La Jeunesse de La Fayette
Revue des Deux Mondes3e période, tome 104 (p. 399-442).
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LA
JEUNESSE DE LA FAYETTE

DERNIÈRE PARTIE[1].


I.

Parti de France en rebelle et en fugitif, La Fayette y rentrait acclamé et triomphant. A peine se donna-t-on le temps de punir par huit jours d’arrêts sa désobéissance, encore ne fut-ce qu’après lui avoir permis de causer avec M. de Maurepas. Le prince de Poix lui avait fait connaître tous les ministres.

Ce fut l’enceinte de l’hôtel de Noailles qui tint lieu de Bastille à La Fayette. Quelques jours après, il écrivit à Louis XVI pour lui avouer « son heureuse faute, » et il reçut la permission d’aller recevoir à Versailles une « douce réprimande. » — « En me rendant la liberté, on me conseilla d’éviter les lieux où le public pourrait consacrer ma désobéissance. » Ce fut surtout parmi les femmes de la cour que son succès fut grand. « Toutes l’embrassaient. » Et Marie-Antoinette elle-même, entraînée un instant par le tourbillon, lui faisait donner le régiment du roi-dragons.

L’ivresse de Mme de La Fayette fut au-delà de toute expression. Son bonheur fut bientôt troublé par des alarmes. Elle ne put jouir longtemps en paix du bien qu’elle avait retrouvé. Le séjour de son mari à Paris fut toujours employé à préparer de nouvelles entreprises. Par la force des choses, il se trouvait, en effet, le lien entre les États-Unis et la France, il avait la confiance des deux pays. Sa faveur dans les salons était encore plus grande qu’à la cour. Il l’employait à servir la cause des Américains, à détruire la mauvaise impression qu’on cherchait à répandre contre eux[2].

Les correspondans du parti anglais à l’étranger imprimaient, dans les gazettes à la solde de la Grande-Bretagne, que Louis XVI abandonnait les rebelles et rappelait La Fayette. Il fit alors publier les résolutions du congrès à son sujet, les lettres officielles écrites par le président Laurens et par Washington au gouvernement français et au docteur Franklin. Il avait donc pris pied. Après quelques conversations, il s’était convaincu que le ministère, craignant la trop grande extension des États-Unis, se refuserait à toute entreprise sur le Canada. Comme M. Necker redoutait toute entreprise qui pouvait augmenter les dépenses, La Fayette avait essayé d’organiser une expédition, à la tête de laquelle il aurait placé Paul Jones. Le célèbre corsaire aurait transporté, sous pavillon américain, un corps de troupes sur les côtes d’Angleterre, pour y lever des contributions destinées à fournir aux États-Unis l’argent qu’on ne pouvait tirer du trésor en France. Cette idée fut bientôt abandonnée. La Fayette lui en substitua une autre. Grâce aux encouragemens de l’ambassadeur de Suède, il songea à faire prêter aux Américains quatre vaisseaux de ligne suédois avec la moitié de leur équipage, la France répondant du loyer; mais le plus sérieux de tous ces projets fut une tentative de descente en Angleterre. Le grade d’aide maréchal général des logis eût été attribué au jeune marquis. On réservait à son audace, mêlée de prudence, le soulèvement de l’Irlande.

Il s’était rendu à Saint-Jean-d’Angély, où se trouvaient, avec le roi-dragons qu’il commandait, quelques régimens d’infanterie, momentanément sous ses ordres. Il était avide d’action[3]. Il apprend que le lieutenant-général comte de Vaux est désigné pour commander les troupes destinées à l’expédition. Aussitôt, il écrit à M. de Vergennes (août 1779) : « Ce qui me convient est une avant-garde de grenadiers et de chasseurs et un détachement de dragons du roi, le tout faisant 1,500 à 2,000 hommes qui me mettent hors de la ligne et à portée de m’exercer. D’ailleurs, je connais les Anglais et ils me connaissent aussi, deux choses importantes à la guerre... Je ne suis point de la cour. Je suis encore moins courtisan, et je prie le ministre du roi de me regarder comme sortant d’un corps de garde. » Et dans une autre lettre au même : « Vous me trouverez peut-être bien ardent, mais puisque vous voulez bien être mon ami, songez que j’aime avec passion le métier de la guerre, que je me crois particulièrement ne pour ce jeu-là, que j’ai été gâté pendant deux ans par l’habitude d’avoir de grands commandemens et d’obtenir une grande confiance ! Songez que j’ai besoin de justifier les bontés dont ma patrie m’a comblé. Songez que je l’adore, cette patrie et que l’idée de voir l’Angleterre humiliée, écrasée, me fait tressaillir de joie. Songez que je suis particulièrement honoré de l’estime de mes concitoyens et de la haine de nos ennemis. Après tout cela, monsieur le comte (je ne vous le dirais pas comme ministre du roi), jugez si je dois être impatient de savoir si je suis destiné à arriver le premier sur cette côte et à planter le premier drapeau français au milieu de cette insolente nation. »

On sent déjà dans ces lignes courir cette flamme qui devait, douze ans après, échauffer dans leurs glorieux faits d’armes nos généraux de vingt-cinq ans, prodigues de leur sang et sauvant la patrie à force d’audace, de désintéressement et d’amour. La Fayette était de leur race. Aussi, s’indigne-t-il à la pensée d’une trêve : « Je ne crois pas à la nouvelle telle qu’on me la mande. Pour Dieu ! battons-les une bonne fois, ayons la force de vouloir être craints, et nous penserons alors à une paix qui deviendra honorable. » Enfin, dans une dernière lettre au même M. de Vergennes, lettre datée du Havre, son patriotisme fait explosion: « Me voici au Havre, monsieur le comte, en face du port et dominant surtout les vaisseaux qui nous conduiront en Angleterre. Jugez si je suis content de ma position et si mon cœur appelle les vents du sud qui nous amèneront l’amiral d’Orvilliers ! Je ne puis être tranquille que sur la côte anglaise, et nous n’y sommes pas encore. »

Deux mois se passèrent ainsi à regarder s’ils arrivaient, ces vaisseaux qui devaient porter nos soldats en Angleterre. On dut bientôt perdre toute confiance en cette entreprise. Le projet d’invasion tombait à l’eau ; celui d’envoyer des troupes en Amérique était accepté et subsistait seul. Notre amour-propre y était du reste engagé. L’escadre française avait été impuissante à enlever Savannah aux Anglais (septembre 1779). Les Américains avaient laissé passer, sans se soucier d’y mettre obstacle, les troupes qui venaient appuyer l’assiégé. L’amiral d’Estaing avait été obligé de reprendre la mer, sans tenter le sort d’un nouveau combat. Il nous en avait coûté 700 hommes, tués ou blessés grièvement.

C’était La Fayette qui avait ramené M. de Vergennes au plan de porter des troupes en Amérique. Mais à Philadelphie, quand il fut pour la première fois question d’associer des régimens français aux troupes américaines, les susceptibilités s’éveillèrent. Des craintes de mauvais accueil se manifestèrent dans l’entourage de Washington. Déjà La Fayette dans une lettre importante à M. de Vergennes, du 18 février 1779, avait écrit : « On dira sûrement que les Français seront mal reçus en Amérique et vus de mauvais œil dans son armée. Je ne peux pas nier que les Américains ne soient un peu difficiles à manier, surtout par des caractères français ; mais, si j’étais chargé de ce soin, ou que le commandant nommé par le roi s’y prît passablement bien, je répondrais sur ma tête d’éviter ces inconvéniens et de faire parfaitement recevoir nos troupes. »

Une grande circonspection et une extrême bienveillance lui paraissaient donc nécessaires pour ménager l’amour-propre en éveil du pays de Washington. Toutefois, lorsque, le 17 octobre, l’ordre de licenciement des troupes du comte de Vaux avait été transmis aux ports où elles avaient été l’assemblées, La Fayette avait demandé que l’on y triât du moins 3,000 hommes pour les jeter à propos en Amérique[4].

Attribuerait-on le commandement au jeune major-général des logis? Ne ferait-on pas plutôt de lui l’introducteur du corps auxiliaire et ne l’enverrait-on pas à cette fin reprendre simplement le commandement d’une division américaine? Une lettre qu’il écrivit le 2 février 1780 à M. de Vergennes, devenu son ami, contient les bases du plan qui fut définitivement adopté. Certes, à beaucoup de points de vue, il eût voulu commander la petite armée française : «Si je commande, disait-il, vous pouvez agir en toute sécurité, parce que les Américains me connaissent trop pour que je puisse exciter de fausses inquiétudes. Je prends, si l’on veut, l’engagement de ne demander ni grade, ni titre et même de les refuser pour mettre à son aise le ministère. — Dans le second cas, celui où je reprendrais une division américaine, il faut d’abord prévenir en Amérique le mauvais effet que ferait l’arrivée d’un autre commandant. L’idée que je ne puis pas mener ce détachement est la dernière qui se présenterait là-bas. Je dirai donc que j’ai préféré une division américaine. Il faut que je sois dans le secret pour préparer les moyens et instruire le général Washington. Un secret que je ne saurais pas paraîtrait bien suspect à Philadelphie.» Quelques jours avant, il avait écrit à M. de Maurepas, en soulignant ces mots : « C’est à la fin de février qu’il faudrait être prêt. »

Les convenances militaires ne permirent pas de placer à la tête du corps expéditionnaire un jeune général de vingt-deux ans, ayant, par nature, trop de confiance dans les témérités. Parmi les officiers supérieurs, à la tête des troupes destinées à une descente en Angleterre, Louis XVI choisit un officier général nouvellement promu, dont les qualités de tacticien avaient été appréciées durant la guerre de sept ans et qui avait été désigné par le comte de Vaux pour commander son avant-garde. Il se nommait le comte de Rochambeau.

On décida de mettre sous ses ordres une petite armée dont La Fayette irait d’avance annoncer aux États-Unis l’arrivée. L’ordre était expédié, le 20 février 1780, à la frégate l’Hermione de le transporter à Boston.

Les rapports du commandant du navire au ministre de la marine font juger de la considération enthousiaste dont jouissait le jeune gendre de la maison de Noailles. « J’aurai, dit le capitaine, pour M. le marquis de La Fayette, tous les égards et toutes les attentions non-seulement que me prescrivent vos ordres, mais ceux que mon cœur me dicte pour un homme que ses actions m’ont inspiré le plus grand désir de connaître. Je regarde comme une faveur l’occasion de me trouver à portée de lui donner des marques de la grande estime que j’ai conçue pour lui[5]. » La Fayette se trouvait donc mis au service des États-Unis et il était chargé de préparer les voies auprès de Washington et du congrès pour que les troupes françaises que Louis XVI mettait à la disposition de ses alliés fussent engagées dans une action efficace.

La nomination de Rochambeau ne fut rendue officielle que le 9 mars, et dès le 11, La Fayette était embarqué sur l’. « j’aurai Hermione. « j’aurai. Il lui avait fallu une année d’efforts pour amener la détermination du gouvernement.

Mme de La Fayette, qu’il quittait une seconde fois, souffrait cruellement de pareilles secousses. Après une grossesse pénible, elle avait mis au monde, le 24 décembre 1779, un fils, George, dont Washington fut le parrain. Cette naissance avait comblé la famille de joie, et il fallait qu’un bonheur si court fût encore troublé. La douleur de la séparation avait été plus profonde dans le cœur de Mme de La Fayette qu’au premier voyage. Son sentiment, comme le dit Mme de Lasteyrie, s’était accru par ses inquiétudes et par le charme des momens passés près de son mari. Elle avait alors dix-neuf ans. Ses impressions étaient devenues plus fortes et plus intenses. Une confiance plus intime, plus soumise, avait associé son esprit plus mûr aux opinions et aux desseins de cet époux si adoré. Elle lui avait donné toute sa raison et tout son cœur. Elle était fière de lui. Ç’avait été pour elle une fête inoubliable, le jour où le petit-fils de Franklin, celui que Voltaire mourant avait béni au nom de Dieu et de la liberté, remit solennellement à La Fayette l’épée d’honneur que les États-Unis lui offraient à titre de reconnaissance nationale. Mais Mme de La Fayette n’était pas faite pour les émotions de la gloire et pour les secousses de l’imagination. Le calme de la vie domestique et recueillie était son rêve. Elle ne put le réaliser que quelques années avant de s’éteindre, au milieu de privations qui lui pesaient si peu.

La Fayette emportait en Amérique de bonnes nouvelles. Son intervention n’avait pas eu seulement pour résultat de faire porter la force de la petite armée de Rochambeau de 4,000 hommes à 6,000 hommes ; grâce à lui, un prêt de 6 millions avait été mis à la disposition de Franklin pour des achats d’armes et de vêtemens. Il était temps pour les Français d’agir[6].

Pendant que Florida-Blanca demandait notre intervention auprès du congrès pour procurer à l’Espagne les avantages qu’elle souhaitait au sud des États-Unis, la situation s’y montrait sous les aspects les plus graves. Les suites de notre échec à Savannah avaient été funestes. Lord Cornwallis s’était emparé de la Géorgie et des deux Carolines. Le parti des tories, les royalistes, relevait la tête. Les patriotes semblaient consternés. Heureusement, le courage et l’héroïsme des femmes américaines relevèrent leurs époux, leurs pères, leurs fils de leur abattement. Bientôt, de toutes parts, on courut aux armes, et les républicains, par un redoublement d’ardeur et de fermeté, se montrèrent dignes du secours que la France leur envoyait.

Dans le nord, Washington, inébranlable au milieu des revers, rassurait le congrès et contenait, sans se compromettre, les forces redoutables de Clinton. Enfin, la fortune allait seconder son génie. Le 27 avril 1780, il recevait de La Fayette ce billet daté de l’entrée du port de Boston :

« Je suis ici, mon cher général, et au milieu de la joie que j’éprouve à me retrouver un de vos fidèles soldats, je ne prends que le temps de vous dire que je suis venu de France à bord d’une frégate que le roi m’a donnée pour mon passage. J’ai des affaires de la dernière importance que je dois d’abord communiquer à vous seul. En cas que ma lettre vous trouve de ce côté-ci de Philadelphie, je vous supplie de m’attendre et vous assure qu’il pourra en résulter un avantage public. Adieu, vous reconnaîtrez aisément la main de votre jeune soldat. »

Le retour de La Fayette produisit la plus vive sensation. Toute la population de Boston courut au rivage pour le recevoir. Il fut conduit en triomphe chez le gouverneur Hancock, d’où il partit sur-le-champ pour le quartier-général. Washington apprit avec une vive émotion l’arrivée de son jeune ami. A la réception du courrier qui lui apporta cette nouvelle, des larmes coulèrent de ses yeux.

