RAPPORT NON-OFFICIEL
SUR LE PENDJAB


Le rapport tant attendu vient de paraître. Les membres de la Commission peuvent se féliciter de la façon méthodique avec laquelle ils ont entrepris leur travail et de la modération dont ils ont fait preuve dans l’accomplissement de leur tâche difficile. La position des membres de la Commission ajoute de l’importance à un rapport qui possède déjà par lui-même une valeur considérable. Les membres de la Commission n’ont rien ajouté aux preuves qu’ils avaient en main ; le lecteur peut donc, s’il en a envie, vérifier les conclusions. Les demandes exprimées ne sont ni faibles, ni déraisonnables. Les membres de la Commission réclament hardiment le rappel du Vice-Roi et la destitution de Sir Michaël O’ Dwyer, du Général Dyer et d’autres officiers. Ces deux dernières demandes sont celles qui pourraient rencontrer quelque opposition, mais les membres de la Commission ont donné, à l’appui, des raisons précises et incontestables. Et si l’exactitude des faits avancés par eux ne peut être mise en doute, leur demande ne saurait l’être davantage. Ce n’est pas sans chagrin que nous approuvons la demande de rappel du Vice-Roi. Nous sommes persuadés que Son Excellence est un Anglais cultivé, qu’il est animé d’excellentes intentions vis-à-vis de l’Inde et qu’il désire faire ce qui est juste. Mais pour remplir le poste important qu’il occupe, il faut posséder d’autres aptitudes que les siennes. Lord Chelmsford a certainement fait preuve de manque d’imagination. Il applique à ses fonctions dans l’Inde les traditions d’un gouverneur colonial constitutionnel qui doit invariablement se laisser guider par ses ministres et qui agit sur la politique de la colonie (s’il agit quelque peu sur elle), uniquement en exerçant une influence subtile par ses relations sociales. Le Gouverneur des colonies qui se gouvernent elles-mêmes procède par suggestions aimables qu’il n’impose jamais à ses ministres. Il essaye d’agir sur l’opinion publique, non point en exerçant son autorité, mais en se faisant des amis indirects, aux réunions sociales et à demi-politiques. Les qualités mêmes qui faisaient de Lord Chelmsford un Gouverneur parfait le rendent impropre à remplir le poste de Vice-Roi. Le vice-Roi des Indes a un pouvoir immense. C’est un autocrate à la tête du Conseil Exécutif. Une simple proposition émise par lui a la valeur d’une sanction légale. Il fait et dirige la politique. Il surveille, avec le droit réel d’intervention, l’administration des provinces. Il faut donc qu’il soit un maître ferme, doué d’une grande imagination, de sympathie pour le peuple et qu’il ne craigne pas de la laisser voir. Malgré toutes ses qualités de cœur, Lord Chelmsford s’est montré faible, aux moments critiques. Au lieu de guider ses collègues, il s’est laissé commander par eux. Il a laissé les administrateurs de ses provinces agir à leur guise. Il en est résulté une diversité de politiques : un gouvernement paisible et conciliant à Bombay, même lorsqu’il y a provocation ; répression au Pendjab, persécution et intolérance même sans provocation. Sous un Gouvernement Central ayant à sa tête un chef qui sait ce qu’il veut et impose sa volonté à ses subordonnés, un tel contraste ne devrait pas être possible. Lord Chelmsford a échoué d’une façon évidente, et nous considérons que les membres de la Commission n’auraient pas accompli leur tâche s’ils avaient hésité, ayant les preuves sous les yeux, à demander le rappel de Son Excellence le Vice-Roi.

Quant aux déclarations, les membres de la Commission se sont montrés plutôt trop modérés. Mais peut être vaudra-t-il mieux que le public les discute seulement, lorsque le rapport officiel du Comité aura paru. Pour ce qui est des déclarations des membres non-officiels de la Commission, nous sommes certains que ces derniers ne pouvaient en faire d’autres. En vérité, en parcourant les témoignages, nous remarquons l’effort soutenu pour éviter toute conclusion ne reposant pas sur une suite de faits accablants.

31 mars 1920
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