La Hollande sous deux règnes, souvenirs historiques sur le roi Louis et Guillaume Ier

La Hollande sous deux règnes, souvenirs historiques sur le roi Louis et Guillaume Ier
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 3 (p. 48-81).

LA HOLLANDE


SOUS DEUX REGNES


SOUVENIRS HISTORIQUES SUR LE ROI LOUIS

ET SUR LE ROI GUILLAUME Ier.




La Hollande a toujours fixé les regards de la France. Nous ne parlons pas seulement des luttes glorieuses qui fondèrent jadis les Provinces-Unies, des capitaines et des hommes d’état qui les illustrèrent, ni de la part considérable qu’elles prirent, dans le XVIIe siècle, aux plus grands événemens de l’Europe : des rapports plus immédiats rattachent cette nation à la nôtre. Depuis soixante ans, la Hollande a été entraînée dans la sphère d’action, trop souvent violente, de la France. La république batave a été créée peu d’années après la république française ; plus tard, le pouvoir absolu d’un roi a été le reflet de la dictature impériale à laquelle il céda bientôt la place ; enfin, quand la France fut placée sous le régime constitutionnel, la Hollande, incorporée dans le nouveau royaume des Pays-Bas, en jouit de son côté, et, séparée de la Belgique, elle le conserva, peu développé d’abord, faussé dans son application, mais consolidé, étendu avec le temps, et, grâce à Dieu, encore debout aujourd’hui. L’histoire de la Hollande, surtout dans ces derniers temps, est donc liée à celle de la France, et on ne lira pas sans intérêt quelques documens, ignorés ou peu connus, qui s’y rapportent, et que nous empruntons aux souvenirs laissés par deux hommes dont la mémoire est honorée en Hollande, — le comte Van der Duyn et le baron de Capellen[1].

Les noms du comte Van der Duyn et du baron de Capellen ne sont pas tout à fait nouveaux en France. Le premier y est connu comme ayant eu, avec M. de Hogendorp en 1813, la plus grande part au mouvement populaire qui releva l’indépendance de la Hollande, l’autre comme ayant gouverné les colonies néerlandaises, et à ce titre il a déjà été cité à plusieurs reprises dans les travaux aussi curieux qu’instructifs que la Revue a publiés sur ces colonies. Il n’est cependant pas inutile d’entrer dans quelques détails plus particuliers sur ces deux personnages, dont le caractère et la vie se distinguent par des traits singuliers, et qui, unis ensemble par une longue amitié et par une étroite alliance de famille, offraient cependant entre eux de profonds contrastes. Avant de les accepter pour témoins, il faut savoir et la position qu’ils occupaient et la confiance qu’ils méritent.

Le comte Van der Duyn, né en 1771 d’une famille noble, eut l’avantage, dont il se félicite avec raison, de recevoir une éducation publique. Il fut ainsi, comme il le dit, soustrait, dès sa première jeunesse, « au luxe et aux heures irrégulières de parens vivant dans le grand monde, surtout à la négligence, à l’instruction et aux idées souvent étroites d’un gouverneur suisse, alors fort à la mode. » Il contracta au collège l’amour de l’étude, la passion de la lecture, les idées d’égalité et l’absence de toute vanité de caste. Après qu’il eut passé deux années sous les drapeaux, sa famille, dans des vues d’ambition, le retira du service pour le faire entrer à l’université de Leyde. À la fin de 1791, il prit ses degrés, et après le mariage du prince héréditaire d’Orange, fils du stathouder Guillaume V, il entra comme gentilhomme de la chambre dans la maison du jeune prince. La mort d’un oncle lui ouvrit une place dans le corps équestre de la province de Hollande, dont il se trouva le membre le plus jeune, et a la fin de 1794, quand les armées françaises s’avançaient, il y votait pour qu’à défaut de secours prompts et efficaces de l’Angleterre, on traitât avec la France. Le rejet de cette proposition par une immense majorité fut presque immédiatement suivi de l’entrée des Français et de la révolution qui érigeait la république batave. M. Van der Duyn se retira alors des affaires, et vécut pendant huit ans, avec ses livres, à la campagne, où son séjour n’était interrompu que par quelques visites à Amsterdam. À l’avènement du roi Louis, il ferma l’oreille aux ouvertures qui lui furent faites. » Soit par un reste de levain aristocratique et nobiliaire, dit-il lui-même, soit par ses principes de démocratie républicaine, il refusa de se mettre à la solde d’un étranger sans droit, sans mérite éclatant et même sans indépendance, puisqu’il n’exerçait qu’un pouvoir délégué. » Il avait donc conservé toute sa liberté d’action, et n’hésita pas, en 1812, à faire partie des conciliabules où les débris du parti d’Orange, grossis par le plus grand nombre des anciens patriotes oligarques et démocrates, également ulcérés de la réunion de la Hollande à l’empire français, préparaient les moyens de briser le joug de l’étranger. Secondée par les évènemens de la guerre, la Hollande parvint, en 1813, à s’affranchir elle-même par un effort spontané, et eut ainsi la bonne fortune d’empêcher que sa délivrance fût la suite de la conquête du pays par les armées alliées. Ce mouvement ayant rappelé en Hollande le prince d’Orange, M. Van der Duyn, lors de la formation de la cour du nouveau souverain, y fut attaché avec le rang de grand-officier. À cet emploi purement honorifique, il joignit des fonctions qui lui permirent de déployer les facultés d’un esprit élevé et mûri par la réflexion et la solitude. Appelé à faire partie des commissions de constitution et de révision en 1814 et 1815, il se rangea par son vote, selon ses expressions, « du côté de ceux qui, abandonnant les souvenirs anciens et les institutions vieillies, désiraient que la constitution fût appropriée à l’esprit et aux besoins de l’époque. » En 1817, il fut placé, sans l’avoir demandé ni même désiré, à la tête de l’administration de la province de la Hollande méridionale à La Haye, avec le titre de gouverneur, et il conserva ces fonctions jusqu’en 1844. C’est dans ce poste, qui le mettait en rapports journaliers avec la cour, qu’il a recueilli les faits et les impressions dont nous nous occupons en ce moment.

Si la position officielle de M. Van der Duyn donne de l’autorité aux révélations sorties de sa plume, son caractère en explique la nature et le ton. Par son éducation, par la tournure de son humeur, M. Van der Duyn est un frondeur qui juge avec sévérité les évènemens et les hommes, un esprit très libéral, presque républicain, que les circonstances ont égaré parmi des courtisans. Il y a en lui et dans son style même un reflet, bien effacé il est vrai, de Saint-Simon. Dans sa jeunesse, ses amis l’avaient surnommé Pétion ; mais c’était, comme il le dit, avant le 10 août et la terreur. Bien que fonctionnaire, il n’est point obséquieux. Reçu habituellement au palais du roi, il ne sait point flatter. Guillaume le lui fit sentir un jour indirectement : « Monsieur Van der Duyn est toujours avec les dames. — Oui, sire, et je me trouve bien et fort honoré d’y être, » - « Un ami, écrit-il en racontant ce petit dialogue, me dit que ceci était un reproche plus ou moins amical de ce que je ne me mets jamais en avant pour attraper quelques mots augustes ou partager la conversation d’après dîner, que même j’ai plutôt l’air de les éviter. Je ne crois pas que cet ami ait deviné juste ; mais, quand cela serait, si l’on est curieux de mon opinion, si l’on attache quelque prix à la savoir ou à s’entretenir avec moi sur les événemens majeurs et les pénibles circonstances du moment (je le dis sans aucun sentiment vaniteux ou orgueilleux), que l’on m’appelle au conseil, ou au moins que l’on m’admette dans le cabinet. Mais pour traiter ces graves et importantes matières à l’antichambre, ou même dans les conversations toujours superficielles et décousues de salon, assis sur un bout de table, comme disait l’excellent comte de Mercy, je n’en suis pas et les évite autant que je puis. » Il se plait à observer l’attitude de chacun, à suivre de l’œil les mouvemens des personnages importans, du roi surtout, et saisit avec plaisir un mot qui échappe dans la conversation. « L’occasion d’être témoin de pareilles petites scènes et celle de faire les observations qu’elles suggèrent, écrit-il en 1831, consolent parfois un peu, mais toujours bien imparfaitement, de se trouver dans une position courtisanesque, qui ressemble d’ailleurs beaucoup, surtout dans des momens pareils, à celle d’un acteur dans les chœurs de la tragédie grecque. » Il est l’admirateur de Lafayette et professe pour le caractère et les talens de.M. Odilon Barrot la plus haute estime. Ses préférences le portent vers le gouvernement constitutionnel, « le meilleur des gouvernemens dans l’état actuel de la civilisation et dans les pays dont l’étendue rend l’établissement de la république encore difficile. » - « Royalistes, s’écrie-t-il quelque part, c’est-à-dire protecteurs du pouvoir héréditaire, efforcez-vous de l’établir, cette monarchie constitutionnelle, et de la faire marcher régulièrement ; c’est le seul port qui reste à votre idée chérie. »

Le caractère de M. Van der Duyn n’est pas moins que ses opinions en opposition avec sa place : il est gouverneur d’une province et il déteste les affaires. Il cherche à se rendre compte à lui-même de cette antipathie, et les raisons qu’il en donné sont naïves et piquantes. « Ma place me déplaît, et je n’y suis pas propre à cause : 1° d’un manque de fermeté dans le caractère, 2° d’une défiance de moi-même qui tient moins toutefois à la modestie qu’à un scepticisme général : voir tous les côtés d’un objet ou d’une affaire rend indécis ; les gens à vue courte et bourrés d’amour-propre sont bientôt décidés et obstinés ; 3° aussi à cause des personnes difficiles à manier par leur humeur et leurs préjugés, avec lesquelles j’ai immédiatement et journellement à traiter, ce qui fait que je me trouve souvent entre l’enclume et le marteau, et continuellement occupé à verser l’eau de la modération et du calme sur le feu des jalousies et des petites prétentions ; 4° puis, parce qu’avec du goût et des habitudes studieuses les affaires et surtout leurs détails me causent un ennui insupportable. Je n’ai pas pour consolation les illusions de la vanité. Je ne jouis aucunement de titres qui à la vérité ne donnent pas d’avantages et de distinctions réelles, mais qui probablement me sont enviés par bien des gens. Oh ! que j’aurais de plaisir à quitter tout cela, et à planter là toute cette belle chienne de boutique ! Que je le ferais vite si j’étais seul et n’avais à songer qu’à moi ! Que je me réduirais volontiers au plus strict nécessaire pour me retirer avec mes chers livres dans deux chambres, libre, indépendant, maître de ma personne et de l’emploi de mon temps ! Mais avec mes enfans, qui me sont si chers, je ne puis vivre ainsi… Voilà donc mon devoir tracé : reprenons demain avec quelque courage ma pénible tâche, et souvenons-nous de ce que disait feue Mme de Charrière de spirituelle mémoire : « Il faut que la chèvre broute où elle est attachée. » Il resta pourtant vingt-sept ans gouverneur de la Hollande méridionale, et en 1842 les états de la province lui firent frapper une médaille en l’honneur de la part qu’il avait prise aux évènemens de 1813 et d’une administration éclairée d’un quart de siècle.

Après les évènemens de 1848, M. Van der Duyn, qui s’était retiré de la vie politique, crut devoir y rentrer sur l’appel que le roi Guillaume II fit à son dévouement ; il fut nommé membre de la première chambre des états-généraux, et, fidèle aux opinions de toute sa vie, il écrivait le 14 septembre : « Vous aurez peut-être appris que je n’ai pu me refuser à faire partie ce que l’un nommait ci-devant en France une fournée de pairs. Oui, roi et ministres ont trouvé bon d’utiliser, pour ne pas dire exploiter, l’espèce de popularité que je puis dire que je possède encore, et de laquelle j’ai reçu des preuves touchantes à l’occasion de ma maladie, en dernier lieu. Les argumens employés pour m’engager à remonter sur les tréteaux de la scène politique étaient de nature à me rendre en conscience tout refus impossible. D’ailleurs, ce que l’on veut et espère obtenir coïncidait avec mon opinion ancienne déjà de la nécessité d’une révision de notre constitution politique. » Cette nouvelle phase de la vie de M. Van der Duyn ne fut pas de longue durée ; le poids des années se faisait sentir ; sa santé s’était altérée. Aux premières atteintes du mal, il écrivait : « C’est peut-être le commencement lent de la fin ; » et au mois de décembre 1848 il expirait au milieu de ses enfans, leur laissant un nom respecté et de nobles exemples.