La Fayette fut reçu avec les manifestations les plus joyeuses par l’armée américaine. Il apprit alors au commandant en chef ce qui avait été résolu par le cabinet de Versailles et l’arrivée du secours si attendu. L’histoire doit l’enregistrer avec satisfaction : Louis XVI, avec un grand sens de la politique extérieure, n’avait pas eu besoin d’être stimulé par ses ministres. Il avait dû souvent prendre les devans. Les documens publiés font ressortir de la façon la plus honorable son rôle personnel dans la question américaine. Washington sentit toute l’importance de ces communications et regarda cette heureuse nouvelle comme décisive pour les affaires de son pays[7].

L’amour-propre des Américains était sauvegardé par les instructions confidentielles de M. de Vergennes. Il avait été réglé que le corps commandé par le lieutenant-général de Rochambeau serait entièrement aux ordres de Washington et ne ferait qu’une division de son armée. Les Français ne seraient jamais regardés que comme auxiliaires, prenant la gauche des troupes des États-Unis, et le commandement devait appartenir, à parité de grade et de date, au commandant américain.

Le secret fut bien gardé. Mais les préparatifs furent longs, et le vent fut contraire au départ de Brest pendant presque autant de semaines encore qu’il en avait fallu pour effectuer l’embarquement. Le 2 mai seulement, le chevalier de Ternay, commandant l’escadre, prit le large avec six vaisseaux, cinq frégates et son convoi. Dans la lettre adressée le 3 juin à La Fayette par le ministre de la marine, il est dit: « Le convoi vous mène 5,500 hommes effectifs; le défaut de bâtimens de transport n’a pas permis d’embarquer plus de monde, et la saison est bien avancée pour envoyer tout de suite le reste. Il est probable qu’on ne pourra faire partir qu’en automne les deux autres régimens. Peut-être est-ce un bien? Nous saurons comment les premiers auront été accueillis et si on en désire plus. » Les deux régimens ne furent pas envoyés.

L’escadre du chevalier de Ternay entra le 17 juillet dans le port de Rhode-Island, après soixante-dix jours de navigation. La petite armée de Rochambeau campa près de New-York. Le général anglais Clinton s’embarqua aussitôt avec 10,000 hommes pour descendre à Rhode-Island, mais le corps expéditionnaire renforcé par trois mille Américains que La Fayette et le général Heats amenèrent s’était mis en telle mesure de défense, que Clinton ne persista pas dans son projet. Il en fut d’ailleurs détourné, en apprenant la marche de Washington qui se rapprochait de New-York.


II.

Les troupes françaises étaient remplies d’ardeur, et le bon accord des deux alliés justifiait les prévisions et la conduite politique de La Fayette. Jamais il n’avait cependant trouvé Washington plus victime de l’âpre rivalité des intérêts de son pays et des jalousies démocratiques. Ce grand citoyen voyait l’armée, avec laquelle, depuis cinq ans, il défendait l’indépendance nationale, toucher aux derniers sacrifices. Comme l’écrivait La Fayette à M. de Vergennes, le 23 juillet, le congrès n’avait ni argent, ni papier. « Les officiers et soldats de l’armée américaine n’ont pas un schelling. Les premiers ne reçoivent qu’une ration et n’ont point d’habits, sans avoir, comme les soldats, l’espérance d’en recevoir de France[8]. »

Les Français s’étant fortifiés à Newport et Clinton ayant renoncé à les attaquer, La Fayette put entretenir Rochambeau et son état-major du projet d’opérations offensives, combiné par Washington pour la réduction de la ville et de la garnison de New-York. La Fayette en désirait l’accomplissement avec beaucoup d’ardeur, et le général en chef y ajoutait un grand prix. Cependant la chose était difficile. Quoique la prise de New-York eût toujours été dans les vues du ministère français, les instructions de Rochambeau lui prescrivaient d’attacher une importance capitale au poste de Rhode-Island et d’en faire sa base d’opérations. Il répugnait donc à s’en éloigner pour marcher sur New-York[9].

D’autre part, le chevalier de Ternay ne pouvait avoir la supériorité maritime qu’après l’arrivée de la seconde division de la flotte impatiemment attendue de France, ou par la jonction avec l’escadre de M. de Guichen, alors dans les Antilles. Plusieurs conférences se tinrent vers la fin de juillet et le commencement d’avril entre Ternay, Rochambeau et La Fayette. Ce dernier, dans une longue lettre officielle, datée du 9 août 1780, avait résumé, comme dans un procès-verbal, toutes les questions, afin d’en présenter un compte-rendu à Washington. Le 12, Rochambeau fait connaître au marquis qu’il a sollicité directement du général en chef un rendez-vous, pour que l’amiral et lui discutent verbalement un plan définitif. « On fera plus en un quart d’heure de conversation que par des dépêches multipliées... Sur ce que vous me mandez, mon cher marquis, que la position des Français à Rhode-Island n’est d’aucune utilité, je vous observerai que je n’ai pas encore ouï dire qu’elle ait nui à aucun d’entre eux. Je crains les Savannah et autres avertissemens de cette espèce, dont j’ai tant vu dans ma vie. Il est un principe en guerre comme en géométrie, Vis imita fortior. Au surplus, j’attends les ordres de mon généralissime... Je vous embrasse, mon cher marquis, du meilleur de mon cœur. »

Cette ardeur naturelle de La Fayette ne faisait actuellement que correspondre aux dispositions de Washington, désireux de sortir d’une inaction fatale à sa cause.

Dans ses Mémoires[10], Rochambeau dit, pour la justification de La Fayette, qu’il rendait « substantiellement » les sentimens du général en chef, et que ce dernier se servait de la jeunesse et de l’ardeur de son lieutenant pour les exprimer avec plus d’énergie. La Fayette, en effet, insiste. Il a rendu compte à Washington des conférences, et il a reçu de pleins pouvoirs pour arrêter définitivement le plan de campagne. On avait du reste créé exprès pour lui un corps d’élite destiné à être l’avant-garde de l’armée. Le marquis parlait donc aussi avec l’autorité d’un général des États-Unis.

Cette insistance, qu’il ne tenait pas seulement de sa jeunesse, mais aussi de son optimisme, de cette confiance heureuse faite d’enthousiasme et de persistance, qui était le fond de sa nature, cette insistance auprès d’un officier supérieur plus expérimenté que lui, aurait fini par tourner en acrimonie, et aurait pu amener entre les deux armées des divisions fâcheuses. La Fayette le comprit, et avec une spontanéité qui tenait à la fois de sa modestie et de sa bonté, il écrivit au général Rochambeau : « Si je vous ai offensé, je vous en demande pardon, pour deux raisons ; la première que je vous aime, la seconde que mon intention est de faire ici tout ce qui pourra vous plaire. Partout où je ne suis que particulier, vos ordres seront pour moi des lois, et pour le dernier des Français qui sont ici, je ferais tous les sacrifices plutôt que de ne pas contribuer à leur gloire, à leur agrément, à leur union avec les Américains. Tels sont, monsieur le comte, mes sentimens, et quoique vous m’en supposiez de bien contraires à mon cœur, j’oublie cette injustice pour ne penser qu’à mon attachement pour vous... Mon tort a été d’écrire avec chaleur, officiellement, ce que vous auriez pardonné à ma jeunesse, si je vous l’avais écrit en ami, et à vous seul, mais j’étais tellement dans la bonne foi, que votre lettre m’a surpris autant qu’elle m’a affligé, et c’est beaucoup dire. »

La réponse de Rochambeau mérite d’être citée. Elle montre bien ce que l’amabilité et la politesse ajoutaient à la vaillance de la vieille armée française, et comme la générosité d’âme s’y mêlait à toutes les vertus militaires :


« New-York, le 27 août 1780.

« Permettez, mon cher marquis, à un vieux père de vous répondre comme à un fils tendre, qu’il vous aime et vous estime infiniment. Vous me connaissez assez pour croire que je n’ai pas besoin d’être excité, qu’à mon âge, quand on a pris un parti fondé sur la raison militaire et d’état, forcé par les circonstances, toutes les instigations possibles ne peuvent rien faire changer sans un ordre positif de mon général. Je suis assez heureux, au contraire, pour qu’il me dise dans ses dépêches que mes idées s’accordent substantiellement avec les siennes, sur toutes les bases qui permettront de tourner ceci en offensive, et que nous ne différens que sur quelques détails, sur lesquels la plus petite explication et certainement ses ordres trancheront toute difficulté. — Vous êtes humilié, mon cher ami, dans votre qualité de Français, de voir une escadre anglaise bloquer ici, par une supériorité marquée de vaisseaux et de frégates, l’escadre du chevalier de Ternay; mais consolez-vous, mon cher marquis, le port de Brest est bloqué depuis deux mois par une flotte anglaise qui a empêché de partir la seconde division, sous l’escorte de M. de Bougainville....

…………………….

« C’est toujours bien fait, mon cher marquis, de croire les Français invincibles ; mais je vais vous confier un grand secret, d’après une expérience de quarante ans : Il n’y en a pas de plus aisé à battre, quand ils ont perdu la confiance en leurs chefs, et ils la perdent tout de suite, quand ils ont été compromis à la suite de l’ambition particulière et personnelle... Soyez donc bien persuadé de ma plus tendre amitié, et que, si je vous ai fait observer très doucement les choses qui m’ont déplu dans votre dernière dépêche, j’ai jugé tout de suite que la chaleur de votre âme et de votre cœur avait un peu échauffé le flegme et la sagesse de votre jugement; conservez cette dernière qualité dans le conseil, et réservez toute la première pour le moment de l’exécution.

« c’est toujours le vieux père Rochambeau qui parle à son cher fils La Fayette qu’il aime, aimera, et estimera jusqu’au dernier soupir. » Il ne resta pas trace de cet incident, entre le vaillant soldat de la guerre de sept ans et le chevaleresque ami de Washington.

La conférence, si désirée par Rochambeau et longtemps différée, fut enfin accordée. Le rendez-vous fut fixé à Hartford, dans le Connecticut. La Fayette et Washington, pour s’y rendre, quittèrent l’armée le 18 septembre. C’est à la suite de cette entrevue qu’il fut décidé qu’on enverrait à Paris le colonel américain Laurens, fils de l’ancien président. Il fut choisi, presque unanimement, par le congrès. Son dévoûment à la cause de l’indépendance, ses longs services militaires, la réputation qu’il s’était acquise, le firent balancer à se charger de cette mission. Il voulait qu’on donnât la préférence à M. Hamilton, aide-de-camp de Washington. Il partit néanmoins, muni de toutes les instructions. Nul ne voyait plus clairement l’état de détresse de son pays et le besoin extrême qu’il avait non pas d’un cordial accueil, mais de secours prompts et puissans dans tous les genres, qui missent en état de prendre New-York et d’y faire signer enfin une paix glorieuse[11].

C’est en revenant de la conférence de Hartford que fut découverte la conspiration d’Arnold. Washington aurait encore trouvé ce général à son quartier, si le désir de montrer à La Fayette le fort de West-Point, construit pendant son absence, ne l’avait point porté à s’y rendre avant d’arriver à Robinson’s house, où logeait le général Arnold. C’est le seul officier américain qui ait jamais pensé à se servir de son commandement comme d’un moyen de fortune. Tous les autres faisaient la guerre à leurs dépens. Les affaires commerciales ou industrielles étaient ruinées par leur absence, et ceux qui avaient des professions en avaient perdu l’exercice. Qui ignore que Washington, sachant la pénurie du trésor, ne voulut jamais accepter d’émolumens, se contentant de se faire rembourser les dépenses les plus nécessaires?

Tous les historiens américains ont rendu un compte détaillé de la trahison d’Arnold, nous n’en referons pas après eux le récit. Nous ne rappellerons que la réponse pénétrante de M. de Vergennes à l’amiral de Ternay, qui lui annonçait cet événement : « C’est moins l’exemple que j’appréhende, que les motifs sur lesquels a été appuyée la trahison. Ils peuvent trouver faveur dans un pays où la jalousie est en quelque sorte l’essence du gouvernement[12]. »

Dans une lettre, à sa femme, des 7 et 8 octobre 1780, La Fayette lui rendait compte des principaux faits accomplis depuis son arrivée à Boston. Il était moins seul. Le vicomte de Noailles, le second gendre du duc d’Ayen, avait suivi le comte de Rochambeau. Il était enfermé à Rhode-Island. Les deux beaux-frères s’écrivaient souvent ; mais c’est dans la correspondance avec Mme de Lafayette qu’il faut chercher le fond du cœur de son mari : « Tant que notre infériorité maritime durera, lui disait-il, vous pourrez être tranquille sur la santé de vos amis d’Amérique... Vous aurez su que, depuis mon arrivée, je trouvais l’armée du général Washington fort exiguë en nombre, et plus encore en ressources. Mais le désir de coopérer avec leurs alliés donna aux états un nouvel essor. L’armée du général Washington augmenta de plus de moitié et l’on y ajouta plus de 10,000 hommes de milice, qui seraient venus, si nous eussions agi offensivement. Il y eut des associations de marchands, des banques patriotiques pour faire subsister l’armée. Les dames firent et font encore des souscriptions pour donner quelques secours aux soldats. Dans le temps que cette idée fut proposée, je me fis votre ambassadeur auprès des dames de Philadelphie et vous êtes pour 100 guinées sur la liste... M. de Rochambeau et M. de Ternay, ainsi que tous les officiers français, se conduisent fort bien ici. Un petit excès de franchise m’a occasionné un léger débat avec ces généraux. Comme j’ai vu que je ne persuadais pas et qu’il est intéressant à la chose publique que nous soyons bons amis, j’ai dit à tort et à travers que je m’étais trompé, que j’avais commis une faute, et j’ai, en propres termes, demandé pardon, ce qui a eu un si merveilleux effet que nous sommes mieux que jamais à présent... Je vais fermer ma lettre, mais avant de la cacheter, je veux vous parler encore un petit moment de ma tendresse. Le général Washington a été bien sensible à ce que je lui ai dit pour vous. Il me charge de vous présenter ses plus tendres sentimens ; il en a beaucoup pour George. Il a été fort touché du nom que nous lui avons donné. Nous parlons souvent de vous et de la petite famille. — Adieu ! adieu ! »

Comme si ce n’était pas assez de l’épreuve de la trahison, les États-Unis voyaient le manque de paie et d’entretien produire des soulèvemens dans les troupes de Pensylvanie. Le congrès et les ministres engagèrent La Fayette à se rendre au milieu des révoltés avec le général Saint-Clair. Il fut reçu avec respect, et écouta les plaintes, qui n’étaient que trop fondées. L’affaire fut apaisée par la conciliation, mais une révolte semblable dans la brigade de New-Jersey fut comprimée avec plus de rigueur par Washington. La souffrance et les désappointemens de cette brave armée étaient faits pour lasser toute patience humaine.

