La Guerre sous-marine - Phase finale

La Guerre sous-marine - Phase finale
Revue des Deux Mondes6e période, tome 44 (p. 652-671).
LA
GUERRE SOUS-MARINE
PHASE FINALE

Phase finale ! Peut-être y a-t-il quelque témérité à qualifier ainsi la phase où nous entrons, après trois années, exactement, qu’ont commencé « les opérations entreprises sur les lignes de communications des Alliés au moyen des engins de plongée. » En tout cas, cette phase, finale ou non, se distinguera probablement d’une manière sensible des précédentes, dont j’ai déjà entretenu les lecteurs de cette Revue.

Il faut se renouveler à la guerre, les Allemands le savent fort bien ; et, comme tout va beaucoup plus vite aujourd’hui qu’il y a cent ans, ils ne disent plus avec Napoléon : « La tactique doit changer tous les dix ans, » mais bien : « Nos procédés de guerre sous-marine changeront tous les dix mois, environ. »

C’est qu’en effet les procédés actuels s’usent. D’aucuns prétendent qu’ils sont usés et en concluent que le submersible a épuisé tout son venin. Double erreur : les statistiques, j’entends les authentiques, celles qui ne sont ni truquées par l’Office naval de Berlin [1], ni disposées avec art et ornées de courbes suggestives, comme celles qui s’étalaient, il y a deux mois, dans les grands quotidiens français et anglais, les statistiques, enfin, dignes de ce nom montrent qu’il s’en faut bien que la méthode inaugurée en février 1917 ait perdu son efficacité. Et si j’observe, une fois de plus, qu’il ne faut pas se contenter, pour juger sainement de cette question, de compter les bâtimens coulés qui battaient les pavillons des Alliés, mais qu’il faut absolument y ajouter les « cargos » et les voiliers des neutres, des neutres du Nord, en particulier [2], il me sera bien permis de rappeler qu’à deux reprises, au moins, nos ennemis ont réussi à obtenir les résultats qu’ils recherchent, en attaquant en plein jour des convois de Scandinaves et de Hollandais avec des navires de surface.

Mais ceci ne rentre pas précisément dans le cadre de l’étude actuelle. Pour ne pas m’en écarter davantage, je reviens à la double erreur dont je parlais tout à l’heure, la seconde étant que le sous-marin allemand a fait aujourd’hui à peu près tout le mal qu’il pouvait faire.

Ne nous laissons pas aller à cette illusion. Sans prétendre le moins du monde que l’on puisse annoncer d’avance ce qui va se passer, il est licite et il est même fort utile d’examiner quelles « possibilités » se présentent en ce moment à nos adversaires en ce qui touche l’utilisation de leurs navires de plongée.

J’insiste sur ce mot : possibilités. Dans l’étude qui va suivre, je recherche par quels moyens l’état-major naval de Berlin pourrait augmenter le rendement de ses grands sous-marins, et j’indique par quels autres nous parerions, le cas échéant, les coups qui nous seraient portés. Mais le cas écherra-t-il ? Ce n’est pas du tout certain. Le maximum de rendement est difficile à atteindre, dans la pratique.


Et d’abord, que reste-t-il à nos ennemis de leurs anciens sous-marins, combien en construisent-ils encore, et quelles sont les facultés de ces nouveaux submersibles ?

« Les Allemands, disait, il y a quelques semaines, à la Chambre des Communes, Sir Eric Geddes, le premier lord de l’Amirauté [3], les Allemands coulent encore plus de navires que nous n’en construisons, et ils construisent plus de sous-marins que nous ne leur en coulons. »

Voilà qui est net et cette déclaration, dont personne ne pouvait contester l’autorité, a jeté, un moment, le trouble dans les rangs des optimistes de parti pris qui, pour des motifs très complexes, — il y en a quelques-uns qu’il vaut mieux taire, — se croient obligés de nier, contre toute évidence, l’efficacité actuelle de la guerre sous-marine [4].

Mais les termes lapidaires dont s’est servi le ministre britannique ne nous fournissent que des indications de relation, sans aucun chiffre précis.

Et il faut reconnaître qu’il n’est pas aisé, même en « recoupant » les unes par les autres les évaluations qui nous parviennent des neutres du Nord, de se faire une idée juste, tant des pertes totales subies par la flotte de plongée allemande que des gains que cette flotte a pu faire par des constructions, depuis le commencement d’août 1914, où son effectif s’élevait fort modestement à 27 ou 28 unités de valeur très inégale.

On admet toutefois qu’à la date du 1er janvier 1918, le nombre des submersibles allemands en service s’élevait à 75 ou 80 et, au total, à 130 environ [5]. A la même date, on supposait, avec quelque apparence de fondement, que les chantiers de l’Empire produisaient une unité de plongée par semaine, au moins, — toute réserve faite sur le déplacement ; maison affirmait que la destruction égalait la production, en quoi l’on n’était pas complètement d’accord avec les déclarations faites, en novembre 1917, par sir Eric Geddes.

Certains publicistes de l’Entente n’acceptent pas, disons-le tout de suite, les chiffres que je viens de fournir. Les leurs sont beaucoup plus élevés, en ce qui touche l’effectif actuel, — qu’ils portent à 200, 230 unités, 300 même, — et la production ; un peu moins élevés, en ce qui touche la destruction.

Peut-être la vérité se tient-elle, à son habitude, entre les deux extrêmes.

A quel type, d’une manière générale, se rattachent les nouvelles unités de la flotte sous-marine dont nous venons d’établir approximativement l’effectif ?

