La Grande Encyclopédie, inventaire raisonné des sciences, des lettres, et des arts/Aristote

ARISTOTE (Άριστοτέληζ). S’il est vrai qu’en certains hommes s’incarne parfois tout le génie d’un peuple, et que ces vastes et puissants esprits soient comme l’acte et la perfection où tout un monde de virtualités trouve son terme et son achèvement, Aristote, plus que personne, a été un tel homme en lui le génie philosophique de la Grèce a trouvé son expression universelle et parfaite. C’est donc plus que la pensée d’un individu, d’ailleurs considérable, c’est l’esprit de la Grèce elle-même, parvenue à l’apogée de sa grandeur intellectuelle, que nous évoquons en ce moment. Il sera conforme à l’esprit analytique du philosophe dont nous nous occupons, et il est pratiquement indispensable d’établir de nombreuses divisions dans un sujet si vaste, et d’en considérer une à une toutes les parties.

I. Biographie. Les auteurs anciens qui traitent de la vie d’Aristote sont les suivants : 1o Diogène Laërce, V, 1-35 ; 2o Denys d’Halicarnasse, lettre à Ammaeus, i,.B’ 3o l’auteur anonyme d’une biographie d’Aristote publiée par Ménage dans le second volume de son édition de Diogène Laërce, biographie composée peut-être d’après Hésychius 4o le Pseudo-Ammonius 5o le Pseudo-Hésychius 6o Suidas, à l’article Άριστοτέληζ. Ces textes se trouvent à peu près tous dans le tome 1 de l’édition des œuvres d’Aristote entreprise par Buhle de 1791 à 1800. La valeur de ces différentes sources ne peut être déterminée a priori. Tout ce qu’on peut faire, c’est d’examiner une à une chaque indication au point de vue de sa vraisemblance interne et externe. Aristote naquit à Stagire, colonie grecque ionienne de la Thrace, située au bord de la mer dans la presqu’île de Chalcidique, en l’an 384 avant J. —C., et mourut"à Chalcis, en Eubée, en 322. Son père, Nicomaque, était médecin, ainsi que ses ancêtres. Ils rattachaient leur famille à Machaon, fils d’Esculape ; et, avec beaucoup d’autres, ils s’appelaient Asclépiades. Nicomaque fut médecin du roi de Macédoine, Amyntas II, le père de Philippe. Cette circonstance a pu contribuer à faire appeler Aristote à la cour du roi de Macédoine pour l’éducation d’Alexandre. Il est vraisemblable qu’en sa qualité d’Asclépiade, Aristote fût de bonne heure instruit dans l’anatomie. Vers l’âge de dix-sept ans, il perdit ses parents. Il se trouva alors indépendant et en possession d’une grande fortune. L’éclat d’Athènes [’attira dans cette ville. Il y vint en 367 ou 366 avant J.-C., dans sa dix-huitième année. Platon, qui y avait fondé son école vers 387 ou 386, en était alors absent. Il était parti pour Syracuse en 368 ou 367. Il devait y retourner en 361 ou 360. Aristote entra dans le cercle des élèves de Platon, et il appartint à cette école pendant vingt ans, jusqu’à la mort du maître. Par là, déjà, se trouve réfutée la fable d’une brouille qui serait survenue, bien avant la mort de Platon, entre le maître et le disciple, et qui aurait été causée par l’ingratitude et le manque d’égards de ce dernier On dit que Platon, ayant remarqué le zèle et la vivacité d’esprit d’Aristote, l’appelait « le liseur » et « l’intelligence de l’école ». Il est vraisemblable qu’à Athènes même il étudia, non seulement le platonisme, mais les autres systèmes alors en vigueur. Longtemps avant la mort de Platon, il manifesta son indépendance. Il est très possible que, comme membre de l’école platonicienne, il ait déjà fait des cours pour son compte. Dès cette époque, du moins, il écrivit ; et, si ses premiers écrits sont platoniciens de forme et de fond, ils n’en contiennent pas moins déjà des objections contre les théories des idées, et l’affirmation de l’éternité du monde. C’était à regret, nous dit-il, et par zèle pour l’intérêt supérieur de la vérité, qu’il combattait ainsi son maître. Il donnait, d’ailleurs, l’exemple du respect pour le génie de Platon. Dans une poésie qui nous est parvenue, il célèbre son maître comme un homme que le méchant n’a pas le droit de louer, et qui a montré, par sa vie et sa doctrine, comment l’homme bon est en même temps l’homme heureux. — La mort de Platon (347) ouvre, dans la vie d’Aristote, une nouvelle période. Il quitta Athènes et alla, avec Xénocrate, à Atarne, en Mysie, auprès de son ami et condisciple Hermias, tyran de cette ville, dont il