P.-V. Stock (p. 292-304).

XIX

LA FUITE DU ROI. — LA RÉACTION.
— FIN DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE


La Grande Révolution est pleine d’événements tragiques au plus haut degré. La prise de la Bastille, la marche des femmes sur Versailles, l’assaut des Tuileries et l’exécution du roi ont retenti dans le monde entier. Nous en avons appris les dates dès notre enfance. Cependant, à côté de ces grandes dates, il y en a d’autres, dont on oublie souvent de parler, mais qui eurent, selon nous, une signification encore plus haute pour résumer l’esprit de la Révolution à un moment donné et pour déterminer sa marche à venir.

Ainsi, pour la chute de la royauté, le moment le plus significatif de la Révolution, – celui qui en résume le mieux la première partie et qui va désormais donner à toute sa marche un certain caractère populaire, — c’est le 21 juin 1791 : cette nuit mémorable, lorsque des inconnus, des hommes du peuple, arrêtèrent le roi fugitif et sa famille à Varennes, au moment où ils allaient franchir la frontière et se jeter dans les bras de l’étranger. De cette nuit date la chute de la royauté. De ce moment, le peuple entre en scène pour repousser les politiciens à l’arrière-plan.

On connaît l’aventure. Tout un complot avait été ourdi à Paris pour faire évader le roi et lui permettre de se rendre de l’autre côté de la frontière, où il se mettrait à la tête des émigrés et des armées allemandes. La cour avait conçu ce plan dès septembre 1789, et il paraît que Lafayette en était averti[1].

Que les royalistes aient vu dans cette évasion le moyen de mettre le roi en sûreté et de maîtriser en même temps la Révolution, cela se comprend. Mais nombre de révolutionnaires de la bourgeoisie favorisaient aussi ce plan : les Bourbons une fois hors de France, pensaient-ils, on mettrait Philippe d’Orléans sur le trône et on se ferait octroyer par lui une constitution bourgeoise, sans avoir besoin du concours, toujours dangereux, des révoltes populaires.

Le peuple déjoua ce plan.

Un « inconnu, » Drouet, ex-maître de postes, reconnaît le roi au passage, dans un hameau. Mais la voiture royale part déjà au galop. Alors Drouet et un de ses amis, Guillaume, se lancent dans la nuit, à bride abattue, à la poursuite de la voiture. Les forêts de long de la route sont battues, ils le savent, par les hussards qui étaient venus sur la grand’route pour recevoir la voiture royale au Pont-de Somme-Vesle, mais qui, ne la voyant pas venir et craignant l’hostilité du peuple, se sont retirés dans les bois. Drouet et Guillaume parviennent cependant à éviter ces patrouilles en suivant les sentiers, qu’ils connaissent, mais ils ne rejoignent la voiture royale qu’à Varennes, où un délai imprévu l’avait retenue, – le relais et les hussards ne se trouvant pas à l’endroit précis du rendez-vous désigné, – et là, Drouet, prenant un peu les devants, a juste le temps de courir chez un ami, un cabaretier. – Es-tu bon patriote, toi ? – Je crois bien ! – Alors, allons arrêter le roi !

Et ils barrent d’abord, sans bruit, le chemin à la lourde berline royale, en plaçant en travers du pont de l’Aire une voiture chargée de meubles, qui par hasard se trouvait là. Puis, suivis de quatre ou cinq citoyens, armés de fusils, ils arrêtent les fugitifs au moment même où leur voiture, descendant de la Ville Haute vers le pont de l’Aire, s’engage sous la voûte de l’église Saint-Gençoult[2].

Drouet et ses amis font descendre les voyageurs, malgré leurs protestations et, en attendant que la municipalité vérifie leurs passeports, les font passer dans l’arrière-boutique de l’épicier Sauce. Là, le roi, ouvertement reconnu par un juge résidant à Varennes, se voit forcé d’abandonner son rôle de domestique de « Madame Korff » et, toujours fourbe, se met à plaider les dangers que sa famille courait à Paris, de la part d’Orléans, pour excuser son évasion.

Mais le peuple ne se laisse pas tromper. Il a saisi de suite les plans et la trahison du roi. Le tocsin sonne, et se répand dans la nuit, de Varennes dans la campagne, de village en village, faisant accourir de toutes parts les paysans armés de fourches et de bâtons. Ils gardent le roi, en attendant venir le jour, et deux paysans, la fourche à la main, font sentinelle à sa porte.