La campagne s’était passée en reconnaissances, tout plan de diversion avait été écarté. L’année 1781 s’ouvrait sous les plus fâcheux auspices. Arnold était descendu avec les troupes anglaises en Virginie, et il y commettait les plus honteux excès. Malgré tous les désavantages de la position de l’armée française, le chevalier Destouches, qui avait remplacé M. de Ternay, décédé à Newport, forma une petite escadre sous les ordres de M. de Tilly. Tandis que Washington envoyait La Fayette avec 1,200 hommes d’infanterie légère, Rochambeau faisait conduire, par M. de Viomenil, un détachement de la même force. Déjà, La Fayette cernait Portsmouth, où s’était enfermé Arnold, lorsque l’issue du combat entre l’escadre anglaise et l’escadre française rendit les Anglais maîtres de la Chesapeake.

Pendant que le chevalier Destouches et M. de Viomenil revenaient à Newport, La Fayette, reconduisant son détachement au camp, le trouva bloqué par des frégates ennemies qui étaient en forces beaucoup trop considérables pour ses bateaux ; mais ayant placé du canon sur deux vaisseaux marchands, et mis des troupes à bord, il éloigna par cette manœuvre les frégates, et, profitant d’un bon vent, il arriva avec ses embarcations à Head-of-Elk, où d’importantes dépêches de Washington l’attendaient. Le plan de campagne des ennemis venait d’être connu. La Virginie en était l’objet. Le général Philipps, d’après les ordres du commandant en chef des forces anglaises, Clinton, étant parti de New-York avec un corps de troupes pour rejoindre Arnold, Washington mandait à La Fayette de marcher au secours de la Virginie. C’est cette campagne qui mit en évidence ses hautes qualités militaires et le classa au premier rang.

La tâche n’était pas facile. Il avait à peine 2,000 hommes. « Je ne suis pas même assez fort, écrivait-il au général en chef, le 23 mai, pour me faire battre. Nous sommes comme rien, devant une force aussi considérable. » Et quels hommes! Ils n’avaient ni souliers, ni chemises. Les négocians de Baltimore prêtèrent à La Fayette 2,000 guinées, pour avoir de la toile. Les femmes, les jeunes filles, qu’il alla visiter à un bal donné en son honneur, se chargèrent de coudre les chemises. Les jeunes gens de la même ville formèrent un escadron de dragons volontaires. La désertion commençait dans les rangs de l’infanterie légère. La Fayette mit à l’ordre du jour de son armée qu’il partait pour une opération difficile et dangereuse, qu’il espérait que ses troupes ne l’abandonneraient pas, mais que quiconque voudrait s’en aller le pourrait à l’instant ; et il renvoya deux soldats qui devaient être punis pour des fautes graves. Dès ce moment, la désertion cessa, et pas un seul homme ne voulut le quitter.

Il marcha avec une telle rapidité pour protéger Richmond, capitale de la Virginie, qu’il devança le général anglais Philipps, envoyé par Clinton pour prendre le commandement du Sud. A la nouvelle d’une fausse attaque sur Petersburg, La Fayette fit filer un convoi de munitions et d’habillemens dont son collègue, le général Greene, avait un besoin urgent; ce fut durant cette reconnaissance que Philipps mourut. Chose étrange, ce général Philipps commandait à la bataille de Minden la batterie dont un boulet avait tué le père de La Fayette.

Après la mort du chef des troupes anglaises, il était arrivé, en négociateur, un officier porteur d’un passeport et de lettres du général Arnold. La Fayette refusa toute communication avec un traître. Ce refus fit grand plaisir à Washington et à l’opinion publique et plaça Arnold dans une situation difficile vis-à-vis de ses propres troupes. Mais l’apparition inattendue de lord Cornwallis, qui venait le 20 mai d’opérer sa jonction avec Arnold, rétablit les affaires des Anglais dans la Virginie. Pour activer la marche, il s’était débarrassé de tous ses équipages pour ses soldats et pour lui-même. La Fayette se mit au même régime, et pendant toute cette campagne, les deux armées couchèrent au bivouac, ne portant avec elles que le strict nécessaire.

Le commandant de l’infanterie légère américaine avait pour mission de harceler les Anglais et de prolonger la défense le plus longtemps possible. Il s’acquitta habilement de sa tâche. Washington lui envoyait, comme renfort, les Pensylvaniens avec le général Wayne. Cornwallis, en se mettant aux trousses de La Fayette, avait écrit une lettre qui fut interceptée et où il se servait de cette expression : The boy can not escape me: l’enfant ne peut ni échapper.

L’enfant lui échappa et le suivit pas à pas, sans compromettre dans une seule affaire l’infériorité de ses forces et trompant son formidable adversaire, comme il l’appelait, sur le nombre de ses troupes.

Il n’avait guère le loisir, durant cette audacieuse et active campagne, d’écrire à Mme de La Fayette. Depuis sa lettre du 2 février 1781, où il lui recommandait le colonel Laurens, envoyé en mission à la cour de France, et où il disait gentiment : « Pour être vagabond, je ne suis pas moins tendre, » il n’avait pu lui adresser d’autres missives; mais le 24 août, au camp devant Yorktown, il dépêche à sa chère femme un courrier : «Le séjour de Virginie, dit-il, n’est rien moins que favorable à ma correspondance ; ce n’est pas aux affaires que je m’en prends, et trouvant tant de temps pour m’occuper de ma tendresse, j’en trouverais bien aussi pour vous en assurer. Mais il n’y a point d’occasion ici, nous sommes forcés d’envoyer les lettres au hasard à Philadelphie; ces risques-là, réunis à ceux de la mer, et le redoublement de retards doivent nécessairement rendre plus difficile l’arrivée des lettres; si vous en recevez plus de l’armée française que de celle de Virginie, il serait injuste d’imaginer que je suis coupable. « L’amour-propre dont vous m’honorez a peut-être été flatté du rôle qu’on m’a forcé de jouer; vous aurez espéré, mon cher cœur, qu’on ne pouvait pas être également gauche sur tous les théâtres; mais je vous accuserais d’un terrible accès de vanité (car, tout étant commun entre nous, c’est être vaine que de me trop estimer) si vous n’aviez pas tremblé pour les dangers que je courais; ce n’est pas des coups de canon que je parle, mais des coups de maître beaucoup plus dangereux que me faisait craindre lord Cornwallis. Il n’était pas raisonnable de me confier un tel commandement; si j’avais été malheureux, le public aurait traité cette partialité d’aveuglement... Mon ami Greene a eu beaucoup de succès en Caroline, et cette campagne a pris partout une beaucoup meilleure tournure que nous ne devions espérer. Peut-être pourra-t-elle finir fort agréablement... »

C’est avec cet enjouement et cette modestie, et en faisant allusion à sa gaucherie d’autrefois, qu’il rendait compte à Mme de La Fayette de ces heureuses nouvelles.

Le dénoûment, en effet, était proche.

On avait cru jusqu’à ce jour qu’après les deux vives escarmouches de Williamsburg et de Jamestown, l’armée anglaise avait été forcée, par d’habiles manœuvres, à se concentrer à Yorktown. Les archives aujourd’hui se sont ouvertes, et les documens nouvellement publiés rectifient sur ce point des opinions insuffisamment éclairées. On sait maintenant le secret de l’abandon de Williamsburg, puis de Portsmouth, par lord Cornwallis et de son recul devant des forces inférieures aux siennes. Toute cette conduite était l’exécution d’un plan que la jalousie du commandant en chef Clinton et la crainte des succès d’un subordonné et d’un rival avaient imposé. Si La Fayette ignora pourquoi Cornwallis ne lui avait pas opposé plus de résistance dans cette campagne de Virginie, il avait exactement opéré comme si la résistance devait se produire. Il a été heureux, mais ses qualités militaires ne reçoivent pas d’atteinte.

C’était un projet fortement conçu que de débloquer Rhode-Island, de tromper Clinton, de se renfermer dans New-York et de retenir Cornwallis en Virginie. C’était permettre à la France d’envoyer assez à temps du port de Brest, et ensuite des Antilles, dans la baie de Chesapeake, une flotte destinée à ôter à l’armée anglaise tout espoir de retraite et d’embarquement, à l’instant précis où Washington, Rochambeau et La Fayette viendraient forcer les Anglais dans leurs derniers retranchemens. Ce grand projet, qui décida du sort de la guerre, ne put être conçu que par des hommes d’un talent supérieur. « Il fallut, dit M. de Ségur, pour le faire réussir, toute l’audace de l’amiral comte de Grasse, toute l’habileté de Washington, soutenue par la vaillance de La Fayette, par la sagesse du comte de Rochambeau, par l’héroïque intrépidité de nos marins et de nos troupes, ainsi que par la valeur des milices américaines. »

Tandis que Washington et Rochambeau réunis établissaient leur camp à Philippsburg, à trois heures de Kingsbridge, premier poste des Anglais dans l’île de New-York, ce mouvement amenait un résultat très avantageux. Le général Clinton avait, en effet, reçu de Londres l’ordre de s’embarquer pour opérer une descente sur les côtes de la Pensylvanie. L’approche des armées ennemies, en l’empêchant d’exécuter ce projet, le retenait dans New-York. En même temps, dans le sud, Cornwallis, n’ayant pu parvenir à empêcher la jonction de La Fayette avec la brigade de Pensylvanie, se conformait aux ordres qui lui avaient été donnés et se repliait par la rivière de James sur Williamsburg et Yorktown. L’amiral de Grasse ayant débarqué avec 3,200 hommes, d’autre part Washington et Rochambeau étant arrivés, toutes les forces combinées investirent York.

Les premiers jours d’octobre, ce siège mémorable commença. Tous les historiens en ont raconté les incidens. On sait qu’il devint nécessaire d’enlever les redoutes de la gauche des ennemis. L’infanterie légère américaine, sous le commandement du marquis de La Fayette et de Hamilton, les grenadiers et chasseurs français, sous les ordres du baron de Viomenil et du marquis de Saint-Simon, marchèrent à l’assaut. Les Américains entrèrent dans le premier retranchement à la baïonnette. Comme le feu des Français durait encore, La Fayette envoya demander au baron de Viomenil s’il avait besoin d’un secours; mais il ne tarda pas à s’emparer de la seconde redoute. Ce brillant succès détermina lord Cornwallis à capituler (17 octobre 1781). L’armée anglaise se rendit prisonnière de guerre.

Le duc de Lauzun et le comte Guillaume des Deux-Ponts furent chargés par Rochambeau de porter en France le texte même de la capitulation. « La pièce est jouée, écrivait La Fayette le 20 au comte de Maurepas, et le cinquième acte vient de finir. »


III.

Il avait à peine eu le temps de dire dans une lettre piquante à Mme de La Fayette : « Voici le dernier instant, mon cher cœur, où il me soit possible de vous écrire; » et le duc de Lauzun achevait à peine de raconter au maréchal de Noailles l’héroïque conduite de son petit gendre, lorsqu’il arrivait lui-même à Paris le 21 janvier 1782, au moment où on ne l’attendait pas. Le nouveau ministre de la guerre, M. de Ségur, qui avait remplacé M. de Montbarrey, annonçait à La Fayette que le roi le nommait « maréchal de camp de ses armées ; » et le nom de Royal-Auvergne était donné au régiment du Gâtinais, qui était monté le premier à l’assaut de la redoute de Yorktown. Mais un témoignage plus flatteur encore d’estime et d’approbation lui était venu de la part de l’homme d’État intelligent qui avait conduit avec autant de prudence que de fermeté la politique française durant la guerre de l’indépendance des États-Unis. Le 1er décembre 1781, M. de Vergennes écrivait à La Fayette[13] :

« Je réponds, monsieur le marquis, pour M. le comte de Maurepas et pour moi, aux deux lettres dont vous nous avez honorés les 24 août, 20 et 24 octobre. Ce n’est pas sans beaucoup de regret que vous apprendrez la perte que nous avons faite de cet excellent homme. C’est un bien bon ami que vous avez perdu, je puis en parler savamment : j’étais le dépositaire de ses sentimens pour vous et je suis en droit de vous assurer qu’ils ne différaient pas de ceux que je vous ai voués.

« M. de Maurepas vivait encore lorsque M. le duc de Lauzun est arrivé. Il a joui un moment de la satisfaction que nous ont causée les événemens glorieux qu’il venait nous annoncer. La joie en est bien vive, ici et dans toute la nation, et vous pouvez être assuré que votre nom y est en vénération. On reconnaît avec plaisir que, quoique vous n’ayez pas eu la direction en chef de cette grande opération, votre conduite prudente et vos manœuvres préliminaires en avaient préparé le succès. Je vous ai suivi pas à pas, monsieur le marquis, dans toute votre campagne en Virginie ; j’aurais souvent tremblé pour vous, si je n’avais été rassuré par votre sagesse. Il faut bien de l’habileté pour s’être soutenu, comme vous l’avez fait si longtemps, devant le lord Cornwallis, dont on loue les talens pour la guerre, malgré l’extrême disproportion de vos forces. C’est vous qui l’avez conduit au terme fatal, où, au lieu de vous faire prisonnier de guerre, comme il pouvait en avoir le projet, vous l’avez mis dans la nécessité de se rendre lui-même.

« L’histoire offre peu d’exemples d’un succès aussi complet ; mais on se trompera, si on croit qu’il fixe l’époque d’une paix imminente. Il n’est pas dans le caractère des Anglais de se rendre aussi facilement. Attendez-vous à de plus grands efforts de leur part pour reprendre le terrain qu’ils ont perdu et même pour l’étendre, si la chose est possible, et elle le deviendrait si le pays que vous habitez, se reposant dans une funeste sécurité, ne se prête pas à la nécessité de multiplier ses efforts. Ce que j’entends de l’état de l’armée américaine n’est pas à beaucoup près satisfaisant; l’espèce des hommes est bonne, mais ils sont peu nombreux : ce sont cependant les gros bataillons qui décident la victoire. Prêchez, monsieur le marquis, cette doctrine à nos amis. Faites-leur sentir que ce n’est plus le moment de prêter à de petites considérations s’ils veulent assurer sur des fondemens inébranlables l’ouvrage glorieux qu’ils ont entrepris avec tant de courage. Ne vous lassez pas de me tailler de bonnes plumes[14]. Ce n’est pas avec une seule qu’on peut écrire un ouvrage aussi volumineux que le sera la future paix……………..

