La Guerre de Russie/Ma petite cousine

Imprimerie des petites lectures (p. 58-ill).

II

MA PETITE COUSINE.

LA nuit est venue. Les Russes ont cessé de nous envoyer des boulets de canon, les cosaques ne nous poursuivent plus et je vois au loin les feux de leurs bivouacs.

Il me semble que je viens de m’éveiller et que, pendant mon rêve, j’ai assisté à une scène de l’enfer. Je vois encore ce pont qui s’écroule, ces milliers de soldats qui luttent contre la mort, s’accrochent aux glaçons qui les meurtrissent et s’enfoncent enfin en jetant un long cri de douleur et de désespoir. Je vois ces canons démontés, ces chevaux éventrés, ces fuyards, mes malheureux compagnons d’armes, tombant mutilés et implorant en vain la pitié de leurs camarades qui fuient sans regarder en arrière, uniquement préoccupés de leur propre conservation. Mais j’ai peine à croire que tout cela s’est passé comme je le vois encore, sinon avec les yeux du corps, du moins avec ceux de l’esprit.

Je marche au hasard, chancelant comme un homme ivre. Je n’ai plus mangé depuis vingt-quatre heures… Cependant je possède encore quelques provisions ; mais, qui oserait s’arrêter, faire du feu, se montrer à l’ennemi invisible qui est là peut-être, à quelques pas, le doigt sur la détente de son fusil, cherchant à faire une victime de plus, après tant de victimes que la Bérésina a englouties ou que les boulets ont broyées ?…

D’autres soldats marchent comme moi, silencieux et sombres. On dirait des condamnés qui vont au supplice, des désespérés qui se sentent poussés par la fatalité. De temps en temps j’en vois qui s’arrêtent au bord du chemin, où ils se laissent tomber pour attendre la mort qui ne tardera guère. Puis viendront les cosaques qui les dépouilleront, les loups et les corbeaux qui se repaîtront de leurs cadavres. C’est désormais le sort qui nous attend tous.

Comment se fait-il que je porte un fusil ? M’en suis-je servi aujourd’hui ? Oui. Et je me rappelle maintenant que j’ai ramassé cette arme, tombée toute sanglante des mains d’un soldat coupé en deux par un boulet. Pendant plus d’une heure j’ai tiré, un peu au hasard, sur les Russes accourus pour nous couper la retraite. Combien en ai-je tué ? Triste chose que la guerre ! Que m’avaient fait, à moi enfant du peuple, ces pauvres soldats, enfants du peuple comme moi ? Et cependant, enivré par l’odeur de la poudre, je tirais toujours, sans pitié pour ceux que le projectile meurtrier pouvait atteindre. Mes munitions étant épuisées, je m’en procurai d’autres, en fouillant les gibernes des morts. J’ai vu tomber un officier russe que j’avais visé. Est-ce moi qui l’ai tué ? Il est peut-être mort en me maudissant…

Nous marchons toujours… La route est couverte de neige ; de gros flocons tourbillonnent autour de nous, se collent à nos vêtements, nous aveuglent et nous glacent.

Le souvenir de mes parents, de mes amis, de… ma fiancée, vient me faire oublier pour un instant les scènes horribles auxquelles j’ai assisté. On doit penser à moi, on me croit mort sans doute, car la nouvelle de nos désastres est maintenant arrivée au pays… Ah ! le vieux Desbuttes a eu raison de ne pas faire attendre sa promise, car les soldats de Napoléon ne doivent pas compter sur le lendemain.

En ce moment je me rappelle jusqu’au dernier mot l’histoire du pauvre soldat que je n’ai plus vu depuis deux jours et qui, peut-être, dort là-bas, sur les rives du fleuve glacé, sous une couche de neige, à moins que les corbeaux ne l’aient dévoré !

Il aimait une jeune fille de son village et il était payé de retour. Mais, après avoir, pendant près de quatre ans, suivi son drapeau d’un bout de l’Europe à l’autre, il lui sembla qu’il n’avait pas le droit de demander son congé. La France avait encore d’innombrables ennemis et, dans de pareilles conditions, on se doit à sa patrie. C’est ainsi que raisonnait le brave soldat et il fit tant et si bien qu’il décida sa future à se laisser épouser par un jeune cultivateur plus disposé à conduire la charrue qu’à cueillir des lauriers sur les champs de bataille.

