LA JEUNESSE


DE


MADAME DE LONGUEVILLE.




I.
MADEMOIELLE DE BOURBON AUX CARMELITES.




J’ai essayé, il y a quelques mois, de faire connaître ici[1] dans Mme de Longueville l’héroïne ou, si l’on veut, l’aventurière de la Fronde, se précipitant dans tous les hasards et dans toutes les intrigues pour servir les intérêts et les passions d’un autre, et je l’ai laissée vaincue, désabusée, l’ame à la fois blessée et vide, et commençant à regarder du seul côté qui ne trompe point, le devoir et Dieu. Aujourd’hui, au lieu de la suivre dans le progrès de sa conversion, je voudrais remonter dans sa vie jusqu’avant la Fronde, et même avant le mariage inégal que lui imposa sa famille et qui fut la source de ses fautes et de ses malheurs ; je voudrais peindre la jeunesse de Mme de Longueville, montrer Mlle de Bourbon dans ses jours d’innocent éclat, mais portant en elle toutes les semences d’un avenir orageux ; naissant dans une prison et en sortant pour monter presque sur les marchés d’un trône, entouré, de bonne heure des spectacles les plus sombres et de toutes les félicités de la vie, belle et spirituelle, fière et tendre, ardente et mélancolique, se voulant ensevelir à quinze ans dans un cloître, et une fois jetée malgré elle dans le monde s’y laissant enivrer de ses succès, devenant l’ornement de la cour de Louis XIII et de l’hôtel de Rambouillet, effaçant déjà les beautés les plus accomplies par le charme particulier d’une douceur et d’une langueur ravissante, prêtant l’oreille aux doux propos, mais pure et libre encore, et s’avançant, ce semble, vers la plus belle destinée, sous l’aile d’une mère telle que Charlotte de Montmorency, à côté d’un frère tel que le duc d’Enghien.

Je conviens que ce tableau d’une jeunesse brillante mais heureuse, sans aventures et sans taches, pourra sembler un peu fade à des lecteurs accoutumés au grand fracas et aux péripéties violentes des romans à la mode. Pour les dédommager, je pourrai leur offrir un jour un autre tableau d’un goût plus relevé. Après la jeune fille grandis, grandissant innocemment entre la religion et les muses, comme on disait autrefois ; je leur ferai voir, s’ils le désirent, la jeune femme paraissant à son tour dans l’arène, de la galanterie, semant autour d’elle les conquêtes et les querelles, et devenant le sujet du plus illustre de ces grands duels qui pendant tant d’années ensanglantèrent la Place-Royale et ne s’arrêtèrent pas même devant la hache implacable de Richelieu. Ce seraient là des scènes suffisamment animées ; mais, en attendant la tragi-comédie, souffrez, s’il vous plaît, la pastorale. C’était alors un intermède obligé, et je vous supplie de prendre un moment avec moi le goût et les mœurs du XVIIe siècle.

Anne Geneviève de Bourbon vint au monde le 28 août, 1619, dans le donjon de Vincennes, où, son père et sa mère étaient prisonniers depuis trois ans.

Sa mère était Charlotte-Marguerite de Montmorency, petite-fille du grand connétable, et selon, d’unanimes témoignages la plus belle personne de son temps. Éblouissante dans sa première jeunesse, elle avait conservé jusque dans l’âge mûr une beauté remarquable. Indépendamment de ses nombreux portraits, nous en avons deux descriptions fidèles, l’une du cardinal Bentivoglio, qui la connut et l’aima, dit-on, à Bruxelles, où il était nonce apostolique en 1609, lorsqu’elle avait à peu près seize ans ; l’autre de la main de Mme de Motteville, qui l’a dépeinte telle qu’elle la vit plus tard à la cour de la reine Anne« Elle avoit le teint, dit Bentivoglio[2], d’une blancheur extraordinaire, les yeux et tous les traits pleins de charme, des graces naïves et délicates dans ses gestes et dans ses façons de parler, et toutes ses différentes qualités se faisoient valoir les unes les autres, parce qu’elle n’y ajoutoit aucune des affectations dont les femmes ont accoutumé de se servir. » Mme de Motteville s’exprime ainsi[3] : « Parmi les princesses, celle qui en étoit la première avoit aussi le plus de beauté, et sans jeunesse elle causoit encore de l’admiration à ceux qui la voyoient. . Je veux servir de témoin que sa beauté étoit encore grande quand, dans mon enfance, j’étois à la cour, et qu’elle a duré jusqu’à la fin de sa vie. Nous lui avons donné des louanges pendant la régence de la reine, à cinquante ans passés, et des louanges sans flatterie. Elle étoit blonde et blanche ; elle avoit les yeux bleus et parfaitement beaux. Sa mine étoit haute et pleine de majesté, et toute sa personne, dont les manières étaient agréables, plaisoit toujours, excepté quand elle s’y opposoit elle-même par une fierté rude et pleine d’aigreur contre ceux qui osoient lui déplaire. » Lorsqu’elle parut à quinze ans à la cour d’Henri IV, elle tourna la tête au vieux roi. Il la maria à son neveu le prince de Condé, avec l’arrière espérance de le trouver un mari commode ; mais celui-ci, fier et amoureux, entendit bien avoir épousé pour lui-même la belle Charlotte ; et, voyant le roi s’enflammer de plus en plus, il ne trouva d’autre moyen de se tirer de ce pas difficile que d’enlever sa femme et de s’enfuir avec elle à Bruxelles. On sait toutes les folies que fit alors Henri IV et à quelles extrémités il s’allait porter quand il fut assassiné en 1610.

Henri de Bourbon, prince de Condé, n’était point un homme ordinaire. Il devait beaucoup à Henri IV, et il en attendait beaucoup ; mais il eut le courage de mettre en péril l’avenir de sa maison en s’exilant volontairement et plus tard il se compromit de nouveau par sa résistance à la tyrannie sans gloire du maréchal d’Ancre, sous la régence. de Marie de Médicis. Arrêté en 1616, il ne sortit de prison qu’à la fin de 1619, et dès-lors il ne songea plus qu’à sa fortune. Né protestant, il avait embrassé le catholicisme par politique, à l’exemple d’Henri IV. Sa femme lui avait apporté une grande partie des immenses richesses des Montmorency. Il se soumit à Luynes et servit Richelieu. Il força son fils, le duc d’Enghien, à épouser une nièce du tout-puissant cardinal, qui venait de faire décapiter son beau-frère. Aussi avare qu’ambitieux ; il amassait du bien, il entassait des honneurs. À la mort de Richelieu, il devint le chef d u conseil, et déploya dans cette conjoncture difficile un heureux mélange de prudence et de fermeté. Il soutint la régence d’Anne d’Autriche et sauva la France des premiers périls de la longue minorité de Louis XIV. Il mérite une place dans la reconnaissance ; de la patrie pour lui avoir donné en quelque sorte deux fois le grand Condé en imposant à cette nature de feu, et toute, faite pour la guerre, la plus forte éducation militaire que jamais prince ait reçue, et en le préparant à pouvoir prendre à vingt et un ans le commandement en chef de l’armée sur laquelle reposaient en 1643 les destinées de la France.

Lorsque Henri de Bourbon, qu’on appelait M. le Prince, fut arrêté, il ne fit qu’une seule prière, que lui dictaient la jalousie et l’amour : il demanda qu’il fût permis à sa femme de partager sa prison. Charlotte de Montmorency avait à peine vingt et un ans, elle n’aimait pas son mari, et ils ne vivaient pas très bien ensemble ; mais, elle n’hésita point, et vint elle-même supplier le roi de lui permettre de s’enfermer avec son mari, en acceptant la condition de rester prisonnière tout le temps qu’il le serait : Cette captivité, d’abord très dure à la Bastille, puis un peu moins rigoureuse à Vincennes, dura trois années. La jeune princesse fut souvent malade ; elle eut plusieurs grossesses malheureuses, et accoucha d’enfans mort-nés[4]. Enfin, le 28 août 1619, entre minuit et une heure, elle mit au monde Anne-Geneviève. Il semble que la naissance de cet enfant porta bonheur à ses parens, car, quelques mois après, le maréchal d’Ancre ayant été massacré et Marie de Médicis exilée, le prince de Condé sortit de prison avec sa femme et sa fille, et reprit son rang et tous ses honneurs.

Anne-Geneviève de Bourbon passa donc bien vite du donjon de Vincennes à l’hôtel de Condé. C’est là que deux ans après, le 2 septembre 1621, il lui naquit le frère qui devait porter si haut le nom de Condé, Louis, duc d’Enghien, et plus tard, en 1629, un autre frère encore, Armand, prince de Conti. Celui-ci ne manquait pas d’esprit ; mais il était faible de corps, et même assez mal tourné. On le destina à l’église. Il fit ses études au collège de Clermont, chez les jésuites, avec Molière, et sa théologie à Bourges sous le père Deschamps. Il ne commença à paraître dans le monde que vers 1648, un peu avant la Fronde. Le duc d’Enghien, chargé de soutenir la grandeur de sa maison, fut élevé par son père avec la mâle tendresse dont nous avons déjà parlé, et dont les fruits ont été trop grands pour qu’il ne nous soit pas permis de nous y arrêter un moment.

M. le Prince ne donna pas de gouverneur à son fils : il voulut diriger lui-même son éducation, en se faisant aider par deux hommes d’élite, l’un pour les exercices du corps, l’autre pour ceux de l’esprit. Le jeune duc fit ses études chez les jésuites de Bourges avec le plus grand succès. Il y soutint avec un certain éclat des thèses de philosophie. Il apprit le droit sous le célèbre docteur Edmond Mérille. Il étudia l’histoire et les mathématiques, sans négliger l’italien, la danse, la paume, le cheval et la chasse. De retour à Paris, il revit sa sœur, et fut charmé de ses graces et de son esprit ; il se lia avec elle de la plus tendre amitié, qui plus tard essuya bien quelques éclipses, mais résista à toutes les épreuves, et après l’âge des passions devint aussi solide que d’abord elle avait été vive. À l’hôtel de Condé, le duc d’Enghien se forma dans la compagnie de sa sœur et de sa mère à la politesse, aux belles manières, à la galanterie. Son père le mit à l’académie sous un maître renommé, auquel il donna une absolue autorité sur son fils. Louis de Bourbon y fut traité aussi durement qu’un simple gentilhomme. Il eut à l’académie les mêmes succès qu’au collège, d’où il était sorti le plus capable de tous ceux qui y étaient avec lui. Laissons parler Lenet[5], véridique témoin de tout ce qu’il raconte :

« L’on n’avoit point encore vu de prince du sang eslevé et instruit de cette manière vulgaire ; aussi n’en a-t-on pas vu qui ait en si peu de temps et dans une si grande jeunesse acquis tant de savoir, tant de lumière et tant d’adresse en toute sorte d’exercices. Le prince son père, habile et éclairé en toute chose, crut qu’il seroit moins diverti de cette occupation, si nécessaire à un homme de sa naissance, dans l’académie que dans l’hostel ; il crut encore que les seigneurs et les gentilshommes qui y estoient et qui y entreroient pour avoir l’honneur d’y estre avec lui seroient autant de serviteurs et d’amis qui s’attacheroient à sa personne et à sa fortune. Tous les jours destinés au travail, rien n’estoit capable de l’en divertir. Toute la cour alloit admirer son air et sa bonne grace à bien manier un cheval, à courre la bague, à danser et à faire des armes. Le roi même se faisoit rendre compte de temps en temps de sa conduite, et loua souvent le profond jugement du prince son père en toute chose, et particulièrement en l’éducation du duc son fils, et disoit à tout le monde qu’il vouloit l’imiter en cela, et faire instruire et élever monsieur le Dauphin de la mesme manière… »

«… Après que le jeune duc eut demeuré dans cette escole de vertu le temps nécessaire pour s’y perfectionner, comme il fit, il en sortit, et, après avoir esté quelques mois à la cour et parmi les dames, où il fist d’abord voir cet air noble et galand qui le faisoit aymer de tout le monde, le prince son père fit trouver bon au roy et au cardinal de Richelieu, ce puissant, habile et austorisé ministre, qui tenoit pour lors le timon de l’estat, de l’envoyer dans son gouvernement de Bourgogne avec des lettres patentes pour y commander en son absence »