Les paysans accourent par milliers sur toute la route, de Varennes à Paris, et paralysent les hussards et les dragons de Bouillé, auxquels Louis XVI s’était fié pour son évasion. À Sainte-Menehould le tocsin sonnait déjà, immédiatement près le départ de la voiture royale ; de même à Clermont-en-Argonne. À Sainte-Menehould le peuple a même désarmé les dragons venus pour faire escorte au roi ; il fraternise maintenant avec eux. À Varennes, les soixante hussards allemands qui y étaient venus pour escorter le roi jusqu’à sa encontre avec Bouillé, et qui se tenaient postés dans la Ville Basse, de l’autre côté de l’Aire, sous les ordres du sous-lieutenant Rohrig, se montrent à peine. L’officier a disparu, sans que l’on ait jamais su depuis ce qu’il est devenu ; et quant à ses soldats, après avoir bu toute la journée avec les habitants (qui ne les insultaient pas, mais les gagnaient à leur cause en fraternisant avec eux), ils ne prennent plus aucun intérêt au roi. Ils boivent maintenant en criant : Vive la nation ! pendant que toute la ville, mise sur pied par le tocsin, se masse aux alentours de la boutique de Sauce.

Les approches de Varennes sont barricadés pour empêcher les hulans de Bouillé de pénétrer dans la ville. Et, dès la pointe du jour, les cris : À Paris ! à Paris ! retentissent dans la foule.

Ils ne font que redoubler, lorsque vers les dix heures du matin arrivent deux commissaires que Lafayette d’une part et l’Assemblée d’autre part ont envoyés le 21 au matin pour faire arrêter le roi et sa famille. Qu’ils partent ! Il faut qu’ils partent ! Nous les traînerons de force dans la voiture ! crient les paysans, furieux lorsqu’ils voient Louis XVI chercher à gagner du temps, en attendant l’arrivée de Bouillé et de ses hulans. Alors, après avoir détruit les papiers compromettants, qu’ils emportaient dans leur voiture, le roi et sa famille se voient obligés de se mettre en route.

Le peuple les ramène prisonniers à Paris. C’en était fait de la royauté. Elle tombait dans l’opprobre.

Au 14 juillet 1789, la royauté avait perdu sa forteresse, mais elle avait gardé sa force morale, son prestige. Trois mois plus tard, le 6 octobre, le roi devenait l’otage de la Révolution, mais le principe monarchiste restait toujours debout. Le roi, autour duquel se ralliaient les possédants, restait encore très puissant. Les Jacobins eux-mêmes n’osaient l’attaquer.

Mais, cette nuit que le roi, déguisé en domestique et gardé par les paysans, passa dans l’arrière-boutique d’un épicier de village, coudoyé par les « patriotes », à la lumière d’une chandelle plantée dans une lanterne, — cette nuit où le tocsin sonna pour empêcher le roi de trahir la nation, et où les paysans accourent pour le restituer prisonnier au peuple de Paris, — cette nuit la royauté s’effondrait pour toujours. Le roi, autrefois symbole de l’unité nationale, perdait sa raison d’être en devenant le symbole de l’union internationale des tyrans contre les peuples. Tous les trônes en Europe s’en ressentirent.

En même temps, le peuple entrait en lice pour forcer désormais la main aux meneurs politiques. Ce Drouet qui agit de sa propre initiative et déjoue les plans des politiciens ; ce villageois qui, dans la nuit, de son propre élan, pousse sa bête et lui fait franchir au galop côtes et vallons, à la poursuite du traître séculaire — le roi, — c’est l’image du peuple qui, dès lors, à chaque moment critique de la Révolution, va prendre les affaires en mains et dominer les politiciens.

L’envahissement des Tuileries par le peuple au 20 juin 1792, la marche des faubourgs de Paris contre les Tuileries le 10 août 1792, la déchéance et le reste, tous ces grands événements s’ensuivront désormais comme une nécessité historique.

