La Guerre du Pacifique
Revue des Deux Mondes3e période, tome 63 (p. 406-433).
◄  02
LA
GUERRE DU PACIFIQUE

III.[1]
BLOCUS DU CALLAO. — EXPÉDITION DE LYNCH. — CAMPAGNE DE LIMA. — BATAILLE DE CHORRILLOS. — BATAILLE DE MIRAFLORÈS. — CHUTE DE LIMA. — INCENDIE DE LA FLOTTE PÉRUVIENNE. — NÉGOCIATIONS DE PAIX.

Victorieux sur mer et sur terre, maître d’Iquique et de l’océan, le Chili venait d’écraser à Tacna et à Arica l’armée péruvienne, dont les débris se repliaient en désordre sur Arequipa. A Lima, la première nouvelle de ces désastres ne rencontra tout d’abord que des incrédules. On ne pouvait admettre qu’une armée retranchée dans une situation en apparence inexpugnable, abritée derrière des fortifications hérissées d’artillerie, eût cédé sous le choc de troupes harassées par une marche de plus de trois mois dans des déserts de sable, décimées par les fièvres, réduites à transporter vivres et eau et à traîner elles-mêmes leur artillerie. On ne croyait ni à tant d’audace ni à tant de fortune. Il fallut cependant bien se rendre à l’évidence.

L’opinion publique, confiante dans les succès que la presse, instrument docile du dictateur Pierola, annonçait comme certains, se montrait d’autant plus irritée qu’elle avait été mieux trompée. Le gouvernement s’efforçait de détourner ses colères sur le contre-amiral Montero, qu’il déclarait responsable des désastres subis. Il fallait un bouc émissaire aux fautes des uns, à l’impéritie des autres, à l’aveuglement de tous. On jetait à la populace le nom de Montero. Par ses alliances, par sa famille il appartenait aux classes aristocratiques, et bien que le commandement en chef des armées alliées eût été aux mains du général bolivien Campero, bien que Montero en fait son devoir à la tête des troupes péruviennes, on le dénonçait hautement à la vindicte publique. Émus du danger qui le menaçait, menacés eux-mêmes avec lui, ses amis et ses partisans protestèrent contre ces accusations, rejetant la responsabilité des fautes commises sur le gouvernement et réclamant une enquête. Pierola comprit qu’il était allé trop loin, que les partisans de Montero pouvaient, à un moment donné, s’unir à ses propres ennemis et précipiter sa chute, que Montero avait encore dans le pays et dans l’armée une influence avec laquelle il fallait compter. La presse dont il disposait cessa subitement ses attaques contre Montero et le dictateur publia une proclamation par laquelle il attribuait les revers subis à la bravoure impatiente des armées alliées, qui ne leur avait pas permis d’attendre, disait-il, à l’abri de leurs retranchemens, l’attaque des Chiliens et les avait entraînées à leur offrir le combat dans des conditions défavorables. A l’entendre, ces succès stériles ne pouvaient que conduire à sa perte l’armée chilienne engagée dans un pays ennemi, impuissante à combler les vides que la maladie et les combats faisaient dans ses rangs. « Pour nous, ajoutait-il, nous n’en sommes que plus forts et plus résolus. Mon devoir est de maintenir nos droits, sans relâche, sans défaillance. Je le ferai, soutenu par six millions d’hommes. »

En Bolivie, l’impression était autre, autre aussi l’attitude. Dès le 29 mai, le bruit courait à La Paz que les armées alliées de la Bolivie et du Pérou avaient été défaites à Tacna. Le lendemain, on recevait le rapport officiel du général Campero. Il ne contenait que quelques lignes, écrites à la hâte, dans un campement improvisé et au milieu de troupes débandées. « Hier, disait-il, à deux lieues de Tacna, l’armée alliée placée sous mes ordres a été détruite, après un combat meurtrier de plus de trois heures. » Il terminait en acceptant la responsabilité de ses actes et en déclarant se soumettre au jugement de la convention nationale. Cette dernière fut à la hauteur des événemens et de sa tâche. Réunie le même jour, elle entendit en silence la lecture de la dépêche, confirma par quarante-six votes sur soixante-quatre, le général vaincu dans ses fonctions de président de la Bolivie et députa une commission de trois membres pour lui en donner avis et l’inviter à revenir à La Paz. Le 10 juin, Campero rentrait dans la capitale, où on accueillait avec respect le général vaincu et les débris de son armée.

Ni Campero, éclairé par sa défaite, ni les hommes d’état boliviens ne se faisaient d’illusions sur les revanches éclatantes que le Pérou espérait prendre, ni sur les excitations intéressées qui leur parvenaient de Lima. La Bolivie, ils le sentaient, était épuisée, à bout de forces et de sacrifices. Pays pauvre, elle ne pouvait continuer la lutte dans laquelle l’impéritie de Daza l’avait entraînée. D’autre part, on courait le risque de soulever la populace et de s’exposer à l’hostilité du gouvernement péruvien en négociant avec le Chili, sous le coup de défaites humiliantes, une paix isolée, Campero et ses ministres s’arrêtèrent au plan suivant : se tenir dans l’expectative, et renoncer à la défense du littoral occupé par les armées victorieuses du Chili ; en cas d’invasion transporter le siège du gouvernement dans l’intérieur des terres, où l’ennemi ne pourrait s’avancer qu’en s’éloignant de ses vaisseaux, base de ravitaillement, et en s’exposant à se voir couper la retraite dans le désert. C’était, en ce qui concernait la Bolivie, la fin de la guerre. Le Pérou restait seul à la soutenir.

Au Chili, la nouvelle des victoires de Tacna et d’Arica fut accueillie avec un enthousiasme d’autant plus vif que des succès aussi éclatans présageaient une paix glorieuse et prochaine. On ne pouvait croire que le Pérou persisterait dans une lutte désastreuse ; on ne se rendait pas un compte exact de la surexcitation des esprits à Lima, de la nécessité pour Pierola de continuer la guerre ou d’abdiquer le pouvoir, de la répugnance d’un peuple fier à se reconnaître impuissant et à subir la paix après d’écrasantes défaites. La proclamation du dictateur péruvien, les mesures prises par lui en vue d’une guerre à outrance, son refus hautain de négocier, ne laissèrent bientôt plus de doutes. C’était à Lima qu’il fallait dicter la paix, c’était sur Lima qu’il fallait marcher. On entrait dans une phase nouvelle. La mort de don Rafaël Sotomayor, ministre de la guerre, laissait une place vacante dans le conseil. Le conseil lui-même était divisé ; quelques-uns de ses membres affirmaient que l’on avait assez fait, qu’il était sage de ne pas tenter la fortune, prudent de ne pas demander au pays de nouveaux sacrifices d’hommes et d’argent. Tout le sud du Pérou était conquis. Le Chili était maître du désert d’Atacama, des territoires contestés et convoités ; le succès dépassait son attente. S’emparer du Callao, réputé imprenable, emporter Lima d’assaut, affronter une campagne longue, difficile, s’exposer à un échec qui pouvait devenir un désastre et remettre en question les résultats acquis n’était pas, suivant eux, le fait d’une politique sage, d’une habile stratégie. Les autres, au contraire, estimaient que rien n’était fait tant qu’il restait quelque chose à faire, et que, si les succès du Chili suffisaient à sa gloire, ils n’assuraient pas ses conquêtes dans le présent ni sa sécurité dans l’avenir. Le Pérou se refusant à traiter, pouvait-on l’y contraindre autrement qu’en poursuivant la lutte, en réduisant son orgueil et en consacrant par un suprême effort les succès obtenus ?

Dans le parlement, dans la presse, dans les réunions publiques, l’opinion se prononçait dans ce sens avec une telle énergie que le président Pinto n’hésita pas. Le cabinet tout entier avait offert sa démission pour rendre au président la liberté de s’entourer d’hommes nouveaux. Don José F. Vergara, partisan résolu de la marche sur Lima, fut nommé ministre de la guerre ; don Manuel Baquedano, général de division, fut appelé au commandement en chef.

L’armée avait subi de grandes pertes, plus de douze mille hommes avaient succombé sur les champs de bataille ; on combla les vides des régimens de ligne en dégarnissant les postes frontières de l’Araucanie, on créa de nouveaux bataillons de garde nationale mobilisée et d’engagés volontaires. Les troupes furent échelonnées de manière à porter au nord les plus aguerries et à faire occuper les ports du littoral par les nouvelles recrues. La marine, renforcée par des achats de transports, reçut un complément d’hommes et d’armement. Chacun des bâtimens qui la composaient passa au dock flottant de Valparaiso pour y nettoyer sa carène et subir les réparations nécessaires.

On ne pouvait songer, en effet, à se rendre maîtres de Lima sans bloquer Le Callao. Ce port militaire, le premier du Pacifique, compte une population d’environ quarante mille habitans, et forme l’un des faubourgs de Lima, auquel il est relié par deux chemins de fer. La nature en a fait une forteresse naturelle à laquelle les rois d’Espagne avaient, au prix de sommes énormes, ajouté des fortifications formidables. Hérissé de batteries modernes, abondamment pourvu de munitions, le port du Callao abritait en outre ce qui restait de la flotte péruvienne et pouvait défier les efforts de toute l’escadre chilienne. Il n’y avait pas à songer à s’en emparer de haute lutte, mais la prise de Lima entraînait la chute du Callao. Il fallait attaquer à revers et par l’intérieur des terres cette position d’autant plus redoutable que les deux places se prêtaient un mutuel appui et que du Callao l’on pouvait transporter à Lima, en vingt minutes, l’artillerie, les munitions, les hommes nécessaires pour repousser une attaque et doubler l’effort de la défense.

