La Jeunesse d’un enthousiaste - Charles-Benoit Hase

La Jeunesse d’un enthousiaste - Charles-Benoit Hase
Revue des Deux Mondes3e période, tome 56 (p. 347-367).
LA
JEUNESSE DE M. HASE

Tous les hommes qui ont aujourd’hui quarante ans et qui ont passé leurs examens, du baccalauréat à la Sorbonne se souviennent de M. Hase, un grand vieillard à cheveux blancs, fort recherché de la jeunesse pour son extrême indulgence. Il avait l’habitude de scander les réponses du candidat d’un très bien! articulé lentement, mais avec conviction. Quelquefois même, à un mot latin ou grec, il tressaillait sur sa chaise et restait comme interdit devant le. savoir de son jeune interlocuteur. Cela ne l’empêchait pas, disait-on, de marquer de temps à autre un médiocre ou un nul au candidat.

Quand on le voyait faire son cours, on ne savait ce qu’il fallait admirer davantage : sa science ou sa bonhomie. Toute l’antiquité lui était familière : auteurs, monumens, histoire, géographie, grammaire, il savait tout. Il savait tant de choses qu’il était continuellement tenté de sortir de son sujet pour se laisser aller aux digressions. Une parenthèse en amenait une autre, et quand, au bout d’une heure, il était arraché, bien malgré lui, par la voix de l’appariteur à sa leçon, l’exposition n’avait peut-être pas avancé beaucoup, mais on avait appris, sur toute sorte de matières, quantité de faits curieux et peu connus. Sa mémoire était prodigieuse, car non-seulement il citait de tête ses auteurs, mais il pouvait dire le livre, le chapitre et la ligne.

Tout un cycle de légendes s’attachait au nom de M. Hase. Quelques-uns prétendaient que, sous des dehors paternels, il cachait un caractère sceptique et égoïste. On racontait des anecdotes plus ou moins authentiques sur sa politesse exagérée, sur sa crainte d’offenser personne, sur son habitude de parler grec et latin, sur sa vie privée : il est à supposer qu’à un fonds véritable la tradition populaire, comme d’habitude, avait beaucoup ajouté. Mais, en dépit de la légende, ou peut-être la légende aidant, ce qui dominait chez tout le monde, c’était un mouvement de sympathie pour ce grand savant qui avait vu tant de choses, qui appartenait à un autre âge et qui trouvait un mot aimable à dire à chacun. En ce qui concerne son origine, sa jeunesse, les informations manquaient, ceux qui avaient pu être témoins de ses débuts avaient disparu depuis longtemps. On savait seulement qu’il était Allemand de naissance, ce que son accent disait de reste, et qu’il était venu à Paris dans les premières années du siècle. Comment? pourquoi ? Là-dessus on n’avait que des bruits vagues et contradictoires.

C’est la jeunesse de M. Hase et son arrivée à Paris que nous allons raconter d’après une série de lettres écrites par lui-même. On y verra un homme bien différent du vieillard timide et cérémonieux que nous avons connu. A l’âge de vingt ans, étant étudiant à Iéna, il quitte l’Allemagne pour venir à pied à Paris, sans ressources d’aucune sorte, sans connaissances ni relations, sans plan arrêté, mais désireux avant tout de se dévouer à la cause de la liberté, d’accomplir quelque œuvre utile à l’humanité, surtout si elle est difficile et périlleuse. L’enthousiasme républicain est la source de ses résolutions, le principe de ses actes. M. Hase, qui aimait les citations, aurait pu dire, s’il s’était revu : Quantum mutatus ab illo ! Il est certain que la différence entre le commencement et la fin de cette vie est grande et qu’il y a là un intéressant problème de psychologie.

Mais cette histoire n’est pas seulement curieuse comme exemple du changement que les années peuvent amener dans le caractère d’un homme. Elle doit encore nous intéresser à un autre point de vue. Elle nous montre l’attraction qu’exerçait la France au dehors au commencement du siècle. Cet aimant qui, aux premières heures de la révolution, avait attiré vers Paris tant d’esprits généreux ou passionnés, n’avait pas encore perdu sa force en 1801. Il n’a peut-être jamais agi avec plus de puissance que dans le court moment qui sépare Marengo et Hohenlinden de la proclamation du consulat à vie. Quelle impression la France d’alors, avec son terrible passé, son glorieux présent, ses immenses espérances, avec sa société encore palpitante et mal remise des secousses de la révolution, faisait sur un esprit à la fois avisé et ardent, c’est ce qu’on verra par les pages qui suivent.

I.

Charles-Benoît Hase était né en 1780 dans une des petites principautés saxonnes de l’Allemagne. Il appartenait à une famille de pasteurs très pieuse, très dévote : dans une de ses lettres, étant déjà à Paris, il se plaint qu’au lieu des nouvelles de la maison, qu’il avait demandées, on lui expédie des sermons, de l’exégèse, un commentaire sur saint Luc, chapitre XIII, verset 24-30. Dès son adolescence, par sa manière de penser et de vivre, il tranchait sur ses frères et sœurs, qui ne savaient que faire de lui : il leur faisait l’effet tantôt d’un pédant, tantôt d’un être démoniaque. Vers 1799, il se rendit à l’université d’Iéna, où, selon l’usage du temps, il poursuivit ses études dans toute sorte de directions, antiquité classique, théologie, histoire, philosophie, histoire naturelle. De tous ses maîtres il ne paraît pas avoir gardé une haute opinion. Et cependant Iéna, au commencement du siècle, présentait un ensemble de professeurs comme il est rarement donné à une université d’en réunir : pour la philosophie, elle possédait Fichte et Schelling, pour la littérature, Guillaume Schlegel, pour l’histoire, Schiller. Mais la jeunesse est difficile à satisfaire : il y avait d’ailleurs incompatibilité d’humeur entre ces grands idéalistes et le jeune étudiant, qui se rattachait franchement à la philosophie française du XVIIIe siècle. Les « contemplateurs de l’idée d’infini » ne lui causaient que de l’impatience. Quelques Grecs de Constantinople et d’Épire, qui se trouvaient alors à Iéna, paraissent avoir eu sur lui au moins autant d’influence que les cours ex professo : dans leur société, il apprit à parler le grec moderne. Il y joignit, car il avait une véritable aptitude pour apprendre et parler les langues, quelque peu d’arabe.

Avec toutes ces ressources d’instruction et de savoir, Iéna n’a pas le don de lui plaire : il s’y sent à l’étroit. L’inégalité des rangs, l’arrogance des gros personnages, l’incertitude de l’avenir, pèsent sur lui ; la rudesse des manières lui répugne. Au contraire, il est poussé vers la France, vers Paris, autant par ses opinions démocratiques que par l’éclat que la grande ville, fraîchement sortie de la tempête, recommence à jeter dans le monde. Derrière ce voyage, il en entrevoit un autre : il veut se rendre en Grèce pour travailler au relèvement de la race hellénique. La campagne d’Egypte avait été saluée par les Grecs comme un premier pas vers la délivrance de leur patrie : les commencemens du mouvement philhellénique sont de cette époque. Mais le second projet n’apparaissait que dans un lointain assez vague; le but immédiat était Paris.

