La Jeune Lune/Le petit grand homme

◄  Supérieur
Midi  ►


LE PETIT GRAND HOMME


Je suis petit parce que je suis un enfant. Je serai grand quand je serai aussi vieux que mon père.

Mon maître me dira : « Il est déjà tard, apportez votre ardoise et vos livres. »

Je lui répondrai : « Mais ne savez-vous pas que je suis aussi grand que Père ? Je n’ai plus besoin de leçons. »

Grande sera la surprise de mon maître, mais il dira : « Il peut laisser ses livres, s’il veut, puisqu’il est un homme à présent. »


Je m’habillerai seul et j’irai à la foire où il y a foule.

Mon oncle courra à ma rencontre en disant : « Tu vas te perdre, mon garçon, laisse-moi te porter. »

Je lui répondrai : « Mais ne voyez-vous pas, mon oncle, que je suis aussi grand que Père ? Je veux aller à la foire tout seul. »

Mon oncle dira alors : « Oui, il peut aller où il veut maintenant, il est un homme. »


Voilà ma mère qui revient du bain ; je suis en train de donner de l’argent à ma bonne, car je sais ouvrir la caisse avec ma clef.

Maman s’écrie : « Mais de quoi te mêles-tu, petit sot ? »

Je lui réponds : « Mère, ne sais-tu donc pas que je suis aussi grand que Père et que je dois régler les comptes avec ma bonne ? »

« Il peut en effet », se dit-elle, « donner de l’argent à qui lui plaît, car c’est un homme. »


Aux vacances d’octobre, mon père reviendra à la maison et, me croyant encore un bébé, il m’apportera de la ville des petits souliers et de petites tuniques de soie.

Mais je lui dirai : « Père, donne-les à mon dada[1] car quant à moi, je suis aussi grand que toi. »

Père se dira : — « Oui, il peut acheter ses vêtements lui-même s’il le désire, car il est un homme. »



  1. Frère aîné.