps, à des personnes dont la capacité n’aurait été soumise à aucune espèce d’épreuves ; mais nous sommes si éloignés d’une pareille éventualité que nous n’avons pas à nous y arrêter.

Parmi les partisans de la liberté limitée de l’enseignement supérieur, les uns, qui nous ont donné la loi du 15 mars 1850, se déclareraient satisfaits, si les principes qu’ils ont fait prévaloir dans les deux autres ordres d’enseignement étaient appliqués à notre enseignement supérieur. La loi de 1850 autorise tous les citoyens qui remplissent certaines conditions d’âge et de capacité à ouvrir des écoles ou des établissemens d’enseignement secondaire ; mais elle a cru devoir réserver à l’état le droit de délivrer les grades. Il suffirait, pour désintéresser les partisans de ce système, de substituer au régime de l’autorisation préalable, auquel est encore soumis l’enseignement supérieur, le régime de la liberté sous certaines garanties et à de certaines conditions. Seulement, dans ce système, l’état conservant le droit d’exiger des garanties, il faut qu’elles soient plus fortes au fur et à mesure que l’on voudra s’élever dans la hiérarchie des divers enseignemens. Les autres, qui sont aujourd’hui en nombre au sénat et à la chambre, où ils prendront la parole, et à Rome, où ils ont envoyé au concile leurs représentans les plus autorisés, forment un parti considérable, avec lequel il faudra nécessairement compter. Ils ont eu l’habileté de trouver une formule et d’y demeurer attachés : ils demandent la liberté comme en Belgique. Ils la demandaient ainsi par l’organe de M. le comte de Montalembert dès l’année 1844 ; ils l’ont redemandée en 1850, ils la veulent encore aujourd’hui. C’est de ce dernier groupe et de cette dernière manière d’entendre la liberté de l’enseignement supérieur que nous allons surtout nous occuper.

II.

La question de la liberté de l’enseignement supérieur est née en Belgique d’un conflit entre le parti catholique et le parti protestant, vers 1825. À cette date, le gouvernement des Pays-Bas décréta qu’aucun établissement d’instruction ne pourrait être fondé qu’avec son autorisation. En vertu de ce décret, plusieurs établissemens tenus par le clergé furent fermés. De vives réclamations s’élevèrent au sein des états-généraux contre cette mesure de rigueur. On se récria au nom de l’autorité paternelle, au nom de la liberté religieuse, et pour la première fois on invoqua le principe de la liberté de l’enseignement, qui n’avait encore été inscrit dans aucune constitution, pas même dans la déclaration des droits de l’homme. On accusa le gouvernement, qui était protestant, de faire de la propagande calviniste, et l’on réclama pour les catholiques le droit d’établir des écoles à côté de celles de l’état et d’envoyer leurs enfans prendre leurs grades auprès des universités étrangères. On ne songeait pas encore à se soustraire aux conditions exigées de ceux qui se destinent aux fonctions publiques, à la médecine ou au barreau, et l’on reconnaissait sans hésitation à l’état seul, représenté par ses universités, le droit de délivrer les grades, à l’exclusion des établissemens libres qui pourraient se fonder.

Ces exigences semblèrent modestes ; entendue ainsi, la liberté de l’enseignement parut acceptable au gouvernement, qui dès 1829 présenta aux chambres un projet de loi donnant satisfaction à des vœux si légitimes ; mais le parti catholique ne tarda pas à formuler des prétentions plus élevées. Il se plaignit des garanties que l’état avait cru devoir conserver, déclarant que dans la main d’un gouvernement protestant elles rendaient illusoire la liberté qu’on lui avait accordée. La presse, la tribune, la chaire, retentirent de ces plaintes ; un grand courant d’opinion se produisit en faveur de la liberté sans garanties préalables, et quand la révolution de 1830 éclata, la constitution fut rédigée sous l’empire de ces idées. Ce fut pour le parti catholique une seconde victoire. Comme il n’est pas dans la nature de ce parti de s’arrêter à moitié chemin, à peine avait-il obtenu le droit d’enseigner sans être soumis à aucune condition de capacité ni de moralité, qu’il demanda, comme conséquence du principe de la liberté d’enseignement, la création d’un jury indépendant des universités de l’état. Le législateur de 1835, docile à ces suggestions, trouva qu’il existe une corrélation étroite entre ces deux choses si différentes, la liberté de l’enseignement et la collation des grades ; il institua un jury central, siégeant à Bruxelles, composé de sept membres et nommé par les trois branches du pouvoir législatif. Ce mode de nomination n’était que temporaire ; c’était dans la pensée du législateur un essai qui ne devait durer que trois ans, et il fallut, à partir de l’année 1839, que des lois successives intervinssent pour proroger les dispositions de la loi de 1835. Cet état provisoire se prolongea jusqu’en 1849. À cette date, on établit im nouveau système, celui des jurys mixtes, qui régit encore l’enseignement supérieur belge. C’est ce système que le parti catholique français envie à la Belgique.

L’article 40 de la loi du 15 juillet 1849 est ainsi conçu : « Le gouvernement procède à la formation des jurys chargés des examens et prend les mesures réglementaires que leur organisation nécessite. Le gouvernement compose chaque jury d’examen de telle sorte que les professeurs de l’enseignement dirigé ou subsidié par l’état et ceux de l’enseignement privé y soient appelés en nombre égal. Le président du jury est choisi en dehors du corps enseignant. » En rapprochant de cet article 40, qui forme la partie la plus importante de la loi organique de l’enseignement supérieur, les dispositions des lois précédentes non abrogées qui établissent la liberté d’enseignement sans garanties et sans conditions d’aucune sorte, on peut se faire une idée très exacte de la façon dont cette liberté est comprise et pratiquée en Belgique. Ce système, éprouvé par une expérience de vingt années, est aujourd’hui condamné. On lui reproche d’avoir abaissé le niveau des études et ruiné l’esprit scientifique en Belgique. Dès 1853, M. Piercot, ministre de l’intérieur, présentait aux chambres sur la situation de l’enseignement supérieur un volumineux rapport dont les conclusions font encore autorité. À ce rapport étaient annexées les consultations qui avaient été demandées aux différentes facultés des universités d’état et aux présidons des jurys d’examen. Rien ne serait plus intéressant que de donner l’analyse complète de ces documens ; mais, comme ils se ressemblent tous et arrivent tous aux mêmes conclusions, nous nous bornerons à résumer les deux qui sont le plus remarquables : la consultation de la faculté de droit, et celle de la faculté de philosophie et lettres de l’université de Gand.