C’est ce voyage en France et les premiers temps du séjour à Paris que nous allons raconter d’après le récit de Hase. Il avait contracté à Iéna, avec un étudiant nommé Erdmann, une de ces amitiés romanesques comme elles étaient de mode à la fin du XVIIIe siècle, et comme Schiller en a tracé l’image poétique dans son Don Carlos. Hase, durant les deux premières années de son expatriation, envoyait à son ami le journal de sa vie : notes rédigées sur le moment, sous l’empire de l’émotion présente, sans aucune préoccupation du public. Cet Erdmann paraît avoir eu pour son propre compte le goût de l’émigration, car il alla plus tard en Russie; il finit par être général russe. Les lettres de Hase, conservées dans sa famille, passèrent de main en main, jusqu’à ce qu’elles furent publiées, il y a deux ans, par une revue allemande[1]. Leur authenticité ne peut faire aucun doute : il suffit d’en lire une demi-page pour en être assuré.

Ces lettres sont charmantes : il y règne un ton de franchise et de gaîté, une exubérance de sève et de jeunesse qui gagnent aussitôt les cœurs. Celui qui les a écrites ne veut point paraître aux yeux de son ami meilleur qu’il n’est, de même qu’il écarte toute fausse modestie. On devine que les Confessions de Rousseau étaient encore fraîches dans la mémoire de tous et qu’involontairement elles servent de modèles. A toutes les pages la chaleur du sentiment, les effusions un peu déclamatoires, l’amour de l’humanité, rappellent l’influence de Jean-Jacques. Autant qu’il sera possible, nous allons maintenant laisser parler Hase lui-même.


Selon les habitudes et les nécessités du temps, il fait son voyage à pied. D’Iéna jusqu’à Paris, on compte de deux cent cinquante à trois cents lieues : cette distance est parcourue par lui en dix-huit jours. Il faut nous représenter notre voyageur comme un jeune homme de taille élevée, droit, fort, la moustache et les cheveux noirs; sur sa figure est répandu un air d’honnêteté qui prévient en sa faveur. Son ami lui avait prédit que, par sa bonne mine, il se tirerait des situations les plus difficiles, et la suite a justifié le présage. Sur son dos, il portait un sac de chaise garni de ses effets; à la ceinture, sans doute pour se garder des mauvaises rencontres, il avait suspendu un grand sabre.

Son ami lui avait fait la conduite le premier jour.


« Eisenach, 1er octobre 1801.

« Tu as voulu m’épargner les momens les plus durs : je t’ai compris et je t’en remercie. Sans attendre, j’ai poursuivi ma route...

« Sur la hauteur, après avoir dépassé Gotha, j’ai rencontré une troupe d’une quarantaine d’écoliers qui allait au-devant de son nouveau maître d’école, qu’ils ne connaissaient pas encore, et qui me demanda tout d’une voix si je n’avais pas vu en route un attelage, c’est-à-dire une voiture. L’étape avait été longue ; mon sac me pesait. Je fus tenté un moment de me faire passer pour l’instituteur. Après tout, qu’on fasse la classe en Thessalie ou en Thuringe, la différence est-elle bien grande ? L’important n’est-il pas d’avoir son repos et son pain ? Heureusement l’averse que je venais de recevoir m’avait rendu des forces. Autrement la tentation l’eût emporté et je serais installé ce soir même dans mon logis. Car le vrai titulaire, je m’en serais débarrassé en le faisant passer pour un imposteur. »

Son chemin le conduit à travers le pays de Fulda, qui formait alors un petit état indépendant sous l’autorité de l’évêque. Il faut dire ici que Hase éprouve une véritable aversion pour tout ce qui rappelle la religion et le culte catholiques : les crucifix, les images des saints dans les auberges, les croix élevées le long du chemin lui font horreur. Même les jeunes filles, en ces pays de papisme, ne lui envoient pas de sourires. Les Bäbelis et les Peppelis de Fulda sont des créatures affreuses. Quant aux hommes, ils n’ont dans la tête que des histoires de voleurs et de supplices. On lui raconte l’exécution d’un juif coupable d’assassinat qui a été écartelé et dont les membres ont été suspendus aux arbres du chemin : des détails de nature superstitieuse et mythique se mêlent au récita « Et ce n’est pas au moyen âge que cela s’est passé : j’ai appris avec douleur que peu d’années nous séparent de l’événement. Nulle part je n’ai entendu parler con amore des cruautés de la justice comme dans le pays de Fulda. L’homme ne se peint pas seulement dans ses dieux, mais aussi dans ses histoires favorites. »

Le troisième jour, il croit qu’il ne pourra résister à la fatigue. Dans un village, il est pris d’un frisson ; tout son corps se met à trembler. Très découragé, il croit qu’il va commencer une maladie. « Le peu de nourriture et de sommeil, la fatigue, avaient fait de moi un vrai chevalier de la triste figure. Je fus effrayé en me voyant dans la glace. Je pensai à ce que je ferais si je tombais réellement malade. Un empereur de Constantinople disait aux Huns : « Je n’ai pas l’or que vous réclamez de moi, mais j’ai du fer pour mettre fin aux tortures que vous me causez. » Je pouvais dire la même chose à ma maladie, et, je ne le nie pas, je jetai un regard d’espoir du côté de mon sabre. » Heureusement les choses n’en vinrent pas là : une nuit de bon sommeil répara ses forces.

Avec son accoutrement, son air délibéré, on le prenait pour un Français. Les opinions étaient seulement partagées sur le point de savoir si l’on avait affaire à un émissaire de la république ou à un émigré rentrant chez lui. Il faisait de son mieux pour soutenir son rôle, jetant autour de lui le plus de mots français qu’il pouvait. La vérité nous oblige à dire qu’il s’en tirait assez mal. Dans la suite de sa vie, M. Hase apprit à parler et surtout à écrire notre langue avec correction, et non sans une certaine élégance académique qui sentait son premier empire ; mais à cette époque, il en était aux élémens. Le désir de briller, joint à la conviction partagée par tout bon Allemand qu’on reconnaît le Français à son manque de respect pour les femmes, lui fait commettre d’assez sottes plaisanteries, qu’il raconte en détail à son ami. Nous donnons le passage suivant parce qu’on y voit la trace d’un talent de croquis qui était assez rare à cette époque.

« — La route me conduisit vers Hanau à travers un magnifique bois de pins: puis je longeai la ville, qui, séparée de moi par la Kinzig, était cachée dans un épais feuillage; je vins tout près de la porte qui conduit à Francfort. Quel spectacle ! j’aurais voulu avoir mille paires d’yeux ! Des élégans en habit bleu, avec des têtes à la Brutus, des jeunes filles à coiffures grecques se drapant dans des châles jaunes, des officiers de recrutement prussiens à panache, des fonctionnaires en habit brun et à hauts toupets. Les carrosses roulaient, et le beau monde de Hanau remplissait la large voie. Je me sentis un peu embarrassé; je n’aime pas à me présenter dans une tenue négligée au milieu d’une société en habits de fête. Mais je me rappelai que, dans le pays de Fulda, j’avais été tenu pour un Français. Bonne ou mauvaise, ma résolution fut bientôt prise. « Bonjour, citoyen ! bonjour, madame ! » criai-je à droite et à gauche, en me donnant l’air le plus assuré que je puis. « Bonjour, citoyen! » répondaient en riant les messieurs et les dames. Cela me donna du courage, et je me permis, — pardonne-moi ce péché ! — à la faveur de mon déguisement quelques petites libertés. Je rattrapai une troupe de jeunes filles, je les regardai hardiment en face et criai à l’une d’elles : « Ah! petite belle, tu as gagné mon cœur ! » La petite belle rougit presque par-dessus les yeux : mon effronterie me fit mal... »

C’est en pays allemand qu’il accomplit cette prouesse. Mais, ajoute-t-il, on est habitué ici à admirer tout ce qui est français.