Tant que le port du Callao restait ouvert, le Pérou pouvait continuer à s’approvisionner de l’étranger. Sur l’ordre du gouvernement chilien, le contre-amiral Riberos, à la tête d’une division composée de la frégate cuirassée Blanco Escalada, du monitor Huasrar, de la corvette O’Higgins, de deux croiseurs et de deux chaloupes-torpilles, vint établir le blocus et inviter les bâtimens neutres à quitter le port. Ses ordres étaient d’éviter tout engagement sérieux avec les forts, de couper les communications par mer et de saisir toutes les occasions favorables pour le tir de ses canons à longue portée. Le 22 avril, il ouvrit le feu et put constater que ses boulets atteignaient le bassin du Callao sans que ses navires fussent en danger. Il réussit même à balayer la voie ferrée qui relie Le Callao à Lima et, sur un parcours restreint, suit la plage avant de s’éloigner dans l’Est.

Impuissans par le tir de leurs batteries à maintenir l’escadre à distance, les Péruviens eurent recours aux torpilles. Le 6 juillet, le croiseur chilien, Loa, accosta dans la baie une chaloupe chargée de vivres qu’il remorqua près de son bord. Pendant qu’on procédait au déchargement, une explosion formidable se fit entendre, la chaloupe éclatait en mille pièces et le Loa, avec une trouée dans ses flancs, coulait à pic engloutissant avec lui son équipage. Le commandant, trois officiers et plus de cent matelots périrent. La chaloupe contenait une caisse de dynamite cachée sous les provisions dont le poids maintenait tendu le ressort de percussion. Le 13 septembre, la corvette Covadonga donnait à Chançay, à 30 kilomètres au nord du Callao, la chasse à des embarcations péruviennes. L’une d’elles, atteinte par un boulet, venait de sombrer, un petit canot surnageait. Avant de s’en emparer, le commandant l’envoie visiter ; un examen méticuleux ne révèle rien de suspect. Le canot est remorqué près de la corvette et ordre est donné de le hisser à bord. Les palans sont raidis, le canot s’élève lentement, quand, tout à coup un choc effroyable emporte l’avant de la corvette, qui sombre. Trente-cinq hommes périrent dans cette catastrophe.

Exaspérés par ces pertes, les bâtimens chiliens, impuissans à causer de sérieux dommages au Callao, bombardèrent successivement Chorrillos, Ancon, Chançay, petits ports voisins du Callao, villes de bains fréquentées l’été par les riches négocians de Lima, mais ces représailles ne pouvaient amener de résultats sérieux. Elles surexcitaient l’opinion publique à Lima, où le dictateur Pierola décrétait l’organisation d’une armée de réserve, la levée en masse de la population, et annonçait dans des proclamations emphatiques et passionnées que les Chiliens trouveraient leur tombeau sous les murs de cette capitale. L’enthousiasme était tel que l’archevêque de Lima mettait à la disposition du gouvernement les trésors de ses églises et invitait les femmes péruviennes à sacrifier leurs bijoux pour la défense de la patrie.

Inactives jusqu’ici, les puissances neutres commençaient à se préoccuper de la prolongation d’une lutte qui mettait en péril de grands intérêts, commerciaux pour les unes, politiques pour les autres. Si les gouvernemens anglais et français s’inquiétaient des risques que couraient leurs nationaux établis au Pérou, le gouvernement des États-Unis ne voyait pas sans quelques appréhensions les succès du Chili, la conquête du sud du Pérou et l’extension dans l’Amérique du Sud, d’une puissance maritime et militaire qui se révélait tout à coup par d’éclatans succès et pouvait un jour aspirer à grouper autour d’elle ou à soumettre à ses lois des républiques indépendantes, divisées entre elles et inconscientes de la force que leur donnerait l’union. Ce que n’avaient pu faire les armées et la flotte du Pérou : arrêter la marche victorieuse et l’essor redoutable du Chili, la diplomatie le ferait peut-être ; tout au moins il importait de le tenter. Une intervention collective des puissances neutres demandait des pourparlers, du temps, et il n’y en avait pas à perdre au point où en étaient les choses. Au début de la guerre, la Grande-Bretagne avait offert sa médiation au Pérou, qui, confiant dans le succès, l’avait refusée. Le cabinet de Washington se décida donc à agir seul, et par l’intermédiaire de M. Thomas Osborn, ministre plénipotentiaire au Chih, fit faire des ouvertures à Valparaiso, à Lima et en Bolivie, offrant ses bons offices pour négocier la paix.

Ces ouvertures furent accueillies. De part et d’autre, on tenait à se concilier l’opinion publique et le bon vouloir des puissances neutres, surtout celui des États-Unis ; mais le Chili, victorieux, entendait bien ne rien abandonner de ses prétentions, et le Pérou, surexcité et confiant dans un succès prochain, était de son côté résolu à ne pas souscrire à un traité qui eût consacré sa déchéance. C’est dans ces conditions défavorables que les conférences s’ouvrirent à bord de la corvette des États-Unis le Lackawana, en rade d’Arica, le 22 octobre 1880.

Le Pérou était représenté par don Aurelio Garcia y Garcia et don Antonio Arenas ; le Chili, par son ministre de la guerre, le général Vergara, don Altamirano et don Eusebio Lillo ; la Bolivie, par don Mariano Baptista et don Juan Carillo. Le ministre des États-Unis, M. Osborn, présidait la conférence. Les plénipotentiaires chiliens exposèrent les demandes de leur gouvernement et les conditions auxquelles ils étaient autorisés à négocier. Le Chili réclamait : 1° la cession du territoire péruvien et bolivien jusqu’au 19e nord (cent lieues de côte) ; 2° une indemnité de guerre de 20 millions de piastres (100 millions de francs) ; 3° la restitution des propriétés confisquées aux Chiliens ; 4° la restitution du Rimac, pris en mer par le Huascar ; 5° l’annulation de l’alliance offensive et défensive du Pérou et de la Bolivie ; 6° l’occupation, par les forces chiliennes, de Moquegua, Tacna et Arica jusqu’à la complète exécution du traité à intervenir ; 7° la destruction des fortifications d’Arica et l’engagement de ne pas les relever.

Les plénipotentiaires péruviens déclarèrent qu’ils ne pouvaient entamer aucune négociation sur la base d’une cession territoriale quelconque et que leur gouvernement préférait s’en remettre aux chances de la guerre. On se sépara pour la continuer.

Au Chili comme au Pérou, l’on sentait que l’heure décisive avait sonné. Au reçu des nouvelles de la rupture des conférences, la marche sur Lima fut décidée ; il n’y avait plus à reculer, on la préparait avec activité, sans se dissimuler cependant les difficultés qu’elle présentait. Transporter sous les murs de Lima, à travers un pays ennemi, une armée de vingt-cinq à trente mille hommes bien armés et bien équipés, pourvus d’une nombreuse artillerie ; occuper fortement Tacna, Arica, Tarapaca ; créer une seconde armée de réserve pour combler les vides inévitables ; maintenir le blocus du Callao, et pour cela immobiliser devant ce port une partie de l’escadre nécessaire aux immenses transports de toute nature que nécessitait cette campagne hardie, tel était le problème qui s’imposait à l’état-major chilien et au ministre de la guerre. Établi à Tacna, ce dernier recevait les troupes que des bâtimens loués, achetés et frétés, amenaient sans relâche de Valparaiso et débarquaient à Arica, où l’encombrement était tel que les vivres frais et les fourrages menaçaient de manquer.

Tacna, où s’était livrée la dernière grande bataille gagnée par l’armée chilienne, est située à plus de 300 lieues au nord de Valparaiso, à près de 200 du Callao, et à peu de distance du port d’ Arica. L’eau y est abondante, les plaines fertiles et bien cultivées, le pays riche. Le gouvernement chilien en avait fait sa base d’opération pour la campagne qu’il préparait. Son plan était de tenter un débarquement au sud du Callao, tout en inquiétant l’armée péruvienne par une diversion au nord de cette ville. Dans ce dessein, on résolut d’occuper d’abord Pisco, sur la côte, à 50 lieues environ au sud de Lima ; on était assuré d’y trouver des ressources et un cantonnement convenable. Le 15 novembre 1880, une première division de huit mille quatre cents hommes s’embarquait à Arica et le 19, au matin, entrait, sans coup férir, dans Pisco. Le 30, arrivait la première brigade de la seconde division.

Excellent, comme point de ravitaillement, sur ces côtes où l’eau potable fait défaut et où les zones sablonneuses offrent de loin en loin seulement quelques rares puits et quelques oasis de verdure et de culture, Pisco était encore trop éloigné de Lima pour servir de point de départ à une attaque par terre. Il importait de se rapprocher. Le port d’Ancon, à 35 kilomètres au nord du Callao, ou celui de Chilca, à 70 kilomètres au sud, offraient de bonnes conditions de campement. On résolut d’occuper ce dernier. Toutefois, pour détourner l’attention des Péruviens du véritable objectif de l’état-major chilien et pour leur faire croire que l’armée chilienne se proposait d’occuper les provinces au nord de Lima et de tenter de ce côté l’attaque de la ville, le général en chef décida l’embarquement d’une colonne expéditionnaire sous les ordres du colonel Lynch, à destination de Chimbote. Ses instructions étaient d’occuper Chimbote de manière à faire supposer un débarquement imminent de l’armée dont la colonne de Lynch ne serait que l’avant-garde, rayonner de là dans les riches provinces de Libertad, Ancachs et Lambayeque, et disperser les corps en formation levés dans ces provinces pour renforcer l’armée de défense de Lima.