La faculté de droit de l’université de Gand proteste d’abord contre la confusion qui a été établie entre la liberté d’enseignement et la délivrance des grades. Passant ensuite de la question de principe à l’application, elle établit que l’action des professeurs sur les élèves est ruinée par le système des jurys mixtes. Pour que cette action demeure entière, il faut, dit-elle, qu’il soit à la fois maître de son enseignement et des examens ; or, sous l’empire de la loi du 15 juillet 1849, les professeurs des universités de l’état sont dominés et dans leur enseignement et dans les examens par les professeurs des universités libres. Celles-ci en effet « sont fatalement poussées à l’indulgence ; » l’indulgence d’une partie du jury entraîne celle de l’autre partie : de là un abaissement considérable dans le niveau des examens, qui a pour résultat immédiat un affaiblissement dans le niveau des études. Qu’importe dès lors que les élèves suivent les cours avec plus d’assiduité que sous l’empire des anciennes lois ? Ils n’y apportent ni cette ardeur, ni ce zèle, ni cet esprit de recherche scientifique qu’il serait si nécessaire d’entretenir ; ils restent indifférens à toutes les matières qui ne se rattachent pas directement à l’examen. De leur côté, les professeurs, dominés par les préoccupations de leur auditoire, se voient contraints de négliger tous les développemens historiques, philosophiques ou littéraires dont ils fécondaient autrefois leur enseignement ; cet enseignement n’est plus qu’une préparation hâtive à des grades qui ont perdu de leur valeur. Le système des jurys mixtes fait donc aux professeurs une situation humiliante, il les met en suspicion devant leurs propres élèves. Quelle autorité veut-on qu’ils conservent encore sur eux ? Que si, de surveillés, les professeurs deviennent surveillans, combien pénible et ingrat est leur rôle ! De quels dégoûts ne sont-ils pas abreuvés ! Qui pourrait dépeindre cette lutte sourde, ces tiraillemens sans fin ? Et quels inconvéniens n’entraîne pas pour la dignité du jury tout entier le spectacle des ruptures qui éclatent et des scissions qui se produisent ?

Deux systèmes d’examen ont régi la Belgique depuis une cinquantaine d’années. De 1817 à 1835, les facultés des universités de l’état étaient seules en possession du droit de conférer les grades. Depuis 1835, la collation des grades appartient à un jury, jury central ou jury combiné. Les résultats des deux systèmes d’examen mis en pratique depuis 1817 sont faciles à apprécier. De 1817 à 1835, les établissemens d’instruction supérieure ont été très florissans ; depuis 1835, la décadence a commencé. Pour l’arrêter, il y a des mesures à prendre ; mais le moyen le plus efficace serait certainement de rendre aux facultés les examens. Si le gouvernement croit devoir donner une satisfaction à l’opinion erronée qui a confondu deux choses distinctes, la liberté de l’enseignement et le jury d’examen, qu’il constitue pour les élèves des universités libres un jury particulier composé en majorité de professeurs des universités -de l’état. L’honneur de la science l’exige : c’est le seul moyen de tirer la Belgique de la décadence intellectuelle où elle s’affaisse.

La faculté de philosophie et lettres de Gand énumère aussi avec une grande netteté les inconvéniens des jurys mixtes : le système actuel, dit cette seconde consultation, plaçant nécessairement en présence une université libre et une université de l’état, introduit dans le jury, qui doit être avant tout impartial, une rivalité fâcheuse à la fois pour la science, pour la dignité des professeurs et les intérêts des élèves. Elle compromet la science en partageant les hommes qui la représentent en deux camps ennemis, qui deviennent souvent deux partis politiques animés de passions qui devraient être étrangères à des juges, et en exposant les professeurs à se laisser influencer par le désir de faire passer le plus grand nombre possible de leurs élèves. Elle compromet les professeurs et les atteint dans leur dignité en établissant parmi eux de regrettables et éclatantes scissions. Le président se trouve alors décider seul aussi bien des admissions que des grades, quoiqu’il n’appartienne pas à l’enseignement. Elle compromet en outre les intérêts des élèves, car, bien que les nominations des jnembres du jury soient en nombre égal des deux parts, il n’est pas toujours possible que les deux universités soient également représentées. Qu’un des professeurs soit absent ou malade, l’équilibre se trouve immédiatement rompu au détriment de l’une ou de l’autre catégorie de récipiendaires. La faculté estime qu’il importe d’abandonner le mode actuel d’organisation des jurys, et résume sous deux chefs principaux les vices de la loi du 15 juillet 1849 : 1° cette loi place en regard deux universités rivales dans le même jury; 2° la loi entrave le choix du gouvernement en le forçant de s’adresser à l’enseignement privé, qui non-seulement lui impose la moitié du jury, mais qui peut même, par un refus de concours, mettre l’état dans l’impossibilité de constituer ce jury. La faculté conclut en faisant observer que le droit de collation des grades attribué aux facultés placées sous la direction de l’état a reçu la consécration des siècles, qu’il est en vigueur et produit d’excellens résultats dans les pays voisins, et notamment en France, qu’il importe d’y revenir, en laissant toutefois aux étudians des universités libres le droit de se présenter devant un jury central, sous la réserve expresse que dans la composition de ce jury le gouvernement obtienne toutes les garanties indispensables.