La carrière de M. de Capellen a été comme parallèle à celle de M. Van der Duyn ; mais si leurs opinions politiques étaient les mêmes, leurs goûts différaient profondément. Il possédait, dit l’éditeur de ses Souvenirs, tout ce qu’il faut pour réussir. On remarquait en lui un grand fonds de dignité et de fierté sans aucune apparence d’orgueil, de la bienveillance sans familiarité, de la douceur dans les formes sans faiblesse. Il possédait le don d’imposer par son air noble, grave et calme ; il avait le talent d’inspirer de la confiance et du respect à ses inférieurs, tout en conservant à leur égard un ton poli et plein d’aménité ; en un mot, M. de Capellen se sentait lui-même fait pour les affaires, autant que M. Van der Duyn s’y sentait peu propre. »

Aussi fut-il appelé de bonne heure à occuper les emplois les plus élevés. Tandis que M. Van der Duyn vivait dans la retraite, M. de Capellen devenait ministre de l’intérieur du roi Louis Bonaparte. En 1814, M. Van der Duyn se contentait de siéger dans des commissions constituantes, et M. de Capellen était choisi par le prince souverain des Provinces-Unies comme un alter ego pour administrer la Belgique, placée par les puissances alliées sous l’autorité du prince destiné à en devenir roi. Enfin il remplit pendant dix ans une vice-royauté dans les colonies des Indes orientales. Lorsque plus tard il vivait éloigné des affaires publiques, l’occasion d’y reparaître ne lui manqua point. Sous le roi Guillaume II, on lui offrit des missions diplomatiques qu’il refusa ; le portefeuille des affaires étrangères lui ayant été proposé en 1841, il exposa ses vues dans un mémoire au roi, dont nous citerons quelques passages comme un modèle de l’indépendance et de la fermeté d’opinions qui conviennent aux hommes politiques sous un gouvernement libre : « .J’ai l’intime conviction, disait-il, que le système actuel ne répond ni aux besoins, ni aux vœux de la portion la plus éclairée des sujets du roi, et que par conséquent il est urgent d’y apporter des modifications promptes et énergiques. Ces remèdes sont désirables et indispensables autant dans l’intérêt de la nation que dans celui du roi… Un défaut d’ensemble se fait sentir ; nous manquons d’une confiance mutuelle ; les rapports du roi avec les représentais de la nation (si tant est qu’on puisse donner avec vérité ce nom aux états-généraux, composés comme ils le sont actuellement) ne sont pas ce qu’ils devraient être dans un véritable état ou gouvernement constitutionnel, et cependant une position équilibrée entre les deux puissances suprêmes est une des premières conditions pour maintenir une harmonie qui doit produire les fruits les plus durables et les plus salutaires… Le roi n’a pour exécuter ses ordres et pour la mise en vigueur des lois que des ministres isolés, mais il n’a pas un ministère agissant d’après un système arrêté d’avance, et se présentant aux yeux de la nation comme un corps homogène, placé vis-à-vis des chambres de manière à leur inspirer de la confiance dans le pouvoir. » Après avoir indiqué la nécessité de réviser la constitution et les modifications qu’elle réclame, le mémoire se termine ainsi : « Rien ne pourrait m’engager à faire le sacrifice de ma position actuelle que l’intime conviction de pouvoir rendre d’essentiels, de grands services au roi et à la patrie. Je ne dois pas être appelé seulement à remplacer un homme, mais aussi un système, Je dois avoir la certitude que les idées développées plus haut dans cet écrit, idées à l’égard desquelles je ne voudrais ni ne pourrais transiger, seront approuvées, adoptées et suivies de tous points… Il serait présomptueux de ma part de prétendre que votre majesté me fit connaître soit par écrit, soit par un arrêté, qu’elle approuve le contenu de cette note et qu’elle adopte les idées qui y sont développées. Je dois m’attendre à la voir renoncer à l’idée, si flatteuse pour moi, de m’appeler à siéger dans son conseil ; mais ma reconnaissance envers elle n’en sera pas moins grande et ne cessera qu’avec ma vie. » Les propositions de M. de Capellen ne devaient être accueillies que par le successeur de Guillaume II et sous la pression des évènemens de 1848 : aussi n’entra-t-il point au ministère. Les dernières années de sa vie s’écoulèrent doucement, dans l’amélioration de son domaine, qu’il ne quittait que pour venir passer l’hiver à Paris, où il avait de nombreux amis et jouissait d’une grande considération dans le monde. Il y était au mois de février 1848. La révolution l’affecta vivement et le détermina à retourner en Hollande. À peine arrivé dans sa terre de Vollenhoven, il y mourut à l’âge de soixante-dix ans.

MM. Van der Duyn et de Capellen, le premier surtout, étaient en correspondance habituelle avec leur compatriote M. de Grovestins, beaucoup plus jeune qu’eux, mais dont le caractère indépendant, l’esprit élevé et les habitudes studieuses devaient exciter leurs sympathies. M. de Grovestins, attaché au roi Guillaume par des fonctions qui pouvaient le conduire aux positions les plus élevées, y avait renoncé tout à coup, de son plein gré, pour se livrer à des compositions historiques qu’il publie en ce moment, et il était venu se fixer en France. Des relations formées à la cour de Guillaume, où elles avaient peu d’intimité, furent resserrées par cette circonstance, qui, avec d’autres hommes, les aurait tout à fait rompues : M. de Grovestins devint dépositaire de notes, de papiers, de lettres, qu’il était autorisé à publier quand les circonstances lui paraîtraient s’y prêter. C’est pour accomplir ce mandat de confiance, pour acquitter cette espèce de legs, qu’il a fait paraître le volume dont il nous reste à retracer les parties les plus curieuses[2].

Comme on peut le pressentir d’après les événemens auxquels MM. Van der Duyn et de Capellen ont assisté ou pris part, leurs souvenirs embrassent toute la période écoulée depuis l’avènement du roi Louis Bonaparte jusqu’à ces dernières années. Nous suivrons, pour les faire connaître, l’ordre des temps.

M. de Capellen n’entre pas dans de grands détails sur le règne de Louis Bonaparte. Après avoir été successivement membre du conseil des finances, puis assesseur du département d’Utrecht, M. de Capellen, lors de la création du département de l’Ost-Frise, en fut nommé préfet : le roi Louis l’avait rappelé, « comme étant trop Ost-Frisois, » pour le placer au conseil d’état. Un jour, après une séance de ce conseil, il le manda dans son cabinet et lui annonça qu’il venait de réunir sur sa tête deux ministères, celui des cultes et celui de l’intérieur, jusque-là séparés, et qu’il l’attendait le soir même pour prêter serment, afin d’être installé le lendemain dans ses nouvelles fonctions. M. de Capellen se défendit d’accepter un fardeau qui lui paraissait au-dessus de ses forces. Le roi lui répondit : « C’est sur moi que tombe la responsabilité, puisque c’est moi qui vous ai choisi ; les conséquences sont pour mon compte. »

Le gouvernement du roi Louis était despotique, selon l’expression de M. de Capellen. Les ministres ne formaient point un corps homogène ; il leur était même interdit de délibérer entre eux. Chacun faisait les affaires de son département et en rendait compte au roi, qui entrait dans beaucoup de détails. Il présidait la réunion des ministres, qui lui présentaient individuellement leurs rapports et n’émettaient un avis que s’il les consultait. « Le corps législatif, dit M. de Capellen, était très insignifiant et adoptait presque toujours ce qui lui était présenté pour la forme. C’est au conseil d’état, où les ministres assistaient toujours et où le roi présidait, que les affaires, spécialement les projets de loi, étaient traitées sérieusement et à fond. Le roi prenait part aux discussions, et l’on a souvent remarqué la justesse de ses observations. Les discussions étaient d’ailleurs parfaitement libres en sa présence. Il s’était efforcé d’apprendre la langue hollandaise et avait pris des Leçons de MM. Bilderdijk et Van Lennep ; mais il n’y put parvenir. Il essaya plusieurs fois de parler cette langue, et en 1809 il prononça, à l’ouverture de l’ordre de l’Union, un discours hollandais qui fut à peine intelligible. « Il voulut, ajoute M. de Capellen, de bonne foi s’identifier avec la nation, et il épousa vivement ses intérêts ; mais il se faisait illusion et voulait oublier qu’il ne devait son trône éphémère qu’à la volonté de son frère… Un de ses grands défauts était un esprit extrêmement soupçonneux. On aurait eu beau le servir avec la plus grande fidélité et le dévouement le plus absolu, on n’était jamais sûr d’être à l’abri de ses soupçons. À la première apparence, sans examen approfondi, il retirait sa confiance à ceux qui en avaient joui pleinement. Il convenait de sa faiblesse, et m’a dit plus d’une fois que cette disposition était le fâcheux résultat de son expérience, faite surtout en France depuis sa jeunesse, ayant été si souvent trompé par ceux qu’il avait jugés les plus dignes de sa confiance. »

Le roi Louis, d’après M. de Capellen, s’est mépris lorsqu’il affirme dans ses documens que ses ministres, en 1810, lui ont conseillé de ne pas défendre le pays contre l’invasion de son frère. M. de Capellen proteste avec vivacité contre cette assertion. Il assure que la majorité des ministres, parmi lesquels il se trouvait avec Crayenhoff et Appelius, conseilla énergiquement au roi de défendre avec vigueur contre l’armée française, le passage des rivières et les forteresses, et par conséquent la Hollande. Le roi leur donna d’abord de Paris des ordres en ce sens ; mais un peu plus tard, intimidé sans doute par les menaces de Napoléon, il envoya contre-ordre, et commanda aux ministres de livrer les forteresses et de ne pas s’opposer au passage des rivières. « Moi entre autres, dit M. de Capellen, j’en fus désolé ; je l’écrivis sans détour au roi Louis. Mais plus tard, et lorsque les provinces étaient envahies par l’armée française, Louis voulut défendre à outrance la ville d’Amsterdam et faire opérer les inondations. Il demanda encore l’avis de ses ministres, et alors nous fûmes tous d’accord que cette défense, qui pouvait durer quelques jours, serait la plus grande folie et avec cela la plus grande inconséquence, après avoir ouvert gratuitement accès à ces mêmes troupes françaises, qui, par suite de cette mesure-là, occupaient le pays et entouraient la ville d’Amsterdam ; que les conséquences seraient terribles pour cette ville et pour toute la Hollande, qui, sans le moindre doute, allait être pillée, saccagée et ruinée de fond en comble, et que nous étions trop bons Hollandais pour vouloir faire ce sacrifice à une gloriole militaire. »