L’idée du roi, lorsqu’il essaya de s’évader, était de se mettre à la tête de l’armée que commandait Bouillé, et, soutenu par une armée allemande, de marcher sur Paris. La capitale une fois reconquise, on sait aujourd’hui au juste ce que les royalistes se proposaient de faire. Ils allaient arrêter tous les « patriotes » : les listes de proscription étaient déjà dressées. Ils allaient exécuter les uns, déporter ou emprisonner les autres ; abolir tous les décrets que l’Assemblée avait votés pour établir la Constitution, ou pour combattre le clergé ; rétablir l’ancien régime avec ses ordres et ses classes ; réintroduire à main armée et au moyen d’exécutions sommaires les dîmes, les droits féodaux, les droits de chasse et toutes les redevances féodales de l’ancien régime.

Tel était le plan des royalistes : ils ne s’en cachaient même pas, — « Attendez, Messieurs les patriotes », disaient-ils à qui voulait les entendre ; « bientôt on vous fera payer vos crimes. »

Le peuple, nous l’avons dit, déjoua ce plan. Le roi, arrêté à Varennes, fut ramené à Paris, et placé sous la surveillance des patriotes des faubourgs.


On aurait cru que maintenant la Révolution allait suivre à pas de géant son développement logique. La trahison du roi une fois prouvée, on allait, n’est-ce pas, proclamer la déchéance, renverser les vieilles institutions féodales, inaugurer la république démocratique ?

Il n’en fut rien. Au contraire, c’est la réaction qui triompha définitivement un mois après la fuite de Varennes, et la bourgeoisie s’empressa de délivrer à la royauté un nouveau brevet d’immunité.

Le peuple avait tout de suite compris la situation. Il était évident qu’on ne pouvait plus laisser le roi sur le trône. Réintégré dans le château, il allait reprendre la trame de ses conspirations et comploter d’autant plus activement avec l’Autriche et la Prusse. Empêché désormais de quitter la France, il ne mettrait sans doute que plus de zèle à accélérer l’invasion. C’était de toute évidence ; d’autant plus qu’il n’avait rien appris. Il continuait de refuser sa signature aux décrets qui s’attaquaient à la puissance du clergé et aux prérogatives des seigneurs. Il fallait donc le détrôner, prononcer de suite la déchéance.

C’est ce que le peuple de Paris et d’une bonne partie des provinces comprit très bien. À Paris, on se mit, dès le lendemain du 21 juin, à démolir les bustes de Louis XVI, et à effacer les inscriptions royales. La foule envahit les Tuileries ; on parlait en plein air contre la royauté, on demandait la déchéance. Quand le duc d’Orléans fit sa promenade dans les rues de Paris, le sourire aux lèvres, croyant y ramasser une couronne, on lui tourna le dos : on ne voulait plus de roi. Les Cordeliers demandèrent ouvertement la république et signèrent une adresse, dans laquelle ils se proclamaient tous contre les rois — tous « tyrannicides ». Le Corps municipal de Paris fit une déclaration dans le même sens. Les sections de Paris se déclarèrent en permanence ; les bonnets de laine et les hommes à piques reparurent dans les rues : on se sentait à la veille d’un nouveau 14 juillet. Le peuple, en effet, était prêt à se mettre en mouvement pour renverser définitivement la royauté.

L’Assemblée nationale, sous l’impulsion du mouvement populaire, marcha de l’avant. Elle procéda comme s’il n’y avait plus de roi. N’avait-il pas abdiqué, en effet, par sa fuite même ? elle s’empara du pouvoir exécutif, donna des ordres aux ministres, et prit en main les rapports diplomatiques. Pendant une quinzaine de jours, la France vécut sans roi.

Mais voici que la bourgeoisie se ravise, se dédit et se met en opposition ouverte avec le mouvement républicain. L’attitude de l’Assemblée change dans le même sens. Alors que toutes les Sociétés populaires et fraternelles se prononcent pour la déchéance, le club des Jacobins, composé de bourgeois étatistes, répudie l’idée de république et se prononce pour le maintien de la monarchie constitutionnelle. — « Le mot république épouvante les fiers Jacobins », dit Réal à la tribune de leur club. Les plus avancés d’entre eux, y compris Robespierre, ont peur de se compromettre ; ils n’osent pas se prononcer pour la déchéance, ils parlent de calomnie quand on les appelle républicains.

L’Assemblée, si résolue le 22 juin, revient brusquement sur ses décisions, et, le 15 juillet, elle lance en toute hâte un décret par lequel elle innocente le roi et se prononce contre la déchéance, contre la république. Dès lors, demander la république devient un crime.