« Je vous demande de vos nouvelles, monsieur le marquis, aussi souvent que vous le pourrez. Vous ne pouvez en donner à personne qui prenne un intérêt plus vif et plus direct à tout ce qui vous regarde. Ma femme et ma famille partagent ce sentiment. Tout ce qui m’appartient se réunit pour vous prier d’agréer l’assurance du tendre et inviolable attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être, etc., etc. »

Cette lettre était partie pour l’Amérique au moment où La Fayette s’embarquait. M. de Vergennes disait vrai en affirmant que son nom était en vénération dans la nation. Un rayon de gloire avait réchauffe les cœurs. La France était si peu habituée au succès depuis Rosbach ! Aussi tous les mémoires du temps parlent-ils de l’enthousiasme qu’excita le retour de La Fayette, enthousiasme que Marie-Antoinette elle-même partagea. On célébrait, à l’Hôtel de Ville de Paris, une grande fête à l’occasion de la naissance du dauphin. On y apprit le débarquement du vainqueur de Cornwallis. Mme de La Fayette, qui assistait à la cérémonie, reçut une marque signalée de la faveur royale. La reine voulut la reconduire elle-même dans sa propre voiture à l’hôtel de Noailles.

Les alarmes de la jeune femme durant la campagne de Virginie avaient été au-delà de ce qu’elle avait encore souffert. Les gazettes anglaises, qui seules donnaient des nouvelles au public, peignaient la situation de l’armée américaine comme désespérée. Les bruits les plus sinistres arrivaient aux oreilles de Mme de La Fayette. Elle eut la force de les cacher à Mme d’Ayen et de tout supporter seule, prenant ainsi sa revanche de la campagne précédente. La fin brillante de la guerre lui avait donc apporté une joie achetée par de longues angoisses. Le bonheur de revoir son mari, sorti, avec une auréole de gloire, de si grands dangers, le charme de sa présence, étaient sentis par elle avec une extrême vivacité. « L’excès de son sentiment était tel, dit Mme de Lasteyrie, que pendant quelques mois elle était près de se trouver mal lorsqu’il sortait de la chambre. Elle fut effrayée d’une si vive passion par l’idée qu’elle ne pourrait pas toujours la dissimuler à mon père et qu’elle deviendrait gênante. Dans cette vue, et pour lui seul, elle cherchait à se modérer. »

La Fayette devint à la mode. Au théâtre, les pièces du temps, comme l’Amour français, de Rochon de Chabannes, faisaient en vers, très mauvais du reste, des allusions à son retour. Le XVIIIe siècle reprenait toujours ses droits, et quelque mari modèle qu’il fût, il n’inspira pas moins une passion fort tendre qui se changea en fidèle amitié, à la femme la plus charmante de la cour, la plus belle, au dire de ses contemporains. Mme de Simiane[15]. La vicomtesse de Noailles, qui s’y connaissait, avoue « qu’elle n’avait jamais entendu parler du succès de la figure de Mme de Simiane sans une sorte d’enthousiasme. Quelqu’un a dit : Il est impossible de la recevoir sans lui donner une fête. » Jusqu’à son dernier jour, sa bonté solide, assaisonnée d’une envie de plaire constante, devait produire autour d’elle « une sorte d’effet magique. Son commerce était délicieux. Elle était d’une gaîté charmante, comme tous ses frères, les trois Damas. Cette gaité ne blessait jamais personne, parce qu’elle avait un cœur adorable, une âme élevée et un grand bon sens. » Être aimé de Mme de Simiane passait aux yeux du vieux duc de Laval pour une conquête aussi difficile que celle des principes de 1789. Ce fut une amie de l’exil, et nous ne parlons d’elle que pour mieux constater les succès mondains du jeune marquis. Quels qu’ils fussent, ils ne valurent jamais les joies de son foyer.

C’était autre chose, cependant, qu’une sorte de fierté nationale se révélant en toute occasion par les applaudissemens que le public faisait entendre à Paris dans les jardins publics, lorsque La Fayette y paraissait. Sans doute, c’était beaucoup aux yeux de la nation d’avoir battu les Anglais, sur terre et sur mer, pour la première fois depuis Louis XIV, et d’avoir pris ainsi la revanche de plus d’un siècle d’humiliation. Mais il y avait un autre sentiment dans les faveurs populaires : l’opinion publique sentait que La Fayette avait combattu et vaincu pour une cause noble et juste, la liberté d’un peuple, et elle espérait en tirer profit. C’était la Révolution qui revenait d’Amérique, et ce général de vingt-cinq ans représentait à la fois les triomphes du présent et les espérances de l’avenir. Tous les esprits observateurs faisaient remarquer cette étrange inconséquence : ceux qui gouvernaient la monarchie ne s’étaient-ils pas armés contre un roi, le roi d’Angleterre, pour une république? N’avaient-ils pas soutenu la cause d’un peuple en insurrection contre l’autorité établie? Ne proposaient-ils pas à l’admiration des générations nouvelles des républicains tels que Franklin, Washington, John Adams, Gates et Greene? De jeunes courtisans, des représentans de la plus vieille aristocratie n’étaient-ils pas allés en Amérique apprendre le mépris des privilèges et la haine de tout despotisme? Est-ce que le caractère de cette époque, à la fois idolâtre des jouissances de l’esprit et enivrée par les perspectives d’une sorte d’âge d’or, n’est pas tout entier dans la présentation que faisait Voltaire à l’Académie française, de Benjamin Franklin et de John Adams, en les appelant « les précurseurs en Europe de l’astre de la liberté qui se levait en Amérique ? » Est-ce que les conséquences de la fondation des États-Unis, avec notre aide, ne furent pas, pour la royauté en France, d’une importance plus considérable que partout ailleurs? La doctrine de la souveraineté du peuple, proclamée en Amérique et préparée par notre école philosophique depuis un demi-siècle, n’avait-elle pas été reconnue et consacrée avec éclat par le petit-fils de Louis XIV ?

Comme le marquis de La Fayette, les classes dirigeantes, dans la société française, en se prenant d’enthousiasme pour le système américain, n’allaient pas tarder à se demander si le peuple devait s’en tenir au rôle de simple spectateur. Il ne faut pas oublier qu’en 1791 et 1792, lorsque notre noblesse militaire se trouva forcée de choisir une ligne de conduite, la majeure partie des survivans de la guerre d’Amérique, Rochambeau, Dillon, Custine, le vicomte de Noailles, Duportail, Gouvion, pour ne nommer que les principaux, crut, à l’exemple de La Fayette, que son devoir essentiel l’attachait absolument au sol de la patrie et qu’il fallait, avant tout, la défendre contre l’étranger, même sous des couleurs nouvelles.

C’était donc plus qu’une personne, c’était une idée que l’on acclamait dans La Fayette, et il le sentait. Il revenait d’Amérique transformé et avec une éducation que la fréquentation et l’amitié de Washington et des glorieux fondateurs de l’indépendance lui avaient donnée. Ce qui n’était que dans les livres, dans les conversations des salons, avait pris corps à ses yeux, et il sut, dès les premiers jours de 1789, ce qu’il voulait. C’était une force et une supériorité. Était-ce suffisant! c’est ce que nous examinerons.

Sept années nous séparent encore de la convocation des états-généraux. La Fayette, en attendant, devient le véritable représentant, en Europe, de tous les intérêts américains. Une résolution du congrès du 23 novembre 1781 portait que les ministres plénipotentiaires et agens américains à l’étranger étaient chargés de faire toutes les communications à La Fayette et de s’entendre avec lui. Cette résolution est trop importante pour que nous n’en transcrivions pas les parties principales. Elles parlent plus haut que nos réflexions : « Sur le rapport de MM. Carroll, Madison et Cornell, résolu : Que le major-général marquis de La Fayette sera autorisé à aller en France et à n’en revenir qu’à l’époque qui lui paraîtrait la plus convenable; que, d’après l’examen de sa conduite durant la dernière campagne, et particulièrement pendant le temps qu’il a commandé en chef dans la Virginie, il sera informé que les nombreuses et nouvelles preuves qu’il a données de son zèle de son attachement à la cause qu’il a épousée, ainsi que de son jugement, de sa vigilance, de sa bravoure, de son habileté dans la défense de cette cause, ont grandement ajouté à la haute opinion que le congrès avait déjà de son mérite et de ses talens militaires ; que le secrétaire des affaires étrangères informera les ministres plénipotentiaires des États-Unis que le congrès désire qu’ils confèrent avec le marquis de La Fayette et profitent de la connaissance qu’il a de la situation des affaires publiques aux États-Unis ; que le secrétaire des affaires étrangères informera, en outre, le ministre plénipotentiaire à la cour de Versailles que l’intention du congrès est qu’il consulte le marquis de La Fayette et emploie son assistance pour accélérer l’envoi des secours qui pourraient être accordés aux États-Unis par Sa Majesté très chrétienne ; que le surintendant des finances, le secrétaire des affaires étrangères et le bureau de la guerre donneront au marquis de La Fayette, touchant les affaires de leurs départemens respectifs, telles communications qui peuvent le mettre à même d’atteindre le but des deux résolutions précédentes;.. que le secrétaire des affaires étrangères rédigera une lettre à Sa Majesté très chrétienne, laquelle lettre sera confiée au marquis de La Fayette. »

Cette lettre du congrès à Louis XVI, datée du 29 novembre 1781, disait en termes formels : « Le major-général marquis de La Fayette a, dans cette campagne, tellement ajouté à la réputation qu’il s’était acquise, que nous désirons obtenir pour lui, en notre faveur, une marque particulière de bienveillance en addition à l’accueil favorable que ses mérites ne peuvent manquer de rencontrer chez un souverain généreux et éclairé. Dans cette vue, nous avons ordonné à notre ministre plénipotentiaire de présenter le marquis de La Fayette à Votre Majesté. »

Il prit donc une part active à des négociations entamées par des envoyés de l’Angleterre avec les ministres des États-Unis à Paris, et il fut, en cette qualité, appelé par le roi. Louis XVI lui parla de Washington dans les termes d’une si haute confiance, lui exprima si chaleureusement ses sentimens d’estime et d’admiration pour le grand citoyen, que La Fayette ne put se dispenser de le lui écrire. Qui le croirait! Dans un dîner, chez le vieux maréchal de Richelieu, le survivant de tout un monde disparu, la santé de Washington fut portée avec toute sorte de respects par les maréchaux de France. La Fayette, qui était un des invités, fut prié de lui présenter les hommages des convives. Il s’en acquitta le plus galamment du monde, et il ajoutait dans sa lettre : « Tous les jeunes gens de la cour sollicitent la permission d’aller en Amérique. »

Cependant, les négociations pour la paix n’aboutissaient pas. Les dispositions du gouvernement français satisfaisaient La Fayette. Ami du nouveau ministre de la marine, le marquis de Castries, il suivait avec patriotisme les efforts de nos intrépides marins, qui soutenaient sur toutes les mers, contre les Anglais, l’honneur de notre pavillon, et il entretenait avec Washington une correspondance active : « Nos deux nations, lui disait-il, seront pour toujours attachées l’une à l’autre, et l’envie et la perfidie britanniques dont toutes deux sont l’objet ne peuvent que cimenter entre elles une amitié et une alliance éternelles[16]. »

L’Angleterre proposait secrètement à la France de faire une paix séparée à des conditions très favorables. M. de Vergennes refusa; mais on craignait, en France, que les Américains ne sussent pas refuser pareillement une proposition analogue. La Fayette et Washington voulaient avec raison que les alliés traitassent en même temps. Pour en finir, les cours de France et d’Espagne combinèrent une grande opération et confièrent au comte d’Estaing le commandement général de leurs forces de terre et de mer. L’amiral, en prenant cette difficile charge, exigea que La Fayette fût employé avec lui. Il fut nommé chef des états-majors des armées combinées. Mais avant qu’il ne se rendît à son poste, Mme de La Fayette, après sept mois de grossesse, mit au monde une nouvelle fille, celle qui fut Mme Louis de Lasteyrie. « Quoique délicate, j’espère qu’elle s’élèvera bien, écrit le père à Washington. J’ai pris la liberté de lui donner le nom de Virginie. »

L’expédition franco-espagnole devait partir de Cadix. La Fayette s’embarqua à Brest, le 6 décembre 1782, avec quatre bataillons d’infanterie, un équipage d’artillerie et cinq mille hommes de recrues, et alla joindre à Cadix le comte d’Estaing, qui s’y était rendu par terre, en passant par Madrid. Avant de prendre congé de M. de Vergennes, La Fayette s’était assuré de la promesse d’un secours additionnel de six millions de livres pour les États-Unis[17].

Le plan de campagne consistait d’abord à aller à la Jamaïque, à l’attaquer avec soixante vaisseaux de ligne et des forces de terre considérables. La Fayette obtint du ministère français l’engagement qu’après la prise de la Jamaïque, le comte d’Estaing se porterait devant New-York et qu’il détacherait de sa flotte un convoi de six mille Français pour tenter une révolution dans le Canada, expédition que le marquis n’avait jamais perdue de vue.

Un incident nous est révélé par ses Mémoires. Lorsque, dans les arrangemens du plan de campagne, d’Estaing proposa au roi d’Espagne, Charles III, de nommer La Fayette commandant provisoire à la Jamaïque : u Non ! non ! répondit avec vivacité le vieux monarque, je ne veux pas cela : il y ferait une république ! » Mais il consentit à la partie du plan qui portait une armée navale à New-York et un corps de troupes au Canada. Cette puissante expédition aurait réuni aux îles soixante-six vaisseaux et vingt-quatre mille hommes. Le corps de Rochambeau était déjà arrivé dans un port de l’Amérique espagnole pour s’y joindre.

