La Grande Mademoiselle
Revue des Deux Mondes5e période, tome 25 (p. 506-551).
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LA GRANDE MADEMOISELLE

VI.[1]
LA CAPTIVITÉ DE LAUZUN LA FIN D’UNE PASSION. — MORT DE MADEMOISELLE.

La plupart des événemens qu’il nous reste à raconter sont demeurés obscurs. Ils figureraient dans les recueils d’énigmes historiques s’ils avaient plus d’importance ; mais aucun ne méritait cet honneur. Aucun n’a influé sur la marche des affaires en France, comme l’avait fait trente ans plus tôt le lien qui soumettait Anne d’Autriche à Mazarin ; aucun non plus ne possède l’attrait romanesque qu’offrait la légende du Masque de fer avant d’être éclaircie. En revanche, ce sont de ces choses qui nous rendent l’ancienne société française très présente et très vivante, et la part de mystère qu’elles contiennent n’est pas pour en diminuer l’intérêt : il n’y a que dans les romans que tout finit toujours par s’expliquer.


I

Le plus obscur peut-être de ces événemens est le mariage de la Grande Mademoiselle avec le « petit homme, » comme elle-même appelait Lauzun dans l’intimité. Les contemporains y ont cru à peu près unanimement, sans pouvoir ni s’entendre sur l’époque, à dix ans près, ni bien moins encore désigner le lieu et les témoins, ainsi qu’ils le faisaient pour Louis XIV et Mme de Maintenon. On n’en connaît jusqu’ici aucune preuve écrite ; Mademoiselle avait l’habitude de brûler ses lettres, et elle n’avait pas fait d’exception pour celles de Lauzun ; elle en dit son regret dans ses Mémoires. Nous sommes donc réduits aux preuves morales. Il est vrai qu’elles sont très fortes en faveur du mariage. Il est vrai aussi qu’elles ne sont pas toujours sans réplique.

L’idée d’un lien secret était venue à bien des gens après la rupture officielle. L’un des correspondans[2]de Bussy-Rabutin lui écrivait le 17 février 1671 : « (Mademoiselle) pleure encore quelquefois quand elle y pense ; souvent elle rit quand elle n’y pense pas. Son amant… continue de la voir et personne ne s’oppose : je ne sais ce qui en arrivera. » Trois semaines après, Mme de Scudéry faisait allusion au même bruit : « (A Paris, ce 6 mars 1671.) Mademoiselle par le toujours à M. de Lauzun. Leurs conversations commencent et finissent par des larmes. Cependant, je vous le dis, cela n’aboutira à rien. » Bussy était de ceux qui croyaient que « cela aboutirait » à quelque chose. Il répondit le 13 à Mme de Scudéry : « Je crois que l’affaire de Mademoiselle et Lauzun aura un succès heureux, non pas de la manière qu’ils l’espéraient d’abord, mais d’une autre plus secrète qui se fera du consentement du Roi. »

Mademoiselle accepterait-elle cette autre « manière ? » Il était permis d’en douter. Les mariages de conscience, si à la mode au XVIIe siècle, créaient des situations très fausses, et assez humiliantes, à qui n’était pas un Louis XIV, n’ayant de comptes à rendre à personne et maître de laisser transpirer la vérité. Les mariages secrets du reste des mortels devaient rester vraiment secrets, faute de quoi ils auraient eu une partie des effets que l’on avait voulu éviter ; de sorte que deux époux ne se voyaient toute leur vie qu’en bonne fortune, ce qui n’était pas du goût de tout le monde, non plus que les soupçons et les commentaires auxquels on n’échappait point, et la dépendance où l’on tombait vis-à-vis des serviteurs. Segrais ne voulut jamais croire que Mademoiselle eût épousé Lauzun, et l’une de ses raisons était qu’elle avait « chassé Madelon, sa femme de chambre, ce qu’elle n’aurait pas fait » si Madelon avait eu de quoi bavarder. Segrais aurait pu ajouter que sa maîtresse s’était toujours exprimée sévèrement sur les équivoques créées par les mariages de conscience.

Mais « tout change, » ainsi qu’elle l’avait dit au Roi dans leur grande conversation entre les deux portes[3]. Mademoiselle encourageait Lauzun à prendre vis-à-vis d’elle des airs de maître. Il la dirigeait, et elle lui était passionnément soumise : « Il me regardait tant, que je n’osais plus pleurer, et le pouvoir qu’il avait sur moi retenait mes larmes ; c’est en avoir beaucoup : car on n’en est pas maître soi-même. » Ce fut d’accord avec lui qu’elle fit maison nette de ceux de ses gens qui avaient blâmé leur premier projet. M. de Montausier et Mme de Se vigne essayèrent inutilement de sauver Segrais, qui était de leurs amis : « Elle n’est pas traitable, écrivait Mme de Sévigné, sur ce qui touche à neuf cents lieues près de la vue d’un certain cap[4]. » Ce fut Lauzun qui désigna le successeur de Guilloire, l’intendant, et qui soumit ce choix au Roi. Il y avait de quoi donner à penser. Lauzun en avertissait Mademoiselle : « On dira dans le monde que je veux faire le maître ; que je veux tout gouverner chez vous. » Elle répondait : — « Plût à Dieu que vous le voulussiez ! c’est ce que je souhaite avec passion. »

Elle lui avait confirmé par de nouveaux actes les folles donations du contrat, et le Roi rivalisait de générosité avec sa cousine. A en croire les courtisans, Louis XIV avait promis à Lauzun qu’il ne perdrait rien à ne pas épouser Mademoiselle. En tout cas, il le comblait. C’était des entrées de faveur, c’était le gouvernement du Berri, c’était 50 000 livres pour payer ses dettes, et il y avait apparence que sa fortune ne s’arrêterait pas en si beau chemin. Louvois s’en inquiétait, et amassait des trésors de haine contre le favori.

L’hiver se passa de la sorte. Au printemps, la Cour retourna en Flandre. Pendant un séjour à Dunkerque, on parla si haut de l’intimité du « nain » avec la Grande Mademoiselle, que cette princesse l’apprit : — « On fit courre le bruit que nous nous étions mariés avant que de partir de Paris, et la Gazette de Hollande le dit. On me l’apporta pour me la montrer. Il riait, je ne dis rien ; je la lui envoyai. » Deux pages plus loin, une autre conversation prouve que la nouvelle était tout au moins prématurée ; mais le public avait le droit de s’y tromper, tant les façons d’être de Mademoiselle avec Lauzun étaient devenues tendres et familières. Il fut question en ce même printemps d’un voyage à Fontainebleau : « Je dis à M. de Lauzun : « Ayez soin de mettre une calotte, quand vous y serez : le serein en est mortel pour les dents, vous qui êtes sujet à avoir mal aux yeux, à être enrhumé ; cet air fait tomber les cheveux. » Il me dit : — « Pour tes dents, j’en ai à conserver. Je crains le rhume ; car pour les yeux rouges, dont vous me faites la guerre, c’est à force de veiller que j’y ai mal quelquefois. Pour mes cheveux, j’en ai si peu que je n’ai rien à ménager. » Elle lui prêchait la propreté ; — « Quand on vous aura vu tout crasseux, on aura trouvé que j’avais un méchant goût. Pour mon honneur, vous devriez vous ajuster. » Il riait. Ou bien elle le grondait, par jalousie, parce qu’il s’échappait pour aller on ne savait où, et, alors, il l’enjôlait : — « Dès qu’il voyait que j’avais envie de le gronder, il avait des manières à me ramener et à me mettre de bonne humeur, qu’il n’y en eut jamais de pareilles. »

Tout cela ressemblait assez à une lune de miel, et les Mémoires de Mademoiselle pour l’automne de cette même année renferment un passage qui est presque un aveu : — « On continuait de dire que nous étions mariés. Nous ne disions rien ni lui ni moi, n’y ayant que nos amis particuliers qui nous en osassent parler, et on leur riait au nez, sans en dire davantage [que] : — « Le Roi sait ce qui en est. » La conduite de Mademoiselle, pendant les dix années qui vont suivre, ayant été une confirmation perpétuelle, et éclatante, de cette demi-confession, son mariage secret avec Lauzun serait acquis, et on le placerait sans hésitation entre mai et novembre 1671, sans un dernier texte qui remet tout en question. Nous le donnerons à sa date.

Quoi qu’il en fût, elle avait su ramasser les morceaux de son bonheur ; mais Lauzun perdit tout, une seconde fois. Il avait appris tout de suite qu’il devait à Mme de Montespan la rupture de son mariage, et il en avait conçu une haine furieuse contre cette fausse amie. La tête lui en tourna. Après une scène de portefaix, où il lui donna de ces noms qui ne s’impriment point, il alla se déchaînant contre elle dans les salons, avec une violence inouïe, et parfois à deux pas d’elle. Les courtisans s’émerveillaient de l’excès d’insolence d’une part et de l’excès de patience de l’autre, car Mme de Montespan endurait ces outrages sans souffler mot. On prétendait qu’elle avait été autrefois sa maîtresse, et qu’il la tenait par là. C’est à cette rude pénitence de la toute-puissante favorite que Mme Scarron faisait allusion lorsqu’elle « raisonnait, dans un souper conté par Mme de Sévigné[5], sur les horribles agitations d’un pays qu’elle connaissait bien…, les rages continuelles du petit Lauzun, le noir chagrin ou les tristes ennuis des dames de Saint-Germain ; et peut-être que la plus enviée n’en est pas toujours exempte. » Mme Scarron avait vu les « horribles agitations » de très près, car c’était encore elle qui était intervenue contre Lauzun, c’était sur ses représentations que Mme de Montespan avait fini par « dire au Roi qu’elle ne se croyait pas en sûreté de sa vie tant [qu’il] serait en liberté[6]. » Lauzun fut arrêté à Saint-Germain, dans sa chambre, le soir du 25 novembre 1671.

L’avant-veille, Mademoiselle était partie pour Paris en lui disant : « — Je ne sais ce que j’ai ; je suis dans un chagrin si horrible, que je ne puis durer ici. » Elle pleura tout du long de la route. Elle savait très bien d’où lui venait son chagrin ; on avait demandé à l’un de leurs amis « si M. de Lauzun était arrêté, » et cette question lui avait déplu.

Hasard ou précaution, la nouvelle de l’arrestation mit vingt-quatre heures à arriver au Luxembourg. Lauzun était déjà sur la route de Pignerol. En avant de lui courait M. de Nallot, l’homme du confiance expédié par Louvois, certainement avec une joie féroce, pour porter les instructions de son maître au sieur de Saint-Mars, gouverneur du donjon de Pignerol, et chargé du soin des prisonniers qui s’y trouvaient enfermés. Saint-Mars gardait Foucquet depuis sept ans, avec une telle fidélité aux ordres reçus, que Louvois ne doutait pas d’en être obéi aveuglément pour tout ce qu’il lui plairait de commander à l’égard de Lauzun. Ses instructions portaient de l’enfermer avec un valet, sans jamais les laisser sortir, ni communiquer avec âme au monde. Saint-Mars répondit :


A Pignerol, ce 9 décembre 1671.

« Monseigneur, M. de Nallot est arrivé ici le 5 du courant, où il m’a remis en main la lettre et l’instruction qu’il vous a plu avoir la bonté de m’envoyer par lui… Il vous pourra dire la manière dont je me comporte pour faire préparer en diligence l’appartement de M. de Lauzun ; il vous dira, Monseigneur, que je le logerai dans les deux chambres basses qui sont au-dessous de M. Foucquet ; ce sont celles où vous vîtes[7]les fenêtres grillées en dedans de grosses barres de fer ; de la manière que j’ai ordonné de faire en ce lieu-là, je vous réponds sur ma vie de la sûreté de la personne de M. de Lauzun, comme aussi de toutes les nouvelles qu’il pourrait donner ou recevoir. Je vous engage mon honneur, Monseigneur, que vous n’entendrez jamais parler de lui tant qu’il sera sous ma garde… il sera comme s’il était in pace… Le lieu que je lui fais préparer est tourné de manière que je ne puis y faire faire de trous pour le voir dans ses appartemens. Je prétends savoir tout ce qu’il fera et dira, jusqu’à la moindre chose, par le moyen d’un valet que je lui donnerai, ainsi que vous me l’ordonnez ; j’en ai trouvé un avec beaucoup de peine, et ce sont ces sortes de gens-là qui m’en donnent plus que tout le reste, parce qu’ils ne veulent point demeurer toute leur vie en prison… Vous m’ordonnez de ne faire dire la messe à M. de Lauzun que les fêtes et dimanches ; je m’attacherai fort régulièrement au pied de la lettre… Le confesseur de M. Foucquet le confessera à Pâques et pas davantage, quoi qu’il puisse arriver. Je n’ai d’autre pensée qu’à bien exécuter l’honneur de vos ordres ; je m’y attacherai toute ma vie avec tant de zèle, de passion et de fidélité, que j’espère que vous serez content de mes petits services[8]. »

Toutes les autorités de la citadelle avaient écrit à Louvois après l’arrivée de son agent, tant ses instructions avaient fait d’impression sur le personnel. On se disait qu’il fallait que ce M. de Lauzun fût un bien grand coupable, et un homme bien dangereux, pour nécessiter de pareilles précautions. Chacun tenant à montrer son zèle, Louis XIV fut abondamment renseigné sur le cachot destiné à son ancien favori. Louvois lui en montra le plan, qu’il venait de recevoir. C’était une « basse-voûte, » formant deux pièces, et donnant sur une cour déserte où personne ne passait jamais. Les fenêtres, obscurcies par leurs barreaux de fer et par des branches d’arbres, étaient munies de ces espèces de hottes, usitées dans les prisons, qui empêchent de voir ou d’être vu. Les bruits du dehors, même ceux « des corps de garde, et des cuisines, » n’arrivaient point dans ce lieu reculé, le plus « sourd » de toute la citadelle, à cause de l’énorme épaisseur des murailles et des voûtes : « — Jamais, disait l’une des lettres, M. Foucquet ne pourra savoir s’il a un compagnon ou non. » Les correspondans de Louvois insistaient unanimement sur l’impossibilité de se sauver de là.