Au type du croiseur sous-marin, sans nul doute, au moins pour la plus grande part. C’est ce que je faisais prévoir dans mes précédentes études [6] sur ce sujet. Mais il se peut fort bien que nos adversaires admettent encore l’intérêt d’avoir des unités neuves moins puissantes, ne fût-ce que pour les opérations de défense du littoral de la mer du Nord (Belgique comprise) et, en principe, pour la conduite de la guerre dans les parages où les eaux sont basses, aussi bien que dans ceux où les dispositions extérieures et intérieures des ports se prêtent peu aux mouvemens de navires très longs, relativement peu maniables, en surface, sur des plans d’eau restreints.

Il doit y avoir encore dans la décision que l’on prête, à cet égard, à l’Office de la marine impériale, une raison d’ordre pratique au point de vue des constructions, car il serait fâcheux que l’on ne pût utiliser le chantier d’Hoboken près d’Anvers, et cet établissement, qui a déjà rendu tant de services aux Allemands, construirait difficilement de très grandes unités. Enfin celles-ci ne pourraient se servir des canaux belges pour atteindre la mer. Les voies ferrées ne les accepteraient pas davantage. Et l’on sait que les filets, les mines de Flessingue empêchent un sous-marin d’user de l’Escaut. Espérons-le, du moins...

Mais si l’on peut, si l’on doit admettre la permanence d’un type de submersible de faible déplacement (300-400 tonneaux en plongée) en vue du service spécial de la mer du Nord [7], faut-il penser que les Allemands construisent encore le sous-marin de 800 tonneaux, — type excellent et qui a fait au moins deux ans de guerre à la pleine satisfaction de nos ennemis, — en vue des opérations dans la Méditerranée, par exemple ? Ici, un doute est permis. En tout cas ce type est encore largement représenté dans l’ordre de bataille de la flotte sous-marine de l’Empire, et il rendra toujours de bons services.

Ne faut-il pas, d’autre part, — et comme je l’ai déjà dit ici, — admettre l’apparition très prochaine du sous-marin porteur d’un appareil spécial destiné à couper ou à détruire, par un moyen ou par un autre, les filets qui défendent certains passages et surtout les entrées de nos rades ou de nos ports ? L’intérêt d’atteindre, derrière ces obstacles, les grandes unités de combat à l’ancre est tel qu’on doit croire que toutes les marines poursuivent à cet égard des études et des expériences, d’ailleurs fort délicates. Qui, de nous ou de nos adversaires, arrivera le premier au but ? Nous, je l’espère.

Il n’en reste pas moins que le trait caractéristique de la phase de la guerre sous-marine dans laquelle nous allons entrer doit être cherché dans l’utilisation du très grand submersible, le « croiseur sous-marin » à grand rayon d’action.

Et pourquoi ? Parce que la politique de guerre navale actuelle de l’Allemagne est, avant tout, d’entraver le plus possible et, sinon de paralyser, du moins de retarder la concentration en Europe de la puissante armée qui se forme en Amérique et dont une très forte avant-garde est déjà à pied d’œuvre sur le front occidental.

Est-ce à dire que le blocus commercial, le blocus économique des alliés de l’Ouest, sera relégué au deuxième plan ? Peut-être pas. Il faut considérer que le blocus peut s’exercer avec fruit sur toutes les routes de navigation de l’Atlantique nord, puisque aussi bien tant de denrées, de matières et d’objets confectionnés nous viennent des deux Amériques et qu’au demeurant les eaux européennes de l’Atlantique conduisent à beaucoup de nos ports et à tous ceux de la Grande-Bretagne les navires qui viennent de la Méditerranée, du canal de Suez, de l’océan Indien par le cap de Bonne-Espérance ; du Pacifique enfin, soit par le même cap, soit par le détroit de Magellan ou le cap Horn, sans parler du Canal de Panama.

Il est donc fort possible de combiner les mouvemens des grands submersibles opérant dans l’Atlantique Nord de façon qu’ils satisfassent aux deux objectifs : contrarier les convois militaires d’Amérique ; couler les « cargos, » paquebots et voiliers dont l’incessant afflux ravitaille et réapprovisionne les Alliés.

Et maintenant, ce type nouveau de croiseur sous-marin, quelles caractéristiques essentielles présente-t-il ? Quelles sont ses principales facultés ? A quelles opérations peut-il servir, en dehors de la poursuite et de la destruction des paquebots et transports, naviguant isolément ou en convois ?

Logiquement et s’il s’agit bien, en effet, d’un « croiseur » sous-marin, la faculté dominante de ce bâtiment doit être l’étendue du rayon d’action. Il est difficile de fixer un chiffre de milles marins à ce sujet, d’autant mieux qu’une telle indication devrait varier singulièrement avec les prévisions de marche en plongée [8], la dépense de combustible étant, dans cette circonstance, beaucoup plus forte que dans le cas de la marche en surface, à moins que l’on ne se résigne à une allure très lente. On estime généralement, toutefois, que les unités dont il s’agit peuvent rester à la mer pendant trois ou quatre mois. Ce n’est pas considérable, encore que suffisant pour les opérations dans l’Atlantique. Il est d’ailleurs bien entendu que les Allemands s’efforceront de procurer à leurs grands submersibles des ravitaillemens en cours de croisière. En 1915 et 1916, ces ravitaillemens auraient pu se faire en certains ports ou en certains abris écartés, sur le territoire de neutres assez complaisans pour fermer les yeux. Les « possibilités » dont bénéficiaient nos ennemis à cet égard se sont restreintes de beaucoup depuis un an ou dix-huit mois, mais il leur reste toujours la faculté des ravitaillemens à la mer, dans la mesure où les croisières des Alliés laisseront passer les « cargos » à l’aspect banal et innocent, qui seront chargés de cette dangereuse besogne.

Toujours est-il que nos adversaires ont dû faire tout au monde pour obtenir de leurs croiseurs submersibles une exceptionnelle endurance. Ils ont eu pour cela de pressantes raisons : ces grandes unités sont nécessairement en nombre relativement restreint ; il faut donc que le rendement effectif de chacune de leurs croisières ne soit pas diminué par de trop fréquens voyages d’aller et de retour, — sans parler de l’inévitable séjour dans les ports de la métropole, où l’on a toujours des réparations, des modifications à faire, des mutations de personnel à opérer et quelques semaines de repos, de reconstitution physique et morale, à donner à l’état-major et à l’équipage.

