La Légende dorée (Roze)/Introduction

Traduction par Jean-Baptiste Marie Roze.
É. Rouveyre (p. v-xxxiv).

LA LÉGENDE DORÉE DU BIENHEUREUX JACQUES DE VARAZZE (DE VORAGINE)



De tous les livres que nous a légués le moyen âge, un des plus recherchés et des mieux accueillis fut, de l’aveu de tous, la Légende dorée[1]. Les manuscrits qu’en possèdent les bibliothèques publiques et particulières sont innombrables, et exécutés pour la plupart avec un luxe d’ornementation et un soin qui prouvent incontestablement le mérite dont jouissait l’ouvrage de Jacques de Varazze, archevêque de Gênes, au xiiie siècle (1230-1298). Les éditions données par l’imprimerie, dans toutes les langues, sous tous les formats, sont nombreuses et la Légende pourrait le disputer par ses réimpressions avec les ouvrages les plus estimés.

Si les récits de Jacques de Voragine n’avaient point été dignes d’être goûtés, assurément il deviendrait bien difficile de s’expliquer une vogue si générale et tellement constante dans tous les pays durant plusieurs siècles. Mais il s’est opéré une terrible révolution contre ce livre qui, jusqu’au xvie siècle, avait passé pour de l’or (aurea) : il ne fut plus regardé que comme du fer ou bien encore comme quelque chose de très inférieur. Relégué au fond des bibliothèques, il ressemble, paraît-il, à ces monnaies saussées ou fausses, conservées, sans qu’on y jette les yeux, dans les cabinets des collectionneurs, surpris de savoir qu’elles ont eu un grand cours, on dirait même un cours forcé chez une foule de peuples.

Les premiers lecteurs furent-ils des dupes ? La justice est-elle du côté de la critique moderne ? Quelle est la valeur de la Légende dorée ?

La traduction que nous en avons essayée, nous l’a fait aimer ; nous allons tâcher de la défendre.

Nous serons assez hardis même pour prétendre venger le pieux dominicain, le bienheureux archevêque de Gênes, des ennemis que son livre lui a suscités dans des rangs diamétralement opposés, et notre tâche, sans crainte de nous créer des illusions, nous semble facile. Nous n’avons qu’à exposer la méthode qu’il emploie, qu’à découvrir les sources où il puise, à signaler le but auquel il veut arriver. Loin de nous toutefois la pensée ni le désir de faire revenir le monde d’aujourd’hui à la lecture de son livre avec la confiance et l’enthousiasme qu’il a excités au moyenâge.

On possède des ouvrages du genre de la Légende : il ne leur manque pour jouir d’un succès égal qu’une seule qualité, la naïveté ! C’est là tout le secret qui explique l’avidité avec laquelle on a dévoré l’ouvrage du dominicain ; alors il devient facile de comprendre qu’il a été traduit dans tous les idiomes, comme il a été reproduit et copié par le miniaturiste, le peintre verrier, l’émailleur en haut et bas-relief.

La Légende dorée est l’explication des offices célébrés durant l’année ecclésiastique. Les fêtes des saints revenant en plus grand nombre que les autres solennités dans l’Église, la vie des saints tient conséquemment la plus grande place du livre : il commence en effet par une instruction sur l’Avent qui ouvre le cycle liturgique, et après avoir parcouru tout le cycle festival, il se termine par l’explication du dernier office contenu au Bréviaire, celui de la Dédicace des Églises.

Le but principal de l’auteur est donc d’exposer aux fidèles les motifs de chaque solennité, admise dans le calendrier suivi par le monde catholique.

Chaque cérémonie ayant ses raisons d’être, il en développe les motifs en rapportant à côté de chacune quelques traditions, des récits fort extraordinaires parfois, pour en graver mieux le souvenir dans la Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/30 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/31 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/32 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/33 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/34 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/35 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/36 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/37 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/38 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/39 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/40 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/41 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/42 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/43 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/44 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/45 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/46 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/47 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/48 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/49 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/50 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/51 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/52 Page:Voragine - La Légende dorée, trad. Roze, 1902, t1.djvu/53 en un volume. Il emprunta beaucoup à l’Histoire ecclésiastique, à l’Histoire tripartite et à différentes chroniques. Après le prologue, l’ouvrage commence par ces mots : Adventus Dni.

Le succès de ce livre fut immense, tout le monde le dévora, et indépendamment des nombreux manuscrits qui en existent, on compte plusieurs éditions incunables. Il serait bien difficile de les signaler toutes ; ce fut peut-être le livre imprimé le plus souvent avec la Bible et l’Histoire scholastique de P. Comestor.

On a encore, de Jacques de Varazze, des Sermons qui furent imprimés et qui sont devenus assez rares ; une traduction de la Bible en italien ; un livre sur saint Augustin ; une chronique de Gènes qu’il pousse jusqu’en 1295 : une histoire des archevêques ses prédécesseurs : un Mariale ou les éloges de la sainte Vierge ; une table historique de la Bible, etc.

