La Grande Mademoiselle/07
LOUIS XIV JEUNE, D’APRÈS SES « MÉMOIRES »
Le souvenir de la Fronde a pesé lourdement sur le reste du règne de Louis XIV. Il a dominé pendant plus d’un demi-siècle la politique intérieure du pays et décidé de la fortune, bonne ou mauvaise, des grandes familles d’alors. Le mot de « liberté » était devenu synonyme de « licence, confusion, désordre[2], » et les anciens frondeurs passèrent le reste de leur vie dans la disgrâce, ou tout au moins la défaveur. La Grande Mademoiselle ne fut jamais pardonnée, bien qu’elle ne voulût point se l’avouer à elle-même. Elle aurait pu le prévoir dès son retour à la Cour, si elle n’avait pas été décidée à croire le contraire. Les avertissemens ne lui manquèrent pas. Le premier fut sa rencontre avec la reine mère dans la prairie de Sedan. Quand Anne d’Autriche vit arriver au son des fanfares, l’air dégagé et triomphant, cette princesse insolente qui avait fait tirer le canon sur son roi, elle l’eut à peine embrassée qu’elle éclata en reproches, et lui déclara qu’après le combat Saint-Antoine, « si elle l’avait tenue, elle l’aurait étranglée[3]. » Mademoiselle pleurait ; la Cour regardait. « J’ai tout oublié, » dit enfin la reine, et sa nièce s’empressa de le croire.
L’accueil du roi fut plus significatif encore. Il arrivait à cheval, tout mouillé et tout crotté, de la ville de Montmédy, prise le jour même aux Espagnols (7 août 1657). Sa mère lui dit : « Voici une demoiselle que je vous présente, et qui est bien fâchée d’avoir été méchante ; elle sera bien sage à l’avenir. » Le jeune roi se contenta de rire, et répondit en parlant du siège de Montmédy. Mademoiselle repartit néanmoins de Sedan avec des pensées très riantes : elle s’était figuré lire dans tous les yeux qu’on allait la marier au frère du roi, le petit Monsieur. Il avait dix-sept ans ; elle en avait trente et beaucoup de cheveux blancs.
Encore quelques mois d’une demi-retraite, et la Grande Mademoiselle, tolérée sinon pardonnée, ne devait plus bouger de la Cour pendant les années de transition où se prépara le gouvernement personnel de Louis XIV. Un nouveau régime allait naître, et un nouveau monde avec lui. On les voyait de jour en jour se dessiner, reléguant dans l’ombre du passé le vieil esprit d’indépendance et étouffant les aspirations confuses du pays vers quelques libertés légales. Mazarin incarnait ce grand mouvement politique. A la veille de disparaître, ce ministre impopulaire était devenu tout en France.
Il était le maître ; personne ne songeait plus à lui résister ; mais on continuait de l’exécrer et l’on n’arrivait pas à l’admirer. La France n’ayant alors ni journaux, ni débats parlementaires, la politique étrangère de Mazarin, qui lui fait tant d’honneur à nos yeux, restait fort mal connue, même à Paris. Ainsi s’explique que sa gloire ait été en grande partie posthume. Elle a grandi à mesure que l’on a pu le juger sur pièces, d’après les documens enfermés dans nos archives nationales ou dans celles des autres pays. Ses correspondances ont mis au jour un si beau génie diplomatique, que les historiens, avec beaucoup de raison, ont laissé au second plan les vilains côtés de l’homme, ses petitesses, pour appuyer sur les services du ministre.
Il s’était passé précisément le contraire au XVIIe siècle. On n’avait guère vu que les défauts du cardinal, qui crevaient tous les yeux. La mauvaise fortune avait redoublé sa rapacité. Mazarin avait gardé sur le cœur de s’être trouvé sans argent lors de son expulsion du royaume. Il s’était juré qu’on ne le prendrait plus sans vert, et il travaillait depuis son retour à mettre des millions en lieu sûr. Tous les moyens lui étaient bons pour se constituer cette espèce de trésor de guerre. Il vendait depuis les plus hautes fonctions de l’État jusqu’aux places de « lavandière » chez la reine. Il partageait les bénéfices avec les corsaires auxquels il donnait des lettres de marque. Il se chargeait à forfait des services publics, empochait l’argent, et laissait nos ambassadeurs sans traitement, nos vaisseaux et nos fortifications sans entretien. L’armée criait la faim et la soif depuis qu’il s’était fait son « vivandier » et son « munitionnaire ; » il lui donnait du pain au rabais et trouvait le moyen, prétendaient les courtisans, de faire payer au soldat, si rarement payé lui-même, jusqu’à l’eau qu’il buvait. Turenne fit une fois briser sa vaisselle plate pour en distribuer les morceaux à ses troupes, qui périssaient de misère. Des scènes de comédie se mêlaient à ces drames. Bussy-Rabutin, qui servait dans l’armée de Turenne, avait été heureux au jeu. Le cardinal en eut vent. Il fit dire à Bussy qu’il gardait sa solde, qu’il s’était associé à son jeu, et que la solde représentait sa part de gain.
Il avait étendu son trafic à la maison royale. C’était lui qui la fournissait de meubles ou de vaisselle. Il avait l’entreprise des deuils de Cour, celle des fêtes ; quand le roi dansait un ballet, son premier ministre gagnait sur les décors et les accessoires. Les comptes de ménage lui passaient par les mains. Pendant la campagne de 1658, il supprima le cuisinier du roi, afin de s’approprier ce qu’aurait coûté la table. On vit Louis XIV réduit à s’inviter à dîner chez l’un ou chez l’autre. Mazarin lui prenait jusqu’à son argent de poche, et le jeune monarque se laissait faire, avec une patience qui était pour son entourage un perpétuel sujet d’étonnement. Sa mère n’était ni mieux traitée, ni moins soumise.
Le cardinal était aussi jaloux de son autorité que de son argent. Le roi n’avait voix au chapitre sur rien ; quand il se permettait d’accorder une grâce, si légère fût-elle, son premier ministre la révoquait en « le gourmandant comme un écolier[4]. » On disait de la reine mère qu’elle n’avait plus pour cent écus d’influence, et elle-même en convenait. De plus, elle était grondée du matin au soir. L’âge avait rendu Mazarin insupportable. Il était sans gêne avec le roi, quelque chose de plus avec sa mère ; les courtisans haussaient les épaules en l’entendant parler à Anne d’Autriche « comme à une chambrière[5]. » La reine n’était pas insensible à ces rudesses ; elle avouait à sa fidèle Motteville « que le cardinal devenait de si mauvaise humeur et si avare, qu’elle ne savait pas comment à l’avenir on pourrait vivre avec lui ; » mais il ne semblait pas lui venir à l’esprit que l’on pourrait peut-être vivre sans le cardinal.
Est-ce à dire qu’Anne d’Autriche et Mazarin étaient mariés, ainsi que l’affirme[6] la Palatine, mère du régent ? A mesure qu’ils vieillissent, on est bien tenté de le croire, tant le spectacle offert par ces illustres personnages, lui si désagréable, elle si soumise, donne l’impression de deux destinées « unies ensemble, selon les propres expressions du cardinal[7], par des liens... qui ne pouvaient être rompus. » La question est de savoir si Mazarin pouvait se marier. D’après la tradition, il n’était pas prêtre. D’après les érudits, c’est un point sujet à discussion[8]. Aussi longtemps que l’on n’aura pas réussi à le fixer, le mariage d’Anne d’Autriche avec son ministre restera parmi les énigmes historiques, car tout ce qu’on en dira sera paroles en l’air.
La patience de Louis XIV ne s’explique que par toute son éducation, et par l’état d’esprit qui en avait été le fruit.
Son berceau avait été entouré d’un troupeau de serviteurs chargés de veiller sur ses moindres mouvemens. Sa mère l’adorait, et s’en occupait beaucoup pour une reine. Néanmoins, il n’y eut pas dans tout le royaume d’enfant aussi mal gardé que le fils du roi. Louis XIV ne l’avait jamais oublié, et il en parla toute sa vie avec amertume. « Le roi me surprend toujours, racontait Mme de Maintenon à Saint-Cyr, quand il me parle de son éducation. Ses gouvernantes jouaient tout le jour et le laissaient entre les mains de leurs femmes de chambre, sans se mettre en peine du jeune roi. » Les femmes de chambre l’abandonnaient à lui-même, et on le retrouva une fois dans le bassin du Palais-Royal. L’un de ses grands plaisirs était d’aller rôder dans les cuisines avec son frère le petit Monsieur. « Il mangeait tout ce qu’il attrapait, sans qu’on fît attention à ce qui pouvait être contraire à sa santé... Si l’on fricassait une omelette, il en attrapait toujours quelque pièce, que Monsieur et lui allaient manger dans quelque coin[9]. » Un jour que les deux petits princes mettaient ainsi leurs doigts dans les plats, les marmitons impatientés les poursuivirent à coups de torchon.
Il jouait avec n’importe qui. Sa société la plus ordinaire, rapporte encore Mme de Maintenon, était la fille « de la femme de chambre des femmes de chambre de la reine. » Quand on le tirait de ce milieu inférieur pour le mener chez sa mère, ou le faire figurer dans quelque cérémonie, c’était un timide, qui regardait les gens avec embarras sans savoir que leur dire, et qui en souffrait cruellement. Un jour qu’on lui avait fait la leçon, et que sa timidité l’empêchait de retrouver ses mots, il fondit en larmes de honte et de colère. Le roi de France manquait de monde.
A cinq ans et demi, il eut des maîtres et un précepteur[10], mais il n’apprit rien, Mazarin ne le poussait pas au travail, pour des raisons à lui connues, et les circonstances secondèrent les vues du premier ministre. La Fronde vint rendre toute étude suivie impossible, en bouleversant l’existence de la Cour de France, qui ne fut plus que campée, lorsqu’elle n’était pas tout à fait errante. Louis XIV avait quatorze ans au moment où il se réinstalla au Louvre, et il ne fut même pas question de lui faire rattraper le temps perdu ; il passa désormais ses journées à chasser, à étudier des pas de ballet et à s’amuser avec les nièces du cardinal. Le monde politique croyait deviner le pourquoi de cette éducation sommaire et s’en exprimait sévèrement. « Le roi, écrivait en 1652 l’ambassadeur de Venise[11], ne s’applique toute la journée qu’à apprendre le ballet... Les jeux, les danses et les comédies sont les uniques entretiens du roi, dans l’intention de le détourner entièrement des choses plus solides et plus importantes. » L’ambassadeur revint sur le même sujet à l’occasion d’un opéra italien où le roi[12] s’était exhibé en Apollon, entouré de belles personnes représentant les neuf Muses : « Certains blâmèrent la chose, mais ceux-là ne connaissent pas la politique du cardinal, qui tient le roi expressément appliqué à des exercices de passe-temps pour le détourner des solides et importantes, et, tandis que Sa Majesté est occupée à faire rouler des machines de bois sur la scène, le cardinal remue et fait rouler à son bon plaisir, sur le théâtre de France, toutes les machines d’Etat. »
Quelques rares observateurs, dont Mazarin, devinaient que cet adolescent, avec son air d’être perdu dans les niaiseries, réfléchissait en secret à son métier de roi et aux moyens de s’en rendre capable. La nature lui avait donné l’instinct du commandement, joint à un sentiment très vif des devoirs de son rang. Il dit dans ses Mémoires : « Dès l’enfance même, le seul nom de rois fainéans et de maires du palais me faisait peine quand on le prononçait en ma présence[13]. » Son précepteur, l’abbé de Péréfixe, avait encouragé ce sentiment, tout en laissant son élève, par une contradiction dont il n’était peut-être pas responsable, prendre le chemin de devenir un vrai roi fainéant. Péréfixe avait écrit pour le jeune prince une Histoire du roi Henri le Grand, où on lisait « que la royauté n’est pas un métier de fainéant, qu’elle consiste presque toute en l’action, qu’il faut qu’un roi fasse ses délices de son devoir, que son plaisir soit de régner, et qu’il sache que régner, c’est tenir lui-même le timon de son Etat. » Sa gloire y est intéressée. En effet, « qui ne sait pas qu’il n’y a point d’honneur à porter un titre dont on ne fait point les fonctions ? » Doctrine qui supprime les premiers ministres, et dont Louis XIV devait faire son profit.