D’origine irlandaise, entré très jeune au service du Chili, le colonel Lynch avait déjà servi dans la campagne de 1838 contre la confédération du Pérou et de la Bolivie. Depuis, et sous les auspices de son pays d’adoption, il avait complété son éducation militaire dans la marine anglaise, pris part à la guerre contre la Chine et était rentré au Chili ayant honorablement conquis son grade de lieutenant de vaisseau de la marine de la Grande-Bretagne. Officier distingué, d’une incontestable bravoure alliée à un rare sang-froid et à une grande fermeté, il avait joué un rôle important dans la guerre actuelle. Gouverneur d’Iquique après la capitulation de cette place importante, il avait été depuis appelé au commandement de la première brigade. L’expédition qui lui était confiée pouvait rencontrer des difficultés sérieuses ; obligé d’agir isolément, sa responsabilité était grande, mais on lui laissait toute liberté d’action.

La colonne sous ses ordres comprenait 1,900 soldats d’infanterie, 400 cavaliers, de l’artillerie de montagne, une section du corps du génie et une ambulance complète, en tout 2,500 hommes.

Le 4 septembre, l’expédition quittait Arica à bord de deux grands transports escortés par la corvette de guerre Chacabuco, soutenue par la corvette O’Higgins, et le 10, le convoi mouillait en rade de Chimbote à 50 lieues au nord du Callao. La place, occupée par une faible garnison péruvienne, ne tenta aucune résistance ; sans coup férir, on fit main basse sur le chemin de fer et le télégraphe, et, pour ne pas laisser à la garnison en fuite le temps de se rallier à quelque corps en formation ou de semer l’alarme, le colonel Lynch, à la tête de 400 hommes, se dirigea vers l’intérieur des terres et s’avança jusqu’aux riches domaines del Puente et de Palo Seco. Ces deux magnifiques plantations de canne à sucre appartenaient à don Dionisio Derteano, riche propriétaire, ami personnel du dictateur Pierola. Mis en demeure, de payer immédiatement une contribution de guerre de 100,000 piastres (500,000 francs), le directeur des plantations demanda trois jours pour en référer à Lima et se procurer l’argent. Le colonel Lynch y consentit, mais ajouta qu’en cas de refus, il détruirait les usines. A l’expiration de ce terme, le directeur lui communiqua un décret du dictateur Pierola, portant que le paiement de toute somme d’argent à l’ennemi serait considéré et puni comme acte de haute trahison, et que tout domaine dont le propriétaire aurait obtempéré aux injonctions des envahisseurs serait confisqué au profit de l’état.

Au reçu de cette communication, le colonel Lych, décidé à briser toute résistance et à imposer par la terreur, donna ordre de procéder à l’œuvre de destruction. A l’aide de la poudre et de la dynamite, on fit sauter les constructions, la voie ferrée fut détruite, les récoltes sur pied incendiées, les arbres à fruits coupés ; on confisqua les chevaux et les mules, et l’on fit embarquer à bord des transports tout ce que l’on trouva de riz, de sucre et d’approvisionnemens. Ces belles propriétés, dont la valeur dépassait 10 millions de francs, furent anéanties, et les Chinois qui les cultivaient durent suivre l’armée comme guides et porteurs. De retour à Chimbote, le colonel Lynch fit incendier la douane, la station du chemin de fer, le quai et mit à la voile pour le port de Supe, où on lui avait signalé des débarquemens d’armes et de munitions. Il y confisqua, en effet, trois cents caisses de cartouches, qu’il fit sauter, faute de moyen de transport, détruisit les plantations environnantes et reprit la mer pour se porter au-devant d’un vapeur dont les dépêches capturées à Chimbote annonçaient l’arrivée prochaine dans ce port avec un important chargement pour le gouvernement péruvien. Le 18 septembre, en effet, il abordait et capturait le vapeur Islai, venant de Panama et ayant à son bord 7,290,000 piastres en papier-monnaie du Pérou. Après cette importante capture, la colonel Lynch, remontant au nord, vint mouiller à Payta, à laquelle il imposa une lourde contribution de guerre. Sur le refus de paiement, il fit incendier la douane et les édifices publics. Le 26 septembre, Eten eut le même sort.

Ces actes terribles paralysèrent toute résistance. Les détachemens qui parcoururent successivement la province de Lambayeque et celle de Libertad purent percevoir sans difficulté les contributions de guerre imposées par le commandant de la colonne expéditionnaire. Le 1er novembre, le colonel Lynch ralliait le port de Quilca et peu après Pisco, où était concentrée l’armée chilienne.

En moins de deux mois il avait parcouru sans rencontrer aucune résistance sérieuse près de cent lieues de côtes, envahi les plus riches provinces du Pérou, semé partout la terreur et la ruine ; il rapportait comme produit des contributions de guerre près d’un million de francs en numéraire, plus de 35 millions en papier-monnaie, de grands approvisionnemens de sucre, de riz et de coton, et cela, sans- avoir perdît plus de trois : hommes.

Cette expédition, sans résultats réels au point de vue stratégique, porta à son comble la haine et l’exaspération des Péruviens. Ces destructions systématiques et cruelles provoquèrent les réclamations des neutres. Bon nombre de plantations saccagées étaient en effet commanditées ou possédées par des étrangers. L’absence de toute résistance à main armée donnait, aux mesures prises un caractère d’exactions financières regrettable. La guerre a ses nécessités cruelles que la lutte excuse et que la victoire fait trop souvent oublier, mais pour lesquelles l’opinion publique d’abord, l’histoire ensuite, ont de justes sévérités. La campagne du colonel Lynch dans le nord du Pérou n’ajoute rien à la gloire du Chili, Devant certains actes, l’humanité se sent solidaire des vaincus et des opprimés.

A la fin de novembre, l’armée chilienne était réunie tout entière à Pisco. L’embarquement pour Chilca était décidé, mais il pouvait y avoir danger à laisser derrière soi vingt-cinq lieues de côtes aux mains de l’ennemi. On affirmait qu’entre Pisco et Chilca des corps expéditionnaires péruviens tenaient la campagne. Il importait de les refouler au nord ou de les disperser afin de n’être pas exposé à se voir pris à revers. Le commandant en chef donna ordre à la brigade Lynch, composée de troupes exercées et endurcies par des marches rapides, de suivre par terre la distance que l’armée allait franchir par mer et de se porter rapidement de Pisco à Chilca en déblayant le terrain devant elle. Le 13 décembre, cette brigade commençait sa marche en avant ; marche rude et pénible à travers des déserts où hommes, mules et artillerie enfonçaient dans le sable, sans route tracée, et où l’on ne rencontrait qu’une aiguade, à mi-chemin, ombragée par un unique palmier.

En même temps, le gros de l’armée s’embarquait à Arica et le contre-amiral Riveros prenait le commandement du convoi. Il se composait de vingt-huit grands bâtimens escortés par les navires cuirassés, Cochrane et Blanco. La corvette Mazallanes éclairait la route, l’Abtao fermait la marche. Le convoi s’étendait sur une longueur de 10 milles et une largeur de 4, marchant à une vitesse régulière de 5 milles à l’heure. Il portait seize mille hommes de troupes, les mules, l’artillerie, les vivres, le matériel et les munitions nécessaires. Le 21 décembre, le convoi mouillait dans la baie de Chilca, soigneusement draguée par les chaloupes canonnières pour s’assurer qu’elle ne contenait pas de torpilles. Un détachement de cavalerie, mis à terre, explora le port et les environs ; nulle part on ne trouva trace d’ennemis. De son côté, l’amiral, longeant la côte à bord du Blanco, cherchait et trouvait à 5 milles au nord de Chilca la petite anse de Carayaco, où il décida d’effectuer le débarquement.

L’opération prit quatre jours et s’effectua sans incidens. On était à une journée de marche de Lurin, où se trouvaient les avant-postes de l’armée péruvienne, qui couvraient Lima. Le 22 décembre, cent cavaliers partaient en reconnaissance et constataient la présence à Lurin de détachemens ennemis. Il ne fallait pas laisser aux Péruviens le temps de concentrer des forces plus considérables sur ce point important. Lurin n’est qu’une bourgade, mais la petite rivière qui y coule était indispensable à l’armée chilienne. L’eau est tellement difficile à trouver dans ces pays sablonneux et brûlans que le plus mince filet d’eau joue un grand rôle dans les questions stratégiques. En ce moment même, la brigade Lynch, qui devait rallier Chilca, était arrêtée dans sa marche moins encore par un ennemi insaisissable qui la harcelait sans engager le combat, que par la nécessité d’élargir les aiguades autour desquelles hommes et bêtes altérés suivaient d’un œil avide les travaux et se disputaient quelques gouttes d’eau saumâtre. Les appareils distillatoires établis à bord des navires fonctionnaient bien sans relâche, mais ils étaient hors d’état de suffire aux besoins d’une armée, et si les troupes chiliennes avaient rencontré sur le Lurin une résistance sérieuse, leur situation fût devenue critique. Il n’en fut rien, et l’armée chilienne, refoulant les avant-postes péruviens, occupa Lurin sans combat, à la grande joie du camp, où soldats et officiers étaient hantés par la crainte du manque d’eau.

Le 25 et le 26, arrivait la brigade Lynch, rudement éprouvée par une marche de 180 kilomètres dans le sable et la poussière. Chaque heure il avait fallu donner un quart d’heure de repos aux troupes harassées ; aussi avait-on surtout marché de nuit. La brigade avait perdu peu de monde dans les quelques combats qu’elle avait dû livrer, mais la plupart des soldats cheminaient nu-pieds et faisaient porter leurs armes par un millier de Chinois, fuyards des plantations, qui suivaient l’armée avec l’espoir de piller Lima, et, en attendant, de gagner quelques réaux en se rendant utiles.