A mesure qu’il approche de la frontière, tout devient plus beau. « Des vignes à perte de vue, un feuillage d’un vert sombre, et au-dessus de moi le ciel joyeux du Sud ! » C’est des environs de Francfort qu’il est question. En général, Hase parle de la France, où il entre par les provinces du Rhin et par la Lorraine, comme nous parlerions de l’Italie. Ce qui le frappe, c’est la vie en plein air, les gens réunis par groupes devant les maisons, les femmes qui battent le chanvre dans la rue; si vous demandez votre route, aussitôt les rassemblemens se forment, la conversation s’engage, les querelles éclatent pour savoir quel est le chemin le plus court ; vous êtes déjà loin que vous entendez encore le bruit de la dispute qui continue; et, avec cela, partout ce charme inexprimable répandu sur le Midi !

L’enthousiasme républicain jette sa note au milieu de la description. — « Et maintenant, s’écrie-t-il après qu’il a dépassé Francfort, j’entrai dans la contrée où reposent les milliers d’hommes qui sont tombés en combattant pour et contre la liberté! Tout l’horizon ne forme qu’un vaste cimetière. Ici les Français ont battu la cavalerie de Clairfayt... »

A Francfort, il se trouve que le passeport du voyageur n’est pas en règle, de sorte qu’il est obligé de se rendre à Mayence pour obtenir le visa du préfet français. Il profite de l’occasion pour aller au théâtre de Mayence, qu’il trouve rempli de militaires de tout rang et de toutes armes. Sans se laisser déconcerter par la nouveauté du spectacle, en attendant le lever du rideau, le jeune homme s’entretient vivement avec les officiers et leurs femmes. On jouait le Médecin malgré lui; puis devait venir un opéra-comique. Mais tout à coup, dans l’entr’acte, la toile se lève et le régisseur s’avance, un papier à la main : « Le préfet Jollivet aux spectateurs du théâtre français. Le préfet vient de recevoir des rapports de Paris annonçant que les préliminaires avec l’Angleterre sont signés. Il a cru qu’il ne devait pas cacher un moment au public cette heureuse nouvelle. » Là-dessus éclatent les applaudissemens, les cris; les officiers s’embrassent. « Vivent les consuls ! vive la république ! » On demande l’air national, qui est joué par l’orchestre et chanté en chœur par la salle. « J’étais ému comme je ne l’ai encore presque jamais été; jamais je n’ai si bien éprouvé combien l’enthousiasme est contagieux. » A la fin de la pièce, un acteur s’avance : il a composé un petit couplet sur cet heureux événement. — Chantez-le, chantez-le, lui crie-t-on du parterre. L’acteur salue, tousse et commence à chanter, avec accompagnement d’un violon de l’orchestre, quelques antithèses assez légèrement rimées. On applaudit, on fait répéter, et tout le monde s’en retourne ravi à la maison.

Le préfet Jollivet, après quelques difficultés, s’est laissé fléchir, et Hase continue sa route vers Trêves. A Sierck, il franchit la frontière de l’ancienne France, et aussitôt il trouve les marques du génie national : l’aspect coquet de la petite ville, la gaîté des gens, l’arbre de la liberté sur la place publique, les beaux magasins avec les marchandises exposées de la manière la plus propre à les faire valoir. « Et si tu adresses la parole aux habitans, comme les réponses sont justes, fines, bien dites! Bref, tu es en France... » « Je ne connais pas, dans toute la Thuringe, une petite ville qui puisse se mesurer pour la beauté des rues, la propreté et la bonne construction des maisons, avec le dernier des villages entre la Moselle et la Meuse. Les paysans lorrains ont la tenue libre et dégagée, le regard franc, la réponse juste et prompte; avec leur cou nu, leur air martial, ils ont un aspect antique... »

Chose assez étrange, il ne loge pas à l’auberge: il loge chez l’habitant. Cette manière de voyager lui paraît très commode. « Tu ne saurais croire combien les voyages sont plus agréables depuis que chacun peut loger chez lui des étrangers. On vous fait asseoir auprès du feu, le maître de la maison à votre droite, la femme à votre gauche, les enfans approchent leurs petites chaises de paille, Maintenant il faut raconter du gouvernement de votre pays ce qu’on y dit des Français, quel est là-bas le sort des émigrés, quels sont les usages de votre nation. Et comme ce peuple est bon! comme il est facile à gagner! comme il est complaisant!

— « Les femmes cuisinent en s’agenouillant à terre devant la cheminée: cela fait de jolies scènes pittoresques, quand on vous laisse vous asseoir, comme étranger, auprès du feu ; la flamme vacillante, les figures de femmes à demi éclairées, l’espace sombre dans le fond, forment un ensemble plein de charme. »

Républicain de fraîche date, il en aies étonnemens. Dans un village auprès de Thionville, il loge chez un paysan qui est le maire de sa commune, ardent démocrate, ce qui ne l’empêche pas de faire valoir ses terres. « Jamais je n’ai vu les mœurs simples du vrai républicain sous une forme aussi digne de respect que chez ce maire. Il est riche et cependant il cultive son champ lui-même comme les autres paysans. Sa place de maire ne lui rapporte rien et lui cause toute sorte de tracas : mais aucune plainte, aucune marque de mécontentement ne vient à ses lèvres. Il a une fille très aimable de quatorze ans, nommée Madeleine. Je lui demandai : « Eh bien ! mademoiselle, poignarderiez-vous le premier consul s’il voulait se faire roi? » La réponse fut : « Ah! monsieur, de tout mon cœur! » Je ne pus me retenir (elle était assise à côté de moi) de l’embrasser pour cette réponse digne d’une Romaine. Aimable et vertueuse famille, tu as prouvé à l’enfant d’une nation étrangère que ce qu’on appelle vertu républicaine n’est pas une simple illusion de la jeunesse ! »

Un joli trait chez Hase, c’est l’amour des enfans : logé quelque part dans une famille catholique, il passe la soirée avec la petite fille de la maison, âgée de huit ans ; il lui fait réciter son Credo, son Pater, et il fait l’étonnement des parens, à qui il avait dit qu’il était d’une autre religion, en disant la liste des sacremens sur le bout des doigts. Chez les catholiques comme chez les jacobins il trouve l’expression du plus vrai patriotisme. « Mon hôte, écrit-il de Verdun, est un zélé dévot, partant un ennemi de la république. Néanmoins, lui et sa femme se réjouirent énormément quand ils virent que j’étais instruit de la marche de la guerre et des faits de l’armée. La révolution nous a appauvris, disaient-ils, mais les armées se sont bien comportées ; elles ne se sont pas battues pour la république, mais pour la patrie. Vivent nos demi-brigades! »

Dans sa course rapide à travers le pays, Hase remarque qu’il y a plus de satisfaction dans les campagnes que dans les villes. Les gens de la ville sont ruinés, le commerce est détruit, les fabriques sont fermées, les assignats (il en envoie une collection à son ami) ont causé la perte de bien des fortunes : au contraire, le paysan paie moins d’impôts, est délivré de la dîme et de la corvée, n’est plus humilié par la noblesse. Au besoin, le gouvernement pourrait se maintenir par le seul appui des campagnes.