Tout annonçait le succès de la plus forte armée de terre et de mer qui eût paru dans les colonies. L’appréhension de la lutte mit fin aux tergiversations du gouvernement anglais, et, au moment de prendre le large, on apprit que la paix était faite. Les préliminaires entre la France et l’Angleterre avaient été signés à Versailles, le 20 janvier 1783, par M. de Vergennes et M. Fitz-Herbert, plénipotentiaire de Sa Majesté britannique. Ces préliminaires furent convertis en un traité de paix définitif le 3 septembre 1783. Il fut signé, pour l’Espagne, par le comte d’Aranda ; pour l’Angleterre, par le duc de Manchester, et pour la France, par M. de Vergennes. Le traité définitif entre la Grande-Bretagne et les États-Unis fut signé le même jour, à Paris, par David Hartley, d’une part, et par John Adams, Benjamin Franklin et John Jay de l’autre. La veille, avaient été conclues, également à Paris, les conventions particulières entre l’Angleterre et les États-Généraux de Hollande.


IV.

Lorsqu’un courrier eut fait connaître ces nouvelles à Cadix[18], La Fayette eût voulu les porter lui-même, à son tour, aux États-Unis ; mais Carmichaël, leur chargé d’affaires, lui écrivit que sa présence et son influence étaient nécessaires au succès des négociations avec la cour d’Espagne. Il se borna donc à demander au comte d’Estaing de faire partir un bâtiment pour l’Amérique. L’amiral donna l’ordre d’appareiller au navire qui s’appelait le Triomphe. Il était porteur de deux lettres de La Fayette, datées de Cadix, du 5 février 1783, annonçant la signature des préliminaires de la paix, l’une adressée au congrès, l’autre à Washington. Dans la première, il disait : « Aujourd’hui que notre noble cause a prévalu, que notre indépendance est fermement établie et que la vertu américaine a obtenu sa récompense, aucun effort, je l’espère, ne sera négligé pour fortifier l’union fédérale. Puissent les États être toujours unis, de manière à défier les intrigues européennes. Sur cette union reposeront leur importance et leur bonheur. C’est le premier vœu d’un cœur plus véritablement américain que des mots ne peuvent l’exprimer. »

Sa lettre à Washington était plus expansive, plus émue : « Si vous n’étiez, lui écrivait-il, qu’un homme tel que César ou le roi de Prusse, je serais presque affligé pour vous de voir se terminer la tragédie où vous jouez un si grand rôle. Mais je me félicite avec vous, mon cher général, de cette paix qui accomplit tous mes vœux. Rappelez-vous nos temps de Valley-Forge, et que le souvenir des dangers et des travaux passés nous fasse jouir davantage de notre situation présente. Quels sentimens d’orgueil et de bonheur j’éprouve en pensant aux circonstances qui ont déterminé mon engagement dans la cause américaine! Quant à vous, mon cher général, qui pouvez dire véritablement que tout cela est votre ouvrage, quels doivent être les sentimens de votre bon et vertueux cœur en cet heureux moment, qui affermit et qui couronne la révolution que vous avez faite ! Je sens qu’on enviera le bonheur de mes petits-enfans lorsqu’ils célébreront et honoreront votre nom. Avoir eu un de leurs ancêtres parmi vos soldats, savoir qu’il eut la bonne fortune d’être l’ami de votre cœur, sera l’éternel honneur dont ils se glorifieront, et je léguerai à l’aîné d’entre eux, tant que durera ma postérité, la faveur que vous avez bien voulu conférer à mon fils George. Je m’étais disposé à aller en Amérique à la nouvelle de la paix. La copie ci-jointe de ma lettre au congrès, celle que j’écris officiellement à M. Livingstone, en le priant de vous la communiquer, vous instruiront pleinement des raisons qui me pressent de partir pour Madrid. De là, je ferai mieux d’aller à Paris, et dans le mois de juin je m’embarquerai pour l’Amérique. Heureux, dix fois heureux serai-je en embrassant mon cher général, mon père, mon meilleur ami, que je chéris avec une affection et un respect que je sens trop bien pour ne pas savoir qu’il m’est impossible de les exprimer!.. A présent que vous allez goûter quelque repos, permettez-moi de vous proposer un plan qui pourrait devenir grandement utile à la portion noire du genre humain. Unissons-nous pour acheter une petite propriété où nous puissions essayer d’affranchir les nègres et de les employer seulement comme des ouvriers de ferme. Un tel exemple donné par vous pourrait être également suivi, et si nous réussissions en Amérique, je consacrerais avec joie une partie de mon temps à mettre cette idée à la mode dans les Antilles. Si c’est un projet bizarre, j’aime mieux être fou de cette manière que d’être jugé sage pour une conduite opposée. Je suis si impatient d’apprendre de vos nouvelles et de vous donner des miennes que j’envoie mon domestique par ce vaisseau et que j’ai obtenu qu’il lût mis à terre sur la côte du Maryland... Adieu! adieu! mon cher général; j’offre mes plus tendres respects à Mme Washington. Nous allons, à présent, nous disputer, car je vous presserai de revenir en France avec moi. La meilleure manière d’arranger l’affaire serait que Mme Washington vous accompagnât. Elle rendrait Mme de Lafayette et moi parfaitement heureux. Soyez assez bon pour parler de moi à votre respectable mère. Je partage son bonheur de toute mon âme. »

Toutes les lettres de La Fayette à Washington sont animées de ce souffle généreux et de ces sentimens de tendre admiration. On y sent circuler cette âme de la fin du XVIIIe siècle, qui ne se lasse pas de s’intéresser à toutes les nobles causes. Un jour, c’est l’indépendance de l’Amérique; un autre jour, c’est l’émancipation des nègres! Tantôt, ce sera la liberté civile rendue aux protestans, et, quelques mois plus tard, ce sera la Déclaration des droits de l’homme. Sans doute, on rencontrerait encore dans notre pays le même courage, la même probité sévère ; mais cette flamme inextinguible, cette ardeur enthousiaste, cet amour confiant de l’humanité, cet abandon de soi, que sont-ils devenus? Où sont ces qualités si françaises qui étaient réunies chez La Fayette, au moment où, sans expérience et sans boussole, nous allions à notre tour traverser les plus cruelles épreuves et subir les plus redoutables tempêtes?

Ce désir passionné de contribuer au progrès des idées philanthropiques, cette horreur de toutes les injustices, étaient aussi très vifs dans le cœur de Mme de La Fayette. Elle partagea donc les sentimens de son mari lorsqu’il s’occupa de travailler à l’abolition de la traite. Washington avait bien accueilli l’ouverture qu’il lui avait faite. « Le plan que vous me proposez, mon cher marquis, pour encourager l’émancipation des nègres dans ce pays et les faire sortir de l’état d’esclavage, est une frappante preuve de la bienfaisance de votre cœur. Je serai heureux de me joindre à vous dans une œuvre aussi louable; mais j’attends, pour entrer dans les détails de l’affaire, le moment où j’aurai le plaisir de vous voir. » La Fayette, toujours prêt à l’action, acheta une habitation à Cayenne, la Belle-Gabrielle afin d’y donner l’exemple d’un affranchissement graduel. Il chargea sa femme du détail de cette entreprise. Un autre sentiment venait se joindre aux aspirations libérales chez la fille de la duchesse d’Ayen. Elle était profondément chrétienne, et le désir d’enseigner aux nègres de la Guyane les premiers principes de religion et de morale s’unissait au dessein qu’elle partageait avec son mari de les amènera la liberté. Elle se lia avec des prêtres du séminaire du Saint-Esprit, qui avaient une maison à Cayenne. Les événemens révolutionnaires ne devaient pas lui permettre de voir réaliser ses vœux ; mais, au moins, elle eut la consolation d’apprendre que les nègres n’avaient pas commis, à la plantation de la Belle-Gabrielle, les horreurs qui eurent lieu ailleurs.

Avant de rentrer à Paris, La Fayette s’était arrêté à Madrid. La lenteur espagnole et surtout la méfiance de la cour contre l’émancipation des colonies américaines avaient laissé les négociations aussi peu avancées que le premier jour où M. Jay était venu en Espagne comme envoyé des États-Unis. La Fayette vit Charles III et son ministre, le comte de Florida-Blanca. Il obtint la reconnaissance de M. Carmichaël comme chargé d’affaires du gouvernement américain et le fit recevoir officiellement à la cour. Enfin, il parvint à arrêter les bases de l’arrangement qui intervint définitivement quelques mois après. Après avoir prévenu de ce résultat M. Livingstone, le secrétaire des relations extérieures, il rentra à Paris[19].

Il n’avait pas encore conduit Mme de La Fayette à Chavaniac, en Auvergne, où il était né, où résidait sa dernière tante. Mme de Chavaniac, la seule parente qui se rattachât à la famille paternelle, depuis que Mlle de Motier était morte. Ce voyage, retardé pendant quelques jours par le mariage de Rosalie, la dernière fille de la duchesse d’Ayen, avec le marquis de Grammont, s’effectua vers la fin de mars. Tandis que Mme de La Fayette gagnait le cœur de Mme de Chavaniac et lui inspirait un sentiment maternel qui ne s’éteignit qu’avec la vie, M. de La Fayette s’occupait d’obtenir, pour les marchandises américaines, que Lorient, dunkerque et Bayonne fussent déclarés ports francs.

Il avait eu la satisfaction d’apprendre par Washington, le 5 avril, que sa lettre, datée de Cadix et apportée à Philadelphie par le vaisseau le Triomphe, était le seul avis que le congrès eût encore reçu de la paix générale. Aussi les sentimens de reconnaissance s’exprimaient-ils hautement « pour le cher marquis, » et ensuite « pour l’auguste souverain Louis XVI, qui, dans le même temps où il se déclarait le père de son peuple et le défenseur des droits américains, donnait le plus noble exemple de modération en traitant avec ses ennemis. »

Les souffrances de l’armée américaine étaient arrivées à leur paroxysme et n’avaient d’égales que le stoïcisme des troupes et des officiers. Enfin, au mois de juin, le congrès donna des congés à tous les soldats qui avaient pris un engagement pour la guerre et, le 23 décembre, Washington, reçu par le congrès, résignait dans ses mains sa commission de général en chef.

La Fayette ne faisait que devancer le jugement de l’histoire quand il disait à l’ancien commandant des armées américaines « que jamais homme n’avait eu dans l’opinion du monde une place aussi honorable ; que son nom grandirait encore dans la postérité, que tout ce qui est grand, tout ce qui est bon, ne s’était pas, jusqu’à présent, trouvé réuni dans le même individu; que jamais il n’avait existé d’homme que le soldat, le politique, le patriote et le philosophe pussent également admirer, et que jamais révolution ne s’était accomplie qui, dans ses motifs, sa conduite et ses conséquences, pût si bien immortaliser son glorieux chef. »

Washington s’était retiré sous les ombrages de Mount-Vernon, auprès de sa mère et de sa femme : il avait suspendu son épée et son habit de général en chef dans un coin de sa modeste demeure et repris le manche de la charrue. Il était revenu plus pauvre qu’il n’était parti. C’est alors (10 février 1784) qu’il écrit à La Fayette cette lettre immortelle que M. Guizot a eu raison d’appeler un monument, et qui devrait être inscrite en lettres d’or dans tous les livres destinés à former les caractères. Noblesse, fierté, délicatesse s’y rencontrent avec une sérénité d’âme que les plus beaux exemples de l’antiquité n’égalent pas :

« Enfin, mon cher marquis, je suis à présent un simple citoyen, sur les bords du Potomac, à l’ombre de ma vigne et de mon figuier, libre du tumulte des camps et des agitations de la vie publique.

« Je me plais en des jouissances paisibles. Le soldat toujours poursuivant la renommée, l’homme d’État consacrant ses jours et ses nuits aux plans qui feront la grandeur de sa nation ou la ruine des autres, comme si ce globe ne suffisait pas à tous, le courtisan, toujours surveillant sa contenance, dans l’espoir d’un gracieux sourire, doivent bien peu les comprendre.

« Je ne suis pas seulement retiré des emplois publics, je suis rendu à moi-même ; je puis retrouver la solitude et reprendre les sentiers de la vie privée avec une satisfaction plus profonde. Ne portant envie à personne, je suis décidé à être content de tous, et dans cette disposition d’esprit, mon cher ami, je descendrai doucement le fleuve de la vie, jusqu’à ce que je repose auprès de mes pères !

« Il serait puéril de vouloir vous apprendre à présent que les Anglais ont évacué la ville de New-York le 23 novembre; que, le même jour, les troupes américaines en ont pris possession pour la remettre aux autorités civiles de l’État; que, malgré l’attente et les prédictions du général Carleton, de ses officiers et de tous les royalistes, le bon ordre a été immédiatement établi et le port de New-York entièrement débarrassé du pavillon britannique vers le 5 ou le 6 décembre. Vous dire, après cela, que je suis resté huit jours dans la ville après notre prise de possession, et si accablé d’occupations que je n’ai pu vous écrire; que, revenant par Philadelphie, j’ai été obligé d’y demeurer une semaine; qu’ensuite, à Annapolis, où se trouvait et où se tient encore le congrès, je lui ai remis ma commission et offert mon dernier hommage; et qu’enfin, la veille de Noël au soir, les portes de cette maison ont vu entrer un homme plus vieux de neuf ans que lorsqu’il les avait quittées; c’est chose qui ne peut intéresser que moi seul. Depuis ce moment, nous avons été enfermés par la glace et la neige et privés de toute communication au dehors ; car cet hiver a été et continue d’être extrêmement rude.

« Je dois à présent vous remercier de vos lettres du 22 juillet et du 8 septembre. Les détails qu’elles contiennent sur les affaires politiques et commerciales de l’Amérique sont fort intéressans, je voudrais pouvoir ajouter qu’ils sont également satisfaisans. La part que vous avez prise dans ces transactions, particulièrement en ce qui touche la franchise des ports de France, est une nouvelle preuve de vos infatigables efforts pour servir ce pays ; mais il n’y a aucun endroit de vos lettres au congrès, mon cher marquis, qui montre plus clairement l’excellence de votre cœur que celui où vous exprimez vos nobles et généreux sentimens sur la justice due aux fidèles amis et serviteurs du pays.

« Je vous remercie très sincèrement de votre invitation de demeurer chez vous, si j’allais à Paris ; je vois à présent peu d’apparence que je puisse entreprendre un tel voyage. Le dérangement de mes affaires personnelles, pendant ces dernières années, non-seulement m’oblige à suspendre, mais peut m’empêcher de jamais satisfaire ce désir. Puisque ce motif n’existe pas pour vous, venez avec Mme de La Fayette me voir dans mes foyers. Je vous ai dit souvent et je vous répète que personne ne vous recevra avec plus d’amitié et d’affection que moi, à qui Mme Washington se joindrait de grand cœur. Nous offrons ensemble nos complimens affectueux à votre femme et nos tendres vœux pour le petit troupeau.