Le Roi leur fit répondre d’ajouter encore « une grille en fer scellée en dedans de la chambre à l’embrasure des fenêtres, et une vissante à la cheminée, » pour empêcher M. de Lauzun de « parler à M. Foucquet par la même cheminée. »

Quand cette lettre partit de Saint-Germain, Lauzun était déjà sous clef à Pignerol. Il s’était montré fort triste, et fort abattu, pendant le voyage. Son affliction se changea en fureur à la vue du cachot qui l’attendait. Saint-Mars écrivit à Louvois : « — (22 décembre 1671.) Monseigneur, mon prisonnier est… dans un si profond chagrin, que je ne vous le puis figurer aussi grand qu’il est ; il m’a dit que je lui avais fait faire un logement pour in sæcula sæculorum. » Lauzun lui déclarait qu’il en deviendrait fou, et son agitation semblait lui donner raison : « — (30 décembre.) Je ne crois pas, Monseigneur, vous mander jamais rien de sa quiétude ; il est dans une affliction si grande, qu’il ne fait autre chose que de soupirer et de battre des pieds… Il m’a demandé une fois si je savais le sujet de sa détention ; je lui ai dit que je n’apprends jamais de nouvelles, de crainte d’en dire à personne. »

Lauzun devait deviner pourquoi il avait été arrêté ; mais personne ne le lui avait dit. On lui avait refusé à Saint-Germain toute explication, et, d’être mis dans un pareil cachot, au secret le plus rigoureux, sans même lui en donner la raison, cela lui paraissait criant d’injustice et d’arbitraire. Saint-Mars commençait à craindre une résolution désespérée : « (12 janvier 1672.) Monseigneur…, il est si extraordinairement chagrin que j’ai peur qu’il ne perde l’esprit ou qu’il ne se désespère[9], il m’en a menacé plusieurs fois… Comme je ne m’arrête pas à ces sortes de manières de parler, il m’a fait reproche que j’étais devenu dur et impitoyable par la longueur de temps que je garde des prisonniers, mais qu’il n’était point un condamné, et que tout ce qui faisait son mal extrême était qu’il ne savait point son péché. »

Il n’était pas un condamné. Ce fut son refrain pendant dix ans. Fouquet, son voisin de prison, était un condamné. Fouquet avait eu des juges, indépendans ou non. Il avait su de quoi on l’accusait, et l’on avait écouté sa défense. Lauzun était dans sa basse-voûte par le bon plaisir du Roi, sans avoir été admis à se justifier, et cela le révoltait.


II

Quand on vint dire à Mademoiselle que Lauzun était arrêté, elle éprouva un tel saisissement, qu’elle s’étonna « de n’en être pas morte. » Elle fut jusqu’au surlendemain dans un état pitoyable. Quelqu’un lui ayant alors « conseillé » de ne pas tarder davantage à reparaître devant le Roi, il fallut prendre une résolution. Si elle n’avait eu à penser qu’à soi, Mademoiselle aurait dit adieu au monde ; mais il y avait Lauzun, qui allait être très attaqué, selon l’usage des cours, à présent qu’il ne pouvait plus se défendre, et qui n’avait qu’elle au monde pour plaider sa cause auprès du Roi. Il était impossible de l’abandonner. Mademoiselle trouva la force de se lever et de se rendre à Saint-Germain. Elle ne vit le Roi que le soir, à son souper : « — Il me regarda avec un air assez triste et embarrassé. Je le regardai les larmes aux yeux ; je ne dis rien ; je sus qu’il avait dit en rentrant chez les dames[10] : « — Ma cousine en a usé avec bien de l’honnêteté pour moi : elle ne m’a rien dit. » — Il aurait été fort imprudent à moi de parler, car il était préparé à tout ce que j’aurais pu dire. »

La Cour de France était alors très gaie et très animée. Monsieur venait de se remarier (16 novembre) avec Elisabeth-Charlotte de Bavière, princesse palatine, si connue par l’originalité de son esprit et par la verdeur de son langage. Le Roi, qui avait bon goût en fait d’esprit, se montrait charmé de sa nouvelle belle-sœur et lui prodiguait les fêtes. Mademoiselle s’imposa d’assister à la première. Elle a conté d’une façon pathétique cette soirée abominable où elle avait l’air de regarder un ballet, tandis que sa pensée suivait au loin un carrosse enveloppé de mousquetaires : « — De songer qu’il n’y était plus, et qu’il faisait un froid, une neige épouvantables, et qu’il était par les chemins et pour aller en prison, ce qu’il souffrait en cet état, le mien était digne de pitié ; et je crois que ceux qui étaient capables d’en avoir de lui, cela leur en donnait de me voir, et en un lieu où l’on savait bien la peine que j’avais d’y être. Toute la consolation que j’y pouvais trouver, c’est que la continuation des sacrifices que je faisais au Roi sans cesse pourrait, par ma persévérance, attirer sa pitié sur M. de Lauzun et renouveler sa tendresse, ne me pouvant persuader qu’il ne l’aimait plus. J’étais trop heureuse si cela lui pouvait être bon à quelque chose. Voilà le motif qui m’a attachée à la Cour depuis sa prison, qui m’a fait surmonter ma juste douleur pour aller à toutes les choses, où mon devoir et mon inclination m’ont dû empêcher d’aller ; mais ce même devoir qui m’aurait retenue chez moi… m’a fait faire tous les pas que j’ai faits, qui ne convenaient pas à une personne dont le cœur est aussi pénétré qu’est le mien d’une tendre douleur. »

Après chaque effort de ce genre, elle s’accordait un peu de relâche pour pleurer dans son coin, puis elle revenait montrer à Louis XIV ses yeux rougis : « Je suis persuadée, écrivait-elle à propos d’un voyage avec la cour, que ma présence a fait souvenir de M. de Lauzun ; c’est pourquoi je voudrais être toujours devant les yeux (du Roi)… Je ne puis croire qu’il ne prenne toujours mes regards pour des supplications en sa faveur. » Elle s’ingéniait à lui rappeler l’absent. Passait-on devant une fenêtre grillée, Mademoiselle se mettait à plaindre les gens en prison. Apprenait-on que Lauzun avait été malade, elle sollicitait par lettre l’adoucissement de son régime. Louis XIV ne répondait jamais rien, mais il ne témoignait pas de mécontentement.

Les ennemis du disgracié travaillaient à détacher Mademoiselle de lui. Ils savaient son point faible ; elle était atrocement jalouse, et il ne fallait pas l’être avec Lauzun, le plus grand coureur de cette cour licencieuse. Au moment de son arrestation, ses papiers avaient été saisis. On y avait trouvé force lettres de femmes, des mèches de cheveux et autres gages amoureux, soigneusement étiquetés, et une espèce de musée secret renfermant des portraits que Louis XIV fit détruire, pas assez vite toutefois ; ils avaient été vus de plusieurs personnes, qui nommèrent les modèles. Les « cassettes » de M. de Lauzun furent le grand scandale mondain de l’hiver, et il ne manqua pas de gens pour l’exploiter auprès de Mademoiselle. Ils en furent pour leur méchanceté : elle eut la sagesse de ne vouloir rien savoir. C’était le passé.

Les mêmes gens essayèrent de lui ouvrir les yeux sur la duperie d’avoir donné son cœur à un homme qui n’en voulait qu’à ses millions. On lui disait : « Il ne vous aimait point ; quand on lui a promis de lui donner des biens, des charges, il vous a plantée là ; le jour que le Roi rompit votre mariage, il joua tout le soir avec une grande tranquillité ; il ne se souciait point de vous. » Elle convient dans ses Mémoires que l’on finit par se sentir ébranlé, lorsqu’on s’entend répéter de ces choses-là du matin au soir pendant des années. Ses propres souvenirs ne les confirmaient que trop : elle n’avait jamais eu de Lauzun un mot de tendresse ou seulement un mot gracieux. Mais le malheur est une sauvegarde invincible auprès des âmes généreuses. Mademoiselle raconte que son cœur « combattait contre elle-même » en faveur de son ami, et son cœur l’emportait, puisque chaque nouvelle année la retrouvait aussi dévouée que la précédente, aussi infatigable dans ses efforts pour le faire relâcher.

Il ne devait s’en douter qu’au bout de huit ans. Les contemporains ne sont pas arrivés à découvrir, ni personne après eux, pourquoi Louis XIV et Louvois attachaient une importance capitale à empêcher Lauzun d’avoir aucune nouvelle. De quoi avait-on peur ? Il y serait allé du salut de la France que les précautions n’auraient pas été plus minutieuses. Un jour, Lauzun va recevoir son linge, qu’on lui envoie de Saint-Germain. Louvois écrit à Saint-Mars : « (2 février 1672.) Vous le ferez blanchir deux ou trois fois avant de lui donner. » Saint-Mars tient à montrer qu’il a compris et répond : « — (20 février.) Je ne manquerai pas de faire bien mouiller le linge que vous m’enverrez de M. de Lauzun, après l’avoir visité par toutes les coutures ; toute écriture faite sur le linge s’en va quand il est mouillé. Tout celui qui sort de sa chambre… est mis dans un baquet plein d’eau après l’avoir visité, et la blanchisseuse l’apporte venant de la rivière pour le faire sécher au feu devant mes officiers qui en ont le soin tour à tour, toutes les semaines. Je prends cette précaution-là aussi pour les serviettes. »

Une autre fois, on a arrêté près de Pignerol un ancien serviteur de Lauzun, qui s’est tué en se voyant pris, et sur lequel on a trouvé des lettres chiffrées. Aurait-il eu quelque « commerce » avec le prisonnier ? Cette pensée jette Louvois dans une agitation inconcevable. Il veut à tout prix tirer la chose au clair et il trouve le temps, en pleine guerre de Hollande, d’écrire lettre sur lettre à Pignerol pour talonner son monde. On a arrêté les complices présumés du mort ; on s’est même fait livrer par voie diplomatique deux d’entre eux qui s’étaient réfugiés à Turin. Il « faut » les faire parler « par tous moyens,… de quelque manière que ce puisse être. » Il « faut… savoir si M. de Lauzun a eu des nouvelles. » Le personnel de Pignerol en est affolé. Un officier écrit à Louvois pour le « conjurer » de lui dénoncer les suspects parmi les soldats sous ses ordres, « afin, lui dit-il, que je les arrête et les attache comme des scélérats. » Et, si les deux neveux qu’il a dans la citadelle se trouvent être les coupables, il « sera leur premier bourreau (10 septembre 1672). » Saint-Mars est humilié et offensé qu’on le soupçonne de s’être laissé berner. Il en devient féroce pour les « misérables » qui lui ont attiré cette insulte, et il les mettrait volontiers à la torture, « car, pour vous dire la vérité, écrit-il à Louvois, je voudrais fort trouver la moindre chose du monde contre un soldat ou un domestique, afin de les faire pendre (20 août). » Quelques semaines plus tard, il résumait en ces termes les résultats de son enquête : « (7 octobre.) Je ne saurais empêcher que l’on ait eu envie d’avoir intelligence avec M. de Lauzun, mais je puis bien répondre sur ma vie que l’on n’en a point eu. »

Saint-Mars eut encore un autre chagrin. Louvois lui recommandait sans cesse de faire jaser son prisonnier et de lui en rapporter toutes les paroles, jusqu’aux plus insignifiantes ; mais Lauzun ne voulait rien dire : « Je ne sais d’où vient, écrivait naïvement Saint-Mars ; il se méfie tant de moi, il n’oserait presque me parler (10 février 1672). » Du 19 mars : « — Il est toujours dans une défiance de moi extraordinaire. » Louvois insistait et recevait des lettres découragées : « (30 mars.) Lorsque je vais lui rendre visite, notre entretien est tellement sec et stérile que nous faisons souvent cent tours de chambre sans nous dire l’un l’autre aucun mot. » Saint-Mars essayait de parler du temps : M. de Lauzun l’interrompait sous prétexte que le temps lui était bien indifférent, puisqu’il ne voyait de sa basse-voûte « ni lune ni soleil. » Saint-Mars s’informait gracieusement de sa santé. M. de Lauzun coupait court en déclarant que « sa santé était inutile à tout le monde et qu’il ne se porterait toujours que trop bien. » L’autre ne savait plus que dire. Il enrageait, Lauzun le voyait, et devenait encore plus taciturne ; c’était de bonne guerre.

Au bout d’un an, Saint-Mars n’était pas plus avancé : « (7 janvier 1673.) Quand je lui vais donner le bonjour ou le bonsoir, et que je lui demande comme il se porte, il me fait de grandes révérences, me disant qu’il se porte très bien pour me rendre ses très humbles respects s’il en était capable ; après l’avoir remercié, nous nous promenons quelque temps ensemble sans nous rien dire, et comme je me veux retirer, je lui demande s’il n’a rien à me commander ; il me fait encore une très grande révérence et me reconduit jusqu’à la porte de sa chambre ; voilà, Monseigneur, où nous en sommes, lui et moi, et où je crois que nous en demeurerons. »

Il essaya de la contrainte. C’était lui qui fournissait Lauzun de tout, qui l’habillait, le meublait, lui achetait des pincettes ou lui commandait une perruque. Il se dit qu’un moyen certain de le faire parler serait de ne plus rien lui donner qu’il ne l’eût demandé. Lauzun inventa aussitôt un langage muet. Saint-Mars apercevait en entrant quelque objet hors de service, placé « en parade, » et ayant l’air de lui faire signe : « Quelquefois, écrivait-il, je ne fais pas semblant de prendre garde à cela, afin de l’obliger à me demander (6 mai 1672). » Lauzun dirigeait alors sa promenade devant l’objet « en parade, » et Saint-Mars se trouvait forcé d’avoir compris.

Le valet était presque aussi fermé que le maître. Saint-Mars ne cessait de se lamenter de la peine que lui donnaient « ces gens-là. » Les valets de prisonniers d’État suivaient le sort de leur maître. Ils ne repassaient le seuil de son cachot qu’avec lui, c’est-à-dire jamais, dans beaucoup de cas, ce qui rendait extrêmement difficile de s’en procurer. Celui de Lauzun était « un méchant garçon, » qui s’était laissé gagner, et refusait déjà au bout de trois mois de faire son devoir d’espion. Saint-Mars en était outré : « (20 février 1672.) Avec votre permission, [je] le mettrai dans un lieu que je réserve, qui fait jaser les muets, après y avoir demeuré un mois. Je saurai par là toutes choses de lui, et je suis assuré qu’il n’oubliera pas la moindre bagatelle. » Réflexion faite, Saint-Mars finissait toujours par patienter, car comment le remplacer ? « Tous mes valets n’y entreraient pas pour un million. Ils ont vu que ceux que j’ai mis auprès de M. Foucquet n’en sont jamais sortis. » Louvois ne put jamais savoir, quelque désir qu’il en eût, à quoi songeait dans sa basse-voûte le favori tombé.

