La Juridiction des prises

La Juridiction des prises
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 30 (p. 90-115).
LA JURIDICTION DES PRISES


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En temps de paix, le respect de la propriété privée est une des bases du droit commun à tous les peuples civilisés. Il n’en est plus de même en temps de guerre. Ici, la pratique universelle apporte à ce principe une dérogation considérable. Sur mer, la propriété privée devient saisissable, quand elle appartient à un ennemi, ou même simplement, dans certains cas, quand elle lui est destinée.

Des jurisconsultes ont critiqué cette règle, en laquelle ils voient un reste de l’antique barbarie. Mais de leurs observations il résulte qu’elle constitue une amélioration par rapport à l’état de choses antérieur. À l’origine de l’humanité, nulle propriété n’est stable : chacun est exposé aux déprédations d’un plus fort. Avec l’organisation des États, ce péril disparaît : les lois viennent consacrer le principe de la propriété, des tribunaux sont institués pour l’appliquer, une force publique est établie en vue de sa défense. Seulement, tout cela ne vaut que dans les limites de chaque État et pour ses ressortissans. L’étranger n’a point encore de droit reconnu. Pourtant, quand la paix règne entre les États, on tend progressivement à étendre à cet étranger les garanties dont jouit le national. Toutes disparaissent pour lui, quand survient la guerre. On peut alors le maltraiter impunément, on doit même parfois le faire. La guerre n’oppose pas seulement les États, mais aussi les individus qui les composent. C’est là le principe admis dans l’antiquité, et qui subsiste pleinement au Moyen Age. Son application sur mer conduit aux résultats suivans. D’une part, chaque État peut licitement y saisir les navires et les marchandises appartenant, soit à l’État ennemi, soit aux sujets de cet État. D’autre part, les particuliers ont le même droit : leurs bâtimens peuvent eux aussi « courir sus » à ceux de l’ennemi, que ces derniers appartiennent à un État ou à une personne privée. Cette règle est le principe de « la course, » et l’on connaît le rôle considérable, souvent glorieux, que les corsaires ont joué dans les guerres navales d’autrefois.

Avec les temps modernes, une évolution se dessine. On commence à douter de la légitimité de ces guerres privées sur mer. Du moins, on cherche à les restreindre, à les régulariser. Le corsaire ne semble plus pouvoir à bon droit opérer, que s’il en a reçu l’autorisation du gouvernement dont il relève : il lui faut donc préalablement obtenir des « lettres de marque. » Puis, ses captures ne sont pas toujours reconnues valables par ce gouvernement : devant celui-ci, les capturés sont admis à faire entendre leurs réclamations, et quelquefois il ordonne qu’on les relâche, eux et leurs biens. La formule s’introduit, que toute prise doit être jugée par l’autorité souveraine ; la connaissance de ces causes est attribuée à l’amiral, chef suprême de la flotte royale, et au conseil qui l’entoure. Cette évolution s’accentue à travers les xvie, xviie et xviiie siècles. Sans doute, elle n’a pu se produire, dans les différens États européens, que parce que les rois y voyaient l’avantage d’affirmer leurs prérogatives. Mais elle a fort servi, en fin de compte, la cause des droits de l’étranger.

Cette cause obtient, au xixe siècle, un nouveau succès, fort considérable. La guerre privée semble définitivement surannée. La France, avec sa générosité coutumière, et quelque intérêt qu’elle puisse avoir à en conserver le principe, se déclare prête à y renoncer. Les grandes Puissances se mettent d’accord sur ce point, au Congrès de Paris, et la déclaration du 16 avril 1856 vient solennellement abolir la course. Désormais la guerre navale ne se fera plus que d’État à État, les particuliers ne pourront plus s’y livrer pour leur compte. L’État garde, il est vrai, le droit de saisir en mer, pendant la guerre, non seulement les biens de l’État ennemi, mais aussi ceux des particuliers ennemis. Toutefois, lui-même ne le peut plus que sous d’importantes restrictions, que nous exposerons bientôt. — Si ce droit de saisie a été en principe maintenu, c’est qu’on y a vu un élément de la guerre entre les États eux-mêmes. En effet, non seulement ceux-ci peuvent utiliser leurs captures, mais encore il est à penser que les armateurs et chargeurs, mus par le désir de se faire restituer les bâtimens et marchandises capturés ou par la crainte de nouvelles saisies, pèseront sur le gouvernement et sur l’opinion publique pour hâter la conclusion de la paix. — L’œuvre du Congrès de Paris est continuée par les réunions internationales ultérieures. La seconde conférence de La Haye, en 1907, vote une série de conventions, dont plusieurs concernent la guerre maritime. La conférence navale de Londres codifie en 1909 les règles de cette guerre, telles qu’elles résultent de l’usage international. Tous ces textes, dont nous reparlerons, ont pour but d’humaniser la guerre, d’en réduire les dommages au minimum, et spécialement de diminuer le nombre des cas où elle permet la confiscation des navires et des marchandises appartenant à l’ennemi. On peut donc dire que, au début du xxe siècle, il existe un imposant ensemble de textes qui ont consacré, au profit de l’étranger, dans la guerre maritime, des dérogations considérables à la rigueur du droit de capture primitif.


ii

Pour expliquer les textes, en cas de contestations, il faut des tribunaux. On vient de voir comment, en France, la juridiction des prises s’est constituée. La question de la validité des prises faites par les corsaires, aussi bien que par la marine royale, a longtemps été soumise au commandant en chef de cette dernière, à l’amiral. Celui-ci était un des hauts dignitaires de la couronne et fut d’ordinaire, au xviie et au xviiie siècles, un prince du sang. Pour résoudre des problèmes techniques et juridiques, il avait besoin de l’assistance d’un conseil. La légitimité des prises était donc débattue devant l’amiral en son conseil, et assez souvent devant ce conseil seul. Ce qu’on appelait le conseil de l’amiral fut ainsi notre premier tribunal des prises. Ses membres étaient nommés au début de chaque guerre, pour la durée de celle-ci. Il eut parfois à résister aux empiétemens des Parlemens, et il en triompha. Des lettres patentes, données à Toulouse le 20 décembre 1659, régularisèrent son institution. Le règlement du 9 mars 1695 le reconstitua. Vers 1695, fut créé auprès de lui un poste de procureur général. Les appels contre ses décisions étaient portés au Conseil d’État du Roi ; ce dernier était, à vrai dire, le nom collectif désignant plusieurs conseils ; c’est le conseil des finances qui statuait sur les prises. Cette organisation dura jusqu’à la fin de l’ancien régime. La guerre de l’indépendance américaine lui donna une dernière occasion de fonctionner. Elle n’avait pas été sans éclat : on y avait vu siéger au Conseil des prises, et Colbert, et d’Aguesseau.