« Les troupes traversoient souvent la Bourgogne, et souvent elles y prenoient leurs quartiers d’hyver. Là le jeune prince, commença d’apprendre la manière de les bien establir et de les bien régler, c’est-à-dire à faire subsister des troupes sans ruiner les lieux où elles séjournent. Il apprit à donner des routes et des lieux d’assemblée, à faire vivre les gens de guerre avec ordre et discipline. Il recevoit les plaintes de tout le monde et leur faisoit justice. Il trouva une manière de contenter les soldats et les peuples ; il recevoit souvent des ordres du roy et des lettres des ministres ; il était ponctuel à. y respondre, et la cour comme la province voyoit avec estonnement son application dans les affaires. Il entroit au parlement quand quelques subjects importants y rendoient sa présence nécessaire ou quand la plaidoirie de quelque belle cause y attiroit sa curiosité. L’intendant de la justice n’expédioit rien sans lui en rendre compte ; il commençoit dès-lors, quelque confiance qu’il eust en ses secrétaires, de ne signer ni ordres ni lettres qu’il ne les eust commandés auparavant et sans les avoir vus d’un bout à l’autre… Ces occupations grandes et sérieuses n’empeschoient pas ses divertissemens, et ses plaisirs n’estoient pas un obstacle à ses études. Il trouvoit des jours et des heures pour toutes choses ; il alloit à la chasse ; il tiroit des mieux en voyant ; il donnoit le bal aux dames ; il alloit manger chez ses serviteurs ; il dansoit des ballets ; il continuoit d’apprendre les langues, de lire l’histoire ; il s’appliquoit aux mathématiques, et surtout à la géométrie et aux fortifications ; il traça et esleva un fort de quatre bastions à une lieue de Dijon, dans la plaine de Blaye, et l’empressement qu’il eust, de le voir achever et en estat de l’attaquer et de le deffendre, comme il fit plusieurs fois avec tous les jeunes seigneurs et gentilshommes qui se rendoient assidus auprès de luy, estoit tel qu’il s’y faisoit apporter son couvert et y prenoit la pluspart de ses repas. »

Ainsi préparé, le duc d’Enghien alla, pendant l’été de 1640, servir en qualité de volontaire dans l’armée du maréchal de la Meilleraye. Celui-ci voulait prendre ses ordres et avoir l’air au moins de dépendre de lui. Le jeune duc s’y refusa opiniâtrement, disant qu’il était venu, pour apprendre son métier, et qu’il voulait faire toutes les fonctions d’un volontaire, sans qu’on eût égard à son rang. Dans une des premières affaires, la Ferté-Senneterre fut blessé et eut son cheval tué d’un coup de canon. Le duc d’Enghien était si près de lui, que le sang du cheval lui couvrit le visage. Au siége d’Arras, on le vit partout à la tête des volontaires. Il se trouva à toutes les sorties que firent les assiégés ; il quittait très peu la tranchée ; il y couchait souvent et s’y faisait apporter à manger. Il y eut trois combats pendant ce siége. Le jeune duc se distingua dans tous. « Le grand cœur qu’il montra en toutes ces occasions, dit Lenet[6], la manière obligeante dont il traitoit tout le monde, la libéralité avec laquelle il assistoit ceux de ses amis qui en avoient besoin, les officiers et les soldats blessés, le secret qu’il gardoit en leur faisant du bien, firent augurer aux clairvoyans qu’il serait un jour un des plus grands capitaines du monde. »

C’est dans l’hiver de 1641 qu’on lui fit épouser Mlle de Brézé, nièce de Richelieu. Le duc d’Enghien fit tout ce qu’il put pour éviter cette alliance, qui répugnait à son cœur autant qu’à son ambition. Il avait jeté les yeux sur Mademoiselle, alors fille unique du duc d’Orléans, belle, jeune, riche et spirituelle. Déjà aussi il avait laissé pénétrer dans son ame un sentiment particulier pour une autre personne, qu’il finit par adorer. Il ne se rendit qu’après une longue résistance, et en protestant officiellement et par devant notaire[7] qu’il cédait à la force et à la déférence qu’il devait à la volonté de son père. Il en tomba malade et fut même en danger, quand tout à coup le bruit se répandit que la campagne allait s’ouvrir et que l’armée du maréchal de La Meilleraye marchait en Flandre pour s’emparer de la place forte d’Aire. Il apprend cette nouvelle convalescent et dans une si grande faiblesse qu’à peine pouvait-il quitter le lit.

« Il part en cet estat, dit Lenet[8], sans que les prières de sa famille, les larmes de sa maîtresse, ny le commandement du roy mesme le pussent déterminer à rester. Il apprit dans sa marche, estant à Abbeville, que le cardinal infant approchoit de la place assiégée pour en attaquer les lignes ; il quitte son carrosse, monte à cheval à l’heure mesme avec le duc de Nemours, son ami intime, et qui estoit un prince beau, plein d’esprit et de courage, que la mort lui ravict bientost après[9]. Il passe la nuit par Hesdin, si près des ennemis qu’on peut quasi dire qu’il traversa leur armée, et arriva heureusement dans le camp, qui le reçut avec un applaudissement et une joie qu’il seroit difficile d’exprimer. Cette fatigue, qui devoit faire craindre une rechute à un convalescent foible et exténué, luy redonna de nouvelles forces, et on le vit dès-lors s’exposer à tous les périls de la guerre ; il couchoit souvent dans la tranchée ; il y mangeoit, et il n’y avoit travail, tout advancé qu’il peust être, où on ne le vît aller comme un simple soldat… Au siège de Bapaume, le duc voulut finir la campagne comme il l’avoit commencée, c’est-à-dire se trouvant partout, et essuyant tous les hasards et tous les périls de la tranchée et des travaux avancés. Il ne fut pas possible de lui faire quitter l’armée tant qu’il crut qu’il y avoit quelque chose de considérable à entreprendre. »

Quelque temps après, il suivit le cardinal de Richelieu et le roi au siége de Perpignan. Il y fut blessé, et se couvrit de gloire, en sorte qu’il n’y eut pas le moindre étonnement lorsqu’en 1643, après la mort de Richelieu, Louis XIII, près de mourir aussi, en même temps qu’il établissait le prince de Condé chef du conseil, nommait le duc d’Enghien généralissime de la principale armée française destinée à défendre la frontière de Flandre, menacée par une puissante armée espagnole. Le duc d’Enghien n’avait pas vingt-deux ans. Un mois après, il gagnait la bataille de Rocroy, en attendant celles de Nortlingen et de Lens.

Tel était le frère ; la sœur n’était pas restée au-dessous des exemples de sa maison, et de son côté elle était rapidement parvenue, par son esprit et sa beauté, à une assez grande renommée.

Dès son enfance, les grandes leçons ne lui avaient pas manqué.

Elle avait huit ans en 1627, quand un des proches parens de sa mère, le brave Montmorency-Boutteville, eut la tête tranchée en place de Grève pour s’être battu en duel à la Place Royale contre le marquis de Beuvron, malgré l’édit du roi, laissant sous la protection de Mme la Princesse sa veuve et trois enfans en bas âge : Marie-Louise, depuis marquise de Valençay, Isabelle-Angélique, depuis duchesse de Châtillon, et François-Henri de Montmorency ; né après la mort de son père, et qui est devenu le duc maréchal de Luxembourg, l’un des plus fidèles amis et des meilleurs lieutenans de Condé.

Elle avait treize ans en 1632, lorsque le propre frère de sa mère, le duc de Montmorency, monta sur un échafaud à Toulouse pour s’être révolté contre le roi, ou plutôt contre Richelieu, sur la foi incertaine de Gaston duc d’Orléans. Cette terrible catastrophe, qui retentit d’un bout à l’autre de la France, remplit de deuil l’hôtel de Condé, et fit une impression profonde sur l’ame délicate et fière de Mlle de Bourbon. Elle en fut si troublée, que sa douleur, ajoutant à la piété, dans laquelle elle avait été nourrie, de nouvelles ardeurs, elle songea très sérieusement à quitter le monde et à se faire carmélite dans le grand couvent de la rue Saint-Jacques.

Quelle éducation religieuse Mie de Bourbon avait-elle donc reçue pour qu’une telle pensée lui soit venue à treize ou quatorze ans ? Comment connaissait-elle le couvent des Carmélites, et quels liens y avait-elle déjà formés qui l’y attiraient si puissamment ?

C’était le temps où l’esprit religieux, après avoir débordé dans les guerres civiles et enfanté les grands crimes et les grandes vertus de la Ligue, épuré mais non affaibli par l’édit de Nantes et la politique d’Henri IV, puisait dans la paix des forces nouvelles, et couvrait la France, non plus de partis ennemis armés les uns contre les autres, mais de pieuses institutions où les ames fatiguées s’empressaient de chercher un asile. Partout on réformait les ordres anciens ou on en fondait de nouveaux. Richelieu entreprenait courageusement la réforme du clergé, créait les séminaires, et au-dessus d’eux, comme leur modèle et leur tribunal, élevait la Sorbonne. Bérulle instituait l’Oratoire, César de Bus la Doctrine chrétienne. Les jésuites, nés au milieu du XVIe siècle, et qui s’étaient si promptement répandus en France, un moment décriés et même bannis pour leur participation à de coupables excès, reprenaient peu à peu faveur sous la protection des immenses services que leur héroïque habileté rendait chaque jour au-delà de l’Océan au christianisme et à la civilisation. L’ordre de Saint-Benoît se retrempait dans une réforme salutaire, et les bénédictins de Saint-Maur préludaient à leurs gigantesques travaux. Mais qui pourrait compter les belles institutions destinées aux femmes que fit éclore de toutes parts la passion chrétienne dans la première moitié du XVIIe siècle ? Les deux plus illustres, après Port-Royal réformé, sont les sœurs de la Charité vers 1610, et les Carmélites en 1602.

Le premier couvent des Carmélites fut établi à Paris, au faubourg Saint-Jacques, sous les auspices et par la munificence de cette maison de Longueville où Mlle de Bourbon devait entrer. Sa mère, Mme la Princesse, était une des bienfaitrices de l’institution naissante ; elle y avait un appartement où souvent elle venait faire de longues retraites. De bonne heure, elle y mena sa fille et y pénétra sa jeune ame des principes et des habitudes de la dévotion du temps. Mlle de Bourbon grandit à l’ombre du saint monastère ; elle y vit régner la vertu, la bonté, la concorde, la paix, le silence ; on l’y aimait, et on l’y appelait. Il est donc naturel qu’à la première vue des tempêtes qui menacent toutes les grandeurs de la terre, et qui frappaient les membres les plus illustres de sa famille, elle ait songé à prévenir sa destinée et cherché un abri sous l’humble et tranquille toit de ses chères carmélites. Elle y avait de douces et nobles amitiés qu’elle n’abandonna jamais. Nous possédons d’elle une foule de lettres adressées à des carmélites du couvent de la rue Saint-Jacques, à toutes les époques de sa vie, avant, pendant et après la Fronde ; elles sont écrites, on le sent, à des personnes qui ont toute sa confiance et toute son ame, mais on ignore quelles sont ces personnes. Elle les appelle tantôt la mère prieure, tantôt la mère sous-prieure, la sœur Marthe, la sœur Anne-Marie, la mère Marie-Madeleine, la mère Agnès, etc. On voudrait percer les voiles qui couvrent les noms de famille de toutes ces religieuses. On se doute bien que les amies de Mlle de Bourbon et de Mme de Longueville ne peuvent avoir été des créatures vulgaires ; et comme on sait que bien des femmes de la première qualité et du plus noble cœur trouvèrent un refuge aux Carmélites, comme le nom de la sœur Louise de la Miséricorde est devenu le nom populaire de l’amour désintéressé et malheureux, une curiosité un peu profane, mais bien naturelle, nous porte à rechercher quelles ont été dans le monde ces religieuses si chères à la sœur du grand Condé.

Jusqu’ici nous étions réduits aux conjectures que nous suggérait le rapprochement de divers passages de Mme de Sévigné, de Mme de Motteville, de Mademoiselle. Les carmélites françaises n’ont pas d’histoire. Fidèles à leur vœu d’obscurité, ces dignes filles de sainte Thérèse ont passé sans laisser de traces. Comme pendant leur vie une clôture in flexible les dérobe à tous les yeux et les tient d’avance ensevelies, ainsi le génie de leur ordre semble avoir pris soin de les anéantir dans la mémoire des hommes. À peine a-t-il paru de loin en loin quelques vies de carmélites, consacrées à l’édification, remplies de saintes maximes, vides de faits humains, et presque sans dates. Au commencement de ce siècle, un prêtre instruit, M. Boucher, dans une nouvelle Vie de la bienheureuse sœur Marie de l’Incarnation, madame Acarie, fondatrice des Carmélites réformées de France[10], a pour la première fois jeté un peu de jour sur les origines de la sainte maison, et fait paraître ou plutôt caché dans les notes de son ouvrage de très courtes biographies des principales religieuses. La Bibliothèque nationale, si riche en manuscrits de toute espèce, n’en possède aucun qui vienne des Carmélites du faubourg Saint-Jacques ou qui s’y rapporte. Les Archives ont hérité de tous leurs titres domaniaux. Nous les avons assez étudiés pour avoir le droit d’assurer qu’on en pourrait former un cartulaire[11] du plus grand intérêt. Entre autres pièces précieuses, nous pouvons signaler un inventaire des tableaux de divers maîtres célèbres[12], des statues[13] et objets d’art que la libre et généreuse piété des fidèles de tout rang avait, pendant deux siècles, accumulés aux Carmélites, et qui y ont été reconnus en 1790. Mais c’étaient d’autres trésors que nous eussions voulu découvrir : nous désirions une liste exacte de toutes les religieuses de ce couvent pendant le XVIIe siècle, avec leurs noms de religion et leurs noms de famille, la date de leur profession et celle de leur mort ; nous mettions un prix particulier à connaître la succession des prieures qui avaient tour à tour gouverné le couvent, porté la parole ou tenu la plume en son nom. On conçoit, en effet, que sans ces deux documens les amitiés de Mlle de Bourbon et de Mme de Longueville nous demeuraient à peu près impénétrables.