Il se dédommageait un peu les jours où Lauzun se mettait en colère, ce qui lui arrivait souvent. Lauzun ne pouvait pas digérer qu’il fût défendu à Saint-Mars de répondre à aucune de ses questions. Passe encore quand il demandait si la France était en guerre ou si Mademoiselle était mariée ; mais pourquoi lui refuser des nouvelles des siens ? pourquoi lui cacher si sa mère était morte ou vivante ? Son chagrin se tournait en fureur. Il laissait échapper un torrent d’imprécations et de plaintes amères, et Louvois avait le plaisir d’apprendre par le courrier suivant que, s’il se taisait d’ordinaire, ce n’était pas du moins faute de souffrir. Un jour (28 janvier 1673), après avoir rapporté l’une de ces explosions, Saint-Mars ajoutait : « Il disait tout cela en pleurant à chaudes larmes, et détestant sa vie malheureuse ; il se récria encore fort sur l’horrible et affreuse prison à basse voûte que je lui ai donnée, où il a perdu les yeux et la santé… » Ces cris de douleur retentissaient jusque dans Paris, en passant par le cabinet de Louvois et la chambre de Mme de Montespan, et le public se demandait avec curiosité ce qu’avait fait M. de Lauzun pour s’attirer un châtiment aussi rigoureux : « Je ne veux jamais ni dire, ni croire, écrivait Mademoiselle, que ce soit par les ordres du Roi. » On comprenait bien que Louvois vengeait ses frayeurs, et Mme de Montespan ses humiliations ; mais encore fallait-il que le Roi les laissât faire, et. le Roi n’avait jamais eu l’air de prendre très à cœur leurs démêlés avec son favori.

Il faut tenir compte que le XVIIe siècle n’avait pas plus de respect pour la liberté que pour la vie humaine. On n’avait de respect que pour le rang et la naissance, et on en avait alors tant que nous n’y comprenons plus rien. Ce même Louvois, qui tourmentait Lauzun à le rendre fou, s’était empressé de lui faire expédier sa vaisselle d’argent, et l’avait invité à lui adresser ses plaintes si son geôlier se montrait impoli : « M. de Saint-Mars, écrivait le ministre, a ordre… de ne manquer jamais envers vous à ce qui est dû à votre naissance et au rang que vous avez tenu à la Cour (12 décembre 1672). » Pareillement, la naissance de Lauzun lui avait valu des meubles neufs, mais pas un objet, de quelque nature qu’il fût, pouvant fournir une occupation quelconque. C’était là le supplice ; un désœuvrement absolu dans un lieu obscur, et jamais un écho de l’extérieur pour empêcher l’esprit de tourner indéfiniment sur lui-même. Lauzun n’obtint quelques livres qu’à la longue, et toujours difficilement, après qu’ils avaient été examinés page par page ; on redoutait les messages à l’encre invisible et les phrases qui renseignent sur les événemens du jour. Saint-Mars, quand on lui laissait le choix, s’en tenait aux livres de piété, le Tableau de la pénitence ou le Pédagogue chrétien. On savait ce qu’il y avait dedans, et puis « cela pourra lui servir, disait-il, dans le désespoir où il dit qu’il est. »

On se rappelle que Mademoiselle grondait son « petit homme » pour l’obliger à prendre soin de sa personne. En prison, Lauzun s’abandonna complètement : « (20 avril 1672.) Il se néglige tellement qu’il y a près de trois semaines qu’il porte un mouchoir cordelé autour de son cou en façon de cravate. » Du 30 juillet 1672, plus de sept mois après son arrivée : « Il n’a point encore fait balayer sa chambre, ni rincer son verre ; il est extrêmement négligé. » Lauzun avait laissé pousser sa barbe, ce qui contribuait à lui donner l’air « négligé ; » Saint-Mars prétendait qu’elle avait une demi-aune de long : « (11 février 1673.) Il se tient toujours malpropre à son ordinaire, tant sur lui que dans ses appartemens. »

Les années passaient. En 1673, on élagua les arbres qui ôtaient le jour. Ce fut le seul changement. En 1674, Lauzun faillit mourir. Sa santé se délabrait, et son caractère changeait. Il était devenu tranquille, — les accès de colère à part, — et très poli avec son geôlier, qui attribuait cette métamorphose aux livres de piété et à l’eau bénite dont il l’avait pourvu. Saint-Mars le trouvait « très souvent » à genoux, disant ses patenôtres devant une image de la Vierge, et il avait « bien de la joie » du nouveau train de choses.

Tout à coup, — en 1676, au mois de février, — Louvois reçut une lettre[11]qui fut en un clin d’œil la nouvelle de Paris. M. de Lauzun avait manqué se sauver, et non point par la porte, ni par la fenêtre, mais comme l’on ne se sauve d’ordinaire que dans les romans. Il avait entrepris de faire un trou au donjon de Pignerol avec de vieux clous, de vieux couteaux, des débris d’ustensiles, et il avait réussi, à force de gratter, à percer l’épaisse voûte située en dessous de sa chambre. Lauzun se coula par cette ouverture et se retrouva entre quatre murs, devant une fenêtre grillée. Il se remit à gratter, démolit l’un des angles de la fenêtre, descella l’un des barreaux, et vit qu’il était encore à plusieurs toises du sol. Des serviettes amassées par sa prévoyance lui permirent de fabriquer une échelle de corde, « la mieux faite du monde, » écrivait Mademoiselle avec admiration, d’après l’échantillon expédié à Louvois. Il descendit par son échelle dans le fossé du donjon, « reperça sous la muraille qui servait d’enceinte au fossé[12], » rencontra un rocher et recommença un peu plus loin. Sa nouvelle galerie aboutissait dans une cour de la citadelle. Lauzun sortit de terre un matin, au point du jour. Il y avait trois ans qu’il grattait ; c’était ce qui l’avait rendu si tranquille.

Une porte ouverte, et il était sauvé. Il l’aurait mérité pour son industrie et sa patience. Mais tout était fermé, et il fut arrêté par une sentinelle incorruptible. On le ramena dans son cachot, et Louvois lava la tête aux autorités de Pignerol, qui laissaient démolir murs et fenêtres, remplir une cour de tas de décombres, sans s’apercevoir de rien. Il ordonna des travaux, de nombreuses mesures de précautions, et Saint-Mars, très penaud, jura ses grands dieux qu’on ne l’y prendrait plus.

Saint-Mars en fut pour ses sermens. Plusieurs de ses prisonniers venaient précisément de découvrir le moyen de rendre visite à leurs voisins. D’après les récits de Saint-Simon[13], il semble que les larges cheminées de nos pères fussent devenues les voies de communication ordinaires du donjon de Pignerol. On faisait « un trou au tuyau, qui se refermait avec justesse pendant le jour, et l’on s’aidait mutuellement à grimper et à descendre. » Lauzun fut mis de la sorte en relations avec divers prisonniers, dont Fouquet, qui le crut fou en lui entendant conter son mariage manqué avec la Grande Mademoiselle. Ils devaient tous avoir l’air de ramoneurs. Saint-Mars ne sut pourtant ces nouvelles pratiques qu’après la mort de Fouquet ; Lauzun était alors presque au bout de ses peines.

La mort de son frère aîné, survenue en 1677, avait entraîné un changement considérable dans sa situation. Lauzun devenait chef de famille. Sa sœur, Mme de Nogent, représenta au Roi qu’il y allait « de la conservation de sa maison, » que M. de Lauzun pût donner ordre à ses affaires, et elle n’eut aucune peine à se faire écouter. Autant l’individu comptait peu, autant « la maison » était pour ainsi dire chose sacrée, même aux yeux de Louis XIV. Saint-Mars eut commandement de recevoir Mme de Nogent, un autre de ses frères, le chevalier de Lauzun, et leur avocat, M. Isarn, et de les aboucher avec son prisonnier, moyennant promesse de ne lui parler que de ses affaires. Il leur était interdit tout particulièrement de dire un seul mot, « sous quelque prétexte que ce pût être, » de Mlle de Montpensier. On possède le récit de ces entrevues, tracé par Isarn. Il ne faut pas oublier en le lisant que Lauzun avait grand intérêt à inspirer une vive pitié à des gens qui allaient retourner le dire à Paris.

Après de longs préliminaires, Isarn en arrive à la première rencontre avec Lauzun, que personne n’avait revu depuis six ans : « (29 octobre 1677.) L’heure de deux heures étant venue, M. de Saint-Mars, ayant fait retirer tout le monde, nous pria d’entrer dans sa chambre, où l’on rangea six chaises autour d’une table, et M. de Saint-Mars étant sorti, revint un moment après, menant M. le comte de Lauzun, le soutenant sous le bras, car il ne pouvait guère bien se soutenir, soit à cause du grand air, de la grande clarté, ou de la faiblesse de sa maladie. À cette vue, j’avoue, monsieur, que nous fûmes touchés de pitié, car nous remarquâmes en lui une contenance si abattue, un visage si pâle, autant qu’il nous put paraître sous une barbe et une moustache fort longues, des yeux si remplis de tristesse et de langueur qu’il serait impossible de n’être pas ému de compassion ; je ne saurais vous exprimer la douleur de madame sa sœur et de monsieur son frère. »

« On lui présenta une chaise près du feu, devant le jour, mais il la retira, disant d’une voix basse et en toussant que le trop grand jour lui donnait dans les yeux et le feu dans la tête. M. de Saint-Mars le plaça contre le jour, il se mit à son côté et M. le commissaire de l’autre, moi à côté de M. de Saint-Mars, ayant mon écrit devant lui sur la table. Mme de Nogent ne pouvait contenir ses larmes, et nous fûmes quelque temps sans parler. »

Lorsqu’ils furent tous un peu remis, Isarn entama son exposé des affaires à régler. À la première pause, Lauzun prit la parole : « — Il me dit assez froidement qu’étant depuis six ans, et commençant la septième, dans une prison fort étroite, n’ayant ouï parler d’affaires depuis un si long espace de temps et n’ayant jamais vu qu’une seule personne, il avait l’esprit si bouché et l’intelligence si obscure qu’il lui était impossible de comprendre rien à tout ce que je lui disais. » Il ajouta des choses affectueuses pour sa sœur, des choses touchantes sur sa douleur d’avoir déplu au Roi, et, s’étant attendri au souvenir de ce maître bien-aimé, il porta son mouchoir à ses yeux, « et l’y laissa longtemps. » Ce spectacle provoqua une telle explosion de larmes et de gémissemens qu’il fut impossible de reprendre la conférence. Lauzun « se retira, sans rien dire, avec M. de Saint-Mars. » On emporta sa sœur évanouie. Le chevalier de Lauzun, malade d’émotion, alla se coucher, et Isarn partagea leur affliction.

Aux séances suivantes, Lauzun répéta qu’il [ne comprenait rien à ce que disait son avocat, mais il lui donnait en même temps ses instructions « avec beaucoup de jugement et de clarté d’esprit. » Il y eut encore des scènes d’attendrissement. Un jour, après en avoir obtenu la permission, « il demanda si sa mère était vivante, » et il n’y eut pas besoin de comédie pour rendre la scène impressionnante. À la dernière entrevue, il chargea sa sœur d’implorer pour lui la pitié du Roi et le pardon de Louvois, en termes humbles et soumis qui annonçaient un vaincu, un homme brisé et désormais inoffensif.

Soit compassion, soit encore, ainsi que le bruit en courut, quelque combinaison mystérieuse, cet appel produisit une série d’adoucissemens qui aboutirent à une demi-liberté. Lauzun en était à donner des dîners et à acheter des chevaux de selle « pour monter dans la cour ou sur les bastions[14], » quand survint un détachement de mousquetaires chargé de le conduire aux eaux de Bourbon, sous prétexte qu’il avait mal au bras. Il quitta Pignerol le 22 avril 1681. Fouquet était mort (23 mars 1680). Il ne restait à Saint-Mars qu’un seul prisonnier de marque : le Masque de fer était depuis quelque temps dans le donjon.


III

Un Robinson Crusoé sortant de son île n’est pas devenu plus étranger à la marche du monde que ne l’était un prisonnier d’État après des années de cachot. Fouquet avait cru, en écoutant Lauzun, qu’il avait l’esprit dérangé. Quand ce fut au tour de ce dernier de reprendre contact avec la vie générale, il eut aussi fort à faire pour se remettre au courant. L’histoire de France s’était allongée d’un chapitre, tandis qu’il enrageait dans son cachot. L’histoire intérieure de la Cour, de beaucoup la plus importante pour un ancien favori désireux de reprendre pied, aurait rempli un volume de ses complications tragi-comiques.

A première vue, le chapitre de l’histoire nationale était resplendissant entre tous. La guerre de Hollande avait donné à la France la Franche-Comté, à Louis XIV une gloire et une puissance qui l’avaient élevé, dans l’opinion européenne, au-dessus de tous les autres souverains. Aux yeux des étrangers, il était plus qu’un grand Roi, il était le Roi, l’incarnation par excellence de l’idée monarchique, le prince qui avait fait de la France la dominatrice du monde civilisé : — « Jamais, dans l’Europe moderne, dit un historien allemand[15]qui nous considère toujours à travers l’intérêt germanique, il n’y avait eu un développement de la puissance militaire sur terre et sur mer, pour l’attaque et pour la défense, tel que celui auquel parvint la France pendant la guerre, et qu’elle conserva pendant la paix ; jamais encore une seule volonté n’avait exercé un commandement aussi étendu sur des troupes aussi instruites et aussi soumises. » On nous admirait et l’on nous craignait : « (Louis XIV), dit encore Ranke, réduisit une partie des princes allemands et tout l’empire à un degré d’abaissement auquel ils n’étaient jamais tombés dans le cours des siècles ; l’Espagne se vit menacée par lui de la perte de son indépendance… » L’Europe s’accordait aussi à reconnaître que « l’histoire du monde offrait peu d’époques dont la civilisation et la littérature eussent jeté autant d’éclat que celle de Louis XIV. » Telle était la France, vue du dehors, dans les années qui séparent la paix de Nimègue (1679) de la Révocation de l’Edit de Nantes (1685). Ce brillant tableau avait quelques ombres ; les vaincus nous gardaient un profond ressentiment, et nos alliés se détachaient de nous sans que l’on réussît à les remplacer ; mais nous nous jugions de force à supporter notre isolement.

