La Grande Encyclopédie, inventaire raisonné des sciences, des lettres, et des arts/arithmétique s. f.

ARITHMÉTIQUE. I. Mathématiques. — Ce nom fut donné, dans l’école de Pythagore. à la science des nombres , considérée comme distincte de la pratique du calcul ou de la logistique , comme l’appelèrent les Grecs. Ces deux branches, que nous confondons aujourd’hui, se développèrent isolément ; l’arithmétique adopta l’appareil des démonstrations géométriques, comme on peut le voir dans les livres VII à IX des Eléments d’Euclide, qui comprennent l’ensemble des théorèmes préliminaires à ce que nous appelons la théorie des nombres et qui sont couronnés par la construction du nombre parfait, question qui appartient incontestablement à cette théorie. En joignant à ces livres d’Euclide les travaux concernant les progressions arithmétiques et que représente l’opuscule de Diophante sur les nombres polygones, on aie cadre de l’arithmétique scientifique des Grecs. Mais ce même cadre fut aussi développé sans démonstrations dans des manuels destinés aux étudiants en philosophie et dont le plus célèbre est Y Introduction arithmétique de Nicomaque, qui, traduite en latin par Boèce, fut le fonds de l’enseignement de l’arithmétique au moyen âge ou elle faisait partie avec la musique, la géométrie et l’astronomie, du quadrivium scientifique. Vers la fin du 111 e siècle de notre ère, Diophanle composait enfin, sous le nom d’Arithmétiques, un recueil de problèmes numériques, où l’on trouve ù la fois et les principes de l’algèbre élémentaire et des questions d’analyse indéterminée du second degré et au delà, qui appartiennent à la théorie des nombres. Ces divers problèmes avaient déjà été traités bien avant lui, mais étaient considérés comme du ressort de la logistique, en tant que celle-ci s’étendait à toutes les opérations du calcul. L’innovation que marque le titre adopté par Diophante n’eut pas d’ailleurs de suites immédiates, en raison de la décadence des études. 11 ne nous reste aucun traité de logistique grecque et nous ne pouvons apprécier avec exactitude ni son développement, ni son caractère. D’abord négligée comme purement pratique, elle dut subir une protonde transformation, lors de l’invention du système alphabétique de numération écrite, lequel ne parait pas antérieur au 111 e siècle avant notre ère et semble avoir été combiné à Alexandrie. A partir de ce moment, elle a sans doute été cultivée plus sérieusement, mais sans prendre le caractère apodictique qu’on trouve au moins dans les analyses de Diophante. Son cadre devait comprendre, mais probablement sans théorie aucune, l’enseignement de la numération, des quatre règles et de l’extraction des racines sur les entiers, le calcul des fractions, enfin la solution de problèmes types, plus ou moins compliqués, d’ailleurs généralement sous forme concrète et dont l’énoncé était souvent arrangé en historiettes. Un certain nombre de ces énoncés (généralement du premier degré à une inconnue) nous ont été conservés sous forme d’épigrammes, dans V Anthologie grecque. C’est d’ailleurs la même forme concrète, toujours perpétuée dans l’enseignement primaire, qui se retrouve partout à l’origine aussi bien dans le manuel d’Ahmès (Papyrus de Rhind, édité par Eisenlohr) chez les Egyptiens que dans les ouvrages arithmétiques des Hindous. Il faut d’ailleurs remarquer que les calculs astronomiques, avec l’emploi delà numération sexagésimale, qui remonte aux Chaldéens, étaient enseignés spécialement en astronomie. Sur ces calculs chez les Grecs, nous possédons des renseignements relativement assez complets, quoiqu’une partie des textes y relatifs soit encore inédite et que les autres n’aient pas encore été l’objet de travaux suffisants de la part de la critique moderne. Les Arabes, disciples des Grecs pour les autres sciences, et qui gardèrent toujours le môme système de numération en astronomie, adoptèrent au contraire, pour l’arithmétique ordinaire, le système de position qu’ils empruntèrent aux Hindous et qu’ils transmirent à l’Occident, sans avoir produit, sur la matière, des travaux réellement originaux, niais après avoir ébauché quelques essais de démonstra lions théoriques d’après les modèles grecs. Dans l’Occident latin, des procédés particuliers de calcul, dont la véritable origine est encore inconnue, apparaissent vers le x e siècle, liés à l’emploi de Yabacus, dont le nom devint synonyme de calcul. Après une lutte de près de deux siècles, ces procédés disparaissent devant ceux de Y algorithme, c.-à-d. du système de numération de position, enseigné d’après les traductions faites sur l’arabe de Mohammed al-Khârizmî. Au commencement du xm e siècle, le Liber Abaci de Léonard de Dise est un traité complet de calcul, embrassant la solution de problèmes numériques de tout genre, premier et second degré, analyse indéterminée de Diophante.