Il eut le courage de cacher sa douleur et même de feindre l’indifférence ; mais lorsqu’il me parla de ce douloureux sacrifice, plusieurs années après, ses yeux s’humectèrent et sa voix trembla, bien qu’il ajoutât : « Je n’ai pas hésité une minute, car tout bon citoyen doit aimer son pays avant tout… »

Si je pouvais au moins, parmi tous les malheureux qui m’entourent, trouver un ami, lui confier mes peines et mes espérances, lui parler de la patrie et de ceux qui nous attendent là-bas, il me semble que ma douleur serait moins amère et que j’aurais le courage de souffrir sans me plaindre.

Puis, nous pourrions nous secourir, nous soutenir mutuellement. Malheur partagé est plus facile à supporter. On est plus fort, quand on est deux ; ce que l’un ne possède pas, l’autre peut l’avoir ; ce que l’un n’oserait faire, l’autre le fera. À deux, on mène quelquefois à bonne fin ce que seul on jugerait téméraire d’entreprendre…

Mais ceux qui m’entourent marchent comme des fantômes, sans lever la tête, sans prononcer une parole.

Ils sont, pour la plupart, aussi malheureux que moi. J’en vois beaucoup qui n’ont plus de chaussure ; quelques lambeaux d’étoffe protègent tant bien que mal leurs pieds meurtris. Je ne puis distinguer leurs traits, car l’obscurité est pour ainsi dire complète ; mais tout dans leur attitude me prouve qu’il serait inutile de leur adresser la parole.

Si j’essayais cependant…

Je mets la main sur l’épaule d’un soldat qui marche à côté de moi.

— Il fait bien froid, camarade, lui dis-je en adoucissant ma voix.

Pas de réponse.

Je presse le pas et m’adresse à un autre.

Même silence.

Voyons, ne serais-je pas le jouet d’un rêve ? Sont-ce des hommes en chair et en os ou des spectres qui suivent avec moi ce chemin raboteux que la neige blanchit ?

Hélas ! oui, ce sont des soldats comme moi, de malheureux fugitifs comme moi, et comme moi ils songent sans doute que bientôt ils tomberont pour ne plus se relever.

Ils marchent machinalement. Où vont-ils ? En avant, vers l’inconnu, où le hasard les mène ! Pourquoi prennent-ils cette direction et pas une autre ? Ils n’en savent rien. D’ailleurs, cela leur est bien indifférent. Ils marchent, parce que l’immobilité les tuerait. La mort les guette : elle saisit impitoyablement ceux qui s’arrêtent. Il y en a qui tombent ; ils ne cherchent même pas à se relever. Maintenant ou un peu plus tard, n’est-ce pas la même chose ? Les morts ou les mourants n’excitent plus même la pitié. Un corps étendu sur la route glacée est un obstacle ou un jalon, rien de plus.

Le sombre désespoir étreint tous les cœurs.

Eh bien ! je ne veux pas m’arrêter à ces lugubres pensées… Je veux marcher, marcher toujours, revoir mon pays, embrasser ceux que j’aime, puis retourner au régiment et revenir ici pour venger mes compagnons d’armes. L’empereur n’a pu subir cette défaite sans prendre la résolution de la réparer par de nouvelles et éclatantes victoires.

Pauvre soldat, pauvre chair à canon volontaire, comme la misère te fait déraisonner !

Je presse le pas et laisse bientôt derrière moi vingt, trente, quarante soldats, qui n’ont pas même l’air de me voir passer.

J’entends le pas d’un cheval ! C’est comme si un choc électrique me faisait frémir des pieds à la tête. Un général seul peut avoir conservé sa monture. Autour de lui je trouverai des hommes forts et courageux encore, je verrai le drapeau, et, pour tout bon soldat, le drapeau est comme une seconde patrie.

Ciel !… Un pauvre vieux cheval tout efflanqué, se traînant à peine, porte une femme qui tient un enfant dans ses bras. C’est du moins ce que je suppose, car le lamentable groupe s’estompe à peine sous le ciel gris, au milieu des tourbillons de neige.