Telles sont en substance les conclusions adoptées par les facultés de l’état. Nous savons bien que, pour enlever à ces critiques leur valeur et leur poids, on objectera qu’elles émanent de corps intéressés à exagérer les inconvéniens de la loi de 184i9; mais on peut répondre a jjnori, en examinant ces critiques en elles-mêmes, qu’elles paraissent très fondées. La Belgique a voulu prendre un moyen terme entre le système de la liberté des professions et celui de la délivrance des grades exclusivement réservée à l’état. Elle a péché contre la logique, et elle en porte la peine. Que pouvait-il résulter en effet de la présence, dans un même jury d’examen, d’hommes qui n’ont évidemment pas les mêmes doctrines, qui appartiennent à des partis opposés dont la querelle remplit toute l’histoire politique de la Belgique, sinon des luttes ou un compromis? Et que deviennent alors les intérêts de la science ?

Dans l’enquête de 1853, à côté des opinions, contestables si l’on veut, des professeurs de l’état, nous trouvons cependant un avis motivé de la commission des présidens de jury, et comme ceux-ci sont pris en dehors de l’enseignement, on nous accordera sans doute que leur témoignage est irrécusable. La commission examine cette question : les hautes études sont-elles en progrès ou en décadence ? À l’unanimité, elle déclare qu’elles sont en décadence, et plusieurs de ses membres attribuent cette décadence à l’établissement des jurys mixtes. — L’honorable M. Devaux notamment développe un système qui aurait pour effet de supprimer le contrôle et le concours des professeurs rivaux, qui constituent à ses yeux le vice fondamental du régime actuel. M. Vleminck déclare qu’il a longtemps espéré que le système des jurys mixtes aurait de bons résultats, mais qu’il ne l’espère plus aujourd’hui. En effet, qu’arrive-t-il nécessairement avec l’institution des jurys mixtes ? Chaque université cherche à obtenir le plus d’admissions possibles ; tous les efforts des examinateurs tendent vers cet objet, et les tentations sont d’autant plus grandes qu’il est plus facile d’atteindre le but. L’intérêt, dans bien des cas, est sacrifié au devoir : l’honorable président déclare qu’on lui en a souvent fait l’aveu. Il importe (ce sont ses propres expressions) d’attraper le public, et les journaux ne se font pas faute de venir en aide à ce charlatanisme éhonté. Que de fois l’on a pu entendre des professeurs dire hautement : « Nos élèves savent bien que nous avons tout intérêt à les faire passer, » et quel président de jury n’a reconnu que telle est la tendance générale ? La science et le progrès n’ont qu’à perdre à ces compromis, qui se perpétueront tant que durera l’organisation des jurys combinés, quoi qu’on fasse pour l’améliorer. Il faut en revenir à un jury unique, pareil à celui qui a été adopté pour le concours d’agrégation en France.

On remarquera que deux fois, dans cette enquête sur l’état de l’enseignement supérieur belge, l’exemple de la France a été invoqué. Ainsi c’est au moment où l’on parle d’introduire chez nous le système belge que des voix très autorisées en Belgique vantent les avantages de notre organisation. Pour clore cette série de témoignages, nous voulons encore citer un fragment d’un discours prononcé le 7 février 1860 par l’honorable ministre de l’intérieur, qui a dans ses attributions l’instruction publique. Répondant à une interpellation qui s’était produite pendant la discussion du budget, il s’exprimait ainsi : « Messieurs, on ne peut plus mettre en doute que le niveau des études humanitaires et universitaires ait baissé en Belgique. À moins de supposer que tous les hommes qui prennent part aux examens des élèves se trompent, il faut bien le constater avec eux, le niveau des études a baissé. Les présidons des jurys dans la dernière session ont constaté ces résultats. »

Sans doute les personnes qui demandent chez nous une liberté qui a produit de si désastreux effets chez nos voisins ne connaissent pas ces documens. Elles montreraient peut-être moins d’empressement à réclamer la liberté sous une forme si peu compatible avec les intérêts et le progrès de la science. Malheureusement ceux qui se sont faits les patrons de la liberté de l’enseignement supérieur en France ne passent pas pour avoir un amour très sincère de la liberté scientifique. Aussi, chaque fois qu’ils ont élevé la voix pour réclamer contre le monopole de l’état, les esprits les plus libéraux n’ont voulu voir dans leur revendication qu’un intérêt de parti. Nous ne prétendons pas sonder la conscience de .chacun ; aussi nous n’irons pas, comme l’a fait un éminent publiciste, chercher dans la constitution même de l’église, dans les écrits des pères et les décisions des conciles, la preuve que le parti catholique ne peut être sincère lorsqu’il demande une liberté. Mieux vaut croire à de nobles inconséquences qu’à des calculs intéressés. En face d’une revendication qui paraît légitime, il ne faut pas avoir d’autre souci que d’examiner comment pourrait être concilié le principe qu’on invoque avec les garanties que l’état doit conserver dans l’intérêt de la science.

III.

Cette conciliation nous l’avons cherchée, mais sans la trouver, dans la constitution de l’enseignement supérieur belge. Irons-nous la demander à quelque autre nation, plus heureuse ou plus sage ? Quand il s’agit des choses de l’esprit, il est impossible de ne pas tourner les yeux du côté de l’Allemagne. Comment l’Allemagne a-t-elle résolu la question ? A-t-elle rencontré dans l’organisation de ses universités cet accommodement que les pays catholiques n’ont pas encore su trouver ? A-t-elle fait la part de l’état et celle de l’individu, la part des catholiques et de ceux qui ne le sont pas ? Quand et comment ce partage s’est-il effectué ? Les lecteurs de la Revue connaissent déjà, par un article publié ici même[3], l’organisation des universités allemandes. La liberté d’enseignement, dans le sens spécial que nous attachons à ces mots, n’existe pas en Allemagne : aucun particulier, aucune association ne peut ouvrir un cours d’enseignement supérieur ni fonder une faculté sans une autorisation de l’état. L’état n’enseigne pas, mais il confère à des universités le monopole de l’enseignement. Comment se fait-il que ce monopole n’ait jamais été sérieusement attaqué ? Comment se fait-il que le parti catholique commence seulement à réclamer pour lui le droit de fonder des universités orthodoxes ? Pour quelles causes s’est-il

montré si modéré de l’autre côté du Rhin, alors qu’il paraissait si exigeant en France ? La raison de ces différences est dans la constitution toute libérale des universités allemandes.