« Je suis, avec tous les sentimens d’estime, d’admiration et d’amitié, votre

« WASHINGTON. »


On comprend que l’éducation de La Fayette se soit achevée au contact de cette grandeur morale. Nous sommes loin des petits-maîtres et aussi de tous ceux qui avaient cassé la noix et n’avaient rien trouvé dedans !


V.

Après avoir réglé les difficultés que soulevait la création de l’ordre de Cincinnatus, après avoir conseillé de renoncer à l’hérédité, seule clause qui eût des inconvéniens, après avoir rétabli ainsi l’harmonie entre les officiers américains et les officiers de l’armée française, La Fayette fit en Amérique son troisième voyage.

Ce fut en juin 1784 qu’il s’embarqua pour visiter ces états dont la liberté et la prospérité étaient enfin assurés. Il était accompagné par le chevalier de Caraman et par le capitaine de frégate de Grandchain. Il débarqua à New-York le 4 août et fut reçu en triomphe dans toutes les villes qu’il traversa. Il visita Yorktown, Williamsburg et Richmond, théâtre de la campagne de 1781. Washington vint à Richmond au-devant de lui, et ils allèrent passer quelque temps ensemble dans la retraite de Mount-Vernon.

Leurs entretiens portèrent principalement sur l’avenir politique de cette nation qu’ils avaient fondée. « Nous sommes à présent un peuple indépendant, disait Washington, et nous devons apprendre la tactique de la politique. Nous prenons place parmi les nations de la terre, et nous avons un caractère à établir. Le temps montrera comment nous avons su nous en acquitter. » Sa principale préoccupation était que la politique locale des états intervînt trop dans l’organisation du gouvernement central. Il voulait une constitution qui, en assurant à l’Union la consistance, la stabilité, la dignité, donnât au pouvoir politique, à ce qu’il appelait le grand conseil national, des moyens suffisans pour régler les intérêts généraux.

Après quelques jours de conversation intime, Washington accompagna son hôte à Baltimore et à Philadelphie. De nombreuses adresses envoyées par des comités de chaque comté motivèrent plus d’une réponse de La Fayette; elles ont été recueillies pour la plupart. Dans toutes nous trouvons la ferme expression de son désir de voir abolir l’esclavage. Nous ne relaterons pas davantage le voyage qu’il fit au fort Schuyler pour assister à la conclusion du traité avec les Indiens[20]. Le fait essentiel, dans son troisième voyage, fut sa réception solennelle par le congrès des États-Unis.

Informé du prochain départ de La Fayette pour l’Europe, le congrès ordonna qu’un comité, formé d’un représentant de chaque état de l’Union, se trouverait, le 11 décembre, dans la salle des séances pour le recevoir en cérémonie, lui souhaiter un heureux retour dans sa patrie et l’assurer, au nom des treize états, de leur estime et de leur considération, et pour lui dire combien cette haute opinion, si souvent manifestée, était encore justifiée par ses nouvelles marques d’attention à leurs intérêts politiques et commerciaux. Le président du congrès fut aussi chargé de lui assurer que de même que son attachement constant et égal avait ressemblé à celui d’un citoyen patriote, de même aussi les États-Unis ne cesseraient jamais de partager tout ce qui pourrait intéresser sa gloire et son bonheur, que leurs vœux les plus vifs et les plus tendres l’accompagneraient toujours.

Le congrès le chargea aussi d’une lettre pour Louis XVI, dans laquelle le congrès exprimait ses sentimens pour lui. Les journaux, en rendant compte de cette cérémonie touchante, donnèrent la réponse suivante de La Fayette :

« Je ne sais comment exprimer aux États-Unis, assemblés en congrès, toute la reconnaissance que je leur dois pour la réception qu’ils m’accordent aujourd’hui et le plaisir que je ressens en contemplant l’heureuse situation dont ils jouissent. Depuis le moment où j’ai revu le continent, j’ai ardemment désiré les en féliciter. J’avoue que le premier intérêt que je pris à leur cause n’était, si je puis m’exprimer ainsi, qu’instinctif et involontaire ; j’étais loin encore de prévoir tous les liens qui devaient m’attacher à leur prospérité et à leur gloire ; mais j’ai vu les Américains exécuter de si grandes choses et déployer de si grandes vertus, que cet attachement durera autant que ma vie.

« j’embrasse avec joie cette occasion favorable de remercier le congrès de la confiance dont il m’a honoré pendant le cours de cette révolution. Elle commença lorsque jeune encore, et sans expérience, je ne pouvais que réclamer l’adoption paternelle de mon illustre et respectable ami. Elle m’a été continuée, avec la plus touchante bienveillance, dans toutes les circonstances politiques et militaires de la guerre. Je reconnaîtrai, cependant, que j’ai souvent trouvé dans l’amitié personnelle et dans la confiance particulière des habitans les plus grandes ressources contre les difficultés publiques. Ce souvenir précieux m’enhardit, dans ce moment solennel, à rappeler au congrès, aux états de l’Union, à tous leurs citoyens, mes chers compagnons d’armes dont la bravoure et les services ont été si utiles à leur patrie.

« Après avoir profondément senti l’importance des secours que nous envoya notre illustre monarque, je me réjouis en pensant que cette alliance va devenir réciproquement avantageuse par les liens du commerce et par les heureux effets d’une affection mutuelle. Le souvenir du passé nous en répond et l’avenir semble agrandir cette douce perspective.

3Je désire bien sincèrement voir la confédération consolidée, la foi publique préservée, le commerce réglé, les frontières fortifiées, un système général et uniforme de milice adopté et la marine en vigueur. C’est sur ces seuls fondemens que peut être établie la véritable indépendance de ces états. Puisse ce temple immense que nous venons d’élever à la liberté offrir à jamais une leçon aux oppresseurs, un exemple aux opprimés, un asile aux droits du genre humain, et réjouir dans les siècles futurs les mânes de ses fondateurs! »

Le souffle précurseur de 1789 animait ces paroles. Elles furent très remarquées, en même temps que l’honneur extraordinaire dont personne, excepté Washington, n’avait joui dans le congrès. Les anciens compagnons d’armes de La Fayette n’étaient pas moins empressés à lui montrer leur joie de le revoir. différens états donnèrent son nom à des villes et à des comtés. Les capitales lui offrirent le droit de cité. Des diplômes lui conférèrent, ainsi qu’à son fils et à ses descendans, le titre de citoyen des États-Unis. La Virginie plaça son buste dans la salle des délibérations de Richmond. Enfin, on fit don à la ville de Paris d’un autre buste en marbre de La Fayette, qui fut présenté par le ministre des États-Unis et reçu avec pompe à l’Hôtel de Ville.

Couvert des bénédictions de tout un peuple, il s’embarqua à Boston, après une superbe fête. Le ministère français lui avait envoyé, pour son passage, une frégate de quarante canons, et Washington lui faisait ses adieux en ces termes[21] : « Pendant que nos voitures s’éloignaient l’une de l’autre, je me demandais souvent si c’était pour la dernière fois que je vous avais vu; et, malgré mon désir de dire non, mes craintes répondaient oui. Je rappelais dans mon esprit les jours de ma jeunesse, je trouvais qu’il y avait bien longtemps qu’ils avaient fui pour ne plus revenir, que je descendais à présent la colline que j’ai vue cinquante-deux ans diminuer devant moi, car je sais qu’on vit peu de temps dans ma famille ; et, quoique doué d’une constitution forte, je dois m’attendre à reposer bientôt dans la funèbre demeure de mes pères. Ces pensées obscurcissaient pour moi l’horizon, répandaient un nuage sur l’avenir, par conséquent sur l’espérance de vous revoir. Mais je ne veux pas me plaindre, j’ai eu mon jour. Je n’ai pas de mots qui puissent exprimer toute l’affection que j’ai pour vous, et je ne l’essaie même pas. J’offre de ferventes prières pour votre agréable et sur passage, votre heureuse réunion à Mme de La Fayette, à votre famille et l’accomplissement de tous ses vœux. »

Ils ne devaient plus, en effet, se revoir. Mais Washington continua à porter à son jeune ami une affection paternelle, la plus tendre, peut-être, dont sa vie offre la trace. Ce gentilhomme de vieille race qui s’était échappé, à dix-neuf ans, de la cour la plus élégante de l’Europe pour apporter aux rudes planteurs de la Pensylvanie son épée et sa fortune, était fait pour plaire à l’âme religieuse et forte du général américain. Il y avait quelque chose de touchant, à ses yeux, dans cet hommage rendu à la nouvelle société démocratique qui se levait, par cet ancien monde, si spirituel et si brillant, qui allait bientôt finir. Cette affection, La Fayette la lui rendait avec toute l’ardeur de sa jeunesse. Être son ami, son disciple, son fils adoptif, fut toujours l’orgueil de son cœur, la plus douce de ses pensées[22].

Leur correspondance continua, même quand Washington devint président de la république, et c’est par cette correspondance, fidèlement conservée, que nous connaissons le mieux les divers événemens de la vie de La Fayette jusqu’à la convocation des états-généraux.

Son premier acte important, à son retour en France, fut sa courageuse campagne pour la réforme de l’état civil des protestans. Ils étaient encore, à la fin du XVIIIe siècle, soumis au plus intolérable despotisme. Quoiqu’il n’y eût pas de persécution ouverte, ils dépendaient du caprice du roi, du parlement ou d’un ministre. Leurs mariages n’étaient pas légitimes, leurs testamens n’avaient aucune force devant la loi; leurs enfans étaient considérés comme bâtards, leurs personnes comme pendables. Quand on pense que cent ans, à peine, nous séparent des pasteurs du désert[23] ! Telle était encore la force des préjugés, dans ce siècle de l’encyclopédie et du dictionnaire philosophique, que La Fayette ne trouvait pas d’appui autour de lui. On lui pardonnait la liberté de la république américaine; mais l’émancipation des protestans, dans ce siècle incrédule et rieur, c’était un acte plus qu’audacieux. « C’est une œuvre qui demande du temps, écrivait-il à Washington, et qui n’est pas sans quelque inconvénient pour moi, parce que personne ne voudrait me donner un mot écrit, ni soutenir quoi que ce soit. Je cours ma chance. » Heureusement que le vertueux Malesherbes siégeait dans les conseils du roi. La Fayette obtint de lui et de M. de Castries l’autorisation de visiter en détail les Cévennes, afin de connaître par le menu les vexations qu’il travaillait à faire cesser. Il prépara ainsi un dossier complet qui lui permit deux ans plus tard, à l’assemblée des notables, de déposer une proposition formelle.

A la suite de ce voyage dans le Midi, qui le mit en rapport avec les principaux ministres protestans, La Fayette, voulant compléter son éducation militaire, se rendit à Berlin afin de suivre les manœuvres de l’armée prussienne en Silésie. Le grand Frédéric vivait encore, et son autorité stratégique était la première en Europe. Quoique décrépit, tout couvert de tabac d’Espagne, la tête presque couchée sur une épaule et les doigts presque disloqués par la goutte, il avait encore le plus beau regard du monde. Ses yeux donnaient à sa physionomie, malgré les années, une expression charmante. « Ils s’adoucissaient, dit le prince de Ligne, en écoutant et en racontant quelque trait d’élévation ou de sensibilité. » Pendant huit jours, invité à sa table, La Fayette eut l’occasion d’admirer la vivacité de son esprit, les séductions de sa grâce. Chose piquante ! Il rencontra aux manœuvres son ancien adversaire, lord Cornwallis; mais la personne qui sut mieux prendre le cœur de La Fayette, dans ce milieu de généraux, fut le prince Henri de Prusse, qui, à des talens de premier ordre, comme militaire et comme politique, à une instruction littéraire variée et à tous les dons de l’esprit, joignait « des sentimens philanthropiques et des idées raisonnables sur les droits de l’humanité. » La Fayette passa quinze jours avec lui à sa maison de campagne.

Le grand Frédéric étant souffrant, ce fut le duc de Brunswick qui commanda les manœuvres de l’armée prussienne. « Si les ressources de la France, écrivait La Fayette à Washington, la vivacité de ses soldats, l’intelligence de ses officiers, l’ambition nationale et la délicatesse morale qu’on lui connaît étaient appliquées à un système aussi bien suivi, nous pourrions être autant au-dessus des Prussiens que notre armée est en ce moment inférieure à la leur, et c’est beaucoup dire. » De Silésie il partit pour Vienne, eut une longue conférence avec l’empereur, rendit visite aux généraux Laudon et Lascy. Il formulait ainsi son jugement sur les troupes autrichiennes : « Leur machine n’est pas simple, nos régimens sont meilleurs que les leurs, et quelque avantage qu’ils puissent avoir en ligne sur nous, nous devons, avec un peu d’habitude, les surpasser. » Il examina ensuite, pendant son voyage, les champs de bataille célèbres.

Toute cette tournée fut donc très utile à son instruction militaire ; elle lui fut aussi fort agréable par le bienveillant accueil et les témoignages flatteurs d’estime de tous les princes, des états-majors et des grands personnages. Mais il eut, dans ce milieu fermé à toute idée constitutionnelle, plus d’un effort à faire pour défendre la révolution américaine, et surtout l’organisation politique d’un gouvernement démocratique[24]. « J’ai souvent eu la mortification d’entendre dire que le manque de pouvoir dans le congrès, d’union entre les états, de vigueur dans leur gouvernement, rendrait le rôle politique de la confédération fort insignifiant. Le fait est (ajoute-t-il, en parlant à Washington), qu’en général ces gens-ci connaissent peu les avantages des gouvernemens démocratiques et les ressources que présente une nation libre! Mais ils ne peuvent manquer d’être fortement frappés des fautes que nous avons souvent déplorées ensemble. Elles leur sont représentées par tous les journaux, et les ambassadeurs anglais prennent grand soin de confirmer les récits qu’eux-mêmes ont fait répandre. J’ai rétabli la vérité sur une infinité de points. »

La Fayette avait en effet fort à faire dans cette croisade d’idées, où il marchait très en avant de son temps ; c’était toujours le même caractère intrépide, ayant tous les courages, et le plus difficile de tous dans le milieu aristocratique, le courage d’esprit.