La Révolution française vint, en cette matière, modifier profondément les compétences. Le Conseil d’État du Roi disparut, et avec lui le Conseil des prises. Pour remplacer ce dernier, on partit des idées suivantes : les corsaires sont des armateurs ; les navires et les marchandises qu’ils saisissent appartenaient à des particuliers ; capteurs et capturés sont donc les uns et les autres, d’ordinaire, des négocians ; la compétence, sur leurs litiges, doit dès lors revenir aux tribunaux de commerce. C’est pourquoi la Convention, par loi du 14 février 1193, attribua à ces tribunaux la connaissance des prises maritimes. Ce régime dura quelques années. Sans doute, la Convention elle-même songea un moment à transporter le droit de juger les prises au Comité de Salut public. Mais il avait autre chose à faire, et le Directoire maintint la compétence des tribunaux de commerce. Cela présentait deux inconvéniens. D’une part, ces juridictions étaient nombreuses et animées d’esprits assez variés : il n’y avait donc point entre elles unité de jurisprudence. D’autre part, si elles possédaient le droit commercial, elles étaient peu au fait du droit public et du droit international : leurs décisions à l’égard de navires neutres soulevèrent plus d’une fois des réclamations des gouvernemens étrangers dont le nôtre fut saisi. Cet état de choses ne pouvait guère durer. Quand, en France, le pouvoir central reprit vigueur, il remit la main sur la juridiction des prises. Ce fut l’œuvre du Consulat. La loi du 26 ventôse an viii dessaisit les tribunaux de commerce des affaires de prises. En son exécution, l’arrêté des consuls du 6 germinal an viii institua, pour en connaître, un Conseil des prises. Puis leur arrêté du 2 prairial an xi vint en régler le fonctionnement. Ce corps était présidé par un conseiller d’État ; il comprenait en outre huit membres, ainsi qu’un commissaire du gouvernement. C’était lui qui statuait en dernière instance sur les prises. Mais l’instruction de ces affaires était confiée à des commissions, qui avaient parfois à rendre des décisions véritables. On les appelait commissions des ports, commissions coloniales ou commissions consulaires, suivant que le port où le navire capturé avait été conduit se trouvait dans la métropole, aux colonies, ou dans une ville étrangère possédant un consul français.

Le premier Empire maintint, en principe, ces dispositions. Même, le blocus continental vint donner une grande importance au Conseil des prises. Ses membres reçurent le titre de conseillers ; son commissaire du gouvernement, celui de procureur général. Des traitemens élevés leur étaient attribués. Le décret du 11 juin 1806 permit de faire appel de leurs décisions au Conseil d’État, siégeant en assemblée générale, et statuant sur le rapport de la commission du contentieux. À partir de 1810, il semble que l’Empereur se soit réservé la connaissance personnelle de ces appels[1].

Avec la Restauration, le rôle de la juridiction des prises se restreint beaucoup. Sous un régime qui voulait être pacifique, point n’était besoin d’un tribunal spécial destiné à ne siéger qu’en temps de guerre. Le Conseil des prises disparut donc, et la connaissance des litiges en matière de prises maritimes fut attribuée, par l’ordonnance du 9 janvier 1815, en premier et dernier ressort à la fois, au Conseil d’État, ou plutôt à son comité du contentieux. Ce nouveau système devait durer une quarantaine d’années. La monarchie de Louis-Philippe prit seulement la précaution, quand en 1831 elle institua la publicité des débats devant le Conseil d’État statuant au contentieux, d’excepter de cette règle les affaires de prises maritimes, à cause de la nature particulièrement délicate des débats qu’elles peuvent soulever en matière internationale. Les règlemens intérieurs du Conseil d’État, de 1849 et de 1852, rangent ces affaires, non plus parmi celles qui comportent la procédure contentieuse proprement dite, mais parmi celles qui sont portées devant l’assemblée générale du Conseil d’État.

Le second Empire, reprenant tant de choses dans les traditions du premier, devait s’en inspirer aussi en cette matière. Les guerres qu’il entreprit rendaient plus nécessaire une juridiction spéciale sur les prises maritimes. Il reconstitua donc le Conseil des prises. Celui-ci fut rétabli, tout d’abord, par un décret du 18 juillet 1854, pour la durée de la guerre de Crimée ; puis, par un décret du 9 mai 1859, pour la durée de la guerre d’Italie ; enfin, par un décret du 28 novembre 1861, pour une durée indéterminée. Sans doute, il ne devait, même après ce dernier décret, siéger qu’à l’occasion des guerres. Mais, en principe, il devenait permanent, et ses membres étaient nommés une fois pour toutes. Il est vrai aussi que la déclaration du Congrès de Paris, du 16 avril 1856, avait aboli la course, et par la même supprimé les prises faites par les corsaires : elle avait donc ôté au Conseil des prises ce qui constituait antérieurement le principal élément de son activité. Mais des prises continuaient à pouvoir être faites, sur la marine marchande de l’ennemi, par notre marine de guerre. On prévit plus tard que celle-ci pourrait recevoir le concours de navires de commerce, transformés pour la durée de la guerre en croiseurs auxiliaires. Enfin, le Conseil des prises tenait, de textes antérieurs, une juridiction spéciale sur les pirates et les négriers. Il restait donc assez d’attributions à lui confier pour justifier, après la déclaration de Paris, son maintien et même sa permanence.

Non seulement les diverses expéditions du second Empire, mais la guerre de 1870-71 lui donnèrent l’occasion de siéger. À cette dernière date, il dut même être dédoublé, quand le gouvernement de la Défense nationale se dédoubla lui-même. Le noyau du Conseil des prises resta dans Paris assiégé, et y jugea les captures dont les dossiers lui avaient été transmis avant l’investissement de la capitale. Un second Conseil des prises fut constitué auprès de la délégation de Tours, d’abord dans cette ville, puis à Bordeaux ; il statua sur les captures dont le premier n’avait pu avoir connaissance. Il avait parmi ses membres un avocat déjà fort apprécié, plus tard bâtonnier et académicien, auquel on doit un recueil de ses décisions[2]. Les sentences de ces deux Conseils se virent, une fois la paix faite, souvent déférées au gouvernement en Conseil d’État, et ce dernier corps eut à en connaître jusqu’en 1873.

À partir de cette dernière date, les décisions en matière de prises deviennent, naturellement, très rares. On n’en rencontre plus qu’à l’occasion de nos expéditions coloniales. La conquête du Tonkin, et la guerre qu’elle entraîna avec la Chine, en amenèrent quelques-unes de 1889 à 1893. Mais la guerre européenne est venue, l’an dernier, donner à la juridiction des prises une activité nouvelle, qui a même été considérable. Afin de faire comprendre en quel sens cette activité s’est exercée, il faut d’abord indiquer les attributions du Conseil des prises, puis les règles de son organisation et de son fonctionnement actuels.


iii

Malgré le nom qu’il porte et qui fait parfois illusion, le Conseil des prises n’est point une commission consultative, donnant de simples avis à l’autorité ministérielle. C’est un tribunal véritable, rendant des décisions, qui ont force exécutoire. Parmi les nombreuses juridictions de tout ordre que compte la France, — juridictions civiles, commerciales, pénales, administratives, — sa place est dans cette dernière catégorie. Le tribunal administratif de droit commun est le Conseil d’État statuant au contentieux ; parmi les tribunaux administratifs spéciaux, le Conseil des prises se range non loin de la Cour des comptes, des juridictions universitaires, des Conseils de préfecture, des Conseils du contentieux administratif aux colonies.