Ajoutez à cela que, pour un sous-marin de très grande taille, — j’ai eu déjà l’occasion d’en faire l’observation ici [9], — c’est une phase critique, encore que courte, de sa croisière, que celle de la navigation dans les eaux basses des côtes allemandes. Dès qu’il arrive dans les zones de fonds de 15 à 20 mètres, ou tant qu’il ne les a pas dépassées en sortant du port, il est obligé par ses dimensions, précisons : par l’étendue de la marge de sécurité qu’exigerait, pour lui, la marche en plongée, de se tenir à la surface et de marcher au moins en « demi-plongée, » manches d’aération et peut-être capot de commandement hors de l’eau. Autant de points fort visibles pour les patrouilleurs ennemis, — si ceux-ci osent se rapprocher des côtes, — en tout cas pour les appareils aériens, qui deviennent tous les jours plus indiscrets et plus dangereux.

Ce sont là des considérations pratiques d’une incontestable importance et qui eussent dû peser depuis longtemps dans l’esprit de tous ceux qui avaient à étudier les problèmes de la guerre sous-marine et de la guerre de côtes, ce dernier si fâcheusement négligé depuis trois ans et demi [10].

Mais revenons aux caractéristiques du très grand sous-marin allemand. Sa vitesse est généralement évaluée à 21 nœuds en surface et 12 en plongée. Il peut paraître pauvre, pour un croiseur, de ne filer que 21 nœuds au maximum et à la surface. Remarquons du moins que, s’il s’agit de se soustraire à la poursuite des grands croiseurs ordinaires, lesquels donnent aisément 5 ou 6 nœuds de plus, le croiseur sous-marin conserve toujours la faculté de plonger.

Cette opération sera-t-elle assez rapide en certains cas pressans, alors que les exigences générales du rôle de croiseur du large auront nécessairement conduit à donner au bâtiment considéré une assez grande flottabilité ? La question se pose. D’après certains renseignemens, les ingénieurs allemands l’auraient résolue par la mise en jeu de procédés particulièrement rapides de remplissage des ballasts. Il se peut. En tout cas, les vitesses (surface et plongée) que j’indiquais tout à l’heure d’après de sérieuses autorités semblent très satisfaisantes pour la poursuite et pour la destruction des convois, dont l’allure est toujours peu rapide. A ses facultés de marche, le croiseur allemand joindra d’ailleurs peut-être quelques ruses tactiques dont nous reparlerons.

Quel sera l’armement ? On sait que les sous-marins de 1 200 à 1 500 tonneaux (en plongée) ont déjà du 150 millimètres. Les derniers venus consentiront-ils à prendre un plus fort calibre, comme pièce principale ? C’est possible [11]. Le poids du projectile serait ainsi augmenté.

Faisons toutefois des réserves sur la longueur de l’âme de la bouche à feu. Il se peut que l’on se réduise, pour des raisons d’encombrement, de 40 calibres, — longueur minima pour les pièces des navires de surface, — à 35 ou 30, seulement. Il se peut même qu’on descende plus bas et que l’on ait ainsi plutôt des obusiers, si l’on s’attache à l’idée des bombardemens effectués par surprise, soit sur les établissemens à terre, soit sur les navires à l’ancre.

Quant aux torpilles et aux mines automatiques, nul doute que les croiseurs sous-marins n’en soient bien pourvus et du dernier modèle. En ce qui concerne les torpilles, on parle beaucoup d’un type agrandi qui pèserait 1 100 kilos environ, porterait une charge de 160 kilos de trinitrotoluène et pourrait atteindre avec des chances de succès un but distant de 9 000 mètres, ce qui est beaucoup, assurément. Mais, dans cet ordre d’idées, il faut s’attendre à des progrès continuels de la part de nos ennemis et compter que nous en faisons d’au moins équivalens.


Il y a déjà plusieurs mois que les neutres nous annonçaient que les sous-marins allemands renonçaient en principe aux opérations individuelles et qu’ils commençaient à se grouper pour combiner leurs efforts dans certains cas, l’attaque des convois par exemple. On doit admettre que l’expérience sera poursuivie avec des combinaisons variées ayant pour objet d’attirer l’escorte sur un point du convoi, tandis que le gros de l’escadrille de plongée en attaquera à fond un autre.

Mais dans la lutte probablement décisive qui s’apprête entre convois escortés et groupes de sous-marins [12], ceux-ci, qui ne peuvent compter que des radiotélégrammes complaisans les renseigneront toujours sur la route adoptée par les transports chargés de troupes ou de matériel, doivent chercher à utiliser de nouveaux et à peu près sûrs moyens d’information.

La mise en jeu d’appareils aériens se présente naturellement à l’esprit, au moins pour révéler à 40 ou 50 milles de distance, — et ce serait assez pour que le groupe sous-marin pût se rassembler et prendre son dispositif d’attaque, — l’approche d’un convoi important, marchant à la vitesse moyenne de 9 nœuds. Mais il n’existe point jusqu’ici d’appareil aérien autonome et susceptible de tenir croisière en haute mer sans le concours d’un bâtiment de surface du genre de ceux que les marins nomment familièrement « mères gigognes. » Le navire volant, aboutissement inévitable de l’hydravion, est entrevu [13], mais point encore réalisé. Et, d’autre part, il n’est pas facile d’admettre que les Allemands puissent attacher une mère gigogne d’hydravions à un groupe de sous-marins, sans attirer rapidement l’attention et provoquer la poursuite des croiseurs alliés, — à supposer encore que ce bâtiment, nécessairement assez gros, eût réussi à franchir sans fâcheuse rencontre les lignes des patrouilleurs et éclaireurs anglais de la mer du Nord.