Cette hospitalité fournie par l’habitant donne quelquefois lieu à d’amusans malentendus. « Combien d’années avez-vous servi contre vos ennemis? lui demande-t-on à Châlons. — Ainsi il n’y a pas de république chez vous?.. » On demande ce que font ses parens, ses frères et sœurs. « — Ainsi il y a aussi des curés chez vous ?» — Comme il parle d’Iéna : « Vous appartenez donc à la république ligurienne? «  — « Ainsi vint au jour un terrible malentendu qui fit presque tomber tout mon courage : on avait cru que je parlais de Gênes. «Sur les explications qu’il donne au sujet de l’Académie d’Iéna, l’hôtesse assure que, du premier coup, elle avait reconnu en lui un grand seigneur et qu’elle n’avait point douté un instant qu’il n’appartînt à une très bonne famille. « Je fus peiné d’entendre un tel propos dans un pays en république. En général, le beau nom de citoyen n’est prononcé presque jamais. »

Après Châlons, celui qui devait être un jour un grave professeur de la Sorbonne fait la rencontre de deux soldats en congé, dont il devient le compagnon de route. « Jusque-là mon voyage à travers la France avait ressemblé à une promenade ; je suis fâché d’être obligé de dire que maintenant les choses ont tout à fait changé. A une demi-lieue de la ville, je rencontrai deux soldats de la 9e demi-brigade d’infanterie légère, qui allaient à Paris comme moi. Je fis connaissance avec eux et dès lors notre voyage fut la chose du monde la plus vulgaire. Tous les matins, départ à quatre heures, trois repas par jour, une heure et demie perdue à chaque repas, coucher à huit heures. Pour te donner une idée de ce nouveau mode de voyager, il me suffira de te dire que j’ai oublié les noms des trois villages où nous avons couché. Je sais seulement que nous avons passé par Montmirail, La Ferté et Meaux : j’étais malade de la marche, la peau de mes pieds qui était à vif se collait la nuit aux couvertures de mon lit. C’était un état atroce. Je veux passer sur ces trois jours abominables; je veux les oublier si je puis. »

Ils entrent à Paris par la rue du Faubourg-Saint-Martin, dont les maisons misérables lui rappellent les faubourgs de Weimar : mais à mesure qu’on approche des boulevards il découvre la magnificence de la grande ville. Hase prend congé de ses compagnons, à qui il rend cet hommage qu’il est impossible de montrer plus d’obligeance et de délicatesse. Remis par eux entre les mains de quelques ouvriers allemands, il se loge dans une auberge chez le citoyen Arnoult, 22, rue du Vertbois.


II.

S’il trouvait déjà de quoi admirer dans les villages de la Lorraine, que sera-ce à présent ? Il est émerveillé de tout, enchanté de tout. A vrai dire, il était séduit d’avance. La première visite fut pour les Tuileries et les Champs-Elysées. « Comment te décrire ce qui se passa en moi lorsque mes yeux tombèrent pour la première fois sur la Seine? Le fleuve couvert de bateaux, les ponts innombrables, les édifices splendides qui s’élèvent sur les deux rives, tout cela forme un spectacle unique... Le soir, il entend battre la retraite au Louvre : à ces tambours répondent ceux des Tuileries, puis d’autres du côté des Invalides. « Je n’ai jamais rien entendu qui m’ait fait autant d’impression. »

Cependant les soucis pour l’existence ne tardent pas à se faire sentir. Il était parti d’Iéna avec un capital de 180 francs que le voyage a déjà ébréché. Comme relations à Paris il compte sur une carte que le botaniste Batsch lui avait remise pour l’archéologue Millin, et sur une recommandation verbale d’un négociant allemand à un commerçant nommé Müller dont il n’a pas l’adresse. Il va d’abord à la recherche de ce dernier : renvoyé de quartier en quartier, après avoir battu Paris en tout sens, pendant deux jours, il apprend finalement que M. Müller a quitté Paris depuis longtemps, qu’il est établi en Picardie. Millin, qu’il va trouver ensuite, le prend sur sa mine pour un riche étranger venu pour son plaisir à Paris : il se contente de l’inviter à ses soirées. « Je veux bien y aller, si je ne suis pas mort de faim. »

Pour comble de mauvaise chance, il a pour voisin de chambre une sorte d’officier en disponibilité, Corse ou Génois, qui se dit parent du premier consul, et qui lui emprunte le peu d’argent qui lui reste. « Ce matin, à sept heures, j’entends mon voisin se lever et s’avancer à tâtons vers l’escalier. «Madame! Madame! » crie-t-il un quart d’heure durant. Je me lève, je sors, je le trouve pâle comme un mort, près de s’évanouir. «Juste ciel! dit-il en pleurant, je crie depuis une demi-heure, et ils ne m’entendent point. » Je le ramenai à son lit et courus lui chercher une soupe chez le traiteur. « La sœur du premier consul est ma cousine, » me dit mon malade, quand je remontai et entrai en conversation avec lui. Nous en vînmes aux confidences : il est de Gênes, et il séjourne à Paris pour solliciter une pension du ministre de la guerre, Alexandre Berthier. Comment il en est venu à demander cette pension, comment il est parent de la sœur du consul, il m’a expliqué tout cela longuement, mais je ne l’ai pas compris, car il toussait continuellement à travers. Je le couvris chaudement et rentrai dans les ténèbres concentrées de ma chambre. »

Une fois la connaissance faite, le Ligurien lui explique qu’il travaille à un grand plan pour l’organisation des troupes françaises qu’il doit proposer au premier consul. Mais il est dans le dénûment, il a besoin d’argent pour achever d’imprimer son ouvrage. « Je voyais que la demande lui coûtait. C’était dur de donner de mon argent dans un tel moment. Mais il était si horriblement pâle, ses cheveux étaient si noirs, son visage si semblable à Bonaparte, que c’eût été barbarie de lui refuser quelque chose. Je lui donnai ce que j’avais. Il fut très content. J’eus un quart d’heure de bonheur. Qu’adviendra-t-il de tout cela? Je ne sais. Mais je suis assez payé. »

Au milieu de ces préoccupations. Hase entre au Louvre, alors rempli des plus merveilleux trésors d’art, et tout pour un instant est oublié. « Pendant que j’allais ainsi chez les libraires, cherchant fortune, je viens à passer par le Louvre. Je me perds dans les cours, tombe sur un flot de monde que je me mets à suivre machinalement, passe par une grande porte où se tient un factionnaire, et — ton cœur ne te dit-il rien? — je me trouvai au milieu de la Grèce, je sentis le souffle du génie grec. Comme sur leurs trônes, les dieux des anciens temps regardaient les générations nouvelles. J’étais dans la salle des antiques. Comment exprimer ce qui se passa en moi? Mon cœur battait. Je m’assis, sans rien dire, à côté du piédestal de l’Apollon du Belvédère et me perdis dans ma contemplation. De temps à autre, je fermais les yeux : puis je les rouvrais, pour les fermer de nouveau, et il me semblait que toutes ces figures étaient en mouvement. J’étais dans l’Olympe. »