Ces universités sont de véritables corporations, pareilles aux corporations du moyen âge : elles s’administrent elles-mêmes, possèdent, nomment leur recteur et leur sénat, décident souverainement de toutes les questions relatives à l’enseignement, présentent directement au chef de l’état les candidats aux chaires vacantes, ne sont astreintes à aucun contrôle, à aucune surveillance. En un mot, ce sont des corporations privilégiées, mais libres. L’état n’intervient que pour nommer les professeurs (ce qui n’est qu’une formalité) et pour accorder des subventions ; ici seulement son action est réelle. Point de programmes, point d’inspecteurs, point de conseils académiques, aucune immixtion des bureaux. Aussi, au lieu d’un enseignement officiel nécessairement étroit, l’Allemagne a-t-elle l’enseignement le plus multiple, le plus varié, le plus complet qui se puisse imaginer. Quand un Français entre dans une université allemande, il est tout surpris de ce mouvement, de cette vie, de cette activité, qui contrastent avec le silence et le calme de la plupart de nos facultés. À Berlin, il n’y a pas moins de cent quarante professeurs ou privat-docenten dans les deux facultés de médecine et de philosophie. À Bonn, il y a cinquante-quatre professeurs dans la faculté de philosophie (lettres et sciences) ; à Strasbourg, il n’y en a que onze pour les mêmes facultés. Et partout règne la liberté la plus complète des opinions. L’état se déclare incompétent pour en connaître ; que l’enseignement soit spiritualiste ou matérialiste, qu’il y ait des libres penseurs et même des athées, il ne s’en émeut pas, et il ne vient à l’esprit de personne de lui attribuer une part de responsabilité dans les écarts qui se peuvent produire. Et quand je dis écart, c’est que je ne rencontre pas d’autre mot pour exprimer une pensée toute française ; peut-être n’a-t-il pas de synonyme chez les Allemands : pour eux, les délits d’opinion n’existent pas en matière d’enseignement. Ce qu’un professeur peut faire de plus grave, c’est d’avancer une proposition contestable, qui est immédiatement discutée. Les Allemands n’ont pas la liberté d’enseignement ; ils ont la liberté scientifique, ce qui vaut mieux.

Ce n’est pas tout : en Allemagne, grâce au classement des professeurs en ordinaires, extraordinaires et privat-docenten, il n’est pas un homme, à quelque religion ou à quelque opinion philosophique qu’il appartienne, qui ne soit assuré, s’il est docteur, de pouvoir faire un cours d’enseignement supérieur sur le sujet qu’il aura choisi. Il peut y avoir et il y a souvent dans la même faculté plusieurs professeurs enseignant les mêmes matières dans un esprit tout différent. Les étudians, qui, en Allemagne, paient le maître, choisissent entre les professeurs. Toutes les opinions sont représentées ; toutes peuvent aspirer à dominer. Ici les protestans sont en majorité, là ce sont les catholiques, ailleurs ce sont les libres penseurs et l’école matérialiste ; mais partout la minorité conserve ses droits et l’espérance de devenir majorité à son tour. Grâce à cette organisation si libérale et si sage, les partis n’ont jamais eu l’idée, en Allemagne, de réclamer une liberté dont ils n’auraient eu que faire. N’étant nullement gênés par le monopole universitaire, ils n’ont pas eu à en demander la suppression. Ils ont porté la rivalité dans les universités déjà existantes, et par la concurrence y ont excité une généreuse et féconde émulation.

En France, rien de semblable : au lieu d’universités ayant une vie propre, indépendantes les unes des autres, se recrutant elles-mêmes et s’ouvrant à tous, nous avons l’Université, qui n’est autre chose que l’état enseignant, imposant ses méthodes, traçant à l’enseignement un cercle dont il ne peut impunément sortir, considérant le professeur comme un fonctionnaire, et la science comme une chose qui se règle. Le gouvernement nomme et révoque les professeurs, fixe le nombre des chaires, astreint les maîtres à se renfermer dans un certain programme, et pour être conséquent avec lui-même, quand ils en sortent, il est forcé de les y faire rentrer ou de les destituer. Il se considère, il ne peut faire autrement, comme responsable des doctrines enseignées, et si dans la pratique il laisse aux membres des facultés la plus entière indépendance, pourvu qu’ils respectent « les dogmes reconnus, la constitution et les lois, » il peut toujours exercer, quand il lui plaît, un droit de surveillance et de contrôle dont il use, selon les circonstances, avec beaucoup de rigueur ou beaucoup de ménagement. Au lieu d’appeler à lui toutes les vocations scientifiques qui se révèlent, il est obligé de faire un choix, de laisser en dehors tout ce qui ne rentre pas dans le cadre officiel, et souvent de se priver du concours des hommes les plus distingués dans les lettres et dans les sciences.