Serait-il donc absolument impossible que chaque croiseur sous-marin eût son hydravion qui, reposant sur sa superstructure, bien saisi et les ailes repliées ou démontées, courrait avec lui les chances de la navigation en plongée et qui, peu de temps après l’émersion du bâtiment, serait prêt à prendre son vol ? Si cela était possible, — et l’on ne voit pas, théoriquement, pourquoi il n’en serait pas ainsi [14], — une escadrille d’appareils aériens jouerait, à l’égard du groupe de croiseurs submersibles, dont l’horizon restera toujours borné, le rôle de rapides « découvertes » et d’éclaireurs à grande distance. Il est vrai que les observateurs du convoi, ou plutôt des navires d’escorte placés en pointe d’avant-garde, ne tarderaient pas à reconnaître les indiscrets que révélerait tout d’abord le bruit de leurs moteurs ; mais il ne suffit pas d’être prévenu de l’imminence du péril, il faut encore savoir d’où il viendra et comment il se présentera. L’avantage, pour les grands sous-marins, d’avoir tout le temps nécessaire pour concerter leurs combinaisons tactiques l’emporte sur l’inconvénient d’avoir affaire à des adversaires prévenus d’une attaque prochaine, d’autant mieux que toutes les dispositions de combat seront toujours prises dans un convoi militairement escorté.

Observons d’ailleurs qu’une fois le contact pris et l’engagement commencé, les hydravions auxiliaires des sous-marins y joueront un rôle efficace en laissant tomber leurs bombes sur les bâtimens du convoi et même, s’ils peuvent descendre jusque assez près de l’eau, en mitraillant le personnel de direction de chaque unité, placé sur les passerelles.

Ce dernier point mis à part, l’attaque par les bombes des appareils aériens se préoccuperait peu des moyens fumigènes de la défense, les gaz employés en pareil cas étant généralement assez lourds.

Enfin, le combat terminé, les hydravions se rendraient à un « rendez-vous à la mer » convenu à l’avance ou signalé par les croiseurs sous-marins au moyen de la télégraphie sans fil. Qu’on n’objecte pas la difficulté, pour leurs observateurs, de faire le point, il leur suffirait de marcher dans une direction connue pendant un temps connu dépendant de leur vitesse, suffisamment connue aussi. Des signaux, lumineux ou autres, émanés des croiseurs, feraient le reste. Tous ces problèmes peuvent être aisément résolus.


Je ne prétends nullement borner là les moyens d’action nouveaux que nos ennemis mettront peut-être à la disposition de leurs grands submersibles. Il faudrait en tout cas dire quelques mots de l’armement défensif que ces croiseurs, fréquemment appelés à combattre en surface, — ne fût-ce que contre les « cargos » armés qui ne leur paraîtront pas valoir une torpille, engin coûteux et rare, — opposeront aux projectiles à trajectoire relativement tendue, sinon aux bombes tombées verticalement des aéroplanes ou des dirigeables. On admet volontiers en ce moment que les « 2 500 tonneaux » (ou plus) des Allemands sont pourvus d’une cuirasse de superstructure, ce dernier mot s’appliquant aux parties du bâtiment qui émergent d’une manière normale lorsque le croiseur accepte la lutte au canon. Peut-être encore, au lieu d’un revêtement métallique plus ou moins épais, s’agit-il de caissons très cloisonnés, de véritable cellules, comme celles qui se partagent l’intervalle entre les deux coques, dans les fonds des navires de surface. Cette dernière solution aurait l’inconvénient, sensible pour la marche en plongée, de développer d’une façon marquée le maître couple du bâtiment, tout en l’alourdissant presque autant que la première. N’en disons pas plus, avant d’être exactement renseignés. Ne précisons pas davantage au sujet du type des moteurs de surface et de plongée, si tant est que les constructeurs allemands n’aient pas résolu le problème du moteur unique [15], et bornons-nous à rappeler que les plans d’un submersible de 2 500 tonneaux avaient été fournis par un de nos ingénieurs à la marine française, il y a une dizaine d’années. Ce projet devait se heurter à l’indifférence ordinaire, à certaines mauvaises volontés particulières, peut-être, en tout cas à l’incompréhension générale des caractères que devait affecter la guerre navale future, alors qu’on ne s’attachait qu’à la solution des problèmes relatifs à la guerre d’escadres.

En sera-t-il de même du grand sous-marin commercial ou « transport immersible » dont il est question en ce moment-ci ? Cette création qui apparaît si urgente quand on connaît certaines pertes récentes de matières relativement précieuses, pourra sans doute être soustraite à des influences retardatrices. Je ne fais allusion, ici, à cette importante affaire qu’en raison de la possibilité de l’adoption, — et depuis quelque temps déjà, — d’un type de ce genre par l’Office naval de Berlin.

Supposons un groupe composé de quatre croiseurs sons marins et d’un transport immersible de 8 000 à 10 000 tonnes [16] qui leur servirait de « noyau, » de base mobile, — ravitaillemens de toute sorte, réparations, réapprovisionnemens en engins et munitions, renforts en personnel, etc., — on peut affirmer que nos ennemis auraient ainsi réalisé une « unité tactique » vraiment forte, surtout si, au transport immersible exclusivement ravitailleur, venait s’en ajouter un autre qui porterait plusieurs centaines d’hommes outillés pour l’exécution de coups de main rapides et de destructions bien étudiées.

Ne doutons pas un instant, — et les Allemands nous en ont déjà administré la preuve, — que les navires de plongée jouissent de facultés particulièrement favorables aux opérations côtières, à celles du moins où la surprise fournit les plus sérieuses chances de succès. De ces facultés, nous saurons nous servir aussi bien que nos ennemis.