Je presse encore le pas. Oui, j’ai bien deviné ; de temps en temps la pauvre mère entr’ouvre son manteau sous lequel elle cache son précieux fardeau et elle donne à la frêle créature des baisers passionnés.

Un peu en avant, le dos courbé, pliant sous le poids d’un havre-sac sur lequel sont entassés de gros paquets et tenant le cheval par la bride, marche un homme qui se retourne de temps en temps, comme pour s’assurer que le coursier haletant le suit encore.

Tout-à-coup la femme murmure doucement quelques paroles d’une ballade flamande. Cela me remue profondément et réveille dans mon cœur les plus doux souvenirs.

— Nous sommes probablement du même pays, lui dis-je tout ému ; si je puis vous être utile, vous n’avez qu’à parler.

Elle tourne la tête de mon côté, me fait de la main un signe d’amitié, mais ne répond pas.

Je comprends : elle craint d’éveiller son enfant.

L’homme qui marche devant, ralentit le pas et me demande, en flamand, si je suis Anversois. Mon accent le lui a fait supposer.

En deux bonds je suis à ses côtés. Je lui serre la main, et lui apprends que je suis né non loin de la métropole commerciale, à Niel, près de Boom.

— Ah ! voilà qui est curieux !… s’écrie-t-il ; ma femme est la fille d’André le charron, de Niel.

— Et par conséquent ma cousine !… car André est mon oncle.

— Tu es ?…

— Charles Caron…

J’ai entendu bien souvent parler de toi et ma femme sera heureuse de te voir près de nous ; cela nous rappellera la famille et le pays… Mais comment trouves-tu notre position ? Pas brillante, n’est-ce pas ? Les Russes nous ont donné une de ces leçons qu’il est difficile d’oublier. Et maintenant que va-t-il arriver ? Si j’étais seul, je ne me désolerais pas ; mais mon cœur se brise quand je pense à ma femme et à ma pauvre petite fille.

— Mais aussi, pourquoi ma cousine est-elle venue en Russie ?

— Ah oui, pourquoi ? J’avais huit années de service et je venais de me marier, lorsqu’il m’a fallu retourner au régiment, pour venir dans ce pays de malheur où tout nous fait la guerre, les hommes et les éléments. Thérèse a voulu me suivre. Elle avait entendu dire que les cantinières gagnaient beaucoup d’argent et elle voulait en amasser un peu, pour acheter une petite ferme… Adieu maintenant les beaux rêves !

— Je plains surtout les femmes.

— Et cependant il y en eut beaucoup dans l’armée. J’en pourrais citer qui ont fait preuve d’un courage et d’une énergie indomptables.

— En effet, je me souviens qu’à Mojaïsk une de ces héroïnes secourait les blessés sous le feu de l’ennemi.

— J’ai vu mieux que cela hier. Une cantinière flamande, furieuse de voir tomber autour d’elle tous les hommes de sa compagnie, ramassa un fusil et fit le coup de feu sans se soucier des balles qui pleuvaient autour d’elle. Le soir, je la revis ; elle avait coupé ses cheveux et endossé un uniforme de grenadier. Son mari étant blessé, ce fut elle qui se chargea de la plus grosse part de leurs bagages. J’espère qu’elle reverra son pays et que l’empereur ne l’oubliera pas.[1]

Nous causâmes ainsi jusqu’au matin. Cela me fit beaucoup de bien, car j’oubliais mes propres peines en compatissant à celles des autres.

Aux premières lueurs du jour, nous atteignîmes un petit hameau, ou, pour mieux dire, les débris fumants de quelques maisons abandonnées.

Alors seulement je pus distinguer les traits de ma pauvre cousine. Elle pleura de joie en me tendant ses joues amaigries sur lesquelles je déposai deux gros baisers et me montra son enfant, joli petit bébé que je mangeai de caresses.

— Ne perdons pas de temps, me dit mon cousin ; hâtons-nous de chercher un petit coin pour y préparer notre déjeuner et sécher nos vêtements. Entrons bien vite dans cette grange.

De tous côtés arrivaient des soldats qui s’installaient à la hâte dans les bâtiments que le feu n’avait pas détruits complètement.

Dix minutes après, nous étions assis autour d’un grand feu. Ma cousine fit du chocolat et m’en offrit une tasse. Que c’était bon ! Je n’en avais plus goûté depuis longtemps et n’en boirais pas de si tôt.