Quels objets rentrent dans sa compétence ? On peut laisser ici de côté ses attributions anciennes en ce qui concerne la répression de la piraterie et celle de la traite des nègres. Ce sont là des matières qui n’ont plus guère d’importance pratique. D’ailleurs, la compétence du Conseil des prises n’a jamais été pour elles exclusive. Elles ont toujours pu être également déférées aux tribunaux de répression, spécialement aux cours d’assises. Dans les cas peu nombreux où depuis un demi-siècle elles ont motivé des décisions judiciaires, c’est devant les tribunaux de ce dernier ordre que le parquet les avait portées.

La tâche normale du Conseil, c’est le jugement des prises maritimes. Toutes ne lui reviennent pas. Celles qui sont faites sur la marine de guerre de l’ennemi lui échappent. Notre flotte nationale les effectue sous l’autorité exclusive du ministre de la Marine, et celui-ci est seul compétent pour dire si elles ont été valablement opérées. Mais relèvent du Conseil les prises faites sur la marine de commerce, qu’il s’agisse de la capture d’un bâtiment, de celle de sa cargaison, ou des deux à la fois. Notons que ce n’est pas seulement sur des navires de commerce ennemis qu’elles peuvent porter, mais aussi, en cas de contrebande de guerre, sur les navires de commerce neutres, voire nationaux ou alliés, et sur leurs cargaisons.

Encore faut-il qu’elles soient maritimes. Ce caractère appartient aux prises faites en haute mer, dans les eaux territoriales ou dans les ports de mer. Il n’appartient pas aux prises faites en rivière, ou dans un lac. Le Conseil des prises a eu récemment à appliquer ce principe et celui qui précède dans le cas de la chaloupe allemande Rohlfs.

Dans le domaine qui vient d’être défini, la compétence du Conseil comporte encore une réserve. Son intervention n’est obligatoire que si le ministre de la Marine croit devoir conserver la prise. Expliquons-nous. Un navire de guerre français a capturé un bâtiment de commerce étranger et l’a conduit dans un de nos ports. Si le ministre estime que cela a été fait sans droit, il peut de lui-même ordonner que la prise sera relâchée. S’il estime au contraire que la capture a été correctement opérée, il ne peut pas le décider personnellement. C’est au Conseil des prises seul qu’il appartient de le faire. En d’autres termes, une décision de ce Conseil est indispensable pour toute validation de prise.

Une fois saisi par le ministre, que peut décider le Conseil ? Ou bien il confirme la prise, ou bien il l’infirme. Mais, dans l’un et l’autre cas, des questions accessoires se posent, qui sont d’importance. Si la prise est maintenue, à qui en revient le bénéfice ? Au temps où il y avait des corsaires, c’était naturellement le capteur qui profitait de cette confirmation. Mais aujourd’hui que la marine nationale opère seule, quel émolument lui en reviendra-t-il ? Longtemps on l’a traitée sur le même pied que les corsaires. Les prises faites par elle et validées lui profitaient directement. Le navire ou la cargaison saisis étaient vendus, et le prix en était partagé entre les commandans, état-major et équipage du bâtiment capteur, suivant des règles complexes, minutieusement tracées dans des décrets. La règle s’introduisit, ensuite, d’opérer sur ce prix un prélèvement de trente pour cent, au profit de la Caisse des invalides de la marine. On associait ainsi la collectivité des marins au bénéfice du succès de quelques-uns. Actuellement, on va plus loin. On pense que la récompense à donner à des officiers et à des hommes de la marine nationale, qui ont fait une capture, ne peut pas consister en une prime pécuniaire. C’est pour consacrer cette idée que le gouvernement a récemment, le 6 mai 1915, déposé sur le bureau de la Chambre des députés un projet de loi, qui supprime les « parts de prise » attribuées jusqu’ici aux capteurs. D’après ce projet, le produit de la vente des prises maritimes entrerait dans le trésor public. Un tiers en serait réservé, pour constituer un fonds de secours au profit de tous les marins victimes de la guerre actuelle, de leurs veuves et de leurs orphelins. Le projet se termine par un article portant que ce régime nouveau s’appliquera à toutes les prises faites depuis le début de la guerre actuelle. En prévision de son adoption, on a différé la répartition de leur prix. Si cet article final est admis par le Parlement, il aura créé un cas nouveau, assez curieux, de rétroactivité législative.

Voyons maintenant le cas où la prise est infirmée. La décision du Conseil des prises s’impose (sauf appel) à l’administration, qui doit restituer le bâtiment ou la cargaison confisqués. Mais ce n’est pas tout. Le propriétaire de ce bâtiment ou de cette cargaison peut se plaindre de ce qu’on ait sans droit saisi ses biens. L’arrêt de son navire ou de sa marchandise aura pu, en effet, lui faire manquer des opérations avantageuses. Dans ce cas, il a toujours été admis que le Conseil des prises pouvait condamner l’État à payer une indemnité. Il ne le fait, toutefois, que s’il n’y avait pas une raison qui motivât suffisamment la capture provisoire. Tel serait le cas, par exemple, si le navire capturé n’avait pas ses papiers de bord en règle. D’autre part, si le ministre de la Marine a ordonné la relaxe spontanément, le capturé ne saurait directement demander au Conseil des prises de lui accorder une indemnité. Car le Conseil ne peut être saisi que par le ministre, et pour une prise dont celui-ci poursuit la confirmation.

Telles étaient les attributions, — en quelque sorte classiques, — du Conseil des prises, lorsque, au cours de la présente guerre, le décret du 13 mars 1915 est venu lui en donner une nouvelle. Le gouvernement allemand avait déclaré les eaux de la Manche (nous citons maintenant les termes du rapport qui précède ce décret) « zone militaire dans laquelle tous les navires marchands alliés seraient détruits sans égard pour la vie des équipages et des passagers non combattans, et dans laquelle la navigation neutre serait exposée aux mêmes dangers. » En réponse, l’Angleterre et la France se mirent d’accord pour « empêcher toutes espèces de marchandises d’atteindre ou de quitter l’Allemagne, toutefois… sans aucun risque pour les navires neutres ou pour la vie des personnes. » Le décret du 13 mars décida donc que nos croiseurs arrêteraient en mer les marchandises appartenant à des sujets allemands, ou venant d’Allemagne, ou expédiées sur l’Allemagne. Les marchandises ainsi saisies sont débarquées dans un port français. L’État français ne prétend point les capturer pour son compte, mais il les empêche d’arriver à leur destination, pour entraver le commerce allemand. Si elles appartiennent à des sujets allemands, elles sont vendues, et le prix en est consigné jusqu’à la signature de la paix. Si elles appartiennent à des neutres, elles peuvent leur être restituées. Le Conseil des prises est chargé de statuer sur leur sort. En lui confiant cette tâche nouvelle, le gouvernement a sans doute pensé que son intervention était de nature à rassurer les neutres contre toute crainte d’arbitraire.


iv

Pour qu’il puisse remplir utilement la mission qui lui incombe et qui vient d’être définie, le Conseil des prises doit renfermer des élémens assez variés. En vertu du décret du 9 mai 1859, il a un conseiller d’État pour président et comprend en outre six membres, dont deux choisis parmi les maîtres des requêtes au Conseil d’État. L’usage s’est établi d’en prendre deux parmi les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, et deux aussi parmi les officiers généraux de la Marine. De la sorte, on y trouvera réunies des compétences juridiques, diplomatiques et nautiques. On a pensé peut-être que, dans les délibérations du Conseil, les habitudes d’esprit que ses différens membres apporteront chacun de sa carrière pourront se faire contrepoids. Si les marins, a-t-on dit, inclinent à valider la prise que leurs camarades ont faite, les diplomates habitués à négocier et à transiger inclineront à la relâcher, et entre ces deux partis opposés les jurisconsultes feront prévaloir la solution du droit pur… À côté des membres, siège un commissaire du gouvernement, pris parmi les maîtres des requêtes qui occupent la même fonction près le Conseil d’État au contentieux. Le Conseil des prises possède enfin un secrétaire-greffier, choisi parmi les chefs de service du Conseil d’État, ainsi qu’un secrétaire-adjoint. Il est bien visible, en somme, que dans sa composition prévaut l’élément venu du Conseil d’État.