Le hasard était venu au secours du précepteur. Le 19 juin 1651, l’ancienne gouvernante du roi, Mme de Lansac, le dérangea au milieu d’une leçon pour lui faire cadeau « de trois lettres que Catherine de Médicis écrivait à Henri III, son fils, pour son éducation[14]. » Péréfixe prit les lettres et en donna lecture, le roi l’écoutant « avec beaucoup d’attention. » L’une d’elles était tout un mémoire[15]. Catherine y donnait à son fils le même précepte que Péréfixe à son élève : un roi doit « régner, » c’est-à-dire faire les fonctions de son titre. Pour « régner, » il faut se mettre au travail sitôt éveillé, lire toutes les dépêches et ensuite les réponses, parler soi-même à ses agens, se faire rendre compte chaque semaine des recettes et des dépenses ; ainsi de suite du matin au soir et tous les jours de la vie. C’était un programme de forçat du pouvoir. Louis XIV en fit le sien dans le fond de son âme ; il n’avait pas encore treize ans.
Ces belles résolutions étaient cependant destinées à rester lettre morte tant que Mazarin vivrait. Elles ne pouvaient s’exécuter qu’au détriment de son autorité, et l’idée d’entrer en lutte avec le cardinal répugnait au jeune roi, moitié vieille affection d’enfance, moitié timidité et habitude de l’obéissance. Louis XIV y avait songé, et il tint plus tard à ce qu’on le sût, mais il avait été content de se trouver de bonnes excuses pour laisser aller les choses. Il explique dans ses Mémoires qu’il fut arrêté par la raison politique : il avait trop de bon sens, tout jeune qu’il fût, trop d’expérience aussi, quelque étrange que paraisse le mot appliqué à un enfant élevé aussi sottement, pour ne pas discerner les dangers d’une révolution de palais dans l’état où les troubles civils avaient laissé la France. A défaut de la science que l’on puise dans les livres, Louis XIV avait eu les leçons de choses de la Fronde : les émeutes et les barricades, les discours véhémens du Parlement à sa mère, les fuites humiliantes avec la Cour, les temps de misère où ses domestiques n’avaient pas à dîner et où lui-même couchait dans des draps percés et portait des habits trop courts, les batailles où ses sujets tiraient sur lui, les trahisons de ses proches et de sa noblesse et leurs marchandages honteux. Rien de tout cela n’avait été perdu pour le jeune roi. L’ordre rétabli à la surface, il sut voir combien la situation demeurait troublée dans le fond, combien précaire, et il jugea prudent de différer ce qu’il « souhaitait et... craignait tout ensemble, » disent nettement ses Mémoires[16].
Il discute si ce fut une faute. « Il faut, dit-il, se représenter l’état des choses : des agitations par tout le royaume avant et après ma majorité ; une guerre étrangère où ces troubles domestiques avaient fait perdre à la France mille avantages ; un prince de mon sang et un très grand nom à la tête de mes ennemis ; beaucoup de cabales dans l’État ; les Parlemens encore en possession et en goût d’une autorité usurpée ; dans ma Cour, très peu de fidélité sans intérêt, et par là mes sujets en apparence les plus soumis, autant à charge et à redouter pour moi que les plus rebelles. » Était-ce le moment d’exposer le pays à de nouvelles secousses ? Louis XIV était resté convaincu[17] du contraire, tout en avouant qu’il trouvait dès lors bien à reprendre aux façons de faire de Mazarin, « un ministre, poursuivait-il, rétabli malgré tant de factions, très habile, très adroit, qui m’aimait et que j’aimais, qui m’avait rendu de grands services, mais dont les pensées et les manières étaient naturellement très différentes des miennes, que je ne pouvais toutefois contredire ni discréditer sans exciter peut-être de nouveau contre lui, par cette image quoique fausse de disgrâce, les mêmes orages qu’on avait eu tant de peine à calmer. »
Le roi avait aussi à tenir compte de son extrême jeunesse et de son ignorance des affaires. Il raconte à ce propos son ardent désir de gloire, sa peur de mal débuter, car on ne s’en relève pas, son attention à suivre les événemens, « en secret et sans confident, » sa joie quand il découvrait que « les gens habiles et consommes, » partageaient sa façon de voir. Tout considéré, n’y avait-il pas de quoi être « pressé et retardé presque également » dans son dessein de prendre « la conduite de son État ? »
Cette page curieuse n’a d’autre défaut que d’avoir été dictée par un homme fait, dans l’esprit duquel les choses ont pris une netteté qu’elles n’avaient pas chez l’adolescent, et qui croit se rappeler des volontés là où il n’y avait eu que des velléités. Louis XIV serait impardonnable si l’on n’en rabattait de ses Mémoires. Pourquoi, s’il y voyait si clair, avoir rechigné à toute espèce de travail ? A seize ans, Mazarin lui avait fixé des jours pour assister au Conseil. Le roi s’y ennuyait. Il s’en allait, et on le retrouvait causant du prochain ballet ou jouant de la guitare avec ses familiers. Mazarin dut gronder pour le faire rester au Conseil. A force de baguenauder, il n’aimait plus que cela, et il y eut de la paresse dans sa résolution de laisser faire son ministre.
La Cour avait son opinion faite ; elle tenait le jeune roi pour incapable d’application. On avait aussi décidé qu’il manquait d’esprit, et en cela l’on ne s’était pas trompé. Lui-même ne se faisait aucune illusion et disait avec simplicité : « Je n’ai pas d’esprit. » La jeunesse libertine qui l’entourait, et que gênait son air grave, ne cachait pas qu’elle le trouvait ennuyeux, comme devait le faire Mme de Maintenon un demi-siècle plus tard. Les Guiche et les Vardes le croyaient voué à l’insignifiance, et ils ne s’en affligeaient que médiocrement.
La ville était moins convaincue de sa nullité, peut-être parce qu’elle en aurait pris moins aisément son parti. Paris commençait à avoir la terreur des princes auxquels, pour une raison ou pour l’autre, il faut des premiers ministres, et la bourgeoisie parisienne était à l’affût de toute preuve d’intelligence chez son jeune monarque. « On dit que l’esprit du roi s’éveille, écrivait Guy Patin en 1654 ; Dieu le veuille. » Cette première lueur n’ayant pas eu de suites apparentes, Paris admira, en attendant mieux, la bonne mine du souverain. « J’ai vu aujourd’hui le roi qui s’en allait à la chasse, écrivait encore Guy Patin quatre ans plus tard. C’est un beau prince, fort et robuste ; il est grand et a bonne grâce ; c’est dommage qu’il ne sait pas son métier[18]. » On vantait aussi son air sérieux, son éloignement pour la débauche sous toutes ses formes, et la modestie qui lui faisait répondre bravement, devant toute la Cour, à une question sur la pièce nouvelle : « Je ne juge jamais de ce que je ne sais pas[19]. » Ce n’était pas la réponse d’un sot.
En somme, comme il était très froid, très dissimulé, qu’il parlait peu, par calcul autant que par goût, et presque uniquement de bagatelles, cet adolescent sur qui toute la France avait les yeux fixés restait un inconnu pour ses sujets.
Le 18 septembre 1657, deux étrangers qui traversaient le Pont-Neuf se trouvèrent pris dans une bousculade. La foule se précipitait avec des cris de joie vers un carrosse dont elle avait reconnu la livrée. C’était la Grande Mademoiselle, retour d’exil, qui venait prendre possession du Luxembourg, où son père lui donnait un logement, sentant bien qu’il n’y reviendrait jamais. Les deux étrangers notèrent dans leur Journal de Voyage[20] que les Parisiens portaient une « affection particulière » à cette princesse, parce qu’elle s’était conduite en « vraie amazone » pendant la guerre civile. On les avait bien renseignés. Mademoiselle était restée populaire à Paris, où l’on se souvenait toujours de ses exploits pendant la Fronde et de sa belle tournure à la tête de son régiment.
Elle ne fit guère que passer, ayant des affaires à régler en province. A son retour définitif, le 31 décembre, la Cour et la ville s’écrasèrent chez elle. Le Luxembourg fut plusieurs jours sans désemplir, après quoi, quand le monde eut constaté que Mademoiselle « n’avait plus sur le visage la fraîcheur des roses nouvellement épanouies[21], » sa curiosité fut satisfaite et il s’occupa d’autre chose. Elle-même avait fort à faire. L’idée d’épouser le petit Monsieur ne la quittait plus depuis Sedan. On lui assurait qu’il en mourait d’envie, et Mademoiselle répondait naïvement qu’elle s’en apercevait bien : « Cela ne me déplaisait pas, ajoute-t-elle. Un jeune prince, beau, bien fait, frère du roi, me paraissait un bon parti pour moi. » Dans l’attente de leurs fiançailles, elle ferma l’heureuse parenthèse de Saint-Fargeau, où elle avait aimé le travail et l’intelligence, pour se faire la camarade d’un enfant uniquement adonné aux plaisirs de son âge, et passa l’hiver à danser, à se déguiser, à courir les promenades et les baraques de la foire Saint-Germain[22]. Le public remarquait que le petit Monsieur paraissait « peu gai » avec sa grande cousine, qu’il « ne se peinait guère à l’entretenir[23], » et qu’il lui aurait préféré d’autres compagnes, mieux assorties à ses dix-sept ans. Mademoiselle ne s’apercevait de rien.
Philippe, duc d’Anjou, avait une figure de bellâtre sur un petit corps rondelet. Il ne manquait pas d’esprit, n’avait aucune méchanceté, et aurait pu faire un gentil prince sans la raison d’Etat, qui était en train de le réduire à la condition de fantoche. Sa mère et Mazarin l’avaient élevé en fille, de peur qu’il ne causât plus tard des ennuis à son aîné, et cette éducation n’avait que trop bien réussi. A force de l’envoyer jouer avec le futur abbé de Choisy, qui mettait une robe et des mouches pour le recevoir ; à force de lui faire habiller et coiffer les filles d’honneur de la reine, de l’habiller lui-même en jupes et de l’occuper de chiffons, on en avait fait un être ambigu, une espèce de fille manquée et n’ayant que les défauts de son sexe. Monsieur avait tous les jours un habit neuf et tremblait de s’abîmer le teint, de se décoiffer, ou d’être vu de profil s’il se croyait mieux de face. Paris n’avait pas de plus grande commère ; il bavardait, il tracassait, brouillait les gens en répétant tout, et cela l’amusait. Mademoiselle se faisait un devoir de lui « prêcher » les « grandes actions, » mais elle perdait son temps : il était la mollesse et la faiblesse même. Les deux cousins étaient mal assortis de toutes les façons. Lorsqu’ils entraient ensemble dans un salon, Monsieur, court et replet, paré comme une châsse, cousu de pierreries depuis la tête jusqu’aux pieds, Mademoiselle, un peu mousquetaire de taille et d’allure et négligée dans ses ajustemens, c’était un couple singulier. Ceux qui ne les connaissaient pas ouvraient de grands yeux, et il s’en rencontrait toujours, en hiver du moins, car la société était alors des plus mêlées, même chez les grands.
