La Juste Paix
Revue des Deux Mondes6e période, tome 57 (p. 601-629).
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LA JUSTE PAIX

II [1]
LE TRAITÉ DE VERSAILLES AU POINT DE VUE ÉCONOMIQUE


I. — LA GENÈSE DU TRAITÉ

Les nations qui viennent de traverser la plus terrible épreuve que le monde ait connue, une guerre sans précédent, par les sacrifices en hommes et en richesses qu’elle a infligés aux belligérants, ainsi qu’un convalescent dont l’organisme est encore exposé à des rechutes, devraient pouvoir attendre, avec de grands ménagements, que la nature ait accompli son œuvre de reconstitution pour reprendre leur vie normale. Malheureusement cela est impossible. Plus les pertes ont été grandes, et plus rapidement il faut qu’elles soient réparées. Plus long a été le chômage forcé de la majeure partie de la population valide, et plus il faut que, par un labeur acharné, les survivants intensifient la production du sol et des usines.

Cette perspective n’a d’ailleurs rien d’effrayant pour les peuples énergiques qui ont donné la mesure de leur courage et de leur endurance en des combats dont la violence a dépassé tout ce que l’imagination la plus intrépide avait pu concevoir. L’union dans la paix doit rester ce qu’elle a été pendant la guerre.

Après que l’Allemagne eut brutalement déchiré les pactes qu’elle avait signés, l’Europe était à refaire. Ce fut l’œuvre des négociateurs du traité de Versailles, de cette charte nouvelle, qui n’a pas seulement réglé les destinées de l’ancien monde, mais qui a, par la collaboration des autres continents, étendu au globe tout entier les dispositions impératives de ses articles. En jetant les bases de la Société des Nations, elle a voulu préparer, pour l’avenir, une force morale et matérielle qui pût prévenir le retour de cataclysmes comme celui d’où nous sortons. Ce traité de Versailles a été essentiellement l’œuvre des quatre Puissances qui avaient porté le poids principal de la guerre : les États-Unis d’Amérique, l’Angleterre, l’Italie, la France. Il est de notoriété publique que les grands chefs qui avaient présidé aux destinées de leurs nations, pendant la phase décisive de la lutte, n’envisageaient pas toujours de la même façon la solution à donner. L’œuvre sortie de leur collaboration constitue donc fin compromis entre des opinions diverses, et donne, par cela même, des garanties de modération sur lesquelles nous ne saurions trop insister. Nous allons en examiner la partie économique.


II. — CLAUSES FONDAMENTALES

Les clauses économiques essentielles forment la partie VIII du traité, intitulée : Réparations. En tête figure l’article 231 qui pose le principe fondamental sur lequel reposent les conventions : « Les gouvernements alliés et associés déclarent et l’Allemagne reconnaît que l’Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre qui leur a été imposée par l’agression de l’Allemagne et de ses alliés. »

L’article suivant (232) atténue, dans une large mesure, la rigueur de ce qui se déduisait logiquement du texte précédent : « Les gouvernements alliés et associés reconnaissent, dit cet article, que les ressources de l’Allemagne ne sont pas suffisantes, en tenant compte de la diminution permanente de ses ressources qui résulte des autres dispositions du présent traité, pour assurer complète réparation de toutes ces pertes et de tous ces dommages. »

Cette phrase va s’éclairer par la suite. Elle signifie que les vainqueurs ont renoncé à se faire couvrir de leurs énormes frais de guerre, contrairement à ce qui était d’usage antérieurement et à ce que l’Allemagne avait exigé de la France en 1871. Est-ce qu’au point de vue du droit, les% Alliés n’eussent pas été fondés à exiger le remboursement de ces sommes, que M. Clemenceau évaluait à 750 milliards de francs ? Ils se sont bornés cependant à demander ce qui suit : « Les gouvernements alliés et associés exigent, et l’Allemagne en prend l’engagement, que soient réparés tous les dommages causés à la population civile de chacune des Puissances alliées et associées et à ses biens, pendant la période où cette Puissance a été en état de belligérance avec l’Allemagne. » Voici la définition de ces dommages, spécifiés dans l’annexe I de la section :

1° Dommages causés aux civils atteints dans leur personne ou dans leur vie et aux survivants qui étaient à la charge de ces civils, par tous actes de guerre, y compris les bombardements ou autres attaques par terre, par mer ou par la voie des airs, et toutes leurs conséquences directes, ou toutes opérations de guerre des deux groupes de belligérants en quelque endroit que ce soit ;

2° Dommages causés par l’Allemagne ou ses alliés aux civils victimes d’actes de cruauté, de violence ou de mauvais traitements (y compris les atteintes à la vie ou à la santé par suite d’emprisonnement, de déportation, d’internement ou d’évacuation, d’abandon en mer ou de travail forcé), en quelque endroit que ce soit, et aux survivants qui étaient à la charge de ces victimes ;

3° Dommages causés par l’Allemagne ou ses alliés, sur leur territoire ou en territoire occupé ou envahi, aux civils victimes de tous actes ayant porté atteinte à la santé, à la capacité de travail ou à l’honneur, et aux survivants, qui étaient à la charge de ces victimes ;

4° Dommages causés par toute espèce de mauvais traitements aux prisonniers de guerre ;

5° En tant que dommage causé aux peuples des Puissances alliées et associées, toutes pensions ou compensations de même nature aux victimes militaires de la guerre (armées de terre, de mer ou forces aériennes), mutilés, blessés, malades ou invalides, et aux personnes dont ces victimes étaient le soutien. Le montant des sommes dues aux gouvernements alliés et associés sera calculé, pour chacun desdits gouvernements, à la valeur capitalisée, à la date de la mise en vigueur du présent traité, desdites pensions ou compensations, sur la base des tarifs en vigueur en France, à la date ci-dessus ;

6° Frais de l’assistance fournie par les gouvernements des Puissances alliées et associées aux prisonniers de guerre, à leurs familles ou aux personnes dont ils étaient le soutien ;

7° Allocations données par les gouvernements des Puissances alliées et associées aux familles et aux personnes à la charge des mobilisés ou de tous ceux qui ont servi dans l’armée. Le montant des sommes qui leur sont dues pour chacune des années au cours desquelles des hostilités se sont produites, sera calculé, pour chacun desdits gouvernements, sur la base du tarif moyen appliqué en France, pendant ladite année, aux payements de cette nature ;

8° Dommages causés à des civils par suite de l’obligation qui leur a été imposée par l’Allemagne ou ses alliés de travailler sans une juste rémunération ;

9° Dommages relatifs à toutes propriétés, en quelque lieu qu’elles soient situées, appartenant à l’une des Puissances alliées ou associées ou à leurs ressortissants (exception faite des ouvrages et du matériel militaires ou navals), qui ont été enlevées, saisies, endommagées ou détruites par les actes de l’Allemagne ou ses alliés sur terre, sur mer ou dans les airs, ou dommages causés en conséquence directe des hostilités ou de toutes opérations de guerre ;

10° Dommages causés sous forme de prélèvements, amendes ou exactions similaires de l’Allemagne ou de ses alliés au détriment des populations civiles.

Les destructions qu’a entraînées la méthode- de guerre adoptée par l’Allemagne sont telles que l’application des dispositions qui précèdent lui imposera une charge sérieuse. Il n’en est pas moins évident que c’était là le minimum que les vainqueurs pouvaient exiger. Les rédacteurs du traité ont eu le devoir de faire une énumération complète de tous les dommages causés et des conséquences financières qui en résultent.

Considérant que la Belgique avait plus spécialement souffert de la violation des traités et particulièrement de celui de 1839 qui garantissait sa neutralité, les Alliés ont exigé que l’Allemagne lui remboursât toutes les sommes que la Belgique a empruntées aux gouvernements alliés et associés jusqu’au jour de l’armistice, c’est-à-dire jusqu’au 11 novembre 1918, y compris l’intérêt à 5 pour 100. Le montant de ces sommes sera déterminé par la Commission des réparations, et le gouvernement allemand s’engage à faire immédiatement une émission correspondante de bons spéciaux au porteur payables en marks or le 1er mai 1926, ou, au choix du gouvernement allemand, le 1er mai de toute année antérieure à 1926.