Ce fut à M. de Capellen le premier que le roi Louis fit confidence de son projet d’abdication en lui montrant la communication écrite de sa main qu’il le chargeait, en qualité de ministre de l’intérieur, de porter et de lire au corps législatif. « Il montra, dit M. de Capellen, beaucoup de fermeté et de caractère à cette occasion. » Le même jour eut lieu le départ du roi. Le conseil de régence qu’il avait institué, composé des ministres, envoya le général Janssens à Paris pour communiquer à l’empereur l’abdication de son frère et l’avènement du fils mineur du roi, sous la régence de sa mère, en ce moment à Plombières, et à qui le même message était adressé. La réponse ne se fit pas longtemps attendre. Le général Janssens trouva l’empereur à Rambouillet, où, après avoir exhalé sa fureur, Napoléon dicta à un de ses secrétaires, en présence du général, le décret de 1810 qui prononçait la réunion de la Hollande à la France, la réduction de la dette publique au tiers, et l’envoi du prince architrésorier en qualité de lieutenant de l’empereur. Deux jours plus tard, ce haut-commissaire arrivait à Amsterdam et s’installait dans le palais du roi. Après avoir fait prêter aux ministres un serment provisoire, il leur ordonna au nom de l’empereur de continuer leurs fonctions et de se rassembler en conseil sous sa présidence jusqu’à l’établissement de l’organisation française, qui eut lieu le 1er janvier 1811. Après la première cérémonie, le prince Lebrun, voyant le ministre de l’intérieur triste et mécontent, lui demanda quelle était la cause de ce chagrin. « Je lui répondis sans détour, raconte M. de Capellen, qu’attaché à mon pays et au souverain qui venait de nous quitter, je considérais ce moment, qui rayait la Hollande des états de l’Europe, anéantissait son indépendance et son existence politique en l’incorporant à un grand empire, comme le plus malheureux de ma vie, ce qu’il devait comprendre en se mettant un moment à ma place. » Soit que le lieutenant de l’empereur ne comprit pas en effet cette douleur patriotique, soit qu’il crût devoir dissimuler ses propres impressions, il répondit à M. de Capellen : « Vous ne considérez pas la chose sous son vrai point de vue. La destinée de votre pays n’a jamais été aussi belle qu’aujourd’hui : le voilà associé aux destinées du grand empire, dont il va partager la gloire. » Puis, faisant appel à l’ambition du ministre : « Vous êtes jeune, ajouta-t-il, vous aurez un bel avenir. L’empereur y pourvoira dans sa sagesse : il vous nommera conseiller d’état ou vous placera au corps législatif, ou bien utilisera vos talens d’une autre manière. — Monseigneur, répliqua M. de Capellen, la seule et unique grâce que je vous demande, c’est de m’obtenir le plus tôt possible la démission de mes fonctions, car il m’est impossible de bien servir après avoir perdu ma patrie. Veuillez ne pas provoquer une nomination que je ne saurais accepter. » Lebrun ne put s’empêcher de rendre hommage à ces nobles sentimens ; il combla de bontés M. de Capellen pendant le temps qu’il fut forcé de demeurer encore ministre, et ne prit pas en mauvaise part le refus qu’il lui fit de la croix de commandeur de l’ordre de la Réunion.

Le roi Louis s’était retiré en Styrie comme simple particulier, et y jouissait d’un revenu qui n’allait pas au-delà de 40,000 florins. Après s’être montré, pendant son règne, peu économe des deniers de l’état et surtout très généreux sur sa propre cassette, il conserva les mêmes habitudes dans sa retraite. Une grande partie de son revenu passait aux pauvres et souvent à des intrigans qui abusaient de sa facile charité. M. de Capellen dut l’engager à mettre un terme à ses prodigalités, afin de ne pas finir par se ruiner. Des relations s’étaient maintenues entre l’ancien ministre et le souverain dépossédé. En 1811, invité par le roi à venir le trouver dans son isolement, M. de Capellen s’y rendit, et passa environ une année près de lui. Louis avait acheté un jardin à la porte de Gratz, où il s’était établi. Tous les jours M. de Capellen y dînait avec lui, et ordinairement en tête à tête. Parfois quelque professeur, quelque savant, invité par le roi, venait animer la conversation. Le soir, on allait dans les maisons de la haute noblesse où il y avait réunion, et de temps en temps le roi recevait cette société chez lui. Il s’occupait d’ailleurs beaucoup de littérature et peu de politique. Dans ses promenades presque journalières avec M. de Capellen, il s’entretenait ordinairement de la Hollande, récapitulant les actes de son règne, regrettant de n’avoir pas pris certaines mesures favorables au pays, et songeant même, sous l’empire des illusions qui n’abandonnent jamais le cœur des hommes, aux améliorations qu’il pourrait faire, si la fortune le ramenait en Hollande. Un soir, le Moniteur apporta le récit du voyage de l’empereur en Hollande avec plusieurs des discours prononcés par les différens fonctionnaires. Cette lecture causa au roi Louis la plus vive irritation, témoignage d’une susceptibilité extraordinaire après l’expérience qu’il devait avoir acquise ; mais, pour bien mesurer la bassesse des hommes, il faut en avoir personnellement ressenti les effets. « Il ne pardonnait pas, répétait-il, de telles lâchetés à des Hollandais qui avaient faussé leurs sermens envers lui, en se jetant dans les bras de celui qui venait de détruire leur nationalité. Il regrettait d’avoir eu si bonne opinion de ces Hollandais consciencieux, du moins l’avait-il cru, qui lui faisaient naguère de si chaudes protestations de fidélité et d’attachement. » Un de ces discours, commençant par ces mois : « Plus Français par le cœur que par les circonstances, » et prononcé par le président du tribunal d’Amsterdam, excita surtout son mécontentement. « Si un de vos anciens princes d’Orange, disait-il à M. de Capellen, venait se mettre à la tête du pays, je serais le premier à vous conseiller de lui offrir vos services ; mais je ne puis que m’indigner de la conduite que les Hollandais tiennent aujourd’hui en prêtant serment à un souverain étranger pour eux, en se décorant d’un ordre substitué au mien par un jeu de mots qui fait de l’union du pays la réunion de ce pays à la France, sous la devise : Tout pour l’empire ! » Il n’avait pas été le témoin des palinodies qui depuis cinquante ans ont salué l’avènement de chaque régime nouveau, et sa surprise peut s’expliquer. Aujourd’hui, à de pareils spectacles on ne s’étonne plus, et le mépris dispense de la colère.

Pour se distraire, il s’occupa de la composition d’un roman rempli de scènes et de personnages appartenant à la Hollande : Marie, ou les Peines de l’amour, fut imprimé à Gratz, où, selon toute apparence, on n’avait jamais imprimé de livre français. M. de Capellen se chargea des corrections et de tous les détails de cette publication : il y employa beaucoup de temps ; l’écriture du manuscrit était si peu lisible, qu’il lui fallut recopier tout l’ouvrage avant de livrer les feuilles à l’imprimerie. Ce monarque devenu romancier, cet ancien ministre copiste et correcteur d’épreuves, ce sont là des scènes qui n’appartiennent guère qu’à notre temps.

Cependant la campagne de Russie se préparait ; le roi Louis en prévit les conséquences funestes. Deux sentimens se combattaient en lui : le souvenir des injures qu’il avait reçues d’un frère impérieux, et sa sympathie pour la gloire de Napoléon et de la France. Plus d’une fois il fut invité à revenir à Paris, mais il s’y refusa. Le rôle de roi exilé le flattait plus que les honneurs vulgaires qui l’attendaient en France.

Après une année de séjour, M. de Capellen, rappelé en Hollande par ses affaires et ses intérêts domestiques, annonça au roi l’intention de le quitter. Cette communication fut mal accueillie ; Louis Bonaparte ne put se défendre de cet esprit ombrageux que ses serviteurs avaient toujours remarqué en lui. « Il me dit, raconte M. de Capellen, qu’il s’apercevait qu’il avait été ma dupe, que je n’étais venu le voir que pour l’espionner, et que, malgré toutes mes protestations contraires, il était sûr qu’à mon retour en Hollande il verrait ma nomination au conseil d’état ou à un autre poste, et que je finirais par me moquer de mon ancien roi. » Un pareil soupçon indigna M. de Capellen. Il répondit à cette apostrophe par écrit, avec mesure, mais avec fermeté, et la séparation se fit dans ces dispositions peu affectueuses.

M. de Capellen démentit les injurieuses suppositions du roi, et ne démentit pas son caractère. Ce fut seulement après que la Hollande eut été rendue à elle-même par les évènemens de 1813, qu’il reprit des fonctions publiques, Le nouveau souverain de la Hollande l’avait institué en 1814 son commissaire général dans la Belgique, dont il attendait la royauté. Il l’envoya ensuite au congrès de Vienne pour défendre ses états héréditaires allemands, et en outre pour adhérer au traité secret qui venait de se conclure entre la France, l’Angleterre et l’Autriche, en vue de résister aux exigences de la Russie et de la Prusse. Il était chargé de promettre 40,000 hommes au nom de son maître.

Le 14 juin 1815, M. de Capellen était à Bruxelles, remplissant les fonctions de gouverneur général sous le titre de secrétaire d’état, lorsque le prince d’Orange, venu à Bruxelles de Nivelles, où il avait son quartier général, pour assister à un grand bal chez le duc de Richmond, l’informa le premier que les Français avaient passé la Sambre à Buick. Le duc de Wellington le lui annonça également, et quitta le bal en même temps que le prince, pour se rendre à l’année. Dans la journée du 18, l’agitation était extrême à Bruxelles. Tous les regards étaient tournés vers la maison de M. de Capellen ; la foule en garnissait les abords pour observer sa contenance. Plusieurs fois les nouvelles les plus alarmantes lui furent apportées du champ de bataille. Il était décidé à tenir bon jusqu’au dernier moment, et à ne sortir par une des portes de la ville que quand les Français entreraient par une autre. Son cheval fut sellé toute la journée et une partie de la nuit, avec ceux du duc d’Ursel et du comte de Mercy-Argenteau ; sa proclamation de congé était rédigée sur sa table. Dès le matin, les archives et les caisses du trésor avaient été envoyées à Anvers. Le commissaire général s’y rendit aussi sur l’ordre du gouverneur, et il lui écrivit aussitôt pour s’en féliciter, parce que, en traversant le faubourg, le cri de vive l’empereur ! qui avait partout retenti à ses oreilles, lui avait fait présumer que l’entrée des Français avait suivi de très près son départ. Lorsque sa lettre parvint à M. de Capellen, le sort des batailles avait prononcé, et la ville ne courait plus aucun danger. Un incident de cette journée en fait ressortir les vicissitudes. Dans la matinée du 18, le chargé d’affaires du comte Lobau était venu trouver M. de Capellen pour lui dire, de la part du général, que, l’entrée des Français à Bruxelles ne paraissant pas douteuse, il pouvait laisser tous ses papiers et effets dans l’hôtel d’Arberg qu’il habitait, et qu’on s’engageait à en prendre le plus grand soin. Peu d’heures après, par un de ces retours fréquens à la guerre et surtout dans ce jour funeste, le comte Lobau, prisonnier, passait sous les fenêtres de M. de Capellen avec quinze cents de ses compagnons d’infortune. Vers les huit heures, le général Vincent, commissaire autrichien, revint du champ de bataille blessé par une balle qui lui était entrée dans la main et lui causait de cruelles souffrances. Cet officier, qui avait assisté à un grand nombre de batailles, était entièrement découragé, et considérait le duc de Wellington comme très compromis. Il insista vivement auprès de M. de Capellen pour le décider à quitter Bruxelles, mais celui-ci ne put s’y résoudre. Le lendemain matin, le duc de Wellington, revenu à Bruxelles, le fit prier de se rendre chez lui. Il lui dit, en voyant passer devant la maison un grand nombre de blessés, que la victoire avait été beaucoup plus complète qu’il n’avait osé l’espérer, qu’il avait toujours désiré se trouver en face de Napoléon et que Dieu lui avait accordé cette grâce, que tout ce qu’il avait vu en Espagne et ailleurs ne ressemblait en rien à la bataille de la veille, que jusqu’à sept heures du soir et à l’arrivée de Blucher il avait eu la plus grande appréhension sur l’issue de la journée. Il était ému et regrettait la perte de tant de braves. Ces détails donnés par M. de Capellen n’ajoutent aux documens recueillis par l’histoire que le témoignage d’un homme impartial et grave.

Mais détournons les yeux de ces scènes douloureuses et revenons aux évènemens qui s’étaient passés en Hollande, à l’établissement du nouveau royaume des Pays-Bas et au prince qui en avait reçu la souveraineté.