Et comment l’état exerce-t-il sur l’enseignement ce contrôle rendu nécessaire par la fausse idée qu’il se fait de sa responsabilité ? C’est ici qu’apparaît le vice capital de notre organisation universitaire. Pour exercer ce contrôle, l’état a été obligé d’introduire au sein des facultés l’élément administratif ; il a imaginé de créer des provinces universitaires. Il a remplacé les anciennes universités, êtres vivans, par l’académie, cet être abstrait, la réalité par la fiction. À la tête de cette province universitaire, il a mis un recteur, non plus le recteur de nos anciennes universités, ni le recteur allemand, mais un vrai gouverneur de province investi de la haute direction de tout l’enseignement dans les sept ou huit départemens de son ressort. Sous les ordres du recteur, il a placé les inspecteurs d’académie, ses lieutenans ; auprès d’eux, il a institué le conseil académique, chargé de donner son avis sur toutes les questions de discipline et d’enseignement, le conseil académique, où pas un professeur n’entre, où l’enseignement n’est représenté que par les doyens de facultés qui tiennent leur nomination du ministre et non du libre suffrage de leurs collègues. C’est ainsi que s’est constituée, en dehors de l’université qui enseigne, cette seconde université qui administre et qui réglemente, inférieure quelquefois par le talent et par le savoir, supérieure toujours par la hiérarchie. Ainsi s’est établie entre l’administration et l’enseignement cette déplorable confusion qui a tant contribué à éloigner de l’Université les talens originaux qui ont besoin de liberté pour se développer[4].

De tous les défauts du monopole universitaire, celui qui frappe le plus, c’est l’étroitesse du cadre où l’enseignement officiel a été enfermé. Dans les universités allemandes, le nombre des professeurs varie à la fois selon les besoins de la science et le nombre des savans ; il y a autant de professeurs qu’il y a de branches de connaissances et d’hommes capables de les enseigner. Nos facultés au contraire ont un nombre déterminé de chaires, et pour remplir ces chaires une seule catégorie de professeurs, les professeurs titulaires. En Allemagne, nous avons vu qu’il y avait trois ordres de professeurs, les ordinaires, les extraordinaires et les privat-docenten. Ces derniers peuvent enseigner toutes les matières qui appartiennent au domaine de la faculté où ils ont pris leur titre de docteur dès qu’ils ont obtenu du sénat la venia docendi[5], et cette autorisation ne leur est jamais refusée, alors même qu’ils se proposent d’enseigner les mêmes matières que le professeur ordinaire. Qui ne voit combien cette organisation est préférable à la nôtre, combien surtout elle eût été de nature à éviter tout prétexte aux exigences du parti qui réclame la liberté de l’enseignement supérieur ?

Quel est en réalité le grand argument que l’on fait valoir à l’appui de cette demande ? C’est un argument tiré de la liberté paternelle. Les pères de famille, dit-on, ne sont pas libres de choisir entre plusieurs enseignemens. Si l’enseignement donné par le professeur titulaire blesse leurs croyances, ils n’ont pas la ressource d’envoyer leurs enfans s’instruire ailleurs. Que répondre à cela ? Rien de sérieux. Le jour où l’état, absorbant les anciennes universités, s’est déclaré responsable de l’enseignement, l’a soumis à une surveillance et. emprisonné dans des programmes, il devait s’attendre qu’on viendrait lui demander compte de cet enseignement au nom d’une croyance ou d’un dogme. C’est au nom du dogme catholique, méconnu par l’enseignement officiel, au nom de la science catholique bannie des amphithéâtres de l’École de médecine, au nom de la liberté religieuse, qu’on est venu dénoncer au sénat l’esprit de nos facultés. L’aurait-on pu faire avec un égal retentissement, si ces dernières eussent été, comme les universités allemandes, des corps indépendans et ouverts à toutes les doctrines philosophiques et religieuses, si chaque parti y avait eu ses représentans et le droit de répandre ses doctrines juridiques, littéraires ou scientifiques ? Combien n’eût-il pas été facile alors de prouver que, sous prétexte de demander la liberté de l’enseignement supérieur, on cherche surtout à restreindre la liberté scientifique ! Et quelle arme on eût trouvée dans cet aveu : « sur le terrain de l’enseignement, toutes les phrases sur la liberté des opinions sont des sophismes coupables[6] ! » Malheureusement l’état ne représente pas la liberté scientifique à un degré suffisant pour que la question puisse être ainsi posée ; il ne représente qu’un monopole dont on lui demande la suppression. À quelles conditions, sous quelles garanties et dans quelle mesure peut-il abandonner ce monopole ? C’est ce qu’il nous reste à dire.

IV.

Il convient d’abord d’écarter, au point où en est venue la controverse entre les partisans du monopole et les partisans du droit commun, une discussion de principes qui n’offrirait plus qu’un intérêt rétrospectif[7]. Le législateur de 1850, posant le principe de la liberté, a promis une loi sur l’enseignement supérieur[8]. Cette promesse, qu’on ne peut éluder, comment la remplir ? Il nous semble que la réponse ressort tout naturellement de la comparaison qu’on vient de lire entre l’enseignement supérieur belge, l’enseignement supérieur allemand et le nôtre. Nous avons reconnu qu’il était impossible d’opposer une fin de non-recevoir aux partisans de la liberté de l’enseignement supérieur. Nous avons établi que ce qui faisait l’infériorité des études universitaires en Belgique, c’est la constitution des jurys mixtes. Enfin nous avons remarqué que la supériorité incontestable des universités allemandes tient à leur autonomie et à la liberté scientifique dont elles jouissent. La loi future aurait donc à se préoccuper d’abord d’introduire dans l’enseignement supérieur le principe de liberté que le législateur de 1833 et de 1850 a introduit dans les deux autres ordres d’enseignement,

mais en réservant à l’état la délivrance des grades, et en assurant aux facultés l’indépendance et l’autonomie.