L’armée réunie à Lurin comprenait un effectif de vingt-quatre mille combattans, sans compter les équipages du train, les ambulances et les Chinois auxiliaires dont le nombre grossissait chaque jour et que l’on employait aux corvées du camp pour ménager les soldats. La première division marchait sous les ordres du colonel Lynch. La seconde était commandée par le colonel du génie Gana, qui avait joué un rôle important dans les opérations militaires depuis le début de la guerre, ainsi que le colonel Pedro Lagos, chef de la 3e brigade. La réserve était sous les ordres de Martinez. Don Manuel Baquedano commandait en chef, assisté du ministre de la guerre en campagne, don José Vergara. L’artillerie, dirigée par le colonel Vélasquez, se composait de cinquante canons de campagne et vingt-sept de montagne attelés chacun de huit chevaux.

L’armée chilienne, campée derrière le Lurin, faisait face à Lima, située à 30 kilomètres au nord-ouest ; l’aile gauche se reliait à la mer et s’appuyait sur la brigade Barbosa, campée près du vieux temple de Pachacamac ; les avant-postes placés au-delà de la rivière se trouvaient portés à 6 kilomètres de la bourgade. Sur la droite s’étendaient de vastes plaines sablonneuses, dépourvues de végétation, semées ça et là de collines de sable, aux formes arrondies, nommées cerros. A gauche, la plage longeait la mer sauvage, golfe aux vagues houleuses fouettées par le vent du large et qui, déferlant sans cesse sur une côte abrupte, avait rongé le sol et créé des falaises verticales coupées de ravines profondes (barrancos), près desquelles s’élevait la jolie petite ville de Chorrillos. Au-delà, le sol s’abaissait en pente douce jusqu’à la riche plaine du Rimac et la baie du Callao. Au centre de cette plaine, Lima, située à cheval sur le Rimac, reliée à la mer par la place forte du Callao, étendait sur les deux rives ses habitations luxueuses, ses jardins, ses places publiques et ses monumens.

Une double ligne de défenses en couvrait l’accès. La première, à 12 kilomètres en avant de la ville, partait de Chorrillos et couronnait une chaîne de hauteurs, dont la plus élevée était le Morro Solar. Ces collines, reliées entre elles par un parapet de terre, étaient en outre protégées par de larges fossés et des abris sur l’avant desquels on avait creusé des mines et semé des bombes automatiques. Cent vingt pièces d’artillerie couronnaient ces hauteurs, dont le feu balayait la plaine et les pentes d’accès. Les murs de clôture des jardins environnans, les haies tout ce qui pouvait abriter un ennemi, avait été nivelé. Cette première ligne de retranchemens ne mesurait pas moins de 13 kilomètres ; elle était occupée par vingt-deux mille combattans et décrivait un demi-cercle qui permettait de porter facilement les troupes, du centre, au point principal de l’attaque.

A 6 kilomètres en arrière de cette première ligne, et par conséquent à mi-chemin entre elle et Lima, s’élevait, près de Miraflorès, la seconde ligne de défense, mesurant environ 7 kilomètres de longueur. On avait utilisé pour l’établir des murs de clôture de forte épaisseur qui séparaient les unes des autres les propriétés rurales. Ces murs crénelés abritaient l’infanterie. L’accès en était défendu par de larges fossés remplis d’eau et par des redoutes armées de soixante-dix pièces d’artillerie. L’armée de réserve, forte de dix mille hommes, occupait ce camp retranché, prête, suivant les circonstances, à se porter en avant pour défendre les lignes de Chorrillos, ou à rallier, en cas de défaite, les bataillons vaincus et à livrer derrière ces remparts une seconde bataille.

A Lima, la confiance était sans bornes ; on n’estimait pas possible que l’armée chilienne pût attaquer de front des positions aussi redoutables, exposée à découvert à un feu formidable. Emporter Lima en présence de pareils obstacles semblait une tentative insensée. « Lima, répétait-on constamment, sera le tombeau des Chiliens. » Le 9 décembre, le dictateur Pierola inaugura la citadelle construite sur le mont Cristobal dans une grande fête militaire, où le clergé bénit les drapeaux de l’armée et l’épée du président. Pierola y prononça un discours qui porta à son comble l’enthousiasme et la surexcitation de la population et de l’armée. « Le Chili est insensé, s’écria-t-il. Il rêve d’occuper la ville de Pizarro, la cité des Titans, et d’y dicter des lois au Pérou et l’Amérique du Sud. Il veut venir à Lima ; qu’il y vienne donc et là il recevra le châtiment terrible que mérite son audace. »

La confiance des défenseurs de Lima semblait justifiée, et dans le camp chilien on n’était pas sans appréhensions sur le résultat de la campagne. Dans l’état-major les avis étaient partagés. Aborder de front et à découvert les lignes de Chorrillos, puis de Miraflorès, semblait à quelques-uns des principaux chefs une entreprise périlleuse. En cas d’échec, on ne pourrait tenir à Lurin, force serait de se rembarquer, et un pareil embarquement sous le feu d’ennemis vainqueurs était une éventualité redoutable. Ils conseillaient de laisser sur la gauche, sans les aborder, les défenses de Chorrillos, de gagner par la droite la plaine du Rimac, et de prendre à revers les lignes de défense et la ville de Lima. Mais, pour cela, il fallait franchir par une marche, où l’on s’exposait à être surpris en flanc, des plaines sablonneuses au milieu desquelles l’artillerie n’avançait qu’avec de grandes difficultés ; on se privait du concours des bâtimens de guerre dont les batteries couvraient la gauche de l’armée et, si l’on évitait les lignes de Chorrillos, on venait se heurter aux forteresses de San-Bartolome et de San-Cristobal qui croisaient leurs feux avec ceux de Miraflorès. Après une discussion d’autant plus vive que le ministre de la guerre penchait pour le second plan, alors que le général en chef se déclarait en faveur d’une attaque de front sur les lignes de Chorrillos, ce dernier finit par l’emporter et par rallier, dans le conseil de guerre, la majorité des suffrages.

En faisant prévaloir ses vues, le général Baquedano ne se dissimulait pas que son plan d’attaque, plus hardi, ne s’exécuterait pas sans de grandes pertes, mais il comptait sur l’élan de ses troupes, leur impatience d’en finir, de quitter un campement épuisé pour trouver à Lima le terme de leurs fatigues, les jouissances et le butin de la victoire. Lima leur apparaissait comme la ville promise. Dans le camp, on ne parlait que de ses grandes richesses, de son luxe, de ses palais.

Depuis des mois, ces bataillons, recrutés, pour la plupart, parmi les postes-frontières de l’Araucanie, habitués à des luttes sanglantes contre des ennemis pauvres, parcouraient à marches forcées les déserts du sud du Pérou, ou bien entassés à bord des navires, abordaient sur des plages arides où tout faisait défaut. Aujourd’hui devant eux se déroulaient les riches plaines du Rimac, les bois d’orangers, les villas élégantes, les belles cultures, et enfin Lima, la ville de Pizarro, l’antique cité des Incas, où demain peut-être ils entreraient en maîtres et assouviraient avec leurs colères tous leurs appétits brutaux surexcités par des mois de privations et d’impatientes convoitises. Si près du terme, ils comptaient pour rien le danger et n’aspiraient qu’à engager la lutte suprême.

Le 12 janvier 1881, à midi, le général Baquedano passa une dernière fois la revue de ses troupes : « Vos longues fatigues sont sur le point de finir, leur dit-il. Depuis deux ans, astreints à la rude discipline des camps, vous avez soutenu la lutte, supporté les privations, les marches pénibles où la soif vous torturait. Endurcis à la fatigue, vous êtes prêts pour la victoire… Vous voici sous les murs de la capitale du Pérou. A vous de frapper le dernier coup. Soldats victorieux de Pisagua, de Tarapaca, d’Angeles, d’Arica, de Tacna, en avant ! .. Derrière ces tranchées, vous trouverez la victoire et le repos, et là-bas, au Chili, la gloire et les acclamations de vos compatriotes vous attendent… Demain, à l’aube, vous aborderez l’ennemi. Vous arborerez votre drapeau sur ses tranchées conquises, vous marcherez sous les ordres de votre général en chef, fier de vous et qui envoie à la patrie absente le salut du triomphe en répétant avec vous : « Vive le Chili ! »

A la même heure, à Lima, on se berçait des plus étranges illusions. Le bruit courait que l’armée chilienne découragée, insurgée contre ; ses chefs impuissans à l’entraîner à l’attaque des lignes de Chorrillos, se débandait et s’emparait des vaisseaux pour retourner au Chili. On citait l’opinion d’un officier étranger qui, après avoir parcouru les lignes de défense, déclarait que, pour s’emparer de Lima, il faudrait au moins quatre-vingt mille hommes des meilleures troupes européennes. On affirmait enfin que deux divisions chiliennes, en pleine retraite, se dirigeaient vers le sud. Lima, en fête, accueillait avidement ces nouvelles qui confirmaient ses espérances et les officiers péruviens s’irritaient d’une retraite illusoire qui les privait d’une victoire certaine.