M. Van der Duyn trace le tableau des opinions qui en 1814 se partageaient la Hollande. Il les divise en quatre catégories et les peint sous des traits que nous lui emprunterons pour éviter le reproche d’allusions. Il y avait donc alors, selon lui, en Hollande : « 1o les anciens soi-disant orangistes (soi-disant, parce qu’après avoir participé à tous les gouvernemens qui s’étaient succédé, ils croyaient néanmoins, en 1813, reprendre les mêmes droits qu’ils avaient eus en 1785), anciens aristocrates, mécontens du roi pour n’avoir pas rétabli l’ancienne république, ou du moins mis leur personne au premier rang et dans les premiers emplois ; 2o les véritables orangistes, fidèles à leurs anciens sermens et à un véritable attachement pour la maison d’Orange, rentrés dans les emplois et dans les affaires seulement après la révolution de 1813 (le nombre en était très petit) : quelques-uns étaient de bonne foi devenus libéraux ; 3o les renégats de la cause de la liberté, anciens révolutionnaires tâchant de faire oublier leurs antécédens par un zèle ardent pour le pouvoir, avides de grands emplois, d’une servilité dégoûtante et entraînant, le prince dans des essais imprudens ; c’étaient ceux que sa majesté préférait : champignons qu’on écrase, instrumens dociles que l’on brise et rejette loin de soi à volonté ; 4o les libéraux véritables, hommes du XIXe siècle, marchant à la tête de la civilisation moderne, guidant et devant finir par faire triompher l’opinion publique, après avoir puissamment contribué à la former. » L’esprit public et tous les hommes de mérite étaient pour les libéraux. « Depuis longues années déjà, écrivait M. Van der Duyn en 1831, et même dans notre pays de taupes, car nous le sommes bien plus que grenouilles, les gens de quelque esprit et de quelques connaissances étaient du côté de ce que l’on pouvait appeler, il y a cinquante ans, l’opposition ; par exemple, dans les petits troubles, tout au plus essais de révolution qui agitèrent la république de 1781 à I787, les connaissances et l’habileté, à très peu d’exceptions près, se trouvaient dans le parti dit patriote. Je me rappelle à ce sujet que mon père me contait que, la course trouvant au château de Loo, en 1786, tout ce qui tenait au parti stathoudérien y abondait journellement. Mme de Dankelmann, grande gouvernante de Mme la princesse d’Orange et femme d’esprit, disait souvent à mon père lorsqu’elle rencontrait quelque individu fort nul et fort bête : « Ah ! mon cher baron, il est sûrement des nôtres ! » Le roi Guillaume voulut asseoir sa nouvelle autorité sur les opinions divergentes qu’il trouvait en rentrant dans sa patrie. Gouverner l’état, comme les anciens stathouders, en maître à peu près, si ce n’est tout à fait absolu ; diriger des états provinciaux avec l’aide de l’intérêt personnel, des complaisances et de l’esprit de cour ; s’appuyer sur le peuple, suivant la politique de sa maison ; introduire dans la constitution quelques-unes des anciennes dénominations, pour plaire à ceux qui y étaient demeurés attachés, — tel fut le but qu’il se proposa. La constitution fut donc modelée sur les vieilles formes de la république et en reproduisit quelques-unes encore chéries : des états généraux et provinciaux, des ordres équestres, etc. La commission chargée de l’élaborer se composait d’hommes qui représentaient deux opinions fortement tranchées : les partisans de l’ancienne oligarchie républicaine exagérée, et les disciples de la révolution. Les premiers, à la faveur des vieilles dénominations, espéraient ressaisir les institutions du passé ; les autres, rassurés par l’établissement d’un gouvernement monarchique, y cherchaient surtout la destruction définitive de l’ancien fédéralisme, véritable point d’appui des influences oligarchiques. Une constitution équivoque et bâtarde fut le fruit de cette double préoccupation. Lorsque, quelque temps après, la Belgique fut réunie à la Hollande, on sentit le besoin de modifier cette constitution, et ce second travail eut pour résultat des combinaisons fausses, un amalgame confus d’institutions disparates, une organisation politique qui consacrait le pouvoir direct et personnel du monarque, et ne reconnaissait pas la responsabilité ministérielle, tout en déniant au roi le droit de dissoudre les états-généraux.

Cette constitution participait des défauts mêmes de la réunion de la Belgique à la Hollande, alliance antipathique à deux pays que séparaient les contrastes les plus frappans de traditions historiques, de mœurs, de religion, de langage, d’intérêts commerciaux, alliance inspirée par la haine ou la crainte de la France, et qui était une des conceptions les plus malheureuses des cabinets européens. Pour faire face aux difficultés que l’établissement même de ce royaume devait faire naître, il eût été besoin de le confier à un chef d’un esprit élevé, étendu, également étranger à la Belgique et à la Hollande, et capable de lutter, par son impartialité, la hauteur de ses vues et l’absence de toute préoccupation personnelle, contre les divisions, les rivalités, les défiances qui devaient naturellement se former entre les deux parties du nouvel état. Le prince d’Orange, déjà rappelé par la Hollande, était imposé en quelque sorte aux souverains alliés. Loin d’accepter cet accroissement de territoire comme un présent dangereux, il le brigua. Les souvenirs de sa maison devaient pourtant l’avertir des obstacles que l’avenir lui réservait. Guillaume de Nassau-Orange, premier du nom, fondateur de l’indépendance des Provinces-Unies, avait cru pouvoir concourir à affranchir la totalité des Pays-Bas de la domination espagnole, mais il avait tenté vainement de rallier à sa cause les Brabançons, les Flamands et les Wallons. Éclairés par cet exemple, ses fils Maurice et Frédéric-Henri n’essayèrent jamais de réunir aux Provinces-Unies le reste des Pays-Bas, demeuré fidèle à la foi romaine et redevenu espagnol. Plus tard, la cour de Madrid, ne pouvant défendre plus longtemps ces provinces, avait offert à Guillaume III d’en prendre l’administration, et ce prince prudent et éclairé, craignant d’y compromettre sa gloire et sa réputation, avait répondu par un refus. C’étaient là de graves avertissemens pour leur successeur, mais il ne les écouta pas. Il ne recula même pas devant des mesures qui, dés le début de son règne, durent faire croire à la Belgique qu’elle était livrée à la Hollande et asservie par les résolutions des puissances alliées. Cet état de dépendance apparut dans le vote même de la constitution. On sait que les délégués des provinces belges en votèrent le rejet ; ce fut par un calcul peu loyal des votes, à l’aide de chiffres habilement groupés, c’est-à-dire par des adjonctions arbitraires à la minorité et des défalcations également arbitraires de la majorité, que l’on parvint à dénaturer le véritable résultat et à déclarer que la constitution avait été adoptée. On avait eu pourtant recours aux moyens les plus violens pour forcer les suffrages. M. de Capellen raconte à ce sujet un incident caractéristique : « M’étant aperçu, dit-il, que la très grande majorité des notables voterait contre la constitution, à moins qu’on n’eût recours à des moyens qui me paraissaient illégaux et de mauvaise foi pour obtenir une soi-disant majorité, je jugeai qu’il serait imprudent de pousser les choses. Il ne restait que très peu de temps. Je me rendis à La Haye pour donner au roi les informations nécessaires et lui faire prendre en considération de ne pas forcer l’opinion, mais d’aviser à d’autres moyens. Quelques heures après mon arrivée, le roi assembla son conseil, auquel j’assistai. Il fut décidé, après de longues discussions, que la chose était trop avancée pour reculer, que cela ferait le plus mauvais effet et serait considéré comme une marque de faiblesse de la part du gouvernement, et qu’on devait absolument passer outre et continuer comme on avait commencé. Je retournai dans la nuit à Bruxelles pour exécuter les ordres du roi. » Voilà sous quels auspices s’ouvrait le règne de la maison d’Orange en Belgique.

MM. de Capellen, Van der Duyn et de Grovestins peignent Guillaume 1er, chef de cette maison, et son caractère avec des traits peu flatteurs, où perce souvent le déplaisir que sa politique leur causait, mais qui portent le cachet, de la vérité, étant le fruit d’observations longues, répétées et faites sur le modèle, si l’on peut ainsi parler. Nous essaierons de dessiner, d’après eux, le portrait de ce prince, qui a, pendant quelques années, occupé L’Europe, qui joua tour à tour des rôles différens, exalté un jour par l’opposition et adopté plus tard par les légitimistes, comme le dernier défenseur de leurs principes. Il avait reçu de sa mère une éducation sévère, et d’instituteurs éminens une instruction développée ; sa mémoire prodigieuse avait retenu les connaissances acquises dans sa jeunesse. Malheureusement il n’y avait rien ajouté ; ses goûts ne le portaient point vers l’étude et la lecture, encore moins vers la littérature et les beaux-arts, qu’il considérait comme des futilités au moins inutiles ; il avait beaucoup d’esprit, plus encore de finesse, mais sans largeur ni élévation. Son jugement, peu étendu, était ordinairement sain et d’une extrême promptitude. Il pratiquait la justice, attaché à ses devoirs de roi comme il les avait compris ; aucune distraction, aucun goût plus ou moins futile ne l’en détournait un moment. Son économie parcimonieuse descendait aux moindres détails. Il pouvait faire ou laisser faire de grandes dépenses, mais il n’avait ni générosité naturelle, ni délicatesse dans sa manière de donner, et quand il ouvrait sa bourse, c’était plus par calcul, par devoir de religion ou intérêt de position que par inclination ou par le charme attaché à l’idée de faire des heureux. Quoiqu’il ne montrât pas de reconnaissance pour les services qui lui étaient rendus, il savait pourtant les apprécier, peut-être au-dessous de leur valeur réelle ; mais il ne les oubliait pas toujours. S’il n’accordait point sa confiance, s’il appréciait mal le dévouement de ceux qui l’entouraient, il ne refusait pas son estime à la bonne conduite passée. Cependant il était dépourvu de sensibilité et exclusivement préoccupé de sa personne, défaut ordinaire des hommes qui exercent le commandement ; il en avait aussi l’habitude de la défiance que donne l’expérience du monde, surtout à ceux dont la vie a été marquée par de nombreuses et éclatantes vicissitudes. On pouvait lui reprocher de faire trop de choses différentes, et par suite quelques-unes moins bien ; il s’occupait en effet de toutes les affaires et voulait tout voir par lui-même. « C’était chose curieuse, dit M. de Grovestins après avoir rempli pendant deux ans les fonctions de secrétaire du cabinet, de voir la manière dont le roi Guillaume gouvernait son royaume pendant les cinq mois qu’il passait au Loo, sans y amener un seul de ses ministres, retenus à La Haye pour y piocher comme des commis. C’était un va-et-vient perpétuel de paperasses entre La Haye et le Loo, et l’on serait presque tenté de dire que celui qui jouait le rôle le plus important dans ce bizarre mode de gouvernement était le courrier qui le matin apportait ces montagnes de papiers au Loo, et qui les l’emportait le soir à La Haye. » Il ne savait donc pas résister, comme le dit Saint-Simon, « à l’appât des détails qui sont la curiosité, les découvertes, tenir les gens en bride, briller aisément à ses propres yeux et à ceux des autres par une intelligence qui perce tant de différentes parties, le plaisir de paraître avec peu de peines, de sentir qu’on est maître et qu’on n’a qu’à commander, au lieu que le grand vous commande, oblige aux réflexions, aux combinaisons, à la recherche et à la conduite des moyens, occupe tout l’esprit sans l’amuser et fait sentir l’impuissance de l’autorité qui humilie au lieu de flatter. » On peut juger aisément qu’avec ces dispositions et la conscience de ses bonnes intentions, le roi Guillaume tenait peu de compte de l’opinion publique, il n’y croyait même pas. « L’opinion publique, disait-il un jour à M. Van der Duyn ; qu’est-ce que cela ? Chacun a son opinion, et elle varie selon l’intérêt du moment. » Il ajoutait une autre fois « qu’il s’en moquait comme de Colin Tampon, » et trouvait qu’il ne valait pas la peine de l’éclairer. Le dédain de l’opinion est salutaire quand il est réfléchi et prudent ; mais il nous a été donné de voir où il peut conduire rois et ministres, quand il est aveugle et systématique, et Guillaume lui-même en fournit un exemple.