Toutes les clauses économiques ont été pesées par les artisans de la paix dans un esprit qu’indique éloquemment la Réponse des Puissances alliées et associées aux remarques de la Délégation allemande sur les conditions de la paix :

« Il n’existe chez les puissances alliées et associées, aucune intention d’empêcher l’Allemagne de prendre la place qui lui revient dans le commerce international. Pourvu qu’elle remplisse les conditions du traité de paix et pourvu également qu’elle abandonne les traditions d’agression et d’accaparement qui ont caractérisé ses méthodes en affaires aussi bien qu’en politique, l’intention des Puissances est que l’Allemagne jouisse d’un traitement équitable en ce qui concerne l’achat des matières premières et la vente des marchandises, sous réserve des mesures temporaires établies dans l’intérêt des nations ravagées et affaiblies par le fait de l’Allemagne. »

Les dispositions relatives aux réparations limitent la somme payable par l’Allemagne aux dommages causés aux populations civiles. Elles ne comportent point d’immixtion dans la vie intérieure de l’Allemagne.

L’objet du traité étant de rétablir, dans la mesure du possible, les victimes civiles et leurs biens dans la situation d’avant-guerre, il a été créé un organe permanent, dont la tâche consiste à tenir la comptabilité de cette opération gigantesque, à régler les modalités infiniment variées des restitutions en nature ou en argent, à surveiller jour par jour, heure par heure, l’exécution des clauses multiples de l’instrument international le plus compliqué que l’histoire diplomatique ait connu jusqu’à ce jour : cet organe est la Commission des réparations.


III. — COMMISSION DES RÉPARATIONS

La Commission des réparations se compose de délégués nommés par les États-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, le Japon, la Belgique et l’Etat serbe-croate-slovène. En aucun cas, plus de cinq délégués ne peuvent prendre part aux débats de la Commission ; ceux des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Italie ont toujours ce droit.

La Commission a, d’une façon générale, les pouvoirs de contrôle et d’exécution les plus étendus en ce qui concerne le problème des réparations ; il lui est loisible d’interpréter les dispositions du traité. Elle doit se conformer aux dispositions suivantes.

Toute fraction du montant total des créances vérifiées qui ne sera pas payée en or, navires, valeurs et marchandises, ou de toute autre façon, devra être couverte par l’Allemagne moyennant la remise à titre de garantie, d’un montant équivalent de bons, de titres d’obligations ou autres, en vue de constituer une reconnaissance de la fraction de la dette dont il s’agit.

Afin de faciliter et de poursuivre la restauration immédiate de la vie économique des Pays alliés et associés, la Commission recevra de l’Allemagne comme garantie et reconnaissance de sa dette, un premier versement de bons au porteur en or, libres d’impôt et de taxes de toute nature, établis ou susceptibles de l’être par les gouvernements de l’Empire ou des États allemands. Ces bons seront remis en à-compte, le mark or devant être acquitté, au choix des créanciers, en livres sterling payables à Londres, dollars d’or des Etats-Unis payables à New-York, francs or payables à Paris, lires or payables à Rome.

De ces bons, seront émis immédiatement 20 milliards payables au plus tard le Ier mai 1921, sans intérêt. On appliquera notamment à l’amortissement de ces bons les versements que l’Allemagne s’est engagée à effectuer (article 235) en or, en marchandises, en navires, en valeurs, déduction faite des sommes affectées au remboursement des frais d’entretien des troupes d’occupation et au paiement des dépenses du ravitaillement en vivres et matières premières. Ceux des bons qui n’auraient pas été amortis le 1er mai 1921 seront alors échangés contre des bons du type ci-après.

Seront émis immédiatement 40 milliards de marks or portant intérêt à 2 1/2 pour 100 de 1921 à 1926, et ensuite à 4 pour 100, avec 1 pour 100 en supplément pour l’amortissement, à partir de 1926, sur le montant total de l’émission.

En même temps sera délivré un engagement écrit d’émettre, à titre de nouveau versement, — mais seulement lorsque la Commission sera convaincue que l’Allemagne peut assurer le service des intérêts et du fonds d’amortissement des dits bons, — 40 milliards de marks or de bons au porteur portant intérêt à 5 pour 100.

D’autres émissions, à titre de reconnaissance et de garantie, peuvent être exigées dans des conditions que la Commission déterminera ultérieurement.

La Commission des Réparations ouvre un compte à chacune des Puissances intéressées. Elle lui remet un certificat mentionnant qu’elle détient pour elle des bons allemands, ou tous biens livrés par l’Allemagne en à-compte sur sa dette pour réparations. Ces certificats sont nominatifs et peuvent être transmis par endossement. Le Gouvernement allemand sera débité, à partir du 1er mai 1921, de l’intérêt, provisoirement fixé à 5 pour 100, sur sa dette telle qu’elle aura été fixée par la Commission.

En cas de manquement par l’Allemagne à l’exécution de l’une des obligations qui lui incombent du chef de cette partie du traité, la Commission signalera cette inexécution à chacune des puissances intéressées. Les mesures que celles-ci prendraient alors, et que l’Allemagne s’est engagée âne pas considérer comme des actes d’hostilité, peuvent comprendre des actes de prohibition et de représailles économiques et financières.

Les paiements, qui doivent être effectués en or ou en ses équivalents, peuvent être acceptés par la Commission sous forme de biens mobiliers et immobiliers, entreprises, droits et concessions en territoires allemands ou en dehors de ces territoires, de navires, obligations, actions ou valeurs de toute nature ou monnaies de l’Allemagne ou d’autres États, leur valeur de remplacement par rapport à eux étant fixée à un taux juste et loyal par la Commission. Celle-ci sera dissoute quand l’Allemagne et ses alliés se seront acquittés de toute somme due par eux.


IV. — APPLICATION DIRECTE DKS RESSOURCES ÉCONOMIQUES DE L’ALLEMAGNE A LA RESTAURATION DES RÉGIONS ENVAHIES.

Il n’est peut-être aucune des dispositions du traité où son véritable esprit apparaisse plus clairement que dans celles qui ont trait à l’application directe des ressources économiques de l’Allemagne à ta restauration matérielle des régions envahies. A cet effet, les Puissances alliées et associées communiquent à la Commission des réparations des listes indiquant les animaux, machines, équipements, tours et articles similaires, d’un caractère commercial, qui ont été saisis, usés ou détruits par l’Allemagne, ou détruits en conséquence directe des opérations militaires, et que les Puissances désirent voir remplacés par des animaux ou articles de même nature existant sur le territoire allemand. Les mêmes Puissances indiqueront les matériaux de reconstruction, machines, appareils de chauffage, meubles et autres articles qui devront, à leur demande, être produits et fabriqués en Allemagne et livrés pour la restauration des régions envahies.

L’esprit de modération qui, quoi qu’en dise M. Keynes, est celui du traité, a inspiré la disposition en vertu de laquelle la Commission doit examiner dans quelle mesure les matériaux et animaux peuvent être exigés. Il lui est enjoint de tenir compte des nécessités intérieures de l’Allemagne, autant que cela sera utile au maintien de sa vie sociale et économique ; elle fera état également des prix et des dates auxquels les articles semblables peuvent être obtenus dans les pays alliés et associés et les comparera à ceux applicables aux articles allemands ; elle ne perdra pas de vue, est-il dit textuellement, l’intérêt général qu’ont les gouvernements alliés et associés à ce que la vie industrielle de l’Allemagne ne soit pas désorganisée au point de compromettre sa capacité d’accomplir les autres actes de réparation exigés d’elle. Il ne pourra être demandé à l’Allemagne des machines, des équipements, des tours et tous articles similaires d’un caractère commercial que si aucun stock de ces articles n’est disponible et à vendre ; d’autre part, les demandes de cette nature n’excéderont pas 30 pour 100 des quantités de chaque article en service dans un établissement allemand quelconque. La Commission donnera aux représentants du gouvernement allemand la faculté de se faire entendre sur sa capacité de fournir lesdits matériaux, animaux et objets.