Puis ce sont les tableaux, les Corrège, les Michel-Ange, les Raphaël. Enfin, les peintures modernes : il voit un grand tableau représentant la bataille de Marengo. Devant le tableau, des soldats qui avaient combattu à Marengo se montraient les positions qu’ils occupaient. « Je dus penser à Miltiade, dont la seule récompense après Marathon fut de se voir représenté au Pœcilo au milieu de la mêlée. »

Mais tout cela ne lui assure pas le pain du lendemain. Il est vrai qu’on lui propose des places. Un libraire allemand consent à le prendre pour commis, moyennant un engagement de huit ans. Les 400 francs d’appointemens qu’on lui promet et la vue de quelques jeunes personnes assises dans les bureaux sont sur le point de le décider : mais aliéner sa liberté pour un si long temps! Le prédicateur de l’ambassade de Suède ayant cru remarquer qu’il avait une bonne voix, lui offre une place de chantre dans la chapelle de l’ambassade. Il avait fait la connaissance de Coray, un vieillard maladif et bienveillant. Celui-ci est effrayé de sa situation; mais que faire? il ne peut rien pour lui : il va chercher, tâcher de lui trouver des leçons d’allemand.

Si tout vient à manquer, il reste une dernière ressource. Dans un mois a lieu une nouvelle conscription, où l’on admet les étrangers. Il se fera soldat : d’ailleurs on le tient déjà pour un militaire. « N’avez-vous pas servi dans les troupes polonaises du général Dombrowski? » lui demande-t-on de différens côtés. « Est-ce que par avance on voit sur mon visage le soldat de la garde consulaire? » Le Génois lui promet la protection de sa cousine. « Si, à l’avenir, tu dois adresser tes lettres rue de Grenelle, je ne me repens de rien. Un coup d’œil au Louvre, et les dieux me récompensent! »

Cependant les impressions se succèdent vite chez lui, et le même jour où il avait parlé sur un ton si gai de son entrée au régiment, il écrit avant de se coucher : « Je suis tombé dans une espèce d’engourdissement qui ne me permet pas de réfléchir sur mon sort : je ne me réveille que de temps à autre, mais ces momens sont horribles.»

L’instant critique était arrivé. Hase pouvait succomber dans la grande ville comme tant d’autres ; c’est là que vient se placer cet épisode qui n’est pas resté complètement inconnu du public, car il a été plusieurs fois raconté de façon plus ou moins exacte, mais dont nous avons ici le récit fait sur le moment même.


« 5 brumaire, après-midi.

« Tout va mieux que je ne croyais. Hier soir, je m’étais jeté sur un banc au Palais-Royal et restai là longtemps : on fermait les boutiques autour de moi, les lumières s’éteignaient dans les galeries; il était dix heures et demie. Voilà qu’entre les colonnes s’avance une longue figure à barbe noire; c’était l’un des mamelouks qui ont suivi Bonaparte d’Egypte en France. Je le saluai en arabe: cela lui fit plaisir. Nous allâmes ensemble par la rue Traversière jusqu’aux Tuileries, où il demeure avec ses compatriotes. Il me raconta toute sorte de choses : c’était la première fois que j’entendais parler arabe ; mais je le compris mieux que je n’aurais cru. J’appris de lui qu’il était en relation avec la suite de l’ambassadeur turc; il me conseilla d’aller trouver l’interprète de l’ambassade. Nous étions arrivés sous le portail du palais et nous nous séparâmes... »

Cet interprète de l’ambassade était un Grec, natif d’Athènes, nommé Codrikas. Hase lui baragouina, selon son expression, quelque peu de grec moderne. Il lui plut et fut adressé par lui à Villoison, le célèbre éditeur des scolies de Venise, l’un des plus grands hellénistes que la France ait produits. Dès lors Hase est sauvé[2].

Son véritable patron et protecteur fut Villoison, qui montra en cette circonstance, comme eu beaucoup d’autres, autant de générosité que de délicatesse. Il l’accueillit avec bonté, s’assura de son savoir et, avec la chaleur d’âme qui lui était naturelle, s’enflamma à l’idée des services que ce jeune helléniste pourrait rendre aux lettres. Pour commencer et en attendant qu’il puisse lui trouver des travaux à la Bibliothèque nationale, il l’invite à venir tous les dix jours lui donner une leçon de grec moderne, et comme paiement anticipé de ses leçons, il lui avance de l’argent. Ce n’est pas assez : il le met rapidement en relation avec tous les hellénistes de Paris. En quelques semaines, Hase est présenté à Sainte-Croix, l’historien d’Alexandre, à Clavier, l’éditeur de Pausanias, à Larcher, le traducteur d’Hérodote, au géographe Barbie du Bocage, au libraire et littérateur Cramer. Il est même introduit chez des personnages comme Berthollet et Chaptal. En un mot, Villoison le fait adopter par le Paris savant et lettré d’alors.

On n’est pas fâché de noter l’impression que produisent sur l’étudiant d’Iéna les hommes distingués qu’il apprend à connaître. Ce qui le frappe avant tout, c’est la simplicité des savans français. « Cette simplicité est une chose remarquable. Des hommes comme Villoison, à qui l’Europe est redevable des recherches sur Homère, dont Wolf a tiré les conclusions, conclusions faciles à déduire et qui sont connues aujourd’hui sous son nom, vous les trouvez le matin assis à terre, en robe de chambre, lisant des in-folio; mais autour d’eux tout est si beau, si bien décoré de statues, de bas-reliefs, que vous voyez bien qu’ils ont eu le temps de penser à tout, excepté à eux-mêmes. » L’observation n’est pas mal saisie. Le savant allemand, presque toujours professeur, entouré d’élèves, habitué aux respects, est facilement enclin aux airs de dignité et d’importance, surtout vis-à-vis d’un jeune homme et d’un débutant. Mais laissons continuer notre voyageur : « Avec cela, ils ont l’inquiète mobilité de la nation. Millin, assis près de la cheminée, ne pouvait pas dire dix mots sans faire aller son soufflet sur le feu ou sans fouiller avec les pincettes dans les cendres. Gail n’avait pas de tisonnier : mais il prenait son petit enfant, le montait sur ses genoux et le baisait continuellement, pendant que je parlais, sur le bout du nez. Tu ne peux d’ailleurs pas te faire d’idée de l’obligeance avec laquelle ils savent vous rendre de petits services. J’avais donné à entendre en quelques mots à Millin que je dessinais et que j’avais l’intention de m’essayer sur les antiques : deux jours après je reçois un billet qui m’assure en tout temps l’entrée au Louvre. »

Les Allemands à qui Hase s’était adressé n’avaient eu pour lui que des paroles ironiques ou blessantes. « D’aucun Français je n’ai entendu pareil propos. — C’était une petite étourderie de votre part de vous jeter dans la foule d’une ville égoïste et corrompue : mais vous y êtes actuellement et vous ne serez pas perdu. — C’est ce qui m’a été dit de plus fort : ce sont les paroles de Gail. »