Vue du dedans, la France présentait l’apparence de la prospérité à qui vivait les yeux fermés. Il suffisait toutefois de les ouvrir pour s’apercevoir que le temps des vaches maigres approchait. Plusieurs provinces étaient retombées dans la misère. Le mécontentement était général, la désaffection faisait des progrès rapides ; on se détachait déjà du pouvoir absolu, si bien accueilli d’abord. Les esprits clairvoyans avaient commencé de s’inquiéter quatre ans après la mort de Mazarin et l’arrivée de Louis XIV au pouvoir. Olivier d’Ormesson écrivait, en 1665, après avoir été d’abord, comme tout le monde, sous le charme du jeune Roi : « (Mars.) Aucun n’oserait rien dire…, quoiqu’il n’y en ait aucun qui ne souffre et qui ne soit au désespoir dans le cœur ; il n’y a personne qui ne dise qu’il est impossible que cela dure, la conduite étant trop injuste et trop violente[16]. »

Olivier d’Ormesson avait des griefs personnels. Il avait été disgracié pour s’être montré trop indépendant lors du procès Fouquet, et il était, d’autre part, de ces vieux parlementaires, libéraux à leur mode, qui regrettaient les privilèges de leur compagnie, et qui ne s’accoutumaient point à voir châtier les blasphémateurs du Roi plus durement encore que les blasphémateurs de Dieu. En 1668, un pauvre homme de Saint-Germain — un vieillard — fut « accusé » d’avoir dit que le Roi était un tyran et « qu’il y avait encore des Ravaillac et des gens de courage et de vertu. » Il fut condamné « à avoir la langue coupée et aux galères… L’on dit, ajoute Ormesson, que c’est un supplice nouveau que de couper la langue, et qu’on la perce seulement aux blasphémateurs. » Il y a un peu à rabattre, en se plaçant au point de vue général de son temps, du témoignage d’Olivier d’Ormesson.

Il n’en est pas de même pour celui de Colbert, alors en grande faveur, et dur de son naturel. Colbert prévint Louis XIV, dès 1666, par un Mémoire presque brutal, qu’il menait la France à la ruine par ses extravagances. Le ministre commençait par déclarer qu’il ne lésinerait jamais pour avoir une bonne armée ni une bonne flotte, ou pour soutenir au dehors la politique étrangère de son maître, ou, en général, pour toutes les dépenses utiles, dans lesquelles il comprenait les frais de représentation d’un grand souverain. Il affirmait que, pour toutes ces choses, il pousserait plutôt à la dépense, et c’était la vérité. Mais il ne pouvait prendre son parti de l’immense coulage par lequel s’épuisait la richesse publique, des millions gaspillés en « ajustemens » inutiles pour des troupes de luxe, en fêtes d’un prix fou[17], en pertes de jeu insensées[18], en pensions et gratifications à tort et à travers, et encore beaucoup d’autres articles, dont l’un mérite quelques détails, car il est curieux, peu connu, et c’est, d’après Colbert, celui qui engendra les conséquences les plus désastreuses.

À l’entendre, rien n’a coûté aussi cher à la France sous Louis XIV, après les guerres, que la passion du monarque pour jouer au soldat devant les belles dames. C’est une manie qui a l’air bien innocente, encore qu’un peu puérile. Colbert en signalait à son maître les effets imprévus. Le Roi assemblait des armées pour donner aux dames le spectacle d’un camp, ou d’un simulacre de siège. Ou bien, les troupes venaient se faire passer en revue par lui dans des endroits commodes pour les dames, au lieu de l’attendre dans leurs cantonnemens. Il en résultait des marches et passages de troupes perpétuels, et l’épuisement des provinces, car « il suffit de dire, poursuivait Colbert[19], que telle ville ou lieu d’étape a souffert depuis six mois cent logemens différens de troupes, et que ceux qui en ont le moins en ont souffert plus de cinquante. Toutes les troupes vivent à discrétion en entrant et sortant des lieux où elles logent… C’est assez dire pour connaître clairement » qu’elles laissent ces lieux dans l’état où les aurait mis une longue guerre. Si le Roi savait « combien de paysans de Champagne et des autres frontières ont déjà passé et se disposent de passer dans les pays étrangers, » il comprendrait que cela ne peut pas durer.

Le plus délicat restait à dire, et Colbert l’abordait courageusement. À faire ainsi la roue devant les dames, un grand ridicule rejaillissait sur la royauté, et les Français n’avaient pas été longs à le saisir, les étrangers non plus. Louis XIV venait précisément d’installer à Moret un camp tout pimpant et tout bariolé, avec de jolies tentes pour coucher les amazones : « L’on dit, écrivait d’Ormesson,… que l’on fera le siège de Moret dans les formes, pour montrer aux dames la manière de prendre les places. Le chagrin des malcontens, qui est fort général, traite cette revue d’une badinerie pour le Roi et d’un jeu d’enfans, et qui n’est pas bien reçu par les étrangers. » Olivier d’Ormesson n’avait pas grand mérite à se montrer mordant : son Journal n’était que pour lui. Colbert, qui écrivait pour le Roi, en eut beaucoup à mettre dans son Mémoire : « — Il est encore bon que Votre Majesté sache deux choses dont on n’a osé demeurer d’accord quand elle l’a demandé : l’une, qu’il a été affiché dans Paris un libelle portant ces mots : Louis XIV donnera les grandes marionnettes dans la plaine de Moret. L’autre… » L’autre était l’apparition d’un libelle encore plus sanglant sur les hauts faits des capitaines pour rire.

Le Roi lut le mémoire, le relut en présence de Colbert, et l’année suivante vit un nouveau camp, où la tente royale, composée de six pièces somptueuses, « était remplie de cavalières fort bien mises, lesquelles étaient plus propres à attirer les ennemis qu’à les faire fuir[20]. » Colbert n’empêcha pas non plus un seul des grands voyages aux frontières, même en temps de guerre, avec une longue queue de femmes en toilette, et des maîtresses pour lesquelles il fallait mettre les maçons en mouvement à chaque lieu d’étape. Louvois écrivait le 7 mars 1671 : « — Il faut accommoder la chambre marquée V pour Mme de Montespan, y faire percer une porte à l’endroit marqué 1… Mme de La Vallière logera dans la chambre marquée Y, à laquelle il faut faire une porte dans l’endroit marqué 3… » Les frais de portes entraient, avec beaucoup d’autres aussi irréguliers, dans le budget du ministre de la Guerre. Comment y mettre de l’ordre ? Comment le limiter ? Colbert lui-même avait à faire la part des dames dans son budget de la Marine. En 1678, Mme de Montespan eut la fantaisie d’armer un vaisseau en course, un vaisseau du Roi, s’entend, avec des matelots du Roi. Quelques semaines plus tard, un deuxième et un troisième vaisseau, toujours armés en course et aux frais du Roi, furent accordés « à Mme de Montespan et à Mme la comtesse de Soissons[21]. » Tout compte fait, le goût de Louis XIV pour la conversation et la société des femmes, sans parler du reste, a peut-être coûté plus cher à la France que toutes les bâtisses du grand Roi mises ensemble ; mais l’un peut se calculer, l’autre ne le peut pas. C’est pourquoi l’on parle toujours des dépenses de Versailles et de Marly, et jamais de ces malheureux paysans qui passaient la frontière après chaque spectacle militaire offert aux dames.

Louis XIV était incapable de compter. C’est sa seule excuse. Il est même étrange, par parenthèse, qu’un homme aussi méthodique, ayant un esprit aussi bien équilibré et aussi ordonné, n’ait jamais pu comprendre que les chiffres sont les chiffres et que personne ne peut faire qu’un écu fasse deux écus. Colbert n’obtint jamais de supprimer un seul gaspillage autour de son maître, même dans les cas où la profusion ne procure aucun plaisir et nous paraît un luxe de barbare. On sait qu’au XVIIe siècle les repas étaient plantureux. Ceux de Louis XIV l’avaient toujours été à l’excès. En 1664, le Roi ayant invité le légat du pape à dîner en tête à tête avec lui, les assistans avaient compté les plats et en avaient trouvé quatre-vingts, non compris les trente-huit assiettes ou compotiers du dessert. C’était déjà beaucoup et Colbert avait mis dans le Mémoire de 1666 : « — Je déclare à Votre Majesté… qu’un repas inutile de mille écus me fait une peine incroyable. » Ce n’était rien en comparaison de ce qu’on vit quinze ans plus tard. Le 16 janvier 1680, Louis XIV maria Mlle de Blois, la fille qu’il avait eue de La Vallière, au prince Louis-Armand de Conti, neveu du grand Condé : « — Le festin de noce fut royal, écrivait Bussy-Rabutin ; il y eut sept cents plats à une seule table, qui furent servis à cinq services, c’est-à-dire cent quarante plats à chaque service[22]. » Mme de Sévigné nous a fait connaître la morale de l’histoire. La mariée fut malade toute la nuit. On a envie de dire : c’est bien fait.

Si, de la nation aigrie et souffrante, on tourne les yeux vers la Cour, la différence entre le dehors et le dedans est peut-être aussi marquée, bien que plus difficile à saisir. Le dehors, c’est une splendeur, ce sont des adulations, très propres à donner le change ; le dedans, c’est une misère morale profonde, faite de débauche et de mendicité chez les uns, de découragement et d’amertume chez les autres. Mme de Sévigné a peint en six lignes et sans y penser, dans une lettre de 1680, l’état d’avilissement où le Roi réduisait systématiquement la noblesse de France, dressée par lui à attraper les bourses au vol : « — (12 janvier.) Le Roi fait des libéralités immenses ; en vérité, il ne faut point se désespérer : quoiqu’on ne soit pas son valet de chambre, il peut arriver qu’en faisant sa cour, on se trouvera sous ce qu’il jette. Ce qui est certain, c’est que loin de lui, tous les services sont perdus ; c’était autrefois le contraire. » Si les âmes se sont abaissées sous le règne de Louis XIV, il en a sa part de responsabilité.

De même pour les progrès du relâchement des mœurs. Certes, on était habitué avant lui aux maîtresses et aux bâtards ; on ne l’était pas à des prérogatives d’épouses en second et d’adultérins légitimés qui encourageaient ses sujets à ne pas prendre plus au sérieux les lois que la morale. L’exemple du maître achevait d’obscurcir les consciences naturellement troubles, et l’on voyait les maris encourager leur femme, les mères leur fille, à imiter les La Vallière et les Montespan.

Louis XIV a d’ailleurs été puni d’avoir voulu jouer au sultan. La polygamie ne va pas sans quelques désagrémens, dans un pays où il faut compter avec les femmes. Peu d’hommes, fût-ce dans les comédies, ont essuyé autant de scènes de leurs maîtresses, et de scènes violentes, humiliantes autant que pénibles, que ce monarque majestueux devant qui le reste de l’univers tremblait. Il n’y a plus de Roi pour une amante jalouse, et Louis XIV n’a jamais été fidèle qu’à Mme de Maintenon.

Il avait été gâté par Louise de La Vallière, qui était la douceur même, et que l’amour inclinait au pardon. Aucune des autres ne l’a jamais aimé, sauf Marie Mancini. Il ne plaisait pas aux femmes ; elles ne se disputaient en lui que le Roi. Mlle de La Vallière était entrée au Carmel en 1674. Demeurée seule sur la brèche, Mme de Montespan défendit sa « situation » en lionne. Elle était naturellement aigre, ses colères « inexprimables[23], » au dire des témoins, et Louis XIV n’avait pas pour lui la force que donne l’innocence ; parmi les rivales que Mme de Montespan combattait, beaucoup, en dépit de ses efforts, ont eu leur année, ou leur jour. Alors elle s : emportait, et le Roi pliait le dos sous l’orage : « — Elle l’a souvent grondé, disait plus tard Mme de Maintenon à Mademoiselle, et il ne s’en est pas vanté[24]. » C’était l’expiation.

Vint le règne éphémère de Mlle de Fontanges. Elle aussi était colère, et elle traita le Roi avec « encore plus d’autorité que les autres[25]. » Louis XIV appelait Mme de Maintenon à son secours, et la chargeait d’aller apaiser ces furies. Les scènes commençaient à le fatiguer. On avait remarqué, dès 1675, qu’il aspirait à des instans de « repos » et de « liberté. » Mme de Montespan ne sut pas comprendre, avec tout son esprit, qu’il arrive un âge où les hommes ne peuvent plus supporter de vivre dans la tempête, et son erreur fut la cause de sa perte. Le Roi prit l’habitude de se réfugier chez Mme de Maintenon, où il trouvait une atmosphère de paix et une conversation rafraîchissante. C’était la première fois qu’une femme intelligente lui parlait sérieusement, sans chercher à s’attirer une déclaration, ni à le divertir avec des bagatelles, mais pour le délasser agréablement de son travail et, aussi, pour le faire réfléchir à de certains sujets qu’il n’aimait pas ; par exemple, à ce qui attend dans l’autre monde le pécheur qui ne s’est pas repenti d’avoir pris la femme d’autrui. Elle lui rappelait qu’il y avait une police dans le ciel, tout comme dans les résidences du roi de France, et elle lui demandait : « — Que feriez-vous si l’on venait dire à Votre Majesté qu’un de ces mousquetaires, que vous aimez tant, a pris la femme d’un homme vivant, et qu’il vit actuellement avec elle ? Je suis sûre que, dès le soir, il sortirait de l’hôtel et n’y coucherait pas, quelque tard qu’il fût[26]. » Le Roi riait. Il n’avait jamais été plus amoureux de Mme de Montespan, — cela se passait en 1675, avant le jubilé qui les sépara trois ou quatre mois, — mais il n’en voulait pas à Mme de Maintenon, car, déjà, il « ne pouvait plus vivre sans elle[27]. » Que l’on ait ou non de la sympathie pour cette dernière, il est certain que, sans elle, sans l’empire qu’elle sut prendre sur un prince ardent au plaisir plutôt que véritablement débauché, Louis XIV courait au-devant d’une vieillesse honteuse. A chacun selon ses mérites : la reine Marie-Thérèse était dans le vrai en donnant son amitié à Mme de Maintenon, qui avait obtenu pour elle, sur le tard, des égards, et même des procédés affectueux auxquels la pauvre princesse n’était pas accoutumée.