Depuis le jour des Rois jusqu’au mercredi des Cendres, les Parisiens n’avaient pas de plus grand plaisir que de se promener la nuit en masque et d’entrer, sans être invités, dans les maisons où se donnait une fête. Louis XIV se mettait volontiers de la partie ; un soir de mardi-gras, qu’il courait ainsi les rues avec Mademoiselle, ils rencontrèrent Monsieur « habillé en fille, avec des cheveux blonds[24]. » Les hôteliers envoyaient les étrangers profiter de l’aubaine ; un jeune Hollandais racontait qu’il était allé la même nuit ; « avec ceux de son hauberge, » à cinq grands bals, le premier chez Mme de Villeroy, le dernier chez la duchesse de Valentinois, et qu’il avait vu dans chaque « plus de deux cents masques[25]. » La foule n’admettait pas qu’on lui refusât l’entrée, nulle part et sous aucun prétexte. Le même Hollandais rapporte avec une pointe d’aigreur qu’un autre soir, il lui avait été impossible de pénétrer chez le maréchal de l’Hôpital, parce que, le roi s’y trouvant, on avait pris des mesures afin d’éviter la cohue. L’usage obligeait à subir chez soi les sociétés les moins choisies. A une grande fête chez le duc de Lesdiguières, qui l’offrait en son cœur, disait la chronique, à Mme de Sévigné, « le roi était à peine sorti, qu’on commença à jouer des mains et à piller tout, jusque-là que l’on assure qu’il fallut remettre quatre ou cinq fois de la bougie aux lustres, et qu’il en coûta pour ce seul article plus de cent pistoles à M. de Lesdiguières[26]. »
Ces mœurs démocratiques avaient l’encouragement du roi, qui laissait aussi sa porte ouverte les soirs où il dansait son ballet. Il faisait mieux encore. Il allait officiellement souper chez « le sieur de la Bazinière, » ancien laquais devenu financier et millionnaire et ayant la tournure, les manières et les cascades de rubans du marquis de Mascarille. Il veillait à ce que Mademoiselle invitât au Luxembourg Mme de l’Hôpital, ancienne lingère épousée deux fois pour ses beaux yeux, la première fois par un partisan, la seconde par un maréchal de France. Ces leçons n’étaient pas perdues pour la noblesse. Les mésalliances ne s’y comptaient plus, les plus basses, les plus honteuses, pourvu que la dot fût belle. Un duc et pair avait épousé la fille d’un ancien charretier. Le maréchal d’Estrées était gendre d’un partisan connu sous le nom de Morin le Juif. On en pourrait citer bien d’autres, car le mouvement se précipitait d’année en année. En 1665, le roi étant allé au Parlement[27] faire vérifier un édit, un groupe d’hommes, parmi lesquels Olivier d’Ormesson, regardait la tribune des dames de la Cour. Quelqu’un s’avisa de compter combien d’entre elles étaient filles de parvenus de la finance : il s’en trouva trois sur six. Deux autres étaient des nièces de Mazarin, mariées à des nobles français[28]. La seule qui fût de bonne maison était Mlle d’Alençon, demi-sœur de la Grande Mademoiselle. On ne se serait pas attendu à ces chiffres, même en faisant la part du hasard ; mais le roi approuvait et la noblesse était ruinée : chacun se raccrochait où il pouvait.
Le courant général était favorable à cette confusion des rangs. Depuis la rentrée triomphale de Mazarin, en 1653, jusqu’à sa mort en 1661, il y eut à la Cour une sorte de laisser aller universel, qui surprenait les anciens Frondeurs à leur retour d’exil. Le jeune monarque provoquait lui-même aux familiarités, aux manquemens à l’étiquette. Ce changement était l’œuvre des nièces du cardinal, qui y trouvaient leur compte, puisque Marie, la troisième des Mancini, allait bientôt toucher la couronne du bout du doigt. Mademoiselle eut de la peine à s’habituer aux nouvelles manières avec le roi. « Pour moi, dit-elle, qui ai été nourrie dans un grand respect, cela m’étonnait, et j’ai été longtemps sans m’accoutumer à en user ainsi. Mais quand j’ai vu que les autres le faisaient, et que la reine m’eût dit un jour que le roi n’aimait point les cérémonies... lors je le fis ; car sans cela, les fautes des autres ne m’en auraient pas fait commettre. » Le Louis XIV pompeux des portraits à grandes perruques n’existait pas encore, et le Louvre de 1658 ne ressemblait guère au Versailles fastueux et formaliste que Saint-Simon a connu[29].
Le laisser aller s’étendait aux mœurs. Nombre de femmes de qualité se conduisaient mal, quelques-unes prêtaient au soupçon de vénalité, et ni l’un ni l’autre n’était une nouveauté ; mais le vice s’encanaillait, et c’est de quoi les personnes fières, comme Mademoiselle, ne pouvaient prendre leur parti. Quand on venait lui conter que la duchesse de Châtillon, fille de Montmorency-Boutteville, recevait de l’argent de l’abbé Fouquet et en essuyait des scènes de laquais, jusqu’à lui casser un jour ses miroirs à coups de pied, elle était révoltée. « C’est une étrange chose, écrivait-elle, que la différence des temps ! Qui aurait dit à l’amiral de Coligny : « La femme de votre petit-fils sera maltraitée par l’abbé Fouquet, » il ne l’aurait pas cru, et il n’était nulle mention de ce nom-là de son temps. » Dans l’esprit de Mademoiselle, qui en avait vu tant d’autres, c’était surtout la basse naissance de l’abbé qui aurait affecté l’amiral : « Quoi que l’on puisse dire, ajoutait-elle, je ne saurais jamais croire que les personnes de qualité s’abandonnent au point que les médisans le disent. Car quand on n’aurait pas son salut en vue, l’honneur du monde est, à ma fantaisie, une si belle chose, que je ne comprends pas comme on peut le mépriser. » Mademoiselle ne transigeait pas sur le respect dû à la hiérarchie du rang ; pour le reste, elle s’en tenait à ce qu’on est convenu d’appeler la morale des honnêtes gens, qui a toujours autorisé de grandes indulgences.
Elle savait cependant toute la différence de cette morale-là d’avec la morale chrétienne. Les Provinciales (1656) venaient de faire comprendre aux plus étourdis qu’il fallait choisir entre les deux. Mademoiselle était allée, sous leur influence, visiter le Port-Royal-des-Champs[30], et en était revenue entièrement gagnée à ces « gens admirables » qui vivaient comme des saints, et qui parlaient et écrivaient « avec la plus belle éloquence, » tandis que les Jésuites auraient mieux fait de se taire, n’ayant rien de bon à dire et le disant mal : « Car assurément il n’y eut jamais moins de prédicateurs qu’ils en ont parmi eux, ni moins de bonnes plumes, et il y paraît par leurs lettres. C’est pourquoi, par toutes sortes de raisons, ils eussent mieux fait de n’écrire pas. » La voyant si chaude pour les siens, l’un des messieurs de Port-Royal, Arnauld d’Andilly, lui avait dit comme elle repartait : « Vous vous en allez à la Cour ; vous pourrez rendre compte à la reine de ce que vous avez vu. — Je l’assurai que je le ferais très volontiers. » De l’humeur dont nous la connaissons, nul doute qu’elle n’ait tenu parole ; mais ce fut tout. L’honnête Mademoiselle, incapable pour son compte d’une chose vilaine ou basse, ne songea pas une seconde à faire intervenir l’austère morale janséniste, mal appropriée aux besoins de la vie de Cour, dans ses jugemens sur autrui et le choix de ses amitiés. Elle blâma la duchesse de Châtillon pour des raisons où la vertu proprement dite n’avait rien à voir ; nous la verrons bientôt accueillir Mme de Montespan, parce que la morale des honnêtes gens n’avait rien à redire aux maîtresses de rois. Mme de Sévigné pensait comme Mademoiselle, et elles n’étaient pas les seules. C’était pour les Jésuites une façon de revanche
Le goût devenait aussi médiocre que les sentimens. Celui du roi n’était pas formé, et le ballet faisait tort sur son théâtre du Louvre au plaisir noble de la tragédie, laquelle, du reste, n’était plus la tragédie. Corneille avait renoncé une première fois à écrire en 1652, après la chute de son Pertharite. L’année suivante, Quinault débutait, et plaisait. Il enseignait dans des tragi-comédies fleuries et tendres que « l’amour rend tout permis, » ainsi que l’avait dit Honoré d’Urfé dans l’Astrée un demi-siècle auparavant, et il renouait sans effort, après la parenthèse cornélienne, le fil d’une doctrine qui devait se transmettre sans autre interruption jusqu’à nos jours. L’amour justifie tout, car le droit à la passion est sacré, et rien ne subsiste devant lui :
Dans l’empire amoureux,
Le devoir n’a point de puissance...
L’éclat de deux beaux yeux adoucit bien un crime :
Au regard des amans tout paraît légitime[31].
L’idée qu’expriment ces vers se retrouve tout du long de l’œuvre de Quinault. Il l’a redite, avec la même douceur langoureuse et insinuante, pendant plus de trente ans, et personne, dans les commencemens, ne lui disputait sérieusement l’attention du public. A l’apparition de sa première pièce, en 1653, Racine avait quatorze ans. Molière n’est revenu à Paris qu’en 1658. Corneille, à la vérité, préparait sa rentrée au théâtre ; mais il se trouva, lorsqu’on joua ses dernières tragédies, qu’il avait cru bien faire d’étudier Quinault, et que cela n’avait pas toujours été en pure perte. C’est une preuve décisive de l’écho que trouvait dans les âmes l’immoralité « roucoulante »[32] du nouveau venu.
Ainsi la Cour de France se rendait peu intéressante en tout. L’éclat jeté par la Fronde sur les chercheurs et les chercheuses de grandes aventures n’avait pas été remplacé. Les plaisirs, qui faisaient à présent toute la vie, n’étaient pas toujours raffinés, on l’a vu plus haut, et ils n’étaient pas davantage intelligens. La troupe hardie des Mazarines donnait le ton au Louvre, et ce ton manquait de délicatesse. La reine Anne d’Autriche en gémissait dans l’intimité, mais elle lâchait la bride ; sauf d’épouser son fils, elle n’avait rien à refuser aux nièces du cardinal Mazarin.
Parce que la Cour, presque tout entière, était oisive et frivole, il ne faudrait pas se hâter de penser du mal de la France d’alors. Il ne faut jamais se hâter de penser du mal de la France. La Cour n’était pas tout le pays ; il y avait place à côté d’elle pour d’autres idées et d’autres sentimens. C’est dans ces années de 1650 à 1656, qui nous apparaissent d’abord comme un désert moral, que la charité privée fit chez nous l’un de ses plus grands efforts, les plus à l’honneur de tous ceux qui s’en mêlèrent. J’ai signalé ailleurs[33] la misère effroyable du pays pendant la Fronde. Il fallait soulager cette détresse, qui changeait en solitudes un lambeau après l’autre de notre territoire, et il ne se trouvait personne pour le faire parmi les gens en possession de l’autorité. Les ressources et la bonne volonté leur manquaient également : il n’y avait aucune aide à attendre de la royauté impuissante et, il faut bien le dire, à peu près indifférente.