A quatre heures et demie du soir, l’armée chilienne, manœuvrant avec un ensemble parfait, se déployait en colonnes sur les bords du Lurin. A cinq heures, la division Lynch, forte de sept mille hommes, s’ébranle, et, suivant la plage, se dirige vers Villa, à une lieue de Chorrillos. Elle forme l’aile gauche et s’appuie à la mer. La seconde division, sous les ordres du général Sotomayor, longe les plaines sablonneuses de Manchay et marche sur Mesa Tablada, haut plateau, situé au sud-est des retranchemens ennemis et à portée de canon. Entre les deux ailes s’avance la 3e division, commandée par le colonel Lagos. Elle a l’ordre de soutenir la droite de la 2e division et d’arrêter au nord l’attaque de l’aile gauche péruvienne. La réserve et la cavalerie suivent à distance. La marche des colonnes est espacée pour éviter aux troupes la fatigue des nuages de poussière qu’elles soulèvent sous leurs pas. Avant le départ du camp et pour mieux accuser leur résolution de ne pas revenir en arrière, les soldats incendient les huttes de feuillages sous lesquelles ils s’abritent depuis des semaines ; des cartouches abandonnées éclatent par milliers, une fumée épaisse couvre la plaine, dont les herbes desséchées s’enflamment. Les femmes qui suivent l’armée, les malades, les bagages sont cantonnés sur le rivage et gardés par deux compagnies. A dix heures du soir, il ne reste plus trace de campement sur les rives dévastées du Lurin ; l’armée poursuit sa marche silencieuse à travers les plaines sablonneuses éclairées par les pâles rayons de la lune ; sur ce fond blanc, de longues lignes noires de soldats défilent lentement, le sable amortit le bruit des pas et le roulement des caissons ; l’artillerie avance péniblement ; aux passages difficiles, il faut dételer une pièce sur deux pour franchir les mamelons, mais ni la fatigue, ni la soif, ni la poussière suffocante n’arrêtent les soldats. Derrière ces monticules hérissés d’artillerie qui bornent la plaine et qu’ils vont joncher de leurs cadavres, ils ne voient que Lima et ses palais, la fin de la guerre, des marches forcées et l’abondance succédant aux privations.

A minuit, l’armée occupait les positions d’attaque qui lui étaient assignées. On campa sur place. Après une distribution de pain et d’eau, les soldats se couchèrent sur le sable, attendant l’aube et le combat. A trois heures et demie, l’armée était sur pied, mais un brouillard épais lui voilait les lignes ennemies, dont elle était séparée par 4 kilomètres. A cinq heures, cette distance était franchie, le brouillard se dissipe et les batteries péruviennes de Villa ouvrent le feu contre la première division chilienne, qui s’avance en ligne de bataille derrière ses tirailleurs. Le général Lynch donne ordre de réserver le feu et de ne commencer le tir qu’à une portée de 400 mètres. Les Chiliens abordent hardiment les pentes, escaladent les hauteurs, franchissent les fossés et repoussent les Péruviens ; mais ces derniers ne tardent pas à se reformer. Derrière ces collines s’en élevaient d’autres dont le feu plongeant arrêtait l’effort des assaillans. La seconde division chilienne, qui devait attaquer le centre de l’armée péruvienne, arrêtée par les difficultés de sa marche, tardait à entrer en ligne. Pierola, détachant une brigade du centre, l’envoie soutenir l’effort de son aile gauche. L’élan de la division Lynch est brisé ; elle se maintient avec peine sur les premières positions enlevées, mais ne peut avancer. Sa situation est compromise. Le général Baquedano la fait soutenir par sa réserve et envoie presser l’arrivée de sa seconde division, commandée par le lieutenant-colonel don Aristides Martinez ; la réserve lancée au pas de charge vient grossir les rangs des assaillans ; les Chiliens reprennent l’offensive ; par un effort lent et soutenu, ils avancent, refoulant l’ennemi devant eux dans une lutte corps à corps. En deux heures de combat, ils gagnent le sommet des hauteurs, au moment où leur deuxième division entrait enfin en ligne sous les ordres de don Francisco Gana, culbutait les Péruviens, cernait l’aile gauche et enveloppant, par une marche hardie sur un sol semé de bombes automatiques, les bataillons ennemis, rejoignait les soldats victorieux de Lynch.

L’aile gauche et le centre de l’armée péruvienne étaient battus, ses débris se repliaient cependant en assez bon ordre sur Chorrillos. Le général chilien lance sur eux sa cavalerie, dont l’irrésistible élan achève de les disperser et qui les sabre sans relâche. Sous le galop des chevaux, sous les pas des fuyards, les bombes dissimulées à fleur de sol, éclatent et font éprouver autant de pertes aux Péruviens qu’aux Chiliens ; mais elles ne ralentissent pas l’ardeur des cavaliers, dont elles surexcitent la colère et qui ne font pas de prisonniers. Les Péruviens fuient en désordre vers Chorrillos, qu’ils atteignent enfin, protégés par le feu des batteries du Morro Solar, qui arrête la poursuite des Chiliens.

A neuf heures du matin, l’armée chilienne occupait toute la gauche des retranchemens péruviens ; mais, adroite, une division péruvienne résistait à tous les efforts. Placée sous les ordres du ministre de la guerre, don Iglesias, elle occupait Chorrillos et le Morro Solar. Située près de la plage, la petite ville de Chorrillos se relie au Morro Solar, hauteur escarpée de 270 mètres, par une chaîne de collines de sable d’un accès difficile. Cinq redoutes hérissées d’artillerie couronnaient les sommets. Renforcée par des troupes fraîches expédiées de Lima et par les débris des colonnes péruviennes refoulées de San Juan et de Villa, cette division défiait l’attaque des assaillans. Derrière elle, le village de Chorrillos, fortement occupé, avait été converti en place forte. Les jolies villas de ce lieu de plaisance, solidement construites en pierres et entourées de rians jardins, avaient été crénelées et fortifiées, ainsi que les rues étroites du village. Les balcons et vérandahs, abrités par des sacs de terre et de matelas, garnis de tirailleurs, faisaient de chaque maison une sorte de place forte ; les escaliers, brisés, défendaient l’accès des étages supérieurs. En outre, pour aborder Chorrillos, il fallait s’emparer du Morro Solar, dont le feu plongeant dominait la plaine et la ville.

Emportée par son élan victorieux, la division Lynch, maîtresse des lignes de San-Juan, vint se heurter contre ces obstacles ; mais une première tentative pour les enlever de haute lutte échoua. Les troupes, épuisées par une nuit de marche et une lutte acharnée de quatre heures, pouvaient à peine se maintenir sur les positions qu’elles occupaient. Le général Iglesias attendait l’attaque de pied ferme. Il laissa les Chiliens s’avancer à portée de ses batteries redevenues silencieuses depuis que leur feu a brisé l’élan de la cavalerie chilienne ; par ses ordres, le sommet du Morro Solar s’éclaire des feux de son artillerie. Les balles des mitrailleuses, les boulets éclatent dans les rangs des colonnes chiliennes. La division Lynch oscille et plie. Les Péruviens voient son hésitation et reprennent l’offensive, rejetant sur les pentes couvertes de morts et de blessés le 4e de ligne et le régiment d’Atacama. Le 2e de ligne est obligé de lâcher pied. En vain, le colonel Lynch et son chef d’état-major s’efforcent de rallier leurs troupes. En dépit de leurs efforts surhumains, il faut céder. Lynch envoie prévenir le général en chef et demander des renforts et ramène en arrière ses troupes décimées pour leur faire prendre un repos chèrement acheté. Les soldats, épuisés, se couchent sur le sable sans quitter leurs armes et se préparent à un suprême effort. Le général chilien était décidé à le tenter. Une victoire décisive pouvait seule justifier les énormes sacrifices d’hommes que coiffait au Chili cette lutte glorieuse, mais indécise encore. Par un mouvement hardi, il ramène en arrière sa droite et son centre victorieux ; les bataillons de sa première division, reformés et concentrés, sont, en outre, renforcés par la réserve sous les ordres de Martinez ; le colonel don Pedro Lagos reçoit l’ordre d’amener également en ligne sa brigade et rejoint immédiatement. Lançant résolument cette masse de combattans, qui rallie la brigade Lynch, à l’assaut des pentes fortifiées, il lui donne l’ordre d’emporter les crêtes et d’enlever Chorrillos. Les colonnes chiliennes s’ébranlent en bon ordre, franchissent rapidement la distance qui les sépare du pied des collines et commencent l’escalade. Le feu de l’artillerie péruvienne redouble, trouant les bataillons, jonchant les pentes de morts et de blessés ; mais les Chiliens avancent, ils couronnent les hauteurs. La lutte s’engage corps à corps ; sous leur irrésistible élan et leur ténacité, les Péruviens sont obligés de céder. Ramenés de tranchées en tranchées, ils se replient sur Chorrillos. La division péruvienne du général Iglesias tient cependant toujours sans lâcher pied ; mais, à midi, cernée de trois côtés par l’ennemi victorieux, décimée et épuisée, elle est obligée, elle aussi, de se replier sur Chorrillos.

Maîtresses des hauteurs, les divisions chiliennes descendent au pas de course sur Chorrillos, mais, à peine engagées dans les rues étroites de la ville, elles sont accueillies par une grêle de balles qui arrêtent leur élan. Les fenêtres, les terrasses, les toits plats couverts de tirailleurs font de chaque maison une citadelle qu’il faut emporter d’assaut, dont les défenseurs, après avoir épuisé leurs munitions, luttent encore à la baïonnette, et sur le seuil desquelles les assaillans font, en forçant les portes, éclater des bombes automatiques. L’acharnement de la lutte est tel que, de part ni d’autre, on ne fait de prisonniers. Recabarren, officier péruvien, conduit pas à pas cette résistance obstinée ; Cacérès, son lieutenant, rallie deux mille fuyards et les ramène grossir les rangs des défenseurs de Chorrillos. Incertain du succès, décidé à en finir à tout prix, voyant ses troupes décimées, Baquedano fait avancer l’artillerie chilienne à portée de mousquet ; les bombes, les obus éclatent sur la ville, l’incendie s’allume, les Chiliens l’activent, les maisons s’écroulent dans les flammes, entraînant avec elles leurs défenseurs. A trois heures, la lutte est complètement terminée.