épousa dans la suite la nièce ou sœur Pythias. Plus tard, il devait se marier, en secondes noces, avec Herpyllis. Après la chute et la mort d’Hermias, survenue en 345, Aristote alla à Mytilène. De là, il semble être revenu à Athènes, et y avoir ouvert l’école de rhétorique dans laquelle il se posa en adversaire d’Isocrate. En 342, il accédait rappel de Philippe, roi de Macédoine, qui lui demandait d’entreprendre l’éducation de son fils Alexandre, alors âgé de quatorze ans environ. Il resta à la cour de Macédoine jusqu’à ce qu’Alexandre entreprit son expédition d’Asie (334). Sans s’égarer à la poursuite d’un idéal trop éloigné de la pratique, Aristote paraît avoir cultivé dans l’esprit de son élève les qualités généreuses. Alexandre garda toute la vie respect et amour pour son maître, bien qu’à la fin un certain froid ait régné entre eux. En 335 ou 334, Aristote revint à Athènes ; et il y ouvrit, au lycée, une école qui prit le nom d’école péripatéticienne, vraisemblablement à cause de l’habitude qu’avait le maître de se promener avec ses disciples tout en causant science et philosophie. Le matin, raconte Aulu-Gelle, Aristote donnait, à un auditoire choisi, un enseignement dit acroamatique, qui portait sur les parties les plus difficiles de la philosophie, notamment sur la philosophie de la nature et sur la dialectique. Le soir, il donnait un enseignement exotérique, offert à tous ceux qui se présentaient, et traitant de la rhétorique, de la topique et de la politique. Il enseignait et sous forme de cours, et sous forme de conférences. Son école était, comme celle de Platon, une société d’amis qui se réunissaient, à des jours fixés, pour des repas communs.

Déjà riche par lui-même, et jouissant de l’assistance du roi, Aristote était en mesure de se procurer toutes les ressources scientifiques que comportait la société d’alors. On dit qu’Alexandre lui envoya huit cents talents pour la confection de son Histoire des animaux. On dit même qu’il mit à sa disposition des millions d’hommes chargés de chercher pour lui des animaux de toute sorte, notamment des poissons, d’entretenir des jardins d’animaux et des volières, de l’informer de tous les faits et de toutes les découvertes susceptibles de faire avancer la science. Ce sont là des légendes, mais dont les faits, sans doute, ont été l’occasion. Aristote a certainement rassemblé tous les documents de toute nature qu’il lui a été possible d’obtenir. Le premier, il a formé une grande collection de livres. Après le meurtre de son neveu et disciple Callisthène, Aristote cessa ses relations avec Alexandre. La mort de ce dernier (323) ne le mit pas moins en danger. Lorsque éclata la guerre lamiaque, il fut considéré comme un ami des rois de Macédoine et d’Antipater, et poursuivi pour crime d’athéisme. Il partit d’Athènes, afin, dit-il, que les Athéniens ne se rendissent pas une seconde fois coupables envers la philosophie. Il s’enfuit à Chalcis, en Eubée ; mais il y mourut de maladie dès l’été de 322, peu de mois avant Démosthène, qui était né la même année que lui. Il avait soixante-deux ans. Son caractère, atta-


qué de bonne heure par des adversaires politiques et scientifiques, apparaît dans ses écrits comme loyal, humain et noble ; et nul fait confirmé ne prouve le contraire. Sa vie est empreinte de dignité morale et philosophique. Aristote est un génie à la fois universel et créateur, et un travailleur infatigable. Il n’a pas l’élan de Platon : l’esprit tourné vers la réalité donnée, il tient pour chimérique ce qui serait sans rapport avec elle ; mais il n’est pas empirique, et dans le sensible il cherche l’intelligible. En toutes choses, il recommande le juste milieu, la mesure. Une moyenne fortune, le gouvernement de la classe moyenne, telle est la meilleure condition pour l’individu et pour la société. Il était, nous dit-on, maigre et de petite taille ; il avait de petits yeux et une expression d’ironie dans la bouche. De sa première femme, Pythias, il laissa une fille du même nom. De sa seconde, Herpyllis de Stagire, il laissa un fils, Nicomaque, celui-là même dont l’Ethique à Nicomaque porte le nom. Dans son testament il parle en termes affectueux de sa première et de sa seconde femme, de ses deux frères, et de leurs enfants ; et il témoigne de la sollicitude à ses amis et à ses parents éloignés.