Qui contesterait la mansuétude de toutes ces clauses, soigneusement étudiées de façon à ce que les reprises, cependant si légitimes, des Alliés, n’entravent pas la restauration de la vie économique de l’Allemagne ? Un souci constant de la justice apparaît dans les stipulations relatives au calcul de la valeur des prestations fournies par l’Allemagne. La Commission la déterminera ; les gouvernements alliés et associés qui recevront ces fournitures acceptent d’être débités de leur montant et reconnaissent que la somme correspondante devra être traitée comme un payement qui leur avait été fait. On pousse la précaution jusqu’à prescrire à la Commission de s’assurer que la somme portée au crédit de l’Allemagne représente la valeur normale du travail fait, ou des matériaux livrés par elle, et que le montant de la réclamation élevée par la Puissance intéressée est diminué proportionnellement à ce qu’elle aura reçu.

Nous ne reviendrons pas sur les stipulations relatives au charbon : nous les avons exposées dans notre premier chapitre, en montrant en même temps combien étaient peu fondées les critiques dont elles ont été l’objet de la part de M. Keynes. En plus de la houille, l’Allemagne est tenue de fournir à la France, pendant trois ans seulement, 30 000 tonnes de sulfate d’ammoniaque, 35 000 tonnes de benzol, 50 000 tonnes de goudron de houille, ces dernières pouvant être remplacées par des produits de distillation, tels que huiles légères, huiles lourdes, anthracène, napthaline ou brai. Le prix sera celui que paient les ressortissants allemands.

L’Allemagne donne à la Commission des réparations une option de soixante jours pour la livraison de matières colorantes et de produits pharmaceutiques à concurrence de moitié du stock existant en Allemagne. L’Allemagne donne en outre une option pour la livraison, pendant les semestres dont le dernier expirera le 31 décembre 1924, de toutes matières colorantes et de tous produits chimiques pharmaceutiques, à concurrence du quart de la production allemande du semestre précédent. Les prix seront fixés par la Commission en fonction du prix net d’exportation d’avant-guerre et des variations du prix de revient survenues, ou en fonction du prix de vente le plus bas consenti à un autre acheteur.

Toutes ces clauses, on le voit, n’engagent l’Allemagne que pour une période très courte et n’ont pas d’autre effet que de permettre à la France de s’approvisionner, dans des proportions qui ne sont pas de nature à empêcher l’activité normale des industries allemandes de s’exercer. On assure à celles-ci des prix fort convenables, puisque, même pour les stocks existant et dont le coût de production a certainement été très inférieur aux cours actuels, il est tenu compte « des variations du prix de revient survenues. »

L’Allemagne renonce, en son nom et au nom de ses nationaux, en faveur des principales Puissances alliées et associées, a, tous droits, titres ou privilèges quelconques qu’elle possède sur les câbles ou portions de câbles, Emden-Vigo, Emden-Brest, Emden-Ténériffe, Emden-Açores, Açores-New-York, Ténériffe-Monrovia, Monrovia-Lome, Lome-Duale, Monrovia-Pernambuco, Constantinople-Constanza, Yap-Shanghai, Yap-Guam, Yap-Menado (îles Célèbes). Le traité précise, pour chacun de ces câbles, les sections cédées par l’Allemagne. La valeur des câbles, en tant qu’ils appartiennent à des sociétés privées, sera portée au crédit de l’Allemagne, au chapitre des réparations.


V. — CLAUSES NAVALES

Le principe posé en tête de cette partie du traité est toujours le même : c’est celui de la réparation, dans la mesure du possible, du dommage causé. « L’Allemagne reconnaît le droit des Puissances alliées et associées au remplacement, tonneau pour tonneau (jauge brute) et catégorie pour catégorie, de tous les navires et bateaux de commerce et de pèche perdus ou endommagés par faits de guerre. » Toutefois, bien que les navires et bateaux allemands existant à ce jour représentent un tonnage très inférieur à celui des pertes subies par les Puissances alliées et associées du fait de l’agression allemande, le droit proclamé ci-dessus ne sera exercé que dans la mesure suivante : « Le gouvernement allemand cède aux gouvernements alliés et associés la propriété de tous navires marchands de 1 600 tonnes brutes et au-dessus appartenant à ses ressortissants, la moitié en tonnage des navires dont le tonnage brut est compris entre 1 000 et 1 600 tonnes, et le quart en tonnage des chalutiers à vapeur ainsi que le quart en tonnage des autres bateaux de poche. » Ces navires et bateaux comprennent tous ceux qui battent ou ont le droit de battre pavillon allemand, appartenant à un ressortissant allemand, à une société ou à une compagnie allemande, ou à une société ou compagnie d’un pays autre que les pays alliés ou associés et sous le contrôle ou la direction de ressortissants allemands ; ou actuellement en construction en Allemagne, dans les pays autres que les pays alliés on associés, pour le compte d’Allemands.

Le gouvernement allemand remettra, pour chaque navire, à la Commission des réparations un acte de vente ou tout autre titre de propriété, établissant le transfert à la Commission de la pleine propriété du navire, libre de tous privilèges, hypothèques et charges quelconques, et prendra toutes mesures pour assurer la mise de ces navires à la disposition de la Commission.

L’Allemagne s’est engagée à restituer aux Puissances alliées et associées tous les bateaux et autres engins mobiles de navigation fluviale qui, depuis le 1er août 1914, ont passé, à un titre quelconque, en sa possession ou en possession de l’un de ses ressortissants. En vue de compenser les pertes du tonnage fluvial subies pendant la guerre par les Puissances alliées et associées et qui ne seraient pas réparées par les restitutions ci-dessus, l’Allemagne cédera une partie de sa batellerie fluviale, jusqu’à concurrence du montant de ces pertes, mais d’un cinquième au maximum de cette batellerie, telle qu’elle existait à la date du 11 novembre 1918.

De plus, l’Allemagne s’engage à construire, pendant cinq ans, pour les Alliés, les bâtiments qu’ils lui demanderont, et cela jusqu’à concurrence de 200 000 tonnes par an, la valeur de ces navires devant être imputée sur le chiffre des réparations dues par l’Allemagne.

L’Allemagne se plaint d’être obligée, pour une certaine période, de se servir des flottes étrangères afin d’effectuer ses transports. Nous lui répondrons que bien des pays sont dans ce cas : jusque dans les derniers temps, les États-Unis n’avaient pas de marine marchande au long cours, et c’étaient des navires anglais qui effectuaient une grande partie de leurs transports. La France n’a jamais eu assez de bâtiments pour la totalité de son commerce maritime ; après la guerre, elle en manque plus que jamais. Le tonnage qui nous est restitué ne représente qu’une très faible partie de celui qui a été torpillé par l’Allemagne, et qu’une fraction bien modeste de celui qui nous serait nécessaire pour reprendre dans ce domaine le rang que nous occupions autrefois.


VI. — CLAUSES FINANCIÈRES

Sous réserve des dérogations qui pourraient être accordées par la Commission des réparations, un privilège de premier rang est établi sur tous les biens et ressources de l’Empire et des États allemands, pour le règlement des réparations et autres charges résultant du traité. Cependant l’interdiction d’exporter de l’or ou d’en disposer n’est prononcée contre l’Allemagne que jusqu’au 1er mai 1921.

Le coût d’entretien des armées alliées et associées dans les territoires occupés est à la charge de l’Allemagne à partir de l’armistice. C’est là une clause qui est courante en pareille occurrence. Le remboursement des dépenses correspondant à des achats ou réquisitions effectués par les gouvernements alliés ou associés sera fait en marks au taux du change, celui des autres, en marks or.

Sera portée au crédit du gouvernement allemand, en déduction des sommes qu’il doit, la valeur du matériel livré, dont la Commission des réparations estimerait que, à raison de son caractère non militaire, la valeur doit être portée au crédit dudit gouvernement.