Pour le premier point, le législateur n’aurait qu’à compléter la loi du 15 mars 1850, sans toutefois entrer à sa suite dans le système de restriction qu’elle a mis au droit d’enseigner. Cette loi a eru devoir entourer la liberté qu’elle accordait de certaines précautions destinées à la préserver de ses propres excès. Elle s’est trompée, et les dispositions tutélaires inscrites aux articles 25 et 60 sont demeurées parfaitement illusoires. L’article 25 porte que « tout Français âgé de vingt et un ans accomplis peut exercer dans toute la France la profession d’instituteur primaire, public ou libre, s’il est muni du brevet de capacité. » L’article 60 décide que « tout Français âgé de vingt-cinq ans et n’ayant encouru aucune des incapacités prévues par la loi pourra former un établissement d’enseignement secondaire, s’il est bachelier ou muni du brevet de capacité délivré par un jury d’examen nommé par le ministre. » On sait ce que ces restrictions sont devenues dans la pratique. Destinées en apparence à prévenir l’envahissement de l’enseignement primaire ou secondaire par les personnes qui ne présentaient pas des garanties suffisantes d’âge et d’instruction, elles n’ont été suivies d’aucun effet. Les directeurs des écoles primaires ou secondaires sont bien tenus de se soumettre aux exigences de la loi, mais les maîtres qu’ils emploient ne remplissent aucune des conditions exigées du directeur seul ; à Paris même, sous les yeux de l’administration, un certain nombre de professeurs appartenant à l’enseignement secondaire libre ne sont pas bacheliers. Dans l’ordre de l’enseignement primaire, c’est encore pis : chez les frères des écoles chrétiennes, souvent le directeur seul a le brevet.

Faut-il établir dans l’ordre de l’enseignement supérieur un système de garanties pareilles ? Faut-il exiger de tout directeur d’une école d’enseignement supérieur un diplôme de docteur ou de licencié, comme on exige de ceux qui veulent fonder un établissement primaire ou secondaire le brevet de capacité ou le grade de bachelier ? Nous ne le pensons pas, et pour deux raisons : la première, c’est que si une disposition semblable était inscrite dans la loi, elle demeurerait aussi inutile que les dispositions contenues dans les articles 25 et 60 de la loi de 1850 ; l’autre, c’est qu’elle ne serait pas considérée comme suffisamment libérale par ceux qui voient dans l’enseignement une industrie k exploiter, et dans la liberté d’enseignement une liberté toute matérielle, analogue à celle des théâtres. Avec un tel régime, la garantie de l’état serait vaine, et la liberté qu’il accorderait paraîtrait illusoire. Or rien n’est mauvais en politique comme les restrictions inutiles et les demi-concessions. On sait ce qu’il est advenu des lois sur la presse et les réunions publiques : pour avoir voulu trop restreindre, elles ont été parfaitement impuissantes à rien empêcher. Il en serait ainsi de notre loi sur la liberté de l’enseignement supérieur, si, en même temps qu’elle reconnaîtrait aux particuliers le droit d’enseigner, elle mettait des conditions à l’exercice de ce droit. Il vaudrait mieux que tout citoyen fût libre d’ouvrir une école supérieure, sans avoir d’autres formalités à remplir qu’une déclaration préalable, — que toute association appartenant à n’importe quelle opinion philosophique ou religieuse pût fonder une faculté et même une université, sans avoir à prouver la capacité de ses membres. Entre cet enseignement libre et l’enseignement des facultés de l’état, le public aurait cà choisir. Il s’établirait ainsi une émulation féconde qui ne serait peut-être pas sans rendre à nos facultés de province un peu de mouvement et de vie.

En ce qui concerne le second point, le législateur de 1850 a consacré les véritables principes : il a maintenu la délivrance des grades à l’état. C’est un jury nommé par l’état qui délivre le brevet de capacité, ce sont les professeurs de nos facultés qui font passer les examens du baccalauréat ès-lettres et du baccalauréat ès-sciences ; mais si le principe établi en 1850 est le seul fondement solide sur lequel puisse reposer tout l’enseignement supérieur, il soulève, dans le mode d’application qui en a été fait, de légitimes critiques. On lui reproche de ne pas laisser la balance égale entre l’enseignement universitaire et l’enseignement libre ; on objecte qu’il n’offre pas à ce dernier les garanties qu’il est en droit d’exiger. Enfin, car on doit tout prévoir, même la calomnie, il peut laisser planer de regrettables soupçons sur l’impartialité des juges. Je sais que nos facultés sont assez haut placées dans l’estime publique pour dédaigner de telles insinuations ; cependant elles auraient tout intérêt à ne pouvoir être mises en suspicion. Comment éviter ce danger sans tomber dans les inconvéniens des jurys belges ? Un seul moyen se présente : au lieu de désigner, pour conférer les grades, les professeurs de facultés à l’exclusion de toutes autres personnes, l’état constituerait pour chaque examen une commission composée de membres choisis en dehors de l’enseignement libre, ou de l’enseignement universitaire, mais d’une capacité et d’un mérite éprouvés. Il créerait une nouvelle fonction, la fonction d’examinateur, qui deviendrait la récompense et comme le prix des services rendus aux lettres ou aux sciences par des hommes étrangers aux rivalités qui pourraient se produire entre l’enseignement universitaire et l’enseignement libre. Les jurys ainsi constitués échapperaient cà tout reproche de partialité, aussi bien que, par leur composition, ils contribueraient à maintenir le niveau des examens. Déjà ce système de jury a été adopté pour plusieurs de nos grandes écoles, l’École polytechnique et l’École militaire de Saint-Cyr, et il a produit, de l’aveu unanime, les meilleurs résultats. Si l’application en devenait générale, outre que l’on éviterait le double danger signalé plus haut, les professeurs de nos facultés seraient déchargés d’un labeur parfois accablant, en même temps que se trouverait concilié le principe de la délivrance des grades par l’état avec les garanties que l’enseignement libre réclame. Ajoutons que cela n’empêcherait nullement les universités libres qui se fonderaient d’avoir leurs diplômes et leurs certificats d’études ; mais ces diplômes et ces certificats n’auraient qu’une valeur de convention, et ne pourraient en aucun cas tenir lieu de grade professionnel. Nous avons déjà quelque chose d’analogue : l’École centrale délivre des diplômes qui ne confèrent aucun droit, mais qui facilitent l’accès des carrières industrielles.