Et de quelle manière aimable s’y prennent ces savans pour l’obliger! « Je serais injuste si je ne reconnaissais la délicatesse extraordinaire avec laquelle on me traite. Pour pouvoir me donner quelque chose sans me faire rougir, Villoison, qui sait vingt fois plus de grec moderne que moi, me sacrifie une matinée chaque décade et appelle cela des leçons de grec que je lui donne. Chez les Breteuil, on fait comme si l’on était mon obligé. — Vous pouvez demander tout ce que vous voudrez, monsieur le professeur, me dit Mme de Breteuil... L’empressement de tous à me servir me fait sauter le cœur dans la poitrine. Grand Dieu! il faut pourtant que je vaille quelque chose pour que les gens fassent tant de cas de moi ! »

Villoison avait introduit son protégé chez la duchesse de Breteuil, dont le mari avait occupé de hautes fonctions à la cour de Louis XVI et qui conservait chez elle, dans son hôtel de la rue de Sorbonne, les traditions et le savoir-vivre de l’ancien régime. La duchesse, couchée sur une ottomane, le reçoit « avec la dignité d’une Junon. » Elle veut faire donner des leçons d’allemand à sa fille, jeune personne de dix-huit ans, fort instruite, car elle parle italien et anglais, lit le latin et apprend le grec. On présente le professeur, lequel est un peu troublé à la vue des yeux noirs de sa future élève. En réponse à la question quelle grammaire allemande il faut prendre, il indique la première qui lui vient à l’esprit, celle de Gottsched : la jeune duchesse écrit Quodechèdt sur un papier et envoie un domestique chercher le livre chez le libraire. Hase se promet en lui-même de l’acheter de son côté pour voir ce qui s’y trouve. Les leçons commencent. Depuis qu’il est en voie de réussir, les Allemands qu’il connaît à Paris lui font des offres de service. Hase écrit avec joie qu’enfin il a pu s’arranger à la dernière mode et qu’il va pouvoir se présenter la bouche et le menton rasés, des mèches dans les yeux et un tire-bouchon de chaque côté du visage. On explique les idylles de Gessner. Au bout de la troisième leçon, la jeune personne dit à son professeur : « Mais ce monsieur est un peu fade avec ses moutons et ses toits de paille. » Hase, étonné de cette franchise, se hâte d’écrire à son ami pour lui demander de lui envoyer par retour du courrier le Wallenstein de Schiller : « Attendez, ma chère, ajoute-t-il dans sa lettre : nous allons faire avancer la grosse artillerie. Sauvons l’honneur de la nation ! »

Un peu plus tard, un jour que la gouvernante qui assiste aux leçons est sortie, la jeune écolière s’interrompt pour dire à son professeur : « Je devine tout... Vous n’avez pas vainement étudié à Iéna... Vous n’êtes pas venu pour rien à Paris... Vous êtes jacobin. » Et comme il ne veut pas en convenir : « Cela ne fait rien, je suis impartiale. Mais il ne faut pas le dire à ma mère. — J’aurais, s’écrie Hase, voulu l’embrasser! Je ne savais pas que Iéna eût une si bonne réputation. »

Une autre personne à qui il donne des leçons d’allemand est une femme qui est restée célèbre par sa beauté et son intelligence, non moins que par son noble caractère, Mme de Condorcet, la veuve du conventionnel. « Je donne des leçons à une des plus jolies femmes de Paris, à la veuve du révolutionnaire Condorcet. Quelle amabilité! quelle grâce! et que lis-je avec elle? Les Souffrances du jeune Werther... » Je t’ai dit, dans une de mes lettres, que je donnais des leçons à Mme de Condorcet. Elle voulait apprendre l’allemand, et un certain Fauriel, secrétaire du ministre de la police, chez lequel je passe quelquefois les soirées, m’a envoyé chez elle. C’était le 28 frimaire. Cherche ce jour et marque-le dans ton calendrier : c’est un des plus beaux de la vie de ton ami. Car, je dois l’avouer, l’élévation de sentiment de cette femme admirable, l’intérêt qu’elle prend aux progrès de l’humanité, la connaissance qu’elle a des grandes journées de la révolution, peut-être aussi sa bonté envers moi, n’ont pas manqué leur effet sur mon âme. Je te prie de ne pas sourire : je la respecte entre toutes; à elle seule, j’ai parlé de mon enfance, de mes espérances, de mon amour à Helmstädt, de toi, de mon voyage en Grèce. »

A Mme de Condorcet aussi il faisait l’effet d’un jacobin. Comme il lui parlait de la Grèce : « Vous y serez déplacé, mon ami. On vous coupera votre tête bouillonnante. » Mais Hase ne se laisse pas détourner pour si peu. « La perte de ma tête, écrit-il, ne m’empêchera pas de faire ce que je tiens pour bon et utile. L’œuvre la plus difficile, la plus ingrate est celle que j’ai choisie pour moi, et je veux me tenir parole. »

Dès lors, il se regarde comme Parisien, et il ne peut assez s’en féliciter : « Comme je bénis ma résolution d’être allé à Paris! Comme la poitrine se dilate ici! C’est le privilège des grandes villes que chacun, parmi les milliers d’hommes qui l’entourent, trouve l’âme dans laquelle il revoit son image et dans le voisinage de laquelle toutes ses forces se développent avec une liberté et une facilité dont il ne se doutait point auparavant... « Cela ne l’empêche pas de continuer ses observations : « J’ai appris à connaître, parmi les Français de mon âge, des hommes admirablement doués, surtout pour les qualités qui distinguent en général la nation, la force et la promptitude de l’expression, le feu de l’imagination. Mais la guerre et le manque complet d’instruction sous la terreur ont plus ou moins retardé la plupart. Partout il y a beaucoup de talent mais un talent qui n’a pas été cultivé. »

Voici une autre remarque qui servira en même temps à mieux connaître l’observateur : « La nation est étonnamment facile à éblouir. Je dois mon salut non pas tant au talent que je puis avoir ni à mon énergie, qu’à ma polyhistorie et à mon art de causer sur toutes choses avec chacun. « Comment! même le grec moderne? » criaient-ils quand je disais que je savais le grec ancien et nouveau. »

La nation est étonnamment facile à éblouir, Déjà, pendant son voyage à travers la Lorraine, il s’était écrié une fois, dans son style à la Rousseau : « O nation cordiale et confiante ! même celui qui voudrait te tromper, il devrait renoncer à son dessein en présence de ta franchise! » Ce ne sont-que des mots jetés en passant, mais ils éclairent un coin de ce caractère.

Pour le moment, il est tout à la joie : « J’ai maintenant supporté le plus dur; j’aurai encore à combattre avec les privations cet hiver. Mais si je passe ce moment, qui sera plus heureux que moi? Quelle richesse en trésors de tout genre, dans toutes les branches du savoir! quelle abondance de manuscrits inédits! quelles ressources pour l’étude! Partout des bibliothèques, des galeries de tableaux, des cabinets d’histoire naturelle, des jardins botaniques, partout des cours, uniques dans leur genre. Le concours inouï du monde, le frottement continuel donnent à chacun un vernis de culture, cela est naturel; mais ce qui étonne l’étranger, c’est cette ouverture d’esprit et de cœur pour tout ce qui est beau, que tu trouves même chez le dernier homme du peuple. « Dans ce moment se préparait une grande fête populaire en l’honneur de la paix. Un temple avait été élevé sur la Seine entre le Pont-Neuf et le pont National : le temple de la Concorde. Cette fête, qui eut lieu le 18 brumaire, et dont l’histoire a conservé le souvenir, fut magnifique. « Ah! la fête! la fête! » Jusqu’à minuit, au milieu de la foule ivre de joie, Hase courait, ivre de joie lui-même, se nourrissant de l’enthousiasme général.