Les Puissances auxquelles sont cédés des territoires allemands devront assumer le paiement d’une part de la Dette de l’Empire allemand, telle qu’elle était constituée le 1er août 1914, d’après le rapport existant entre les revenus du territoire cédé et ceux de la totalité de l’Empire : c’est là, semble-t-il, la juste mesure des facultés respectives de paiement des territoires cédés. Ces mêmes Puissances assument une part proportionnelle, calculée d’après le même principe, de la dette de l’Etat particulier allemand auquel le territoire cédé appartenait. L’Alsace-Lorraine est exceptée naturellement de cette disposition : lorsque l’Allemagne la ravit à la France en 1871, elle n’assuma aucune partie de la dette française. En ce qui concerne la Pologne, la fraction de la dette dont la Commission des réparations attribuera l’origine aux mesures prises par les gouvernements allemand et prussien pour la « colonisation » allemande de la Pologne, ne sera pas assumée par celle-ci. Il est inutile d’insister sur le caractère équitable de cette stipulation ; il eût été étrange d’imposer à une nation le fardeau de dépenses effectuées dans l’espoir de l’annihiler.

Les Puissances cessionnaires de territoires allemands acquerront tous biens et propriétés appartenant à l’Empire ou aux États allemands situés dans ces territoires. La valeur de ces acquisitions sera payée par l’Etat cessionnaire à la Commission des réparations pour être portée au crédit du gouvernement allemand, à valoir sur les sommes dues par lui au titre des réparations. Rien de plus équitable. Les États allemands ne pouvaient conserver des propriétés sur des territoires qui leur échappaient. Ils en reçoivent d’ailleurs le prix. Toutefois, en raison des conditions dans lesquelles l’Alsace-Lorraine a été enlevée à la France, celle-ci sera exemptée de tout paiement à l’Allemagne pour la valeur des biens appartenant à l’Empire ou aux États allemands et situés en Alsace-Lorraine. La Belgique n’aura rien à payer non plus pour la valeur des biens de l’Empire ou des États situés sur les territoires qui lui sont attribués.

L’Allemagne renonce à toute représentation ou participation que des traités, conventions ou accords quelconques assuraient a elle-même ou à ses ressortissants dans l’administration ou le contrôle des commissions, agences et banques d’Etat, et dans toutes autres organisations financières et économiques internationales de contrôle ou de gestion fonctionnant dans l’un quelconque des États alliés ou associés, en Autriche, en Hongrie, en Bulgarie ou en Turquie, ou dans les possessions et dépendances des États susdits, ainsi que dans l’ancien Empire russe.

La Commission des réparations, dans le délai d’un an, pourra exiger que l’Allemagne acquière tous droits ou intérêts de ressortissants allemands dans toute entreprise d’utilité publique ou dans toute concession en Russie, en Chine, en Autriche, en Hongrie, en Bulgarie, en Turquie, ou sur un territoire qui, ayant appartenu à l’Allemagne ou à ses alliés, doit être cédé ou administré par un mandataire. Ces droits ou intérêts seront transférés à la Commission des réparations. L’Allemagne indemnisera ses ressortissants ainsi dépossédée. La Commission des réparations portera à son crédit les sommes correspondant à la valeur des droits transférés. L’Allemagne transférera aux Puissances alliées et associées toutes ses créances sur l’Autriche, la Hongrie, la Bulgarie, la Turquie et notamment celles qui résultent de l’exécution des engagements qu’elle a pris envers ces Puissances pendant la guerre.

Est-il nécessaire d’insister sur le caractère commun des diverses clauses financières que nous venons de rappeler ? Elles constituent essentiellement le moyen fourni à l’Allemagne de commencer à s’acquitter, vis à vis des Alliés, de la dette née du principe de la réparation. Les prestations qu’elle est appelée à fournir sont portées au crédit du compte qui lui est ouvert et qui sera fermé le jour où, par les nombreuses voies qui lui sont tracées à cet effet, elle aura fait rentrer dans les caisses des Alliés les sommes qui ne sont qu’une compensation des dommages causés ou une restitution. Dans cette dernière catégorie rentrent les engagements pris par l’Allemagne de transférer aux autorités qui lui seront désignées la somme en or qui devait être déposée à la Reichsbank (Banque de l’Empire), au nom du Conseil d’administration de la Dette publique ottomane, comme garantie de la première émission de bons de monnaie du gouvernement turc. Il en est de même de l’engagement pris par l’Allemagne d’effectuer douze paiements annuels en or stipulés sur les Bons du Trésor allemands déposés par lui au nom du Conseil de la dette ottomane comme garantie de la seconde émission de bons de monnaie du Gouvernement turc et des émissions subséquentes ; de son engagement de restituer 1° le dépôt d’or confié à la Reichsbank comme garantie de l’avance consentie le 5 mai 1915 par le Conseil d’administration de la dette ottomane au gouvernement turc, 2° l’or qui avait été transféré à l’Allemagne à l’occasion de ses prêts au gouvernement austro-hongrois, 3° l’or et tous autres instruments monétaires ou négociables qu’elle s’était fait attribuer par les traités de Bucarest et de Brest-Litovsk.

On sait comment, au cours de la guerre, les autorités allemandes avaient, sous des prétextes divers, réussi à concentrer à Berlin la plus grande partie de l’or que possédaient leurs alliés. Exiger la restitution d’un dépôt n’a jamais passé pour un acte de violence ou d’injustice à l’égard de celui qui l’a reçu.


VII. — CLAUSES ÉCONOMIQUES

La partie X du traité de Versailles renferme les clauses économiques ; elles sont relatives aux douanes, à la navigation, à la concurrence déloyale, au traitement des ressortissants des Puissances alliées et associées. L’Allemagne s’engage à ne pas soumettre les marchandises, produits naturels ou fabriqués de l’un quelconque des États alliés ou associés importés sur le territoire allemand, à des droits ou charges, y compris les impôts intérieurs, autres ou plus élevés que ceux auxquels sont soumis les mêmes marchandises, produits naturels ou fabriqués d’un autre pays. L’Allemagne ne maintiendra ou n’imposera aucune prohibition ou restriction à l’importation de marchandises ou produits des États alliés ou associés, qui ne s’étendrait pas aux mêmes importations provenant d’un autre pays. L’Allemagne s’engage à ne pas établir de différence au détriment du commerce des États alliés ou associés, par des moyens indirects, tels que ceux résultant de la réglementation ou de la procédure douanière, ou des méthodes de vérification ou d’analyse, ou des conditions de paiement des droits, ou des méthodes de classification ou d’interprétation des tarifs, ou encore de l’exercice de monopoles. Des engagements correspondants sont pris par l’Allemagne en ce qui concerne la sortie de marchandise et produits exportés de son territoire.

Toute faveur, immunité ou privilège, concernant l’importation, l’exportation ou le transit des marchandises qui seront accordés par l’Allemagne a un pays quelconque, seront simultanément et inconditionnellement, sans qu’il soit besoin de demande ni de compensation, étendus à tous les États alliés et associés.

Pendant cinq ans, les produits naturels ou fabriqués, originaires et en provenance des territoires, alsaciens et lorrains réunis à la France seront reçus, à leur entrée sur le territoire allemand, en franchise de tous droits de douane ; mais les quantités de chaque produit ne pourront dépasser la moyenne annuelle des quantités envoyées au cours des années 1911 à 1913. Pendant la même période, l’Allemagne laissera librement sortir et réimporter en franchise les fils, tissus et autres matières ou produits textiles venus d’Allemagne dans les territoires alsaciens ou lorrains pour y subir des opérations de finissage, telles que blanchiment, teinture, impression, mercisage, gazage, retordage ou apprêt. Pendant trois ans également, les produits des territoires polonais ayant fait, avant la guerre, partie de l’Allemagne seront reçus en franchise par l’Allemagne, jusqu’à concurrence de la quantité moyenne annuelle envoyée de 1911 à 1913. Les principaux alliés et associés se réservent le droit d’imposer à l’Allemagne l’obligation de recevoir en franchisé les produits du grand-duché de Luxembourg. Toutes ces dispositions s’expliquent d’elles-mêmes, il est évident que l’on ne pouvait brutalement fermer à des industries les débouchés vers lesquels elles avaient, au cours d’une longue période, été obligées de se diriger. On devrait plutôt s’étonner de la brièveté du temps qui leur est accordé pour retrouver d’un autre côté l’équilibre indispensable. Ces dispositions n’ont d’autre but que de sauver de la ruine les industries alsacienne et polonaise.