Quand le Roi eut passé la quarantaine, la tranquillité lui devint un besoin. Il crut s’être assuré la paix en donnant à Mme de Montespan son congé officiel de maîtresse reconnue. On sait la date exacte. Le 29 mars 1679, la comtesse de Soissons fut priée de céder à l’ancienne favorite sa charge de surintendante de la maison de la Reine. C’était une sorte de règlement de retraite. Le lendemain, Mme de Montespan écrivait au duc de Noailles pour lui annoncer cet arrangement, et elle ajoutait : « — Du reste, tout est fort pésible yscy. Le roy ne vient dans ma chambre c’aprest la messe et aprest soupey. Il vaut beaucoup mieus se voir peu avec dousœur, que souvant avec de l’anbaras. » Le monde ne s’y trompa point : « — (11 avril.) Je croirais assez, écrivait Bussy, que le Roi, juste comme il est, a donné cela pour récompense des services passés. » De Mme de Scudéry à Bussy, le 29 octobre 1679 : « — On établit un jeu chez Mme de Montespan pour cet hiver, et pourvu qu’elle puisse se passer d’amour, elle aura de la considération du Roi. C’est tout ce que peut faire un fort honnête homme quand il n’aime plus. » Bussy répondait le, 4 novembre : « — Si Mme de Montespan est sage, elle ne songera qu’au jeu et laissera le Roi en repos sur l’amour ; car enfin on ne fait pas revenir par des plaintes et des tracas les amans infidèles. » Mme de Montespan n’était pas « sage. » Elle redoubla de scènes, dans l’espoir de reprendre le Roi de force. Au même moment, un passé obscur, rempli de choses vagues et effroyables, se dressait contre elle, et l’expiation de l’avoir trop aimée prenait pour Louis XIV un caractère tragique.

On n’a pas oublié[28]la Voisin l’empoisonneuse, ni ce procès de 1668 qui avait révélé au jeune Roi les accointances de sa nouvelle maîtresse dans le monde des malfaiteurs. L’affaire étouffée, le mal reprit sa marche souterraine. Les marchandes de philtres et de poisons, et les prêtres pour rites sataniques virent leur clientèle grandir d’année en année, si bien que lorsque leurs crimes furent découverts et que Louis XIV institua la « chambre ardente » (7 mars 1679) pour purifier la France de cette gangrène, tant de Parisiens se sentirent solidaires des accusés, que le Roi eut contre lui un puissant courant d’opinion. C’est peut-être le symptôme le plus significatif de cette triste affaire. Au lieu d’être écrasées de honte, en apprenant combien des leurs étaient compromis, les hautes classes s’indignèrent contre cette justice égalitaire qui refusait de les ménager. Elles murmurèrent, et, pour une fois, le peuple fut avec elles, car le peuple tenait à ses sorcières. La clameur devint si menaçante, que les rapporteurs de la chambre ardente ne se sentaient plus en sûreté : « — Je sais, écrivait Bussy-Rabutin le 1er avril, la chambre faite pour examiner les empoisonnemens, et je sais de plus que MM. de Bezons et de La Reynie ne vont point de Paris à Vincennes sans escorte des gardes du Roi[29]. » Louis XIV eut plusieurs fois à rendre du courage aux juges, soit en leur commandant de vive voix « de faire une justice exacte, sans aucune distinction de personnes, de condition, ni de sexe[30], » soit en les assurant par lettre officielle « de sa protection[31]. »

Les premières exécutions eurent lieu en février 1679. La fournée d’arrestations, ou de citations à comparaître, qui fit un tel fracas à cause de sa composition aristocratique[32], est du 23 janvier 1680. Il y avait alors quatre mois au moins[33], que deux noms bien connus du Roi avaient frappé ses oreilles pendant qu’il se faisait lire par Louvois les derniers interrogatoires. Qu’est-ce que Mlle des Œillets, ancienne « suivante » de Mme de Montespan, qu’est-ce que Catau, sa femme de chambre, allaient faire chez la Voisin et ses pareilles ? Ces mêmes noms ayant été prononcés à nouveau (6 janvier 1680), le Roi, tout en déclarant que les témoins avaient certainement menti[34], ordonna au procureur général, M. Robert, « d’avoir beaucoup d’attention » à cette particularité. Ce qui fut fait, avec ce résultat que Louis XIV en fut bientôt à se demander si la femme qu’il avait adorée entre ; toutes et qui lui avait donné sept enfans était une vile empoisonneuse ? si ce corps parfait pour lequel il avait risqué le salut de son âme avait figuré dans les cérémonies ignobles de l’infâme Guibourg ? si, non contente de s’en prendre à ses rivales, comme d’autres dont il savait à présent les noms, elle n’avait pas essayé dans un accès de jalousie de l’empoisonner, lui, le Roi ? Il cherchait la vérité, et ne la trouvait pas.

En attendant, il l’emmenait toujours partout, et elle lui faisait toujours des scènes. Il était un peu moins patient ; c’était toute la différence. De Bussy-Rabutin, le 18 mai 1680 : « — Le Roi,… comme il montait en carrosse avec la Reine, eut de grosses paroles avec Mme de Montespan sur des senteurs dont elle est toujours chargée et qui font mal à Sa Majesté. Le Roi lui parla d’abord honnêtement, mais comme elle répondit avec beaucoup d’aigreur, Sa Majesté s’échauffa. » Le 25, Mme de Sévigné enregistre une autre « extrême brouillerie. » Colbert les raccommoda.

La situation était poignante. On possède une longue série de lettres et de mémoires où La Reynie discute à l’intention du Roi les charges accumulées contre Mme de Montespan. C’est le tableau des doutes et des fluctuations d’un honnête homme que sa responsabilité angoisse, et qui voit un égal péril à déshonorer le trône, et à laisser auprès du Roi une femme qu’il lui est impossible de croire tout à fait innocente. Louis XIV passait à sa suite par les mêmes alternatives. Plus on allait, plus les présomptions devenaient fortes, sans qu’on eût jamais aucune preuve décisive. Le 12 juillet 1680, La Reynie résumait pour son maître l’histoire du « placet dont on devait se servir pour empoisonner le Roi. » Le 11 octobre, il déclarait qu’il s’y perdait, et suppliait Sa Majesté d’examiner s’il était « du bien de son État » de rendre ces « horreurs » publiques. Au mois de mai suivant, il avouait avoir été induit en erreur sur plusieurs points et y voir plus trouble que jamais. Le merveilleux empire de Louis XIV sur lui-même l’empêchait de se trahir ; mais l’on se représente ses incertitudes, ses combats intérieurs, et, il faut l’espérer, sa honte et ses remords, devant ce châtiment de ses fautes. Mme de Montespan, de son côté, malgré le secret absolu, et bien merveilleux aussi, gardé par la justice et la police, ne pouvait pas ignorer que Mlle des Œillets avait été interrogée, confrontée et, finalement, enfermée pour le reste de ses jours à l’hôpital général de Tours[35]. Mme de Montespan savait donc qu’elle avait été dénoncée ; mais dans quelle mesure ? et qu’en pensait le Roi ? Quelles rencontres, entre ces deux êtres ! Quels entretiens, passés à s’observer et à dissimuler !

Cependant la vie de cour tournait dans son cercle monotone, et Mme de Montespan y figurait toujours aux places d’honneur. En mars 1680, elle va au-devant de la Dauphine[36] avec le reste de la Cour, et c’est elle que l’on charge du choix et de l’arrangement de ce que nous appellerions la corbeille, « étant la femme du monde, écrivait Mademoiselle, qui se connaît le mieux à toutes choses. » En juillet, le Roi l’emmène à Versailles avec sa sœur, Mme de Thianges, et sa nièce, la belle duchesse de Nevers, que sa mère et sa tante offrent cyniquement au monarque[37]. En février 1681, « on ouvre… une loterie chez Mme de Montespan, dont le gros lot sera de cent mille francs, et où il y en aura cent autres de chacun cent pistoles[38]. » En juillet 1682, la chambre ardente est supprimée brusquement. Sur plus de trois cents accusés, trente-six, gens de rien ou de pas grand’chose, avaient été exécutés, une centaine envoyés aux galères, ou en prison, ou dans des couvens, ou en exil, les accusés de marque s’en tirant toujours à bon compte. Les cachots de Paris et de Vincennes étaient encore bondés. On relâcha le fretin, et l’on répartit le reste, sans autre forme de procès, entre diverses prisons de province, pour y attendre une mort qui se faisait rarement attendre. De Louvois à M. Chauvelin, intendant, le 16 décembre 1682, en lui annonçant l’un de ces convois : « — Surtout recommandez, s’il vous plaît, à ces messieurs, d’empêcher que l’on n’entende les sottises qu’ils pourront crier tout haut, leur étant souvent arrivé d’en dire touchant Mme de Montespan, qui sont sans aucun fondement, les menaçant de les faire corriger si cruellement au moindre bruit qu’ils feront qu’il n’y en ait pas un qui ose souffler. » Cette lettre est l’épilogue de l’affaire des poisons en ce qui touche Mme de Montespan.

Elle était sauvée, que ce fût manque de preuves ou raison d’Etat, refus de Louis XIV d’en croire un abbé Guibourg et un Lesage, ou influence sur lui de sa vieille tendresse. Les quelques hommes qu’il avait fallu mettre dans le secret furent si parfaitement muets que les contemporains ne soupçonnèrent rien. Ils virent l’ancienne favorite demeurer à la Cour, un peu délaissée, mais rêvant toujours d’une revanche, et gardant un certain crédit, une certaine influence, ainsi qu’en témoignent à chaque page les Mémoires de Mademoiselle. Tout cela était dans l’ordre. Sur ce que pensait Louis XIV au fond de son âme, nous possédons un seul indice : une lettre de lui à Colbert, l’un de ceux qui savaient tout. Mademoiselle avait prié Mme de Montespan de solliciter je ne sais quelle grâce en faveur de Lauzun. Le Roi chargea Colbert de répondre pour lui : « — (Octobre 1681.)…Vous lui expliquerez en termes honnêtes que je reçois toujours les marques de son amitié et de sa confiance avec plaisir, et que je suis très fâché quand je ne saurais faire ce qu’elle désire ;… mais qu’à cette heure je ne saurais rien faire de plus que ce que j’ai fait[39]. » Il la croyait innocente, — ou il lui avait pardonné.


IV

Le premier soin de Lauzun, en se voyant rendu au monde, dut être, de se débrouiller tant bien que mal dans la chronologie des amours du Roi, si importante pour la connaissance de l’histoire intérieure de la Cour. Sur ce point, on a vu l’essentiel dans le chapitre précédent. Il eut ensuite à se mettre au courant de ce que Mademoiselle avait fait pour lui pendant sa captivité, et de ce qu’en pensait le public, et il reconnut tout d’abord que personne en France, excepté Segrais, ne doutait plus qu’ils ne fussent mariés. C’était une opinion établie, et qui ne varia plus. On la retrouve au XVIIIe siècle ; l’historien Anquetil vit au Tréport, en 1744, une vieille personne de plus de soixante-dix ans, qui ressemblait aux portraits de Mademoiselle, et qui ne savait, pas d’où lui venait la pension dont elle vivait[40]. Cette personne se croyait fille de la duchesse de Montpensier, et la tradition locale lui donnait raison. De preuves, aucune, et l’on verra plus loin que cette question du mariage avec Lauzun revient sans cesse, dans une biographie de la Grande Mademoiselle, avec une monotonie un peu fatigante, et sans qu’il soit jamais possible d’y faire une réponse nette.

Quoi qu’il en soit, cette princesse donnait un bien bel exemple de constance et de fidélité. Elle avait vécu dix ans absorbée dans une pensée unique. On lit dans ses Mémoires pour l’année 1673 : « — Il ne se passa rien dont je me souvienne cet hiver-là. Mes chagrins m’occupent tant, que je ne le suis guère des affaires des autres. » Délivrer Lauzun était devenu son idée fixe, et elle s’attachait aux pas du Roi, à ceux de Mme de Montespan, sans se permettre de leur garder rancune du mal qu’ils avaient fait, puisque eux seuls pouvaient le défaire. Plus ils se montraient inexorables, plus Mademoiselle redoublait ses assiduités. En 1676, elle se fit pendant deux heures l’illusion que Louis XIV avait enfin, au bout de cinq ans, un mouvement de compassion. On venait de recevoir la nouvelle de l’évasion manquée de Lauzun : « — J’appris que le Roi avait écouté la relation que l’on lui en avait faite assez humainement, je ne puis dire avec pitié. S’il en avait eu, serait-il[41]encore là ? » Elle écrivit au Roi, n’en eut pas de réponse, comme toujours, et quatre années s’écoulèrent encore. Mme de Montespan n’était plus favorite. Les courtisans se croyaient habiles de la négliger. Mieux inspirée, Mademoiselle continuait à ne bouger de chez elle, et l’événement lui donna raison, au moment le plus dramatique pour Louis XIV de l’affaire des poisons.

C’était au printemps de 1680, tandis que de tout l’entourage de la Voisin, les dénonciations pleuvaient sur la favorite tombée. Mademoiselle remarquait, à certaines allées et venues, à un changement de ton, qu’il se brassait quelque chose entre Mme de Montespan et Pignerol : « — J’allais tous les jours chez (elle) et elle me paraissait attendrie pour M. de Lauzun… Elle me disait souvent : — « Mais songez à ce que vous pourriez faire d’agréable au Roi, pour vous accorder ce qui vous tient tant au cœur. » Elle jetait de temps en temps des propos de cette nature, qui me firent aviser qu’ils pensaient à mon bien. » Le mot d’un ami lui revint en mémoire : « — Mais si vous leur faisiez espérer de faire M. du Maine votre héritier ! » Elle se rappela d’autres mots, des détails qui ne l’avaient pas frappée d’abord, et comprit qu’on lui offrait un marché. Louis XIV et son ancienne maîtresse s’étaient entendus pour lui vendre la liberté de l’homme qu’elle aimait. Quel serait le prix, on ne le disait pas encore.

Mademoiselle avait mis un certain temps à comprendre. Son trouble fut alors si grand qu’elle ne se décidait pas à parler. Elle sentait que la partie, n’était pas égale, entre elle à qui la passion ôtait tout sang-froid, et Mme de Montespan qui conservait tout le sien ; et elle balançait, craignant quelque piège : « — Enfin je me résolus de faire M. du Maine mon héritier, pourvu que le Roi voulût faire venir M. de Lauzun et consentir que je l’épousasse. » Un tiers porta ces conditions à Mme de Montespan et fut reçu à bras ouverts. Louis XIV remercia sa cousine de très bonne grâce, sans toutefois faire allusion aux conditions de l’affaire ; il eut toujours le droit de dire qu’il n’avait rien promis. Mademoiselle aurait voulu qu’il lui dît tout au moins un mot de Lauzun. Mme de Montespan répondait à ses instances : « — il faut avoir patience, » et les choses en restaient là.