Quant à ses tendances politiques, elles étaient libérales, quoique ses actes de roi le fussent peu. En 1814, le baron de Vincent, gouverneur-général des Pays-Bas pour les hauts alliés, en lui remettant ces provinces, avait dit de lui après une longue conversation : « Il est trop libéral pour être roi et trop roi pour être libéral. » À la même époque, au moment de réunir l’assemblée des notables, il disait à M. de Capellen : « Il me tarde infiniment de voir la souveraineté dont je me trouve investi modifiée par une constitution sage et libérale. Élevé, comme je l’ai été, dans les principes républicains et stathoudériens, je ne m’arrange pas de ce pouvoir absolu, dont j’espère bientôt partager la responsabilité avec les autres pouvoirs dans l’état. » Mais le roi l’avait emporté sur le républicain, et cette responsabilité qu’il affectait de vouloir partager, il l’avait assumée tout entière dans la loi fondamentale, violemment imposée aux belges. Cependant il n’était pas assez étranger aux idées nouvelles pour ne pas rester, dans une certaine mesure, l’homme de son temps. Il tenait peu de compte des distinctions de naissance, et il lui arriva plus d’une fois, notamment dans le choix des fonctionnaires, d’indisposer l’oligarchie républicaine des provinces du nord et la classe nobiliaire de la Belgique. Il s’entendait mal aux ménagemens personnels et aux compromis qu’impose le gouvernement constitutionnel. Après avoir admis dans la constitution des délibérations publiques, il s’étonnait et s’irritait quand ses projets de loi avaient éprouvé de l’opposition, et montrait de l’humeur à ceux dont le vole avait été contraire ; même quand la majorité lui avait été favorable, il ne savait pas dissimuler son mécontentement C’était d’ailleurs la seule pression qu’il essayât d’exercer sur son parlement, et il ne cherchait à conquérir des voix ni par la séduction de l’argent ou des honneurs, ni par aucune autre influence ; il gourmandait les opposans et ne récompensait pas même d’un mot ou d’un regard obligeant ceux qui appuyaient ses mesures. On eût dit qu’il considérait l’approbation comme une dette dont le paiement ne l’obligeait à aucune reconnaissance, et la contradiction comme une injure qui meritait punition. Ayant rayé de la constitution toute autre responsabilité que la sienne, il ne pouvait supportée qu’on s’en prît aux ministres des actes de son gouvernement : « Pourquoi mettre les ministres en cause ? disait-il à M. de Grovestins ; que sont les ministres ? Rien du tout. Je puis, si je le trouve bon, gouverner sans ministres ou mettre à la tête des départemens ministériels qui bon me semble, fût-ce même un de mes palefreniers, car c’est moi, moi seul, qui suis l’homme qui agit et qui répond des actes du gouvernement. »

Les rapports que le roi eut avec son secrétaire du cabinet, M. de Grovestins, et, dans une sphère plus élevée, avec M. de Hogendorp, mettent en relief quelques-uns des traits que nous venons d’indiquer. M. de Grovestins était fort jeune, encore plein des souvenirs du collège, nourri par des lectures nombreuses, d’une vive et ardente imagination. Il voyait le roi avec le prestige dont un souverain est entouré pour ceux qui ne considèrent les têtes couronnées qu’à travers une auréole de gloire et de génie. Il s’attachait devant lui à donner à son langage une forme plus élevée, à exprimer, comme il le dit, des pensées empruntées à Tacite ou à Marc-Aurèle. Le roi le regardait avec un mélange de surprise et de pitié, cherchait à le dresser à son allure, et, s’apercevant qu’il y perdait ses peines, dit un jour : « C’est un homme dont on ne peut rien faire. » Quant à M. de Hogendorp, il pouvait prêter au roi l’appui d’une grande popularité et d’une capacité de premier ordre. Inspirateur et instrument le plus actif du mouvement de 1813, il siégeait dans le conseil des ministres à titre de vice-président du conseil d’état. Il ne tarda pas à devenir importun. Les rois en général ont peu de goût pour ceux qui, ayant contribué, à leur élévation, peuvent prétendre à leur reconnaissance. Il faut convenir d’ailleurs que jamais deux hommes ne furent plus incompatibles. Le comte de Hogendorp, esprit vaste, aussi juste qu’étendu, plein de connaissances variées, surtout dans les matières d’économie politique et de gouvernement, joignait à ces qualités éminentes la résolution, la fermeté et le courage ; mais il avait en même temps une ambition démesurée, des mouvemens de vanité puérils et presque ridicules, le besoin de dominer, plus encore celui d’être écouté comme un oracle dont les moindres sentences font loi, et, ce qui était peut-être pire encore, la manie de témoigner au dehors ce besoin de domination exclusive qui se faisait sentir jusque dans sa parole lente et dogmatique et dans ses gestes d’une pédanterie qui prêtait parfois à rire. Qu’on juge de l’effet qu’il devait produire sur un roi non moins désireux de dominer, d’un caractère faible et par conséquent peu franc, empressé de se mêler de toutes choses, tourmenté d’une activité fatigante, sans but déterminé, adonné à un travail continuel de premier commis par goût et par habitude d’abord, puis par la crainte exagérée de perdre quelque parcelle de son autorité et de paraître soumis à une influence quelconque. Ni l’un ni l’autre ne possédait l’adresse et les formes conciliantes qui auraient pu permettre au ministre de subjuguer le prince sans qu’il s’en aperçût, ou au roi, en ménageant des faiblesses qui n’étaient guère que dans la forme, d’employer au profit de la chose publique les talens du seul homme d’état que lui offrissent les provinces du nord. Des rivalités privées provoquèrent les susceptibilités royales. Deux des ministres de Guillaume, hommes d’esprit, habiles à saisir les ridicules et à les livrer au persiflage ; parvinrent bientôt à rendre le comte de Hogendorp, sinon odieux, du moins incommode et gênant, surtout lorsqu’ils eurent persuadé au roi que le vice-président du conseil d’état aspirait à exercer tout le pouvoir, et que, ne le voulût-il point, sa réputation et sa capacité feraient supposer qu’il était en effet l’âme du gouvernement. La rupture éclata à propos d’un écrit politique de M. de Hogendorp que le roi, à qui il l’avait communiqué, lui défendit de publier. M. de Hogendorp ayant donné sa démission, M. Van der Duyn, son ami, fut chargé de tenter un rapprochement ; mais il reçut pour réponse ces mots qui avaient la forme sentencieuse habituelle au comte : « Le voile est déchiré et l’illusion détruite. » M. de Hogendorp continua de siéger dans la seconde chambre des états-généraux, et quoiqu’il y exerçât peu d’influence, faute de l’aménité et des manières bienveillantes qui ne sont pas moins nécessaires dans les assemblées que, dans les conseils, il y fit ombrage à Guillaume, qui essaya de l’en éloigner en demandant à M. Van der Duyn de combattre sa réélection, et, sur le refus de celui-ci, en le nommant à la première chambre, faveur intéressée sur laquelle celui qui en était l’objet ne se fit pas illusion et qu’il déclina.

Des sentimens analogues à ceux qui amenaient l’éloignement de M. de Hogendorp avaient engagé Guillaume à s’attacher, comme ministre de la justice, M. Van Maanen, dont les fautes et l’impopularité eurent une grande part aux événemens de 1830. La faveur dont il jouit eut pour origine ce qui paraissait devoir l’éloigner du nouveau roi. Autrefois zélé partisan de la république batave et par conséquent adversaire ardent du stathoudérat et de la maison d’Orange, il avait, en qualité de procureur ou de fiscal près la cour de Hollande, soutenu énergiquement l’accusation portée contre Guillaume V et demandé contre le prince et sa maison un arrêt de proscription ; l’héritier des droits de cette maison pensa sans doute que le zèle de l’ancien fiscal serait en proportion de ses torts. De même qu’avoir trop bien servi les princes inspire une fierté qui devient importune, de même avoir été leur ennemi commande une docilité qui plaît ; c’est la source de beaucoup de fortunes politiques, ce fut celle de l’élévation de M. Van Maanen.

Un incident que M. Van der Duyn raconte avec détail achèvera de faire connaître le caractère de Guillaume Ier. Au commencement de 1814, quand Guillaume de Nassau n’était encore que prince souverain des Pays-Bas, un mariage avait été projeté entre le prince héréditaire d’Orange et la princesse Charlotte d’Angleterre ; on était à peu près d’accord de part et d’autre. Déjà, en Hollande, les articles du contrat avaient été rédigés et communiqués aux ministres anglais. M. Van der Duyn, envoyé à Londres pour cette affaire avec le baron Fagel, trouvait les choses assez avancées pour proposer de fixer l’époque de la célébration, lorsque des difficultés s’élevèrent sur la résidence des futurs époux. Habiteraient-ils la Hollande ou l’Angleterre ? C’était une question qui préoccupait le parlement britannique, et à laquelle on pensait que s’attacherait l’opposition, qui avait peu de goût pour ce mariage, de peur que les nouvelles relations qu’il ferait naître n’entraînassent l’Angleterre dans des guerres continentales. Guillaume insista pour que la dot et les revenus de la princesse Charlotte fussent dépensés en Hollande, et ne se prêta à aucune concession sur ce point secondaire. Il est juste de dire que le prince-régent, quoiqu’il aimât tendrement sa fille, ne s’opposait pas absolument à ce projet : peut-être, par une faiblesse qui n’était pas sans exemple, ne lui déplaisait-il pas que la présence de l’héritière du trône ne lui rappelât point à tout instant qu’il aurait à le lui transmettre ; mais l’opinion se prononçait dans les trois royaumes. Le duc de Sussex, oncle de la princesse, qui désirait le mariage, entretint en particulier M. Van der Duyn des dangers auxquels on s’exposait, et le pria d’en informer sa cour. La communication de cet avis ne produisit aucun effet. « Le duc de Sussex est de l’opposition, dit-on autour du prince, par conséquent une espèce de jacobin. Il n’y a aucun compte à tenir de ses conseils. » A la faveur de cet argument, si souvent employé dans les pays constitutionnels, et qui y fait mépriser les plus sages avis, on ne s’arrêta pas aux avertissemens donnés par le duc, et Guillaume persista plus que jamais dans ses résolutions. Cependant il était urgent d’en finir : la princesse Caroline, que le prince-régent avait blessée dans sa dignité de mère en insinuant aux envoyés hollandais de ne lui rendre aucun devoir et de ne pas lui demander, ne fût-ce que pour la forme, son consentement au mariage, était mécontente, irritée, et résolue à traverser les projets de son mari. Rien ne fut donc épargné pour les faire échouer. On circonvint la princesse Charlotte ; on l’inquiéta sur les suites d’une expatriation qui pourrait compromettre ses droits à la succession ; on l’associa aux griefs d’une mère qu’elle chérissait. Le ridicule, la caricature, cette arme familière à l’opposition chez nos voisins, tout fut mis en œuvre pour que l’union projetée devint odieuse à une jeune fille fière, sensible et jalouse de ses droits. Pendant ces démêlés, arriva tout à coup à Londres la grande-duchesse Catherine de Russie, veuve du duc d’Oldenbourg, envoyée selon toute apparence pour créer de nouveaux obstacles. Pleine d’esprit, de finesse et d’astuce moscovite, elle connut bientôt tous les personnages qu’elle devait envelopper dans ses filets : le prince-régent, qui la craignait et la détestait ; la princesse Charlotte, qui avait plus de caractère et d’instruction que d’esprit ; le prince d’Orange enfin, peu épris d’une jeune personne qui avait, dit M. Van der Duyn, « l’air d’un garçon mutin en cotillon, » et songeant bien plus à chercher le plaisir dans les sociétés de Londres qu’à courtiser celle qu’on lui destinait pour épouse. La duchesse eut bientôt brouillé les cartes. Elle jeta le trouble dans l’esprit de la princesse Charlotte en irritant ses sentimens les plus secrets : son ambition, qui avait tout à craindre de l’alliance d’un prince destiné à régner de son côté et par conséquent peu disposé à se contenter du simple rôle de mari de la reine ; son orgueil, qui devait souffrir du peu d’empressement dont elle se voyait l’objet ; ses ressentimens de fille enfin. Peut-être fut-elle secondée par le penchant que commençait à lui inspirer le prince Léopold de Saxe-Cobourg, à cette époque à Londres, dans l’état-major d’un des souverains, et qui s’y faisait remarquer par ses avantages extérieurs, sa tournure militaire, un esprit sérieux et réfléchi qui contrastait avec la légèreté et l’inconsistance du prince d’Orange. Quoi qu’il en soit, au moment de la rédaction des articles, lorsqu’on était tombé d’accord sur le séjour des futurs époux tantôt à Londres et tantôt à La Haye, et lorsqu’on s’y attendait le moins, la princesse Charlotte s’échappa furtivement du palais du prince-régent, se réfugia chez sa mère, et déclara elle-même au prince d’Orange qu’il n’aurait jamais sa main. Ainsi deux femmes, dirigées, l’une par des rivalités de cour, l’autre par son orgueil blessé, trompaient les calculs de la politique, déjouaient les finesses de la diplomatie et renversaient les résolutions de deux souverains, et Guillaume eut lieu de regretter que ses lenteurs et ses prétentions exagérées, laissant à l’intrigue le loisir de se déployer, eussent ainsi frustré sa maison du brillant avenir qui semblait alors s’ouvrir devant elle.