Nous avons essayé de déterminer, en même temps que la physionomie de la phase ultime de la guerre sous-marine, où les opérations de l’ordre militaire se combineront étroitement avec celles de l’ordre économique, les traits essentiels des engins grâce auxquels les Allemands comptent peut-être atteindre leurs très complexes objectifs. Examinons maintenant, avec la réserve nécessaire, par quels moyens les Alliés pourront se mettre en mesure de soutenir la lutte sans désavantage ; et supposons, bien entendu, puisque, jusqu’ici du moins [17], on ne semble pas disposé à faire autre chose que de la « défensive active, » qu’il s’agit toujours, dans les conseils des organismes maritimes officiels, de poursuivre et combattre les sous-marins ennemis au cours de leurs opérations en haute mer.

Qu’il soit nécessaire d’élever de plusieurs échelons la valeur des moyens de la défense pour répondre aux incontestables progrès des moyens de l’attaque, c’est ce que je ne m’arrête pas à démontrer. Aussi bien les organismes dont je viens de parler s’y sont-ils efforcés déjà, mais sans nul doute avec trop de timidité, desservis peut-être aussi par certaine insuffisance des capacités de la production industrielle, si « intensifiée, » cependant, depuis trois ans.

II semble que ce soit du côté de l’aviation maritime que cette insuffisance risque surtout de se révéler. On a pu, assez longtemps, contester l’efficacité des appareils aériens pour la découverte et la destruction des unités de plongée et, pour ma part, j’ai eu l’occasion de faire remarquer que cette efficacité restait « circonstancielle, » dépendant par exemple de la limpidité de l’eau, de la clarté de l’atmosphère, de la valeur de l’angle, — compté à partir de la verticale, — sous lequel le rayon visuel de l’observateur pouvait rencontrer la coque immergée, et de bien d’autres conditions encore. Mais outre qu’en fait, l’aéronef et l’aéroplane ont fait déjà leurs preuves dans toutes les opérations entreprises contre les sous-marins au voisinage des côtes, il n’est pas douteux que ces appareils ne dussent avoir des succès tout particuliers contre les grands navires de plongée, fort visibles probablement dans les eaux cristallines du large, n’était la considération de la capitale difficulté de découvrir précisément, en planant sur l’Océan immense, l’un des douze ou quinze croiseurs sous-marins, — il n’y en aurait guère plus, à la fois, — chargés par l’ennemi d’attaquer les convois de troupes et de matériel.

Difficulté capitale, dis-je, mais point insurmontable. Point insurmontable, tout d’abord, parce qu’il suffit ou semble suffire d’attacher à chaque convoi au moins une de ces « mères-gigognes » dont j’ai déjà parlé, parcs mobiles de plusieurs hydravions. Mais cette solution, théoriquement simple, ne laisse pas d’offrir des inconvéniens dans la pratique, puisqu’il y a, en somme, peu de ces bâtimens spéciaux et qu’il n’est pas aisé d’en créer « de fortune, » par l’adaptation de grands paquebots à un service qui exige des dispositions de superstructure, de ponts, d’œuvres mortes très particulières, surtout quand les appareils aériens doivent être de forte taille.

Tout compte fait, il est pourtant permis d’espérer que l’on arrivera de cette manière à fournir aux convois ce que j’appellerai la protection immédiate et rapprochée... pas trop rapprochée non plus, puisque la portée efficace des torpilles croît toujours et qu’un convoi, attaqué sous un certain angle, fournit une cible étendue et complaisante.

Mais ce n’est pas assez que cette protection immédiate et par cela même aléatoire. Parer les coups est bien. Les éviter est mieux, déjà. Mieux encore serait d’en écarter même la menace, par un emploi des engins de l’air beaucoup plus large que celui dont il était question tout à l’heure.

Pour bien comprendre comment on pourrait faire avec les appareils aériens, non plus seulement de la protection immédiate, mais de la protection lointaine, ayant pour objet général de créer aux convois des zones de sécurité, — sécurité toujours relative, bien entendu, et qui ne dispensera nullement de l’emploi des engins de protection immédiate, — il faut jeter les yeux sur un planisphère et les fixer sur les points, îles, groupes d’îles, saillans de la terre ferme, qui se trouvent les plus rapprochés des routes naturelles de la navigation entre les deux rives de l’Atlantique. On découvre ainsi que le faisceau de ces routes est encadré d’une manière presque complète par des points à terre qui en restent distans de 600 milles marins environ (1 100 kilomètres), points à terre qui appartiennent aux Alliés.

Tels, en partant du cap Hatteras, par exemple, le cap Cod ou le cap Sable, voisin d’Halifax (le grand port d’Acadie, si éprouvé récemment), puis le cap Race de Terreneuve, avec, en face dans le Sud, les Bermudes où les Anglais ont un important arsenal maritime.

Telles, en plein milieu de l’Atlantique Nord, les Açores portugaises, si précieuses par leur admirable position stratégique autant que par leurs ports de Punta Delgada et de Fayal.

Tels enfin, en allant toujours dans l’Est, le Cap Clear ou le Mizenhead d’Irlande, dans le Nord, avec Oporto du Portugal dans le Sud du faisceau ; Oporto, faute du cap Finisterre qui reste en terre neutre, l’Espagne.

II ne manque pour l’encadrement complet qu’un point correspondant, dans le Nord de nos routes de navigation, à celui que fournissent les Açores dans le Sud. On parerait à l’inconvénient de cette lacune, disons-le tout de suite, en organisant vers le 45° de latitude Nord et le 24° de longitude Ouest, des croisières particulièrement serrées de bâtimens rapides. Ne nous occupons ici que de préciser quelles pourraient être les garanties générales de sécurité offertes dans le reste de cette zone encadrée et d’examiner par quels moyens nous y pourvoirions à la défense des convois qui la parcourraient.