La lumière nous est venue du côté où nous ne l’avions pas d’abord cherchée.

Dans un débris du couvent du faubourg Saint-Jacques, épargné par la tourmente révolutionnaire et subsistant à grand’peine, de pauvres religieuses échappées à une stupide persécution ont essayé, il y a cinquante ans, et sont enfin parvenues à recueillir la tradition carmélite, et aujourd’hui encore elles la continuent dans l’ombre, la prière et le travail :

Praecipites atra seu tempestate columbae,
Condensœ et divum amplexae simulachra sedebant.

Las de fouiller inutilement les archives et les bibliothèques, je me suis adressé à ces bonnes religieuses, et la plus gracieuse bienveillance m’a répondu. Les deux documens qui m’étaient nécessaires m’ont été remis, avec des annales manuscrites et un recueil de biographies amples et détaillées. Grace à ces précieuses communications, on s’oriente aisément dans l’histoire des Carmélites du faubourg Saint-Jacques. Sous les pieuses désignations et sous les symboles mystiques du Carmel, on reconnaît plus d’une personne qu’on avait déjà rencontrée dans les mémoires du temps. Au lieu d’êtres en quelque sorte abstraits et anonymes, nous avons devant nous des créatures animées et vivantes, dont les regards ont fini sans doute par se diriger vers le ciel pour ne s’en plus détourner, mais qui plus ou moins long temps ont habité la terre, connu nos sentimens, éprouvé nos faiblesses, et, en demeurant toujours pures, ont passé quelquefois à côté de la tentation et participé de l’humanité. Un jour peut-être, nous livrerons au public la clé qui nous a été prêtée et qui donnera le secret de bien des choses mystérieuses dans l’histoire intime des mœurs au XVIIe siècle. Ici, nous nous permettrons seulement quelques traits rapides qui puissent éclairer cette partie obscure de la jeunesse et de la vie tout entière de Mme de Longueville.

Sainte Thérèse, morte en 1582, avait réformé en Espagne l’ordre antique et dégénéré du Carmel. La sainte renommée des nouvelles carmélites d’Espagne s’était promptement répandue en Italie et en France. Une femme admirable, Mme Acarie, depuis la sœur Marie de l’Incarnation, eut l’idée d’envoyer chercher en Espagne quelques disciples de sainte Thérèse, et de les établir à Paris au faubourg Saint-Jacques. Voilà l’origine du premier couvent des carmélites françaises.

Ce sont deux princesses de Longueville qui obtinrent d’Henri IV, en 1602, les lettres-patentes nécessaires, Catherine[14] et Marguerite d’Orléans, filles d’Henri duc de Longueville, mortes sans avoir été mariées, Marguerite en 1615, Catherine en 1638, toutes deux inhumées dans le couvent dont elles furent appelées les secondes fondatrices. Et quand en 1617 la jeune institution fut déjà assez forte pour avoir besoin d’une autre maison à Paris, c’est encore une princesse de Longueville qui se chargea des frais de l’établissement nouveau, rue Chapon[15], à savoir, la belle-soeur de Marguerite et de Catherine[16], la veuve de leur frère Henri d’Orléans, premier du nom, et la mère d’Henri II qui épousa Mlle de Bourbon. Mme la princesse de Condé ne tarda pas à étendre aussi ses bienfaits sur le couvent de la rue Saint-Jacques, et à s’y attacher d’une affection toute particulière. Ainsi on peut dire que Mlle de Bourbon était d’avance consacrée de toutes parts aux Carmélites.

Représentons-nous bien ce qu’était au XVIIe siècle ce couvent des Carmélites où Mlle de Bourbon voulut cacher sa vie et où Mme de Longueville revint mourir. Il était situé dans la rue du Faubourg-Saint-Jacques, tout-à-fait en face du Val-de-Grace ; il s’étendait de la rue Saint-Jacques à la rue d’Enfer, et il avait fini par embrasser, avec toutes ses dépendances, le vaste espace qui du jardin et de l’enclos du séminaire oratorien de Saint-Magloire, aujourd’hui les Sourds-Muets, monte jusqu’aux bâtimens occupés maintenant dans la rue Saint-Jacques et dans la rue d’Enfer par la brasserie du Luxembourg. Il y avait deux entrées, l’une par la rue Saint-Jacques, l’autre par la rue d’Enfer. L’entrée de la rue d’Enfer subsiste au n° 67, et elle est encore aujourd’hui ce qu’elle était il y a deux siècles. Elle introduisait dans la cour actuelle, qui servait de passage public pour aller dans la rue Saint-Jacques. Presque en face, un peu à droite, était l’église ; un peu plus à droite encore, sur les terrains où l’on a ouvert la rue toute nouvelle du Val-de-Grace, étaient de vastes jardins avec de nombreuses chapelles, le monastère même, et, tout-à-fait sur la rue d’Enfer, l’infirmerie et les appartemens réservés à certaines personnes. De l’autre côté, à gauche, vers Saint-Magloire, étaient divers corps de logis et des maisons dépendantes du monastère.

Mais le couvent n’avait pris ces accroissemens qu’avec le temps.

Le premier emplacement de la communauté avait été l’ancien prieuré de Notre-Dame-des-Champs, dont l’église était du temps de Hugues Capet, et une vieille tradition la disait établie sur les ruines d’un temple de Cérès, où s’était jadis réfugié saint Denis lorsqu’il prêchait l’Évangile à Paris. Du moins, des fouilles faites en 1630 firent paraître des restes d’antiquités païennes. Un certain merveilleux était donc déjà autour de l’établissement nouveau au commencement du XVIIe siècle[17].

Si ce sont des carmélites espagnoles qui ont fondé le couvent de la rue Saint-Jacques et y ont d’abord établi l’esprit et la règle de sainte Thérèse, il faut reconnaître que les religieuses avant quitté la France en 1618, pour retourner en Espagne ou aller finir leurs jours en Belgique dans des monastères de leur ordre, c’est le génie français qui de bonne heure a pris possession du couvent de la rue Saint-Jacques et l’a fait ce qu’il est devenu.

Dans le nombre des prieures qui le gouvernèrent, on en peut distinguer quatre qui firent avancer à grands pas la congrégation naissante vers la perfection qu’elle atteignit à la fin du XVIIe siècle. Ce sont Mlle de Fontaines, la bienheureuse mère Madeleine de Saint-Joseph ; la marquise de Bréauté, Marie de Jésus ; Mlle Lancry de Bains, Marie-Madeleine ; et Mlle de Bellefonds, la mère Agnès de Jésus-Maria. Mlle de Bourbon a pu les connaître toutes les quatre, et quelques-unes ont été ses amies.

Mlle de Fontaines est la première grande prieure française. Elle était d’une excellente famille de Touraine. Son père avait été ambassadeur en Flandre, et sa mère était sœur de la chancelière de Sillery. C’est le cardinal de Bérulle qui, la rencontrant à Tours et la voyant, toute jeune, déjà remplie de pensées célestes, lui désigna les Carmélites de la rue Saint-Jacques comme le chemin de la perfection à laquelle elle aspirait. Elle n’y marcha point, elle y courut, comme dit d’elle Mme Acarie. Et pourtant elle aimait si tendrement sa famille qu’elle éprouva une douleur poignante en la quittant, et elle-même disait plus tard que le carrosse qui la mena aux Carmélites lui parut semblable à la charrette qui conduit les criminels au supplice. Touchées de son exemple, deux de ses sœurs la suivirent aux Carmélites. Elle y entra à vingt-six ans. Elle eut quelque temps sous les yeux les mères espagnoles, et elle en retint cette sainte ardeur qui crée et vivifie, et seule peut surmonter les commencemens difficiles de tout grand établissement. Elle fut constamment fidèle à la devise de sainte Thérèse souffrir ou mourir. C’est la sainte Thérèse de France. La religieuse qui lui succéda a peint ainsi les effets du gouvernement de la mère Madeleine de Saint-Joseph : « Quand elle fut prieure, je puis dire avec vérité que le monastère ressemblait à un paradis, tant on voyait de ferveur et de désir de perfection dans les cœurs : c’était à qui serait la plus humble, la plus pénitente, la plus mortifiée, la plus dégagée, la plus recueillie, la plus solitaire, la plus charitable, bref, à qui serait la plus conforme à notre Seigneur Jésus-Christ, et tout cela dans une paix, dans une innocence, dans une béatitude et dans une élévation à Dieu qui ne se peuvent exprimer. Cette servante de Dieu était parmi nous comme un flambeau qui nous éclairait, comme un feu qui nous échauffait, et comme une règle vivante sur l’exemple de laquelle nous pouvions apprendre à devenir saintes. » On a conservé d’elle des mots admirables. Nous n’en citerons qu’un seul : « Oui, disait-elle à ses filles, qui pour la plupart étaient de grande qualité, oui, nous sommes de très bonne maison ; nous sommes filles de roi, sœurs de roi, épouses de roi, car nous sommes filles du Père éternel, sœurs de Jésus-Christ, épouses du Saint-Esprit. Voilà notre maison, nous n’en avons plus d’autres. » Elle avait un de ces grands cœurs qui font les héros en tout genre, et qui sont la première source des miracles. Elle en fit donc comme sainte Thérèse. Comme elle, elle eut ses extases, ses visions. C’est le cœur qui échauffait en elle l’imagination, et c’est là en effet le foyer sacré de toutes les grandes choses. Quelle[18] philosophie que celle qui viendrait ici proposer ses misérables objections ! Prenez-y garde : elles tourneraient contre Socrate et son démon, aussi bien que contre le bon ange de la mère Madeleine de Saint-Joseph. Ce bon ange-là était au moins la vision intérieure, la voix secrète et vraiment merveilleuse d’une grande ame transfigurée.

La mère Madeleine de Saint-Joseph, née en 1578, entrée au couvent en 1604, fit profession en 1605, et mourut en 1637. Après sa mort, elle a été béatifiée[19].

Marie de Jésus est une religieuse d’un tout autre caractère.

Charlotte de Sancy était fille de Nicolas de Harlay, sieur de Sancy, qui fut sous Henri IV ambassadeur, surintendant des finances, colonel des Suisses. Les deux fils de Harlay de Sancy, après avoir joué d’assez grands rôles, se retirèrent à l’Oratoire. Sa première fille épousa M. d’Alincourt, l’aïeul du duc de Villeroy ; la seconde, Charlotte, épousa le marquis de Bréauté. Restée veuve à vingt et un ans, belle, spirituelle, d’une humeur charmante, elle était les délices de sa famille et l’un des ornemens de la cour d’Henri IV. Les plaisirs s’empressaient autour d’elle ; mais un jour, en lisant une vie de sainte Thérèse, elle fut saisie de l’amour de Dieu, et toute jeune encore elle se retira aux Carmélites et y fit profession, sous le nom de Marie de Jésus, la même année que Madeleine de Saint-Joseph. Elle garda dans le cloître cette douceur victorieuse qui, dans le monde, ajoutait à l’effet de sa beauté et lui soumettait tous les cœurs. Elle fut adorée de ses nouvelles compagnes, comme elle l’avait été à la cour. Son don particulier était, avec la douceur, une charité sans bornes, qui s’appliquait surtout au salut des aines. Elle excellait dans l’art de ramener les pécheurs à Dieu. C’étaient là ses miracles. En voici un que nous a conservé la tradition carmélite :

Un homme de mérite, qui possédait des biens et des emplois considérables, avait un commerce coupable. Sa mère en était désolée, et elle venait souvent verser son chagrin dans le sein de sa fille, religieuse au couvent de la rue Saint-Jacques. Un jour qu’elle était au parloir, Marie de Jésus eut l’inspiration d’y aller pour la consoler ; elle lui remit les Confessions de saint Augustin et le Chemin de Perfection de sainte Thérèse, en l’invitant à faire promettre à son fils d’y lire tous les matins durant un quart d’heure seulement. Il le promit, mais il passa huit jours sans le faire. Une nuit, se sentant pressé de tenir sa parole, il se leva et lut quelques pages de ces livres. À mesure qu’il lisait, Dieu l’éclaira et le toucha si vivement, que pendant plusieurs jours il versa des larmes, et demeura dans un trouble et une agitation à faire croire qu’il perdrait l’esprit. Enfin il se calma, et durant plusieurs nuits il fut pénétré et comme inondé de lumières sur les perfections de Dieu. Un matin, à la pointe du jour, il se fit conduire à la place de Grenelle avec la personne qui le tenait captif. Là il lui annonça qu’il ne la reverrait jamais ; il lui laissa son carrosse pour se faire conduire où elle voudrait. Il revint à pied chez lui, et se rendit aux Carmélites pour voir sa sœur qu’il n’avait pas vue depuis de longues années. Celle-ci fit appeler la mère Marie de Jésus, et elle dit à son frère : Voilà votre bienfaitrice. Marie de Jésus n’avait cessé de prier pour lui. Elle lui prodigua les conseils les plus affectueux, qu’elle renouvela régulièrement une fois par semaine pendant plusieurs années. Il les suivit avec la plus grande docilité et fit de si grands progrès dans la vertu, que, s’étant défait de sa charge et ayant renoncé à tous les plaisirs de la vie, il se retira dans une campagne, y vécut en pénitent, et finit ses jours dans l’amour de Dieu.