Et alors il fait part à son ami de la résolution qu’il avait depuis longtemps prise en son for intérieur. Il écrit à la date du 6 décembre : « Une résolution que je n’osais te communiquer autrefois qu’à mots couverts est aujourd’hui arrivée à maturité : vous ne me verrez probablement plus jamais en Allemagne. C’est désormais un devoir pour moi de consacrer toutes mes forces à un peuple qui m’a reçu avec une bonté qui dépasse toutes mes espérances... Si les Thessaliens veulent de moi, bien! j’irai, quitte à me faire étrangler peut-être par un pacha. Mais s’il faut renoncer à cette croisade, et cela se décidera d’ici à un an, je ne veux pas perdre de temps pour me fixer. » Puis il ajoute une autre confidence : « Le plus court chemin pour devenir citoyen français, c’est, comme tout le monde sait, le mariage avec une Française. » Il ne mit pas à exécution ce dernier projet.

L’idée de renoncer définitivement à sa nationalité pour se faire Français ne paraît pas lui avoir coûté le moins du monde. Ceci demande un mot d’explication. La nationalité française répondait à son tour d’esprit en même temps qu’elle flattait son amour-propre. Mais on aurait le droit d’être surpris de la facilité avec laquelle il dit adieu à sa propre nation si l’on ne se rapportait à la date dont il s’agit. Renonçait-il vraiment à une patrie? On sait que la patrie allemande a été le rêve des poètes, des philosophes, des juristes, des historiens, avant de passer dans le domaine des faits et de la politique : or, à l’époque où nous sommes, en 1801, ce grand travail n’était pas commencé; ceux qui devaient en être les auteurs s’ignoraient encore eux-mêmes. Jacob Grimm faisait ses études, en attendant qu’il devînt bibliothécaire du roi de Westphalie; Savigny n’avait encore rien écrit; les frères Schlegel partageaient leur temps entre Paris et Iéna, et se faisaient gloire de manier la langue française comme leur langue propre. Nous venons de nommer les promoteurs de l’école historique et patriotique. Quant à la littérature classique, elle n’avait elle-même pas achevé son développement : les dernières œuvres de Schiller, Jeanne d’Arc, la Fiancée de Messine, Guillaume Tell, n’avaient point paru. Pendant que Hase s’établit à Paris, son ami Erdmann lui envoie la Jeanne d’Arc qui vient d’être publiée et qui, pour le dire en passant, à cause d’une faute dans la suscription, lui coûte 83 francs de port. Le premier consul n’encourageait pas les relations internationales. Ainsi Hase était sorti d’un milieu qui devait devenir un jour le foyer du patriotisme allemand, mais où l’étincelle n’avait pas encore jailli. Il y fallait les coups de l’épée d’Iéna et de Friedland. Lorsque, en 1858, six ans avant sa mort, il retourna à Iéna avec une mission officielle pour représenter la France au trois-centième anniversaire de la fondation de l’université, il se trouva en présence d’une Allemagne qui était née et qui avait grandi depuis son départ et à laquelle il faisait l’effet d’un être préhistorique. Il ne faut point perdre de vue ces circonstances pour juger avec équité une expatriation si lestement résolue et exécutée en trois mois.


III.

Comment la tête bouillonnante pour laquelle s’inquiétait Mme de Condorcet est-elle devenue le fonctionnaire précautionneux et prudent que nous avons connu? En premier lieu, il faut accuser les années, car l’âge est quelquefois un grand coupable. Nous avons tous connu des vieillards chez qui le temps avait imprimé aux traits une majesté particulière et dont on pouvait dire hardiment qu’ils étaient plus beaux à soixante-quinze ans qu’ils n’avaient dû l’être à vingt-cinq; mais d’autres fois le temps est comme un peintre qui s’appliquerait à déformer ses propres œuvres. Sans doute, le germe des défauts est en nous; mais l’âge prend plaisir à les développer. Ce qui, dans la jeunesse, n’est qu’un fugitif pli du visage, s’accuse, se creuse et se fixe à la longue.

Mais il y a encore d’autres raisons. Hase était arrivé en France au plus beau moment, à l’instant précis où la grandeur de la nation était à son apogée. Si jamais le long espoir et les vastes pensées furent permis, c’était à l’heure où il venait demander à prendre place parmi nous. La paix d’Amiens, la plus belle que la France ait signée, venait d’être conclue : la réconciliation avec l’Angleterre, avec l’Autriche, avec le monde entier, paraissait chose faite. C’est le moment où Fox arrivait à Paris, où les étrangers de toutes les nations affluaient pour voir la ville qui, depuis douze ans, remplissait l’univers de terreur et d’admiration. Tous les esprits étaient ouverts à la joie, à l’attente d’un magnifique et bienfaisant avenir. Mais ce ne fut qu’un moment : les déceptions allaient venir coup sur coup. Hase, en sa qualité d’étranger, devenu Français par son libre choix, les ressent plus vivement qu’un autre. Nous allons en trouver dans sa correspondance l’expression douloureuse, quelquefois poignante. A partir du mois d’avril 1802, le ton change subitement.

Il était ce que nous appellerions aujourd’hui un libre penseur. Parmi ses connaissances nouvelles, dit-il quelque part, le savant qu’il aime le mieux, c’est Barbie du Bocage, parce qu’il croit presque encore moins de choses que lui. Eh bien ! le philosophe est venu pour assister au concordat et au rétablissement du culte catholique. — « Voici que nous avons le concordat avec le pape. Le travail de dix années sanglantes est anéanti. Les amateurs de la contemplation de l’infini, à Iéna, doivent se réjouir. Et quelle est ma disposition d’esprit? Celle d’un damné qui a goûté toutes les félicités du ciel et qui retombe dans les tourmens éternels. Ah ! comme je me sens seul à Paris ! Je travaille presque tout le jour. »


« 16 avril 1802.

« Dimanche prochain, — cela me fait une impression étrange d’entendre parler sous la république de dimanche, nous l’avions complètement oublié, — il y a grand Te Deum à la cathédrale. Les consuls y seront. J’irai aussi : je finirai, je crois, par me faire moi-même catholique. »

Il avait rêvé la liberté : il voit s’établir le consulat à vie, puis l’empire. Tout le monde écarte avec empressement les souvenirs de la révolution : on prodigue les marques de soumission au nouveau maître. Hase fit comme les autres ; mais quelle avait été, au mot d’empire, sa première pensée ? Elle était allée aux régicides de l’antiquité. Le 28 décembre 1802 (car dès cette date il prononce le mot d’empire), il commence une lettre à son ami en citant la chanson grecque conservée par Athénée :


Cache le poignard qui menace le tyran
Sous des rameaux de myrte, comme Harmodius,
Lorsque avec son ami Aristogiton
Il délivra par sa mort sa patrie.