Au bout de quelques semaines, Mademoiselle s’aperçut tout à coup qu’elle n’était plus libre. Elle avait compté prendre son temps, avoir ses sûretés avant que d’aller plus loin. On la mit en demeure de s’exécuter, et on ne la laissa plus respirer : « — On ne se moque pas du Roi, déclarait Mme de Montespan ; quand on a promis, il faut tenir. — Mais, objectait Mademoiselle, je veux la liberté de M. de Lauzun, et si, après que j’aurai donné, on me trompe et que l’on ne le fasse pas sortir ? » On lui dépêchait alors Louvois, pour la terroriser, ou Colbert, pour la retourner par tous les bouts. Il ne s’agissait plus de testament. On exigeait une donation entre vifs[42]de la principauté de Dombes et du comté d’Eu, sans parler du reste, et on l’eut, après une résistance désespérée et « les plaintes et les larmes les plus amères, » car l’on demandait ce qui avait déjà été donné à Lauzun, et Mademoiselle ne pouvait se résoudre à dépouiller son ami : « — Elle comprit… enfin que le Roi… ne cesserait de la persécuter jusqu’à ce qu’elle eût consenti, sans aucune espérance de rien rabattre[43] ; » et elle céda. La donation au Duc du Maine fut signée le 2 février 1681. Elle valut encore quelques bonnes journées à Mademoiselle. Le Roi l’assurait de sa reconnaissance : « — A souper, il me faisait des mines et causait avec moi ; cela avait fort bon air. »

Cependant Lauzun ne reparaissait pas. Un jour que Mme de Montespan disait à Mademoiselle que le Roi ne permettrait sûrement pas qu’il fût duc de Montpensier, et qu’il faudrait se rabattre sur un mariage secret, cette princesse s’écria : « — Quoi ! madame, il vivra avec moi comme mon mari, il ne le sera pas déclarément ? Que pourra-t-on dire et croire de moi ? » C’est sur ce passage des Mémoires de Mademoiselle que l’on peut s’appuyer pour placer son mariage en 1682, après la captivité de Lauzun. Nous ajouterons seulement qu’il existe contre cette date tardive tout un ensemble de preuves morales.

Quelque temps après cette conversation, au début d’avril 1681 et la Cour étant à Saint-Germain, Mme de Montespan annonça à Mademoiselle le prochain départ de Lauzun pour les eaux de Bourbon, puis elle l’entraîna, un peu contre son gré, jusqu’au bout de la terrasse, loin des yeux et des oreilles indiscrètes : « — Quand nous fûmes (au Val), qui est un jardin au bout du parc de Saint-Germain, elle me dit : « — Le Roi m’a dit de vous dire qu’il ne veut pas que vous songiez jamais à épouser M. de Lauzun. » Épouser officiellement, s’entend. Mademoiselle était jouée : — « Sur cela je me mis à pleurer et à dire beaucoup de choses sur ce que je n’avais fait les donations… qu’à cette condition. Mme de Montespan dit : — « Je ne vous ai jamais rien promis. » Elle avait son compte ; ainsi elle souffrit sans rien dire tout ce que je puis dire. » Le soir, il fallut avoir l’air ravie et remercier le Roi de la liberté de Lauzun ; un seul signe de mauvaise humeur, et Mademoiselle s’exposait à ne rien avoir du tout en échange de ses millions.

Il restait à tirer de Lauzun sa renonciation aux dons de Mademoiselle. Mme de Montespan prit le chemin de Bourbon, où « « elle trouva plus de difficulté qu’elle ne pensait. » Ses exigences dépassaient à tel point les prévisions de Lauzun qu’il en fut révolté : « — Il y eut force disputes, force courriers, force longueurs[44] » au bout desquelles, ayant remis cet opiniâtre en prison[45], on le harcela de menaces et de promesses qui eurent raison de son obstination. Sa signature donnée, il se croyait libre : on lui signifia un ordre d’exil à Amboise. Lui aussi, on l’avait joué. Cette affaire est odieuse d’un bout à l’autre.

Mademoiselle fut son recours et sa providence. Elle le dédommagea, dans la mesure du possible, par une nouvelle donation où figurait Saint-Fargeau, et trouva le moyen de lui faire payer près de 300 000 livres[46]sur ce que le Roi aurait pu lui donner s’il n’avait pas été mis à Pignerol. Chose plus difficile encore, et qu’il souhaitait ardemment, les importunités de Mademoiselle lui obtinrent la permission de venir saluer le Roi et d’habiter ensuite où il lui plairait, à la seule condition de ne plus s’approcher de la Cour. L’accès lui en restait interdit ; mais qu’en serait-il de cette défense lorsque son maître l’aurait vu à ses pieds ?

Hélas ! le charme était rompu, et pour toujours. Lauzun se jeta « dix fois » de suite (mars 1682) aux pieds de Louis XIV, — c’est le Roi qui l’a conté, — usa de toutes ses grâces et de toutes ses flatteries, sans réussir à fondre la glace. Accueilli sèchement et congédié sans délai, il se mit à la recherche de Mademoiselle. Ils ne s’étaient pas encore revus, et c’est une épreuve terrible que de se revoir onze ans après et de vouloir rouvrir ensemble la page fermée sur une catastrophe. La Grande Mademoiselle d’avant Pignerol ressemblait singulièrement à l’Hermione de Racine pour la jalousie et la violence. Celle de 1682 ne s’était pas apaisée, mais Hermione était à présent une vieille femme, et Pyrrhus un barbon licencieux qui tâchait de se dédommager du temps perdu en prison. Les années ne l’avaient pas rendu amoureux de sa bienfaitrice, et il arrivait chez elle bien décidé à faire banqueroute à la reconnaissance de toute manière, mais plus particulièrement en amour. Mademoiselle était au courant de ses infidélités. La douleur mêlée d’irritation qu’elle en ressentait se manifestait pour l’instant par une sorte de gêne et d’embarras. La grande joie qu’elle s’était promise à le revoir ne se retrouvait plus. Elle ne vivait depuis dix ans que pour cette minute ; quand elle y fut, elle eut envie de se sauver.

Elle avait été l’attendre chez Mme de Montespan, première bizarrerie : « — M. de Lauzun, disent ses Mémoires, vint après avoir vu le Roi ; il avait un vieux justaucorps à brevet,… trop court et quasi tout déchiré, une vilaine perruque[47]. Il se jeta à mes pieds et fit cela de bonne grâce ; puis Mme de Montespan nous mena dans son cabinet et dit : « — Vous serez bien aises de parler ensemble. » Elle s’en alla et je la suivis. » C’était une seconde bizarrerie. Lauzun en profita pour aller saluer le reste de la famille royale. En revenant, il retrouva sa princesse chez Mme de Montespan et ne la vit pas un instant seule : « — Il me dit que l’on ne pouvait pas avoir été mieux reçu qu’il l’avait été ;… que c’était à moi qu’il devait cela ; qu’il ne lui pouvait jamais rien arriver de bien que par moi, de qui il tenait tout. Il me tint des propos fort gracieux ; il avait raison d’en user ainsi. Je ne disais mot ; j’étais étonnée. » Cela fait, Lauzun s’estima quitte, et s’en retourna à Paris la conscience en repos. Mademoiselle n’osa point l’y suivre trop vite.

Le quatrième jour, ils se retrouvèrent à Choisy, une nouvelle maison que Mademoiselle s’était bâtie à deux lieues de Sceaux. Lauzun survint tandis qu’elle se coiffait avec des rubans couleur de feu. Il dit : « — J’ai été étonné de voir la Reine toute pleine de rubans de couleur à sa tête. — Vous trouvez donc bien étrange que j’en aie, moi qui suis plus vieille ? — Il ne dit rien. Je lui appris que la qualité faisait que l’on en portait plus longtemps que les autres. » (Mademoiselle avait écrit d’abord : « — Je lui dis que les gens de ma qualité étaient toujours jeunes. » Elle a effacé sa phrase.) Lauzun sut la remettre de bonne humeur, se laissa gronder, et s’échappa vers le soir pour retourner à ses plaisirs.

Le cinquième jour, ils se disputèrent. Lauzun avait tort ; il avait parlé de sa visite à Choisy comme d’une corvée. Mademoiselle gâta sa cause par son aigreur. « — Je vois bien, lui disait-elle, qu’en ce monde on se moque des gens qui font du bien, que l’on s’ennuie avec eux. » Lauzun, piqué, demandait : « — Cette plaisanterie durera-t-elle longtemps ? — Tant qu’il me plaira ; je suis en droit de dire tout ce que je voudrai, et vous en obligation de l’écouter. » Lauzun montra « beaucoup d’impatience de s’en aller, » et c’était assez naturel.

Une autre fois, ce fut lui qui se mit en colère le premier. De n’être plus rien, et de se voir à deux pas de la Cour sans pouvoir y mettre le pied, le supplice passait ses forces. Il accusa Mademoiselle de s’y être mal prise et de ne lui avoir fait que du tort : si elle ne s’était pas « mêlée de ses affaires, » il serait sorti de prison à de bien meilleures conditions. Mme de Montespan les entendait. À ce comble d’injustice et d’ingratitude, elle se fâcha, la princesse l’imita, et l’on ne voit point, au milieu de ces querelles, à quel moment Mademoiselle et Lauzun auraient eu envie de se marier, s’ils ne l’avaient pas été d’avant Pignerol. C’est encore une preuve morale à ajouter à toutes les autres.

Environ tous les deux jours, Lauzun se métamorphosait et redevenait pour Mademoiselle, pendant quelques heures ou quelques minutes, l’ancien « petit homme » à qui son étrange té donnait une séduction subtile, aussi difficile à expliquer qu’impossible à nier. Il n’avait pas de peine à la ramener. Dès qu’elle le retrouvait avec l’air « doux et timide » et le sourire énigmatique qu’elle avait tant aimés, avec ces manières à lui qu’elle défiait autrefois « de connaître, de dire ni de copier, » Mademoiselle retombait sous le charme et ne savait rien lui refuser. Mais cela ne durait jamais. Le temps d’obtenir d’elle une nouvelle démarche, un service de plus, et il reprenait l’air excédé du forçat qui traîne son boulet. Il exaspérait tous les jours sa jalousie comme à plaisir ; faute de mieux, « il s’amusait avec des grisettes[48], » après que la famille royale l’avait reçu en cousin deviné, sinon avoué, et que tout Paris était allé complimenter Mademoiselle sur son retour.

D’autres froissemens provinrent de ce que Lauzun prenait l’argent de Mademoiselle pour le sien. Choisy lui parut une dépense inutile ; il la blâma. « — Toutes ces terrasses coûtent des sommes immenses, disait-il en se promenant ; à quoi cela est-il bon ? » Mademoiselle avait vendu en son absence une chaîne de perles. « — Où est l’argent ? » demandait Lauzun. Il prétendait tenir les cordons de la bourse, et ne plus être « comme un gueux. » Il s’étonnait que Mademoiselle n’eût pas songé à lui meubler « un bel appartement » pour son arrivée, à lui organiser sa maison, à mettre l’un de ses carrosses à sa disposition. Il racontait dans le monde qu’elle le laissait sans « un sol ; » qu’elle ne lui avait rien donné que des diamans, pour mille pistoles en tout, et quels diamans ! si « vilains, » qu’il les avait vendus « pour vivre. » C’est l’éternelle histoire du jeune mari qui veut en avoir pour sa peine.

Le « bel appartement » existait et l’attendait, mais au château d’Eu ; le Roi ne l’aurait pas toléré au Luxembourg. Ceux qui ont visité Eu avant l’incendie de 1902 n’ont pas oublié le vol d’Amours qui traversait le plafond d’une chambre située au-dessus de celle de Mademoiselle. La chambre aux Amours était celle de Lauzun, qui ne fit pas honneur au symbole. Après s’être laissé attendre pendant trois semaines, il ne fut pas plutôt arrivé, qu’il commit l’imprudence inconcevable de pourchasser les filles des environs sous les yeux de Mademoiselle. C’en était trop. Mademoiselle battit Lauzun, le griffa et le mit à la porte. Il devait s’y attendre. Il fut néanmoins assez penaud pour se prêter à un raccommodement. La comtesse de Fiesque servit d’intermédiaire.

Il y avait au château d’Eu une grande galerie pleine de portraits de famille. Mademoiselle parut à l’un des bouts : « — Il était à l’autre bout, et il en fit toute la longueur sur ses genoux jusqu’aux pieds de Mademoiselle[49]. » Peut-être furent-ils sincères en se pardonnant ; mais, lorsqu’on a commencé à se battre, l’on continue, que ce soit chez les princes ou dans la hutte d’un charbonnier : « — Ces scènes, plus ou moins fortes, recommencèrent souvent dans la suite. Il se lassa d’être battu, et, à son tour, battit bel et bien Mademoiselle, et cela arriva plusieurs fois, tant qu’à la fin, lassés l’un de l’autre, ils se brouillèrent une bonne fois pour toutes et ne se revirent jamais depuis. » Leur dernière querelle est contée tout au long dans les Mémoires de la princesse.

On était au printemps de 1684. La France faisait la guerre à l’Espagne. Le 22 avril, le Roi partit pour l’armée, ayant refusé d’emmener Lauzun, qui s’imagina, à tort ou à raison, que Mademoiselle l’avait desservi, et en fut outré. Il se rendit au Luxembourg, où un accueil railleur acheva de l’exaspérer : « — J’allai à lui avec un air riant et lui dis : « — Il faut que vous vous en alliez à Lauzun ou à Saint-Fargeau ; car, n’allant point avec le Roi, cela serait ridicule que vous demeurassiez à Paris, et je serais fort fâchée que l’on crût que c’est moi qui suis cause que vous y demeurez. » Il me dit : « — Je m’en vais, et je vous dis adieu pour ne vous voir de ma vie. » Je lui répondis : « — Elle aurait été bien heureuse, si je ne vous avais jamais vu ; mais il vaut mieux tard que jamais. — Vous avez ruiné ma fortune, me répliqua-t-il ; vous m’avez coupé la gorge ; vous êtes cause que je ne vais point avec le Roi ; vous l’en avez prié. — Oh ! pour celui-là, cela est faux ; il peut dire lui-même ce qui en est. » Il s’emporta beaucoup, et moi je demeurai dans un grand sang-froid. Je lui dis : « — Adieu donc, » et j’entrai dans ma petite chambre. J’y fus quelque temps ; je rentrai ; je le trouvai encore. Les dames qui étaient là me dirent : « — Ne voulez-vous donc pas jouer ? » J’allai à lui, lui disant : « — C’est trop ; tenez votre résolution ; allez vous-en. » Il se retira. » Cette rupture fit grand bruit. Dangeau, qui avait suivi le Roi à la frontière, nota le 6 mai dans son Journal : « — On apprit de Paris que Mademoiselle avait défendu à M. de Lauzun de se présenter devant elle. » Ainsi finit, mesquinement et misérablement, la plus fameuse passion du siècle après celle de Chimène et de Rodrigue.