Ce n’est guère qu’à la Renaissance que le nom d’arithmétique commença à s’étendre à la pratique aussi bien qu’à la théorie. L Arithmelica intégra de Stifel ne dépasse pas d’ailleurs le cadre antérieurement tracé, sauf par l’addition des carrés magiques, invention probablement hindoue, qui fut cultivée par les Arabes, et aussi par les Byzantins (Manuel Moschopoulos). Mais co cadro comprenait en fait, pour la pratique, toute l’algèbre d’alors ; celle-ci ne com-


mença à s’isoler qu’après les travaux décisifs de Viète, qui essaya d’ailleurs vainement de lui appliquer le nom ancien de logistique. La séparation reste encore assez indécise pendant tout le xvn e siècle, comme en témoignent les titres d’Arithmétique des infinis, de Wallis, à ! Arithmétique universelle, de Newton. Le même siècle voit, d’une part, se compléter les programmes de l’arithmétique moderne par l’invention des logarithmes, d’un autre côté, s’ouvrir, à la suite des travaux de Fermât sur Diophante, un nouveau champ, qui lui fut enlevé, au xviu e siècle, par la constitution de la Théorie des nombres. Actuellement, le nom d’arithmétique est réservé aux matières d’un enseignement élémentaire, dont il est aussi facile de se rendre compte par un programme officiel qu’il serait impossible d’en préciser le caractère véritable et d’en circonscrire l’étendue d’après des principes rationnels. Moitié théorique, moitié pratique, elle comprend en fait l’ensemble des connaissances relatives aux nombres et au calcul que l’on considère comme devant être exigées dans l’éducation libérale ; mais elle ressemble plutôt, sauf son caractère apodictique, à la logistique des Grecs qu’à leur arithmétique. Il n’y a plus à attendre de nouvelles découvertes dans son domaine propre, et les progrès ne peuvent concerner que l’exposition ; mais ces progrès mêmes sont entravés par les besoins pratiques de l’enseignement primaire et par le préjugé, difficile à combattre, que l’arithmétique des écoles primaires doit être la même que celle de l’enseignement secondaire, où il y aurait cependant à satisfaire à des besoins tout autres, si l’on se préoccupait surtout, comme il le faudrait, de donner aux élèves les habitudes d’esprit propres à leur faciliter l’accès des études théoriques plus élevées.

Il est évident que l’enseignement pratique du calcul doit précéder toute théorie ; c’est un outil que l’enfant peut acquérir et qu’il est bon qu’il possède avant d’être réellement capable de faire un raisonnement mathématique abstrait. On continuera de même toujours à l’exercer à l’application de ces règles, si nombreuses au moyen âge, et portant alors les noms les plus singuliers, maintenant réduites au strict minimum, mais dont il est toujours essentiel, dans la vie usuelle, de pouvoir se servir machinalement. L’usage des logarithmes est tellement avantageux qu’on peut même le lui enseigner, en ne lui donnant qu’une notion incomplète des raisons de cet usage. 11 n’en est pas moins clair que tout ce qui en arithmétique est théorie, doit, au point de vue rationnel, se traiter avec les procédés que l’on considère comme propres à l’algèbre et qu’il n’y a aucune distinction tranchée entre cette dernière science et l’arithmétique, en tant du moins qu’il s’agit du nombre en général, abstraction faite de telle forme particulière. Veut-on considérer les nombres entiers comme formant le domaine propre et exclusif de l’arithmétique et revenir ainsi à la conception des Grecs ? On peut en effet constituer ainsi une science qui parait bien déterminée au premier abord ; mais cette science, c’est-à-dire la théorie des nombres augmentée des théorèmes préliminaires, ne sera plus un ensemble de connaissances dérivant de principes primordiaux et indépendants. Ce sera une branche dépendant d’une mathématique générale, de la science de la quantité abstraite et des moyens de la représenter et de la traiter, science dont l’algèbre sera une autre branche, également détachée du tronc commun. D’un autre côté, les relations singulières, découvertes dans notre siècle entre les parties les plus élevées de la théorie des nombres et celles de la théorie des fonctions, prouvent que la démarcation entre l’arithmétique théorique et l’algèbre s’efface aux degrés supérieurs comme aux inférieurs. C’est (pie l’objet delà mathématique abstraite est un, en fait, et que les divisions auxquelles on le soumet ont nécessairement un caractère artificiel. Autant elle est essentiellement distincte do la mathématique figurée dans la géométrie, autant elle se prête mal, dans son domaine propre, à des subdivisions rationnelles. Celles que la tradition impose n’ont qu’une valeur pratique et relative aux conditions actuelles de l’enseignement. On trouvera d’ailleurs au mot Mathématiques l’exposé des divisions de cet ordre de sciences, des raisons qui les ont fait admettre et en particulier des distinctions établies par Aug. Comte entre le domaine de l’algèbre et celui de l’arithmétique. Paul Tannery.