A Lima, on attendait avec impatience les nouvelles de la victoire prédite. Nous empruntons à l’excellent ouvrage que M. Diego Barres Arana a publié à Paris sous le titre de Histoire de la guerre du Pacifique[2], la traduction du récit d’un adjudant péruvien à Lima. Mieux que tout autre, dans son évidente sincérité, il nous trace le tableau mouvementé de ce qui se passait, en ces heures tragiques, dans la capitale menacée.

« C’était le 13 janvier, dit-il, le jour commençait à peine lorsque le galop allongé des chevaux, le pas précipité des allans et venans, les charrettes qui s’éloignaient et les cris nous réveillèrent brusquement.

« Une rumeur sourde bourdonnait à nos oreilles, quelquefois interrompue par un bruit plus prononcé : « La bataille a commencé ! » criâmes-nous tous. En une minute, nous étions habillés. Il était cinq heures et demie du matin. Nous parcourûmes les quatre redoutes. Tous faisaient leurs préparatifs pour la marche ; les cartouchières étaient pleines, les officiers avaient le revolver à la ceinture et quelques caissons de munitions s’ébranlaient. On n’entendait que les cris de : « Vive le Pérou ! Vive le commandant général ! A Surco ! » criaient les officiers et mille voix frénétiques répétaient ces cris. Nous attendions l’ordre de nous mettre en marche. Mais l’ordre n’arrivait pas et il était sept heures et demie du matin. Le feu du côté de San-Juan devenait de plus en plus violent.

« Sur la gauche de notre ligne surtout, deux batteries échangeaient un feu des plus nourris. Une des deux dut pourtant céder ; c’était maintenant à droite que le combat chauffait.

« Tout à coup, devant nous, à peu près à une lieue, nous voyons s’élever un épais nuage de fumée noire. San-Juan était la proie des flammes ! On ne se bat plus qu’à Chorrillos, pensâmes-nous tous en même temps. En effet, les corps de Davila, de Cacérès et une partie de celui de Suarez avaient lâché pied. Iglesias, abandonné, défendait héroïquement les positions de Chorrillos.

« Le premier fugitif que nous rencontrâmes dans le village de Miraflorès fut un simple soldat. « Tout va bien ! » nous répondit-il d’une voix défaillante, lorsque nous lui demandâmes des nouvelles du combat. Trois ou quatre blessés arrivèrent ensuite. Nous ne tardâmes pas à connaître la triste réalité. Le chemin était couvert de fugitifs qui se sauvaient dans le plus affreux désordre ; quelques blessés se traînaient, d’autres imploraient du secours ; les uns conservaient leurs armes, d’autres étaient désarmés, couverts de sang et les vêtemens déchirés ; c’était un spectacle navrant.

« Une longue file de gens arrivaient par la chaussée du chemin de fer ; des groupes de soldats traversaient les prairies en courant. On les appelait, mais ils n’écoutaient pas ; ils craignaient non pas les menaces, mais les balles. Ce n’était pas l’attitude d’une armée victorieuse. Un profond découragement s’empara de nous. Plusieurs compagnies des bataillons se déployèrent en tirailleurs et de petits détachemens de cavalerie s’échelonnèrent pour barrer le chemin de Lima aux fugitifs.

« Mais à mesure que le temps s’écoulait, le tableau de cette multitude qui fuyait épouvantée de toutes parts, devenait plus douloureux ; la cavalerie arrivait par bandes ; les mulets chargés de caisses de munitions, les canons et les mitrailleuses démontés ; des chevaux sans cavalier et courant ventre à terre ; des artilleurs, des colonels, des chefs de tout grade inondaient les avenues du chemin de fer et y produisaient une confusion épouvantable. Ce n’était pas une division débandée, comme nous l’avions entendu dire ; c’était toute une armée en fuite. Quelques bataillons au complet entrèrent dans notre ligne, et presque toute une division resta formée à gauche de la voie ferrée.

« Il pouvait être dix heures du matin lorsque Pierola arriva avec un état-major fort réduit, dans lequel on remarquait les généraux Buendia et Seguria et le colonel Suarez. Il passa à cheval au milieu des bataillons qui l’acclamaient frénétiquement. Il leur ordonna de défiler vers les redoutes et de se retrancher derrière les murs intermédiaires élevés entre chacune d’elles. Ces renforts augmentèrent considérablement notre ligue. Plus de cinq mille fugitifs avaient déjà été ralliés avant midi soit par la cavalerie, soit par les bataillons de la réserve ; d’autres s’étaient présentés volontairement. On en voyait néanmoins beaucoup qui s’échappaient. On tirait sur eux, mais ils se dérobaient dans les tranchées et puis se remettaient à fuir.

« Pierola traversait la chaussée du chemin de fer, lorsqu’un soldat, — nous supposons qu’il était ivre, — s’avança vers lui et éclata en imprécations contre les chefs. « Pas de désordre ! » se contenta de répondre Pierola. Et il s’éloigna précipitamment.

« Au milieu de cette effrayante cohue, chacun disputait sur les causes de la défaite ; ceux-ci en accusaient tel chef, ceux-là tel autre, quelques-uns en rejetaient la faute sur les soldats ; mais bien peu se résignaient à croire que la bataille fût totalement perdue. On en vint à raconter que les positions de San Juan avaient été reprises par les Péruviens, et tout le monde ajoutait foi à ces absurdités. »

Cette terrible journée coûtait aux Chiliens trois mille trois cent neuf hommes et près de huit mille aux Péruviens. Les Chiliens ne firent que dix-sept cents prisonniers.

Le 14 au matin, le général chilien envoyait à Lima don Errasuriz, secrétaire du ministre de la guerre du Chili, avec ordre de déclarer qu’après une lutte aussi sanglante, l’honneur du Pérou était sauf et que le premier devoir de son gouvernement était d’éviter à Lima le sort de Chorrillos ; il offrait un armistice pour traiter de la paix. Le général Pierola fit répondre qu’il ne recevrait qu’un envoyé muni de pleins pouvoirs pour négocier. Sur ce refus déguisé d’entamer des négociations, le général Baquedano fait immédiatement porter en avant de Chorrillos sa première division, appuyée sur la seconde, pendant que la troisième, occupant Barranco, menace Miraflorès, et la dernière ligne des défenses péruviennes. Cesmouvemens s’exécutent dans la nuit du 14 au 15 et tout est prêt dans le camp chilien pour reprendre l’offensive à l’aube. Avant le jour, deux officiers neutres se présentaient auprès du général Baquedano, porteurs d’une lettre collective du corps diplomatique résidant à Lima, lui demandant une conférence. A sept heures du matin, les ministres de France et d’Angleterre, ainsi que le doyen du corps diplomatique, le ministre de San Salvador, arrivaient au camp par un train spécial. Sur leur demande, le général Baquedano dit être prêt à accorder un armistice sur la base suivante : remise entre ses mains du port militaire du Callao et de la flotte péruvienne ; en attendant leur réponse, il consentait à une suspension d’armes jusqu’à minuit, tout en stipulant que, dans cet intervalle, les deux armées belligérantes seraient libres d’effectuer les mouvemens de position qui leur conviendraient, tout en se maintenant hors de portée et sans engager le feu.

De retour à Miraflorès, où se trouvait le dictateur Pierola, les ministres étrangers lui communiquèrent la réponse du général chilien et le pressèrent d’ouvrir des négociations de paix ; ils insistèrent sur la nécessité d’éviter à Lima le sort de Chorrillos ; ils lui représentèrent que les nombreux comptoirs étrangers de cette ville couraient de grands risques, que la populace, surexcitée, menaçait déjà de pillage en cas de défaite, et que son devoir, en tant que chef militaire et politique de la république, était de négocier avant que la capitale fût aux mains des ennemis ou d’une insurrection victorieuse ; les amiraux anglais et français joignirent leurs instances à celles du corps diplomatique.

Pierola hésitait. Il avait en ligne, derrière les redoutes de Miraflorès, quinze mille hommes de bonnes troupes, renforcées d’heure en heure par les contingens du Callao et de Lima, par des volontaires décidés à lutter jusqu’à la dernière extrémité pour défendre la ville. Il disposait, en outre, d’une puissante artillerie et des munitions du port militaire du Callao ; il savait l’armée chilienne fort éprouvée par ses pertes de la veille, hors d’état de combler ses vides ; enfin il estimait de son devoir de tenir jusqu’au bout et de tenter un dernier effort.

La discussion se prolongeant jusqu’à deux heures de l’après-midi, il retint auprès de lui les ministres et les amiraux étrangers à déjeuner. Ils venaient de se mettre à table quand tout à coup le grondement de l’artillerie, suivi de nombreuses décharges d’infanterie et des clameurs des troupes, se fit entendre. Voici ce qui s’était passé.

