La Jeune Aventureuse (Rosny-Aîné)/VIII

La Nouvelle Revue Critique (p. 151-157).

VIII

Cet après-midi, Mlle Carembot achevait le bilan qu’elle dressait chaque mois. La fournaise du soleil rôtissait la chaussée et mordait rudement le store en auvent de la boutique.

Catherine, complètement guérie, Marcelle, la petite Germaine et la jeune Cécile travaillaient.

C’était un jour intolérable, un de ces jours où l’énergie déserte les nerfs et les muscles.

— Ous qu’est la rivière ? gouailla la jeune Cécile. Faut que j’y plonge… Par ces temps, le gouvernement devrait donner à chacun sa petite rivière !

— On l’a ! riposta gravement l’arpète.

— Où donc que j’y coure ?

— Le robinet !… C’est même de l’eau de source…

— Pas la même chose, l’arpète ! De l’eau qui coule… de l’herbe… des arbres… Ah ! c’est bon !

Cécile s’étira, puis se remit à fignoler. Les deux cousettes se taisaient, un peu dépoitraillées — et Mlle Carembot inscrivait ses derniers chiffres.

Elle était contente. L’année dépasserait de loin ses pronostics. Après avoir servi galamment une cliente qui demandait une pâte et des parfums, elle fit signe à Marcelle. Car, encore qu’elles fussent associées, Catherine et Cécile ne participaient guère à l’administration ni aux initiatives.

— Voilà ! murmura la demoiselle Carembot, en tendant un feuillet à Marcelle qui, familiarisée avec les hiéroglyphes de son associée, exclama :

— Je m’attendais à moins !

— Moi à beaucoup moins… Nous allons être à l’étroit…

Il y eut une bonne bouffée de joie et même d’orgueil dans la poitrine de Mlle Faubert.

— On pourrait abattre la cloison, dit-elle.

— En supprimant l’atelier.

— Fatalement.

— Mais alors ?

— On peut travailler ailleurs…

Marcelle regarda Mlle Carembot, qui dit :

— Chez moi… C’est une solution… Car de trouver un atelier par ces temps…

— Nous nous organiserons ! affirma Marcelle.

Mlle Carembot acquiesça. Elle avait le culte du succès. Si l’affaire avait mal réussi, elle ne se fût point plainte, car elle pratiquait le stoïcisme d’un Peau-Rouge, mais elle aurait méprisé Marcelle et se fût sentie elle-même diminuée.

Maintenant, elle estimait son associée et se fût accommodée de quelques sacrifices.

— Du reste, fit-elle, le jour où nous serons débordées, c’est que nous aurons les ressources nécessaires…

Dans ce moment se produisit une de ces circonstances ambigües qui nous mènent à travers le cligne-musette du monde.

Une porteuse de télégrammes venait de surgir :

— Mademoiselle Faubert !

Marcelle prit le petit bleu et lut :

« Chère Mademoiselle,

« Je vais passer quelques jours à la campagne, dans la petite banlieue… J’ai besoin d’air et de repos. Vous en avez besoin tout autant que moi, et mes mémoires arrivent à une période qui m’intéresse fort. Savez-vous ce que vous devriez faire ? Vous devriez passer une bonne semaine dans mon ermitage… Je ne vous occuperais pas plus de deux ou trois heures par jour, vous respireriez l’air du bois, vous vous feriez du sang rouge et vous reviendriez à Paris moins pâlotte.

« Je serai contente si cet arrangement vous agrée.

« Croyez, chère Mademoiselle, à mes sentiments distingués,

« Aloyse de CORTAMBERGUES ».

— Que faire ? murmura Marcelle.

Ces vacances, en lui donnant un surcroît d’énergie, ne seraient-elles pas utiles à l’entreprise ?

Après avoir relu le télégramme, elle se décida à en communiquer quelques passages à Mlle Carembot, qui affirma :

— Cette dame a raison… Vous vous êtes surmenée… À votre place, je n’hésiterais pas une minute.

— Mais le travail…

— Vous en emporterez.

— Soit, dit enfin Marcelle… Et, s’il y a quelque chose de pressé ?

— Il n’y aura rien de pressé.

— Cependant…

— Eh bien ! on verra…

À la sortie de l’atelier, Catherine et Germaine accompagnèrent Marcelle.

Catherine disait :

— Ne craignez rien, mademoiselle. Germaine et moi travaillerons le soir, s’il le faut !

— Je ne le veux pas… vous vous exténuerez !

— Je n’ai jamais été si bien portante…