Mes bons parents ne voulurent pas me laisser entamer mes petites provisions ; ils étaient plus riches que moi et, si loin du pays, ils s’estimaient heureux de pouvoir me faire un peu de bien.

La grange dans laquelle nous nous étions installés fut bientôt pleine de monde. Les premiers venus s’accroupirent sans cérémonie à nos côtés, autour du feu. Les autres se casèrent le mieux possible, cherchant à prendre leur part de la chaleur bienfaisante de la flamme qui pétillait joyeusement et faisait fumer l’aire de la glaise durcie.

Je buvais mon chocolat à petites gorgées, faisant durer un plaisir qui ne se présenterait plus souvent dans ce pays de misère. Un jeune caporal d’infanterie suivait d’un œil avide tous mes mouvements.

— C’est bon, n’est-ce pas ? dit-il en jetant un regard plein de convoitise sur le breuvage fumant.

— Délicieux, répondis-je. De bon cœur je vous en offrirais une tasse, mais malheureusement…

Ma cousine me fit un signe. Il lui restait quelques gouttes de la bienfaisante boisson ; elle les versa dans mon gobelet que je tendis au jeune homme.

Celui-ci but le café sans perdre une goutte, puis, me rendant le gobelet :

— Merci, lieutenant, me dit-il ; je n’oublierai jamais le bien que vous et cette bonne dame m’avez fait ! Cela me réchauffe et me rend tout gai. Tenez, si je ne craignais pas de perdre ma place, je danserais un rigodon. Il est vrai que je serais maladroit, car ma blessure me fait boiter.

— Comment ! vous êtes blessé ?

— Légèrement… Une balle à travers le mollet. Ce qui me tourmente le plus, c’est que je n’ai pas de linge pour bander ma plaie.

— J’en ai, moi, répondit ma cousine ; venez ici, caporal, je vous arrangerai cela aussi bien que le meilleur chirurgien de l’armée.

Il fallut manœuvrer adroitement pour permettre au blessé de s’approcher de la sœur de charité improvisée sans perdre nous même notre place. Car le froid égoïsme commençait à s’emparer des soldats. On bousculait sans pitié ceux qui étaient trop faibles pour se défendre, on se disputait à coup de poing les meilleures places près du feu.

Heureusement, un grand bruit qui se faisait au dehors nous débarrassa pour quelques instants de nos compagnons trop turbulents. Des maraudeurs venaient d’arriver, chassant devant eux trois vaches et un porc qu’ils avaient capturés. Tout le monde s’élança au dehors, pour réclamer ou prendre de force sa part de butin.

Pendant ce temps, ma cousine lava et pansa la blessure du caporal, enveloppa chaudement sa jambe meurtrie et lui remit un bon paquet de linge et de charpie.

Le pauvre garçon la remerçia avec effusion et demanda comme une grâce de pouvoir voyager en notre compagnie. Nous jurâmes de nous aider mutuellement et surtout de protéger la petite cousine.

On eût dit que la chère enfant me connaissait déjà. Elle me tendait les bras et se montrait heureuse de mes caresses.

— Est-elle baptisée ? demandai-je au père.

— Non, répondit-il ; depuis que nous avons quitté les pays civilisés, nous avons eu rarement l’occasion de voir un prêtre.

— En cas de nécessité, tout le monde peut baptiser…

— Tu as raison, dit ma cousine, c’est une chose que nous ne pouvons remettre dans les circonstances actuelles ; mais qui va se charger de ce soin ?

— Moi, s’écria le caporal ; j’ai été enfant de chœur et je sais comment il faut faire.

— Et moi, ajoutai-je en m’adressant à la mère, m’acceptes-tu pour parrain de cette chère petite ?

— Je le crois bien ! Mais nous n’avons pas de marraine…

— On s’en passera.

Le cousin tortillait sa grosse moustache, tout en regardant attentivement ce qui se passait au dehors. Sans rien nous dire, il se leva brusquement et quitta la grange.

Il revint au bout d’un instant, tenant par la main un gros grenadier qui nous fit le salut militaire.

Derrière eux marchait un soldat qui traînait le pied et dont le costume ne permettait pas de déterminer à quel régiment il appartenait.