V

Le bruit apaisé, les héros du roman s’enfoncèrent dans l’obscurité. Mademoiselle se jeta dans une dévotion d’où le pardon des injures restait exclu. Lauzun cherchait une branche où se raccrocher et n’en trouvait point ; il comprenait trop tard que l’on ne se brouillait pas impunément avec une princesse du sang. Il fit des tentatives de rapprochement que Mademoiselle repoussa : elle l’avait trop aimé pour ne pas le haïr. Leur vie à tous les deux paraissait finie, quand la même étoile fantasque qui avait guidé Lauzun vers tant d’aventures merveilleuses, sinon toujours agréables, le conduisit en Angleterre dans l’automne de 1688. Il y cherchait une cour plus hospitalière que la nôtre ; il y trouva une révolution et la gloire : « — J’admire l’étoile de M. de Lauzun, écrivait Mme de Sévigné, qui veut encore rendre son nom éclatant, quand il semble qu’il soit tout à fait enterré (24 décembre 1688). »

Son nom fut en effet sur toutes les lèvres. Il avait sauvé la reine d’Angleterre et son fils, les avait amenés à Calais au prix de réels dangers, et apparaissait soudain comme une façon de héros, méconnu et persécuté : « — Il y a longtemps, dit aussitôt Louis XIV, que Lauzun n’a vu de mon écriture… je crois qu’il aura une grande joie de recevoir une lettre de ma main. » La lettre royale portait à l’ancien favori plus que l’oubli du passé ; elle lui parlait « d’impatience de le revoir[50]. » Mademoiselle y vit un outrage, les ministres et les courtisans une [menace pour eux. « — (27 décembre.) Il a trouvé le chemin de Versailles en passant-par Londres ; cela n’est fait que pour lui. La princesse est outrée de penser que le Roi en est content, et qu’il reviendra à la Cour[51]. » Vainement le Roi envoya Seignelay dire à sa cousine, en manière d’excuse et de consolation, « qu’après les services que M. de Lauzun venait de lui rendre, il ne pouvait s’empêcher en aucune façon de le voir. » Mademoiselle s’emporta et dit : « — C’est donc là la reconnaissance de ce que j’ai fait pour les enfans du Roi !… » Un des amis de M. de Lauzun fut chargé de lui présenter une lettre de sa part : « elle… la jeta dans le feu[52]. » Quand on la vit intraitable, on cessa de s’occuper d’elle et de sa mauvaise humeur. Lauzun rentra triomphalement à la Cour de France, et Bussy-Rabutin résuma sa carrière dans une lettre à Mme de Sévigné : « — (2 février 1689.) Nous l’avons vu favori, nous l’avons vu noyé, et le revoici sur l’eau. Ne savez-vous pas un jeu où l’on dit : Je l’ai vu vif, je l’ai vu mort, je l’ai vu vif après sa mort ? — C’est son histoire. »

Le « second tome du roman[53] » offrit encore aux badauds la remise solennelle au petit Lauzun, par le roi Jacques il et dans l’église de Notre-Dame, du collier de l’ordre de la Jarretière. A ce beau chapitre en succéda un moins brillant. Lauzun avait eu le commandement de l’armée que la France envoyait en Irlande soutenir la cause de la monarchie légitime. Il manquait des talens nécessaires. Il étonna ses officiers par son incapacité et les fit rougir par une « rage de retourner en France[54] » qui ne fut pas trouvée d’un héros. Louis XIV consentit à le faire duc (1692) sur « l’instante prière »[55]des Majestés britanniques, mais son opinion était faite : il n’employa plus jamais Lauzun, qui n’en prit jamais son parti.

A force de rêver à ses peines, Mademoiselle comprit cette vérité banale, que le bonheur n’est pas fait pour les grands de la terre. Sans l’avoir consolée, cette découverte lui avait apporté un certain apaisement. Elle avait alors pour voisine de campagne en Normandie une jeune et charmante femme, appelée la comtesse de Bayard, qui fut au siècle suivant la marraine de Bernardin de Saint-Pierre et qui lui racontait des histoires[56]. Bernardin les a racontées à son tour, en les traduisant dans son langage sentimental, et il s’en trouve sur la Grande Mademoiselle. Mme de Bayard se plaisait à rappeler comment, dans leurs promenades solitaires, elle s’arrêtait à faire conter aux villageoises leurs amours et leur mariage ; comment ses yeux se remplissaient alors de larmes et comment, rentrée dans son château d’Eu, elle disait qu’elle aurait été plus heureuse dans une cabane. Aux pleurs succédaient des enfantillages ; l’exécrable vie de cour lui avait donné une vieillesse puérile, et elle se précipitait à la Cour pour ne pas manquer un carrousel, ou quelque spectacle du même genre[57].

Le 15 mars 1693, elle fut prise à Paris d’une maladie de vessie qui s’aggrava rapidement[58]. On s’étouffa au Luxembourg pour avoir des nouvelles ; la crainte de perdre la Grande Mademoiselle avait réveillé sa popularité. Monsieur et Madame, qui l’aimaient, vinrent la soigner. Lauzun lui fit demander de le recevoir ; elle refusa. Son état continuant à empirer et les médecins ne sachant que faire, on lui administra cinq prises d’émétique, le remède à la mode cet hiver-là, avec ce résultat qu’elle vit presque aussitôt défiler devant son lit le Roi et la famille royale : c’était l’avis officiel de laisser toute espérance. Elle mourut le 5 avril, à soixante-six ans, et fut enterrée à Saint-Denis avec beaucoup de pompe. Au milieu de la cérémonie, une urne dans laquelle, par un arrangement bizarre, on avait enfermé les entrailles, « se fracassa avec un bruit épouvantable et une puanteur subite et intolérable[59]. » Des femmes s’évanouirent, le reste de l’assistance gagna le grand air à la course. « — Tout fut parfumé et rétabli, » mais cette scène burlesque devint la risée de Paris. Il était écrit que la Grande Mademoiselle aurait toujours son petit coin de ridicule, même le jour de son enterrement.

Lauzun prit le grand deuil et fit le même jour une demande en mariage[60], pour bien marquer qu’il était veuf. Ayant essuyé un refus, il épousa (1695) la fille cadette du maréchal de Lorges, et devint par là le beau-frère de Saint-Simon. Mn, e de Lauzun était une enfant de quatorze ans[61], à qui M. de Lauzun avait paru si vieux, avec ses soixante-trois ans, qu’elle avait bien voulu de lui pour être promptement veuve. Elle s’était dit qu’au bout « de deux ou trois ans, tout au plus[62], » elle se trouverait libre et indépendante, riche et duchesse pardessus le marché, et cette idée l’avait séduite. Mais l’on ne pouvait jamais compter sur rien avec Lauzun. Sa femme le garda près de trente ans, à la faire enrager du matin au soir. Le Roi avait dit au maréchal de Lorges, en apprenant le mariage de sa plus jeune fille : « — Vous êtes hardi de mettre Lauzun dans votre famille ; je souhaite que vous ne vous en repentiez pas. » Le repentir fut prompt et amer, et fit rendre justice à Mademoiselle : il était impossible de vivre avec Lauzun. Sa femme n’en vint à bout, tant bien que mal, que par des miracles de patience, et l’on n’a jamais le droit d’exiger un miracle. Le vilain petit calcul du début avait été amplement expié lorsque enfin elle devint veuve.

Son époux avait été jusqu’à la fin l’une des parures et des curiosités de la Cour de France, par ses grandes manières, la singularité de ses habits, la splendeur de sa maison, et un je ne sais quoi d’élégant et d’aisé, dans sa conversation et toute sa personne, qui ne s’acquérait alors qu’à Versailles. A quatre-vingt-dix ans, il dressait encore des chevaux. Un jour qu’il faisait travailler dans le Bois de Boulogne un poulain à ses débuts, le roi Louis XV vint à passer. Lauzun exécuta devant lui « cent passades, » et remplit les spectateurs d’admiration par « son adresse, sa fermeté et sa bonne grâce[63]. » Il avait souvent de ces jolis momens.

Mais il y avait, il y eut toujours le revers de la médaille, le « nain » malfaisant que son esprit malin et ses méchans tours rendaient l’épouvantail de ceux qui l’approchaient. De loin, Lauzun est très amusant sous cet aspect ; il excellait dans la bouffonnerie. Il eut dans l’extrême vieillesse une maladie qui faillit l’emporter. Un jour qu’il était très mal, il aperçut dans une glace deux de ses héritiers qui venaient sur la pointe du pied, en se cachant derrière des rideaux, regarder s’ils hériteraient bientôt. Lauzun ne fit semblant de rien, et se mit à prier à haute voix, en homme qui se croit seul. Il demandait pardon à Dieu de sa vie passée, et se lamentait de ne plus avoir le temps de faire pénitence. Il s’écriait qu’il lui restait une seule voie pour faire son salut, qui était d’employer les biens que Dieu lui avait donnés à racheter ses péchés, et qu’il en prenait l’engagement de tout son cœur ; qu’il promettait déléguer aux hôpitaux tout ce qu’il possédait, sans en distraire la moindre chose. Il faisait ces déclarations avec tant de ferveur, d’un accent si pénétré, que ses héritiers s’enfuirent éperdus conter leur malheur à Mme de Lauzun. Nous quitterons Lauzun sur cette scène, l’un de ses chefs-d’œuvre. Il mourut en 1723, à quatre-vingt-dix ans passés.

Mademoiselle avait été la dernière à disparaître des grandes figures de la Fronde. Retz, Condé, Turenne, La Rochefoucauld, Mme de Chevreuse, Mme de Longueville étaient morts avant elle. Le seul des anciens rebelles qui ne pût pas mourir, l’Hôtel de Ville de Paris, s’était vu retrancher de l’histoire, par ordonnance royale, pour la période correspondant à la Fronde. Les procès-verbaux du conseil racontaient les sentimens révolutionnaires de la capitale pendant la guerre civile. Le Roi fit arracher des registres[64]tout ce qui se rapportait aux affaires publiques des années 1646-1653. On peut avancer, sans calomnier Louis XIV, qu’à la mort de sa cousine, il éprouva un soulagement à ne plus avoir devant les yeux ce souvenir vivant, et souvent indiscret, de l’époque exécrée dont il s’efforçait d’abolir la mémoire. Saint-Simon, nouveau venu à la Cour quand Mademoiselle mourut, avait déjà eu le temps de se convaincre qu’elle était toujours pour le Roi l’héroïne impardonnée, et impardonnable, du combat de la Porte Saint-Antoine : « — Je l’ai ouï lui reprocher une fois, à son souper, en plaisantant, mais un peu fortement, d’avoir fait tirer le canon de la Bastille sur ses troupes. »

La rancune royale s’étendait à la ville de Paris, berceau éternel de nos révolutions. Ne pouvant supprimer sa capitale, Louis XIV s’en était banni. Le 6 mai 1682, date néfaste pour la monarchie française, la Cour s’installa définitivement à Versailles, et n’en bougea désormais que pour des séjours à la campagne, Fontainebleau ou Marly, par exemple. Paris fut abandonné, mis en pénitence. Non seulement Louis XIV n’y habita plus, mais il n’y vint que rarement et à son corps défendant ; on remarquait qu’il aimait mieux faire un long détour que d’avoir à le traverser. Sa noblesse et ses ministres l’avaient suivi à Versailles. La royauté et la capitale se tournaient le dos.

Un autre événement compléta le changement de décor. La reine Marie-Thérèse étant morte en 1683 (le 30 juillet), Louis XIV épousa Mme de Maintenon dans le courant de l’hiver qui suivit. La physionomie de la Cour, ce que Saint-Simon aurait appelé son « écorce, » en devint tout autre. Au moment de clore cette longue étude, c’est donc à un monde nouveau, entièrement différent de celui du début, que nous allons dire adieu, car la transformation ne s’était pas arrêtée à l’écorce.

Une cause principale, l’établissement de la monarchie absolue, avait agi violemment sur la France en bouleversant le pays jusque dans ses profondeurs, comme toutes les nouveautés qui n’ont pas leur racine dans la tradition nationale. La monarchie absolue n’était pas dans la tradition française. Elle a été chez nous une importation espagnole. Anne d’Autriche, qui ne comprenait pas d’autre régime, avait élevé son fils dans ses idées, dans ses habitudes d’esprit, et la substitution s’était accomplie sans secousse à la mort de Mazarin. C’était pourtant un vrai coup d’État.

Avant Louis XIV, le pouvoir royal, sans être soumis à des limitations précises, se heurtait à des droits multiples, eux-mêmes mal définis. Il y avait les droits des Parlemens, ceux des Etats, ceux des grands, et de combien d’autres, corps ou individus, qui, tous ensemble, mettaient le roi de France dans une situation assez semblable à celle où se trouva Gulliver quand les Lilliputiens l’eurent attaché avec des centaines de fils. Chaque fil n’était rien ; l’ensemble paralysait les mouvemens. Louis XIV cassa résolument les nombreux fils qui avaient entravé le pouvoir de ses prédécesseurs. Il se rendit libre en supprimant les vieilles libertés de la France. Avec quels résultats matériels, splendides d’abord, désastreux à la longue, personne ne l’ignore ; mais on a peut-être moins remarqué certaines conséquences morales de son gouvernement.

