La Légende des sexes, poëmes hystériques/Rêve


RÊVE

À Léon Cladel.



J e rappelle un soir de rage et d’hystérie
Où, soûl de notre amour et bleui de baisers,
J’étais tombé d’un bloc, pâmé, l’âme tarie,
Le cœur vide et les reins brisés.

Je dormais. Et noyé dans l’extase des rêves,
J’évoquais l’idéal d’un paradis charnel
Où de blondes houris, belles comme des Eves,
Donnaient le coït éternel.

Lascivement, sous la transparence des voiles,
Les nombrils caressants me baisaient au nombril,
Et passaient plus nombreux que le troupeau d’étoiles
Qui passe au ciel des nuits d’avril.


Sans cesse ! Mes désirs chantaient l’épithalame ;
Ma virilité fière ardait comme un grand feu,
Et sous le vent du rut pourléchait de sa flamme
L’autel où l’homme devient dieu.

Superbe, elle vibrait sur les chairs qu’on titille,
Et fouillait, sous le poil qui frise à l’Occident,
L’ombre chaude, où l’orgueil de ma force érectile
Plantait son baiser fécondant.

Elle allait, jamais lasse et jamais assouvie,
Et sous l’étranglement mouillé des spasmes nus,
Elle crachait à flots les germes de la vie
Au creuset rose de Vénus !

Les bras blancs m’étouffaient sur les poitrines blanches ;
Les bustes, sous mon corps, se tordaient, pantelants ;

De longs frissons crispaient la ronde ampleur des hanches :

Les genoux craquaient sur mes flancs !

Puis, c’était la douceur des doigts errants sur l’aine,
L’effleurement lascif et rôdeur des seins lourds,
Et la langue, au milieu des parfums de l’haleine,
Posant ses touchers de velours.


Et c’était cette soif lubrique de vampire
Qui colle ses suçoirs sur l’homme turgescent ;
Qui, s’enivrant des sucs masculins qu’elle aspire,
Va puiser l’âme au fond du sang !

C’était plus qu’on ne rêve et plus qu’on ne devine,
Ce que nul être humain n’a conçu ni chanté :
C’était tout ce que peut l’érection divine
Travaillant dans l’éternité.

Oh, ce que j’ai connu dans cette heure sublime :
L’immensité d’un rut peuplant les Univers,
Et ma sève, coulant à remplir un abîme
Plus insondable que les mers !

Tout ce que j’ai goûté d’indicibles ivresses !
Les siècles de coït passaient comme des jours,
Et j’aimais en un jour des milliers de maîtresses,
Et toujours… Toujours… Et toujours !

Rêve, hélas ! Et depuis qu’il leurra ma pensée,
Je traîne dans mon cœur l’impuissance d’un vœu
Et l’âpre souvenir de ma force passée,
Moi qui suis homme, — et qui fus dieu !