Le lien de ces deux corps se marque même extérieurement. C’est dans les locaux du Conseil d’État que siège le Conseil des prises. La première séance qu’il ait tenue depuis la guerre eut lieu, le 22 août 1915, au Palais-Royal, dans l’ancienne « salle à manger du Régent », affectée de nos jours au Tribunal des conflits. Puis il a suivi les pouvoirs publics à Bordeaux, où il s’est réuni du début de septembre à la fin de décembre, à la salle Vauban, devenue le siège temporaire du Conseil d’État. Enfin, depuis janvier 1915, il a repris ses débats au Palais-Royal, cette fois dans la salle de travail affectée aux membres de la section du contentieux du Conseil d’État. Ses séances ont été, dans les douze premiers mois de la guerre, au nombre de trente. Elles se tiennent à des dates variées, suivant l’état des affaires à juger. C’est d’ordinaire le matin qu’elles ont lieu, de neuf heures à midi ; mais on a vu des délibérations se prolonger jusqu’à une heure après midi, ou se continuer le lendemain. Ses séances se font entièrement à huis clos, toute la procédure étant écrite. Nous ne croyons pas trahir un secret, en disant que tous ceux qui composent le Conseil apportent un grand zèle dans cette tâche et collaborent effectivement à chaque décision. Leurs fonctions, d’ailleurs, sont aujourd’hui purement gratuites. La procédure en usage peut se résumer comme suit. Pour chaque prise, après les opérations effectuées en mer, intervient une première instruction faite au port où le bâtiment capturé a été conduit. Les pièces en sont transmises au ministre de la Marine, qui peut ordonner la relaxe. Dans le cas contraire, il envoie le dossier au Conseil des prises. À partir de son arrivée au secrétariat, ce dossier y reste un mois à la disposition des avocats des capturés. Il est ensuite envoyé à un rapporteur pris parmi les membres du Conseil, au commissaire du gouvernement et au président. À l’expiration d’un second mois, au plus tard, la décision doit intervenir. À la séance où l’affaire est appelée, le commissaire du gouvernement fait connaître les conclusions du ministre dont le Conseil est saisi, ainsi que les siennes ; le rapporteur expose l’affaire ; puis chacun d’eux reprend la parole, le commissaire pour formuler, s’il le veut, des observations personnelles, et le rapporteur pour lire le projet de décision qu’il a préparé. Suit une délibération qui ne laisse pas d’ordinaire d’être animée. La décision n’est pas l’objet d’une lecture publique, mais elle est transmise au ministre de la Marine, qui en assure ensuite l’insertion au Journal Officiel.

Cette procédure donne de sérieuses garanties aux intéressés. Les propriétaires des bâtimens ou des marchandises capturés sont informés de l’arrivée du dossier au secrétariat du Conseil des prises, d’abord par un avis général inséré au Journal Officiel, puis par des lettres individuelles, lorsqu’il s’agit de neutres et que leurs adresses sont connues. Ils n’ont pas, il est vrai, la faculté de venir s’expliquer eux-mêmes devant le Conseil, ni même de lui envoyer personnellement des notes écrites. Mais ils peuvent s’y faire représenter par des avocats au Conseil d’État, qui y déposeront des mémoires en leur nom. En outre, si ces propriétaires sont des neutres (ou a fortiori des alliés), leurs consuls peuvent adresser au Conseil des justifications en leur faveur. Enfin, une voie de recours leur est ouverte contre les décisions du Conseil. Cette faculté est réciproque, car elle appartient aussi au ministre de la Marine. Les conditions dans lesquelles elle s’exerce méritent d’être ici précisées.

L’appel des décisions du Conseil des prises est porté devant le Conseil d’État. Mais ce n’est pas, comme on le croit parfois, devant le Conseil d’État statuant au contentieux. C’est devant le Conseil d’État siégeant en assemblée générale administrative, et sur le rapport de sa section de législation, de la justice et des affaires étrangères. Plus exactement même, c’est devant le chef de l’État statuant le Conseil d’État entendu. Car c’est au Président de la République qu’il appartient de prendre la décision par décret, le Conseil d’État ne donnant cette fois qu’un avis, et ne rendant point un arrêt. Pourquoi a-t-on admis cette façon de procéder ? La raison en est, que des considérations diplomatiques peuvent ici intervenir. Par exemple, une capture peut avoir été validée par le Conseil des prises, parce qu’elle a été faite conformément au droit en vigueur, et pourtant il peut être opportun au point de vue des intérêts nationaux de la rendre, afin de ménager une Puissance neutre ou de reconnaître ses bons offices[3]. Dans une semblable hypothèse, si le recours était porté devant le Conseil d’État statuant au contentieux, il ne pourrait qu’être rejeté, car celui-ci ne doit s’inspirer que de la légalité et non de l’opportunité ; tandis que ce même recours, porté devant le Président de la République, a des chances d’être accueilli, sur l’avis même du Conseil d’État en assemblée générale administrative, car cette dernière assemblée, à l’inverse de la précédente (et bien qu’elle soit en partie composée des mêmes membres), se préoccupe de l’opportunité autant que de la légalité. L’appel, dans ces conditions, ressemble à quelques égards à un recours en grâce. La décision, par laquelle le chef de l’État ordonne la restitution d’un navire « condamné » par le Conseil des prises, rappelle dans une certaine mesure celle par laquelle il commue la peine d’un particulier condamné par les tribunaux de répression. L’analogie pourtant n’est que partielle. Le recours en matière de prises maritimes reste, dans ses traits essentiels, un appel véritable. Les parties peuvent, là encore, faire présenter des mémoires par des avocats au Conseil d’État. La décision du Président de la République, si elle prononce la relaxe, annule la décision du Conseil des prises, ce que ne ferait pas une simple mesure de grâce. — La nature de ce droit d’appel s’explique par son origine historique. Il est, ce nous semble, le dernier reste, dans notre organisation actuelle, de la « justice retenue » que connaissait l’ancien régime. On sait que le roi de France rendait primitivement lui-même la justice à tous ceux qui venaient la lui demander. Plus tard, vu l’extension de ses domaines et la multiplication des causes, il dut déléguer à des subordonnés le soin de la rendre en première instance ; mais il retint pour lui-même la faculté de statuer en appel, et il l’exerçait en son Conseil d’État. Cette juridiction retenue disparut, pour les matières civiles, avec la Révolution. Pour les matières pénales, il n’en subsiste plus que le droit de grâce. Quant aux questions administratives, elle dura jusqu’en 1870, car sous le second Empire encore c’était par des décrets en Conseil d’État qu’il était statué sur le contentieux administratif en dernier ressort. Depuis 1870, seuls l’appel comme d’abus et l’appel des prises gardaient cette forme. L’appel comme d’abus a disparu avec la séparation des Églises et de l’État. L’appel des prises demeure donc, en sa forme archaïque, — et parfaitement justifiable ici, — l’unique survivance d’un lointain passé.