Buste d’Aristote (fragment), d’après la statue du palais
Spada alla Regola, à Rome.

II. Les écrits d’Aristote. — L’histoire de la conservation des écrits d’Aristote est peu connue. Selon Strabon et Plutarque, les écrits d’Aristote et de Théophraste, après la mort de ce dernier, seraient venus aux mains de Néleus, qui les emporta chez lui à Scepsis, en Mysie. Là, ils auraient été cachés dans une cave. A. l’époque de Sylla ils auraient été découverts par Apellicon. Puis, Sylla les aurait fait transporter à Rome. Quoi qu’il en soit de ces anecdotes, les textes qui s’étaient conservés furent revus et classés, au premier siècle avant L-C, par Andronicus, de Rhodes, philosophe péripatéticien, qui en donna une édition complète (vers 60-50 avant J.-C.). C’est cet Aristote que nous possédons. Cette collection contient vraisemblablement tout ce qui subsistait alors d’authentique ; et l’on a sujet de tenir en général pour apocryphes les ouvrages, absents de cette collection, qu’énumère Diogène Laërce. Mais, vraisemblablement aussi, tout ce que contient l’édition d’Andronicus n’est pas d’Aristote ; et les œuvres authentiques elles-mêmes n’y sont pas exemptes d’additions et de changements. De plus, nous connaissons les titres d’ouvrages certainement authentiques qui manquent dans notre collection et qui étaient apparemment perdus dès l’époque d’Andronicus. Mais il parait bien que les œuvres les plus importantes pour la connaissance de la philosophie et de la science aristotélique nous aient été conservées. — Quels sont, parmi les ouvrages que nous possédons, ceux qui doivent être écartés comme inauthentiques ? La question ne peut, dans bien des cas, être résolue avec précision et certitude. Voici les résultats auxquels arrive Eduard Zeller, dans sa Philosophie der Griechen, t. III, 3e édition. Est, soit inadmissible, soit très douteuse l’authenticité des ouvrages suivants : De Xenophane, Zenone et Gorgia ; De animalium motu ; De plantis ; De coloribus ; De audibilibus ; De mirabilibus auditis ; Physiognomonica ; Mechanica problemata ; De indivisibilibus lineis ; De mundo ; De respiratione ; De virtutibus et vitiis ; Œconomica ; Rhetorica ad Alexandrum. Les Moralia Eudemea et les Moralia magna sont des remaniements de la Morale à Nicomaque. Les fragments de lettres que nous possédons sont très mêlés d’additions et d’altérations. — Les écrits laissés par Aristote peuvent vraisemblablement être rangés dans les trois catégories suivantes : 1o Les livres d’enseignement et de science proprement dite : c’étaient les résumés et traités dont il se servait pour ses cours. Il ne les publia pas, mais les communiqua seulement à ses élèves. 2o Les écrits publiés : ceux-ci étaient destinés au grand public. Ils étaient écrits, nous dit-on, avec abondance et avec charme. Une partie avait la forme de dialogues. On a souvent, d’après des expressions empruntées à Aristote lui-même, donné aux écrits non publiés la dénomination d’acroamatiques ou acroatiques, et aux écrits publiés la dénomination d’exotériques. Il est certain que ces expressions répondent à une distinction capitale dans la philosophie d’Aristote. Il y a, selon lui, deux modes d’enseignement, proportionnés aux deux degrés de la connaissance. Ce qui est connaissable comme nécessaire et absolument certain est affaire de démonstration proprement dite ; ce qui n’est connaissable que comme vraisemblable est affaire de dialectique. Dans ses cours, Aristote enseignait la science achevée : il démontrait ; l’élève n’avait d’autre rôle que celui d’auditeur. Mais, en dehors de ces cours, Aristote dirigeait des entretiens dialectiques où l’on raisonnait d’après les vraisemblances, d’après des considérations plus ou moins extérieures à l’objet en question, et où étaient admis, non seulement les élèves, mais aussi les gens du