II. Politique (V. Statistique).

III. Archéologie. — L’un des sept arts libéraux, suivant la division des sciences au moyen âge. Ceux-ci ont été rarement figurés par la peinture ou par la sculpture sur les monuments de cette époque et parmi eux l’arithmétique est le plus souvent personnifiée par une femme reconnaissable par divers attributs. Ainsi dans une.curieuse miniature de VHortus deliciarum d’Herrade de Landsberg, manuscrit détruit lors du bombardement de Strasbourg, en 1870, on voyait l’arithmétique tenant une verge demicirculaire où étaient enfilés des grains ou olives, sorte de machine à compter (xn e siècle). Au portail de la cathédrale de Chartres (xm e siècle), elle est représentée tenant dans sa main droite un dragon, dans sa gauche un sceptre, Gerbert écrit sous sa dictée. A un portail de la cathédrale de Reims (xiu° siècle), elle calcule dans ses mains. Sur un vitrail de l’église de Conches (Eure), elle porte un étendard sur lequel sont écrits les nombres 1 à 11 (1553). Enfin, sur un chapiteau du palais ducal de Venise (xiv e siècle), c’est Pythagore lui-même qui personnifie l’arithmétique. G. Durand.

ARITHMÉTOGRAPHE. Machine à calculer inventée en 1860 par Dubois, analogue à la règle à calculs (V. Arithmomètre).

ARITHMOGRAPHIE. Nom sous lequel Ampère désignait la partie de l’arithmétique qui a pour but de simplifier les expressions composées de nombres et de signes. ARITHMOLOGIE. Ce mot est employé pour désigner l’arithmétique supérieure, aussi appelée Théorie des nombres.

ARITHMOMANCIE (V. Divination).

ARITHMOMÈTRE. Historique. — Il semble difficile d’effectuer mécaniquement des opérations que nous considérons comme un travail intelligent et qui procèdent du raisonnement et de la mémoire. Les relations des organes des machines et le mouvement que fait chacun d’eux résultent pourtant du calcul, et il est possible, par réciprocité, d’obtenir les résultats des calculs au moyen de combinaisons mécaniques convenables. 11 suffit pour cela que les mouvements étant réglés d’après l’opération qu’il faut faire, l’appareil en tienne note. L’indication finale des mouvements réalisés, exprimée par des chiffres gravés sur des pièces de la machine donnera le résultat demandé. L’emploi des machines à calculer soulage l’attention et la mémoire, et assure l’exactitude des résultats, quoique les opérations soient effectuées plus rapidement. On peut au moyen des compteurs évaluer des grandeurs qu’il est difficile et parfois impossible d’apprécier directement. — De tout temps on a cherché les moyens de faciliter l’opération des longs calculs et d’en vérifier l’exactitude. L’abacus des Romains et les cadrans à calcul des Chinois dont les Russes modernes font encore usage furent imaginés pour faciliter les calculs de tète. Plus tard on imagina les logarithmes pour simplifier les opérations et remplacer la multiplication et la division par l’addition et la soustraction. En même temps on chercha à construire des machines à calculer qui n’exigeassent de la part de l’homme d’autre connaissance que la lecture des chiffres. Ces machines doivent être nommées automates (V. ce mot), pour les distinguer d’autres machines qui exigent plus de savoir de la part de celui qui s’en sert et qui sont destinées à abréger les calculs tout en laissant une part de travail à l’intelligence de l’homme. — Les instruments à calcul se divisent en deux séries. La première série comprend les instruments qui abrègent ou facilitent les calculs, mais qui exigent une certaine application de l’esprit et l’emploi de l’intelligence humaine. La seconde