Arrivons au troisième point, c’est-à-dire à la modification des rapports de l’état avec les universités. Il serait étrange en vérité que l’Université demeurât seule en dehors du mouvement libéral, et que, dans le temps où toutes nos institutions deviennent parlementaires, seule elle restât comme un témoin d’un passé qui s’en va. Dans un pays émancipé par le suffrage universel, où chaque citoyen, ne sût-il ni lire ni écrire, peut exercer sur la chose publique sa part d’influence, le corps qui représente la tradition scientifique et littéraire en ce qu’elle a de plus élevé devrait avoir depuis longtemps revendiqué et obtenu la libre direction de lui-même. Certes, si le principe du self-government pouvait être appliqué sans inconvénient quelque part, c’est dans l’ordre de l’enseignement supérieur. Nulle part on ne trouverait autant de lumières unies à autant de dignité dans la conduite de la vie, et cependant nulle part la main de l’état ne s’est plus fait sentir que dans la constitution de l’Université, nulle part les efforts de la centralisation n’ont été plus exagérés. On a vu plus haut quelles avaient été les causes de cette centralisation, maintenant il reste à indiquer en peu de mots comment il semble qu’on en pourrait détruire les effets. Sans doute les conditions de notre enseignement supérieur tiennent de trop près, comme l’a dit M. Renan, aux lois fondamentales de la société issue de la révolution pour qu’on puisse songer à aucune modification radicale ; mais si l’on ne peut que difficilement créer de toutes pièces une nouvelle organisation de notre enseignement supérieur d’après un modèle étranger, il y aurait évidemment un grand avantage à rendre à nos facultés la liberté scientifique et l’autonomie qui font la force et la dignité des universités allemandes.

Pour restituer à nos facultés leur autonomie, il suffirait d’abroger, en ce qui concerne l’enseignement supérieur, une partie des lois du 15 mars 1850, du 9 mars 1852 et du 14 juin 1854. Ces lois ont établi au-dessus de l’Université, pour la contenir et la surveiller, des conseils qui sont en même temps des degrés de juridiction, le conseil impérial de l’instruction publique et le conseil académique, des inspecteurs-généraux et des recteurs. Tant que nos facultés resteront soumises à cette surveillance qui s’exerce sur elles, elles n’existeront pas comme corps. Veut-on les constituer à l’état de corporations libres, il faudrait avant tout les soustraire à toute influence étrangère[9]. Pour remplacer le conseil impérial et le conseil académique, on établirait auprès de chaque faculté un conseil exclusivement composé des professeurs et des doyens élus par les professeurs. Dans les villes comme Paris et Strasbourg, où la réunion des quatre facultés, des lettres, des sciences, de médecine et de droit, forme une véritable université, le conseil se composerait des doyens de chaque faculté et d’un certain nombre de professeurs choisis par leurs collègues. Ces conseils hériteraient de toutes les attributions qui ont été dévolues au conseil académique et au conseil impérial de l’instruction publique. Ils décideraient souverainement de toutes les questions relatives à l’enseignement, aux programmes et à la discipline. Ils auraient le droit exclusif de proposer au gouvernement des candidats à toutes les places vacantes. Ils veilleraient à ce que les diverses branches de l’enseignement fussent également représentées, et pourraient prendre l’initiative de créer de nouvelles chaires. Le gouvernement bornerait sa mission à choisir, entre les candidats qui lui seraient proposés, celui qui lui paraîtrait le plus digne ; le plus souvent il ne changerait rien à la liste de présentation. Content de doter largement les facultés ainsi rendues à elles-mêmes, il conserverait encore la charge de subventionner des cours extraordinaires que de jeunes docteurs voudraient ouvrir. Ces cours ne tarderaient pas à être aussi nombreux qu’en Allemagne, et formeraient comme une pépinière où le conseil de l’Université serait toujours assuré de recruter des sujets d’élite. L’état y trouverait un moyen de stimuler par la concurrence le zèle des facultés, s’il venait à s’endormir, et de réparer les erreurs que l’esprit de corps, souvent étroit, pourrait lui faire commettre. Telles seraient, à notre avis, les principales mesures qui devraient préoccuper le législateur.

Si ces idées pouvaient prévaloir, si le principe de la liberté de l’enseignement supérieur était inscrit dans la loi, en même temps qu’on réserverait à l’état la délivrance des grades et qu’on rendrait aux facultés leur autonomie, nous nous rangerions du côté des évêques dans leur prochaine campagne, et nous oublierions les légitimes défiances qu’ils ont inspirées aux esprits les plus éclairés ; car, si la liberté est parfois dangereuse lorsqu’on la veut restreindre et la comprimer au lieu de la laisser se répandre et même s’égarer, elle devient véritablement féconde, en dépit de ses excès même, le jour où elle est accordée sans arrière-pensée. Cette arrière-pensée existe dans l’esprit de ceux qui ont le plus vivement réclamé la liberté de l’enseignement supérieur. Nous savons que M. de Bonnechose n’a pas craint d’apporter à la tribune du sénat ces paroles étranges, qui sont la condamnation la plus éclatante de la méthode expérimentale et qu’on croirait écrites par un des juges de Galilée : « Il faut démasquer cette fausse science, qui est la plus cruelle ennemie de la vraie. La vraie science est un don du Dieu créateur des intelligences. Vous la reconnaîtrez toujours infailliblement à deux caractères : elle est toujours modeste et religieuse. La fausse science au contraire, vaine, orgueilleuse, ne pouvant expliquer Dieu, se révolte contre lui, elle le nie ; elle voudrait le chasser du ciel, de la terre, du monde entier. » Et M. de Bonnechose ajoutait : « Il ne peut être question d’une liberté illimitée dont nous ne voudrions à aucun prix, qui compromettrait tous les intérêts sacrés confiés à notre garde. Il faut une liberté qui, en donnant satisfaction aux pères de famille et à la liberté de conscience, soit cependant contrôlée et surveillée par le gouvernement dans la juste mesure où l’intérêt public demande qu’elle le soit. »