L’aristocratie française cessa dès la seconde génération d’être une pépinière d’hommes d’action. C’était ce qu’avait cherché Louis XIV en la tenant à la chaîne dans ses palais. Le but était atteint lorsqu’il mourut. On peut s’en remettre sur ce point à Saint-Simon, peu suspect d’hostilité envers la noblesse. Quand il arriva au pouvoir avec le Régent, la tête farcie de projets qui devaient rendre les premiers rôles à l’aristocratie, et qu’il chercha de grands noms pour les grands emplois, il reconnut qu’il était trop tard : la pépinière était vide : « — L’embarras, disent ses Mémoires, fut l’ignorance, la légèreté, l’inapplication de cette noblesse accoutumée à n’être bonne à rien qu’à se faire tuer, à n’arriver à la guerre que par l’ancienneté, et à croupir du reste dans la plus mortelle inutilité, qui l’avait livrée à l’oisiveté et au dégoût de toute instruction hors de guerre, par l’incapacité d’état de s’en pouvoir servir à rien. » Il faut rendre à César ce qui appartient à César. L’effacement de l’aristocratie française n’est pas l’œuvre de la grande Révolution, qui ne fit que prendre acte du fait accompli. C’est l’œuvre personnelle et systématique de Louis XIV.

Les hautes classes en général subirent dans la seconde moitié du XVIIe siècle, contrairement à l’opinion commune, un abaissement de valeur morale. Le fait est d’autant plus frappant que notre pays n’a peut-être jamais possédé, à aucune époque, autant de bons élémens pour la tenue et la dignité de la vie. Par une malchance déplorable, les groupes sociaux qui se trouvaient désignés, par la solidité de leurs principes, pour être les piliers de la moralité publique, avaient encouru l’un après l’autre, pour des raisons diverses, le sérieux déplaisir de la royauté. Chez les catholiques, les disciples des Bérulle et des Vincent de Paul s’étaient compromis dans l’affaire de la Compagnie du Saint-Sacrement ; il n’y a pas de gouvernement digne de ce nom qui puisse accepter de se laisser mener par une société secrète, quelle qu’elle soit. Les Jansénistes avaient partagé avec les Réformés le mécontentement que toute velléité d’indépendance, dans n’importe quel domaine, inspirait à Louis XIV. Sa défiance s’étendait à la vie intérieure de chacun. Tout le monde devait sentir et penser comme le Roi, sous peine d’être tenu pour rebelle. C’était chez lui une idée arrêtée, et qui donna sous son règne un caractère particulier aux persécutions religieuses : jansénistes et protestans furent poursuivis à titre d’ennemis du Roi, bien plus que d’ennemis de Dieu.

L’hostilité témoignée par le prince à ces trois foyers principaux de la conscience française, et la destruction de deux d’entre eux, laissèrent le champ à peu près libre au dévergondage qui fut la marque de la fin du règne. On le reporte toujours à la Régence ; mais l’abcès était formé depuis longtemps quand la mort de Louis XIV lui permit de percer. Une lettre de 1680 le constatait déjà : « — Nos pères n’étaient pas plus chastes que nous ; mais… on brode à présent sur les vices, on les raffine[65]. » Le mal avait grandi impunément sous le manteau d’hypocrisie qui recouvrit la cour de France du temps de Mme de Maintenon. Elle le voyait bien ; elle en gémissait inutilement. Les étrangers en étaient frappés : « — Tout y est plus concerté, écrivait l’un d’eux en 1690, plus réservé, plus contraint,… que ne le porte le génie ordinaire de la nation[66]. » Le malheur fut que Louis XIV, qui avait été élevé et avait vieilli dans une religion toute de pratiques, s’en laissa imposer par des libertins, déguisés en dévots pour faire leur cour. Le Roi qui avait fait jouer Tartuffe ne l’avait pas assez médité.

Un dernier méfait, et non le moindre, du régime absolu, fut de lancer le pays à la poursuite de la plus néfaste de toutes les chimères politiques, celle de l’unité morale. Louis XIV révoqua l’Édit de Nantes au nom de l’unité morale, parce qu’un bon Français devait être de la religion de son Roi. Un siècle plus tard, la Terreur coupa les têtes au nom de l’unité morale, parce qu’un bon Français devait être vertueux à la façon de Rousseau et de Robespierre. Le lecteur peut continuer de lui-même la série et compter les actes d’oppression commis au XIXe siècle, et même au XXe, tout jeune que celui-ci soit encore, en vue de procurer au pays l’uniformité des esprits, c’est-à-dire la mort intellectuelle : car en politique comme en religion, en art, en littérature, en tout, la diversité fait la vie. C’est par cette erreur capitale que le règne de Louis XIV, si glorieux à tant d’égards, a été le précurseur de la grande Révolution, et qu’il l’a rendue inévitable. Les jacobins sont un peu les héritiers du grand Roi.

Au fond, la manie de l’unité morale n’est autre, sous un nom moins malsonnant, que l’horreur de la liberté ; sentiment vieux comme le monde, mais qui n’avait pas été dominant, loin de là, dans la première partie du XVIIe siècle. Le mot de liberté revient avec une insistance remarquable sous la plume de la plupart des gens d’alors, théoriciens, jurisconsultes ou grands seigneurs, toutes les fois qu’ils touchent à la politique dans leurs écrits. L’expression n’avait rien de révolutionnaire dans leur esprit. Ce qu’ils réclamaient était plutôt un retour au passé. Et, surtout, il ne leur venait pas à l’esprit d’associer le mot d’égalité à celui de liberté. C’est le XVIIIe siècle, plus raisonneur et, peut-être, moins raisonnable, qui en a eu l’idée le premier, sans s’apercevoir que les deux choses sont incompatibles, et que l’une des deux était destinée à tuer l’autre.

Si la royauté absolue était restée à Paris, elle se serait aperçue que le pays ne la suivait plus. A Versailles, elle ne vit rien : elle s’était enfermée elle-même dans son tombeau. Le divorce fut consommé entre la Cour et la capitale, l’une se contentant d’être figurative et ornementale, l’autre marchant à la conquête de l’opinion, puisque la royauté renonçait à diriger l’esprit public. On se rappelle le rôle d’arbitre universel qu’avait joué la « jeune Cour, » son jeune Roi en tête, du temps où le contact avec Paris était perpétuel, et comme elle était toujours à l’avant-garde, pour les idées comme pour les modes. Versailles fut cause que l’on n’espéra plus voir jamais revenir ces temps-là ; on ne se connaissait plus, de Roi de France à marchand de la rue Saint-Denis. En conséquence, Paris employa le XVIIIe siècle à prendre la direction des esprits. La Cour avait décidé du succès des pièces de Molière ; le parterre parisien décida du succès des pièces de Beaumarchais.

Si l’on considère maintenant que toute la politique intérieure de Louis XIV fut constamment dominée par le souvenir et l’horreur de la Fronde, on reconnaîtra que cette révolution avortée a entraîné des conséquences aussi graves qu’une révolution victorieuse. C’est pourquoi il était permis de faire tourner l’histoire des idées et des mœurs pendant la Fronde, et dans les quarante années qui suivirent, autour de la Grande Mademoiselle, figure représentative s’il en fut d’une génération qui méritera toujours l’attention de l’histoire, et à un double titre : par sa fière conception de l’existence, et par le mal qu’elle a fait à la France, ou qu’elle lui a attiré dans la suite des temps. Personne n’a possédé les grandes qualités de son époque à un plus haut degré que cette princesse, et personne ne les avait conservées aussi intactes, sans souci du danger, après qu’elles furent devenues une cause de défaveur. Ni Retz, ni le grand Condé ne donnaient dans leur vieillesse l’idée de ce qu’ils avaient été sous la Fronde ; l’un et l’autre s’étaient trop assagis. La Grande Mademoiselle fut toujours la Grande Mademoiselle, et, si ce fut quelquefois son défaut, ce fut bien plus souvent son titre de gloire.


ARVEDE BARINE.

  1. Voyez la Revue des 1er septembre 1902, 1er décembre 1903, 1er mars, 15 août et 1er octobre 1904.
  2. M. du Housset, ancien intendant des finances. Il venait d’acheter la charge de chancelier de Monsieur.
  3. Voyez la Revue du 1er octobre 1904.
  4. Lettre du 1er avril 1671.
  5. Lettre du 13 janvier 1672.
  6. Mémoires de La Fare. Cf. les Mémoires de Choisy, Segraisiana, etc.
  7. Louvois était venu l’année précédente visiter Pignerol.
  8. Les pièces citées dans ce chapitre, et dans le suivant, sur la captivité de Lauzun, sont en partie inédites et tirées des Archives du ministère de la Guerre, en partie empruntées aux Archives de la Bastille, de M. Ravaisson. Voir aussi un recueil de documens historiques : Histoire de la détention des philosophes, etc., par J. Delort ; Paris, 1829. Didot.
  9. Se désespérer a ici le sens de se tuer.
  10. On appelait « les dames, » tout court, Mme de Montespan et Mlle de La Vallière.
  11. Cette lettre a été perdue ou détruite.
  12. Louvois à Saint-Mars, 2 mars 1676.
  13. Il en est de la lettre de Saint-Mars (du 23 mars 1680) sur les communications de cachot à cachot, comme de celle sur la fuite de Lauzun : elle ne s’est pas retrouvée.
  14. Louvois à Saint-Mars, 28 novembre 1679.
  15. Léopold de Ranke, Histoire de France.
  16. Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson.
  17. Deux ans après cet avertissement, Louis XIV donnait à Versailles, en l’honneur de Mme de Montespan, une fête pour laquelle on avait élevé des constructions provisoires. La salle de bal, qui servit une nuit, était en marbre et porphyre ; le reste à l’avenant.
  18. Les pertes de 100 000 écus n’étaient pas rares à la table de jeu du Roi. Le 6 mars 1670, Mme de Montespan perdit 400 000 pistoles dans une nuit. À 8 heures du matin, elle en regagna 500 000. La pistole valait environ 10 francs. En 1682, trois ans après sa disgrâce, elle perdit une fois 100 000 écus et ne les regagna pas. C’était le Roi qui payait.
  19. Le mémoire est du 22 juillet 1666 : Mme de Montespan et Louis XIV, par Clément. Appendice.
  20. Lettre de Mme de Châtrier, attachée à la maison de Condé : De La Vallière à Montespan, par Jean Lemoine et André Lichtenberger.
  21. Lettre de Colbert à l’intendant de Rochefort (16 avril 1678).
  22. Lettre du 23 janvier 1680, à La Rivière.
  23. Mémoires de La Fare.
  24. Mémoires de Mlle de Montpensier.
  25. Mémoires de l’abbé de Choisy.
  26. Souvenirs sur Madame de Maintenon. — Les Cahiers de Mademoiselle d’Aumale, avec une introduction par M. G. Hanotaux.
  27. Ibid.
  28. Voyez la Revue du 15 août 1904.
  29. Lettre au marquis de Trichateau.
  30. Note de La Reynie (21 décembre 1679). Les pièces de l’Affaire des poisons forment 1322 pages gr. in-8o des Archives de la Bastille, et elles ne sont pas complètes. Il y manque tout au moins certaines dépositions particulièrement compromettantes pour Mme de Montespan, et brûlées sur l’ordre de Louis XIV.
  31. Louvois à Boucherat, président de la Chambre, le 4 février 1680.
  32. Elle comprenait : la comtesse de Soissons, la marquise d’Alluye (le Roi les fit sauver), le duc de Luxembourg (victime d’une erreur), la vicomtesse de Polignac, le marquis de Feuquières, la princesse de Tingry, la maréchale de la Ferté, la duchesse de Bouillon, etc.
  33. Cf. Archives de la Bastille, t. V, la « note autographe » de La Reynie, du 17 septembre 1679. Était-ce la première fois que ces deux noms apparaissaient ? Les destructions de pièces ordonnées, par le Roi ne permettent pas de l’affirmer.
  34. Louvois à M. Robert, le 15 janvier 1680.
  35. Elle y mourut le 8 septembre 1686. Catau semble avoir été mise hors de cause, bien qu’elle eût été placée chez Mme de Montespan par la Voisin.
  36. Marie-Anne-Christine de Bavière venait épouser le Grand Dauphin.
  37. Cf. les Souvenirs de Mme de Caylus et la lettre de Mme de Sévigné, — entre autres, — du 17 juillet 1680.
  38. Lettre du marquis de Bussy à Bussy-Rabutin, du 6 février 1681 (Correspondance de Bussy-Rabutin).
  39. Mme de Montespan et Louis XIV, par P. Clément.
  40. Louis XIV, sa cour et le Régent, par Anquetil (Paris, (1789).
  41. Le second il s’applique à Lauzun.
  42. Avec entrée en jouissance après la mort de Mademoiselle.
  43. Mémoires de Saint-Simon.
  44. Écrits inédits de Saint-Simon.
  45. A Chalon-sur-Saône.
  46. Exactement, d’après les chiffres officiels, 284 930 livres.
  47. Le justaucorps dit à brevet, parce qu’il ne se pouvait porter qu’avec un brevet du Roi, changeait tous les ans. Il était donc très démodé au bout de douze ans. Lauzun avait pris perruque à Pignerol, pour se protéger contre l’humidité de sa basse-voûte.
  48. Écrits inédits, Saint-Simon.
  49. Saint-Simon, Mémoires. Saint-Simon tenait tous ces détails d’un témoin oculaire.
  50. Saint-Simon, Écrits inédits.
  51. Mme de Sévigné.
  52. Mémoires de la cour de France, par Mme de La Fayette.
  53. Mme de Sévigné, 6 janvier 1689.
  54. Lettre de M. d’Amfreville, officier général de la marine, à Seignelay, dans l’Histoire de Louvois de Camille Rousset.
  55. Saint-Simon, Écrits inédits.
  56. Œuvres complètes de Bernardin de Saint-Pierre (Paris, 1830). T. I : Essai sur la vie, etc., par Aimé-Martin.
  57. Lettre de Mme de Montespan à la duchesse de Noailles (1er juin 1685) ; Mme de Montespan, etc., par P. Clément.
  58. Cf. la Gazette pour 1693 et la collection du Mercure Galant, périodique mensuel, fondé en 1672, par Donneau de Visé.
  59. Saint-Simon, Mémoires.
  60. Lettre de Madame à la duchesse de Hanovre. (Correspondance de Madame. Édition Ernest Jœglé.)
  61. Saint-Simon dit quinze ans ; il se trompe : l’acte de mariage porte quatorze.
  62. Mémoires de Saint-Simon.
  63. Saint-Simon, Mémoires.
  64. L’ordonnance royale est du 7 juillet 1668. Louis XIV ignora toujours que les conseillers de l’Hôtel de Ville avaient passé les nuits à copier ce qui allait être brûlé, de sorte que nous possédons les documens qu’il avait voulu anéantir.
  65. De la Rivière à Bussy-Rabutin.
  66. Relation de la cour de France, par Ézéchiel Spanheim, envoyé extraordinaire de Brandebourg.