Pendant les six mois, qui suivent la mise en vigueur du traité, les taxes imposées par l’Allemagne aux importations des Puissances alliées et associées ne pourront être supérieures aux taxes les plus favorables qui étaient en vigueur le 31 juillet 1914. Cette disposition continuera à être appliquée pendant les trente mois suivants, mais seulement pour certains produits déterminés. Enfin, les Puissances alliées et associées se réservent, dans le cas où cela leur paraîtrait nécessaire pour sauvegarder les intérêts économiques de la population des territoires allemands occupés par leurs troupes, d’appliquer à ces territoires un régime douanier spécial.

Rien, dans ces diverses stipulations, ne justifie les accusations formulées par M. Keynes, lorsqu’il affirme que les vainqueurs ont voulu empêcher les vaincus de vivre. La plupart d’entre elles ne sont autre chose que le développement de la clause de la nation la plus favorisée, qui était inscrite dans le traité de Francfort de 1871 ; nous avons seulement profité d’une expérience presque demi-séculaire, au cours de laquelle nous avons vu l’Allemagne tourner les textes en introduisant subrepticement des distinctions subtiles et des réglementations minutieuses, pour essayer, par des dispositions appropriées, de prévenir le retour de ces fraudes.

L’Allemagne s’engage à prendre toutes mesures législatives ou administratives pour garantir les produits naturels ou fabriqués, originaires de l’une quelconque des Puissances alliées ou associées, contre toute forme de concurrence déloyale dans les transactions commerciales. Elle s’oblige à réprimer et à prohiber l’importation et l’exportation, ainsi que la fabrication, la circulation, la vente de tous produits portant sur eux-mêmes ou sur leur emballage des marques, noms, inscriptions ou signes quelconques comportant de fausses indications sur l’origine, l’espèce, la nature ou les qualités spécifiques. L’Allemagne, à condition qu’un traitement réciproque lui soit accordé en cette matière, s’oblige à se conformer aux lois et règlements en vigueur dans un pays allié ou associé déterminant le droit à une appellation régionale pour les vins ou spiritueux. L’importation, l’exportation, la fabrication, la circulation, la vente des produits portant des appellations régionales contrairement aux lois précitées seront interdites par l’Allemagne.

L’Allemagne peut-elle se plaindre de dispositions de cette nature, qui se bornent à défendre les droits légitimes des industriels ou producteurs ? peut-elle faire une objection quelconque, alors qu’un traitement de réciprocité lui est accordé ?

Le traité n’est pas moins équitable au sujet des ressortissants des Puissances alliées ou associées. Tout ce qu’il exige de l’Allemagne, c’est qu’elle ne les frappe, en ce qui concerne l’exercice des métiers, professions, commerces et industries, d’aucune exclusion qui ne serait pas également applicable à tous les étrangers ; qu’elle ne les soumette à aucun règlement qui violerait cette égalité ; qu’elle ne leur impose aucune taxe plus élevée que celle qui pèserait sur ses propres ressortissants.

Le règlement des dettes et créances entre ressortissants d’une des Puissances contractantes et ceux d’une puissance adverse doit se faire par l’intermédiaire d’offices de vérification et de compensation qui seront constitués par chacune des parties contractantes. Seront réglés de la même façon les intérêts échus avant et pendant la guerre, les capitaux remboursables avant et pendant la guerre, payables aux ressortissants d’une des Puissances contractantes, représentant des valeurs émises par une puissance adverse, pourvu que le paiement de ces intérêts ou de ce capital aux ressortissants de cette puissance ou aux neutres n’ait pas été suspendu pendant la guerre. Chacune des parties contractantes interdit toute communication entre les parties intéressées relativement au règlement desdites dettes, autrement que par l’intermédiaire des offices de vérification et de compensation. Chaque partie contractante sera responsable du paiement desdites dettes de ses nationaux, sauf celles des habitants des territoires envahis. Les hautes parties contractantes prendront toutes mesures pour poursuivre et punir les collusions entre créanciers et débiteurs ennemis. Les offices se communiqueront toutes indications et tous renseignements pouvant aider à découvrir de semblables collusions. Lorsqu’une dette aura été reconnue, -l’office débiteur créditera aussitôt l’office créancier de ce montant. La balance des opérations entre les offices sera établie tous les mois et le solde réglé par l’Etat débiteur. Toutefois, les soldes des par les Puissances alliées et associées seront retenus jusqu’au paiement intégral des sommes à elles dues du chef de la guerre. Sans entrer plus avant dans le détail des articles qui règlent minutieusement cette procédure des offices de compensation, nous en avons dit assez pour montrer que l’Allemagne set traitée, en cette matière, sur un pied d’égalité et que ses nationaux créanciers ou débiteurs verront leur compte se régler comme ceux des Français et des autres alliés.

Les mesures exceptionnelles de guerre prises par l’Allemagne concernant les bions, droits et intérêts des ressortissants des Puissances alliées ou associées seront levées. Ces puissances ont le droit de retenir et de liquider tous les biens, droits et intérêts appartenant à des ressortissants allemands ; ceux-ci seront indemnisés par leur gouvernement.

Les contrats conclus entre ennemis seront considérés comme ayant été annulés, sauf en ce qui concerne les dettes et autres obligations pécuniaires résultant de l’exécution d’un acte ou paiement prévu par ces contrats. Seront maintenus les contrats dont, dans un intérêt général, les Puissances alliées ou associées réclameraient l’exécution. Sur le territoire des hautes parties contractantes, dans les rapports entre ennemis, tous délais de prescription, péremption ou forclusion seront suspendus pendant la durée de la guerre et ne recommenceront à courir que trois mois après la mise en vigueur du traité. Lorsqu’un contrat entre ennemis a été invalidé, la partie lésée pourra s’adresser au tribunal arbitral mixte, afin d’obtenir réparation. Ce tribunal sera constitué entre chacune des Puissances alliées ou associées, d’une part, et l’Allemagne, d’autre part. Chique tribunal sera composé de trois membres. Chacun des gouvernements intéressés en désignera un ; le président sera choisi à la suite d’un accord entre les deux gouvernements intéressés, et, au cas où cet accord ne pourrait intervenir, par la Société des Nations. Ici encore, égalité parfaite entre l’Allemagne et nous.

Les droits de propriété industrielle, littéraire ou artistique seront rétablis et restaurés en faveur de ceux qui en étaient bénéficiaires au moment où l’état de guerre a commencé. Chacune des Puissances alliées ou associées sa réserve la faculté d’apporter aux droits de propriété industrielle, littéraire ou artistique qui seraient acquis par des ressortissants allemands telles limitations, conditions ou restrictions qui pourraient être considérées comme nécessaires pour les besoins de la défense nationale ou dans l’intérêt public, ou pour assurer un traitement équitable, par l’Allemagne, des droits de propriété industrielle, littéraire ou artistique possédés sur le territoire allemand par les ressortissants des Puissances alliées et associées, ou pour garantir l’entier accomplissement de toutes les obligations contractées par l’Allemagne en vertu du traité. Dans ce cas, il sera accordé des indemnités ou redevances raisonnables qui recevront la même affectation que toutes les autres sommes dues à des ressortissants allemands.

Aucune action ne pourra être intentée par des ressortissants allemands ni par des ressortissants des Puissances alliées ou associées à raison de faits qui se seraient produits sur le territoire de l’autre partie, entre la déclaration de guerre et la mise en vigueur du traité, et qui auraient pu être considérés comme portant atteinte à des droits de propriété industrielle, littéraire ou artistique. Ici encore, égalité entre vainqueurs et vaincus.