Ce serait encore par la combinaison des facultés des navires de surface, des grands appareils aériens relativement autonomes et des navires de plongée de forte taille, — ou du moins de grand rayon d’action, — que nous obtiendrions le résultat que nous recherchons.

Ne disons rien des navires de surface rapides. De ce côté-là, Angleterre, Amérique et France ont fait et font encore un effort fructueux, aussi bien au point de vue du nombre qu’à celui de la valeur des unités. A peine pourrait-on observer qu’un peu plus de puissance offensive et défensive [18] ne serait pas inutile aux types adoptés, s’il est vrai, comme il y a tout lieu de le croire, répétons-le, que les croiseurs sous-marins allemands de 2500 tonneaux et plus soient remarquablement armés et assez sérieusement protégés par une forte tôle d’acier spécial, — 12 millimètres, dit-on, — sur la tôle ordinaire de bordé de superstructure, qui a de 9 à 11 millimètres, sans doute.

Mais les appareils aériens de grande taille et capables de faire des randonnées de 2 000 kilomètres, aller et retour compris, de leur base à terre au milieu de la zone ou « bande de mer » de sécurité, les avons-nous, ou plutôt les aurons-nous au moment du plus grand besoin, quand battra son plein le transport des masses américaines, c’est-à-dire à partir de l’été ou de l’automne prochain ? C’est à ce sujet que j’émettais un doute, tout à l’heure, quand je parlais de la révélation, d’ailleurs hypothétique et momentanée, de certaine insuffisance des capacités de production industrielle des Alliés. On se rappelle en effet, les promesses qu’on nous faisait, il y a quelques mois, en parlant des aéroplanes qu’allaient nous fournir les États-Unis : 30 000 appareils, disait-on, et quelques enthousiastes poussaient jusqu’à 100 000.

Or, il y a quelques semaines, un éminent publiciste américain, M. Whitney Warren, tenait un autre langage : « Quant aux cent mille aéroplanes, disait-il, je ne crois pas qu’à l’heure actuelle un seul d’entre eux [19] ait encore traversé les mers. Mes informations me conduisent à prétendre, au contraire, que c’est nous qui, pour les besoins de notre armée à venir, avons passé des commandes aux usines alliées... »

M. Whitney Warren ne s’en tient pas à ces constatations dont la bienfaisante franchise a ému ceux d’entre nous que sollicite une inconsciente tendance au « moindre effort. » Le clairvoyant Américain nous dit aussitôt ce qu’il faut faire, des deux côtés de l’Atlantique, pour venir rapidement et complètement à bout de nos difficultés. N’insistons donc pas davantage ; soyons bien convaincus que des conseils si judicieux seront suivis. Entre autres appareils aériens produits, soit en Amérique avec l’aide de la France sur certains points particuliers, soit en France avec le secours d’un personnel américain et au moyen d’objets de matériel ou d’outillage spéciaux [20], on verra planer dans le ciel l’aéroplane géant qui tiendra l’air assez longtemps pour entreprendre de véritables croisières dans une section déterminée de la bande ou zone maritime de sécurité que nous avons définie plus haut.

Ne demandons pas trop, d’ailleurs, pour le début. L’exigence serait grande que cet appareil fût complètement autonome et que ses explorations fussent de longue durée. Une telle prétention ne serait soutenable que si l’on se décidait, pour le cas qui nous occupe, à revenir au type de l’aéronef, du « dirigeable, » ce qui, au demeurant, peut fort bien se défendre, mais exigerait de plus longs travaux, des installations plus compliquées aux bases extérieures dont je demande la création ; ou bien encore si on arrivait à bref délai à produire le « navire volant » que je signalais plus haut à l’attention du lecteur. Pour le début, répétons-le, il est convenable de ne prévoir que la mise en jeu d’appareils ne s’écartant des types d’aéroplanes ou d’hydravions déjà connus que par des dimensions plus fortes et des facultés d’endurance beaucoup plus étendues. Mais il résulte de ceci que le nombre de ces appareils devra être sensiblement plus grand que celui des « navires volans, » par exemple, susceptible de tenir la mer par temps maniable, aussi bien que l’air et, donc, de s’y reposer, tout en économisant le précieux combustible ; beaucoup plus grand aussi que celui des dirigeables, où les conditions d’existence du personnel sont beaucoup plus favorables, et dont le rayon d’action peut atteindre une longueur assez considérable. Il résulte encore et surtout, de la nécessité de se tenir pour le moment au type général de l’aéroplane, qu’il faut que les croisières de ces appareils se lient étroitement avec celles de grands bâtimens de surface qui, répartis en nombre convenable sur le faisceau normal des routes de l’Atlantique, d’une part y exerceraient eux-mêmes une surveillance active, de l’autre serviraient de « relais » aux grands avions ou hydravions en reconnaissance [21].

Telles sont, me semble-t-il, les données générales du problème de l’application des facultés des appareils aériens à l’organisation de la zone de sécurité des grands convois américains. Reste à dire quelques mots de la coopération des navires de plongée, dans ce cas particulier, avec les navires de surface et les aéroplanes, avec ces derniers surtout.

On sait, d’une manière générale, — et je le rappelais implicitement en proposant l’avion satellite immédiat du sous-marin, le « pilote » du requin qui se trouverait être un poisson volant, — on sait, dis-je, qu’une étroite solidarité peut s’établir entre navire de plongée et appareil aérien, qui nous apparaissent plutôt en ce moment comme foncièrement antagonistes. L’éminent amiral Percy Scott l’avait dit prophétiquement à la fin de 1913, lorsqu’il avait donné au Times la retentissante interview qui sonna le premier glas des engins et des méthodes de guerre de l’ancienne marine : « ... Des escadrilles combinées de sous-marins et d’aéroplanes chasseront vos « dreadnoughts » de la mer du Nord, » etc. [22].