Marie de Jésus fut très aimée d’Anne d’Autriche, qui venait souvent la voir, et amenait avec elle Louis XIV et son frère le petit Monsieur. Elle contribua beaucoup à l’agrandissement et à l’embellissement du monastère, qui la perdit en 1652.

Dans l’année 1620, les Carmélites acquirent une digne sœur dans une des filles d’honneur de la reine Marie de Médicis, Mlle Marie Lancri de Bains. Pour faire connaître ce qu’était Mlle de Bains, nous nous aiderons d’une vie manuscrite composée par une carmélite qui l’avait parfaitement connue :


« Mme de Bains avoit fait élever sa fille chez les Ursulines ; elle l’en retira à l’âge de douze ans pour la placer à la cour, dans l’espoir que sa beauté et sa sagesse lui procureroient un établissement, sans faire réflexion aux périls où elle l’exposoit en l’abandonnant à elle-même dans un lieu si rempli d’écueils. Mais Dieu, qui s’étoit déjà approprié cette ame, veilla sur elle et la conserva sans tache au milieu de cette cour. Sa vertu y fut admirée autant que sa parfaite beauté, dont le portrait passa jusque dans les pays étrangers, et les plus fameux peintres la tirèrent à l’envi pour faire valoir leur pinceau. Elle avoua depuis avec agrément que jusqu’à l’âge de quinze ans, elle ne fit jamais de réflexion sur cet avantage, mais qu’alors elle se vit des mêmes yeux que le public. Les agrémens de sa personne, et plus encore sa douceur et sa modestie, lui attirèrent l’estime et l’affection de la reine. Jamais Mlle de Bains ne s’en prévalut que pour faire du bien aux malheureux. Cette générosité avoit sa source dans un cœur noble, tendre, constant pour ses amis, qu’elle réunissoit à un esprit solide, judicieux, capable des plus grandes choses, et il sembloit que le Créateur eût pris plaisir à préparer dans ce chef-d’œuvre de la nature le triomphe de la grace. Tant d’aimables qualités fixèrent les yeux de tolite la cour. Nombre de seigneurs briguèrent une alliance si désirable, nommément le duc de Bellegarde, le maréchal de Saint-Luc, etc. ; mais celui qui l’avoit élue de toute éternité pour son épouse ne permit pas que ce cœur digne de lui seul fût partagé avec aucune créature. La divine Providence lui ménagea dans ce même temps une mortification (nous en ignorons le genre) qui commença à lui dessiller les yeux et à lui donner quelque légère idée de vocation pour la vie religieuse. »


Mlle de Bains n’accompagnait jamais la reine Marie de Médicis aux Carmélites sans désirer y rester. Une maladie qu’elle fit à dix-huit ans redoubla sa ferveur, mais elle fut traversée par les efforts de toute la cour pour la retenir, surtout par les supplications et les larmes de sa mère. Quand Mlle de Bains se fut jetée aux Carmélites, à peine âgée de vingt ans, sa mère l’y poursuivit. « Elle conduisit sa fille dans le fond du jardin, et là, pendant trois heures entières, elle employa tout ce que put lui suggérer l’amour le plus tendre. Après avoir épuisé les caresses et tâché d’intéresser sa conscience en lui disant qu’étant veuve et chargée de procès, son devoir l’obligeoit à la secourir dans sa vieillesse, enfin hors d’elle-même, elle tomba aux pieds de sa fille, noyée dans ses larmes. Quelle épreuve pour Mlle de Bains, qui aimoit autant cette tendre mère qu’elle en étoit aimée ! Son recours à Dieu la fit sortir victorieuse de ce premier combat, qui ne fut pas le dernier, Mme sa mère étant souvent revenue à la charge tout le temps de son noviciat. »

Pendant quelque temps, le couvent de la rue Saint-Jacques fut assiégé par des seigneurs du premier rang qui vinrent offrir leur alliance à la belle novice. Sa constance n’en fut pas même effleurée, et elle se serait refusée à toutes ces visites, si la mère prieure, pour l’éprouver, ne l’eût contrainte de s’y prêter. Elle fit ses vœux en 1620, sous le nom de Marie-Madeleine de Jésus.

Il faut que sa beauté ait été quelque chose de bien extraordinaire, à en juger par l’anecdote suivante racontée par le pieux auteur dont nous nous servons : « L’humilité étant le fondement de tout l’édifice spirituel, la sœur Marie-Madeleine de Jésus saisissoit avec ardeur tous les moyens d’anéantir à ses propres yeux et à ceux des autres les dons de nature et de grace dont Dieu l’avoit favorisée. Peu contente de s’estre soustraite aux visites des grands et de toutes ses amies, dans le désir d’en être oubliée et d’ôter de devant leurs yeux tout ce qui pouvoit la rappeler à leur esprit, son premier soin fut, sous divers prétextes, de retirer ses portraits de leurs mains, afin de les brûler. Un de ces portraits lui ayant été envoyé, elle se fit un amusement de le montrer à la communauté assemblée. À cette vue, toutes les religieuses, sans la reconnoître d’abord, se sentirent émues et demandèrent à Dieu de ne point laisser dans le monde ce chef-d’œuvre de nature digne de lui seul et d’en gratifier le Carmel. Une d’entre elles, sœur Marie de Sainte-Thérèse, fille de Mme Acarie, s’offroit à Dieu pour souffrir tout ce qu’il lui plairoit en retour de cette grace. Alors Marie-Madeleine de Jésus, en souriant et frappant sur son épaule, lui dit que la bonté de Dieu avoit prévenu ses désirs, que la personne pour laquelle elle trembloit étoit déjà dans l’ordre, et qu’il falloit seulement demander sa persévérance. »

La sœur Marie-Madeleine passa rapidement par tous les emplois de l’ordre. Élue prieure en 1635 et souvent réélue, elle vit mourir en 1637 la bienheureuse mère Madeleine de Saint-Joseph, en 1652 la mère Marie de Jésus, et successivement les premiers et admirables supérieurs du saint monastère[20]. Les guerres de la Fronde lui furent une épreuve périlleuse, et elle se trouva partagée entre la reine Anne et la princesse de Condé, les deux protectrices du couvent. Elle fut obligée de quitter quelque temps la maison de la rue Saint-Jacques, trop exposée aux gens de guerre, d’envoyer une partie de la communauté à Pontoise et de mener l’autre à la rue Chapon. Il lui fallut une grande fermeté pour maintenir la discipline religieuse au milieu de cette tourmente. De peur du moindre relâchement, elle exigeait davantage. Elle renouvelait sans relâche dans les ames commises à sa garde la ferveur de l’esprit primitif. On dit qu’elle parlait à ses filles avec des paroles de feu qui les pénétraient d’une sainte émulation. Elle eut enfin au plus haut degré le don du gouvernement. Ce fut entre ses mains que vinrent se remettre et faire profession tant de personnes de la plus haute naissance, cœurs blessés ou repentans qui se réfugièrent alors aux Carmélites.

Marie-Madeleine mourut en 1679, la même année que Mme de Longueville. Elle avait trouvé une admirable collaboratrice dans Mlle de Bellefonds.

Judith de Bellefonds était née en 1611. Son père était l’aïeul du maréchal de ce nom. Sa mère était sœur de la maréchale de Saint-Géran ; et elle-même était la sœur de la marquise de Villars, mère du vainqueur de Denain, célèbre par les graces de sa personne et de son esprit[21]. Elle aussi elle était belle, et possédait tout ce qu’il fallait pour plaire. Elle eut le plus grand succès à la cour de la reine Marie de Médicis. En allant avec elle aux Carmélites, elle rencontra Mme de Bréauté, Marie de Jésus, qui, comme elle, avait connu tous les agrémens du monde, et par ses entretiens et son exemple lui persuada d’y renoncer et de se donner à Dieu seul. Mlle de Bellefonds entra aux Carmélites en 1630 et y prit le nom d’Agnès de Jésus-Maria. Elle y montra promptement toutes les qualités qui font une grande prieure ; elle le fut long-temps, avant vécu presque jusqu’à la fin du siècle. Elle trouva le Carmel français constitué par les vertus éminentes de celles qui l’avaient précédée : elle n’eut qu’à le maintenir. Ses qualités dominantes étaient la solidité et la modération. Le chancelier Letellier la consultait beaucoup. Recherchée de toutes parts pour le charme de ses entretiens, elle cultivait la solitude et s’appliquait à la faire aimer à ses compagnes. Mlle de Guise avant offert 100,000 livres pour obtenir la permission d’entrer souvent dans le couvent, la mère Agnès refusa cette somme, disant que 100,000 livres ne répareraient point le tort fait par là à l’esprit de l’institution, qui ne se peut conserver que par la retraite et l’éloignement de tout commerce avec le monde. Sa charité était telle qu’après sa mort la mère du Saint-Sacrement, qui lui succéda, étant blâmée de pousser un peu trop loin les aumônes, répondit : « Vous êtes bien heureuse que la mère Agnès ne soit plus ; elle n’auroit laissé dans cette occasion ni calice ni vase d’argent dans notre église. » Il faut voir dans Mme de Sévigné quel cas elle faisait de la mère Agnès : « Je fus ravie, écrit-elle à sa fille[22], de l’esprit de la mère Agnès. » Ailleurs elle parle de la vivacité et du charme de sa parole[23] ; mais tous les éloges languissent devant cette lettre touchante de Bossuet écrite à la prieure qui lui succédait[24] : « Nous ne la verrons donc plus, cette chère mère ; nous n’entendrons plus de sa bouche ces paroles que la charité, que la douceur, que la foi, que la prudence dictoient et rendoient si dignes d’être écoutées. C’étoit cette personne sensée qui croyoit à la loi de Dieu et à qui la loi étoit fidèle. La prudence étoit sa compagne et la sagesse étoit sa soeur. La joie du Saint-Esprit ne la quittoit pas. Sa balance étoit toujours juste et ses jugemens toujours droits. On ne s’égaroit pas en suivant ses conseils, ils étaient précédés par ses exemples. Sa mort a été tranquille comme sa vie, et elle s’est réjouie au dernier jour. Je vous rends grace du souvenir que vous avez eu de moi dans cette triste occasion ; j’assiste en esprit avec vous aux prières et aux sacrifices qui s’offriront pour cette ame aimée de Dieu et des hommes ; je me joins aux pieuses larmes que vous versez sur son tombeau, et je prends part aux consolations que la foi vous inspire. »

Voilà quel était le couvent où Mlle de Bourbon reçut les premières impressions qui décident de toute la vie ; voilà les femmes qu’elle put voir et entendre lorsqu’elle accompagnait la princesse sa mère dans la sainte maison. Elle put encore apercevoir les traits vénérables, le visage déjà transfiguré de la mère Madeleine de Saint-Joseph, et entendre sa forte parole, puisque la mère de Saint-Joseph était l’amie et la conseillère de Mme la Princesse. Elle put ressentir elle-même la pénétrante douceur des entretiens de Marie de Jésus. Elle connut cette Marie-Madeleine si dangereuse dans le monde par sa beauté, si édifiante et si puissante dans le cloître. Elle forma avec elle une liaison qui n’a cessé qu’avec leur vie ; mais c’est surtout Mlle de Bellefonds, la mère Agnès, qui l’attira et la charma. Elles étaient à peu près du même âge, et l’humeur libre et enjouée de la jeune et spirituelle religieuse luit entre elles de bonne heure une familiarité dont la trace se retrouve jusque dans les lettres adressées plus tard par la princesse malheureuse et repentante à la grande prieure, tout occupée de ses difficiles devoirs[25].