VIII. — TRANSPORTS

En ce qui concerne les transports, l’Allemagne s’engage à accorder la liberté du transit, à travers son territoire, sur les voies les plus appropriées au trafic international, par chemin de fer, par cours d’eau navigable ou par canal, aux personnes, marchandises, navires, bateaux, wagons et services postaux en provenance ou à destination de l’une quelconque des Puissances alliées ou associées. Il n’y aura aucun droit de transit, ni aucun délai ou restriction inutile. Les personnes, marchandises, navires, wagons recevront le traitement national à tous égards. L’Allemagne s’interdit d’établir une distinction en ce qui concerne les droits, taxes et prohibitions relatifs aux importations ou exportations, en raison soit de la frontière d’entrée ou de sortie, soit de la nature, de la propriété ou du pavillon des moyens de transport employés, soit du point de départ primitif ou immédiat, de la destination finale ou intermédiaire, de l’itinéraire suivi ou des points de transbordement. L’Allemagne s’interdit notamment d’établir, au préjudice des ports ou navires de l’une quelconque des Puissances, alliées ou associées, aucune surtaxe, aucune prime directe ou indirecte à l’exportation ou à l’importation.

C’est ici qu’il convient de rappeler un article du traité de Versailles dont il a peu été question dans les polémiques allemandes ou germanophiles et qui porte cependant, plus qu’aucun autre, l’empreinte de cet esprit d’extrême modération dont les Alliés n’ont cessé de s’inspirer. « A l’expiration d’un délai de cinq ans, dit l’article 378, les dispositions des articles 321 à 330, 332, 365 à 369, pourront, à tout moment, être révisés par la Société des nations. A défaut de révision, le bénéfice d’une quelconque des stipulations contenues dans les articles énumérés ci-dessus, ne pourra, à l’expiration du délai prévu au paragraphe précédent, être réclamé par une des Puissances alliées et associées en faveur d’une portion quelconque de ses territoires pour laquelle la réciprocité ne serait pas accordée. Le délai de cinq ans pendant lequel la réciprocité ne pourra pas être exigée, pourra être prolongé par le Conseil de la Société des nations. »

Les articles visés comprennent les dispositions relatives aux ports, voies d’eau et voies ferrées que nous avons résumées : elles assurent la liberté de circulation des marchandises, de la navigation, des transports par chemins de fer. Or que signifie l’article 378 ? C’est que, par exemple, les produits algériens ne jouiront plus, en 1925, de l’égalité des conditions de transit en Allemagne, si les marchandises allemandes ne jouissent pas du même traitement sur les voies algériennes. Et la période de non-réciprocité ne peut être prolongée que par le Conseil de la Société des nations. Or les délibérations de ce Conseil, d’après l’article 5 du traité de Versailles, sont prises à l’unanimité. Il dépendra donc du représentant d’un seul État de nous refuser la prorogation dont les autres Puissances auraient reconnu la nécessité. Telles sont les conséquences de stipulations, qui constituent évidemment une faveur marquée pour les vaincus.


IX. — TRAITÉS AUTRICHIEN ET BULGARE

Les traités autrichien et bulgare ont beaucoup de points de ressemblance avec celui de Versailles. Le principe qui est à leur base est le même. C’est ainsi qu’à Saint-Germain-en-Laye, le 10 septembre 1919, les gouvernements alliés et associés ont déclaré, et l’Autriche a reconnu, que « l’Autriche et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, des pertes et des dommages subis par les gouvernements alliés et associés et leurs nationaux, en conséquence de la guerre qui leur a été imposée par l’agression de l’Autriche-Hongrie et de ses alliés. » Ce sont les termes identiques à ceux dans lesquels, trois mois plus tôt, était rédigé l’article 231 du traité de Versailles. La Commission des réparations se confond avec celle qui a été constituée pour le règlement avec l’Allemagne : elle formera une section pour les questions spéciales soulevées par l’application du traité avec l’Autriche. Elle établira un état des paiements, en prévoyant les époques et les modalités de l’acquittement par l’Autriche, dans une période de trente ans, à dater du 1er mai 1921, de la part de la dette qui lui aura été assignée après que la Commission aura estimé si l’Allemagne est en situation de payer le solde du montant global des réclamations présentées contre l’Allemagne et ses alliés. L’Autriche accepte que ses ressources économiques soient directement affectées aux réparations. Elle effectuera la restitution des espèces enlevées, saisies ou séquestrées, ainsi que celle des animaux, des valeurs et objets de toute sorte enlevés, saisis ou séquestrés.

Le gouvernement autrichien reconnaît la Commission des réparations et lui confirme irrévocablement la possession et l’exercice des droits et pouvoirs que lui confère le traité. Il fournira à la Commission tous renseignements sur la situation et les opérations financières, sur les biens, la capacité de production et les approvisionnements et la production courante des matières premières et objets manufacturés de l’Autriche et de ses ressortissants. Le coût d’entretien des armées alliées et associées dans les territoires occupés de l’Autriche sera à la charge de l’Autriche à partir de la signature de l’armistice du 3 novembre 1918.

Chacun des États auxquels un territoire de l’ancienne monarchie austro-hongroise est transféré et chacun des États nés du démembrement de cette monarchie assumeront la responsabilité d’une part de la dette de l’ancien gouvernement autrichien, spécialement gagée sur des chemins de fer, des mines de sel ou d’autres biens, telle qu’elle était constituée le 28 juillet 1914.

Chacun de ces États assumera également une part de la dette non gagée de l’ancien gouvernement autrichien, telle qu’elle était constituée le 28 juillet 1914, et calculée en prenant pour base la moyenne des trois années financières 1911, 1912 et 1913, d’après le rapport existant entre les revenus du territoire réparti et les revenus correspondants de la totalité des anciens territoires autrichiens. Dans un délai de deux mois, ces mêmes États ont estampillé, avec un timbre spécial à chacun d’eux, les billets de la Banque d’Autriche-Hongrie détenus sur leurs territoires respectifs : au cours de l’année suivante, ils doivent remplacer ces billets par leur propre monnaie, à des conditions qu’ils détermineront. La Banque d’Autriche-Hongrie sera liquidée. Les billets émis par elle postérieurement au 27 octobre 1918 auront pour unique garantie les titres émis par les gouvernements autrichien et hongrois, déposés à la Banque en couverture de l’émission de ces billets. Les porteurs de ces billets n’auront aucun droit sur les autres éléments de l’actif de la Banque.

Beaucoup des clauses financières du traité de Saint-Germain-en-Laye sont calquées sur celles du traité de Versailles, notamment celles qui ont trait à la restitution des dépôts d’or ottoman, à la renonciation au bénéfice des traités de Bucarest et de Brest-Litovsk, à la vente des droits des ressortissants de l’Autriche et de ceux de ses ex-alliés dans toute entreprise d’utilité publique ou dans toute concession en Autriche qui seraient réclamés par la Commission des réparations. Un article spécial prévoit la fixation, par une entente entre les gouvernements intéressés, de tous les ajustements financiers rendus nécessaires par le démembrement de l’ancienne monarchie austro-hongroise et par la réorganisation des dettes publiques et du système monétaire. Ces ajustements concernent, entre autres, les banques, compagnies d’assurances, caisses d’épargne, caisses d’épargne postale, établissements de crédit foncier, sociétés hypothécaires et toutes autres institutions similaires opérant sur le territoire de l’ancienne monarchie austro-hongroise.

Les clauses économiques touchant les relations commerciales, les réglementations douanières, la concurrence déloyale, le traitement des ressortissants des Puissances alliées ou associées, les dettes et créances des ressortissants des puissances contractantes, les biens, droits et intérêts privés, les contrats, prescriptions et jugements, notamment pour les effets de commerce, assurances et réassurances, sont analogues à celles du traité de Versailles. Des tribunaux arbitraux mixtes sont prévus et constitués de la même manière. Les droits de propriété industrielle, artistique et littéraire sont réglés selon les mêmes principes. L’Autriche, comme l’Allemagne, accorde la liberté de transit à travers son territoire aux personnes, marchandises, navires, wagons en provenance ou à destination des territoires des Puissances alliées et associées.

Le Danube est déclaré international depuis Ulm, ainsi que la partie du cours de la Morawa et de la Thaya qui constitue la frontière entre la Tchéco-Slovaquie et l’Autriche ; de même la voie navigable Rhin-Danube, si elle venait à être construite. La commission européenne du Danube exercera de nouveau les pouvoirs qu’elle avait avant la guerre : provisoirement elle ne comprendra que les représentants de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Italie et de la Roumanie.