Or, ne peut-on concevoir cette solidarité, cette combinaison de facultés si diverses, s’exerçant autrement qu’en vue de la destruction des grandes unités de surface, et s’exerçant au détriment même du sous-marin, aidant par exemple un submersible de taille moyenne à découvrir et combattre un submersible de grand déplacement ?

Il me semble que oui. Remarquons tout d’abord que le croiseur sous-marin de 2 500 tonneaux qui fait le principal objet de nos réflexions, ici, est déjà un navire de fortes dimensions qui, s’il veut pouvoir prolonger sa croisière de manière à fournir un rendement avantageux, doit naviguer presque toujours en surface, n’usant de la plongée que pour sa dernière marche d’approche et dans le cas seulement où il estime que le combat d’artillerie ne lui serait pas favorable. Ce navire est donc, le plus souvent, justiciable de l’attaque d’un autre sous-marin par la torpille, à la seule condition que ce dernier puisse se placer sur sa route abonne portée sans avoir été aperçu. C’est une chance, d’ailleurs, sur laquelle il est d’autant plus raisonnable de compter que le grand submersible, eût-il même plus de 2 500 tonneaux, sera encore, dans son assiette normale d’émersion, un navire bas sur l’eau, relativement peu favorisé, par conséquent, pour la découverte d’un périscope lointain, tant qu’il n’aura pas de cerf-volant ou d’avion satellite.

J’ajoute qu’il ne semble pas impossible, — les limites du possible ne reculent-elles pas tous les jours, en ce moment ? — d’admettre qu’avec l’aide d’un appareil aérien exactement adapté aux exigences de ce rôle particulier, le sous-marin, en général, et à quelque type qu’il appartienne, ne devienne le pire ennemi du sous-marin lui-même, sans attendre que des appareils spéciaux fondés sur la propagation du son, sur celle des ondes électriques ou magnétiques, ne révèlent réciproquement à ces frères devenus ennemis non seulement l’approche, mais le gisement et la distance de l’adversaire.

Loi générale, d’ailleurs, et sans doute extension de celle du talion, que ce retour contre lui-même de tout engin de guerre...


Revenons à l’actuelle réalité et concluons.

Les Alliés sont-ils en état de parer au danger que vont leur faire courir les nouveaux croiseurs sous-marins allemands ? Sont-ils suffisamment outillés pour la protection des grands convois de troupes dans l’Atlantique, en même temps que pour la défense de leurs arrivages de denrées, matières premières et objets confectionnés ?

J’espère que oui, mais j’avoue que je ne considère pas comme tout à fait suffisantes à ce sujet les assurances que les organes officieux nous prodiguent, pas plus que celles qui nous viennent de personnalités « autorisées, » assurément, — M. l’amiral lord Jellicoë, par exemple [23], — mais dont l’optimisme très confiant recule de jour en jour la date où les petits moyens actuellement employés, à la vérité, sur une fort grande échelle, nous débarrasseront décidément des sous-marins ennemis.

Le temps s’écoule. J’ai eu l’occasion de dire qu’il ne me paraissait pas travailler toujours pour nous. Les événemens se chargent d’en faire la preuve. Que de mois, que d’années même, déjà, perdus parce que les gouvernans n’ont pas eu, une fois pour toutes, dès le début de la dangereuse guerre sous-marine, l’énergie de mettre les organismes maritimes en demeure d’entreprendre des opérations parfaitement réalisables, quoi qu’on en ait voulu dire, et qui le sont toujours, je ne me lasserai pas de l’affirmer ; parce que, aussi, les chefs militaires n’ont pas suffisamment compris quelle allait être la capitale importance d’une méthode de guerre dont leurs grands devanciers ont cependant reconnu la haute valeur, les attaques continues sur les lignes de communications de l’adversaire !...

J’ai apporté, dans ces quelques pages, ma contribution à l’étude des moyens d’action directe contre les navires de plongée au cours de leurs opérations à la mer, c’est-à dire à l’étude, au fond, de moyens purement défensifs, dont il ne convient point, certes ! de se désintéresser. Ceux que je propose auraient, je crois, l’avantage de nous couvrir d’avance contre les effets de ce « maximum de rendement » des grands sous-marins dont je parlais au début de mon travail et que les Allemands ne sont pas du tout assurés d’obtenir, je le répète. Mais, plus efficace encore, la méthode offensive, celle qui, entre autres manifestations, se traduirait par l’occlusion successive des estuaires allemands et des débouchés de la Baltique, et nous donnerait une plus prompte victoire sur ces engins à l’action desquels l’ennemi attache tant d’espoirs.


Contre-amiral DEGOUY.