Et remarquez que je ne parle pas ici de bien d’autres religieuses du plus haut rang et du plus aimable caractère qui étaient au couvent de la rue Saint-Jacques dans la jeunesse de Mme de Longueville : Mlle Marie d’Hannivel, sœur Marie de la Trinité ; Mme La Rochefoucauld de Chandenier, sœur Marie de Saint-Joseph ; Mlle Le Bouthillier, sœur Philippe-de-Saint-Paul ; Mlle de Machault, sœur Marie de la Passion ; Mlle de Thou, sœur Angélique de la Passion ; Mlle d’Anglure de Bourlemont, sœur Geneviève des Anges ; Mlle d’Argouges, sœur Élisabeth de Saint-Joseph ; Mme de Brienne, la mère Anne de Saint-Joseph ; la comtesse de Bury, restée veuve à dix-neuf ans, sœur Madeleine de Jésus ; Mlle de Remenecourt, la mère Thérèse de Jésus ; Mlle de Lenoncourt, la mère Charlotte de Jésus ; Mlle de Fieubet, Mlle de Marillac, et un peu plus tard des noms plus illustres encore, des cœurs encore plus près de celui de Mlle de Bourbon, qui, aux premières impressions de la passion ou du malheur, coururent chercher un asile dans la sainte solitude.

Parmi ces nobles pénitentes, comment ne pas distinguer une amie particulière de Mme de Longueville, dont le rang était presque égal au sien, qui était comme elle sensible et fière, et qui, frappée de bonne heure dans ses affections, se retira du monde avant elle, et n’entendit le bruit de la Fronde qu’à travers les murs du couvent de la rue Saint-Jacques, où depuis plusieurs années elle avait fui la menace d’un trône et les périls de son propre cour ? Cette amie, à laquelle Mme de Longueville a écrit bien des lettres, est la sœur Anne-Marie de Jésus, c’est-à-dire Anne-Louise-Christine de Foix de LaValette d’Épernon, cœur du duc de Candal.le, fille de Bernard, duc de La Valette d’Épernon, et de Gabrielle de Bourbon, fille légitimée de la duchesse de Verneuil et de Henri IV.

Nous avons une vie assez étendue de Mlle d’Épernon de la main de l’abbé de Montis[26] ; mais il faut se défier presque autant des vies édifiantes que des historiettes de Tallemant des Réaux. Celui-ci ne cherche que le scandale et ne voit partout que le mal. Les pieux panégyristes sont tout aussi crédules dans le bien. Évidemment l’abbé de Montis n’a pas tout su ou n’a pas voulu tout dire. Il n’a pas l’air d’avoir lu les mémoires de Mademoiselle ni ceux de Mme de Motteville. Il peint avec vérité la personne et le caractère de Mlle d’Épernon ; il se trompe quand il s’imagine que l’instinct seul de la perfection chrétienne la conduisit aux Carmélites. Cet instinct eut pour aliment et pour soutien l’expérience de la vanité des affections humaines, et il éclata et jeta subitement Mlle d’Épernon aux Carmélites à la suite d’une, perte cruelle, la mort d’une personne à laquelle elle avait donné son cœur. Cette mort, avec un grand mécompte qui avait précédé, la décida à quitter le monde, et ni la longue résistance de sa famille, ni même l’espérance d’une couronne, ne purent faire fléchir sa résolution.

Pour abréger, nous nous bornerons à recueillir quelques témoignages. Celui de la véridique Mme de Motteville est décisif.

« Le chevalier de Fiesque fut tué (au siége de Mardyck, en 1646), qui, à ce que ses amis disoient, avoit de l’esprit et de la valeur. Il fut regretté d’une fille de grande naissance, qui l’honoroit d’une tendre et honnête amitié. Je n’en sais rien de particulier ; mais, selon l’opinion générale, elle étoit fondée sur la piété et la vertu, et par conséquent fort extraordinaire. Cette sage personne, peu de temps après cette mort, voulant mépriser entièrement les grandeurs du monde, les quitta toutes, comme indignes d’occuper quelque place dans son ame ; elle se donna à Dieu et s’enferma dans le grand couvent des Carmélites, où elle sert d’exemple par la vie qu’elle mène[27]. »

Mademoiselle[28], qui avait fort connu et tendrement aimé Mlle d’Épernon, reprend les choses de plus haut :

« Ce fut principalement dans ces bals-là (pendant l’hiver de 1644) que le chevalier de Guise (depuis le duc de Joyeuse) témoigna tout-à-fait sa passion pour Mlle d’Épernon… La maladie de[29] Mlle d’Épernon me mettoit fort en peine. M. le chevalier de Guise eut pour elle tous les soins imaginables. La considération du péril qu’il y a d’approcher ceux qui ont la petite récolte ne l’empescha pas de l’aller visiter tous les jours. Il témoigna pour elle une passion incroyable qui dura encore tout l’hiver suivant.

Le mariage échoua, non pas du tout, comme le dit l’abbé Montis, par le refus ou les incertitudes de Mlle d’Épernon, mais par les intrigues de Mlle de Guise, qui tenta de marier son frère à Mlle d’Angoulême.

Après la mort du chevalier de Fiesque, tué au siége de Mardyk, Mlle d’Épernon parut toute changée. Elle, naguère si livrée aux magnificences, si éprise des divertissemens, ne songea plus qu’à son salut, « ce qui[30] me déplut et surprit, » dit Mademoiselle.

« Je l’avoir vue bien éloignée de l’austérité qu’elle preschoit à toute heure ; elle ne parloit plus que de la mort, du mépris du monde, du bonheur de la vie religieuse… La veille de son départ pour Bordeaux (où l’appeloit son père, gouverneur de Guyenne), qui fut le jour de Sainte-Thérèse, elle me vint dire adieu ; elle me trouva au lit ; elle se mit à genoux devant moi et me dit que les bontés que j’avois eues pour elle et la confiance réciproque qui avoit été entre elle et moi l’obligeoient à me donner part de la résolution où elle étoit de se rendre carmélite, et qu’elle espéroit exécuter sa résolution le plus promptement qu’elle pourroit. Il n’en falloit pas tant pour émouvoir la tendresse que j’avois pour elle. Touchée de son dessein, je ne pus en avoir part sans pleurer. J’employai toutes les raisons que je pus pour l’en détourner… Elle avoit déjà formé sa résolution trop fortement pour rien écouter qui la pût changer… L’on avoit fait[31] parler à M. le cardinal du mariage du prince Casimir, frère du roi de Pologne[32], qui en est maintenant roi, avec Mlle d’Épernon… J’avoue que lorsque je sus cette nouvelle, j’eus la plus grande joye du monde. Quoique l’empereur fût marié, il avoit un fils qui étoit roi de Hongrie, d’un âge proportionné au mien et prince de bonne espérance. Ainsi la proximité de l’Allemagne et de la Pologne me faisoit croire que nous passerions nos jours ensemble, ma bonne amie et moi. Je la trouvois hautement vengée de Mlle de Guise et de M. de Joyeuse. Il n’y avoit en cette affaire aucune circonstance qui ne me plût, et l’on peut juger de la manière dont je lui en écrivois, et si je ne la délournois pas d’estre carmélite. La conjoncture étoit la plus favorable du monde… La dévotion de Mlle d’Épernon rompit ce dessein, et elle préféra la couronne d’épines à celle de Pologne. Quoiqu’elle ne rebutât point cette proposition et qu’elle la reçût comme un grand honneur, elle feignit d’estre malade et de se faire ordonner les eaux de Bourbon, afin de se mettre dans le premier couvent de carmélites qu’elle trouverait sur son chemin… Mme d’Épernon[33] la mena à ce voyage sans savoir son dessein. Elles passèrent à Bourges, où le lendemain elle s’alla mettre dans les Carmélites. Elle y prit l’habit avec une des demoiselles de Mme d’Épernon… Elle m’écrivit de Bourges. Elle me mandoit qu’elle venoit dans le grand couvent à Paris… Mlle d’Épernon ne pouvait pas estre mieux. C’est une grande maison, un bon air, une nombreuse communauté remplie de quantité de filles de qualité et d’esprit qui ont quitté le monde qu’elles connoissoient et qu’elles méprisoient. Or, c’est ce qui fait les bonnes religieuses… Lorsqu’elle fut arrivée, elle m’envoya prier de l’aller voir. J’y allai dans un esprit de colère et d’une personne outrée d’une violente douleur. Lorsque je la vis, je ne fus touchée que de tendresse, et tous les autres sentimens cédèrent si fort à celui-là, qu’il me fut impossible de le lui cacher, puisque mes larmes et l’extrême douleur que j’avois m’empeschèrent de lui pouvoir parler ; elles ne discontinuèrent pas pendant deux heures que je fus avec elle sans lui pouvoir dire une parole… Le temps m’a fait connoitre dans la suite le bonheur dont elle jouissoit. »

Mlle d’Épernon entra aux Carmélites à vingt-cinq ans, et y parcourut une longue carrière de pénitence et d’édification. Née en 1624, elle mourut en 1701, à l’âge de soixante-dix-sept ans, en avant passé cinquante-trois dans le monastère de la rue Saint-Jacques. Elle y a voulu vivre de la vie cachée d’une carmélite ; elle n’a jamais exercé aucune charge et n’a pas même été sous-prieure[34]

Comme Mlle d’Épernon, Mlle de Bourbon songea aussi à conjurer les orages qui l’attendaient, dans la paisible demeure où elle comptait tant d’amies. Elle s’y plaisait et y passait la plus grande partie de sa vie, car sa mère, la princesse de Condé, l’y menait sans cesse avec elle, comme nous l’avons dit, et lui faisait partager les fréquentes retraites qu’elle y faisait. Cette princesse, par un contraste qui n’était pas rare dans ce temps, était à la fois très ambitieuse et d’une piété qui allait jusqu’à la superstition. Les contrastes abondaient dans son caractère. Elle n’avait jamais fort aimé son mari, et à vingt et un ans elle était allée s’enfermer avec lui à la Bastille et à Vincennes pendant trois longues années. Elle était assez vaine de sa grande beauté ; elle se plaisait à faire des conquêtes ; celle d’Henri IV l’avait au moins flattée ; elle avait été fort recherchée, fort célébrée, et toutefois sa vie avait été exempte de tout scandale. Elle était d’une fierté qui passait toutes bornes, lorsqu’on avait l’air de lui manquer ; et quand son orgueil était en paix, elle était pleine d’amabilité et d’abandon. Elle n’était pas sans grandeur d’ame et elle avait beaucoup d’esprit. Elle destinait sa fine aux plus grands partis ; mais, la voyant déjà si belle et connaissant par sa propre expérience les périls de la beauté, elle était bien aise de l’armer contre ces périls en lui mettant dans le cœur une sérieuse piété et en l’entourant des exemples les plus édifians. Non contente d’aller souvent au couvent des Carmélites, elle voulut pouvoir y venir à toute heure, y demeurer, elle et sa fille, aussi long-temps qu’il lui plairait, y avoir un appartement comme la reine elle-même, et, pour cela, elle s’imposa d’assez lourdes charges, comme il est dit dans un acte authentique, passé le 18 novembre 1637 en son nom et au nom de Mlle de Bourbon, et dont nous donnerons l’extrait suivant :

« Furent présentes en personne révérendes mères Marie-Madeleine de Jésus (Mlle de Bains), humble prieure ; sœur Marie de la Passion (Mlle e Machault), sous-prieure ; sœur Philippe de Saint-Paul (Mlle de Bouthillier), et sœur Marie de Saint-Barthélemy (Mlle Guichard), dépositaires, représentant la communauté… lesquelles, averties du grand désir que haute et puissante princesse, dame Charlotte-Marguerite de Montmorency, épouse de haut et puissant prince Henri de Bourbon, premier prince du sang, et demoiselle Anne de Bourbon, leur fille, ont fait paroitre d’être reçues pour fondatrices de la maison nouvelle que lesdites révérendes font à présent construire et prétendent rejoindre à leur ancienne clôture ; après avoir proposé l’affaire en plein chapitre, et avec la permission de leurs supérieurs… en considération de la grande piété dont lesdites dames princesses font profession… et de la très charitable affection qu’elles ont toujours portée à l’ordre des Carmélites et particulièrement à ce monastère, ont volontairement admis les dittes princesses pour fondatrices, à l’effet de jouir de tous les privilèges accordés aux fondatrices… à savoir de la libre entrée du monastère toutes les fois qu’il leur plaira, pour y boire, manger, coucher, assister au divin service et autres exercices spirituels, avoir part à toutes leurs prières, veilles et autres œuvres pieuses qui se font journellement, ont de plus consenti que la dite dame princesse puisse jouir du privilège qu’elle a obtenu du saint père de faire entrer deux personnes avec elle trois fois le mois, comme elle a fait jusqu’icy… à condition toutes fois que les dittes deux personnes ne pourront demeurer dans le monastère passé six heures du soir en hiver et sept en esté… Ce qu’ayant accepté… les dittes dames sont obligées de continuer l’honneur de leur bienveillance aux révérendes, et aussi de subvenir aux frais et dépenses du bâtiment. »