Il avait cru à la paix générale ; il voit commencer la série interminable des guerres de l’empire, le règne de la force, l’oppression des faibles, le mépris de tous droits. « Nous pensions que les peuples s’uniraient par les liens de l’amitié ; que le plus pauvre, le plus humble aurait une part à la lumière ; que toutes les nations se fondraient en une grande corporation fraternelle. » Les premiers actes politiques auxquels il assiste sont la rupture de la paix d’Amiens, les Anglais séjournant en France déclarés prisonniers de guerre.


La déception fut amère, l’impression profonde. Mais une fois le premier moment passé. Hase se résigna. Il descendit la pente avec la France tout entière, plus loin et de manière plus irrémédiable que la France, parce qu’il était sans racines et qu’il n’avait personne auprès de lui pour se reprendre et se ressaisir. Nous ne voulons pas cependant mettre tout sur le compte des événemens politiques : c’était au fond une nature molle et peu résistante ; le ressort moral, une fois plié, ne se releva plus. Et comme tout se tient dans l’homme, il tira de la vue des événemens quelques conclusions pratiques pour sa conduite personnelle : il se résolut à profiter de la folie d’autrui, interposant entre le monde et lui un épais matelas de politesse et de complimens. Il prit son parti de tout. Ainsi il n’avait pas tardé à reconnaître que les leçons d’allemand étaient surtout excellentes pour lui faire apprendre le français, et que c’était là, de beaucoup, leur plus clair résultat. Il en prit son parti, d’autant mieux que cela n’empêchait pas les élèves de venir. Même il avait une réputation pour sa « méthode philosophique. » « Cette nation est extrêmement facile à éblouir ! » En 1830, il fut nommé professeur d’allemand à l’École polytechnique. Là, il était chargé, moyennant une leçon par semaine, d’enseigner une langue compliquée et difficile à un nombreux auditoire très inégalement préparé, beaucoup plus préoccupé de mathématiques que de grammaire, d’ailleurs assez dédaigneux d’un cours qui ne comptait pour rien au classement final. M. Hase, en homme d’esprit, entretint ces jeunes gens de ses voyages, leur donna en passant quelques notions sur l’antiquité classique, et leur laissa à tous le souvenir d’une bonhomie exquise.

En 1852, une chaire de grammaire comparée fut érigée à la Sorbonne. C’était une science d’origine allemande, dont le ministre d’alors, M. Fortoul, avait vaguement entendu parler. Qui pouvait-on prendre pour l’enseigner? La chose n’était pas douteuse. N’avait-on pas M. Hase, helléniste illustre, grammairien éminent, qui résumait en lui toute la science allemande? On avait oublié une seule chose : c’est que la grammaire comparée avait été créée longtemps après que M. Hase eut quitté l’Allemagne, et que celui-ci, occupé d’autres études, n’avait probablement jamais lu les ouvrages où elle était exposée. M. Hase se soumit à la décision du ministre : il commença à soixante-douze ans un enseignement nouveau, ou portant un titre nouveau, et dans un cours qui ne manquait ni d’intérêt ni de charme, il apprit à ses auditeurs beaucoup d’excellentes choses, philologie, épigraphie, paléographie, qui n’étaient pas absolument étrangères à la grammaire comparée.

Pourquoi aurait-il fait autrement? Il voyait qu’on honorait les savans, mais qu’en somme on se souciait assez peu de la science. Entrant dans cette manière de voir, il s’attacha à modérer son effort, à ne rien faire de trop, selon la devise du sage. Le temps était loin où il réclamait pour lui la tâche la plus ingrate, le poste le plus périlleux. Jamais il ne faisait allusion à cette époque héroïque de sa vie: lui, si timoré qu’un autre Allemand, Jules Mohl, dans ses lettres, l’appelle, en jouant sur son nom, Leporello, aurait sans doute tremblé s’il avait pensé que ses lettres républicaines de 1801 existaient encore quelque part. On peut voir, par son exemple, que le sentiment de l’enthousiasme, auquel Mme de Staël, dans son livre de l’Allemagne, adresse une si belle et si éloquente invocation, s’il est nécessaire pour faire de grandes choses, ne suffit point cependant, à lui seul, pour conduire et soutenir une via : il y faut encore quelque direction plus catégorique. « Crucifiez-moi l’enthousiaste à trente ans, dit Goethe dans une de ses épigrammes : s’il connaît une fois le monde, il se jouera de sa crédulité. » Hâtons-nous de dire que les jeux dont il peut être question dans la vie que nous retraçons ici sont de l’espèce la plus innocente. Stupéfier les auditeurs par son savoir, en citant comme de mémoire les morceaux qu’on vient de lire sur ses cahiers, serrer avec effusion la main à tous ses confrères et tous ses collègues en les assurant d’un dévoûment inaltérable, offrir des marques de respect aux appariteurs et aux garçons de salle, parmi les artifices qu’a connus le monde, ce sont encore les plus inoffensifs.

Disons enfin que sur deux points il resta toujours fidèle aux convictions de sa jeunesse. En matière religieuse, il garda ses opinions ; il était d’avis que chaque homme devait avoir le droit de professer ouvertement ce qu’il pensait, tout en faisant pour lui-même un usage très discret de cette faculté. Dans les occasions extraordinaires, quand se trouvait en cause la liberté de conscience, on le voyait se ranger de son côté, et même, sous cette pétrification, on pouvait percevoir alors quelques battemens de cœur. En second lieu, il resta fidèle aux études grecques. Il a empêché pour sa part la tradition de se rompre, rendant par là un service signalé à la France. Des hommes tels que Brunet de Presle, tels que MM. Miller et Egger ont été au nombre de ses élèves. Le grand Dictionnaire en huit volumes in-folio, qui porte son nom, est un beau monument élevé à la langue grecque. Il a donné quelques éditions princeps, chefs-d’œuvre de patience et de savoir. Personne mieux que lui ne se connaissait en manuscrits grecs. Quand le faussaire Simonidès vint, en 1855, offrir à la Bibliothèque nationale ses manuscrits qu’il alla ensuite porter à Berlin, et qui mirent un instant en défaut la sagacité des savans allemands. Hase ne s’y laissa point prendre. Pressé de questions par ses collègues, il finit par dire de sa voix lente : « Ces manuscrits sont en très bon grec. Ils ont dû être écrits, au plus tard, en1854. » Même il fit ce voyage de Grèce qu’il avait autrefois projeté : il est vrai que ce fut dans des conditions qui n’avaient plus rien d’héroïque ; ce fut une simple excursion de savant. Enfin une chose lui est toujours restée : la bonté, l’indulgence, l’accueil souriant fait à la jeunesse. À cause de cela, son nom, en dépit de tout, est resté populaire, et en dépit de tout nous devons continuer à l’honorer et à l’aimer. Nous l’honorerons et nous l’aimerons encore plus désormais, parce que, à un moment de sa vie, il a beaucoup aimé la France.


MICHEL BREAL.

  1. Deutsche Rundschau, 1880, 1881.
  2. La Biographie universelle de Didot contient un article d’Etienne Quatremère sur Villoison, où ce Codrikas est nommé. Il était l’ami de Villoison.