À cette juridiction d’appel il avait été question d’en superposer une autre. Au début du xxe siècle, on exprimait souvent le vœu qu’une cour internationale fût établie, pour statuer en dernière instance sur les questions de prises d’abord tranchées par les juridictions nationales, lesquelles existent dans les divers pays à l’image de notre propre Conseil des prises. On espérait arriver par-là à unifier les règles admises en matière de capture maritime par les nationalités distinctes, et aussi réduire, grâce à la présence dans cette cour internationale de juges pris parmi les neutres, le nombre des cas où la saisie serait validée. La question fut portée par les gouvernemens devant la deuxième conférence internationale de la paix, tenue à La Haye en 1907. Ses débats aboutirent sur ce point à la confection d’un texte spécial. La douzième des conventions établies par la conférence était en effet relative à l’établissement d’une cour internationale des prises. Elle porte la date du 18 octobre 1907. La France fut une des Puissances qui la signèrent immédiatement. Son exemple ne fut point suivi par plusieurs autres grands États. Leurs vues sur ces questions étaient trop divergentes, et ils ne voulaient pas renoncer à la souveraineté de leurs juridictions propres. Aussi la Cour internationale ne put-elle être constituée. Le texte élaboré à La Haye sur ce point est donc resté sans application, et les prises opérées par la marine française continuent, — par le fait d’autrui, — à n’être soumises qu’à des juridictions françaises.


v

Nous savons maintenant ce qu’est le Conseil des prises, et nous avons vu qu’il se distingue de tous les autres tribunaux de notre pays par bien des traits caractéristiques : il ne se réunit qu’à l’occasion de faits de guerre, il se compose d’élémens hétérogènes, il siège entièrement à huis clos, on ne peut déférer ses décisions qu’au chef de l’État. Une dernière singularité qu’il présente tient aux principes qu’il doit mettre en œuvre. Les juridictions civiles, commerciales, répressives, ont des codes à appliquer. Les juridictions administratives, à défaut de codes, se fondent du moins sur des lois. Le Conseil des prises, lui, n’a cette ressource qu’exceptionnellement. En effet, le législateur n’est presque jamais intervenu en notre matière. Ce ne sont donc guère que des décrets qui l’ont réglementée. Ils sont nombreux, mais assez peu cohérens, ayant été faits à des dates très éloignées, sous des régimes fort différens, en raison de besoins variés et parfois contraires. Les plus récens n’ont pas toujours abrogé les plus anciens, mais souvent l’abrogation implicite résulte pour ceux-ci de l’impossibilité où l’on serait de concilier leur application avec l’état de choses actuel. On conçoit que l’embarras du juge soit parfois assez grand au milieu de cet amoncellement de textes non coordonnés. Il s’aggrave du fait que les décrets ne sont pas les seules sources du droit que le Conseil a à consulter. En dehors des textes français, il doit en effet s’inspirer de textes internationaux, déclarations ou conventions adoptées dans des congrès ou des conférences diplomatiques, et qui lient les Puissances co-contractantes, lorsqu’elles ont été dûment ratifiées par leurs autorités souveraines respectives. Il doit même parfois appliquer des textes purement étrangers, par exemple lorsqu’il a à apprécier les relations qui unissent, d’après leur loi nationale, deux parties momentanément soumises à sa juridiction. Il doit encore tenir compte des usages nautiques généralement suivis, tirer parti de la jurisprudence adoptée par ses devanciers français des siècles antérieurs, ne pas négliger celle des tribunaux de prises étrangers, particulièrement quand ce sont ceux de Puissances alliées, enfin respecter en toutes circonstances l’équité. Les inspirations qu’il puisera dans ces diverses sources ne seront pas toujours d’accord entre elles.

Rappelons ici sommairement les plus importans de ces textes. L’ancien régime nous a légué le règlement du 26 juillet 1778, où l’on trouve encore aujourd’hui le principe qu’un navire ennemi ne peut échapper à la capture par une vente fictive au profit d’un neutre. La Révolution a posé, dans une décision de la Convention (c’est-à-dire dans une loi) du 18 vendémiaire an ii, la règle toujours applicable que, lorsque des marins français prisonniers à l’étranger s’évadent, les bateaux enlevés par eux sont de bonne prise à leur bénéfice. Elle avait, nous l’avons dit, institué le Conseil des prises par des arrêtés consulaires des 6 germinal an viii et 2 prairial an xi, remplacés depuis lors par les décrets des 9 mai 1859 et 28 novembre 1861.

À partir du milieu du xixe siècle, ce sont les textes internationaux qui deviennent les plus importans. La déclaration du Congrès de Paris, du 16 avril 1856, promulguée en France par décret du 28 avril, n’a pas cessé de constituer la principale base du droit moderne des prises. Nous avons indiqué déjà l’œuvre de la seconde conférence de la paix, tenue à La Haye en 1907. Elle a abouti à la rédaction de treize conventions. Certaines de celles-ci sont étrangères à la guerre maritime. Parmi celles qui lui sont relatives, l’une, comme on l’a vu, prévoyait l’institution d’une cour internationale des prises, mais n’a point pu recevoir d’exécution. Quatre autres sont à signaler : la sixième, qui traite du régime des navires de commerce ennemis au début des hostilités ; la dixième, qui adapte à la guerre maritime les principes de la convention de Genève ; la onzième, qui apporte certaines restrictions à l’exercice du droit de capture, en faveur des correspondances postales et de diverses catégories de navires particulièrement dignes d’intérêt ; la treizième, concernant les droits et devoirs des Puissances neutres en cas de guerre maritime. Il va de soi qu’elles lient seulement les Puissances qui les ont ratifiées ; et celles-ci ont pu refuser leur ratification, ou bien, en la donnant, ont pu en excepter certains articles, par lesquels elles ne sont dès lors point obligées. Mais par une juste réciprocité, les Puissances, qui ont ratifié ces conventions, ne sont pas tenues de les observer à l’égard de celles qui ont refusé leur ratification ; si ce refus est partiel, les premières ne sont pas liées vis-à-vis des secondes sur les points exceptés par celles-ci. Nous verrons bientôt une application de cette règle juridique. Disons seulement ici que les quatre conventions précédentes ont été ratifiées en France par décret du 2 décembre 1910. — Enfin, rappelons que la conférence navale de Londres, tenue en 1908-1909, a terminé ses travaux par une très importante déclaration relative au droit de la guerre maritime. Cette déclaration, en date du 26 février 1909, s’est efforcée de fixer, sur les principales questions de ce droit, les usages internationaux. Elle ne comprend pas moins de 71 articles, répartis en neuf chapitres, relatifs respectivement au blocus, à la contrebande de guerre, à l’assistance hostile, à la destruction des prises neutres, au transfert de pavillon, au caractère ennemi (du navire ou de la marchandise), au convoi, à la résistance à la visite, aux dommages et intérêts. Ce serait un véritable code des prises. Malheureusement, il y manque les ratifications des principales Puissances. Mais, peu après le début de la guerre actuelle, le gouvernement français a, pour son compte, par décret du 25 août 1914, rendu cette déclaration de Londres applicable dans notre pays, pendant les hostilités et sous certaines réserves limitativement énumérées.