— Voici la marraine, dit mon cousin en nous présentant le grenadier.

Le caporal et moi nous partîmes d’un éclat de rire.

— Ne riez pas, reprit le cousin : j’ai parlé cette nuit d’une cantinière…

— Eh ! bien ?

— La voici !

C’était elle en effet ; mais comme elle avait des traits fortement accentués et qu’elle portait crânement l’uniforme, on eût difficilement reconnu en elle la sémillante vivandière d’autrefois.

Tout le monde était à son poste pour la cérémonie.

Nous découvrant respectueusement, nous fîmes une courte prière et l’eau sainte du baptême coula sur le front de la jeune chrétienne.

— Nous remettrons la fête à un autre jour, dit le père avec un triste sourire.

— On se retrouvera au pays, ajouta ma cousine.

— Pour cela, dis-je, il faut que le courage ne nous manque pas. Je crois que nous ferions bien de nous mettre en route immédiatement. Pendant que vous ferez vos derniers préparatifs, je vais tâcher de prendre ma part du butin qu’on se dispute au-dehors.

— Approuvé ! dirent d’une voix tous mes compagnons d’infortune. Dans la cour, on s’arrachait les lambeaux sanglants du bétail abattu. Il me fut facile de capturer un bon morceau, mal découpé, par exemple, et encore tout couvert de poils ; mais on n’y regarde pas de si près en pareilles circonstances.

Nous avions des vivres pour une couple de jours de plus. Mes amis étaient prêts. Ils m’attendaient dans un coin de la grange et leurs places autour du feu étaient déjà prises par un triple rang de soldats déguenillés.

Ma cousine un peu pâle, mais forte et courageuse, tenait dans ses bras la petite Marie, qui venait de s’endormir. De la poche de sa robe je vis sortir la crosse d’un pistolet. Les cosaques ne l’insulteraient pas impunément !

Son mari était un de ces bons villageois qu’on ne devrait jamais arracher aux travaux de la campagne. Cependant, au moment du danger, ils montrent un courage et un stoïcisme qui étonnent les plus vaillants.

La marraine, Catherine P…, était une de ces gaillardes qu’on n’effraye pas facilement. Elle ne montrait pas la moindre émotion, et je me dis qu’on pourrait compter sur elle en cas de danger.

Le soldat qui était entré avec elle dans la grange était son mari. Pas plus que mon cousin, il n’était fait pour le métier des armes ; mais il se comportait comme les plus vaillants, quand il s’agissait de donner des coups ou… d’en recevoir.

Quant au caporal, c’était un enfant de Paris, toujours gai, toujours spirituel, un peu blagueur peut-être, mais bon soldat et ami fidèle, comme je pus voir par la suite.

Mon cousin sortit le premier, pour aller prendre le cheval, qu’il avait attaché près de la grange, à un arbre.

La pauvre bête venait de tomber morte.

C’était une petite perte, car d’un moment à l’autre les fuyards pouvaient s’en emparer pour le manger.

La petite caravane se mit bravement en route. Beaucoup de soldats nous suivirent. Un officier, le capitaine Hasselle, essaya même de nous faire marcher en rang serrés ; il nous conseilla surtout de conserver nos armes, mais beaucoup de malheureux refusèrent de lui obéir.

La misère avait tué la discipline ! Après avoir marché pendant quelques heures assez rapidement, nous espérions rejoindre bientôt les quelques milliers de nos frères d’armes restés sous le drapeau, lorsque le cri : « Les Cosaques ! » vint semer l’effroi parmi nous.

Une centaine de cavaliers sortaient en effet d’un petit bois pour nous barrer le chemin.

Nous nous trouvions, mes amis et moi, au milieu d’un groupe assez nombreux de soldats de différents corps, armés de sabres et de fusils et décidés à vendre chèrement leur vie. Personne n’était là pour nous commander, mais l’instinct de la conservation et le désir de la vengeance suppléaient à l’absence des chefs.


UN BAPTÊME DANS UNE GRANGE.

  1. L’empereur l’oublia. La pauvre femme mourut à l’hôpital de Sottegem dans la Flandre-Orientale. Une autre flamande, une toute jeune fille, fut plus heureuse : Napoléon la décora sur le champ de bataille et la nomma lieutenant.