dehors. Telle est la valeur des mots acroamatique et exotérique selon la pensée d’Aristote. Lui-même ne les applique pas à ses ouvrages, mais ils s’y appliquent assez bien. 3o À ces deux catégories il faut en ajouter une troisième, savoir : des notes destinées à l’usage personnel d’Aristote. On peut appeler ces derniers écrits hypomnématiques. Enfin, Aristote avait laissé des discours, des lettres et des poésies. De ces trois sortes d’écrits nous ne possédons que les premiers. Des seconds et des troisièmes Il ne nous reste que des fragments. Parmi les écrits perdus, les plus importants sont : dans la première catégorie : le Traité des plantes, l’Anatomie, les Théorèmes astrologiques ; dans la seconde : les Dialogues et l’Histoire de la rhétorique ; dans la troisième : des extraits de quelques ouvrages de Platon et des écrits sur les pythagoriciens et sur d’autres philosophes. C’est sans doute dans cette troisième catégorie qu’il faut ranger les Institutions (πολιτείαι), où se trouvaient des renseignements de toute sorte sur 158 cités helléniques et barbares, recueil perdu, dont nous possédons beaucoup de citations fort intéressantes. — On peut classer de la manière suivante les écrits scientifiques proprement dits, ou écrits non publiés, que nous possédons, et qui représentent, d’une manière complète quant à l’essentiel, l’œuvre philosophique d’Aristote : 1o Écrits logiques, réunis à l’époque byzantine seulement sous le nom d’ὄργανον : Κατηγορίαι (catégories), en parties altérées et augmentées ; περὶ ἑρμενείας (du discours ou des propositions). Cet ouvrage paraît être l’œuvre d’un péripatéticien du IIIe siècle avant J.-C. ; Ἀναλυτικὰ πρότερα (premiers analytiques), traitant du syllogisme ; ἀναλυτικὰ ὕστερα (derniers analytiques), traitant de la démonstration ; τοπικά (topiques), traitant de la dialectique ou raisonnement en matière vraisemblable. Le 9e livre de cet ouvrage est d’ordinaire donné pour un ouvrage spécial sous le titre : περὶ σοριστικῶν ἐλέγχων (des raisonnements sophistiques). — 2o Écrits de philosophie naturelle : φυσικὴ ἀκρόασις (physique), en huit livres, parmi lesquels le 7e, quoique rédigé d’après des notes aristotéliciennes, ne paraît pas être d’Aristote ; περὶ γενέσεως καί φθοπᾶς (de la génération et de la destruction) ; περὶ οὐρανοῦ (du ciel) ; μετεωρολογικά (météorologie) ; περὶ ψυχῆς (de l’âme), et divers opuscules qui s’y rattachent, appelés : parva naturalia ; περὶ τὰ ζῶα ἱστοπίαι (histoire des animaux), en dix livres, ouvrage très altéré, dont le 10e livre est inauthentique ; περὶ ζώων μορίων (les parties des animaux) ; περὶ πορείας ζώων (des organes moteurs des animaux) ; περὶ ζώων γενέσεως (de la génération des animaux), ouvrage gravement altéré. — 3o Écrits dits métaphysiques, traitant de ce qu’Aristote appelle la philosophie première πρώτη φιλοσοφία : L’ouvrage appelé métaphysique, en quatorze livres, est une collection faite vraisemblablement peu de temps après la mort d’Aristote, et comprenant tout ce qui se trouvait dans ses papiers de relatif à la philosophie première. Ces écrits doivent leur nom actuel (τὰ μετὰ τὰ φυσικὰ) à leur position après la physique, dans l’édition d’Andronicus. Ce qui en fait le fond, ce sont les livres I, III, IV, VI à IX, X (numéros de l’édition de Berlin). Le livre II et le livre XI à partir du chap. VIII, 1065 à 26, sont inauthentiques. — 4o Ecrits relatifs aux sciences pratiques : ἠθικὰ Νικομάχεια (morale adressée à Nicomaque) ; πολιτικά (politique), ouvrage inachevé. Selon Ed. Zeller, les livres VII et VIII de la Politique, doivent vraisemblablement être intercalés entre les livres III et IV ; τεχνὴ ῥητορική (rhétorique) ; περὶ ποιητικῆς (poétique). — La question de chronologie n’a, relativement aux ouvrages didactiques, qu’une médiocre importance. Tous ces ouvrages, en effet, ont été composés