En conséquence de cet acte, Mme la Princesse donna plus de 120,000 livres à différentes reprises, quantité de pierreries, d’ornemens pour l’église de reliques qu’elle fit enchâsser avec une magnificence qui répondait à sa piété et à sa grandeur. En même temps, elle s’empressa de jouir de ses droits, et, en attendant que le bâtiment nouveau où elle devait loger fût achevé, elle prit au couvent avec sa fille un appartement qu’elle meubla en quelque sorte à la carmélite. Son lit et tous ses meubles étaient en serge brune. Elle passait des huit ou quinze jours de suite dans ce désert, s’y trouvant mieux, disait-elle, qu’au milieu des plus grands divertissemens de la cour. Jamais une simple particulière n’aurait pu pousser plus loin le respect pour la règle de la maison. Elle s’assujettissait aux plus longs silences dans la crainte de troubler celui qui était prescrit. Quelquefois, se voyant seule dans sa chambre avec les deux religieuses qui lui tenaient compagnie, elle avouait qu’elle avait peur et que le soir elle les prenait pour des fantômes, parce qu’elles ne lui parlaient que par signes et pour les choses absolument nécessaires. Plus tard, elle voulut avoir une cellule dans le dortoir aussi simple que toutes les autres. « Elle eût volontiers, dit l’histoire manuscrite qui nous a été confiée, employé tous ses biens pour l’utilité ou l’embellissement du couvent, si l’on n’eût usé d’adresse pour lui dérober la connoissance des besoins les plus légitimes. Quelquefois elle s’en plaignoit avec des grâces infinies : — Si vos mères vouloient, je ferois ici mille choses ; mais elles ne peuvent pas ceci, elles ne veulent pas cela, et je ne puis rien faire. — Cette grande princesse qu’une fierté naturelle rendoit quelquefois si redoutable devenoit ici l’amie, la compagne, la mère de quiconque s’adressoit à elle. Jamais on n’y sentit son autorité que par ses bienfaits. La volonté de la mère prieure étoit sa loi ; elle la nommoit notre mère, se levoit dès qu’elle l’apercevoit, se soumettoit à ses commandernens avec une douceur charmante, et on la voyoit au chœur, à l’oraison du matin, à tout l’office, au réfectoire, pratiquer les mortifications ordinaires, et abattre sa grandeur naturelle aux pieds des épouses de Jésus-Christ avec une humilité qui la leur rendoit encore plus respectable. »

Admise avec sa mère dans l’intérieur du monastère, Anne-Geneviève y remplissait son ame des plus édifiantes conversations, des plus graves et des plus touchans spectacles. Partout elle ne rencontrait que des vivantes déjà mortes et agenouillées sur des tombeaux. Ici, c’était le tombeau du garde-des-sceaux Michel de Marillac, mort dans l’exil, à Châteaudun, dans cette même année 1632, où Richelieu fit trancher la tête à son frère le maréchal de Marillac et à l’oncle de Mlle de Bourbon, le duc de Montmorency ; là, c’étaient les monumens funèbres de deux femmes de la maison de Longueville, Marguerite et Catherine d’Orléans. Elle ne se doutait pas alors qu’un jour, dans ce même lieu, elle verrait ensevelir sa brillante amie, la fameuse Julie, Mlle de Rambouillet, devenue duchesse de Montausier ; qu’elle y verrait apporter le cœur de Turenne, ce cœur qu’elle devait troubler et disputer un moment au devoir et au roi ; que plusieurs de ses propres enfans y auraient aussi leur tombe, et qu’elle-même y reposerait à côté de sa mère, Mme la Princesse, et de sa belle-soeur, la douce, pure et gracieuse Anne-Marie-Martinozzi, princesse de Conti[35].

Mlle de Bourbon voulut à son tour être une des bienfaitrices des Carmélites et leur faire les présens qui leur pouvaient agréer le plus. Elle obtint du pape Urbain VIII les reliques de sept vierges martyres, avec un bref du saint-père attestant leur authenticité, et que les noms de chacune de ces victimes de la foi avaient été trouvés entiers ou abrégés sur la pierre qui tenait leurs corps enfermés dans les catacombes. Reportons-nous au temps ; plaçons-nous dans un couvent de carmélites, et nous nous ferons une idée de la sainte allégresse qui dut remplir toute la maison en voyant arriver ce magnifique et austère présent[36]. La reine Anne, touchée d’une pieuse émulation, joignit à ces reliques celles de sainte Paule, dame romaine, l’illustre amie de saint Jérôme. On venait de retrouver à Palerme le corps de sainte Rosalie, petite-fille de France. M. d’Alincourt l’obtint et l’offrit. Mlle de Bourbon fit placer toutes ces reliques dans une châsse d’argent en forme de dôme surmonté d’une lanterne, et autour furent mises quatre figures représentant les évangélistes.

Le duc d’Enghien voyant cette sœur, qu’il adorait et dont il connaissait l’esprit, si fort occupée d’embellir et d’enrichir le couvent des Carmélites, où on le menait quelquefois, se piqua d’honneur, et voulut aussi faire son cadeau. Relevant d’une assez grande maladie, pour le divertir dans sa convalescence, on avait fait venir dans sa chambre et on lui montrait les curiosités du jour, parmi lesquelles se trouvait un reliquaire qui était quelque chose d’admirable pour l’art et pour la richesse. Le duc d’Enghien demanda à qui était ce chef-d’œuvre. L’orfèvre répondit que c’était aux Carmélites de la rue Saint-Jacques, mais que, n’étant pas en état d’en payer la façon, elles l’avaient laissé entre ses mains. Le jeune duc s’écria qu’il voulait que les Carmélites eussent ce beau reliquaire, et il trouva pour y réussir un très bon moyen. Il prit une bourse en main, et, vantant la curiosité qu’il tenait cachée, il refusait de la montrer à ceux qui venaient le visiter, à moins qu’on ne mît dans sa bourse quelques pièces d’or ou d’argent, et il parvint de la sorte à se procurer la somme demandée, qui était de 2,000 louis.

Ainsi s’écoula l’enfance et l’adolescence de Mlle de Bourbon, au milieu des spectacles et dans les pratiques d’une piété vraie et profonde. Il ne faut donc pas s’étonner que la contagion de cette piété l’ait saisie au point qu’elle prit la résolution de renoncer aussi au monde et de se faire carmélite. Celle qui devait être un jour l’ardente disciple et l’intrépide protectrice de Port-Royal était alors entre les mains d’un jésuite, le père Le Jeune. Il la fortifia dans son dessein ; mais en vain elle adressa les supplications les plus vives à son père, le prince de Condé. Celui-ci, qui avait bien d’autres vues sur sa fille, se plaignit à Mme la Princesse, et pour rompre le charme qui attachait Anne-Geneviève aux Carmélites, il fut décidé qu’on la mènerait un peu plus souvent dans le monde. Mlle de Bourbon obéit ; mais, l’esprit encore tout rempli des images et des discours du couvent de la rue Saint-Jacques, elle ne se plaisait point dans ces brillantes compagnies, et elle y plaisait assez peu. Quand sa mère la grondait de son peu de succès, Mlle de Bourbon lui répondait, dit-on[37] : « Vous avez, madame, des graces si touchantes que, comme je ne vais qu’avec vous, et ne parois qu’après vous, on ne m’en trouve point. » Cette façon de se justifier apaisait Mme la Princesse, qui, malgré sa dévotion, souffrait volontiers qu’on lui fît souvenir qu’elle avait été et qu’elle était encore très belle.

Mlle de Bourbon poursuivit pendant plusieurs années l’accomplissement de ses désirs, et, pour l’y faire renoncer, il fallut lui faire une sorte de violence. Jusque-là elle avait trouvé le moyen d’échapper au bal. Mme la Princesse fut obligée d’employer son autorité pour l’y faire aller. On lui signifia trois jours à l’avance qu’elle s’y devait préparer.

« Son premier mouvement, dit Villefore[38], fut d’aller dire cette nouvelle à ses bonnes amies les carmélites, qui en furent très affligées et très embarrassées à lui répondre, car elle exigeait leur avis pour savoir comment elle se conduiroit dans une conjoncture si difficile. On tint dans les formes un conseil où présidèrent en habits de religieuses deux excellentes vertus, la Pénitence et la Prudence, et il y fut résolu que Mlle de Bourbon, avant que d’aller à l’assaut, s’armeroit sous ses habillements d’une petite cuirasse vulgairement appelée un cilice, et qu’ensuite elle se prêteroit de bonne foi à toutes les parures qu’on lui destinoit. Dès que l’on eut son agrément, on étudia tout ce qui pouvoit le plus animer ses graces naturelles, et l’on n’oublia rien pour orner une beauté plus brillante par son propre éclat que par toutes les pierreries dont elle fut chargée. Les carmélites lui avoient fort recommandé de se tenir sur ses gardes, mais sa confiance en elle-même la séduisit. À son entrée dans le bal et tant qu’elle y demeura, toute l’assemblée n’eut plus que des yeux pour elle. Les admirateurs s’attroupèrent et lui prodiguèrent à l’envi ces louanges déliées, faciles à s’insinuer dans un amour-propre qui ne fait que de naître et qui ne se défie de rien… Au sortir du bal, elle sentit son cœur agité de mouvemens inconnus : ce ne fut plus la même personne. »

Il ne serait pas sans intérêt de savoir quand eut lieu et quel était ce bal où Mlle de Bourbon fut traînée en victime, où elle parut en conquérante, et d’où elle sortit enivrée ; mais Villefore ne nous apprend rien à cet égard. On en est donc réduit aux conjectures. En voici une que nous donnons pour ce qu’elle peut valoir. On lit dans les mémoires manuscrits d’André d’Ormesson[39] que, le 18 février 1635, il fut donné au Louvre, sous le roi Louis XIII, un grand ballet où figurèrent toutes les beautés du jour, et parmi elles d’Ormesson cite Mlle de Bourbon. Remarquez que c’est le premier bal de cour où le nom de Mlle de Bourbon se rencontre, au moins dans les mémoires d’André d’Ormesson. D’autre part, on n’a pu faire à la jeune fille cette grande violence dont le souvenir nous a été conservé par Villefore que dans une occasion qui en valût la peine et pour un bal du roi. Si cette conjecture était admise, nous aurions la date précise de la conversion de Mlle de Bourbon à la vie mondaine, comme nous avons la date de sa conversion à la vie religieuse : celle-ci est certainement du 2 août 1654[40], quand elle avait trente-cinq ans ; la première serait du 18 février 1635. Mlle de Bourbon avait alors seize ans.

C’est à peu près à cet âge de Mme de Longueville que se rapportent ces mots de Mme de Motteville : « Mlle de Bourbon[41] commençoit, quoique fort jeune, à faire voir les premiers charmes de cet angélique visage qui depuis a eu tant d’éclat. » Pour juger combien cette légère esquisse est fidèle, il faut aller voir à Versailles un portrait d’un vieux et excellent maître nommé Ducayer, représentant Mlle de Bourbon à l’âge de quinze ans, entre son père et sa mère, en 1634 La voilà dans toute la fraîcheur de sa beauté virginale, mais déjà en parure de cour, et comme si elle allait à ce bal qu’elle avait tant redouté et qui changea son ame et sa vie.

Depuis, Mlle de Bourbon visita un peu moins souvent ses amies du couvent des Carmélites sans les oublier ni les abandonner. Jusque-là elle n’avait eu qu’un sentiment ; dès-lors elle en eut deux : l’amour de Dieu et des carmélites avec le goût des succès du monde ; elle conserva la même piété, mais cette piété fut désormais combattue par le désir de plaire, le besoin d’aimer et d’être aimée, et la passion d’être applaudie à son tour sur le théâtre où elle voyait briller tant de personnes qui n’avaient ni sa naissance, ni son esprit, ni sa figure. Ce combat dura longtemps. Nous avons un assez bon nombre de lettres adressées par elle aux Carmélites, et sur le ton de la plus vive piété, dans les momens même où elle se laissait le plus emporter par ses passions. N’accusez ni sa sincérité, ni le peu d’utilité des meilleurs principes. On est très sincère en exprimant des sentimens qu’on a bien réellement dans le cœur, mais qu’on n’a pas la force de suivre ; et ces nobles sentimens ont encore ce précieux avantage, qu’ils mêlent à nos fautes un reste d’honnêteté qui nous empêche de tomber au plus profond de l’abîme, qu’ils y joignent les bienfaisans remords qui entretiennent la vie morale, et qu’ils finissent presque toujours par triompher et ramener au bien après des égaremens passagers. Laissons-les sommeiller quelque temps dans l’aine de Mme de Longueville. Ils ne s’y éteindront jamais. Ils se réveilleront un jour, et nous reviendrons au couvent des Carmélites de la rue Saint-Jacques ; mais il faut le quitter pendant quelques années pour suivre Mlle de Bourbon à la cour, à Chantilly, à Ruel, à Liancourt, parmi les belles compagnies, les agréables promenades, les conversations galantes, et d’abord rue Saint-Thomas-du-Louvre, à l’hôtel de Rambouillet.