On a peine aujourd’hui à se représenter l’état où le simple passage d’une armée, appartenant à un peuple civilisé, pouvait mettre il y a deux ou trois cents ans une terre française ou allemande. L’idée de restreindre les souffrances de la guerre à l’inévitable est nouvelle. Au XVIIe siècle, on travaillait au contraire à les accroître. La plupart des chefs apportaient un soin sauvage à exciter la manie de destruction qui s’émeut si facilement chez le soldat en campagne. Vers la fin de la Fronde, des troupes appartenant à Condé, alors au service de l’Espagne, occupèrent son ancien gouvernement de Bourgogne. Si province en France pouvait espérer d’être ménagée par M. le Prince, c’était celle-là : son père l’avait eue avant lui, et elle était pleine de leurs amis. Tant de liens furent inutiles. Le 23 mars 1652, les États de Bourgogne écrivaient à M. de Bielle, leur « député en Cour : » « Les ennemis ayant brûlé entièrement quatorze villages (suivaient les noms), outre d’autres qu’ils ont brûlés depuis, ces boute-feux étant encore en campagne et continuant ces horribles dégâts, le tout ainsi qu’il a été mandé par ordre exprès de Mgr le Prince, que le commandant (de la ville) de Seurre a reçu, de brûler toute la province s’il lui était possible. Ledit sieur de Bielle peut juger par ces incendies, auxquels on n’apporte aucun empêchement, en quel état sera la province dans peu. »
Le soldat ne s’inquiétait guère que la région saccagée fût en deçà ou au delà de la frontière ; il en faisait à peine la différence. Quelques semaines après les incendies de la Bourgogne, deux armées torturèrent la Brie. L’une était au roi, l’autre au duc de Lorraine, et il n’y eut qu’une nuance de cruauté en moins chez nos troupes. Quand ils furent tous passés, les campagnes étaient semées de charniers, et il y a charnier et charnier. Celui de Rampillon[34], particulièrement atroce, doit être mis au compte des Lorrains : « A chaque pas on rencontrait des gens mutilés, des membres épars ; des femmes coupées par quartiers après avoir été violées ; des hommes expirans sous les ruines des maisons incendiées, d’autres... percés avec des broches ou des pieux aigus[35]. » Personne ne s’inquiétait ensuite de supprimer ces foyers d’infection.
On serait en peine de dire si cette façon de faire la guerre était plus féroce ou plus stupide. Quelques chefs de corps, précurseurs de l’idée d’humanité, protestaient timidement, au nom de l’intérêt bien entendu, contre un système qui donnait aux armées pour compagnes inséparables la peste, la famine et la haine universelle. On possède une lettre signée de quatre d’entre eux, Fabert en tête, et adressée à Mazarin, pour le supplier d’arrêter les ravages d’un étranger au service de France, M. de Rosen. Mazarin n’eut garde d’en tenir compte : il aurait fallu commencer par payer Rosen et ses soldats.
Quant à sauver les survivans, laissés sans pain, bestiaux ni semences, sans toit et sans instrumens de travail, si l’on cherche à qui en incombait le devoir dans l’opinion des contemporains, on ne trouve nulle part que l’Etat se crût tenu de réparer les désastres publics, pas plus que de protéger les classes pauvres. L’idée du devoir social n’était pas née, ni près de naître. L’assistance publique était dans l’enfance et ce qui en tenait lieu avait été désorganisé, comme tout le reste, par le désordre général ; chaque ville secourait ou non ses mendians, selon ses ressources et les circonstances. En revanche, l’idée du devoir chrétien de la charité avait repris une grande force dans quelques milieux, sous l’influence combinée du jansénisme, qui exigeait des siens une foi agissante, d’une société secrète catholique dont l’existence est l’une des découvertes historiques les plus curieuses de ces dernières années[36] ; et d’un pauvre saint dont l’air paysan et la soutane rapiécée faisaient rire lorsqu’il se présentait chez la reine. On a reconnu Vincent de Paul. Le commerce des grands n’avait pu le changer. On disait de lui, après des années de fréquentation à la Cour : « M. Vincent est toujours M. Vincent, » et cela était vrai ; ces hommes-là ne changent jamais, heureusement pour le monde. Il devint la cheville ouvrière de l’œuvre du relèvement des provinces ruinées.
Même après les derniers travaux, on ne saurait fixer la part de chacun dans cette entreprise colossale. La société secrète à laquelle il a été fait allusion avait été fondée en 1627, par le duc de Ventadour, dans une pensée mystique qui la conduisit, ainsi qu’il arrive souvent, à des œuvres essentiellement pratiques. Elle s’était donné le nom de Compagnie du Saint-Sacrement, et, sans doute, son but suprême était de « faire honorer partout le Saint-Sacrement. » Justement à cause de cela, la société cherchait à « procurer » autour d’elle « tout le bien » en son pouvoir, car rien n’est plus profitable à la religion que les secours, tant matériels que spirituels ou moraux, distribués sous son inspiration et, pour ainsi dire, de sa part. D’autant plus que la pratique de la charité est une source de précieux renseignemens pour établir la police des mœurs, d’où l’on passe aisément à la police des âmes, par laquelle on détruit l’hérésie, avec ou sans douceur. De ce programme devaient sortir des œuvres philanthropiques admirables, en avance de deux siècles sur les idées courantes, et, en même temps, des persécutions, des cruautés, des infamies, tous les vices inséparables de l’esprit sectaire, pour qui la fin justifie les moyens.
Ainsi orientée, la société grandit rapidement, toujours souterraine, et multipliant les précautions pour ne pas se déceler, puisque ni le clergé, ni la royauté, n’étaient bien disposés envers cette force mystérieuse dont ils recevaient les chocs sans distinguer d’où partaient les coups. Ce fut un pouvoir occulte assez analogue, quant à l’étendue, à l’intolérance, et même aux voies et moyens employés, à la franc-maçonnerie de l’époque actuelle. La Compagnie du Saint-Sacrement eut des affiliés par toute la France et dans toutes les classes ; Anne d’Autriche était à sa dévotion, un compagnon cordonnier y joua un rôle important. Vincent de Paul s’y enrôla vers 1635, contribua au bien et ignora probablement le mal. A dater de son affiliation, ses œuvres charitables s’emmêlent de telle sorte avec celles de la société, qu’on ne peut plus s’y reconnaître. On voit que cette dernière lui apporte un secours puissant, qu’elle l’aide efficacement à trouver l’argent et les auxiliaires dont il a besoin : on est souvent en peine de dire à qui revient l’idée première de telle ou telle œuvre.
Pour celle qui nous occupe ici, cependant, le point de départ est connu. Ce ne fut ni Vincent de Paul ni la Compagnie du Saint-Sacrement qui conçut et mit en train l’œuvre prodigieuse du relèvement des provinces. Le premier comité de secours fut fondé à Paris, en 1649, par un janséniste, M. de Bernières, auquel revient également l’invention des Relations imprimées qui allèrent informer toute la France des misères à soulager. C’était la première fois que la charité se servait de la publicité. Elle s’en trouva bien. M. de Bernières et son comité, où dominaient les femmes de parlementaires, purent bientôt commencer à faire distribuer en Picardie et en Champagne du pain, des vêtemens, de l’argent, des semences, des instrumens de travail. Ils établirent des hôpitaux. Ils mirent fin à l’affreux sentiment d’abandon de ces malheureuses populations, piétinées depuis tant d’années par des mercenaires de toutes races et de toutes langues. Mais leur nombre était médiocre, si leur zèle était grand, et la communauté janséniste n’était pas outillée pour une tâche de cette envergure. Dès la fin de l’année suivante, la direction de l’entreprise passa tout naturellement aux mains de Vincent de Paul, qui lui amenait son armée de sœurs de charité, ses prêtres de la Mission, et tout un contingent d’alliés secrets, mais absolument dévoués.
Il ne semble pas qu’il en soit résulté d’abord aucun conflit. Mme de Lamoignon et la présidente de Herse furent le bras droit de M. Vincent comme elles l’avaient été de M. de Bernières. Quand la reine de Pologne[37], élevée en France et fille spirituelle de Port-Royal, voulut souscrire à l’œuvre, elle envoya son argent à la mère Angélique, en lui disant de s’entendre pour la distribution avec M. Vincent. Mais cette bonne harmonie ne dura guère. Les membres de ce que le public allait baptiser du sobriquet de Cabale des Dévots, faute d’en connaître le nom véritable, ne purent supporter la concurrence janséniste dans la charité. Ils entamèrent contre M. de Bernières une campagne d’odieuses calomnies et de dénonciations qui aboutit à l’exil de cet homme de bien. De toutes les mauvaises actions où les poussa l’esprit sectaire, c’est l’une des plus abominables.
Les Relations furent continuées sous la direction de Vincent de Paul. On sait par elles, et par d’autres documens du temps, le détail de la tâche entreprise. Le plus pressé pour la santé publique était de débarrasser la surface du sol, dans les provinces où l’on se battait, des corps en putréfaction et des immondices laissées derrière elles par les armées. Il y avait telle petite ville d’où s’exhalait une puanteur si effroyable, que personne, dans le pays, ne voulait en approcher. Une Relation de 1652 décrit en ces termes les environs de Paris : « A Etrechy, les vivans sont mêlés avec les morts, et le pays en est rempli. A Villeneuve-Saint-Georges, Crosne, Limay, on a trouvé trois cent soixante-quatorze malades dans la dernière extrémité, ni lits, ni habits, ni pain. Il va falloir commencer par enlever le foyer d’infection qui augmente la maladie, en enterrant les cadavres d’hommes, de chevaux morts et de bestiaux, et toutes les saletés que produit le séjour d’une armée. » Le nettoyage du sol fut la spécialité de M. Vincent et l’un de ses bienfaits les plus signalés. Il y employa ses prêtres de la Mission et ses sœurs de charité. Les missionnaires se mettaient à la tête des ouvriers, les sœurs recherchaient les malades abandonnés. Soutanes et cornettes mouraient à la peine, « les armes à la main, » disait leur chef, mais leur œuvre était bonne ; on commençait enfin par le commencement.
Après les morts, les vivans : « Le curé de Boult[38], rapporte une autre Relation, nous a assuré avoir enterré trois de ses paroissiens morts de faim ; les autres n’ont vécu que de pailles hachées et mêlées avec de la terre, dont ils composent un manger que l’on ne peut appeler pain. Cinq chevaux puans et pourris ont été dévorés ; un vieillard, âgé de soixante-quinze ans, est entré à son presbytère pour faire rôtir à son feu un morceau de chair de cheval mort de gale depuis quinze jours, infecté de vers et jeté dans un bourbier puant. « A Saint-Quentin, dans les faubourgs, où les maisons avaient été démolies, les missionnaires découvrirent les derniers habitans dans des cabanes misérables « en chacune desquelles, écrivait l’un d’eux, j’ai trouvé deux ou trois malades, en une seule dix ; deux femmes veuves, ayant chacune quatre enfans, couchés tous ensemble sur la terre, n’ayant chose quelconque et sans aucun linge. Un autre ecclésiastique, dans sa visite, ayant rencontré plusieurs portes fermées, en a fait faire ouverture et a trouvé que les malades étaient si faibles qu’ils ne pouvaient ouvrir la porte, n’ayant mangé depuis trois jours, et n’ayant sous eux qu’un peu de paille à demi pourrie ; le nombre de ces pauvres est si grand que sans le secours venu de Paris, lors de l’appréhension du siège, les bourgeois, ne les pouvant nourrir, avaient résolu de les jeter par-dessus les murailles. »
Il fallait des millions rien que pour alléger une pareille détresse, et Vincent de Paul rêvait mieux, ses associés avec lui : ils voulaient mettre ces populations agonisantes en état de reprendre le travail et de réparer leurs ruines. L’entreprise s’organisa au travers d’obstacles qui avaient l’air insurmontables. L’épuisement de la France et la difficulté des communications étaient les principaux. Le comité parisien sut trouver des sommes énormes, des dons en nature de toutes sortes, et le moyen de transporter ses approvisionnemens. Il s’était partagé les environs de Paris : Mme Joly, un village ; la présidente de Nesmond, quatre villages, et ainsi de suite. En dehors de la banlieue, on envoyait les missionnaires. L’un des derniers biographes de Vincent de Paul[39] évalue à douze millions de livres, qui en feraient soixante d’à présent, les sommes qu’il distribua, sans préciser, toutefois, si ce fut pour l’ensemble de ses œuvres, ou seulement pour celle qui nous occupe. Quoi qu’il en soit, cette dernière eut certainement la grosse part.