Au cours du xixe siècle, il est assez souvent arrivé que notre gouvernement, par une notification publique, fixât au commencement d’une guerre les principes que la marine nationale devrait suivre en matière de prises. On cite notamment à cet égard la déclaration du 25 juillet 1870. — Depuis cette date, le ministre de la Marine a plusieurs fois envoyé des instructions générales sur ces questions au personnel placé sous ses ordres. Les dernières, qui sont en date du 19 décembre 1912, ont été publiées officiellement. Elles portent le titre de « Instructions sur l’application du droit international en cas de guerre, adressées par le ministre de la Marine à MM. les officiers généraux, supérieurs et autres, commandant les forces navales et les bâtimens de la République. » Elles comportent un plus grand développement que toutes les précédentes et forment 166 articles. Elles ne lient d’ailleurs que les subordonnés du ministre, mais non point le juge des prises. — Celui-ci est lié, au contraire, par les dispositions de décrets postérieurs : car ils émanent, non plus de l’autorité ministérielle, mais de l’autorité du Président de la République, qui est ici investi du pouvoir réglementaire. Depuis l’ouverture des hostilités actuelles, il a plusieurs fois été fait usage de ce pouvoir. Avant même le décret du 25 août 1914, dont nous venons de parler, étaient intervenus ceux du 4 et du 13 août, relatifs aux navires de commerce allemands et austro-hongrois se trouvant dans nos ports. On met sur le même rang les notifications du gouvernement relatives aux articles considérés comme contrebande de guerre, parues au Journal officiel les 11 août, 3 octobre, 7 novembre 1914, 2-3 janvier, 12 mars, 29 mai, 22 août, 14 octobre 1915. Et précédemment l’on a trouvé l’analyse sommaire du décret du 13 mars 1915, ayant pour but d’entraver le commerce maritime de l’Allemagne. Ainsi les textes français applicables aux prises sont aujourd’hui des plus abondans. Leur multiplicité même est une des causes qui rendent cette législation, au su des jurisconsultes, entre toutes complexe et délicate à appliquer.


vi

De cet amas de textes si variés, essayons de dégager les principes généraux qui régissent aujourd’hui le droit de prise, et que doit appliquer la juridiction qui lui est spéciale. Essayons aussi de les exposer dans un ordre logique, dont ces textes n’ont point eu souci.

Le droit de prise, actuellement encore, s’exerce sur mer à l’encontre de l’ennemi. C’est dire qu’il peut porter, soit sur les navires, soit sur les cargaisons qui appartiennent à celui-ci. Mais, en outre, il est des cas où il s’exerce à l’encontre du neutre, lorsque ce dernier se comporte en ennemi. Pour définir ce qui est saisissable, nous avons donc à envisager successivement le cas du navire ennemi, celui du navire neutre, celui de la cargaison ennemie, celui de la cargaison neutre.

1o Navire ennemi. — La nationalité du navire se détermine par le pavillon qu’il a le droit de porter. Ce droit ne peut pas être fixé en une formule simple, les diverses législations ayant adopté des règles assez divergentes pour préciser les conditions auxquelles elles subordonnent la faculté d’arborer le pavillon national. En général, dans les papiers de bord, on doit trouver la preuve que le navire a droit au pavillon sous lequel il navigue. Il y a lieu de prévoir le cas où il y aurait eu transfert d’un navire ennemi sous pavillon neutre. Pour que ce transfert soit valable au point de vue qui nous intéresse, c’est-à-dire pour qu’il fasse échapper ce navire à la confiscation, il faut, en principe, qu’il ait lieu avant l’ouverture des hostilités. C’est l’idée que formulait déjà le règlement du 26 juillet 1778, dans son article 7. C’est aussi celle qui inspire la déclaration de Londres, dans ses articles 55 et 56. Le premier de ceux-ci porte même que ce transfert de pavillon est nul, quoique effectué avant l’ouverture des hostilités, s’il avait pour but d’éluder les conséquences qu’entraîne le caractère de navire ennemi. Et, inversement, le second permet de maintenir le transfert, postérieur à l’ouverture des hostilités, s’il est établi qu’il n’a pas eu le même but.

Certains navires, quoique de nationalité ennemie, échappent à la confiscation. Ce sont d’abord, en vertu de la dixième convention de La Haye, les navires-hôpitaux ; puis, en vertu de la onzième convention, les bateaux exclusivement affectés à la pêche côtière ou à des services de petite navigation locale, et, d’autre part, les navires chargés de missions religieuses, scientifiques ou philanthropiques. Cette dernière convention soustrait à la saisie la correspondance postale trouvée en mer, mais non pas les paquebots-poste. Il va de soi que les navires-cartels ou parlementaires sont insaisissables, et un sentiment d’humanité conseille d’étendre cette solution aux navires naufragés.

2o Navire neutre. — En principe, les navires neutres ne sont naturellement pas confiscables. Ils le deviennent cependant dans certains cas particuliers. Le premier est celui où ils se rendent coupables d’assistance hostile, c’est-à-dire d’aide à l’ennemi, soit qu’ils prennent une part directe aux hostilités, soit qu’ils transportent les troupes de l’ennemi ou transmettent des nouvelles dans son intérêt, soit même simplement qu’ils aient été affrétés par le gouvernement ennemi ou placés sous les ordres d’un de ses agens. Le second est celui où ils transportent de la contrebande de guerre, et nous dirons dans un instant en quoi celle-ci peut consister ; mais il faut pour cela que cette contrebande forme plus de la moitié de la cargaison, soit en valeur, soit en poids, soit en volume, soit en fret. Le troisième cas, où un navire neutre devient saisissable, est celui où il tente de forcer un blocus effectif. Le quatrième et dernier est celui où il essaie de résister à la visite du navire de guerre qui l’a rencontré. On trouvera, un peu éparses, dans la déclaration de Londres, les règles applicables à ces divers cas.

Nous ajouterons seulement que le navire neutre n’est pas seul à encourir la confiscation dans ces diverses hypothèses. Le navire allié ou national qui se rendrait coupable des mêmes délits subirait aussi cette peine.

3o Marchandise ennemie. — On appelle ainsi la cargaison ou partie de cargaison qui appartient à un ennemi. Elle est saisissable, si elle navigue sous pavillon ennemi. Mais, depuis bien longtemps, la marine française la respecte quand elle navigue sous pavillon neutre. C’est la règle célèbre : « le pavillon couvre la marchandise. » Les plénipotentiaires français l’ont fait triompher au Congrès de Paris, de 1856, et elle est devenue l’article 2 de la déclaration de ce Congrès, ainsi conçu : « Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l’exception de la contrebande de guerre. » — D’ailleurs, la marchandise est présumée ennemie quand elle navigue sous pavillon ennemi. La preuve contraire peut être faite, notamment au moyen des papiers de bord. Le mode normal de preuve est la production du connaissement qui doit accompagner la marchandise. — Il va de soi que, dans la cargaison d’un même bâtiment, certaines portions peuvent appartenir à des ennemis, et d’autres à des neutres. On applique alors distributivement à ces deux catégories les règles qui sont spéciales à chacune d’elles.