V. COUSIN.

  1. Voyez la livraison du 1er août 1851.
  2. Nous empruntons la traduction que Villefore a donnée de cette partie de la relation italienne du cardinal. Villefore, la Vie de Mme la duchesse de Longueville, 1738, Ire partie, p. 22.
  3. Mémoires, t. Ier de l’édit d’Amsterdam, 1750, p. 44.
  4. Nous trouvons sur tout cela des détails nouveaux et curieux dans un Journal historique et anecdote de la Cour et de Paris, au t. XI, in-4o, des manuscrits de Conrart conservés à la bibliothèque de l’Arsenal. Ce journal inédit commence au 1er janvier 1614 et va jusqu’au 1er janvier 1620.
    M. le Prince est arrêté le 1er septembre 1616 par ordre du maréchal d’Ancre, favori de la reine régente Marie de Médicis.
    « Le 11 de septembre, Mme la jeune Princesse arrive fort affligée. On dit que M. de Montmorency fut mal content de ce que la reine ne lui voulut pas permettre de voir M. le Prince.
    « Le 19 mai 1617, M. le Prince fait supplier le roi de faire une œuvre charitable en lui faisant bailler sa femme, à la charge qu’elle demeureroit prisonnière avec lui.
    « 26 mai 1617. Mme la princesse de Condé va saluer le roi et le supplier de lui vouloir permettre d’entrer prisonnière dans la Bastille avec M. le Prince. Le roy le lui accorde, et d’y mener seulement une damoiselle. Sur quoy son petit nain ayant supplié le roy de trouver bon qu’il n’abandonnât pas sa maîtresse, sa majesté le lui permit aussi. La mesme après-dînée, Mme la Princesse entra dans la Bastille, où elle fut reçue de M. le Prince avec tous les témoignages d’amitié qui se peuvent imaginer, et jusques-là qu’il ne la laissa jamais en repos qu’elle lui eût dit qu’elle lui pardonnoit. » - Dans ce même journal, il a été souvent question de la mauvaise conduite du prince envers sa femme, sur laquelle il n’y a pas un seul mot de blâme.
    « 31 aoust 1617. Entreprise pour sauver M. le Prince de la Bastille découverte. »
    « 15 septembre 1617. M. le Prince mené de la Bastille au bois de Vincennes. Long-temps auparavant il avoit demandé que l’on le mit au bois de Vincennes pour y avoir meilleur air. M. de Modène lui dit que se souvenant de cela, il avoit tant pressé le roy sur ce sujet, qu’enfin il l’avoit obtenu. M. le Prince répondit que, depuis il s’estoit accoustumé à l’air de la Bastille ; et sur ce résista le plus qu’il put, jusqu’à ce qu’il fallust aller. Mme la Princesse alla aussi avec lui en carrosse, n’ayant voulu entrer en litière. On dit qu’au commencement M. le Prince croioit seulement qu’on lui vouloir oster sa femme. M. de Vitry, M. de Persan, M. de Modène, étoient avec lui dans le carrosse. Depuis qu’il a esté dans le bois de Vincennes, on lui a permis, environ le commencement d’octobre, de se promener sur l’épaisseur d’une grosse muraille qui est en forme de galerie. M. de Persan est demeuré dans le donjon du bois de Vincennes pour garder M. le Prince avec la plus grande partie des soldats qu’il avoit omis la Bastille, et M. Cadenet, avec douze compagnies du régiment de Normandie, fait garde dans la cour du chasteau, d’où les soldats ne sortent pas. »
    « Environ le 20 décembre 1617. Mme la Princesse très malade. Elle accouche dans le bois de Vincennes, à sept mois, d’un fils mort-né, et fut plus de quarante-huit heures sans mouvement ni sentiment. Jamais personne n’a été en une plus grande extrémité sans mourir. Entre autres médecins, M. Duret et M. Pietre l’assistèrent avec un soin extrême. Sur ce que M. le Prince désiroit qu’on fit des obsèques à ce petit enfant, M. l’évèque de Paris assembla des théologiens, lesquels jugèrent que, puisque n’ayant point receu le baptesme il n’estoit point entré en l’église, on ne devoit user d’aucunes cérémonies sur le sujet de sa mort. » « 5 septembre 1618. Mme la Princesse accouche de deux garçons morts. Le roy en témoigna un très grand déplaisir. Plusieurs personnes eurent permission de l’aller voir. »
    « 21 mars 1619. M. le Prince tombe malade. Mardi, 2 avril, MM. Hatin, Duret et Seguin vont au Louvre représenter l’estat de la maladie. La cause en estoit attribuée à profonde mélancolie. Il fut tenu plusieurs jours hors d’espérance. Il fut permis à Mme sa mère, à Mme la comtesse, à Mme de Ventadour, à Mme la comtesse d’Auvergne, à Mme de la Trémoille, à Mme de Fontaines, à Mme la Grande, etc., de l’aller visiter. Le lundi 8 avril, le roy lui renvoyer son espée par M. de Cadenet, et lui escrit « Mon cousin, je suis bien fasché de votre maladie. Je vous prie de vous resjouir. Incontinent que j’aurai donné ordre à mes affaires, je vous donnerai vostre liberté. Resjouissez-vous donc, et ayez assurance de mon amitié. Je suis, etc. »
    « 28 aoust 1619. Entre minuit et, une heure, Mme la Princesse accouche d’une fille dans le bois de Vincennes. »
    « 17 octobre 1619. Conseil tenu, où l’on prit la dernière résolution de faire sortir M. le Prince. »
    « Le 18. Le roy va à Chantilly pour y attendre M. le Prince. » « Le 19. M. de Luynes va trouver M. le Prince au bois de Vincennes. » « Le 10. M., de Luynes va de bon matin au bois de Vincennes, et monte en carrosse avec M. le Prince et Mme la Princesse, où étoient aussi M. de Cadenet et de Modène. Il vint trouver le roy à Chantilly, et le vit dans un cabinet où l’on dit qu’il se mit à genoux et fit des protestations extrêmes de fidélité et de ressentiment de l’obligation qu’il luy avoit. »
    « Le 22. Le roy revient à Compiègne accompagné de M. le Prince. Mme la Princesse y arriva et vit la reyne le même jour. »
  5. Mémoires de Lenet, édition de Michaud, p. 448.
  6. Mémoires, p. 450.
  7. Mémoires, p. 455.
  8. Ibid., p. 455.
  9. Le frère aîné de celui qui, ayant pris son titre après sa mort, se distingua aussi par sa beauté, sa bravoure et sa galanterie, joua un assez grand rôle dans la vie de Mme de Longueville, et périt dans un duel insensé contre le duc de Beaufort, son beau-frère.
  10. Paris, 1800, in-80.
  11. On s’empresse de toutes parts à recueillir les cartulaires des vieilles abbayes : pourquoi un ami de la religion et des lettres ne s’occuperait-il pas de combler une des lacunes les plus regrettables de la Gallia christiana, en rassemblant, sous le nom de cartulaire du couvent des carmélites du faubourg Saint-Jacques, une foule de pièces que nous avons tenues entre les mains, et qui établiraient sur des monumens authentiques l’histoire de cette intéressante congrégation depuis les premières années du XVIIe siècle jusqu’à la révolution française ? Tout ce que nous avons amassé de notes, d’extraits, de copies, appartient à celui qui entreprendra d’enrichir d’un nouveau volume de ce genre la Collection des documens inédits relatifs à l’histoire de France.
  12. Par exemple de Guide, de Champagne, de Lebrun.
  13. Entre autres une statue en pied du cardinal de Bérulle de la main de Jacques Sarrazin. Ce bel ouvrage se voit encore aujourd’hui dans la chapelle des Carmélites.
  14. Archives générales, section domaniale, 1re liasse de la cote C : « Lettres patentes du roy Henri IV pour l’établissement de l’ordre des religieuses de Notre-Dame du mont Carmel, vérifiées en parlement le 1er octobre 1602, à la très humble supplication de notre chère et bien aimée cousine, la demoiselle de Longueville. » Et en d’autres pièces il est dit aussi : « Le dit seigneur (le roi Henri), inclinant favorablement à la supplication faite par demoiselle Catherine d’Orléans, fille de feu messire Henry d’Orléans, duc de Longueville et de Tonteville… »
  15. C’est depuis ce temps-là que le couvent de la rue Saint-Jacques a été appelé le grand couvent, par opposition à la maison de la rue Chapon.
  16. L’acte de donation, qui est aux Archives générales, est fait tant au nom de la duchesse douairière de Longueville qu’au nom de son fils, le futur mari d’Anne de Bourbon. « Madame Catherine de Gonzagues et de Clèves, duchesse de Longueville et de Touteville, vefve de feu très haut et très puissant prince monseigneur Henry d’Orléans, en son vivant duc de Longueville et de Touteville, comte souverain de Neufchâtel et de Valengin en Suisse, aussi comte de Dunois et de Tancarville, etc., demeurant à Paris, en son hostel de Longueville, rue des Poulies, paroisse Saint-Germain de l’Auxerrois, tant en son nom que comme tutrice, soy faisant et se portant fort pour monseigneur Henry d’Orléans, son fils, aussi duc de Longueville et de Touteville… » Catherine de Gonzagues et de Clèves était la sœur de Charles de Gonzagues, duc de Nevers, le père de Marie et d’Anne de Gonzagues, la reine de Pologne et la Palatine. Son fils, Henri II, jouant à la paume à l’âge de vingt ans, fit un effort, et une de ses épaules devint plus grosse et plus élevée que l’autre. Tout l’art des médecins fut impuissant. La mère désolée s’adressa à Mme Acarie, alors sœur Marie de l’Incarnation. Celle-ci se mit en prière devant le Saint-Sacrement, et le lendemain la taille du jeune duc était fort améliorée. Par reconnaissance, la mère et le fils fondèrent la maison de la rue Chapon, la dotèrent de dix mille écus en argent et de deux mille livres de rentes. Le duc de Longueville a rendu témoignage de ce fait devant les commissaires apostoliques chargés des recherches pour la béatification de Mme Acarie. — On trouve aussi aux Archives divers actes qui prouvent que la nièce de Richelieu, aime la duchesse d’Aiguillon, était aussi une des bienfaitrices de l’un et de l’autre couvent. « Marie Vignerot, duchesse d’Esguillon, demeurant en son hostel, sis à Saint-Germain-des-Prés, paroisse de Saint-Sulpice… »
  17. Voyez Malingre, les Antiquités de la ville de Paris, in-fol., Paris, 1640, p. 152 et 153, et de plus, p. 501 et 503, Nouveaux Mémoires concernant la maison des carmélites ; quelques lignes dans l’Histoire de la Ville de Paris de Félibien et de Lobineau, t. II, p.1268-1271, et quelques titres au t. III des Preuves et Pièces justificatives, p. 144. Sauval contient à peine une page sur les Carmélites, t. Ier, p. 450. Ce qu’il y a de mieux sur ce couvent se trouve dans les Curiosités de Paris, 1771, t. Ier, p. 459-463. Nous en tirons la description suivante de l’église : « Quoique le corps du bâtiment de cette église soit très antique, elle ne laisse pas d’être une des mieux décorées de Paris. Le grand autel est formé de quatre colonnes de marbre, et fort élevé sur un degré de douze marches très ingénieusement posées, accompagné de balustrades de marbre. Tous les ornemens de cet autel sont de bronze doré au feu ; le tabernacle, qui représente l’arche d’alliance, est tout d’argent ; le bas-relief du devant est travaillé dans la perfection, et représente l’Annonciation. Rien n’est plus somptueux que cet autel les jours de fête vous y verrez un soleil enrichi de pierreries d’un très grand prix, accompagné de chandeliers, de vases et d’autres pièces d’orfèvrerie, dont la quantité égale la magnificence. Le tableau est du Guide, et représente l’Annonciation.
    « Le chœur est séparé de la nef par quatre belles colonnes de marbre vert de mer, chargé de flammes de bronze doré d’une beauté et d’une grandeur merveilleuse. Le crucifix de bronze que vous voyez sur la porte est un des meilleurs ouvrages et des plus estimés que Sarrazin ait jamais sculptés.