Le libre accès à la mer Adriatique est accordé à l’Autriche et, à cette fin, la liberté de transit lui est reconnue sur les territoires et dans les ports détachés de l’ancienne monarchie austro-hongroise ; cette liberté s’étend aux services postaux, télégraphiques et téléphoniques. On s’est donc gardé de l’encercler et de l’isoler de la mer.

Le traité bulgare, signé le 27 novembre 1919 à Neuilly-sur-Seine, est fondé, comme les deux autres, sur le principe des réparations. Mais il a, d’ores et déjà, fixé un forfait de deux milliards deux cent cinquante millions de francs pour les réparations a la charge de la Bulgarie. Cette somme doit être acquittée en trente-sept ans, au moyen de versements semestriels comprenant l’intérêt à 5 pour 100 et l’amortissement. La commission des Réparations aura le droit, par un vote à la majorité et dans la limite des propositions d’une Commission interalliée, de procéder à toute réduction ou à tout report de dette. La Commission interalliée doit être constituée à Solia. Elle est composée de trois membres nommés par l’Angleterre, la France et l’Italie. La Bulgarie est représentée auprès d’elle par un commissaire. Le gouvernement bulgare s’engage à promulguer une loi prévoyant tous pouvoirs nécessaires au fonctionnement de cette Commission, et, d’une façon générale, à faire promulguer et à maintenir en vigueur toute législation nécessaire à la complète exécution du traité.

Par une disposition en partie rétroactive, le traité de Neuilly impose à la Bulgarie, en raison de l’acquisition de territoires ottomans cédés en vertu du traité de Constantinople de 1913 ou de territoires dont la cession est confirmée par le traité actuel, la charge d’une part de la Datte publique ottomane extérieure d’avant-guerre. La Bulgarie s’engage à payer, à valoir sur les montants nécessaires pour acquitter cette part de la Dette ottoman, telles sommes que fixera ultérieurement une Commission nommée pour déterminer dans quelle mesure la cession des territoires ottomans entraînera obligation de contribuer à cette dette.

Quant à l’emprunt contracté par la Bulgarie en Allemagne, en juillet 1915, la Commission des réparations pourra se faire céder tous les droits, intérêts et titres de toute nature concédés à des ressortissants allemands, autrichiens et hongrois et relatifs à cet emprunt. Le gouvernement bulgare transférera à la Commission des réparations tous les droits, intérêts et titres détenus par les ressortissants bulgares en vertu des mêmes contrats d’emprunt ; il indemnisera ses ressortissants. Il transférera à la Commission toutes les créances ou droits à réparation de la Bulgarie ou de ses ressortissants sur l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Turquie. Toute somme que la Commission recouvrera à ce titre sera portée au crédit de la Bulgarie, à valoir sur les sommes dues par elle au titre des réparations.

D’autres dispositions du traité correspondent également à celles des traités allemand et autrichien, notamment en ce qui concerne les biens, droits et intérêts privés, les contrats, prescriptions et jugements, le tribunal arbitral mixte, la propriété industrielle, la navigation aérienne, les ports, voies d’eau et voies ferrées, la navigation, les chemins de fer. La Bulgarie s’est engagée à adhérer à toute convention générale concernant le régime international du transit, des voies navigables, des ponts et des voies ferrées qui pourrait être conclue entre les Puissances alliées et associées, avec approbation de la Société des nations, dans un délai de cinq ans.


X. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. JUGEMENTS AMÉRICAINS

Plus on étudie les divers traités intervenus entre les Puissances alliées, et associées d’une part et l’Allemagne, l’Autriche, la Bulgarie d’autre part, en attendant la signature de ceux qui v restent à conclure avec la Turquie et la Hongrie, et plus on constate l’esprit de modération qui a guidé les vainqueurs. Après s’être efforcés de refaire une carte d’Europe, dans l’établissement de laquelle la liberté des peuples et le droit des individus ont été respectés plus scrupuleusement que dans un aucun autre acte international antérieur, les plénipotentiaires des quatre grandes nations ont voulu régler les questions économiques avec la même hauteur de vues qui avait inspiré les solutions des innombrables problèmes politiques posés devant la Conférence. Nous devons ici, une fois de plus, nous référer à la lettre mémorable du 16 juin 1919 adressée au président de la délégation allemande, dans laquelle le président du conseil suprême, M. Clemenceau, a résumé de la façon la plus saisissante l’histoire de la guerre et établi la plus puissante et la plus irréfutable des explications du traité de Versailles. « La justice, écrivait-il, est la seule base possible pour le règlement des comptes de cette terrible guerre. La justice est ce que la Délégation allemande demande et ce que cette Délégation déclare qu’on a promis à l’Allemagne. La justice, l’Allemagne l’aura. Mais il faut que ce soit la justice pour tous. Il faut que ce soit la justice pour les morts, pour les blessés, pour les orphelins, pour tous ceux qui sont en deuil… Il faut que justice soit rendue aux peuples qui chancellent aujourd’hui sous un fardeau de dettes de guerre s’élevant à plus de 750 milliards de francs et qu’ils ont accepté pour sauver la liberté. Il faut que justice soit rendue aux millions d’êtres humains, dont la sauvagerie allemande a pillé et détruit les foyers, la terre, les vaisseaux, les biens. Voilà pourquoi les Puissances alliées et associées ont déclaré avec insistance que l’Allemagne, comme condition primordiale du traité, doit entreprendre une œuvre de réparation jusqu’à l’extrême limite de sa capacité, car la réparation des torts qu’on a causés est l’essence de la justice. »

M. Clemenceau expliquait ensuite la genèse des clauses de réparation, qui limitent la somme payable par l’Allemagne au montant, clairement justifié par les termes de l’armistice, des dommages causés à la population civile des Alliés par l’agression allemande. Le traité a pour but de rendre aussi aisé que possible le payement des réparations auxquelles l’Allemagne est tenue. Les Puissances alliées et associées ont reconnu les avantages qu’il y avait à déterminer le plus tôt possible la somme à payer. Mais cette détermination ne pouvait se faire au moment de la signature du pacte, car l’étendue des dommages et le coût des réparations n’étaient pas encore établis. Les Puissances ont alors consenti à accorder à l’Allemagne toutes facilités nécessaires et raisonnables pour lui permettre de se former une idée d’ensemble des dévastations et dommages et de présenter des propositions dans un délai de quatre mois à dater de la signature du traité, pour le règlement des demandes correspondant à chacune des catégories de dommages dont elle est responsable. Si on était arrivé à un accord, le chiffre dû par l’Allemagne aurait été déterminé ; puisque l’Allemagne n’a pas usé de la faculté qui lui avait été octroyée, dans les délais convenais, les clauses du traité seront exécutées. Or, le lecteur a pu se vendre compte de ce que sont ces clauses. Découlant toutes du principe de réparation inscrit au frontispice de l’œuvre, elles tondent à trois buts essentiels : 1° faire verser entre les mains des Alliés les sommes auxquelles ceux-ci ont droit ; leur faire restituer l’outillage industriel et agricole qui leur a été ravi : à ces fins multiplier en faveur de l’Allemagne les moyens de paiement, de remise et de compensation ; 2’garantir aux ressortissants des Puissances alliées un traitement équitable dans leurs relations économiques avec l’Allemagne ; 3° assurer la liberté du transit. Dans beaucoup de cas, la réciprocité, soit immédiate soit à brève échéance, a été stipulée en faveur des Allemands.