L’immensité de l’entreprise, son apparente témérité, nous en apprennent long sur la richesse et la puissance des classes moyennes au milieu du XVIIe siècle. Après Vincent de Paul et M. de Dernières, l’honneur de l’œuvre du relèvement revient au monde parlementaire et à la bourgeoisie parisienne ; l’aristocratie n’y joua qu’un rôle secondaire. Les classes moyennes fournirent cet effort énorme dans une période où presque tous les revenus manquaient à la fois. On nous dit que plusieurs eurent recours à l’emprunt pour alimenter la caisse, que d’autres vendirent leurs bijoux et leur vaisselle d’argent : encore cela suppose-t-il du luxe et du crédit. D’une façon ou de l’autre, le bourgeois est en état de donner, tandis que le petit noble de la Lorraine ou de la Beauce en est réduit à recevoir ; et c’est ce qui complète la leçon de l’histoire. Le pain manque dans les gentilhommières comme dans les chaumières. Lorsqu’on est resté deux jours sans manger, on accepte l’aumône ; au bout de trois jours, on la demande, à cause des enfans. Décadence des uns, ascension des autres jusqu’à ce que leur tour vienne : c’est toujours la même chose depuis que le monde est monde.
Dernier détail, et le plus significatif peut-être. Il n’est pas question dans les Mémoires du temps[40] de ce qui fut l’œuvre principale de Vincent de Paul. Leurs auteurs se feraient conscience d’oublier une intrigue de Cour ou une aventure scandaleuse ; mais des gens qui sont nus, qui ont faim, en quoi est-ce intéressant ? On évite d’en parler, on n’y pense pas. En 1652, année où la misère, à son comble, étreignait Paris, la mère Angélique écrivait de Port-Royal, avec une pieuse naïveté, à la reine de Pologne (28 juin) : « Hors le petit nombre de bonnes âmes qui s’appliquent à la charité, les autres sont autant dans le luxe que jamais. Le Cours et les Thuileries sont aussi fréquentés que ci-devant, les collations et le reste des superfluités vont à l’ordinaire... » Paris s’amuse avec la même fureur que si ses rues n’étaient pas remplies de spectacles affreux, « et ce qui est plus horrible, c’est qu’on ne peut souffrir que les prédicateurs prêchent la pénitence (lettre du 12 juillet). » Le défaut de pitié pour le miséreux était presque général ; on ne voulait pas être importuné de ce qui se passait dans les bouges.
Vincent de Paul et ses alliés luttèrent six ans. Pas une fois le gouvernement ne vint à leur aide, et la guerre continuait toujours ; pour une ruine relevée, les armées en faisaient dix autres. Le groupe des « bonnes âmes » qui avaient fait ces prodigieux sacrifices finit par être usé, pour ainsi dire, et il ne se renouvela point, malgré la source inépuisable de dévouement offerte par la Compagnie du Saint-Sacrement. Il avait été composé d’hommes et de femmes tellement exceptionnels, par le caractère aussi bien que par les idées, qu’il n’eut pas où se recruter pour boucher les vides produits par la mort, l’épuisement des ressources et du courage. En 1655, les recettes du comité tarissaient à vue d’œil. Deux ans plus tard, elles étaient taries, et l’œuvre de salut demeurait inachevée. Il était précieux qu’elle eût été tentée ; un levain de bonté en subsista dans l’âme nationale.
Les traces du bien accompli furent promptement effacées ; les famines de 1659 à 1662, la dernière surtout, comptent parmi les plus effroyables du siècle, et peut-être de toute notre histoire. L’excès de la misère matérielle engendra une immense misère morale, en particulier dans les grandes villes, où le luxe côtoie les dénuemens les plus affreux, et Paris devint excitable et mauvais, comme toujours lorsqu’il souffre. Le carnaval de 1660 fut le plus bruyant et le plus troublé qu’eussent jamais vu les vieux Parisiens. Grands et petits cherchaient le plaisir avec une espèce de rage, et ce n’était du haut en bas de l’échelle que dissensions et querelles. Les lieux publics étaient pleins de désordres et de rixes. Il y avait des nuits où les masques étaient maîtres du pavé, et l’on a vu plus haut qu’il n’existait pas de sécurité avec ces foules composites, qui volaient jusqu’aux bougies des maisons où elles entraient. Un seul bal reçut un soir la visite de soixante-six bandes de masques, qui parcoururent la ville trois nuits de suite. L’hystérie de Paris pendant que la France mourait de faim est d’autant plus frappante, que la Cour n’était pas là pour lui communiquer son éternel besoin d’agitation et d’amusement. Louis XIV employa une grande partie de ces années critiques à parcourir son royaume.
Un premier voyage, du 26 octobre 1658 au 27 janvier suivant, eut pour objet de rencontrer à Lyon la princesse de Savoie qu’il était alors question de faire épouser au roi. En passant à Dijon, la Cour s’y arrêta plus de quinze jours. Mademoiselle nous en apprend les raisons ; elles ne sont pas glorieuses pour la royauté. Le Parlement de Dijon résistait à enregistrer certains édits qui aggravaient les charges de la province. Le Tellier « alla de la part du roi » promettre qu’il n’en serait plus question, si les États de Bourgogne portaient leur subside à un chiffre qui fut indiqué : « Sur quoi ils accordèrent ce qu’on leur demandait, et en vinrent rendre compte au roi. » Dès le lendemain, avec un mépris cynique de la parole royale, « Sa Majesté » allait au Parlement de Dijon faire enregistrer les édits[41]. Mademoiselle avait eu la curiosité d’assister à la séance. Le premier président fit la seule chose en son pouvoir. Il exprima courageusement ses « regrets, » et « fut loué de tous ceux qui l’entendirent. » La Cour plia bagage le jour suivant, avec une certaine hâte, « laissant Dijon et toute la province dans une grande consternation. »
Mademoiselle n’avait blâmé que la façon de s’y prendre. Au fond, elle pensait avec son temps que le souverain ne doit à son peuple que l’autorité : il ne lui doit pas le bonheur. Quelques semaines après l’incident de Dijon, se trouvant à Lyon, la proximité lui donna envie d’aller visiter sa principauté de Dombes[42], qu’elle n’avait jamais vue. La Dombes ne payait pas l’impôt au Roi, et il n’en avait pas fallu davantage pour la rendre prospère. Mademoiselle fut scandalisée du bien-être de ses sujets. Les paysans étaient bien vêtus. « Ils mangeaient quatre fois le jour de la viande, » et il n’y avait point de « misérables » dans le pays. « Aussi, poursuit Mademoiselle, n’ont-ils point payé de tailles jusqu’à cette heure, et peut-être leur serait-il meilleur qu’ils en payassent. Car ils sont fainéans, ne s’adonnent à aucun travail ni commerce. » Son petit peuple avait tout quitté et mis ses plus beaux habits pour la recevoir. En guise de remerciement. Mademoiselle tira de lui tout l’argent qu’elle put. Il faut se rappeler qu’aux yeux des grands, même les meilleurs, un paysan était à peine un homme. Nous serions mal venus à nous en indigner. Nous admettons bien que les races supérieures, ou soi-disant telles, ont le droit d’exploiter les races tenues pour inférieures et de les détruire au besoin. Nos pères se traitaient d’une classe à l’autre comme l’on se traite de nos jours d’une race à l’autre : c’est exactement le même sentiment.
A son retour de la Dombes, Mademoiselle retrouva la Cour à Lyon. Chacun y était tout yeux et tout oreilles pour un spectacle qui dérangeait les idées admises sur les rois. Marie Mancini essayait de se faire épouser par Louis XIV, et son entreprise n’avait pas l’air aussi absurde qu’il l’aurait fallu. Le mariage de Savoie avait manqué dans des conditions pénibles, qui donnaient à penser au courtisan ; le roi s’était conduit avec la princesse Marguerite en homme mal élevé. On en était à se demander si le mariage d’Espagne allait aussi manquer, et avec lui la paix tant désirée, parce qu’il plaisait à deux amoureux, dont l’un n’aurait pas dû oublier ses devoirs de roi, de proclamer les droits souverains de la passion. Anne d’Autriche devenait inquiète. Mazarin, succombant à la tentation, laissait le champ libre à sa nièce, qui « obsédait[43] » le jeune monarque de ses regards et de ses discours. Elle lui faisait perdre la tête, et il jurait tout ce qu’elle voulait. La partie n’était pas égale entre une Italienne passionnée et le timide un peu naïf qu’était alors Louis XIV. Ce fut au retour de Lyon qu’il se mit à genoux devant sa mère et Mazarin, en les suppliant de lui laisser épouser celle qu’il aimait. Il les trouva inflexibles. La reine sentait ce qu’une telle mésalliance jetterait de déconsidération sur la royauté. Le cardinal s’était ressaisi par diverses raisons et se hâta d’éloigner sa nièce.
Un second voyage dura plus d’un an. La Cour partit le 29 juin 1659 et passa par Blois. Elle s’y arrêta chez Gaston. Nous devons aux Mémoires de Mademoiselle une dernière vision de ce prince jadis si brillant, acoquiné maintenant dans son milieu provincial où rien n’était à la mode de Paris, ni les toilettes, ni la cuisine, ni l’air de la maison, ni Monsieur lui-même qui ne savait plus recevoir, et se vexa de ce que le roi lui tuait ses faisans. Il laissa voir qu’on le dérangeait, on ne lui cela point qu’on ne demandait qu’à repartir, et tout alla de travers. L’aînée de ses filles du dernier lit, Marguerite d’Orléans, avait une grande réputation de beauté. Ses parens s’étaient flattés longtemps de la voir reine de France. Elle fut défigurée par les moustiques la nuit d’avant l’arrivée du roi. On vantait extrêmement sa danse : elle dansa mal ce soir-là. Gaston avait annoncé que la petite de dix ans « causait à étourdir les gens, » et avec esprit : personne n’en put tirer mot. Rien ne réussissait. Mademoiselle n’en était pas autrement fâchée ; elle avait tremblé de voir sa cadette « au- dessus d’elle. » A peine la Cour fut-elle remontée en voiture, que la carrossée royale, suivant une habitude de tous les temps, se mit à se moquer de ses hôtes. Le roi plaisantait de la figure de son oncle en voyant tomber ses faisans. Mademoiselle riait avec les autres. Elle s’était pourtant laissé prendre à une scène de tendresse que lui avait jouée son père.
Il était venu la réveiller à quatre heures du matin : « Il s’assit sur mon lit et me dit : « Je crois que vous ne serez pas fâchée que je vous aie éveillée, puisque je n’aurais pas eu le temps de vous voir tantôt. Vous allez faire un grand et long voyage... Je suis vieux, usé ; ainsi je puis mourir pendant votre absence. Si je meurs, je vous recommande vos sœurs. Je sais bien que vous n’aimez pas Madame ; qu’elle n’a pas eu envers vous toute la conduite qu’elle eût pu avoir ; ses enfans n’en peuvent mais ; pour l’amour de moi, ayez-en soin. Elles auront bien besoin de vous ; car pour Madame, elle ne leur sera pas d’un grand secours. » Il m’embrassa trois ou quatre fois. Je reçus cela avec beaucoup de tendresse ; car j’ai le cœur bon... Nous nous séparâmes fort bien, et je me rendormis. »
Mademoiselle crut qu’ils avaient enfin réussi à s’aimer. Six semaines plus tard, un scandale éclatait à la Cour de France, alors à Bordeaux. Le duc de Savoie avait refusé d’épouser la princesse Marguerite d’Orléans, et Mademoiselle était accusée d’avoir écrit secrètement au duc que sa sœur était bossue. L’accusation partait de Gaston, qui disait en avoir la preuve. Ce fut une affaire très désagréable pour Mademoiselle, et après laquelle il n’y avait plus d’illusion possible : Gaston était toujours Gaston, l’homme le plus dangereux de France.