    « La voûte de l’église, où plusieurs histoires de l’Écriture sainte sont représentées, a été peinte par Champagne des libéralités de Marie de Médicis. Observez-y un excellent morceau de perspective du dessin des orgues : c’est un crucifix avec la sainte Vierge et saint Jean, si artistement peints par le même Champagne, qu’à l’entrée de l’église ils vous paraîtront sur un plan perpendiculaire, quoique horizontal, ce qui fait un effet aussi agréable que singulier.
    « Au-dessus de la porte de cette église, il y a une belle tribune grillée, accompagnée des statues de saint Pierre, de saint Paul et de saint Michel qui terrasse le diable.
    « Toutes les chapelles sont magnifiques : les belles peintures et la dorure y brillent de tous côtés ; la propreté et le bon goût règnent partout.
    « Les douze tableaux ornés de bordures dorées, qui sont placés sous les fenêtres, représentent des sujets tirés du Nouveau Testament, et ont été peints par de très habiles maîtres. Le premier, à droite en entrant, représente la Résurrection de Lazare ; le second, la Circoncision de Notre-Seigneur ; le troisième, l’Adoration des mages ; le quatrième, l’Assomption de la sainte Vierge ; le cinquième, la Descente du Saint-Esprit sur les apôtres ; le sixième, la Naissance de Notre-Seigneur. Ces six tableaux ont aussi été peints par le célèbre Champagne, et sont très estimés. De l’autre côté, le premier représente le Miracle des cinq pains, par Stella ; le second, la Madeleine aux pieds de Notre-Seigneur chez Simon le pharisien : c’est un des plus excellens ouvrages du fameux Le Brun ; le troisième, l’Entrée de Jésus-Christ dans Jérusalem le jour des Rameaux, par de La Hire ; le quatrième, Jésus-Christ assis sur le bord du puits de Jacob, parlant à la Samaritaine, par Stella ; le cinquième, Jésus-Christ servi dans le désert par les anges : il est aussi de Le Brun ; le sixième, l’Apparition de Notre-Seigneur aux trois Marie, par de La Hire.
    « Vis-à-vis le chœur des religieuses, observez le grand tableau qui représente l’Annonciation : c’est un excellent ouvrage du Guide, qui l’avait peint pour la reine Marie de Médicis.
    « Remarquez ensuite la chapelle de Sainte-Marie-Madeleine : elle est des plus ornées. Vous y verrez la statue du cardinal de Bérulle, faite en marbre par Sarrazin en 1657 : elle est élevée sur un piédestal de marbre, où sont d’excellens bas-reliefs de Lestocart, sculpteur renommé. Ces bas-reliefs représentent le saint sacrifice de la messe et celui que Noé fit lorsqu’il fut sorti de l’arche. Vous verrez aussi dans cette chapelle, tout embellie de peintures, un admirable tableau qui est estimé le plus parfait que le fameux Le Brun ait jamais peint ; il représente la Madeleine dans la pénitence. La douleur et le repentir sont si vivement exprimés dans cette figure, et l’habileté de cet excellent maître si fortement prouvée par tous les accompagnemens, que vous ne pouvez rien voir de plus achevé et de plus parfait. La vie de cette sainte est représentée dans les lambris de cette belle chapelle. »
  18. Nous avons ailleurs solidement établi que des trois sources de la connaissance humaine, l’intuition, l’induction, la déduction, la première est de beaucoup la plus féconde et la plus élevée. C’est l’intuition qui, par sa vertu propre et spontanée, découvre directement et sans le secours de la réflexion toutes les vérités essentielles ; c’est la lumière qui éclaire le genre humain, c’est la voix qui parle aux prophètes et aux poètes, c’est le principe de toute inspiration, de l’enthousiasme, et de cette foi inébranlable et sûre d’elle-même, qui étonne le raisonnement réduit à la traiter de folie parce qu’il ne peut s’en rendre compte par ses procédés ordinaires. Voyez Cours de Philosophie, passim.
  19. Voyez la Vie de la Mère Madeleine de Saint-Joseph, religieuse carmélite déchaussée, par un prêtre de l’Oratoire (le père Senault) ; Paris, 1655, in-4o. Il y en a une seconde édition avec des argumentations de 1670.
  20. Nous citerons les plus connus : en 1614, le cardinal de Bérulle, visiteur perpétuel ; en 1619, visiteur, le père de Condren, le second général de l’Oratoire, et supérieur le père Gibieuf, savant oratorien, un des correspondans de Descartes ; en 1653, M. de Gamaches ; en 1655, M. Grandin ; en 1662, M. Favret, docteur en théologie et curé de Saint-Nicolas-du Chardonnet ; en 1678, M. Pirot, docteur de Sorbonne ; en 1715, M. Vivant, grand-vicaire du cardinal de Noailles ; en 1740, M. Delamare, grand pénitencier de l’église de Paris, et en 1747 M. l’évêque de Bethléem, célèbre pour avoir extirpé le jansénisme qui s’était introduit aux Carmélites a la fin du siècle précédent.
  21. Ses lettres d’Espagne, qui sont imprimées, sont pour l’agrément du style fort au-dessus de celles de Mme des Ursins.
  22. Lettre du 5 janvier 1680.
  23. Lettre du 22 novembre 1688.
  24. Édition de Lebel, t. XXXIX, p. 690.
  25. On lira peut-être ici avec intérêt la liste de toutes les prieures françaises du couvent de la rue Saint-Jacques jusqu’à la fin du XVIIe siècle
    1608. La mère Madeleine de Saint-Joseph (Mlle de Fontaines).
    1615. La mère Marie de Jésus (lime de Bréauté).
    1624. La mère Madeleine de Saint-Joseph.
    1635. La mère Marie-Madeleine de Jésus (Mlle de Bains).
    1638. La même réélue.
    1642. La mère Marie de la Passion (Mlle Du Thille).
    1645. Marie-Madeleine, de Jésus.
    1649. La mère Agnès de Jésus-Maria (Mlle de Bellefonds).
    1653. Marie-Madeleine de Jésus. <br / 1656. La même réélue.
    1659. La mère Marie de Jésus (de Gourgues).
    1662. Marie-Madeleine de Jésus.
    1665. Agnès de Jésus-Maria.
    1669. La même réélue.
    1672. La mère Claire du Saint-Sacrement (Mlle Chabot de Jarnac).
    1675. Agnès de Jésus-Maria.
    1678. La même.
    1681. Claire du Saint-Sacrement.
    1684. Agnès de Jésus-Maria.
    1687. La même.
    1690. Claire du Saint-Sacrement, morte en charge.
    1691. La mère Marie du Saint-Sacrement (Mme de la Thuillerie).
    1694. La même.
    1697. Marie du Saint-Sacrement.
    1700. La mère Madeleine du Saint-Esprit (Mlle Le Boult).
    1703. La même.
    1705. La mère Marguerite-Thérèse (Mlle du Merle-Blanc-Buisson).
    1708. La même.
    1709. Madeleine du Saint-Esprit.
    1712. La même.
    1715. La mère Anne-Thérèse de Saint-Augustin (Mlle de Maulevrier).
  26. Paris, 1774, in-12.
  27. Tome I, p. 369.
  28. Ibid., p. 74.
  29. Ibid., p. 79.
  30. Ibid., p. 124.
  31. Tome Ier, p. 146.
  32. Le roi de Pologne Sigismond venait d’épouser Marie de Gonzague, fille du duc de Nevers, sœur de la Palatine. Après la mort de Sigismond, elle passa avec la couronne à son frère Casimir, que Mlle d’Épernon avait refusé.
  33. Sa belle-mère, -Marie du Cambout, nièce de Richelieu, que le cardinal fit épouser au duc d’Épernon, comme il fit épouser Mlle de Brézé au duc d’Enghien. Mme d’Épernon fut maltraitée par son mari, et mourut dans la retraite en 1691. Elle était sœur de l’abbé du Cambout de Pontchâteau, célèbre janséniste. Voyez deux portraits d’elle dans les portraits de Mademoiselle.
  34. Il faut voir dans l’abbé Montis la vive résistance que Mlle d’Épernon eut à vaincre de la part de son frère, le duc de Candalle, surtout de la part de son père, qui en appela au parlement et au pape, la mort imprévue du duc de Candalle, ses restes apportés aux Carmélites, la conversion du duc d’Épernon par les soins de sa fille, les plus beaux traits de sa vie et la sainteté de sa mort. Elle fut une des bienfaitrices du couvent. (Histoire manuscrite et inédite, t. Ier, p. 558) : « Les dons que fit Anne-Marie de Jésus montèrent à plus de cent cinquante mille livres. Outre cette somme prodigieuse, M. le duc d’Épernon, son père, mort en l’année 1661, se trouvant sans héritiers, donna icy par son testament cent mille livres sur les seize cent mille qu’il laissoit en legz pieux, sans néanmoins parler de sa fille, mais en considération de la demande qu’il fit que son cœur y fût inhumé, celuy du duc de Candalle, son fils, mort en 1658, y estant déjà, afin que l’on fit quelques services et prières pour le repos de leurs ames. Ce seigneur avoit déjà assigné à la maison, la vie durant de notre très honorée sœur Anne-Marie, trois mille livres de pension, trouvant que les soixante mille livres qui estoient regardées comme sa dot estoient une somme trop modique et bonne seulement pour doter une demoiselle qui l’avoir suivie. » La demoiselle dont il est ici question, et dont parle aussi Mademoiselle, se nommait Bouchereau. « Étant, dit l’abbé de Montis (p. 34) d’une figure agréable, elle s’occupa pendant quelques années d’un bien aussi fragile ;… mais plus tard elle revint à la piété, et, désirant se faire religieuse et conjecturant les vues de Mlle d’Épernon, elle lui ouvrit son cœur, et la conjura de l’emmener avec elle, ce qui fut aisément accordé. » Mlle Bouchereau mourut pendant son noviciat avant d’avoir fait profession. C’est, par erreur que, sur la foi de l’abbé Montis, dans la vie abrégée de la mère Agnès jointe à celle de Mlle d’Épernon, p. 291, le savant éditeur des ouvres de Bossuet suppose, t. XXXIV, p. 690, que la belle lettre sur la mère Agnès est adressée à « Mme d’Épernon, prieure des carmélites du faubourg Saint-Jacques, » car Mlle d’Épernon, c’est ainsi qu’il la faut appeler, et non pas Mme d’Épernon, n’a jamais été prieure. Bossuet écrivit à la prieure qui succéda à la mère Agnès, soit la mère Claire du Saint-Sacrement, morte au début de sa charge, soit plutôt celle qui la remplaça presque immédiatement, c’est-à-dire la mère Marie du Saint-Sacrement, dans le monde Mme de La Thuillerie, qui fit ses vœux en 1654, fut prieure de 1691 à 1700, et mourut en 1705. Nos manuscrits contiennent plusieurs copies anciennes de la lettre de Bossuet qui ont toutes la suscription : A la mère du Saint-Sacrement.
    La sœur Anne-Marie avait écrit une foule de lettres que l’abbé Montis a eues entre les mains, et dont il donne des extraits. Toutes ces lettres sont perdues, ou du moins elles ne sont plus aux Carmélites. Nous en avons retrouvé un certain nombre adressées à Mme la marquise d’Huxelles, qui, sans contenir rien de fort remarquable, ne seraient point indignes de voir le jour. On les peut voir au t. III des Lettres originales du fonds de Gaignières, à la Bibliothèque nationale et dans un manuscrit de l’Arsenal, Belles-Lettres, n° 369.
    En 1680, Mme de Sévigné, accompagnant Mademoiselle aux Carmélites, y revit Mlle d’Épernon et la trouva bien changée (lettre du 5 janvier 1680, édit. Montmerqué, t. VI, p. 92) : « Je fus hier aux Grandes Carmélites avec Mademoiselle, qui eut la bonne pensée de mander à Mme Lesdiguières de me mener. Nous entrâmes dans ce saint lieu. Je fus ravie de l’esprit de la mère Agnès (Mlle de Bellefonds). Elle me parla de vous, comme vous connoissant par sa sœur (Mme la marquise de Villars). Je vis Mme de Stuart belle et contente (elle fit profession cette année même, disent nos manuscrits, sous le nom de sœur Marguerite de Saint-Augustin, et mourut en 1722). Je vis Mlle d’Epernon… Il y avoit plus de trente ans que nous ne nous étions vues : elle me parut horriblement changée. »
  35. Histoire manuscrite, t. Ier. Épitaphes de Michel de Marillac, de Marguerite et Catherine d’Orléans, de Mme la Princesse, de la princesse de Conti, etc.
  36. Histoire manuscrite, t. Ier, p. 491 et 492.
  37. Villefore, p. 13.
  38. P. 14.
  39. Fol. 332, verso. Nous devons cette indication à M. Cheruel, professeur d’histoire à l’École normale.
  40. Voyez l’article de la Revue des Deux Mondes sur Mme de Longueville, livraison du 1er août 1851, p. 435.
  41. Tome Ier, p. 44.