Ce n’était pas, du reste, par ses conversations seulement qu’il servait la cause américaine. Il s’efforçait d’ouvrir en France des débouchés pour le commerce des États-Unis. Il demandait qu’on favorisât leurs importations par toutes les concessions possibles. On avait formé, à sa sollicitation, un grand comité composé de fermiers-généraux, d’inspecteurs du commerce, et il y avait développé une proposition qui ne tendait à rien moins qu’à la destruction de la ferme du tabac, le plus grand obstacle aux importations américaines. L’administration rejeta les projets de La Fayette; mais c’était la première fois que la question relative au meilleur moyen de concilier l’impôt sur le tabac avec la liberté de commerce avait été soumise à des calculs aussi précis. Pour toutes ces questions, il trouvait dans le représentant en France de la nouvelle république, l’illustre Jefferson, un conseil éclairé et sûr[25].

Pendant ce temps, une incroyable agitation s’emparait des esprits. Le besoin de réformes se faisait jour bruyamment dans tous les salons de Paris. La Fayette était le centre et la flamme de ces réunions. Il se liait, dès ce temps-là, avec Necker et sa fille. Dans une lettre d’août 1786, nous lisons qu’il est allé à Saint-Ouen avec Mme de Lauzun et Mme de Staël, qu’il a dîné chez Necker, qu’il a fait ensuite une visite au duc de Nivernois, à qui « il a laissé un projet de réforme de la jurisprudence criminelle rédigé par M. de Condorcet et destiné à échauffer le garde des sceaux. » Les étrangers demandaient à le voir. Il donnait à dîner à M. Pitt, qui vint vers cette époque à Paris, et M. Pitt le charmait par son esprit, sa modestie et la noblesse de ses manières. « Depuis que nous avons gagné la partie, écrivait le marquis, j’avoue que j’ai un plaisir extrême à voir les Anglais, je me trouve sans embarras au milieu de cette fière nation. Ma conversion n’est cependant pas complète. Sans avoir la fatuité de les traiter en ennemis personnels, je ne puis oublier qu’ils sont ennemis de la gloire et de la prospérité françaises; car, en fait de patriotisme, je puis étonner le public, comme on dit que je l’ai fait en sensibilité. »

Dans ces trois dernières années qui précèdent la chute de l’ancien régime, années si remuées par les idées, La Fayette était au premier rang des assaillans. Il n’y a pas une revendication de droits qui ne trouve un écho chez lui ; de même qu’il n’y a pas un projet de réforme dont il ne soit le généreux défenseur. Il était, en un mot, un des rares esprits de son temps qui comprît la liberté et ses conditions vitales. Une lettre inédite du 14 janvier 1787, écrite par un officier de dix-neuf ans, Xavier de Schomberg, à sa mère, donne une idée exacte de l’intérieur de la famille de La Fayette :

« Nous avions été chez M. de La Fayette... Aujourd’hui, il m’a embrassé et m’a reçu à merveille. C’est une maison de plus pour moi. Il me semblait être en Amérique plus tost qu’à Paris. Il y avait chés lui quantité d’Anglais et d’Américains, car il parle l’anglais comme le français. Il a un sauvage de l’Amérique, habillé suivant son costume, au lieu d’avoir un coureur. Ce sauvage ne l’appelle que mon père, father. Tout respire la simplicité chez lui. Marmontel et l’abbé Morlay (Morellet) y dînaient. Jusqu’à ses deux petites filles parlent l’anglais, comme le français, quoiqu’elles soient toutes petites. Elles jouaient en anglais et riaient avec les Américains, et cela aurait fait des sujets charmans d’estampes anglaises. J’admirais la simplicité d’un jeune homme aussi distingué, tandis qu’il y a tant de gens qui n’ont rien fait qui sont aussi avantageux que celui-là l’est peu[26]. »


VI.

L’état des finances et le besoin de combler le déficit avaient déterminé le contrôleur-général, M. de Calonne, à convoquer les notables.

Cette assemblée se réunit le 22 février 1787. Elle se composait De 144 membres choisis par le roi dans les trois ordres de l’état et des présidens et procureurs-généraux des cours souveraines. Elle fut divisée en sept bureaux, chacun présidé par un frère du roi ou un prince du sang. La Fayette se trouva dans le bureau du comte d’Artois, et il joua un rôle important. Son nom avait d’abord été rayé de la liste. Deux ministres : le baron de Breteuil et le maréchal de Castries, désapprouvèrent cette radiation, et Calonne rétablit La Fayette[27].

Certes, les notables n’étaient pas les représentans de la nation, mais ils étaient soutenus par l’esprit public. On sait que le plan d’impôt du contrôleur-général fut rejeté : — « Nous avons déclaré, écrivait La Fayette à Washington, que, bien que nous n’eussions aucun droit d’empêcher les mesures du gouvernement, notre droit était de ne conseiller que celles que nous jugerions bonnes, et que nous ne pouvions penser à de nouvelles taxes avant de connaître le détail des dépenses et des réformes projetées. »

Le procès-verbal du 24 mars fait mention de la proposition de La Fayette de supplier le roi qu’il veuille bien, par la même loi qui abrogera la gabelle, ordonner que tous les malheureux « qu’elle a précipités dans les fers ou conduits aux galères soient aussitôt rendus à la liberté et à leurs familles. »

Un incident sérieux se produisit dans la séance suivante : M. de Nicolaï, président de la chambre des comptes, ayant dénoncé des contrats onéreux à l’état et ayant cité des faits précis, La Fayette et l’un des prélats les plus distingués du clergé, M. de La Luzerne, appuyèrent énergiquement ces plaintes. Le lendemain, le comte d’Artois dit qu’il avait rendu compte au roi de ce qui s’était passé à la séance, et que sa majesté avait fait observer que, lorsqu’on se permettait des inculpations si graves, il fallait les signer. M. de Nicolaï garda le silence, La Fayette se mit alors en avant, et l’évêque de Langres ne le laissa pas seul. La Fayette fut au bureau une note signée de lui, dans laquelle, revenant sur les faits indiqués par le président de la cour des comptes et citant les noms propres, il demandait qu’il fût fait une enquête sur les marchés par lesquels, sous prétexte d’échanges de domaines, des millions avaient été prodigués aux princes et aux favoris ; cette note se terminait par ces mots courageux : « Les millions qu’on dissipe sont levés par impôt, et l’impôt ne peut être justifié que par le vrai besoin de l’État. Tous les millions abandonnés à la déprédation ou à la cupidité sont le fruit des sueurs, des larmes et peut-être du sang des peuples, et le calcul des malheureux qu’on a faits pour composer des sommes si légèrement prodiguées est bien effrayant pour la justice et la bonté que nous savons être les sentimens naturels de sa majesté. »

M. de Calonne se rendit auprès de Louis XVI et demanda que La Fayette fut enfermé à la Bastille. On s’attendait à une discussion violente entre eux à la séance suivante, et La Fayette rassemblait les preuves de ce qu’il avait avancé, lorsque Calonne quitta le ministère. La querelle fut terminée. L’opinion publique, très en éveil, avait suivi ce débat et pris fait et cause pour La Fayette, tandis que la cour, à l’exception de quelques amis, était irritée de ses audaces.

Lorsque l’archevêque de Toulouse, M. de Brienne, arriva aux affaires, La Fayette s’était ouvert sur un projet d’amener le roi à reconnaître formellement certains principes constitutionnels. Ce projet fut déjoué. Si La Fayette a constamment regardé la liberté comme le premier des biens et une condition nécessaire de la vie et de la société, il a toujours été un homme de légalité[28].

Dans la discussion à laquelle donna lieu l’examen des causes du déficit et des moyens d’y mettre un terme, il examina, avec une hardiesse d’idées qui faisait pressentir son rôle dans la Révolution, les économies possibles. Il signalait en premier lieu la réforme des maisons militaire et domestique du roi, de la reine et de la famille royale, la destruction des capitaineries qui n’étaient pas nécessaires aux plaisirs royaux et qui, dans la seule généralité de Paris, coûtaient environ 10 millions à l’agriculture. Il citait ensuite le personnel luxueux de ces palais où le roi payait, sans en jouir, l’entretien des fantaisies des générations passées ; il osait ajouter à cette nomenclature de dépenses stériles celle des prisons d’État, « que le roi désavouerait, s’il en connaissait l’inutilité et le danger.» Il s’attaquait aux abus des pensions et des gratifications qui ne récompensaient pas les services ou qui n’encourageaient pas les talens ; il demandait que les comptes des départemens ministériels, excepté celui des affaires étrangères, fussent communiqués tous les ans en imprimés.

Il ne dissimulait pas la vérité quand il ajoutait : « Quel que soit l’amour des peuples pour la personne de sa majesté, il serait dangereux de croire que leurs ressources sont inépuisables; elles ne sont même que trop épuisées, et, pour ne citer que la province à laquelle j’appartiens, qui souffre particulièrement de l’inégalité de l’impôt et de l’inattention du gouvernement, j’ose assurer le roi que, dès à présent, ses cultivateurs abandonnent leurs charrues ses artisans leurs ateliers, que ses plus industrieux citoyens, dépouillés de ce qu’ils gagnent chez eux et de ce qu’ils rapportent des autres pays, n’ont bientôt plus d’autre alternative que la mendicité et l’émigration, et que, dans cette partie du royaume, il ne peut augmenter les charges du peuple sans le réduire à toutes les extrémités de la misère et du désespoir. »

Après avoir insisté sur ce principe, que la réduction de la dépense devait précéder l’augmentation de la recette et que, s’il était nécessaire de combler le déficit par l’impôt, ce ne devait être qu’après avoir épuisé toutes les ressources possibles de bonification et de retranchemens, La Fayette constatait que l’administration de M. de Brienne assurait une économie de 40 millions. Il dénonçait au roi les loteries, « ce jeu coupable dont le gouvernement était le banquier, » la marque des cuirs, qui avait perdu les tanneries du royaume, enfin la taille, impôt inégal, arbitraire et ruineux, et il terminait ses observations par ces paroles qui eurent un grand retentissement : « Si le peuple des campagnes ne compte aucun de ses membres dans cette assemblée, nous devons au moins lui prouver qu’il n’a pas manqué d’amis et de défenseurs... Dans tous les cas, les travaux de l’assemblée, la salutaire influence des assemblées provinciales, les talens et les vertus de l’administration actuelle, doivent amener un nouvel ordre de choses dont l’énumération pourrait être contenue dans un mémoire particulier que je propose de présenter à sa majesté. Comme le crédit doit être transporté sur des bases plus naturelles, que la baisse de l’intérêt de l’argent peut diminuer celui de la dette publique, dans le rapport de 9 à 4, comme la simplification de perception doit délivrer l’état des compagnies de finances, dont les engagemens finissent dans cinq ans, il me semble que cette époque est celle que nous devons supplier sa majesté de fixer dès à présent pour ramener à elle le compte de toutes les opérations et en consolider à jamais l’heureux résultat par la convocation d’une assemblée nationale. »

L’effet que produisirent ces deux mots prononcés pour la première fois fut extraordinaire : — « Quoi, monsieur, dit le comte d’Artois, vous demandez la convocation des états-généraux? — Oui, monseigneur, et même mieux que cela ! — Vous voulez donc que je dise au roi : M. de La Fayette fait la motion de convoquer les états-généraux. — Oui, monseigneur. » — Le silence fut général, et l’idée qui venait d’être jetée au vent, l’expression de mieux que les états-généraux, c’est-à-dire d’une assemblée nationale, ne parut alors à la cour que la vaine expression d’un désir irréfléchi. M. de Brienne, qui avait été d’abord le confident des idées réformatrices de La Fayette, se hâta de le désigner au conseil comme l’homme le plus dangereux, « parce que, disait-il, toute sa logique est en action. » La liberté de ses discours, la franchise de sa conduite, contrastaient avec les façons des courtisans. Lui-même, avec son extérieur froid et son imagination vive, n’offrait pas un moindre contraste[29].

Plus il s’affirmait dans cette attitude, plus il perdait la bienveillance de la reine Marie-Antoinette. Louis XVI, au contraire, lui savait gré de se montrer économe de la fortune publique. De plus, il était flatté du rôle que le marquis avait joué dans la guerre américaine et de l’honneur qu’il avait restitué aux armées françaises avilies par la guerre de sept ans.

Les procès-verbaux de l’assemblée des notables n’indiquent pas seulement les opinions de La Fayette sur le déficit : deux autres de ses discours sont sommairement analysés. L’un est relatif à la réforme des lois et ordonnances criminelles; l’autre appelle la réalisation des démarches qu’il avait hardiment menées pour faire accorder enfin aux protestans l’état civil. Ainsi, les aspirations de la philosophie du XVIIIe siècle, dans ce qu’elles avaient d’humain, de généreux, de libéral, trouvaient dans La Fayette le premier interprète de leurs vœux dans un corps politique. Certes, c’était noblement commencer la vie pour ce grand seigneur que de vouloir donner à son pays la justice et le respect de la conscience, après avoir, dans le nouveau monde, tendu la main à un peuple qui s’émancipait.

Il ne faut pas oublier qu’il avait été impossible à Turgot et à Malesherbes, alors ministres, d’obtenir, lorsque Louis XVI fut sacré, qu’on retranchât du serment la célèbre formule de l’extermination des hérétiques.

Lorsqu’en 1785 La Fayette s’était rendu à Nîmes et dans les Cévennes, il avait vu le vieux pasteur du désert, Paul Rabaut. Après avoir longtemps connu la persécution et l’iniquité, lorsqu’il entendit les paroles réconfortantes de La Fayette, il avait récité le cantique de Siméon : Nunc dimittis. Son fils aîné Rabaut Saint-Étienne, ministre du saint évangile, était venu à Paris. Mme de La Fayette l’avait reçu chez elle. Profondément religieuse, elle détestait non moins vivement que son mari les persécutions qui éloignaient du christianisme et qui sont si contraires à son esprit.

La Fayette eut l’honneur de présenter Rabaut aux deux amis qu’il vénérait : Malesherbes et le duc de La Rochefoucauld, ce bon citoyen, assassiné à Gisors, après le 10 août; il le conduisit ensuite chez le ministre de l’intérieur, le baron de Breteuil, qui chargea Rulhière de rédiger un mémoire favorable aux idées de tolérance.