Le général chilien, prévenu que, depuis le matin, de nombreux trains de Lima et du Callao amenaient dans les lignes de Miraflorès des renforts considérables, avait voulu se rendre compte par lui-même des positions occupées par l’armée péruvienne. Escorté d’un nombreux état-major, il passa d’abord en revue son front de bandière et poussa ensuite sa reconnaissance très près des lignes ennemies. Un de ses officiers lui en faisait l’observation quand des coups de fusil partis des. avants postes péruviens le forcèrent à rétrograder ; Les Chiliens ripostèrent et le feu s’engagea rapidement sur toute la ligne. Le général Baquedano essaya vainement de l’arrêter ; l’artillerie ouvrait le tir ; de part et d’autre, on était convaincu que l’attaque était préméditée ; dans les deux camps, on croyait à une trahison ; la lutte s’engageait, il n’était plus au pouvoir de personne de l’arrêter.

Pierola, suivi de son état-major, monte à cheval pour prendre la direction de ses troupes. Les ministres et les amiraux, exposés aux plus grands dangers, gagnent à pied la campagne et rentrent à Lima, où ils attendent les événemens. A deux heures et demie, la bataille commençait, sur toute la ligne. La division chilienne, commandée par le colonel don Pedro Lagos, aborde la première les redoutes péruviennes ; mais, accueillie par un feu meurtrier, elle ne peut avancer. Les Péruviens sortent des tranchées et l’attaquent à la baïonnette. Les Chiliens plient, la division Lagos est compromise et cède peu à peu sous l’effort de l’ennemi. Baquedano envoie un régiment de cavalerie la soutenir, avec ordre de tenir jusqu’à l’arrivée de la réserve. Malgré ce renfort, malgré sa résistance héroïque, lai division chilienne est entamée, le désordre se met dans ses-rangs, décimés par l’artillerie et menacés de flanc, quand des clameurs bruyantes se font entendre. La division Lynch arrivait au pas de course de Chorrillos, suivie de la ; réserve, sous les ordres de Martinez. Les soldats de Lynch pénètrent comme un boulet dans les bataillons péruviens, les rejettent en désordre sur les tranchées, rallient les troupes de Lagos et s’élancent avec eux, à l’assaut des fortifications ennemies. L’escadre chilienne couvre de son feu les hauteurs. Les lignes péruviennes sont emportées du côté de Miraflorès. Soupçonnant une défense énergique de la ville et une lutte semblable à celle qu’ils ont soutenue la veille dans Chorrillos, les Chiliens incendient Miraflorès et, obliquant sur le centre des lignes péruviennes, les prennent de flanc pendant que la première division les abordait de front.

L’irrésistible élan de la division Lynch triomphe des obstacles. Les Péruviens débandés fuient, poursuivis par deux régimens de cavalerie que le général Baquedano lance sur eux. A six heures du soir, la lutte était terminée ; les Chiliens vainqueurs occupaient les redoutes de Miraflorès et la dernière ligne de défense de Lima. Cette victoire leur coûtait trois mille cent vingt-quatre hommes, tués ou blessés et la mort du général Martinez, tombé à la tête de ses troupes. Les Péruviens laissaient sur le champ de bataille soixante-dix canons, leur matériel, deux mille morts, trois généraux et de nombreux prisonniers.

A sept heures du soir, Pierola rentrait à Lima, ramenant avec lui les débris de ses troupes et ne rêvant encore que la prolongation d’une lutte impossible. Il voulait s’enfermer dans Le Callao, tourner contre Lima même les batteries du port et rendre l’accès de la capitale impossible à l’armée chilienne ; mais le désordre et le découragement qui régnaient autour de lui ne lui permirent pas de mettre ses projets à exécution. A onze heures, il quittait Lima, accompagné d’un faible état-major et cherchait un refuge dans les montagnes. Lima et Le Callao étaient abandonnés à la merci d’une populace surexcitée et de bandes de soldats irrités de leur défaite, ivres de poudre et de vin.

En l’absence de toute autorité constituée, à même de traiter de la reddition de la ville, le corps diplomatique fit demander dans la nuit au général en chef chilien une entrevue pour le lendemain. Elle eut lieu, en effet, le 16, au quartier-général de Baquedano, où fut signé l’acte de capitulation de Lima dans les termes suivans :


Quartier-général chilien de Chorrillos.

« Le 16 janvier 1881, à deux heures de l’après-midi, se sont présentés don Ruffino Torrico, adjoint au maire de Lima ; S. Ex. M. d Vorgès, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de France ; S. Ex. M. Spencer Saint John, ministre résident de S. M. Britannique ; M. Stirling, amiral anglais ; M. du Petit-Thouars, amiral français, et M. Sabrano, commandant des forces navales italiennes.

« M. Torrico expose que le peuple de Lima, convaincu de l’impossibilité de défendre la ville, l’a délégué pour s’entendre avec le général en chef de l’armée chilienne relativement à la reddition de la capitale.

« Le général Baquedano fait observer que cette reddition doit s’effectuer, sans condition, dans le délai de vingt-quatre heures, demandé par M. Torrico pour désarmer les forces qui restent encore organisées. Il ajoute que la ville sera occupée par des troupes choisies pour maintenir l’ordre. »

Les allées et venues du corps diplomatique, la conférence de Chorrillos, ne laissaient pas de doutes sur ce qui se passait. La populace de Lima, surexcitée par la défaite, enfiévrée par les proclamations qui, depuis huit jours, lui annonçaient une victoire certaine pour aboutir à une irrémédiable défaite, renforcée par les débris de l’armée, qui accusaient leurs chefs de trahison, n’étant plus contenue par aucune autorité, par aucune police, se refusait hautement à livrer les armes et accusait la partie riche de la population, les étrangers et les Chinois qu’elle haïssait, de souhaiter l’entrée dans les murs de l’armée chilienne. Les menaces de pillage et de vengeance se multipliaient. Nous empruntons à une relation publiée à Lima et intitulée : la Campagne de l’armée chilienne à Lima, le tableau suivant de l’état de la ville pendant les heures qui précédèrent l’entrée des troupes chiliennes.

« Dès le 16 janvier, à la tombée de la nuit, on pouvait prévoir la tempête qui allait se déchaîner sur Lima. Des groupes d’aspect sinistre parcouraient les rues de la ville, menaçant les passans et rappelant les sacrifices qu’ils avaient faits pour le pays… Sous prétexte qu’ils n’avaient pas reçu de distributions de vivres, ils se ruèrent sur les magasins des Chinois désarmés ; ils forcèrent les portes à coups de carabines ou les brisèrent à coups de hache ; les maisons furent saccagées, puis incendiées.

« S’attaquant ensuite aux riches magasins où étaient entassés les bijoux, les étoffes, les objets d’art, ils les pillent et y mettent le feu. Il n’est resté que des ruines fumantes et ensanglantées du grand commerce que les Chinois faisaient à Lima ; on estime à trois cents, pour le moins, le nombre des négocians chinois assassinés soit chez eux, soit dans les rues. L’un d’entre eux, voyant incendier ses magasins, fit déposer ses livres de commerce à la légation anglaise. Il résulte de leur examen que la perte subie par lui s’élève à 140,000 livres sterling (3,500,000 francs).

« Les rues de Bodegones, Melcharmalo, Palacio, Polvos, Azules, Zavala, Capon, Albaquitas, Hoyos furent ensuite envahies et pillées… La rue Palacio était jonchée de cadavres… Vainement, les pompiers essaient d’arrêter l’incendie, on dirige sur eux un feu tellement nourri qu’ils sont obligés de se retirer… Le 17 au matin, les colonies étrangères s’arment enfin et, par leur attitude énergique, arrêtent les émeutiers, dont l’ivresse et la fatigue ralentissent l’ardeur…

Cette nuit coûta à Lima plus de 5 millions de francs d’édifices et de maisons détruites et plus de 25 millions de marchandises pillées et brûlées.

Prévenu des désordres dont Lima était le théâtre, le général Baquedano hâta l’occupation de la ville. Le 17, à quatre heures du soir, une division de quatre mille hommes, sous les ordres de l’inspecteur-général de l’armée chilienne, don Cornelio Saavedra, faisait son entrée dans Lima, occupait rapidement les principaux points stratégiques de la ville, pendant que les autres divisions chiliennes campaient aux portes. Les scènes de désordre qui venaient d’ensanglanter Lima éclataient en même temps au Callao. La populace détruisait les canons, faisait sauter les mines, essayait d’incendier les forts. Les magasins, les boutiques étaient forcés et pillés. La rage de la populace se tourne ensuite contre la flotte à laquelle elle met le feu. Toute la nuit l’incendie acheva de détruire ce qui restait de la marine péruvienne. De toutes partes les obus, les torpilles éclataient dans le port. Pour sauver son vaisseau, le commandant de l’Union tenta une sortie désespérée, mais il vint s’échouer sur la côte. Le monitor Atakualpa est sabordé et coulé, les transports en feu sombrent dans le port. Le Rimac, le Chalaco, le Talisman, sautent avec leur artillerie à bord. Toute la nuit du 16, la journée et la nuit du 17, Le Callao en feu présente le lugubre spectacle d’un port militaire enfiévré de la folie du suicide et d’une populace achevant de ses propres mains l’œuvre de destruction de ses forces navales. Le 18, le colonel Lynch, à la tête de sa division, occupait la ville et le port, où achevaient de brûler les dernières chaloupes péruviennes.

Le général Baquedano pouvait, sans être accusé d’orgueil, terminer par ces lignes son rapport officiel sur les opérations qu’il avait si habilement dirigées :

« Le succès est complet. Il ne reste plus rien de la grande armée du Pérou. Elle a perdu plus de douze mille hommes, le reste est en fuite, ou a rendu les armes.