Les dispositions du traité de Versailles, que M. Keynes a si amèrement critiquées, ont été ailleurs jugées tout autrement. M. Nicolas Murray Butler, que nous aimons à citer, comme l’une des hautes autorités morales et intellectuelles des États Unis, définissait la Société des Nations « la protectrice du droit international et de la justice, de la sainteté des engagements internationaux, du droit qu’ont les petites nations d’être libres et protégées contre toute attaque de la part des voisins plus nombreux et puissants. » Il se prononçait énergiquement contre l’admission immédiate, au sein de la Société, de l’Allemagne et de l’Autriche, que réclame M. Keynes. » Il est inconcevable, écrivait M. Butler, que des gouvernements et des peuples qui ont failli briser et renverser le monde civilisé, soient admis à des conférences où se discutent les méthodes de reconstruction, la punition de leurs péchés et la forme de gouvernement à donner aux peuples qu’ils ont si longtemps dominés et terrorisés. Ce n’est que lorsque les Allemands et les Autrichiens auront lavé leurs mains du sang de la Belgique et de la Serbie, qu’ils se seront sincèrement repentis de crimes comme le torpillage de la Lusitania et du Sussex qu’ils pourront être admis dans une famille qu’ils ont tenté d’assassiner. »

Le même Nicolas Murray Butler portait ce sage jugement sur le traité à intervenir et invoquait à cet effet les leçons de l’histoire de sa propre patrie : « Les Américains se rendent compte que les difficultés de la paix sont comparables aux dangers et désordres de la guerre, et que, là où les principes directeurs doivent être mis en lumière d’une façon si fréquente et si importante, il s’élèvera naturellement des différences d’opinion plus ou moins profondes, et les caractères entrent en conflit plus ou moins avéré. Les Américains n’ont pas perdu la mémoire des difficultés semblables qui surgirent, dans leur propre pays, entre patriotes à l’esprit élevé, à la fin de la Révolution, et de nouveau à la clôture de la guerre de Sécession. Nous, hommes des États Unis, nous serons patients et nous efforcerons de porter nos regards au-delà et derrière ces conflits superficiels, en premier lieu parce que notre peuple comprend l’Europe comme il ne l’avait jamais comprise jusqu’ici ; en second lieu, parce que nous sommes attachés aux nations européennes victorieuses par des liens plus forts et plus affectueux qu’aucun de ceux qui ont existé dans le pissé. » Voilà dans quels termes s’exprimait, au lendemain de l’armistice en décembre 1918, le professeur Nicolas Murray Butler. Il rendait par avance hommage à l’esprit dans lequel les conditions de la paix seraient arrêtées. Il mesurait les difficultés du traité à intervenir et répondait, dès lors, aux critiques qui ne manqueraient pas de lui être adressées. Il invoquait le souvenir des époques les plus glorieuses et aussi les plus semées d’écueils de la grande République : ni en 1783, ni en 1865 la tâche de ceux qui eurent à fixer ses destinées ne fut aisée. Seule, la suite des temps a démontré la sagesse des règlements qui intervinrent alors. M. Nicolas Murray Butler demande que crédit soit fait au traité de paix et il invite le monde à être patient, comme le furent, dans les circonstances solennelles qu’il rappelle, les citoyens américains.

Nous sommes particulièrement heureux d’invoquer ce témoignage. Tant de légendes ont été répandues en France sur l’altitude des États-Unis ; nous avons si vite oublié l’aide incomparable qu’ils nous ont apportée ; nous avons tellement négligé de nous instruire de leur politique intérieure et de chercher à comprendre les motifs du différend qui s’est élevé entre le président Wilson et le Sénat ! Il est bon de rappeler à nos compatriotes que le traité de Versailles fut aussi l’œuvre de nos « associés » et que nous les retrouverons, à un moment donné, disposés à en faire exécuter les clauses. Au moment où s’élaborait le règlement, nous manifestions parfois de l’impatience, du mécontentement, et nous accusions volontiers certains de nos amis de ne pas tenir un compte suffisant de nos justes droits. Aujourd’hui, nous portons un jugement plus calme sur le traité. En constatant qu’il est loin de nous donner satisfaction sur tous les points où nous le méritions, nous reconnaissons qu’en présence de la multiplicité et de la contradiction des intérêts qui se heurtaient, il constitue une solution acceptable de la plupart des problèmes qui se posaient. Au point de vue économique, il est l’expression d’une volonté réfléchie de ne pas brusquer les solutions, de proportionner les demandes légitimes de réparation aux facultés du débiteur. Ce n’est pas celui-ci qui peut se plaindre des dispositions prises, mais bien certains créanciers, que leur propre détresse rend à bon droit impatients. Pour justifier l’état d’esprit de ces derniers, nous aurons à mettre sous les yeux du lecteur le tableau des ruines amoncelées sur les territoires qui furent envahis, occupés, puis anéantis par les Germains. Nous aurons aussi à exposer la situation financière des Alliés, qui n’est pas seulement la conséquence de la guerre, mais qui a été terriblement aggravée par la façon dont cette guerre a été conduite. La moitié des charges qui pèsent aujourd’hui sur le contribuable français proviennent de la destruction systématique des maisons, des usines, des mines, des arbres qui a été perpétrée par les armées allemandes en dehors de toutes les lois de la guerre.


XI. — L’OPINION ANGLAISE ET LE LIVRE DE M. KEYNES

Nous terminions notre premier article en citant les critiques que plusieurs Américains considérables ont faites du livre de M. Keynes. La conclusion de la seconde partie de notre étude sera placée sous l’invocation des compatriotes de l’auteur. Le plus grand journal de Londres, le Times, reflet le plus sûr de l’opinion anglaise, a jugé aussi sévèrement que nous un livre qu’il résume dans le titre de l’article qu’il lui consacre : « Réconfort pour l’Allemagne. » Il s’indigne, comme nous, qu’un écrivain puisse placer sur la même ligne les Allemands et les Alliés, qu’il ose comparer à la violation de la Belgique la prétendue injustice du traité de Versailles, qu’il semble, de propos délibéré, ignorer les crimes de piraterie sous-marine et autres dont les Allemands se sont rendus coupables. Il cite de nombreux exemples de cette mentalité étrange, qui semble prédisposer l’auteur à ne voir jamais que le côté allemand dans n’importe quelle question. C’est ainsi que M. Keynes, déplorant que des fleuves comme l’Elbe, l’Oder, le Rhin, soient placés sous le contrôle de commissions internationales, compare cette organisation à celle qu’imposerait à la Grande Bretagne la constitution d’un « conseil de surveillance de la Tamise. » Il oublie tout simplement que celle-ci n’est pas un cours d’eau traversant plusieurs pays. Voilà un exemple entre cent des erreurs où l’entraîne sa passion. « Le livre, nous traduisons littéralement le texte du Times, est tellement vicié par une violence progermaine persistante que sa valeur, en tant que contribution à l’étude des conséquences économiques de la guerre, en est singulièrement affaiblie. »

La fin de l’article est d’une éloquence singulière. « Etudier le traité dans un esprit d’oubli de la culpabilité germaine, d’atténuation des crimes allemands, avec le souci, sous prétexte d’impartialité, d’aider l’Allemagne à échapper aux conséquences de sa félonie, c’est non seulement se condamner à un échec, mais c’est détruire ce qui reste de la solidarité interalliée, grâce à laquelle les plans allemands ont été anéantis. L’Allemagne est entrée en campagne parce qu’en 1870-71, elle avait fait de la guerre une affaire profitable et qu’elle espérait recommencer. Elle a failli réussir. Si maintenant on lui donnait le contrôle des ressources russes et qu’on la tint quitte des réparations, en lui laissant l’option de payer ou de ne pas payer, qui l’empêcherait, dans quelques années, une fois qu’elle serait maîtresse de la Russie, de renouveler la lutte avec une armée préparée en secret, commandée par des vétérans, et de rançonner l’Europe et l’Asie ? M. Keynes est peut-être un économiste de valeur. Il a pu être un bon fonctionnaire de la Trésorerie. Mais, en écrivant son livre, il a desservi les Alliés d’une façon qui lui vaudra sans doute la reconnaissance de leurs ennemis. »

Nous n’ajouterons rien à ce jugement britannique qui nous dispense d’aller plus loin dans l’exposé et la justification des clauses économiques du traité. Nous regarderons maintenant « de l’autre côté de la barricade, » en essayant de soulever le voile d’oubli qui semble déjà s’étendre entre beaucoup de nos contemporains et le souvenir des horreurs sans nom dont l’Europe et les mers du globe furent le théâtre pendant plus de quatre ans, et en montrant contre quelles difficultés financières les Alliés ont à lutter aujourd’hui.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.

  1. Voyez la Revue du 15 mai.