Les choses étaient en cet état lorsque, dans la séance du 25 mai, à l’assemblée des notables, La Fayette fit sa motion. Il aurait vraisemblablement échoué s’il n’avait été soutenu par l’évêque de Langres. — « J’appuie, s’écria cet éminent prélat, la demande de M. de La Fayette, par d’autres motifs que les siens ; il a parlé en philosophe, je parlerai en évêque et je dirai que j’aime mieux des temples que des prêches et des ministres que des prédicans. » — Ces paroles profondes et politiques enlevèrent le vote. — « Le clergé, ajouta La Fayette, pénétré des grands principes que les pères de l’Église se sont honorés de professer, applaudira sans doute à cet acte de justice. »

L’arrêté pris par les notables, le 24 mai, donnait satisfaction à ses deux motions. Il était ainsi formulé : « 1° une partie de nos concitoyens, qui n’a pas le bonheur de professer la religion catholique, se trouve être frappée de mort civile... Le bureau s’empresse de présenter à sa majesté sa sollicitation pour que cette portion nombreuse de ses sujets cesse de gémir sous un régime de proscription également contraire à l’intérêt général de la population, à l’industrie nationale et à tous les principes de la morale et de la politique ; 2° le bureau prend encore la liberté de supplier le roi d’ordonner que les lois civiles et criminelles des années 1667 et 1670, celles des Eaux et forêts de 1669 et celle du commerce de 1673, lois portant sur les objets les plus intéressans pour la prospérité publique, pour la sûreté des biens, de l’honneur et de la vie des citoyens, soient examinées afin de donner à la législation française toute sa perfection par les changemens que la seule ancienneté de ces lois et la différence des temps et des mœurs peuvent exiger et dont le progrès des lumières assurerait l’utilité. »

Nous n’avons pas à raconter les deux dernières années qui nous séparent de 1789,

Nous lisons dans les lettres de La Fayette à Washington qu’il s’était amené une querelle personnelle avec les favoris pour avoir hautement attaqué les libéralités qui leur étaient faites par le trésor[30]. D’autre part, on colportait, comme abominable, un mot qu’il avait prononcé chez le duc d’Harcourt, gouverneur du dauphin. La belle société discutait quels livres d’histoire il fallait mettre dans les mains du jeune prince : — « Je crois, dit avec flegme La Fayette, qu’il ferait bien de commencer l’histoire à l’année 1787. » — Un autre jour, il poussait un cri de joie en apprenant que l’édit donnant aux sujets non catholiques du roi un état civil était enfin enregistré : — « Vous jugerez aisément, écrivait-il à Washington, combien, dimanche dernier, j’ai eu de plaisir à présenter à une table ministérielle le premier ecclésiastique protestant qui eût pu paraître à Versailles depuis la révocation (de l’édit de Nantes) de 1685. »

On comprend dès lors que le nombre de ses ennemis en haut lieu allât en augmentant. Mais les jugemens du grand monde étaient cassés par un tribunal indépendant et que toutes les puissances respectaient, celui de l’opinion publique.

Les idées de liberté se propageaient rapidement depuis la révolution américaine. L’assemblée des notables avait mis le feu aux matières combustibles. On n’ignore pas la lutte que le gouvernement eut à subir contre les parlemens. Une guerre de pamphlets s’ensuivit. Très lié avec Adrien Duport, conseiller au parlement, La Fayette assistait chez lui aux réunions où se préparait le célèbre arrêté lu par d’Épréménil, aux chambres assemblées du parlement, arrêté qui passionna momentanément la France. Les ducs de La Rochefoucauld, de Luynes, d’Aiguillon, l’évêque d’Autun, le marquis de Condorcet, étaient aussi au nombre des assistans. Dans une lettre à Washington, La Fayette reconnaissait que les cours souveraines dépassaient sans doute la limite de leur institution, mais qu’elles étaient sûres d’être approuvées par la nation[31]. « Parmi bien des choses déraisonnables, les parlemens ont la bonne fortune de réclamer une assemblée nationale. Le gouvernement voit décliner le pouvoir de la couronne et cherche à le recouvrer en l’exerçant avec une sévérité dangereuse... Pour moi, je souhaite avec ardeur un bill des droits et une constitution, et je voudrais que la chose pût s’accomplir, autant que possible, d’une manière calme et satisfaisante pour tous. »

Nous rappelons que les édits de Lamoignon et de Brienne (mai 1788) contre les cours souveraines rencontrèrent une vive résistance surtout en Bretagne et en Dauphiné. A Bennes, la commission des états, qui représentait légalement la province, avait adressé au roi des représentations sur ses privilèges. La noblesse se réunit, rédigea une dénonciation contre les ministres et chargea douze députés d’aller la présenter au roi. La Fayette, dont la mère était Bretonne et dont la fortune était en partie dans la Bretagne, envoya aux gentilshommes bretons une lettre d’adhésion, ajoutant: « Qu’il s’associait à toute opposition aux actes arbitraires présens ou futurs qui attentaient ou pouvaient attenter aux droits de la nation en général et particulièrement à ceux de la Bretagne. » Il se concerta donc avec les douze députés, et prit part à une réunion où furent appelés les seigneurs bretons de la cour. Là, fut signée cette protestation à la suite de laquelle trois personnages de la cour furent disgraciés, les douze députés mis à la Bastille, et La Fayette privé de son commandement. Marie-Antoinette lui ayant fait témoigner son étonnement de ce qu’il avait pris part à la rébellion, il répondit : « Qu’il était Breton, de la même manière que la reine appartenait à la maison d’Autriche. »

Cependant, l’archevêque de Toulouse, pour donner un dérivatif au courant grossissant des mécontentemens, avait été obligé de convoquer dans toutes les provinces qui n’avaient pas d’états, des assemblées provinciales, comme celles instituées par Necker pour le Berri et la Haute-Guyenne. La Fayette[32] avait demandé qu’au plan de nomination, moitié par le roi, moitié par les membres eux-mêmes, on substituât un système complètement électif. Le ministère promit d’étudier cette réforme pour l’avenir et maintint pour le présent l’ancien système. Il y eut, au mois d’août, en Auvergne, à Clermont-Ferrand, une réunion préliminaire, composée exclusivement des membres nommés par le roi. La Fayette y fit adopter la résolution suivante : « Nous prenons la liberté d’observer que notre province est une de celles qui ont cessé le plus tard d’exercer le droit de s’assembler en états, et considérant la différence des fonctions qui semblent être destinées à l’assemblée, avec les prérogatives sacrées de nos états, nous croyons devoir supplier Sa Majesté de daigner déclarer à la province, qu’elle entend, comme nous le faisons ici nous-mêmes, que l’exécution de ce nouveau règlement ne portera aucune atteinte aux droits primitifs et imprescriptibles de l’Auvergne. »

L’assemblée provinciale s’étant complétée par la voie de la cooptation, ses opérations commencèrent au mois de novembre. Un de ses premiers actes fut d’approuver le vœu de l’assemblée préliminaire. Le point important à débattre fut de savoir s’il fallait accepter, comme le gouvernement y invitait, un abonnement qui tendait à augmenter les charges de l’impôt. Sur la proposition de La Fayette, on vota le principe, mais on réduisit les chiffres. Le commissaire du roi fit connaître à l’assemblée qu’elle avait dépassé les droits que le roi lui avait permis d’exercer. Le 11 décembre, La Fayette proposa à ses collègues et leur fit adopter une déclaration ainsi conçue : « l’assemblée, frappée de l’impossibilité d’établir la communication des rôles, de l’énormité des accessoires de la taille dans cette province, montant à 3 millions de livres, sur lesquelles les vingtièmes sont encore perçus, n’a pu fixer ses idées que sur le travail du bureau de l’impôt et sur une conviction universelle de la surcharge de la province. Elle prend la liberté d’observer que les impôts réunis de l’Auvergne sont au-delà de toute proportion, et privent déjà le peuple d’une partie essentielle de sa subsistance, de manière que tout accroissement de charge, augmentant aussi le nombre des champs abandonnés et des cultivateurs forcés à l’émigration, tournerait au détriment des finances de Sa Majesté, en même temps qu’elle répugnerait à son cœur. — L’assemblée ose espérer que Sa Majesté, touchée de la situation de cette province, daignera ne pas rejeter sa première proposition. »

C’est ainsi que le sentiment du droit venait s’ajouter à l’ardente fermentation des esprits. Tous les hommes éclairés qui avaient été appelés à donner leur avis sur les formes à observer pour la convocation des états-généraux apprirent avec stupeur que les notables allaient être de nouveau réunis pour délibérer sur le mode de représentation : « Je ne crois pas, disait La Fayette, qu’ils soient fort habiles sur les questions constitutionnelles. » — La majorité fut, en effet, tellement en arrière de l’opinion publique, qu’un seul bureau, celui présidé par le comte de Provence, se déclara pour la double représentation du tiers. La Fayette raconte que le bureau de Monsieur dut cette gloire à l’assoupissement du vieux comte de Montboissier, appelé à voter. Il demanda à son voisin, le duc de La Rochefoucauld : « Qu’est-ce qu’on dit? — On dit oui, » répondit La Rochefoucauld. — Et ce oui décida la majorité[33]. « Au milieu de ces troubles et de cette anarchie, écrit La Fayette à Washington, le 26 mai 1788, les amis de la liberté se fortifient journellement, ferment l’oreille à toute négociation. Ils disent qu’il leur faut une assemblée nationale ou rien. Telle est, mon cher général, l’amélioration de notre situation. Pour ma part, je suis satisfait de penser qu’avant peu je serai dans une assemblée de représentans de la nation française ou à Mount-Vernon. »

Ce ne fut pas pour Mount-Vernon qu’il partit. Une année ne s’était pas écoulée que les états-généraux étaient convoqués, et La Fayette se rendait en Auvergne comme candidat aux élections. Il était élu député de l’ordre de la noblesse par la sénéchaussée de Riom. Mais ce ne fut pas sans lutte. Des gentilshommes de ses amis lui avaient signifié qu’avec certaines complaisances pour le maintien des abus, il aurait l’unanimité des suffrages. Repoussant toute compromission, La Fayette répondit « qu’il voulait convaincre et non flatter. »

Le tiers lui offrit alors de le choisir comme député. « C’était pour moi une chance de célébrité. » Il refusa néanmoins. — « Quoique l’oppression des nobles me révolte et leur personnalité m’indigne, je ferai mon devoir et serai modéré. » C’est avec ces sentimens de modération qu’il se rendit à Versailles pour assister à l’ouverture des états-généraux. Son ami Washington venait d’accepter la présidence des États-Unis.

Le soir de son arrivée à l’hôtel de Noailles, La Fayette parlait à sa femme de ses projets constitutionnels, de ses espérances en l’avenir: « Savez-vous, lui dit-il, le singulier apologue que me conta, en 1785, le grand Frédéric? Un jour que je soutenais contre lui qu’il n’y aurait jamais en Amérique, ni noblesse, ni royauté, et que je lui exprimais mes vœux avec vivacité : — Monsieur, me dit un moment après le vieux monarque, en fixant sur moi ses yeux pénétrans, j’ai connu un jeune homme qui, après avoir visité des contrées où régnaient la liberté et l’égalité, se mit en tête d’établir tout cela dans son pays. Savez-vous ce qui lui arriva? — Non, sire. — Monsieur, continua le roi en souriant, il fut pendu. — N’est-ce pas que le mot est charmant? Il m’a beaucoup diverti. »

Mme de La Fayette écoutait gravement et ne dut pas rire.


BARDOUX.

  1. Voyez la Revue du 15 février.
  2. Mémoires de ma main; Vie de Mme de La Fayette; Mémoires historiques de La Fayette et le tome IV de l’Histoire de la participation de la France à l’indépendance des États-Unis, par M. Doniol. (Annexes, archives des affaires étrangères.)
  3. Lettre à M. de Vergennes, p. 293, t. Ier, Mémoires ; — lettre à Washington, 12 juin 1779.
  4. Voir Doniol, Histoire de la participation de la France à l’indépendance des États-Unis, Annexes, t. IV, p. 276, — et Correspondance de La Fayette, t. Ier, p. 328.
  5. Voir Doniol t. iv, p. 280, archives de la marine, annexes.
  6. Voir lettre à M. de Maurepas, 25 janvier 1880.
  7. Instructions remises à La Fayette, le 5 mars 1780; annexes, p. 314, t. IV. Doniol.
  8. Archives des affaires étrangères, annexes; Doniol.
  9. Correspondance de La Fayette, t. Ier, p. 346, 357 et 365.
  10. Voir Mémoires de Rochambeau, p. 248 et 249.
  11. Rapport de M. de La Luzerne, p. 391; dépêches publiées par M. Doniol.
  12. Dépêches publiées par M. Doniol.
  13. Archives des États-Unis, p. 12, publiées par M. Doniol, t. IV.
  14. Allusion à la lettre de La Fayette du 20 octobre 1781 : « Recevez mon compliment, monsieur le comte, sur la bonne plume que l’on vient enfin de tailler à la politique. » (Correspondance, t. Ier, p. 471.)
  15. Voir la vie de la princesse de Poix, née Beauvau.
  16. Voir : Correspondance de La Fayette, t. II, p. 19; Washington’s Writings, t. VIII ; Mémoires de La Fayette, t. II, p. 4 ; lettres des 14 octobre et 22 novembre 1782.
  17. Voir lettre du 22 novembre 1782, t. II.
  18. Voir lettres des 20 janvier, 5 février 1783. (Correspondance, t. II.)
  19. Voir Correspondance de La Fayette t. II, 19 février et 2 mars 1783, 20 et 22 juillet, même année.
  20. Voir Lettres d’un cultivateur américain, par sir John de Crèvecœur; Paris, 1787, t. III ; — voir Mémoires de La Fayette, t, II, p. 104.
  21. Voir Correspondance de La Fayette, t. II; lettre du 8 décembre 1784.
  22. Voir Mémoires, t. II, p. 134.
  23. Voir Lettre à Washington, 11 mai 1785.
  24. Voir Mémoires, t. II, p. 135.
  25. Voir le livre de Clavière et de Brissot, De la France et des États-Unis, Paris, 1787.
  26. Archives de Seine-et-Oise, E 3151. Cette lettre nous a été communiquée par M. de Nolhac.
  27. Voir Mémoires, t. II, p. 191. et Correspondance, lettre du 5 mai.
  28. Voir Mémoires, t. II, p. 167.
  29. Voir Note trouvée dans les papiers de La Fayette, t. II.
  30. Tome II, voir les lettres des 9 octobre, 1er janvier, 4 février 1788.
  31. Lettre du 1er janvier 1788.
  32. Voir, Mémoires, t. II, p. 185.
  33. Voir Mémoires, t. II, p. 184 et 238; — Lettre du 8 mars 1789.