De Bordeaux, la Cour se rendit à Toulouse, où elle fut rejointe par Mazarin, qui venait de signer la paix des Pyrénées (7 novembre 1659). Les articles en sont dans toutes les histoires. Leurs conséquences pour l’Europe ont été ramassées en quelques lignes lumineuses par le grand historien allemand, L. Ranke, frappé des avantages que le traité nous donnait sur son pays : « S’il faut caractériser d’une façon générale les résultats de cette paix... nous dirons que leur importance résidait dans la constitution et l’extension du grand système géographique militaire de la monarchie française. De tous les côtés, aux Pyrénées, aux Alpes, surtout sur les frontières de l’empire allemand et des Pays-Bas, la France acquérait par ses nouvelles places fortes... autant de positions aussi importantes pour la défense que favorables à l’attaque. Sa position sur le Haut-Rhin, qu’elle devait à la paix de Westphalie, reçut sa plus grande extension[44]. » Mazarin s’était bien trouvé d’avoir aimé à suivre les armées en campagne. Il connaissait l’importance militaire de la plupart des places. Le négociateur espagnol n’aurait pu en dire autant
A l’intérieur, le premier venu comprenait les bienfaits politiques d’un traité qui abolissait le passé dans la mesure du possible. Condé avait été compris dans la paix et rentrait en France bien résolu à se tenir tranquille. Il rejoignit la Cour à Aix, le 21 janvier 1660, et la trouva très curieuse de savoir comment il allait être reçu. Mademoiselle accourut chez Anne d’Autriche : « Ma nièce, lui dit la reine, allez-vous en faire un tour à votre logis ; car M. le Prince m’a fait prier qu’il n’y eût personne, la première fois que je le verrais. » Je me mis à sourire de dépit et je lui dis : « Je ne suis personne ; je crois que M. le Prince sera fort étonné s’il ne me trouve pas ici. » Elle insista d’un ton fort aigre. Je m’en allai, résolue de m’en plaindre à M. le cardinal ; ce que je fis le lendemain, et lui dis que, si pareille chose m’arrivait une autre fois, je m’en irais. Il me fit de grandes excuses. » C’était le système de Mazarin. Il se confondait en excuses ; il n’en était ni plus ni moins « une autre fois. »
On sut que M. le Prince avait demandé pardon à genoux, et qu’il avait trouvé devant lui, en Louis XIV, un juge grave et froid, qui s’était tenu « très droit[45], » Se battre contre son roi n’était décidément plus un jeu : on ne s’en relevait pas, fût-on le vainqueur de Rocroy. Mademoiselle ne réussissait pas à le comprendre. Condé, surpris et déçu, tâtait le terrain. Un soir de bal qu’il causait avec Mademoiselle, le roi se mit en tiers. La conversation tomba sur la Fronde. De la part d’un homme d’autant d’esprit que M. le Prince, on peut croire que ce ne fut point par hasard : « On parla fort de la guerre, raconte Mademoiselle, et nous raillâmes fort de toutes les sottises que nous avions faites, et le roi entra le mieux du monde dans ces plaisanteries. Quoique j’eusse fort la migraine, je ne m’y ennuyai pas. » Elle avait ri sans arrière-pensée. Condé, plus perspicace, trembla le reste de ses jours devant ce monarque si dissimulé et si parfaitement maître de lui.
Presque au même moment, expirait un autre attardé de ces idées féodales que ni la royauté, ni les mœurs, ne voulaient plus souffrir chez les grands. Gaston d’Orléans mourut à Blois, le 2 février[46], des suites d’une attaque. On l’avait entendu murmurer de son lit, en regardant sa femme et ses enfans : « Dormis mea domus desolationis vocabitur. Ma maison sera nommée la maison de la désolation. » Il ne croyait pas si bien dire. Madame se surpassa pour la maladresse, et quelque chose de plus. Elle alla dîner pendant que son époux recevait l’extrême-onction, congédia la domesticité de Monsieur aussitôt après le dernier soupir, fit mettre tout sous clef et ne s’occupa plus de rien. Ses femmes refusèrent un drap pour ensevelir le cadavre ; il fallut qu’une dame de l’entourage en donnât un. Des prêtres étaient venus veiller le corps ; n’ayant point « de lumière ni de feu, » ils s’en retournèrent, et le mort resta seul, plus abandonné encore que ne l’avait été son frère, le roi Louis XIII. (On l’emporta « sans pompe ni dépense[47] » à Saint-Denis, et sa veuve courut à Paris, s’emparer du Luxembourg pendant que Mademoiselle n’y était pas.
La Cour se dispensa de feindre des regrets. Le roi lui avait donné le ton en disant à sa cousine d’un air gai, après les premiers complimens : « Vous verrez demain mon frère avec un manteau qui traîne. Je crois qu’il a été ravi de la mort de votre père pour cela… Il croit en hériter et avoir son apanage ; il ne parle d’autre chose ; mais il ne l’a pas encore. » Anne d’Autriche écoutait en souriant : « Il est vrai, poursuit Mademoiselle, que Monsieur vint le lendemain avec un furieux manteau. » Elle avait eu de la peine à ne pas sourire aussi. Son chagrin était cependant très vif, malgré le passé, ou plutôt à cause de lui ; mais c’était une impulsive, entraînée par l’impression du moment. Elle afficha un peu trop sa douleur : « Je voulais porter le deuil le plus régulier et le plus grand qui eût jamais été… Tout était vêtu de deuil, jusqu’aux marmitons et les valets de tous mes gens, les couvertures de mules, tous les caparaçons de mes chevaux et de mes sommiers. Rien n’était si beau, la première fois que l’on marcha, que de voir tout ce grand équipage de deuil. Cela avait un air fort magnifique et de vraie grandeur. On dit que je l’ai assez à toute chose. » Le deuil des mulets valait le manteau à traîne de Monsieur. Cette magnifique pompe funèbre avait l’inconvénient de rappeler à tout venant que Mademoiselle devait fuir les plaisirs. Au bout de quelques semaines, elle en aurait volontiers repris sa part ; Anne d’Autriche eut la bonté de lui en donner l’ordre.
Cependant l’été approchait. La Cour continuait à se traîner de ville en ville, attendant qu’il plût au roi d’Espagne de lui amener sa fille, et le temps paraissait long. Mazarin s’enfermait à travailler. Louis XIV commandait l’exercice aux soldats de sa garde. La reine sa mère passait de longues heures dans les couvens. Mademoiselle écrivait ou faisait de la tapisserie. Un grand nombre de courtisans, n’en pouvant plus d’ennui, étaient retournés à Paris. Le reste vivait dans un désœuvrement complet. Le roi aurait eu là une belle occasion d’étudier ses provinces ; mais il n’avait pas l’esprit curieux. Il passa des mois entiers en face des Pyrénées sans s’aviser de savoir comment les montagnes sont faites, chose très ignorée de son temps. L’une des rares personnes qui se hasardèrent dans les Pyrénées, Mme de Motteville, a conté son étonnement en y découvrant des vallées, des torrens, des champs cultivés et des habitans. Elle avait cru trouver une sorte de grande muraille, « déserte et inculte. » On voyageait, pourtant ; mais la nature n’avait pas encore ses droits d’entrée dans la littérature, et les cercles où l’on en parlait étaient rares. Chacun ne connaissait du vaste monde que ce qu’il en avait vu de ses yeux.
Enfin, le 2 juin (1660), la Cour de France croquant le marmot à Saint-Jean-de-Luz depuis près d’un mois, on eut nouvelle de l’arrivée de Philippe IV et de l’infante Marie-Thérèse à Fontarabie. Les cérémonies du mariage commencèrent dès le lendemain.
Il fallut six jours, et beaucoup de bonne volonté des deux parts, pour achever cette grande affaire sans offenser l’étiquette. Le problème consistait à marier le roi de France avec la fille du roi d’Espagne sans que le roi de France mît le pied en Espagne, ni le roi d’Espagne en France, et sans que l’infante quittât son père d’un pas avant d’être épousée. Du côté de notre Cour, où la discipline laissait à désirer, des difficultés de détail venaient à tout instant compliquer les choses. Le petit Monsieur pleurait d’envie d’aller à Fontarabie voir une cérémonie espagnole ; mais l’étiquette obligeait à distinguer en sa personne le frère du roi d’avec l’héritier présomptif de la couronne, « car, alléguait Louis XIV, le présomptif héritier d’Espagne ne viendrait point en France voir une cérémonie[48]. » Tout examiné, l’héritier reçut défense de passer la frontière. Survint Mademoiselle, qui devait être de la partie. Elle représenta que l’interdiction ne lui était pas applicable, et s’appuya sur la loi salique pour avoir le droit de traverser la Bidassoa : « Je n’hérite point, disait-elle ; Je ne dois pas être malheureuse en tout. Puisque les filles ne sont bonnes à rien en France, au moins que l’on les laisse voir ce qu’elles ont envie. » Mazarin convoqua les ministres pour leur soumettre cet argument. La discussion dura « trois ou quatre heures. » Finalement, Mademoiselle eut gain de cause, bien que le roi fût plutôt contre elle.
Les questions de « queues » donnèrent aussi de la tablature au cardinal. Un duc s’était offert à porter la queue de Mademoiselle dans le cortège nuptial : Mazarin dut se mettre en quête de deux autres ducs pour les plus jeunes sœurs de Mademoiselle, deux enfans, que la dame d’atour de leur mère avait amenées au mariage. Il ne put trouver qu’un marquis et un comte ; les ducs se dérobaient. La dame d’atour jeta les hauts cris : ses princesses auraient des porte-queue aussi haut titrés que leur grande sœur, ou elles n’iraient point. « Je ferai ce que je pourrai, répondait le cardinal ; mais personne ne le veut. » Mademoiselle eut la bonne grâce de sacrifier son duc, et Mazarin croyait en être quitte, quand la princesse Palatine[49] suscita un nouvel incident, le jour même de la cérémonie et presque au dernier moment. Elle apparut dans la chambre de la reine avec une queue. Elle n’en avait pas le droit, étant princesse étrangère. Elle comptait sur l’agitation générale pour passer en contrebande et créer un précédent. Il fallut en rabattre. Sa queue avait été dénoncée à Mademoiselle, et il n’y eut pas de mariage qui tînt ; force fut au cardinal, et au roi après lui, d’écouter un vrai discours sur les empiétemens des princes étrangers : « Je crois, écrivait Mademoiselle, que je fus fort éloquente. » Elle fut, en tout cas, très convaincante, car la Palatine reçut l’ordre d’ôter sa queue. Mais il nous faut retourner en arrière ; les queues nous ont entraînés trop loin.
Les rapports entre les deux monarques avaient été réglés avec une minutie digne des cours asiatiques. Ils ne se voyaient que dans une salle construite tout exprès dans l’île des Faisans, et à cheval sur la frontière. Une moitié se trouvait en territoire français, l’autre moitié en territoire espagnol. Le décor changeait d’un côté à l’autre. Louis XIV ne devait marcher que sur des tapis français, Philippe IV sur des tapis espagnols. L’un ne s’asseyait que sur une chaise française, n’écrivait que sur une table et avec de l’encre françaises, ne regardait l’heure qu’à l’horloge placée dans sa moitié de salle ; l’autre se gardait avec le même soin de tout objet qui n’était pas espagnol. Deux portes en vis-à-vis leur livraient passage au même moment. Un même nombre de pas les amenait à l’endroit où le tapis rouge de France rejoignait le tapis or et argent d’Espagne, et l’on se parlait, l’on s’embrassait, par-dessus la frontière. Ainsi le voulaient les lois du cérémonial monarchique. Leur rigueur commençait à étonner les bonnes gens de France. Les entrevues de l’île des Faisans devinrent légendaires. La Fontaine y fait allusion dans l’une de ses dernières fables : Les deux chèvres[50], où il n’a pas trouvé de meilleure comparaison pour rendre la solennité avec laquelle ses deux chèvres, également entichées de leur rang, également gourmées, s’avancent l’une vers l’autre sur le pont étroit et fragile.
Je m’imagine voir, avec Louis le Grand,
Philippe Quatre qui s’avance
Dans l’île de la Conférence[51].