Une telle prétention, si elle devait être suivie d’effets, n’irait à rien moins qu’à constituer l’autorité ecclésiastique juge de toutes les doctrines philosophiques et même littéraires ; mais il a suffi qu’elle se produisît pour être énergiquement repoussée, et si elle osait encore s’affirmer, nul doute qu’elle ne fût immédiatement suivie d’une grande et salutaire réaction. Il est d’ailleurs un moyen d’empêcher que ces prétentions ne puissent exercer une influence quelconque sur les rapports de l’état et des corps savans, c’est que l’état, se renfermant dans le rôle qui lui convient, se déclare incompétent à juger des doctrines et repousse énergiquement toutes les tentatives qui seraient faites pour le tirer de la neutralité où désormais il se devra enfermer. À ceux qui viendraient alors lui demander de sévir contre le matérialisme et la libre pensée, il répondrait : « Vous m’avez demandé la liberté de l’enseignement supérieur, et je l’ai donnée. Profitez-en pour ouvrir des facultés de médecine orthodoxes et des universités où vos docteurs trouveront moyen de concilier vos croyances avec les découvertes modernes ; mais en donnant la liberté, je l’ai donnée à tous ; en vous accordant le droit de professer librement vos opinions, j’ai reconnu ce droit à vos adversaires, et je ne saurais y apporter une restriction sans être accusé de vous avoir livré l’avenir scientifique de la France. Je pouvais être un censeur, et c’était mon devoir d’exercer une surveillance sur mes établissemens d’instruction supérieure, quand j’avais le monopole de l’enseignement. En renonçant à mon privilége, j’ai du même coup renoncé à mon contrôle. Je ne suis plus l’état enseignant ; je rentre dans la vérité de mon rôle, et je dis à toutes les opinions scientifiques : Produisez-vous en liberté, faites de la propagande, disputez, luttez, triomphez, si vous pouvez ; je n’interviendrai que le jour où vous aurez outragé la morale ou violé la loi. »

Ce ne serait point assez de tenir un pareil langage, il faudrait encore que les actes répondissent aux paroles, et si l’on a pu dire avec raison que l’Université était prête à entrer en lutte avec le clergé, il resterait encore à régler les conditions du combat. Or tant que l’Université demeurera soumise, même indirectement, à l’action du clergé, ces conditions ne sauraient être égales. Tant que la loi reconnaîtra au prêtre dans l’école, à l’évêque dans le conseil départemental ou dans le conseil académique, un droit de surveillance sur l’enseignement universitaire, tant qu’on n’aura pas séparé d’une façon définitive l’école et l’église, l’Université sera en droit de refuser la lutte. La séparation de l’église et de l’école ne serait au fond qu’un acheminement vers la séparation complète de l’église et de l’état. Peut-être ceux qui réclament si vivement la liberté de l’enseignement supérieur n’ont-ils pas mesuré toute la portée d’une pareille demande. Peut-être ne se doutaient-ils pas que le jour où le parti libéral accepterait de comprendre dans son programme la liberté de l’enseignement supérieur, il y mettrait comme une conséquence immédiate la sécularisation de l’enseignement à tous les degrés, et comme conséquence moins rapprochée, mais tout aussi nécessaire, la rupture des liens fragiles qui rattachent l’état à l’église. Si l’on avait envisagé la question à ce point de vue, la partie conservatrice du corps législatif ne se fût peut-être pas aussi facilement engagée ; elle eût reculé devant les graves complications qui vont surgir. Peut-être cherchera-t-elle encore à revenir sur ses pas ; mais il est trop tard, le débat va s’ouvrir : on ne le rabaissera pas, quoi qu’on fasse. Aussi bien le moment ne nous paraît point mal choisi pour aborder ce grave problème de la séparation de l’église et de l’état. En présence des incroyables prétentions que la cour de Rome est en train d’afficher à cette heure même, personne ne s’étonnerait que les pouvoirs publics songeassent à une révision du concordat et des articles organiques. Il ne faut pas espérer que cette révision puisse s’accomplir avant qu’il soit longtemps, mais il y aurait lieu de s’applaudir si les discussions qui vont s’ouvrir devaient permettre aux partisans de l’église libre dans l’état libre de se compter.

Albert Duruy.

  1. Le gouvernement n’avait d’ailleurs pas attendu la discussion du sénat pour se préoccuper de la question. Dans sa session ordinaire de 1807, le conseil de l’instruction publique avait été saisi d’un projet de loi sur la liberté de l’enseignement supérieur.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er mai 1864, l’Instruction supérieure en France, son histoire et son avenir, par M. E. Renan ; — voyez aussi les Réformes de l’enseignement supérieur, par M. Gaston Boissier, dans la Revue du 15 juin 1868.
  3. Voyez dans la Revue du 15 septembre 1869 l’Enseignement supérieur des sciences en Allemagne, par M. George Pouchet.
  4. Cette manie de réglementation a été poussée si loin à une certaine époque, qu’un décret de 1852 est intervenu pour transférer du recteur au ministre la nomination des appariteurs des facultés.
  5. M. Mommsen a été privat-docent à l’université de Zurich.
  6. M. Dupanloup. (Lettre sur la liberté de l’enseignement supérieur.)
  7. Voyez le Moniteur de 1844.
  8. L’article 85 de la loi du 15 mars 1850 dit : « Jusqu’à la promulgation de la loi sur l’enseignement supérieur, le conseil supérieur de l’instruction publique, etc. »
  9. Les facultés ont bien aujourd’hui le droit de présenter des candidats aux chaires vacantes, mais elles partagent ce droit avec le conseil académique.