Tel était le roi que les puissances alliées avaient donné à la Belgique en la réunissant à la Hollande, et il suffit de considérer son humeur, ses goûts, ses défauts, la nature même de ses qualités, pour ne point s’étonner des fautes nombreuses qui rendirent inévitable la séparation des deux parties du royaume. Nous ne chercherons pas à retracer ces quinze ans de règne, sur lesquels le livre qui nous occupe, contenant plus de réflexions que de documens, ne nous offrirait rien à ajouter aux faits déjà recueillis par l’histoire ; mais nous y trouvons sur les évènemens même accomplis en 1880 et dans les années suivantes quelques anecdotes intéressantes et curieuses.

M. le comte de Mercy-Argenteau, grand chambellan de la cour, avait depuis deux années adressé au roi des conseils dictés par la prudence. Dix jours avant l’insurrection de Bruxelles., voyant Guillaume partir pour le château de Loo, il s’efforça de lui faire comprendre la gravité des circonstances et le danger de cet éloignement. « Sire, lui disait-il au moment où le roi montait en voiture, une chose m’inquiète vivement : les autorités ici ne s’entendent point. Il y a trois polices qui se croisent et se nuisent réciproquement, et pas une qui soit bonne. D’un jour à l’autre, une explosion peut avoir lieu. Qui commandera ? qui dirigera ? » Le roi donnait des signes d’impatience ; la montre à la main, il semblait surtout préoccupé du souci de ne pas manquer à l’exactitude qu’il s’imposait avec une sorte de pédantisme, et il se contentait de répondre : « Oui, oui, vous avez raison, ils ne s’entendent pas trop ; mais il faut voir encore, et j’espère que cela s’arrangera mieux que vous ne pensez. » M. de Mercy, à la fois altéré et indigné, fit une profonde révérence en disant : « Sire, je l’espère aussi. » A quelques pas de là, le prince Frédéric ne répondait qu’en haussant les épaules au général qui lui faisait de son côté un rapport sur l’insuffisance de ses ressources militaires, et lui demandait des ordres pour le cas d’un mouvement populaire auquel on s’attendait, le père et le fils quittèrent Bruxelles, que le premier ne devait jamais revoir, et dont le second devait seulement attaquer les faubourgs au mois de septembre suivant. Le mouvement éclate dans la nuit du 25 au 26 août. Aucune précaution n’a été prise. Le roi, les princes et les ministres sont absens. Bruxelles tombe bientôt au pouvoir des insurgés. Une députation se rend auprès du roi pour lui exposer les griefs de la Belgique. Que demande-t-elle ? La responsabilité et le contre-seing ministériels, le renvoi de quelques ministres, et en particulier de M. Van Maanen. Le roi répond, sur le premier point, que la loi fondamentale n’a pas consacré ces théories, et qu’il pourra y avoir lieu de consulter à cet égard les états-généraux qu’il vient de convoquer en session extraordinaire. Quant à ses ministres, sans témoigner d’humeur, sans s’expliquer sur les plaintes énumérées à leur charge, il fait observer que la loi fondamentale lui laisse le libre choix de ses ministres, et qu’il tient trop à l’honneur de sa couronne pour paraître céder « comme celui à qui l’on demande quelque chose le pistolet sur la gorge. » Le lendemain, le prince d’Orange prend la résolution courageuse d’entrer à Bruxelles avec quelques officiers seulement. La garde bourgeoise se porte au-devant de lui, les honneurs militaires lui sont rendus, et le cortège se dirige vers l’hôtel de ville, mais on engage le prince à n’y point monter : on lui fait pressentir qu’un danger sérieux l’y attend. Il s’inquiète, court des chances bien autrement graves en se jetant au milieu du peuple révolté, et gagne à toute bride le haut de la ville et son hôtel. Quel était ce danger ? M. Van der Duyn repousse l’idée que la personne du prince fût menacée, et dit tenir de bonne part qu’on avait seulement formé le dessein de l’engager, et au besoin de le forcer à signer la séparation, par conséquent l’indépendance de la Belgique, dont le gouvernement lui aurait été remis. Quelques mois après, il parut regretter de s’être alors montré « fils respectueux, » comme le disait, non sans amertume, la princesse d’Orange. En effet, dans une société à Londres, où il se trouvait avec M. de Talleyrand, on vint à parler des chances qu’il avait eues, particulièrement lors de son entrée à Bruxelles, de porter la couronne belge. Le diplomate français témoigna son étonnement de ce que le prince n’avait pas profité de cette occasion ; celui-ci répliqua : « Mais qu’aurait-on dit et fait en France ? — Nous, répondit M. de Talleyrand, nous aurions crié comme de beaux diables ; mais vous, monseigneur, n’en auriez pas moins été roi. »

Le prince d’Orange, rentré dans son palais, y avait réuni une commission pour délibérer sur les mesures propres à ramener le calme et la confiance. Les personnages les plus considérables par le rang ou l’influence sur l’opinion en faisaient partie. La commission demanda unanimement la séparation administrative de la Belgique et de la Hollande. Les exigences croissaient ainsi chaque jour. « Mais alors, disait le prince, promettez-vous de rester fidèles à la dynastie ? — Oui, nous le jurons, répondaient les assistans. — Et si les Français entraient en Belgique, vous joindriez-vous à eux ? — Non, non. — Marcherez-vous donc avec moi pour notre défense ? — Oui, jusqu’à la mort. » De son côté, la régence de Bruxelles avait formé au-dessus d’elle une commission de sûreté générale, si parmi les pouvoirs dont elle l’avait investie, se trouvait au premier rang celui d’assurer le maintien de la dynastie. La cause des Nassau n’était donc pas encore perdue en Belgique. Pendant que ces tentatives de rapprochement se faisaient à Bruxelles, le prince Frédéric, second fils du roi, avait établi son quartier général à Vilvorde, à quelques lieues de la ville. Des troupes s’y rassemblaient de toutes parts, et leur présence répandait l’inquiétude et la défiance. Le roi s’était pourtant décidé à écarter M. Van Maanen, quoiqu’on put supposer qu’il cédait à la contrainte bien plus encore que quand il avait refusé cette satisfaction aux commissaires belges ; mais M. Van Maanen se retirait comblé de dignités et d’honneurs, et on lui donnait un successeur si peu sérieux, qu’il pouvait être considéré comme prêt à reparaître à tout instant. Son renvoi n’était donc qu’une satisfaction incomplète et équivoque, et dans les révolutions concéder à demi est plus dangereux que de ne rien concéder. En même temps, la session extraordinaire des états-généraux s’était ouverte par un discours où les évènemens de Bruxelles étaient flétris dans des termes qui ravivaient les blessures. Les députés belges s’étaient rendus à La Haye. Bien que leur vie n’y fût pas en sûreté, ils s’étaient fait un point d’honneur de ne pas se refuser à cette dernière épreuve, et ils donnèrent même leurs voix à l’adresse des états, qui, selon l’usage, n’était que la paraphrase du discours royal ; mais les colères que ce discours avait soulevées à Bruxelles les y rappelèrent bientôt.

Les projets de violence reprirent alors le dessus. À La Haye et dans toute la Hollande, les passions populaires débordaient contre la Belgique, et elles Nattaient trop les sentimens personnels du roi pour qu’il y résistât. Il fut décidé que Bruxelles serait reprise par la force des armes. Cette résolution fut arrêtée, au dire de M. Van der Duyn, en l’absence du prince Frédéric, qui était à la fois ministre de la guerre et de la marine, sans que les directeurs généraux de ces deux services fussent, entendus, ni aucun militaire consulté, et par conséquent dans l’ignorance des ressources disponibles. Le choix du général auquel serait confié le commandement des troupes fut mis en délibération dans le conseil des ministres. Tous déclarèrent que dans cette lutte contre le peuple un prince de la famille royale ne pouvait être exposé, soit à un échec, soit à une victoire qui pouvait coûter beaucoup de sang. On proposa le général Chassé. « Son grand âge, dit le roi, ne lui permet pas de monter à cheval ; » puis, sans tenir aucun compte des objections de ses ministres, il ajouta : « Ce sera Fritz (Frédéric). »