Que s’est-il donc passé pendant ces vingt jours pour que les chefs révolutionnaires de la bourgeoisie aient si soudainement viré de bord et pris la résolution de retenir Louis XVI sur le trône ? A-t-il manifesté son repentir ? A-t-il donné des gages de soumission à la Constitution ? — Non, il n’y a rien eu de semblable ! Le fait est que les meneurs bourgeois ont aperçu de nouveau le spectre qui les hantait depuis le 14 juillet et le 6 octobre 1789 : le soulèvement du peuple ! Les hommes à piques étaient descendus dans la rue et les provinces semblaient prêtes à se soulever, comme en août 1789. Le spectacle seul des milliers de paysans accourus des villages voisins, au son du tocsin, sur la route de Paris, et ramenant le roi dans la capitale — ce spectacle seul leur avait donné le frisson. Et maintenant, voilà que le peuple de Paris se levait, s’armait et demandait la continuation de la révolution : la république, l’abolition des droits féodaux, l’égalité sans phrases. La loi agraire, la taxe du pain, l’impôt sur les riches n’allaient-ils pas devenir des réalités ?

Non, plutôt le roi-traître, plutôt l’invasion étrangère que le succès de la révolution populaire.

Voilà pourquoi l’Assemblée se hâta de mettre fin à toute l’agitation républicaine en bâclant, le 15, ce décret qui mettait le roi hors de cause, le rétablissait sur le trône et déclarait criminels ceux qui demandaient que la révolution reprît son mouvement ascendant.

Sur quoi les Jacobins, ces prétendus meneurs de la Révolution, après une journée d’hésitations, abandonnèrent les républicains qui se proposaient de provoquer le 17 juillet, sur le champ de Mars, un vaste mouvement populaire contre la royauté. Et alors, la bourgeoisie contre-révolutionnaire, sûre de son affaire, rassembla sa garde nationale bourgeoise, la lança contre le peuple désarmé, réuni autour de l’« autel de la patrie » pour y signer une pétition républicaine, fit déployer le drapeau rouge, proclama la loi martiale, et massacra le peuple, les républicains.

Alors commença une période de franche réaction qui alla s’accentuant jusqu’au printemps de 1792.

Les républicains, auteurs de la pétition du Champ de Mars, qui demandait la déchéance, furent évidemment poursuivis. Danton dut passer en Angleterre (août 1791). Robert (franc républicain, rédacteur des Révolutions de Paris), Fréron et surtout Marat durent se cacher.

Profitant d’un moment de terreur, la bourgeoisie s’empressa de limiter davantage les droits électoraux du peuple. Désormais, pour être électeur, il fallut, en plus des dix journées de travail payées en contributions directes, posséder en propriété ou en usufruit un bien, évalué de 150 à 200 journées de travail, ou tenir comme fermier un bien évalué à 400 journées de travail. Les paysans, on le voit, étaient absolument privés de tous les droits politiques.

Après le 17 juillet (1791), il devint dangereux de se dire, ou d’être appelé républicain, et bientôt des révolutionnaires commencèrent à traiter « d’hommes pervers », qui n’ont « rien à perdre et tout à gagner dans le désordre et l’anarchie, » ceux qui demandaient la destitution du roi et la République.

Peu à peu la bourgeoisie s’enhardit, et c’est au milieu d’un mouvement royaliste prononcé, au bruit d’ovations enthousiastes faites au roi et à la reine par la bourgeoisie parisienne, que le roi vint accepter et solennellement jurer à l’Assemblée, le 14 septembre 1791, la Constitution qu’il trahissait le même jour.


Quinze jours plus tard, l’Assemblée constituante se séparait, et ce fut de nouveau l’occasion, pour les constitutionnalistes, de renouveler leurs manifestations royalistes en l’honneur de Louis XVI. Le gouvernement passait aux mains de l’Assemblée Législative, élue au suffrage restreint et évidemment encore plus bourgeoise que l’Assemblée Constituante.