« Elle laisse en notre pouvoir un immense matériel de guerre, deux cent vingt-deux canons, cent vingt-quatre pièces de campagne, quinze mille fusils, plus de quatre millions de cartouches, de grands approvisionnemens de poudre et de dynamite.

« J’ajouterai que les forces navales du Pérou sont anéanties à tel point qu’il ne pourrait même pas mettre une felouque à la mer. »

Dans ces conditions, il ne restait plus qu’à traiter de la paix, mais avec qui ?

Pierola en fuite s’était retiré dans les Andes, désespéré de ses défaites, mais prêt encore à tenter la fortune, accusant les Chiliens de trahison dans l’attaque des lignes de Miraflorès, croyant ou feignant de croire que, dupe d’un armistice trompeur, il avait été vaincu par surprise, incarnant en lui la haine de l’envahisseur et l’idée de résistance, rêvant de rallier, dans sa retraite presque inaccessible d’Ayacucho, les débris de ses bataillons dispersés, rachetant enfin par sa ténacité dans le malheur les erreurs de ses proclamations emphatiques et de ses présomptueuses assurances. Aux premières ouvertures de négociations qui lui furent transmises par l’intermédiaire du ministre des États-Unis, il répondit par un refus hautain de traiter sur la base d’une cession territoriale. Son plan était d’entraîner à sa poursuite l’armée chilienne, de l’user par une lutte de guérillas, de lui disputer une à une les âpres vallées des Andes, où une poignée d’hommes déterminés peut tenir une armée en échec, de la harceler sans paix ni trêve, de soulever contre l’ennemi national les descendans des Indiens Huancas, dont la bravoure avait résisté à tous les efforts de Pizarro, et d’aller, s’il le fallait, jusqu’en Bolivie pour entraîner cette république dans la guerre qu’il méditait.

Pour réduire ces projets à néant, les chefs chiliens provoquèrent l’organisation à Lima d’un nouveau gouvernement avec lequel il leur fût possible de négocier. Le colonel Lynch, rappelé du Callao, est nommé gouverneur militaire de la capitale. Sous sa direction énergique, l’ordre se rétablit, mais l’occupation chilienne pesait lourdement sur les finances de cette malheureuse ville, où la partie riche et éclairée de la population n’aspirait qu’à une paix qui lui permît de panser les blessures de la guerre. Cédant aux sollicitations des citoyens les plus influens, don Francisco Garcia Calderon, célèbre jurisconsulte de Lima, homme riche et intègre, consentit à accepter les difficiles fonctions de président du Pérou ; il s’entoura de conseillers estimés, et, avec l’autorisation du général chilien, il convoqua le congrès à Chorrillos. Composé en majorité de partisans de Pierola, le congrès se réunit le 23 août 1881, mais refusa au nouveau président les pouvoirs pour traiter sur la base d’une cession territoriale quelconque.

Ce gouvernement improvisé, quelle que fût la valeur personnelle des hommes qui le composaient, n’avait plus de raison d’être. Impuissant à traiter de la paix, considéré à tort comme imposé ou patronné par l’ennemi vainqueur, il dut se retirer le 28 septembre.

Deux mois plus tard, le 28 novembre 1882, Pierola, convaincu enfin de l’impossibilité de soulever les populations et de recommencer la lutte, successivement débusqué par les colonnes chiliennes de Cauta et de Cerro de Pasco, où il avait établi son quartier général, se démettait de ses fonctions de chef suprême de la résistance. Il abdiquait, comme président du Pérou, un pouvoir plus nominal que réel depuis la chute de Lima et quittait le pays.

L’amiral Montero lui succédait, en qualité de vice-président, et organisait à Arequipa un simulacre de gouvernement autour duquel il parvenait a réunir environ cinq mille hommes de troupes. Mais il ne pouvait songer à reprendre l’offensive. Le général Iglesias, ministre de la guerre de Pierola, Illustré par sa défense héroïque de Morro-Solar, se maintenait encore dans les provinces du Nord par des prodiges d’activité et repoussait, en septembre 1882, l’attaque d’une colonne chilienne, qu’il battait à San Pablo et rejetait en désordre sur Pacasmayo ; mais un succès isolé, que le petit nombre de ses soldats l’empêchait de poursuivre, n’était pas fait pour ramener la fortune et pour changer le cours des événemens. Le pays, épuisé, lassé par une guerre malheureuse de trois années, à court d’argent et à bout de ressources, ne pouvait plus tenter un effort désespéré et soutenu. Le général Iglesias le savait, mais il savait aussi qu’un peuple vaincu se tourne d’instinct vers ceux qui n’ont pas désespéré de lui et qui, ne pouvant lui donner la victoire, ont illustré sa défaite et imposé le respect au vainqueur.

La retraite de Pierola, la chute de Calderon, l’impuissance de Montero mettaient en relief puissant la personnalité d’Iglesias. Le Pérou voyait en lui son dernier défenseur, le Chili le seul homme capable de constituer un gouvernement, même provisoire, avec lequel on pût négocier. Iglesias accueillit favorablement les ouvertures qui lui furent faites ; des pourparlers s’engagèrent, et, le 19 octobre dernier, on signait un traité provisoire qu’Iglesias s’engageait à proposer au congrès. De leur côté, les chefs chiliens le reconnaissaient comme président du Pérou.

Le 20 octobre, l’armée chilienne évacuait Lima et Le Callao et se retirait à Chorrillos et Barranco ; — le 24, Iglesias entrait dans la capitale pavoisée, sur laquelle il faisait hisser de nouveau le pavillon national.

La guerre est terminée. Sur mer et sur terre, le Chili a affirmé la supériorité de ses armes. La solidité de ses troupes, leur discipline, la tactique de ses généraux, ont triomphé de la bravoure chevaleresque et brillante de leurs adversaires. Ses finances, bien gérées ; son administration, bien dirigée, lui ont permis de mener à bonne fin une campagne qui semblait, à l’origine, dépasser ses forces. Entreprise dans un dessein en apparence purement industriel, la guerre l’a rendu maître des riches dépôts de nitrate de la province d’Atacama et de plus de cent lieues de côtes du sud du Pérou. Rejetée dans l’intérieur du continent, la Bolivie a perdu l’accès de l’Océan-Pacifique et le Pérou a vu sa capitale occupée par une armée ennemie. Le Chili a fait l’essai de ses forces, et la fortune s’est montrée à la hauteur de son audace et de ses espérances.

Transplantée depuis trois siècles et demi dans le Nouveau-Monde, la race espagnole n’y a rien perdu des vertus militaires auxquelles elle dut d’occuper pendant tant d’années le premier rang en Europe. Ses qualités, comme ses défauts, se sont peu modifiées dans ce milieu lointain. En Amérique comme en Europe, elle est restée sobre et dure à la fatigue, tenace et résistante dans l’adversité, intrépide et vaillante dans la lutte. Les marins du Huascar sont bien les descendans des hardis compagnons de Cortez, et les soldats de Tacna, d’Arequipa et de Lima ont montré, dans un camp comme dans l’autre, la solidité des vieux routiers de Pizarro.

Mais le même esprit séparatiste qui a fait si longtemps le malheur de l’Espagne et armé les unes contre les autres les fières populations de ses provinces, Basques contre Aragonais, Navarre contre Castille, Murcie contre Grenade, et qui mit plus d’une fois ce vaste empire à deux doigts de sa perte, ce même esprit se retrouve encore dans ces immenses territoires à peine peuplés de l’Amérique méridionale. Nous y voyons une race identique, une foi religieuse commune ; la langue, les mœurs, l’origine sont les mêmes, mêmes aussi les qualités, les défauts, l’orgueil et le courage, même enfin l’organisation politique et la forme du gouvernement. Dans ces conditions, la guerre est véritablement une guerre civile et, de part et d’autre, on commence à s’en rendre compte. A l’entraînement de la lutte succède un apaisement relatif qui permet de mesurer les pertes subies, les résultats obtenus, et de discerner les causes du succès du Chili et de la défaite du Pérou.

Ces enseignemens de l’histoire ne sauraient être perdus. Mais il en est un qui s’impose aux esprits même les plus prévenus, c’est que les questions qui divisent les républiques hispano-américaines peuvent être réglées sans recourir à la guerre et que ces républiques ont un meilleur emploi à faire de leur or et de leur sang. Triompher des obstacles que leur oppose la nature, mettre en valeur les immenses ressources de leur sol et de leur climat, conquérir à la civilisation les vastes solitudes auxquelles elles confinent, est une tâche plus utile et plus glorieuse que de se mesurer sur des champs de bataille illustrés déjà par les luttes communes soutenues par leurs ancêtres pour conquérir une indépendance désormais assurée. Si, mettant à profit le légitime ascendant que lui donnent ses victoires, le Chili sait ramener à lui, par une paix honorable, ses ennemis d’un jour pour en faire ses alliés, s’il concentre en un faisceau commun des forces, jusqu’ici divisées, pour les entraîner avec lui dans la voie des conquêtes pacifiques, il aura plus fait pour sa gloire et pour sa fortune qu’en triomphant de la coalition du Pérou et de la Bolivie. Il aura jeté les fondemens d’un riche et puissant état dont la prospérité pourra égaler un jour celle de la grande république américaine. Sur ce vaste continent, découvert par les vieux conquistadores il aura créé un empire nouveau et affirmé la vitalité puissante de cette race espagnole qui a joué un si grand rôle dans notre vieille Europe et sur les possessions de laquelle le soleil ne se couchait jamais.


C. DE VARIGNY.

  1. Voyez la Revue du 15 juillet et du 1er décembre 1881.
  2. 2 vol. in-8o ; Librairie militaire de Dumaine.