  1. Les Scandinaves ont, il y a quelques semaines, examiné les comptes de cet Office naval, au sujet des pertes du tonnage mondial, avec une rigoureuse attention, et ils ont découvert, par exemple, au nombre des navires coulés, un petit vapeur qui faisait un service régulier sur le lac Wener, en Suède.
  2. Et aussi des Espagnols, depuis quelques semaines.
    Une statistique officielle danoise nous apprend que Danois et Norvégiens réunis ont perdu 1 274 000 tonnes depuis le début de la guerre. 55 navires disparus ne sont pas comptés dans cette évaluation du tonnage détruit par les Allemands. Fait intéressant et qui corrobore singulièrement tout ce que j’ai écrit ici sur cette question, 643 000 tonnes sur 1 274 000 ont été coulées dans la seule année 1917.
  3. Saisissons l’occasion de rappeler que le premier lord de l’Amirauté (personnage civil et membre du Parlement depuis Gladstone) est exactement notre Ministre de la Marine. Le premier lord naval est notre chef d’état-major général. L’Amirauté comprend encore trois autres lords, qui jouent le rôle de directeurs des grands services.
  4. Il est juste de dire que, au début de février de la présente année, sir Eric Geddes a fait des déclarations assez rassurantes sur la situation, au moins en ce qui touche la marine anglaise et ses constructions.
  5. Il faut compter en effet, quand il s’agit des unités de plongée, avec de nombreuses causes d’indisponibilité, momentanée au moins. Les réparations sont fréquentes Les périodes de repos des équipages sont assez longues et le deviennent de plus en plus. Enfin la formation même des équipages commence à présenter des difficultés.
  6. Voyez la Revue des 15 novembre 1915, i« avril 1916. 15 août 1916, 15 décembre 1916, 15 janvier 1917, 1er juin 1917.
  7. Le Daly Telegraph du 12 janvier compte le type en question au nombre de ceux de la flotte de plongée allemande, en tout cas comme porteur de mines.
  8. Reconnaissons d’ailleurs que ces prévisions peuvent être assez réduites pour le type qui nous occupe ; on verra pourquoi par la suite
  9. Voyez dans la Revue du 15 novembre 1915, La variété des types de sous-marins.
  10. On ne peut assez dire combien il est regrettable que les Alliés d’Occident. n’aient jamais voulu envisager sérieusement les avantages de toute espèce qu’ils auraient tiré de l’occupation des îles allemandes du chapelet de la Frise orientale.
  11. La maison Krupp construit aussi des pièces de 170 et 190 millimètres. Les Allemands ont autrefois employé des canons de 170 millimètres sur leurs bâtimens de combat, les croiseurs, en particulier. Aujourd’hui ils passent directement du 150 au 210.
  12. On apprend, à la date du 20 janvier, qu’un navire américain a rencontré à quelques heures d’intervalle et en moins d’une journée quatre submersibles allemands. Il semble bien que ces quatre unités formaient un groupe tactique.
  13. J’en ai déjà parlé dans la presse quotidienne depuis plusieurs mois, et je crois pouvoir affirmer que l’idée n’a rien de chimérique.
  14. J’ai à peine besoin de dire que je me suis renseigné auprès de techniciens compétens avant d’émettre cette proposition. Il n’y a pas d’empêchement dirimant à la réalisation pratique de la combinaison avion-grand sous-marin. Toutefois certaines conditions paraissent indispensables, entre autres le choix du type « hydravion, » au lieu de celui de l’avion ordinaire, parce qu’il faut que l’appareil « amerrisse » auprès du croiseur sous-marin (qui l’embarquera avec un appareil spécial de levage), en raison de la difficulté, à la mer, de l’atterrissage sur une surface aussi peu étendue que celle de l’arrière d’un navire de ce genre. Il paraît aussi désirable que l’appareil soit enfermé dans un compartiment facilement rendu étanche de la superstructure. Le démontage qui résulte de cette condition n’effraie pas du tout les constructeurs. Le poids envisagé pour l’appareil aérien se réduit à 1 000 ou 1 200 kilos. Un jeu de ballasts permettra toujours au croiseur sous-marin de rétablir son assiette troublée par le départ et la rentrée de l’hydravion. — Notons que la solution « cerf volant » serait insuffisante pour les opérations qui nous occupent. Il faut voir à cinquante milles au moins et non à dix. Cependant, je me hâte de le dire, ce « pis aller » rendrait encore des services au croiseur sous-marin.
  15. Voyez dans la Revue du 15 novembre 1915, la Variété des types de sous-marins, et du 15 août 1916, le Sous-marin allemand de « Baltimore »
    Je dois dire, toutefois, que l’on n’admet pas aisément, chez les marins de l’Entente, que les Allemands aient en ce moment des sous-marins à moteur unique.
  16. Ces chiffres peuvent paraître ambitieux, mais je puis affirmer que les diverses questions que soulève ici l’étude du grand transport immersible vont recevoir une solution satisfaisante. Des propositions ont été faites aux pouvoirs publics ; mais, d’une part, les bouleversemens qu’a subis dans ces derniers temps l’organisme marine marchande, de l’autre, les résistances assez naturelles, en somme, que l’on rencontre dans l’organisme marine de guerre contre tout ce qui n’est pas expressément instrument de combat ont un peu retardé les décisions indispensables. Observons enfin que le transport immersible peut justement devenir instrument de guerre, pour nous autant que pour nos adversaires.
  17. Au moment où j’écris, toutefois, on apprend que les services de l’Amirauté britannique subissent une refonte qui a pour but avoué de donner un esprit nouveau à cette antique institution.
  18. Rappelons à ce sujet le remarquable type des croiseurs cuirassés légers des Anglais (classes Arlehusa et Cordelia) qui, avec une protection déjà sérieuse, — 16 millimètres d’acier spécial, — ont un armement de 22.152 millimètres, 66.102 millimètres, 2 tubes lance-torpilles et 30 nœuds de vitesse, le tout pour un déplacement de 3 500 tonneaux.
  19. Je crois savoir cependant qu’il nous est arrivé déjà des appareils américains en assez grand nombre.
  20. Ce personnel et cet outillage seraient surtout utiles en ce qui touche les réparations d’appareils sur le front. Il y aurait là, paraît-il, une certaine insuffisance de moyens qui entraîne des pertes assez sensibles d’appareils, de moteurs en particulier. Mais, ce point réglé, il restera plus de ressources pour construire les grands appareils nouveaux dans des usines à qui l’on demandera moins d’avions ordinaires.
  21. Relais et réapprovisionnemens. Seulement, on ne peut concevoir immédiatement l’appareil aérien se ravitaillant en combustible à la mer que s’il appartient au type hydravion, de façon à pouvoir se poser sur l’eau près du navire de surface, si l’état de la mer lui permet d’appareiller de nouveau.
  22. Je n’ai pas besoin de dire qu’il s’agissait des dreadnoughts d’alors, non pourvus des moyens de défense contre la torpille et les mines qu’ils possèdent aujourd’hui.
  23. Lord Jellîcoë nous promet la fin de la guerre sous-marine pour août prochain.