Ainsi s’avançaient pas à pas,
Nez à nez, nos aventurières...
Le 3 juin, sans que les mariés ni leurs parens se fussent vus, le roi de France, représenté par don Luis de Haro, fut marié par procuration dans l’église de Fontarabie avec l’infante Marie-Thérèse. C’était le biais qui sauvegardait la dignité des deux couronnes. Après la cérémonie, la nouvelle reine retourna chez son père.
Elle écrivit le lendemain à son époux une lettre de complimens officiels. Nous possédons la réponse de Louis XIV. Il s’en tira fort bien ; ce n’était point facile.
A Saint-Jean-de-Luz, le 4 juin 1660.
« Recevoir en même temps une lettre de Votre Majesté et la nouvelle de la célébration de notre mariage, et être à la veille de jouir du bonheur de la voir, ce sont assurément des sujets de joie indicible pour moi. Mon cousin le duc de Créqui, premier gentilhomme de ma chambre, que j’envoie exprès vers Votre Majesté, lui communiquera là-dessus les sentimens de mon cœur, dans lesquels elle remarquera toujours de plus en plus une extrême impatience de les lui pouvoir dire moi-même. Il lui présentera aussi quelques bagatelles de ma part.
« L. »
Le même jour, dans l’après-midi, Anne d’Autriche se rencontra pour la première fois avec son frère et sa nièce. L’entrevue eut lieu dans la salle de l’île des Faisans. Philippe IV étonna les Français, décidément moins traditionnels que les Espagnols. Il « demeurait tellement immobile dans sa gravité, qu’on l’eût pris pour une statue plutôt que pour un homme vivant[52]. » Anne d’Autriche ayant voulu embrasser ce frère qu’elle n’avait pas vu depuis quarante-cinq ans, il se décida à faire un mouvement, mais ce fut pour « retirer sa tête de si loin, que jamais elle ne put l’attraper[53]. » La reine mère avait oublié les usages de son pays. S’embrasser, en Espagne, n’était pas « se baiser. » C’était se donner l’accolade sans se toucher des lèvres, ainsi que nous le voyons faire à la Comédie-Française aux personnages du répertoire classique. On ne se « baisait » que dans des cas déterminés et rares, comme nous le voyons dans Molière. Thomas Diafoirus consulte son père avant de « baiser » sa fiancée : « Baiserai-je ? » — « Oui, oui, » répond M. Diafoirus. Le soir de l’entrevue du 4 juin, Mademoiselle eut « la curiosité de savoir si le roi d’Espagne n’avait pas baisé la reine mère. Je lui demandai ; elle me dit que non ; qu’ils s’étaient embrassés à la mode de son pays. » Comment cette mode étrangère s’est-elle établie à la cour de France et de là sur nos scènes ? Est-ce à la suite du mariage de Louis XIV ? Je laisse aux amateurs de théâtre à résoudre ce petit problème d’histoire dramatique.
On apporta une chaise française à la reine mère, une chaise espagnole à Philippe IV, et ils s’assirent « environ sur la ligne qui séparait les deux royaumes[54]. » Il restait à asseoir Marie-Thérèse, infante d’Espagne mariée par procuration au roi de France. Serait-ce en France ou en Espagne ? Sur un siège espagnol ou français ? On apporta un coussin espagnol et deux coussins français, on les empila en territoire espagnol, et la jeune reine se trouva assise d’une façon mixte, convenable à sa situation ambiguë. Louis XIV n’avait pas accompagné sa mère ; l’étiquette ne permettait pas encore au nouveau couple de s’adresser la parole. Il avait été convenu que le roi de France se promènerait à cheval sur les bords de la Bidassoa, et que l’infante le regarderait de loin par une fenêtre. Une impatience romantique qui prit à l’époux de connaître son épousée fit manquer cette partie du programme. Louis XIV vint regarder sa femme par une porte entr’ouverte. Ils se considérèrent quelques instans et s’en retournèrent chacun chez soi, elle à Fontarabie, lui à Saint-Jean-de-Luz.
Le dimanche 6, ils se virent officiellement dans l’île des Faisans. Ils n’en furent guère plus avancés ; Philippe IV avait déclaré que l’infante devait cacher ses impressions jusqu’à ce qu’elle fût en terre française.
Le 7, Anne d’Autriche emmena sa bru à Saint-Jean-de-Luz, où les jeunes gens purent enfin se parler en attendant la célébration définitive du mariage, qui eut lieu le 9 juin dans l’église de Saint-Jean-de-Luz. Quelques jours plus tard, la Cour reprenait le chemin de Paris. Marie-Thérèse fit son entrée solennelle dans la capitale le 26 août. Le cortège partait de Vincennes. « Il me fallut lever à quatre heures du matin, » rapporte Mademoiselle, qui avait « une migraine horrible » et grand mal au cœur. A cinq heures, tout le monde était en costume d’apparat, et l’on n’arriva au Louvre qu’à sept heures du soir. Mademoiselle n’en pouvait plus ; mais une princesse du sang n’avait pas le droit d’être malade le jour de l’entrée de la reine.
Tantôt ridicule et tantôt féroce : telle apparaît l’ancienne étiquette à nos générations démocratiques. Les monarques d’autrefois sentaient trop vivement les services qu’elle leur rendait pour lui marchander la soumission. Ils savaient qu’un demi-dieu ne descend jamais impunément de son piédestal ; on ne peut pas s’empêcher de rire lorsqu’il prétend y remonter. Aujourd’hui, les princes eux-mêmes ne veulent plus de l’étiquette. Le sentiment monarchique n’est plus assez fort pour leur faire supporter l’ennui du cérémonial : ils sont capables de tout pour lui échapper. Nous les voyons jeter aux orties leur rang et leurs privilèges dans l’espoir de trouver plus de bonheur parmi la foule obscure que dans les palais des rois. Il arrive alors que leur sans-gêne déshabitue le peuple de les prendre au sérieux, et ainsi s’en vont de compagnie le respect des révérences et le respect des royautés. Louis XIV et Philippe IV avaient raison contre La Fontaine, à leur point de vue de souverains, d’attacher une importance capitale à ne pas poser leurs pieds sacrés au hasard des tapis. Ils prolongeaient l’existence de la monarchie.
La vie reprit son cours habituel dans le palais du Louvre. Le roi étudiait un nouveau ballet. Il chassait et se déguisait. Très peu de personnes remarquèrent qu’il trouvait toujours le temps d’aller faire de longues visites à Mazarin. Le cardinal, se sentant talonné par la mort, préparait en hâte son élève à son « grand métier » de souverain. Il le mettait au courant des affaires, lui parlait en confidence du personnel gouvernemental, l’entretenait de politique et lui recommandait de ne plus avoir de premier ministre[55]. La seule chose à laquelle il ne pouvait se résoudre, c’était de lui permettre de donner quelquefois un ordre. Ses mains de moribond ne voulaient lâcher ni un écu, ni un atome d’autorité. La jeune reine s’étonnait de connaître la gêne depuis qu’elle était en France. Mazarin tenait sa maison par l’intermédiaire de Colbert, « qui épargnait sur toutes choses[56], » et il empochait les économies. Au jour de l’an, il s’attribua les trois quarts des étrennes de Marie-Thérèse. La reine mère ayant marqué du mécontentement, « le pauvre Monsieur le Cardinal, » ainsi qu’elle l’appelait, s’écria effrontément : « Hélas ! si elle savait d’où vient cet argent, et que c’est le sang du peuple, elle n’en serait pas si libérale. »
Mazarin eut beau se presser : il n’eut pas le temps d’achever sa tâche. Le 11 février 1661, le roi, sachant son ministre perdu, se mit à pleurer et à dire qu’il ne saurait comment s’en tirer. La France entière éprouvait les mêmes craintes. Il ne venait pas à l’esprit qu’il fût capable de gouverner, ni qu’il voulût s’en donner la peine. On n’hésitait que sur le nom de celui qui mènerait la barque à sa place. Anne d’Autriche se croyait des chances. Condé avait un parti dans la noblesse. La bourgeoisie parisienne se disait que Retz allait peut-être revenir sur l’eau « par nécessité[57]. » Les ministres n’admettaient qu’un homme de la carrière. Pendant que les intrigues allaient leur train, Mazarin expira (9 mars), et quelques heures plus tard eut lieu le coup de théâtre qu’on lit dans tous les historiens. Louis XIV signifia à ses ministres et aux grands son intention de gouverner par lui-même. Ceux qui le connaissaient bien, à commencer par sa mère, ne firent qu’en rire, persuadés que ce serait un feu de paille.