Nous ne dirons rien de cette lutte désespérée, qui, comme chacun le sait, se prolongea pendant plusieurs jours, et se termina par la défaite et l’éloignement des troupes hollandaises ; elle rendit définitive la rupture des Belges avec la maison de Nassau. Pour exciter le courage du peuple, pour dissiper ses défiances, au milieu du combat, on s’était solennellement engagé envers lui à ne jamais traiter avec la dynastie expulsée, et cet engagement avait été scellé dans le sang. Le roi Guillaume n’avait pourtant pas perdu tout espoir. Nous l’avons vu hésitant sans cesse entre l’emploi de la force confiée au second de ses fils et un accommodement remis aux négociations de l’aîné, l’un brandissant son épée à Vilvorde, l’autre proposant la paix à Anvers. La force avait échoué, Guillaume en revint aux voies de douceur. Le 4 octobre, il nomme le prince d’Orange gouverneur des provinces méridionales du royaume, sorte de reconnaissance de la séparation administrative. Le prince est chargé de recourir aux moyens de conciliation pour rétablir l’ordre. Des ministres, des conseillers d’état lui sont adjoints. Il se rend à Anvers, qui lui est assigné pour sa résidence. Il voulait emmener avec lui M. Van der Duyn, et s’aider de la longue expérience et de la popularité de ce vieux serviteur de sa famille. Le roi ne le permit point par des raisons que M. Van der Duyn n’a pu éclaircir. Toutefois, avant de partir, le prince voulut le voir ; mais l’entrevue fut tout à fait insignifiante. Voici ce que M. Van der Duyn en raconte : « Le lundi, 4 octobre, j’eus une conversation oiseuse avec le prince d’Orange, quoique mandé expressément. Il voulait que je calmasse les esprits au sujet de son départ pour Anvers, et que j’expliquasse aux gens du nord qu’en essayant de ramener le sud, il ne les abandonnait pas. Ceci me fit entrer en matière, mais bientôt finir, m’apercevant que je parlais seul. Son altesse royale fut fort aimable, tendre même, puisque l’entretien finit par une embrassade de sa part, à laquelle je tendis bêtement la joue. Je m’en allai fort heureux d’avoir été trompé dans ma vaniteuse crainte (moi qui ai tant d’ambition !) d’être invité à l’accompagner dans ce voyage. » La mission du prince était difficile : il se trouvait en butte à la fois aux défiances des deux parties du royaume, des Hollandais qui repoussaient tout arrangement, et des Belges qui avaient prononcé la déchéance de sa dynastie. Il pensa que tous ses efforts devaient tendre à ramener ces derniers, et il s’y employa avec trop peu de ménagemens pour y réussir. On écrivait alors d’Anvers à M. de Grovestins : « Les efforts que fait ici le prince d’Orange pour conquérir la popularité n’obtiennent que du mépris. Il touche la main à tous les hommes qu’il rencontre, boit avec les soldats, leur dit qu’il est le héros de Waterloo, et fait si bien, que chaque jour il perd quelqu’un de ses partisans. » Toute l’attention du prince était exclusivement dirigée vers les militaires belges, encore à Anvers sous les drapeaux de la maison d’Orange. Les soldats hollandais, se voyant négligés, en murmuraient. Un chambellan du prince crut devoir l’en informer : « Que veulent donc ces Hollandais ? dit-il. Ne sont-ils pas tranquilles ? Ils ne comprennent donc pas que je dois tout faire pour calmer, pour gagner les Belges ! Réfléchissez que je dois travailler ici à la conservation de mon patrimoine et de celui de mes enfans, et que je dois leur transmettre l’héritage de mes pères. » Se concilier les catholiques et les séparer des libéraux, avec lesquels ils avaient fait une alliance purement accidentelle, et qui n’avait pour base que la communauté du mécontentement, paraissait être la mesure la plus habile et la plus urgente. Le prince en entretint l’internonce Capaccini, qui, avec la présence d’esprit que l’église ne perd jamais, accepta avidement cette ouverture. Le prélat conseilla de nommer sur-le-champ un évêque à Bruges et un autre à Bois-le-Duc, et désignant les deux personnages qui lui paraissaient devoir être appelés à ces postes éminens, il ajouta : « Le roi les nommera, et je prends sur moi de déclarer que c’est avec l’approbation du saint père. » Le prince adopte cette pensée et écrit au roi pour en proposer l’exécution immédiate. Il lui est répondu qu’on ne peut rien accorder ni conclure à ce sujet avant la décision de Rome à l’égard de négociations engagées avec elle. Informé de cette objection, monsignor Capaccini, sur l’invitation du prince, rédige un mémoire clair et concluant, afin de démontrer que les nominations proposées n’ont aucun rapport avec la réponse attendue de Rome. On expédie cette pièce à La Haye, mais sans succès. Les dispositions du roi étaient encore une fois changées. Son irritation n’avait plus de bornes. Il faisait l’entrer M. Van Maanen au ministère, et adressait aux provinces du nord un appel aux armes. C’est alors que le prince d’Orange prend un parti désespéré. N’obtenant rien de son père, contrarié dans ses mesures, repoussé dans ses propositions, voyant la couronne belge fuir devant ses efforts, il s’arrête à un parti qui, un mois plus tôt, surtout au moment de son entrée à Bruxelles, aurait produit un effet décisif. Il déclare, par une proclamation datée d’Anvers, le 16 octobre, qu’il se fait le chef de la révolution. « Je me mets, dit-il aux Belges, dans les provinces que je gouverne, à la tête du mouvement qui vous mène vers un état de choses nouveau et stable dont la nationalité fera la force. Voilà le langage de celui qui versa son sang pour l’indépendance de votre sol, et qui vient s’associer a vos efforts pour établir votre nationalité politique. »

Il faut répéter ici ce mot fatal des révolutions, ce mot prononcé en France en 1830 et en 1848 : « Il était trop tard. » Le premier jour, les Belges se contentaient d’un changement de ministère et d’une réforme constitutionnelle. On n’accorde le changement et l’on ne promet la réforme constitutionnelle que quand ils en sont venus à provoquer la séparation administrative des deux parties du royaume. Cette séparation elle-même, on attend pour y consentir que les fautes commises aient fait prononcer la déchéance de la famille régnante. L’abîme est devenu si profond, que la rébellion même du fils qui se pose en successeur de son père vivant n’est plus une satisfaction suffisante. Grande leçon pour ces politiques superbes qui repoussent toute concession comme un pas vers les révolutions, qui mettent leur orgueil à braver l’opinion, et qui trop souvent, comme le roi Guillaume, tout en pliant eux-mêmes sous la nécessité, ne savent pas s’y résoudre à propos ! Il était donc trop tard. En Belgique, la proclamation fut accueillie avec dérision ; en Hollande, elle souleva l’indignation. Un journal enjoignit au roi de changer l’ordre de succession au trône, en raison de l’indignité encourue par le prince d’Orange. La session ordinaire des états-généraux, auxquels les députés belges n’assistaient point cette fois, s’ouvrit le 18 octobre. Faisant allusion à l’incartade du prince, le roi se bornait à dire : « La nouvelle inattendue que je reçois aujourd’hui même d’Anvers est une nouvelle preuve du progrès quotidien de la séparation réelle des deux divisions du royaume. » Ce langage équivoque et obscur, dont l’indifférence laissait soupçonner une connivence du père avec le fils, ne fit qu’irriter les défiances à La Haye et à Bruxelles. Guillaume ne put s’en tenir à cette étrange réserve. Les deux ministres qui accompagnaient le prince à Anvers l’avaient quitté brusquement, considérant leur mission comme terminée. Le roi fut obligé de se prononcer ; il suspendit les pouvoirs du gouverneur des provinces méridionales, et défendit aux généraux d’en recevoir aucun ordre. « Vraiment, écrit M. Van der Duyn, la position du prince est non-seulement fâcheuse, mais devient aussi ridicule. » Abandonné par l’armée, désavoué par son père, repoussé par les Belges, il n’était pas même en sûreté à Anvers. Il s’en éloigna en laissant pour adieux une nouvelle proclamation qui tendait à réserver les chances de l’avenir ; mais on doutait qu’il pût affronter les mécontentemens de la Hollande. La princesse d’Orange, demeurée à La Haye, fit appeler le grand chambellan de la cour et M. Van der Duyn. » Conversation singulière, écrit M. Van der Duyn, plus qu’intéressante, quoique j’aie été singulièrement touché de ce qu’elle a dit de la position triste et embarrassante où elle se trouvait entre ses parens et son mari, tellement la pauvre femme avait le cœur gros et éprouvait le besoin de s’ouvrir à des personnes qu’elle considérait, nous dit-elle, comme particulièrement dévouées au roi et devant jouir de sa confiance. Le résultat comme le but de cette conversation singulière était des plaintes modérées sur les mesures du roi à l’égard de son fils et la justification de ce dernier, avec le désir que ce que l’on nous avait dit fût rapporté au roi, ce dernier point plus directement adressé à mon compagnon d’infortune, dirai-je, car je n’ai pas besoin de vous dire que tout cela était assez embarrassant pour lui surtout ; aussi avait-il une drôle de mine en promettant de s’acquitter de l’ambassade. » M. Van der Duyn fut d’avis que le prince ; revint prendre sa place auprès du trône et de son père, et cet avis, qui n’était pas celui du grand chambellan, plus effrayé du mouvement de l’opinion, fut d’abord repoussé par le roi, qui, par un premier message, défendit à son fils de se présenter devant lui ; mais le même jour l’ordre contraire lui fut expédié. Le prince revint en effet et se rendit à l’église avec la famille royale. Malgré la mauvaise humeur du public, en dépit de quelques murmures isolés, il ne fut pas mal accueilli à sa sortie, et le soir il y eut dîner à la cour, « comme si de rien n’était. » Deux jours après, il partit pour Londres, chargé d’une mission imaginée pour colorer son absence. Ce voyage, quoique le but en fût fort différent, lui rappela sans doute celui qu’il avait fait dans le même lieu plus de vingt-cinq ans auparavant. Le succès n’en fut pas plus heureux, et après le refus du trône par le duc de Nemours, quand le prince d’Orange, par une dernière proclamation, se présenta comme candidat au trône belge, il se vit encore une fois, par un singulier jeu de la fortune, préférer le prince Léopold.

Malgré ces nombreux échecs, le roi Guillaume, quoique plus d’une fois ceux qui l’entouraient eussent remarqué en lui un grand abattement, n’était pourtant pas découragé. Les promesses, les essais de conciliation, les moyens militaires, le coup de tête même de l’héritier du trône, rien n’avait réussi. Il dirigea d’un autre côté ses efforts. M. Van der Duyn croit qu’il aurait pu, en traitant directement et ouvertement avec la Belgique, et au moyen de sacrifices que les circonstances commandaient, conserver encore à sa famille le trône belge. Une conversation que M. de Capellen eut quelques années plus tard avec le roi Louis-Philippe donna lieu de penser que le gouvernement français n’y aurait pas fait obstacle. « J’ai vu avec peine, disait le roi des français, le trône de Belgique échapper à la maison d’Orange. J’aurais vivement désiré le lui remettre. Il y aurait eu quelques chances de succès, si l’on avait proposé de donner ce trône au fils puîné du prince d’Orange (le prince Alexandre) ; mais comment aurait-on pu faire une proposition semblable à La Haye, où l’on voulait tout avoir à ce moment ? Cette proposition, venant de moi surtout, ne pouvait être que mal reçue. Je ne devais pas, disait-on, rester six semaines en place. » Puis, faisant allusion au roi de Prusse, qui, à son retour d’Angleterre, avait évité de passer en France, il ajoutait : « On affecte encore de me tenir dans cette espèce de quarantaine. » Le roi Guillaume, irrité contre la France, tourna ses regards vers les plénipotentiaires des cinq grandes puissances qui, réunis à sa demande, formaient la conférence de Londres. Dès la seconde séance, la conférence ordonna un armistice. Guillaume en fut consterné. D’abord on le plaçait sur un pied d’égalité avec des rebelles : puis on semblait révoquer en doute ses droits sur le Luxembourg, province dont il se considérait en quelque sorte comme propriétaire, l’ayant obtenue en échange de ses états héréditaires. Le congrès belge, qui était assemblé, se hâta d’adhérer à la résolution de la conférence. Guillaume, qui avait lui-même provoqué l’arbitrage des puissances, ne pouvait se permettre un refus formel ; il s’efforça de gagner du temps, ressource ordinaire des faibles. « Ici, écrivait M. Van der Duyn, on est toujours nerveux et triste, d’autres fois furieux, mais par-là même indécis. On tergiverse, et je suppose, sans le savoir positivement, que les amis de l’autre côté de l’eau permettent, par un égard de politesse, que l’on ne s’explique positivement que quand les autres auront parlé. » Il fallut pourtant se prononcer. L’armistice fut accepté, mais on refusa de faire jouir Anvers du bénéfice de la disposition qui ordonnait la levée du blocus des ports. Le roi prétendit que cela regardait seulement les ports de mer, et que l’Escaut étant une navigation intérieure (d’eau douce apparemment, s’écrie M. Van der Duyn), Anvers n’était point compris dans la mesure. Les Belges se plaignirent ; le secrétaire de l’ambassade anglaise Cartwright vint réclamer en leur nom, mais vainement. La guerre, la guerre générale, telle était la dernière espérance de Guillaume. Il ne se rendait pas compte de l’état de l’Europe, des embarras des puissances, du trouble que la révolution de juillet avait répandu partout et de tout ce qui, à cette époque plus encore peut-être qu’à présent, garantissait le maintien de la paix. M. Van der Duyn en éprouvait une impatience qu’il exprime avec une extrême vivacité : « Il est fou, notre homme, décidément il l’est, ou bien aveugle au point le plus incurable sur sa position et celle des affaires. Croiriez-vous, non, vous ne pourriez le croire, à moins que je ne vous l’affirme, que non-seulement il conserve, avec la prétention de reconquérir la Belgique perdue, l’espoir d’y parvenir et, qui plus est, le projet de l’essayer, et cela malgré les événemens de la Pologne et la non-arrivée à son secours des débris de la sainte-alliance, par conséquent seul à seul ou, pour mieux dire, deux contre quatre ! Mieux encore : la Belgique reconquise par les armes, aidée d’insurrections contre-révolutionnaires, a perdu par sa révolte le droit de faire partie intégrante du royaume ; elle est hors la loi, c’est-à-dire en dehors des droits que lui assurait la loi fondamentale. » M. Van der Duyn combattait les idées du roi : « Sire, lui disait-il, la guerre a ses chances ; elle pourrait être défavorable aux puissances. Ne vaudrait-il pas mieux que, par la paix, un état intermédiaire fût conservé entre la France et nous ? — Eh bien ! monsieur, reprit le roi avec une expression de déplaisir, je vous accorde le danger de voir la Belgique conquise par la France, c’est beaucoup ; mais ne peut-elle pas être reprise ? Ne l’avons-nous pas vu à Waterloo ? » Cette réponse surprit d’autant plus l’interlocuteur, qu’il avait appris qu’on disait déjà dans le monde diplomatique que quand même, par suite d’événemens imprévus, la Belgique se trouverait de nouveau à la disposition de l’Europe, comme en 1814, on ne rétablirait jamais le royaume des Pays-Bas sur ses anciennes bases. Le roi affectait de croire que la révolution d’août avait été amenée par la représentation de la Muette et la négligence des autorités, comme si ces grandes commotions populaires ne tenaient pas toujours à des causes plus sérieuses que les incidens secondaires qui en sont seulement l’occasion. Il semblait ne pas comprendre à quel point la Belgique était perdue pour lui. « Ce sont, disait-il à tout propos, des choses de ce bas monde qui s’arrangeront. » Tous les événemens du dehors lui rendaient sa confiance. Un jour, ce sont les troubles qui éclatent à l’enterrement du général Lamarque en France : il croit déjà à une révolution accomplie. On annonce qu’une flotte russe s’avance dans la Baltique ; il y voit un secours protecteur. Une tempête agite l’océan ; il s’imagine qu’elle a pu, en détruisant la flotte et l’armée de dom Pedro, venir en aide à dom Miguel, dont il associe la cause à la sienne. On dit devant lui qu’à Bruxelles on remeuble à neuf le palais du roi : « Tant mieux, reprend-il, je n’ai rien contre. » Et il ne manque pas de se trouver un courtisan qui s’empressa d’ajouter : « Les Français ont déjà une fois meublé des palais pour nous. » On comptait beaucoup sur les fautes des Belges, mais on se trompait encore. M. Van der Duyn écrit à ce sujet quelques ligues qui méritent d’être citées : « Le dîner de réception donné à lord Ponsonby par le comité diplomatique s’est fort convenablement passé. Ce diplomate, ainsi que M. Cartwright, ont été particulièrement contens du ton et des formes de M. Van de Weyer, président du comité. On m’assure aussi que les notes échangées entre le gouvernement provisoire belge et le gouvernement britannique sont rédigées dans un très bon style diplomatique : nouvelle preuve que ce n’est pas l’habileté qui manque de ce côté-là, ainsi qu’en général de nos jours elle est du côté des hommes nouveaux et de la jeunesse. Les vieilles races aristocratiques ont dégénéré, et cela aussi explique la nécessité des révolutions populaires et la facilité avec laquelle elles s’opèrent. »