4o Marchandise neutre. — C’est celle qui appartient à un neutre. On a toujours admis qu’elle n’est pas saisissable sous pavillon neutre. En outre, l’Angleterre estimait qu’elle ne devait pas l’être, même sous pavillon ennemi. Ce principe a été accepté par le Congrès de Paris, et l’article 3 de la déclaration de celui-ci porte que « la marchandise neutre, à l’exception de la contrebande de guerre, n’est pas saisissable sous pavillon ennemi. »

Aujourd’hui, l’élargissement de la notion de contrebande de guerre fait admettre qu’on peut saisir des objets de contrebande appartenant à un neutre, même s’ils voyagent sous pavillon neutre.

Qu’est-ce donc que la contrebande de guerre ? C’est la marchandise qu’un belligérant peut utiliser pour sa campagne. En la lui apportant, un neutre sort de sa neutralité, il manque aux devoirs qu’elle lui impose, il rend ainsi son bien passible de saisie.

On distingue deux sortes de contrebande de guerre : la contrebande absolue et la contrebande conditionnelle. La première a, par nature, une destination belliqueuse : c’est le cas des armes, des projectiles, des poudres de guerre. La seconde consiste en objets qui peuvent servir à des usages civils, mais aussi à des usages militaires : c’est le cas des vivres, des fourrages, des vêtemens, des métaux précieux.

La déclaration de Londres a donné des listes des objets compris dans ces deux catégories, et elle a admis que ces listes pussent être complétées par des déclarations unilatérales des gouvernemens belligérans ; nous avons dit déjà que le gouvernement français a plus d’une fois usé de cette faculté au cours de la présente guerre. L’intérêt qu’il y a, pratiquement, à distinguer les deux catégories, est le suivant. Les objets de la première sont de bonne prise, s’ils sont saisis en mer alors qu’ils faisaient route vers un territoire ennemi ou occupé par les forces de l’ennemi. Au contraire, ceux de la seconde ne le sont, en principe, que si le capteur peut établir en outre qu’ils étaient destinées à l’usage des forces armées ou des administrations de l’ennemi : car, s’ils allaient à des particuliers, ils ne seraient sans doute point à usage belliqueux. Nous verrons pourtant que, dans la présente guerre, cette distinction a perdu de son intérêt par le fait de l’Allemagne. — Indiquons seulement, en terminant, que la Conférence de Londres n’a pas voulu que les propriétaires neutres vissent tout à coup saisir à leur détriment une marchandise qu’ils auraient embarquée avec des intentions innocentes. Elle a décidé que si un navire est rencontré en mer, naviguant dans l’ignorance des hostilités ou de la déclaration de contrebande applicable à son chargement, les articles de contrebande qu’il porte ne peuvent être confisqués que moyennant indemnité.

Dans ce qui précède, nous n’avons envisagé que la question de savoir sur quoi peut porter la capture. Mais il faut aussi indiquer qui peut y procéder, où et quand elle peut avoir lieu. Les navires de guerre, depuis la suppression de la course, ont seuls l’exercice de ce droit ; mais on leur assimile les croiseurs auxiliaires, navires de commerce incorporés, pour la durée des hostilités, dans la marine nationale. La capture peut être opérée soit en haute mer, soit dans les eaux territoriales des belligérans, mais non pas dans les eaux territoriales des neutres. Il serait concevable qu’elle pût avoir lieu depuis la déclaration de guerre jusqu’à la conclusion de la paix. Mais on estime équitable qu’au début de la guerre, des navires de commerce ennemis qui sont rencontrés en mer ignorant les hostilités ne puissent être capturés. La sixième convention de La Haye l’avait décidé, dans son article 3. L’Allemagne ne l’a ratifiée qu’en exceptant cet article. Aussi, par une nécessaire réciprocité, le gouvernement français a-t-il décidé, dans le décret du 4 août 1915, que les navires allemands ne pourraient se prévaloir de cet article pour échapper à la saisie. Toutefois, dans le même décret, il accordait aux bâtimens de cette nationalité qui se trouvaient dans les ports français un délai de sept jours pour en sortir librement et avec un laissez-passer.

Nous ne saurions nous expliquer ici longuement sur les opérations de la capture. Rappelons seulement que tout navire de commerce est soumis au droit d’arrêt et de visite, que peuvent exercer les bâtimens de guerre pour constater sa nationalité et s’assurer qu’il ne porte pas de contrebande. Ajoutons que, en France, les instructions du ministre de la Marine interdisent à ces bâtimens de relâcher moyennant rançon leurs prises. Indiquons enfin que celles-ci ne sauraient être détruites, aux termes de la déclaration de Londres, que si elles compromettent la sécurité du capteur, et après que celui-ci a assuré la vie sauve à leurs passagers en les prenant à son propre bord.
vii

Le Conseil des prises a eu, depuis le début des hostilités, mainte occasion d’appliquer les principes qui viennent d’être dégagés. Dans les douze premiers mois de la guerre, il s’est vu appelé à statuer sur vingt-sept prises maritimes, et en outre sur dix-huit saisies de marchandises faites en exécution du décret du 13 mars 1915. Parmi les affaires de prises, il en est plusieurs qui présentaient un intérêt pécuniaire considérable. Certaines d’entre elles n’ont pu recevoir une solution immédiate. L’une est celle du vapeur norvégien Heina, capturé à raison de l’assistance hostile qu’il avait prêtée ou tenté de prêter aux croiseurs allemands de l’Atlantique. Cette affaire a exigé un supplément d’instruction, qui vient d’aboutir à la confirmation de la prise. Une autre, qui avait quelque peu ému l’opinion publique, est celle du vapeur Dacia, originairement allemand, plus tard transféré sous le pavillon des États-Unis dans des conditions suspectes. Le nouveau propriétaire de ce bâtiment, citoyen américain, a sollicité deux remises successives, d’un mois chacune, pour produire complètement ses justifications. Sa demande de renvoi ayant été présentée par son gouvernement au nôtre, le Conseil des prises a cru devoir l’admettre. Mais finalement, toutes productions une fois faites, il a jugé la capture bonne et valable. Dans une troisième cause, celle du navire Persepolis, il a également accordé, sur la demande du gouvernement persan, deux remises successives, dont la seconde est en cours.

Dans toutes les autres affaires de prises, il a statué plus rapidement, quoiqu’il ait été parfois obligé de réserver certaines questions qui n’ont pu être tranchées avec le problème principal et ont dû faire l’objet d’une décision ultérieure. Nous n’analyserons pas sa jurisprudence sur les points où elle fait simplement application des principes contenus dans les textes et précédemment résumés. Mais nous relèverons ici certains points, sur lesquels elle a été amenée à lever elle-même des difficultés que ces textes n’avaient pas prévues.