série comprend les instruments qui opèrent sans l’emploi de l’intelligence de l’homme et que l’on désigne par le nom de machines automates. En 162i, Edmond Gunther eut l’heureuse idée de transporter les logarithmes sur une échelle linéaire, au moyen de laquelle on pouvait, par une seule ouverture de compas, obtenir le résultat d’une multiplication ou d’une division. En 1668. Gaspard Schott fut le premier qui colla les bâtons de Néper sur plusieurs cylindres oblongs et mobiles au bout de leur axe et qui les enferma dans une boite. L’invention de Schott est une modification de la rabdologie de Néper (V. Organum mathemathicum a F. Gasparo Schotto e societate Jesu ; Herbipoli 1668) et aussi (Novacistula pro tabulis neperianis facitisqueac jucundus ejusdem usas). En 1673, Grillet soumit au jugement du public parisien un nouvel instrument à calcul (V. Curiosités matkémattiiqaes du sieur Grillet, horlogcur du roy.). On trouve bien dans cette brochure la description de l’extérieur de la machine, mais elle laisse le lecteur dans une ignorance complète relativement à sa construction intérieure.

D’après le Journal des sçavants, année 1678, Grilles avait mis les lames de la table de Pythagore sur de petits cylindres qui remplissaient le même office que les bâtons de Néper. — En 1678, Petit exécuta un petit cylindre arithmétique connu sous le nom de tambour de Petit, autour duquel il plaça des lames de carton portant les tables de Pythagore, lames qu’il faisait glisser sur le cylindre paralèlement à l’axe au moyen d’un bouton que chacune d’elles portait. Cette machine n’était donc, à proprement parler, autre chose que les bâtons de la rabdologie de Néper, mais autrement disposés ( V. le Journal des sçavants, année 1678). En 1696, Diler donna à la règle à calculer de Gunther une forme semi-circulaire et l’appela instrumentum mathematicum universale. En 1727, Leopold donna au tambour de Petit une forme décagonale au lieu de la forme cylindrique que le premier auteur lui avait donnée (V. Thcatrum arithmetico geometricum, année 1727). En 1728, Michael Fortins, dans son introduction à V Arithmétique allemande, décrit une mensula pythagorica quin 1 est autre chose qu’une nouvelle application de la rabdologie, son instrument étant composé de cercles concentriques mobiles. En 1731, M. de Méan disposa la table de Pythagore de manière à la faire servir à plusieurs calculs. En 1750, Leadbetter donne la description de l’échelle à coulisse, invention qui depuis a été attribuée et à tort à M. Jones. En 1789, M. Prahl soumit au public un instrument qu’il appela arithmetica portatilis et qui n’est autre chose que la mensula For tins ; seulement les cercles mobiles sont beaucoup plus grands et portent les chiffres de 1 à 100, de sorte que, au moyen de cet instrument, on peut additionner et soustraire jusqu’au nombre 100. En 1790, M. Gruson présenta une machine consistant en un disque de carton avec un index au milieu et qui n’est dès lors qu’une imitation de la mensula Fortins. En 1797, Jordans publia une brochure sous le titre suivant : Description de plusieurs machines à calcul inventées par Jordans. En 1798, Gattey modifia la règle de Gunther en lui donnant une forme circulaire. En 1828, M. Lagrons présenta une machine à additionner composée de plusieurs cercles concentriques. En 1834, M. Nuisement inventa deux instruments à calcul ; l’un repose sur le principe de la balance et l’autre sur celui des triangles semblables. En 1839, M. P>ardach, de Vienne (Autriche), mit en vente deux tables à calculer dont l’une n’est qu’une modification de Yabacus de Perrault, pour l’addition et la soustraction, et dont l’autre n’est encore qu’une modification du Multiplicatbmis de Néper. En 1839, M. Léon Lalanne présenta à l’Académie des sciences une balance arithmétique et un instrument pour faciliter les calculs qu’il désigna sous le nom iïarithmoplanimôtre. — Additionneur de Roth. L’arithmomètre proprement dit peut se classer parmi les machines automates. L’additionneur de liotk est fondé sur le