Après de longues négociations, des protocoles sans fin et des lenteurs dont Guillaume avait profité pour essayer de surprendre la Belgique le 4 août 1832, tentative périlleuse et qui donna lieu, comme on se le rappelle, à l’entrée des Français sur le territoire belge, le traité dit des 24 articles vint poser les bases définitives de la séparation des deux royaumes : Guillaume refusa d’y adhérer. La Russie tenait une conduite au moins singulière. Tandis que son ambassadeur concourait à Londres aux négociations destinées à maintenir la pain, l’empereur, par une lettre de sa propre main écrite au prince et à la princesse d’Orange, approuvait la levée de boucliers du 4 août, et faisait des vœux pour le succès de cette expédition. M. Van der Duyn affirme ce fait d’après une personne qui avait tenu dans ses mains et lu la lettre autographe de Nicolas. On a vu quelquefois de ces contradictions entre un roi et ses ministres dans les gouvernemens constitutionnels ; mais c’était un spectacle nouveau sous un chef absolu. Cette position fausse ne pouvait durer : le comte Orloff fut envoyé à La Haye pour la faire cesser. Il était chargé d’engager le roi « à se soumettre à l’impérieuse loi de la nécessité. » Il représenta que l’empereur était toujours animé des mêmes sentimens d’amitié et d’affection pour le roi et sa famille, sentimens dont il croyait n’avoir cessé de donner des preuves, mais qu’avant tout « il se devait à la Russie, » et ne pouvait laisser un libre cours aux mouvemens de son cœur ; qu’en conséquence il engageait le roi à accepter préalablement les 24 articles. Si le roi s’y prêtait, le comte devait se rendre à Londres et faire au nom de son maître tous ses efforts pour porter la conférence à consentir les modifications que le roi pourrait désirer, et qui auraient été admises par l’envoyé de la Russie. Comment cette proposition fut-elle accueillie ? c’est ce que la cour put apprendre le même jour. Après le dîner auquel le comte avait été invité, le roi suivant son usage, le prit à part, et, revenant sur la conversation du matin, se répandit en plaintes et en récriminations ; il se monta peu à peu, au point de dire : « Non, j’aimerais mieux périr que de consentir à de telles conditions. » Aussitôt le comte Orloff s’éloigna de trois ou quatre pas en arrière, en faisant au roi un salut profond qui semblait dire qu’il considérait sa mission comme terminée. Le roi comprit ce mouvement, et, se rapprochant du comte, il s’empressa de dire : « Non, monsieur le comte, ce n’est pas là ma réponse à votre communication, » et la conversation changea d’objet ; mais le roi n’en demeura pas moins inébranlable. Le comte Orloff prit son audience de congé et se rendit à Londres pour y porter, au nom de la Russie, la ratification du traité. On sait que Guillaume, malgré la prise d’Anvers, malgré la reconnaissance solennelle de la Belgique par l’Europe, continua de refuser son adhésion, et adopta la ligne de conduite qu’on a qualifiée de système de persévérance. Ces refus étaient mal vus par la Russie elle-même. Plusieurs années après, en 1835, M. de Capellen se trouva à Bade avec le comte de Nesselrode, qui, la veille de son départ, l’entretint longuement des affaires de la Hollande : « Nous ne ferons certainement pas, lui disait-il, la guerre pour les intérêts de la Hollande ; si nous avions voulu la faire, il y a longtemps que nous l’aurions entreprise. En attendant, le roi des Pays-Bas, en tergiversant plus longtemps, tient toute l’Europe en haleine ; cet état de choses ne peut pas durer. » M. de Capellen, quoiqu’il fût, au fond, du même avis, s’attacha, comme Hollandais, à défendre la conduite tenue par le roi. Guillaume, à qui cette conversation fut rapportée, s’écria : « M. de Capellen a très bien répondu ; mais, pour le comte de Nesselrode, il ferait mieux de se mêler de ses propres affaires que des miennes. »

La conférence de Londres était vivement contrariée des refus de Guillaume, et elle voyait avec peine les états-généraux cédant aux mêmes sentimens et encourageant la résistance du monarque. Il y avait cependant en Hollande un parti considérable, formé des personnages les plus éminens, qui comprenait tous les dangers du statu quo, et se montrait impatient d’en sortir : M. de Capellen était un des chefs de ce parti. La conférence, ne pouvant rien obtenir par les moyens ordinaires, crut pouvoir faire appel à la prudence de M. de Capellen, connue capable « d’agir, par le poids de son opinion et par le respect dû à son nom et à son caractère, sur un grand nombre de personnes influentes. » Elle lui fit communiquer officieusement en 1838 les notes adressées à Guillaume, pour qu’il connût bien l’état des négociations, et pût à la fois peser sur l’esprit du roi et sur l’opinion publique. Cette démarche insolite, et qui prouve à la fois la persistance peu éclairée du roi et l’estime dont jouissait M. de Capellen, contribua probablement à amener la conclusion qui la suivit de près.

Guillaume se rendit donc enfin, et le système de persévérance eut pour résultat l’accroissement de la dette publique et des conditions nouvelles qui modifiaient le traité des vingt-quatre articles au profit de la Belgique. La position était difficile : la Hollande avait perdu les illusions qui entretenaient depuis si longtemps sa résistance, et l’esprit public commençait à se réveiller. Ces difficultés découragèrent le vieux roi ; trente-cinq années de travaux non interrompus l’autorisaient à placer, comme on disait autrefois, un intervalle entre la vie et la mort. Il espérait d’ailleurs goûter les plaisirs de la vie domestique en s’unissant à une personne qui lui avait inspiré une passion étrange à son âge. Belge et catholique, Mme la comtesse d’Oultremont ne pouvait pas, malgré son caractère honorable, sans parler des autres obstacles, être acceptée pour reine par la Hollande. Guillaume prit la résolution d’abdiquer, et descendit du trône en 1840 sans bruit et sans éclat. La Prusse fut le lieu de sa retraite. Il y mourut le 13 décembre 1843. Par un rapprochement bizarre, M. Van der Duyn, qui, en 1813, était allé au-devant de lui à son retour en Hollande, fut encore chargé de recevoir ses dépouilles mortelles lorsqu’elles arrivèrent à Rotterdam. Il écrivait a cette occasion : « Il y a quelque chose de personnellement singulier pour moi d’avoir vécu assez longtemps et conservé une situation assez marquante pour être chargé de recevoir deux fois, l’une vivant, et l’autre mort, cet homme éloigné à deux reprises de sa patrie : la première par les fautes de son père, et l’autre par les siennes propres. » Il y avait quatre ans alors que le prince d’Orange régnait sous le nom de Guillaume II, en butte à tous les embarras intérieurs que son prédécesseur lui avait laissés en s’éloignant. Son caractère et le rôle qu’il avait joué sous le dernier règne le rendaient peu propre à les dissiper. Le désordre des finances avait nécessité la création de mesures extraordinaires, et les états-généraux, qui n’étaient plus entraînés par l’orgueil patriotique et les rivalités nationales, se montraient exigeans et pleins de méfiance. Les questions constitutionnelles, que la lutte avec la Belgique avait momentanément reléguées dans l’ombre, se soulevaient de nouveau avec une extrême vivacité, et acquéraient d’autant plus d’importance, que la gêne de l’état démontrait mieux le besoin des garanties politiques. Les événemens de 1848 précipitèrent la solution. La mort de Guillaume II fit passer la couronne sur la tête d’un prince étranger aux divisions créées par la séparation de la Belgique, libre dans ses mouvemens, appelé par les circonstances à introduire dans la constitution les changemens depuis longtemps réclamés par l’opinion publique, et à rétablir l’ordre dans les finances. La responsabilité ministérielle a été consacrée, et le système électoral élargi. Une ère plus heureuse s’est ouverte pour la Hollande. Maîtresse d’elle-même, n’ayant plus désormais à consulter que ses seuls intérêts, elle s’y est attachée avec le bon sens, le calme et la fermeté qui la caractérisent. Aujourd’hui les événemens dont nous venons de retracer quelques épisodes ne peuvent plus se présenter à la mémoire des Hollandais que pour leur fournir les enseignemens à l’aide desquels l’histoire éclaire les peuples et les rois.


VIVIEN.

  1. Ces souvenirs ont été recueillis et mis en ordre par M. le baron S. de Grovestins, ancien secrétaire du cabinet et plus tard chambellan de Guillaume Ier, roi de Hollande, sous ce titre : Notice et Souvenirs du conte Van der Duyn et du baron de Capellen ; ils forment un volume qui n’a pas été mis en vente, qu’on n’a tiré qu’à un petit nombre d’exemplaires pour des parens et quelques amis.
  2. Nous nous aiderons en outre de mémoires manuscrits déjà rédigés par M. de Grovestins, qu’il a bien voulu nous communiquer, et d’une brochure qu’il a publiée en 1844 sous le titre de la Conférence de Londres et Guillaume Ier.