Ces ouvrages, ainsi que la bibliothèque dont nous avons donné précédemment le catalogue, d’après ses citations de la Légende, offrent la preuve qu’il fut un homme studieux, savant et éclairé.

On lit dans Godescard que le pape Pie VII a confirmé en 1816 le culte qu’on lui rendait de temps immémorial, et l’a déclaré bienheureux. Ce temps immémorial dont parle le savant hagiographe rappelle que les Dominicains célèbrent, avec un office propre, la fête du bienheureux Jacques, le 13 juillet.


Prologue sur les Légendes des saints recueillies par Jacques de Voragine du pays Génois, de l’ordre des Frères Prêcheurs


Tout le temps de la vie présente se divise en quatre parties : Le temps de la déviation, de la déviation ou du retour, de la réconciliation et du pèlerinage. Le temps de la Déviation, commencé à Adam après son éloignement de Dieu, a duré Jusqu’à Moïse. Il est représenté par l’Église depuis la Septuagésime jusqu’à Pâques. Aussi alors récite-t-on le livre de le Genèse où est racontée la déviation de nos premiers parents. Le temps de la Rénovation ou du retour, commencé à Moïse, a duré jusqu’à la naissance de J.-C. Dans cet intervalle les hommes ont été rappelés et renouvelés à la Foi par les Prophètes. L’Église le reproduit de l’Avent à la Nativité de J.-C ; pendant cette période on lit Isaïe qui traite évidemment de cette rénovation. Le temps de la Réconciliation est celui dans lequel nous avons été réconciliés par le Christ. L’Église le reproduit de Pâques à la Pentecôte pendant lequel se lit l’Apocalypse qui traite pleinement du mystère de la réconciliation. Le temps du Pélerinage est celui de la vie présente, dans laquelle nous voyageons et nous combattons toujours. Ce temps est déterminé par l’Église de l’Octave de la Pentecôte à l’Avent du Seigneur. Elle lit alors les livres des Rois et des Macchabées, où sont racontés une foule de combats, emblèmes de notre combat spirituel. Pour le temps qui s’écoule de la Nativité de N.-S. à la septuagésime, il est en partie renfermé sous le temps de la Réconciliation, époque de joie, qui dure depuis la Nativité jusqu’à l’octave de l’Épiphanie, et en partie sous le temps du Pèlerinage, à compter de l’Octave de l’Épiphanie jusqu’à la Septuagésime. Cette quadruple variété de temps peut encore s’expliquer comme il suit : Premièrement par la différence des quatre saisons. L’hiver se rapporte au premier temps, le printemps au second, l’été au troisième et l’automne au quatrième ; la raison de ces rapports est assez évidente. Secondement par les quatre parties du jour : à la nuit correspond le premier temps, au matin le second, à midi le troisième, au soir le quatrième. Et quoique la déviation ait précédé la rénovation, cependant l’Église préfère commencer tous ses offices plutôt au temps de la rénovation qu’à celui de la déviation, c’est-à-dire à l’Avent plutôt qu’à la Septuagésime, pour deux motifs. Le premier, afin de ne paraître pas commencer dans le temps de Terreur. Elle tient au fait, sans s’astreindre à suivre l’ordre du temps dans lequel il s’est passé ; les évangélistes procèdent eux-mêmes ainsi. La seconde, parce que par l’Avènement de J.-C, tout a été renouvelé, et c’est le motif qui a fait donner à ce temps le nom de rénovation. « Voilà que je fais tout nouveau » (Apocalyp., xxi). C’est donc avec raison que l’Eglise commence alors tous ses offices.

Or, afin de conserver l’ordre établi par l’Église, nous traiterons : 1e des fêtes qui tombent entre le temps de la Rénovation que l’Église célèbre de l’Avent à Noël ; IIe des fêtes qui arrivent pendant le temps de la Réconciliation d’une part et du Pèlerinage d’autre part, honorées par l’Église de Noël à la Septuagésime ; IIIe des fêtes qui se célèbrent dans la Déviation, c’est-à-dire de la Septuagésime jusqu’à Pâques ; IVe des fêtes du temps de la Réconciliation, de Pâques à la Pentecôte ; Ve de celles qui arrivent dans le temps du Pèlerinage célébré par l’Eglise de la Pentecôte à l’Avent du Seigneur.


  1. Le mot Légende a toujours signifié sujet de lecture, jusqu’au moment où une science quelconque l’a traduit par conte, fable. Il y a toutefois un aveu bon à recueillir et dont il faut prendre acte. En parlant d’Augustin Thierry, la Revue des Deux-Mondes dit que, dans les Légendes du moyen âge, « il y trouvait la véritable histoire, et il avait raison : car la Légende est la tradition vivante, et trois fois sur quatre, elle est plus vraie que l’histoire. »