Et la réaction s’accentuait toujours ! Vers la fin de 1791, les meilleurs révolutionnaires finissaient par désespérer complètement de la Révolution. Marat la croyait perdue. « La révolution, écrivait-il dans l’Ami du Peuple, a échoué… » Il demandait que l’on fît appel au peuple, mais on ne voulait pas l’écouter. « C’est une poignée d’infortunés » (de gens pauvres), disait-il dans son journal du 21 juillet, « qui ont fait tomber les murs de la Bastille ! Qu’on les mette à l’œuvre, ils se montreront comme le premier jour, ils ne demandent pas mieux que de combattre leurs tyrans ; mais alors ils étaient libres d’agir, et maintenant ils sont enchaînés. » Enchaînés par les meneurs, bien entendu. « Les patriotes n’osent plus se montrer », dit toujours Marat le 15 octobre 1791, « et les ennemis de la liberté remplissent les tribunes du Sénat et se trouvent partout. »

Voilà ce que devenait la Révolution à mesure que les bourgeois et leurs « intellectuels » triomphaient.

Ces mêmes paroles de désespoir, Camille Desmoulins les répétait au club des Jacobins, le 24 octobre 1791. Les « réactionnaires ont tourné, disait-il, le mouvement populaire de juillet et d’août 1789 à leur profit. Les favoris de la Cour parlent aujourd’hui de la souveraineté du peuple, des droits de l’homme, de l’égalité des citoyens, pour tromper le peuple, et ils paradent sous l’habit de la garde nationale pour saisir ou même acheter les places de chefs. Autour d’eux se rallient les suppôts du trône. Les démons de l’aristocratie ont fait preuve d’une habilité infernale. »

Prudhomme disait ouvertement que la nation était trahie par ses représentants et l’armée par ses chefs.

Mais Prudhomme et Desmoulins pouvaient au moins se montrer. Quant à un révolutionnaire populaire, comme Marat, il dut se cacher pendant plusieurs mois, ne sachant quelquefois où trouver un asile pour la nuit. On a très bien dit de lui qu’il plaidait la cause du peuple, la tête sur le billot. Danton, sur le point d’être arrêté, était parti pour Londres.

D’ailleurs, la reine elle-même, dans sa correspondance secrète avec Fersen, par l’intermédiaire duquel elle dirigeait l’invasion et préparait l’entrée des armées allemandes dans la capitale, constatait « un changement bien visible à Paris ». Le peuple, disait-elle, ne lit plus les journaux. « Il n’y a que la cherté du pain qui les occupe et les décrets » écrivait-elle le 31 octobre 1791.

La cherté du pain — et les décrets ! Le pain pour vivre et continuer la révolution — car il en manquait dès octobre ! Et les décrets contre les prêtres et les émigrés, que le roi refusait de sanctionner !

La trahison était partout, et l’on sait aujourd’hui qu’à cette même époque, fin 1791, Dumouriez, le général girondin qui commandait les armées de l’Est, complotait déjà avec le roi. Il lui adressait un mémoire secret sur les moyens d’arrêter la révolution ! On trouva ce mémoire après la prise des Tuileries, dans l’armoire de fer de Louis XVI.


  1. Voyez la lettre du comte d’Estaing à la reine, dont le brouillon, retrouvé plus tard, fut publié dans l’Histoire de la Révolution par Deux Amis de la Liberté, 1792, t. III, pp.  101-104. Voir aussi Louis Blanc, t. III, pp. 175-176.
  2. Il paraît fort possible, d’après les documents authentiques recueillis et analysés par M. G. Lenôtre (Le Drame de Varennes : juin 1791, Paris, 1905, pp. 151 et suivantes), que Drouet n’ait eu d’abord que des soupçons concernant les voyageurs ; qu’il hésitait, et qu’il ne se lança dans sa course à travers bois que lorsque ses soupçons furent confirmés par Jean de Lagny. Ce garçon de treize ans, fils du maître de poste de Chantrix, J.-B. Lagny, arriva à Sainte-Menehould après une course à fond de train, apportant l’ordre d’arrêter la berline royale, signé par Bayon – un des volontaires envoyés de Paris, le matin du 21 juin, par Lafayette à la poursuite du roi. Bayon, après avoir franchi trente-cinq lieues en six heures, en changeant dix fois de chevaux, n’en pouvait probablement plus et, s’arrêtant pour un moment à Chantrix, se hâta d’envoyer « devant lui un courrier ». Il est fort probable aussi (même ouvrage, pp. 62 et 63) que Louis XVI fut déjà reconnu à Chantrix, par Gabriel Vallet, un jeune homme qui venait d’épouser une des filles de J.-B. Lagny et qui avait été à Paris lors de la Fête de la Fédération. Ce Vallet conduisit la berline jusqu’à Châlons, où il ne garda certainement pas son secret.