La Légende des sexes, poëmes hystériques/Les Gants

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LES GANTS

À très-haulte Princesse Russiane, qui m’avoit convié
à venir en son logis.



C e fut escript, o livre fatidicque
Où male chance et meschiefs sont escripts,
Qu’onc ne pourrai, si grand désir m’en picque,
Vous joindre un soir en ce mauvais Paris.

Berçais ce veuil, tant doulz à ma pensée,
De heurter l’huis à vos armes et scel :
Las ! L’espérance en fut tost trespassée,
Comme ces fils qui meurent au bercel.


Pire viage encor que cil d’Ulysse
Qu’Homère eust dict en devis élégans :
Cy l’essaierai, pour qu’un chascun paslisse
Au mal dangier qu’est d’oblier ses gants.

Tout rez de frez, pigné, camise nette,
Dextre en mon col et cravaté de blanc,
Jà je tangeais des detz à la sonnette,
Quand vis main nüe, et fut mon cueur dolent.

Lors, de courir dévallant par les rues,
Cherchant gantiers, et gantières aussi.
Rode, cochier, emmi neiges accrues :
Paouvre cheval s’en va soufflant merci…

Pied cy, pied là : ne gantier, ne gantière ;
Tous mercerots sont clos o boulevard !
Rode, cochier, de par la ville entière,
Tant et si long que vécy qu’il est tard.

Doncques, piteux et l’ame desconfite,
Reprins ma route ainsi qu’estais venu ;
Le bon cheval, s’enhortant d’aller vite,
Comme pehon, partit, trottant menu.


Me conduisit lors en ces lieux infâmes,
Où tous nos maulx se résolvent en ruyt.
Car l’obli gist dans les grèves des femmes ;
N’est tel chagrin qu’un souëf caz ne destruyt.

Sur culs vénals et nombrils de louaige,
La pleine nuyct musai, fesses en l’air,
Hobant des reins et besongnant d’oultraige,
Et de mon sang esmorchant le plus cler.

Quand j’eus parfaict mainctes et mainctes courses,
L’heure sonnant d’yssir des bas mestiers,
Sec, ars, meurdri, vuide en toutes mes bourses,
Vers mon logis revins, très-lent des piéz…

Et tout au cours pendaient par grand malice
Ces rouges gants d’enseignes, me narguans ;
Et cy l’escris, pour qu’un chascun paslisse
Au mal dangier qu’est d’oblier ses gants.