Il s’était d’abord enfermé tout seul, pendant deux heures, pour établir son « règlement de vie[58] » de monarque effectif. Le programme sorti de cette méditation ressemble à s’y méprendre à celui de Catherine de Médicis dans la lettre citée plus haut. Il exigeait des qualités de grand travailleur. Louis XIV les eut du jour au lendemain, « car surtout, dit-il dans ses Mémoires, j’étais résolu à ne prendre point de premier ministre, et à ne pas laisser faire par un autre la fonction de roi pendant que je n’en aurais que le titre. » Le passage où il décrit ses noces avec la joie du travail est émouvant et beau. Il est même poétique : « Je me sentis (aussitôt) comme élever l’esprit et le courage, je me trouvai tout autre, je découvris en moi ce que je n’y connaissais pas, et je me reprochai avec joie de l’avoir si longtemps ignoré. Cette première timidité que le jugement donne toujours et qui me faisait peine, surtout quand il fallait parler un peu longtemps et en public, se dissipa en moins de rien. Il me sembla alors que j’étais roi et né pour l’être. J’éprouvai enfin une douceur difficile à exprimer. »
Il eut bientôt besoin de tout ce courage neuf. A mesure que son esprit « s’élevait, » la honte le prenait de sa crasse ignorance : « Quand la raison, dit-il, commence à devenir solide, on ressent un cuisant et juste chagrin d’ignorer les choses que savent tous les autres. » L’utilité pratique des études qu’il avait négligées se faisait sentir à lui. Ne pas savoir l’histoire, avec son « métier, » c’était une gêne de tous les instans. Ne pas être capable de déchiffrer tout seul une lettre en latin, alors que Rome et l’Empire n’écrivaient leurs dépêches qu’en latin, c’était une servitude insupportable. N’avoir jamais rien lu sur « l’art de la guerre, » quand on avait l’ambition de s’y « rendre savant » et d’y acquérir de la gloire, c’était se mettre à soi-même des bâtons dans les roues. Son éducation était à refaire : « Toute la difficulté n’était qu’à pouvoir en trouver le temps. »
Il s’était interdit de s’arrêter aux autres difficultés, dont la principale était qu’à se remettre sur les bancs, il hasardait son autorité fraîche éclose. Louis XIV brava l’opinion avec un courage remarquable. C’est l’un des plus beaux endroits de sa vie. Il a été vraiment grand, par le sentiment du devoir professionnel et par l’empire sur lui-même, le jour où il osa se dire à lui-même, comme devait le dire tout haut le Bourgeois gentilhomme de Molière, et en se rendant parfaitement compte qu’il s’exposait au ridicule : « Je veux... savoir raisonner des choses parmi les honnêtes gens. » Pour lui rendre pleine justice, il faut se représenter l’effet dadais que produisait alors un écolier de vingt-trois ans[59]. Il faut se rappeler que l’on finissait ses classes à quinze ou seize, et que leur souvenir était inséparable de celui des verges, sans lesquelles il n’y avait pas de pédagogie au XVIIe siècle. Quand on sut que le roi reprenait des leçons de latin de son ancien précepteur et qu’il passait des heures à faire des thèmes, les courtisans durent avoir sur le bout de la langue de lui demander, comme Mme Jourdain à M. Jourdain : « N’irez-vous point l’un de ces jours au collège vous faire donner le fouet, à votre âge ? »
Il ne se berçait pas de l’illusion que son rang le sauverait des railleries. Il avoue à propos de l’histoire, qu’il voulut aussi rapprendre, combien la pensée du qu’en-dira-t-on lui avait été sensible : « — Un seul scrupule m’embarrassait, qui était que j’avais quelque manière de pudeur, étant dans la considération où j’étais dans le monde, de redescendre dans une occupation que j’aurais dû prendre de meilleure heure. » Tout avait cédé à la volonté « de n’être pas privé des connaissances qu’un honnête homme doit avoir. » Il ne fut pourtant jamais instruit ; il ne sut pas le latin, ce qui s’appelait le savoir au XVIIe siècle, où on l’apprenait bien. Trop d’affaires, ou de plaisirs, l’avaient empêché de suivre assez longtemps son dessein. Il est possible aussi qu’il ait été découragé par son peu de facilité. Louis XIV avait de la mémoire et du jugement, mais l’intelligence était lente. Bref, il abandonna ses études trop tôt, le sentit, et répéta jusqu’à sa mort : « Je suis ignorant. »
Quant à son labeur de chef d’Etat, jamais il ne s’en relâcha. Ses journées furent réglées une fois pour toutes. Mme de Motteville nous en donne l’arrangement au lendemain de la mort de Mazarin, Saint-Simon nous le redonne à un demi-siècle de distance, et c’est identique. Louis XIV consacrait régulièrement de six à huit heures par jour aux affaires, sans l’extraordinaire et l’imprévu, sans les fonctions d’apparat, si nombreuses et si importantes à son époque. Ajoutez le temps de dormir et de manger, de voir sa famille et de prendre l’air, et il n’en serait guère resté pour les divertissemens, si le roi n’avait eu la faculté de se passer de sommeil, presque à volonté. Ce fut ce qui lui permit de fournir au plaisir aussi largement qu’au travail. La Cour eut néanmoins de la peine à se faire au nouveau régime. Elle ne savait que devenir pendant que le roi travaillait : « On ne s’est jamais tant ennuyé que l’on s’ennuie ici, écrivait en 1664 le duc d’Enghien, fils du grand Condé. Le roi est enfermé quasi toute l’après-dîner[60]. »
En dehors de la Cour, on aurait crié de joie. La surprise de découvrir un grand laborieux dans ce faiseur de ronds de jambe avait été délicieuse. Paris était prêt à lui passer bien des faiblesses pourvu qu’il gouvernât, qu’il usât lui-même de son pouvoir. La bourgeoisie frondeuse désarmait. « Il faut, écrivait Guy Patin à un ami, que je vous fasse part d’une pensée que je trouve fort plaisante. M. de Vendôme a dit que notre bon roi est semblable à un jeune médecin qui a beaucoup d’ardeur pour sa profession, mais qui fait bien des qui pro quo. Je sais des gens qui le voient de près, qui m’ont assuré qu’il a de très bonnes intentions, et que dès qu’il sera plus maître qu’il n’est, il en persuadera tout le monde. Amen[61]. » Les mots que j’ai soulignés sont significatifs de la part de Guy Patin. En établissant la monarchie absolue, Louis XIV avait l’opinion pour lui. Il en existe un autre témoignage tout aussi remarquable. Après la mort de Mazarin, Olivier d’Ormesson, qui avait été de l’opposition parlementaire, et auquel son indépendance devait bientôt coûter sa carrière, laissa couler trois années entières avant d’admettre dans son Journal quoi que ce fût de désagréable pour le jeune roi. Lui aussi, il lui fait crédit et passe sur les qui pro quo du gouvernant novice.
Dans l’entourage immédiat du roi, son coup d’État provoqua peu de commentaires, la première surprise passée. Anne d’Autriche eut un accès de dépit en comprenant qu’elle ne retrouverait jamais aucune influence, après quoi, la paresse aidant, son parti fut pris. Elle n’avait aucune objection de principe à la monarchie absolue ; elle en avait toujours été partisan. Elle ne concevait même pas, en sa qualité de princesse espagnole, une royauté le moins du monde limitée. Une fois résignée, elle devint une vieille reine très maternelle, qui prêchait la vertu à la jeunesse et tâchait d’éviter à sa belle-fille le plus d’ennuis possible.
Marie-Thérèse n’avait qu’une seule opinion en politique ; le bon gouvernement était celui sous lequel les rois passaient beaucoup de temps avec leur femme. Elle devait mourir sans l’avoir connu.
Mademoiselle n’avait garde de regretter les premiers ministres ; elle avait eu trop peu à se louer des deux qu’elle avait fréquentés. Elle s’imaginait avoir été libérée de toute dépendance par la mort du cardinal, succédant à celle de son père, et cette pensée lui était infiniment agréable. Elle ne s’apercevait pas qu’elle n’avait fait que changer de maître, et que le nouveau serait incomparablement plus difficile, plus exigeant, que cet Italien sceptique qui se bornait à veiller à ce qu’elle ne portât pas ses millions à l’étranger, et qui se moquait du reste. Mademoiselle avait à faire l’apprentissage de la monarchie absolue. Elle n’ouvrit les yeux que le jour où le tonnerre tomba sur elle.
ARVEDE BARINE.
- ↑ Voyez la Revue du 1er septembre 1902.
- ↑ V. Mémoires de Louis XIV, édités par Charles Dreyss. Les Mémoires de Louis XIV n’ont pas été écrits par lui-même. Il les parlait à des secrétaires, auxquels il remettait en outre des notes de sa main, et dont il corrigeait ensuite la rédaction. V. l’Introduction de M. Drevss.
- ↑ Mémoires de M Mlle Montpensier, — Mémoires de Montglat.
- ↑ Monglat.
- ↑ Monglat.
- ↑ Lettres du 3 janvier 1717, du 27 septembre 1718 et du 2 juillet 1722. Madame ajoute dans cette dernière : « — On en connaît maintenant toutes les circonstances. »
- ↑ Lettre à la reine Anne d’Autriche (27 octobre 1651).
- ↑ Le 25 mars 1865, le Père Theiner, gardien des archives secrètes du Vatican, répondait à quelqu’un qui lui avait posé la question : « — Nos actes du 16 décembre 1641, où Jules Mazarin a été créé cardinal, ne disent pas s’il a été prêtre ou non. Comme il a été cependant admis à l’ordre des cardinaux-prêtres, il est hors de doute qu’il a été prêtre. » La lettre du Père Theiner a été publiée par M. Jules Loiseleur dans ses Problèmes historiques.
- ↑ Lettres de Madame de Maintenon, éd. Geffroy.
- ↑ Pour plus de détails, voir l’excellent volume de M. Lacour-Gay et : l’Éducation politique de Louis XIV.
- ↑ Le 24 décembre, Relations des ambassadeurs vénitiens.
- ↑ La lettre est du 21 avril 1654. Louis XIV avait alors quinze ans et demi.
- ↑ Mme de Motteville l’avait entendu exprimer la même idée. — Cf. ses Mémoires, V, 101, éd. Petitot.
- ↑ Fragmens des Mémoires inédits de Dubois, valet de chambre de Louis XIV. Publiés par Léon Aubineau dans la Bibliothèque de l’École des Chartes et dans ses Notices littéraires sur le XVIIe siècle.
- ↑ Cf. Lacour-Gayet, p. 203.
- ↑ Mémoires de Louis XIV.
- ↑ M. Dreyss place la rédaction de cette partie des Mémoires vers 1670.
- ↑ Lettres du 9 juin 1654 et du 9 avril 16S8.
- ↑ Segraisiana, Louis XIV avait dix-sept ans lorsqu’il fit cette réponse.
- ↑ Journal du voyage de deux jeunes Hollandais à Paris (1656-1658).
- ↑ Mémoires de Mme de Motteville.
- ↑ La foire Saint-Germain se tenait entre Saint-Sulpice et Saint-Germain-des-Prés, depuis le 3 février jusqu’à la veille des Rameaux. La Cour s’y pressait et y coudoyait la populace.
- ↑ Journal... de deux jeunes Hollandais.
- ↑ Mémoires de Mademoiselle.
- ↑ Journal... de deux jeunes Hollandais.
- ↑ Journal... de deux jeunes Hollandais.
- ↑ Le 29 avril.
- ↑ Au duc de Bouillon, et au fils du maréchal duc de La Meilleraye, qui prit le titre de duc de Mazarin.
- ↑ Il ne faut jamais oublier que Saint-Simon a été présenté à la Cour en 1692. Louis XIV avait alors cinquante-quatre ans, et il y en avait quarante-neuf qu’il était sur le trône. Saint-Simon n’a connu que la vieillesse du règne.
- ↑ Dans l’été de 1637.
- ↑ Vers d’Atys, opéra joué en 1676, et d’Astrate, tragédie de 1663.
- ↑ Le mot est de M. Jules Lemaitre.
- ↑ V. La Jeunesse de la Grande Mademoiselle, passim. Pour ce chapitre. Cf. La Misère au temps de la Fronde et saint Vincent de Paul, par Feillet ; La Cabale des dévots, par Raoul Allier ; Un épisode de l’histoire religieuse du XVIIe siècle, par Alfred Rébelliau (Revue des 1er juillet, 1er août, 1er septembre 1903) ; Saint Vincent de Paul, par Emmanuel de Broglie ; Saint Vincent de Paul et les Gondi, par Chantelauze ; Port-Royal, par Sainte-Beuve.
- ↑ Village de l’arrondissement de Provins.
- ↑ Feillet, La Misère au temps de la Fronde.
- ↑ le volume de M. Raoul Allier : La Cabale des dévots, et les articles de M. Alfred Rébeliiau, publiés ici même.
- ↑ Marie de Gonzague.
- ↑ En Picardie.
- ↑ M. Emmanuel de Broglie.
- ↑ Sauf dans le Journal des Guerres civiles, de Dubuisson-Aubenay. Celui-ci mentionne à la date du 2 décembre 1650 les « grandes aumônes » envoyées en Champagne par Mme de Lamoignon et de Herse, « les sieurs de Dernières, Lenain, etc. »
- ↑ Le Parlement de Dijon avait mauvaise réputation auprès des ministres, qui l’accusaient de se mettre en travers de toutes les réformes. Cela ne justifie pas un pareil manque de foi.
- ↑ La Dombes était une petite principauté indépendante, qui n’a été réunie définitivement à la France que le 28 mars 1762. Elle avait Trévoux pour capitale.
- ↑ Motteville.
- ↑ Histoire de France. Traduction Jacques Porchat et Miot. Paris, 1886.
- ↑ Mémoires de Montglat, Mémoires de Mme de Motteville.
- ↑ Le bal avait eu lieu le 3. Il fallut plusieurs jours pour que la nouvelle de la mort arrivât à Aix.
- ↑ Mémoires de Mademoiselle.
- ↑ Mémoires de Mademoiselle.
- ↑ Anne de Gonzague.
- ↑ Parue en 1691.
- ↑ L’île des Faisans était aussi appelée île de la Conférence depuis que Mazarin avait discuté le traité des Pyrénées avec don Luis de Haro.
- ↑ Mémoires de Montglat.
- ↑ Mémoires de Mme de Motteville.
- ↑ Motteville.
- ↑ Il existe aux archives des Affaires étrangères un fragment des instructions de Mazarin à Louis XIV, écrit sous la dictée du roi. M. Chantelauze, qui l’avait découvert, l’a publié dans le Correspondant du 10 août 1881.
- ↑ Motteville.
- ↑ Guy Patin. Lettre du 28 janvier 1661.
- ↑ Motteville.
- ↑ Il en avait même vingt-quatre lorsqu’il demanda à Péréfixe de lui redonner des leçons de latin.
- ↑ Lettre du 27 juin, à la reine de Pologne (Archives de Chantilly). — Le roi dînait à une heure.
- ↑ Lettre du 15 juillet 1661.