Le vapeur espagnol Federico avait été capturé pour assistance hostile, comme ayant transporté en plusieurs voyages de nombreux sujets allemands ou austro-hongrois qui, habitant l’Espagne, rejoignaient leurs drapeaux. La décision qui valide cette saisie a résolu deux questions. D’une part, elle porte que la visite immédiate du navire confisqué ayant été empêchée par l’état de la mer, il avait pu correctement être conduit dans un port français pour qu’il y fût procédé à cette opération. D’autre part, elle admet que les passagers de ce navire devaient être regardés comme « incorporés » au sens de l’article 45 de la déclaration de Londres. Le rapport qui précède cette déclaration n’aurait pas conduit à cette conclusion. Mais la déclaration n’a pas par elle-même force exécutoire, n’ayant point été ratifiée par les Puissances intéressées. Son texte a simplement été mis en vigueur par le décret du 25 août 1914, acte unilatéral du gouvernement français. Dès lors, l’interprétation de ce texte ne doit pas être cherchée uniquement dans le rapport de la Conférence de Londres, mais il appartient au Conseil des prises lui-même de la donner, et il peut y tenir compte de toutes les circonstances de fait.

C’est également la considération de ces circonstances qui l’a conduit à résoudre la question de la contrebande de guerre d’une façon plus simple peut-être que les textes n’auraient permis de le prévoir. La déclaration de Londres distinguait entre la contrebande absolue et la contrebande conditionnelle ; nous avons montré plus haut le sens de cette distinction et ses conséquences. En présence d’objets de contrebande simplement conditionnelle, l’État capteur devait prouver, pour obtenir la validation de la saisie, que ces objets étaient destinés aux forces armées ou aux administrations de l’État ennemi. La façon dont ce dernier a conduit la guerre s’est trouvée faciliter cette preuve. Maintes fois, dès le début des hostilités, les connaissemens de ces objets étaient en blanc, ou à ordre, ce qui rendait aisé d’en faire passer le bénéfice à une personne non dénommée. Des cargaisons de vivres se rendaient, par exemple, à Rotterdam, d’où la convention du Rhin du 17 octobre 1868 permettait de les expédier sans contrôle en Allemagne. En ces hypothèses, la destination de la marchandise était fort suspecte. Elle le devint encore davantage, quand le gouvernement allemand eut assumé la direction du ravitaillement de toute la population civile de l’Empire. À partir de ce moment, si un objet de contrebande conditionnelle naviguait vers un port allemand, ou vers un port d’où il pouvait très facilement passer en Allemagne, et si en outre, après capture, il ne faisait l’objet d’aucune réclamation de la part d’un destinataire, ces faits durent être interprétés comme des indices suffisans de « culpabilité, » quand on ne trouvait pas la preuve contraire dans les papiers de bord. La distinction entre contrebande conditionnelle et contrebande absolue perdait ainsi la valeur admise par les textes. Et pourtant, le respect du Conseil des prises pour le droit des neutres est tel, qu’en des circonstances de cet ordre il a admis des solutions qui leur sont bien favorables. Dans l’affaire du vapeur hollandais Nieuw Amsterdam, la capture avait eu lieu, il est vrai, le 2 septembre 1914, mais à la date de la décision, le 19 février 1915, l’état de fait indiqué à l’instant existait pleinement. Le Conseil des prises a néanmoins admis la libération d’une cargaison de farine et de fourrages, en retenant l’offre de son propriétaire de faire contrôler par le consul de France à Amsterdam la distribution en Hollande de son contenu, si difficile à réaliser qu’un pareil contrôle pût paraître.

Le Conseil a encore plus d’une fois montré son libéralisme, en accordant la restitution au propriétaire d’objets de contrebande conditionnelle, ou une indemnité, s’ils avaient été vendus, dans des cas où ce propriétaire avait pu ignorer le caractère de ces objets. C’est ce qui a eu lieu notamment pour le vapeur roumain Jiul, pour le vapeur hollandais Insulinde, pour le vapeur italien Apollonia. Il l’a prouvé encore, dans une hypothèse où il avait à statuer sur la demande d’une compagnie de navigation. Celle-ci avait transporté, sur le vapeur hollandais Fortuna, des marchandises qui furent confisquées ; elle réclamait à l’État français le fret convenu pour ces marchandises ; le Conseil a admis qu’elle était fondée à le faire, et l’a renvoyée devant le ministre de la Marine pour y établir qu’elle n’avait pas touché ce fret par ailleurs et justifier de son montant.

On voit par ces exemples, qui pourraient être multipliés, avec quels égards notre juridiction des prises a traité les neutres. Mais il est juste d’ajouter que, vis-à-vis de nos adversaires eux-mêmes, elle n’a pas oublié les devoirs créés par l’humanité. Quand elle a validé la prise d’un bâtiment ennemi et de sa cargaison, elle n’a pas manqué d’ajouter que les objets formant la propriété personnelle de l’équipage seraient laissés ou remis à sa disposition. Quand une partie ennemie a manifesté l’intention de se défendre devant elle par ministère d’avocat, comme le fit par exemple la société allemande propriétaire du navire Czar Nicolai II, elle n’a point hésité à l’y autoriser. Dans l’un et l’autre cas, le Conseil des prises actuel ne faisait que suivre les traditions généreuses de ses devanciers. Il faut croire que les traditions n’existent pas partout au même degré, puisque dans les guerres navales précédentes, l’Angleterre n’admettait point le capturé ennemi à plaider. Certaines cours des prises britanniques l’ont fait dans la guerre actuelle, et c’est tout à leur honneur. Mais l’exemple de notre Conseil y est peut-être pour quelque chose.

Parmi les décisions du Conseil des prises, plusieurs ont été déférées en appel au Conseil d’État, qui n’a encore statué que sur une seule. Toutes sont soumises à la libre discussion des jurisconsultes du monde entier. Elles pourront être contestées, sur tel ou tel point. Quelle décision ne l’est jamais ? Ce qu’il sera difficile de nier, c’est le souci d’équité dont elles se sont toutes inspirées. En présence d’une législation exceptionnelle faite pour l’état de guerre, le Conseil des prises n’a point oublié la règle d’impartialité qui était celle de ses membres, dans les fonctions dont ils étaient investis pour le temps de paix. Si spéciales que fussent les circonstances au milieu desquelles ils avaient à remplir leur mission, ils y ont vu une mission de justice. La recherche du droit, dans chacun des litiges portés devant eux, a été leur seule préoccupation.


René Worms.
  1. A. de Pistoye et Ch. Duverdy, Traité des prises maritimes, 1859.
  2. Henri Barboux, Jurisprudence du Conseil des prises pendant la guerre de 1870-71.
  3. C’est ce qui est arrivé dans une affaire assez notoire, terminée en 1872. Le navire La Palme appartenait à une mission évangélique établie en Suisse. Le pavillon fédéral ne pouvant être arboré en mer, ce navire faisait route sous un pavillon allemand. Il fut capturé par un vaisseau français, et le Conseil des prises valida cette saisie. En appel, celle-ci fut invalidée par un décret rendu sur avis conforme du Conseil d’État. L’avis portait que la décision du Conseil des prises était justifiée en droit, mais qu’il y avait lieu pourtant de restituer la prise, pour reconnaître les services rendus par la Suisse à notre pays pendant la guerre de 1870-71.