dans les douze dernières années de la vie du philosophe (335-322) : ils renvoient les uns aux autres, et nous offrent dans leur ensemble le système achevé, sans aucune marque de progrès. Autant qu’on en peut juger par les très faibles indications que l’on peut tirer des témoignages historiques et de l’examen des ouvrages en eux-mêmes, Aristote a composé d’abord les écrits logiques (excepté les notes d’après lesquelles a été rédigé le περὶ ἑρμενείας, lesquelles paraissent postérieures au περὶ ψυχῆς). Puis ont été composés les écrits de philosophie naturelle ; puis les ouvrages physiologiques et psychologiques, puis les ouvrages relatifs aux sciences pratiques ; enfin, vraisemblablement, et en tout cas postérieurement à la physique, la collection dite métaphysique. Aristote paraît donc être allé de l’abstrait au concret, et, dans le domaine du concret, de l’être changeant à l’être immuable.

III. L’ensemble de l’œuvre d’Aristote. — L’universalité, tel est bien, ainsi que l’indiquent déjà les titres mêmes des ouvrages, le premier caractère de l’œuvre d’Aristote. Théorie et pratique, métaphysique et science d’observation, érudition et spéculation, la philosophie d’Aristote embrasse tout. Elle est, ou elle veut être, le savoir, dans sa totalité. Plus nette que chez Platon, plus générale que chez Anaxagore et Démocrite se dégage chez Aristote l’idée de la science, considérée comme le plus haut objet de l’activité. Ce n’est pas une curiosité futile, c’est l’ambition de pénétrer jusqu’à l’essence et à la cause des choses. Tout ce qui est, tout sans exception, même ce qui paraît vil et insignifiant, provoque en ce sens les recherches du philosophe. Dans toutes les productions de la nature, et jusque dans les plus humbles en apparence, il sait qu’il trouvera de l’intelligible et du divin. C’est ainsi qu’il aborda tous les objets accessibles à l’intelligence humaine ; et, pourvu de toutes les connaissances positives que l’on pouvait alors acquérir, aussi pénétrant dans ses intuitions que rigoureux dans ses raisonnements, il créa ou constitua la plupart des sciences entre lesquelles devait, par la suite, se partager le génie humain. La liste des sciences qu’il a ainsi organisées est la liste même des sciences qu’il a cultivées : histoire de la philosophie, logique, métaphysique, physique générale, biologie, botanique, éthique, politique, archéologie, histoire littéraire, philologie, grammaire, rhétorique, poétique et philosophie de l’art. Dans chacune de ces sciences Aristote est chez lui : pour chacune il pose des principes spéciaux et appropriés. Pur éthicien quand il traite de la justice et de l’amitié, il est naturaliste de profession quand il traite de zoologie. Y a-t-il donc plusieurs hommes en Aristote ; et son œuvre immense n’est-il que la juxtaposition des travaux les plus divers, tels qu’ils pourraient résulter de la collaboration de plusieurs savants ? Une telle appréciation serait certainement superficielle. Entre les différents travaux d’Aristote, il y a tout d’abord communauté d’esprit et de méthode. Ce fonds commun pourrait être défini un mélange harmonieux d’idéalisme, d’observation et de formalisme logique. Partout Aristote cherche l’idée dans le fait, le nécessaire et le parfait dans le contingent et l’imparfait ; partout il travaille à substituer aux données fuyantes de l’observation sensible des conceptions fixes et des définitions. Mais ce n’est pas tout : les différentes parties du savoir sont entre elles, selon Aristote, dans un rapport déterminé qu’il définit très nettement. D’une manière générale, le supérieur n’est connu qu’après l’inférieur et à l’aide de la connaissance de cet inférieur même ; mais en même temps c’est dans le supérieur que se trouve la raison d’être et la cause véritable de l’inférieur. Ainsi, l’âme n’est connue qu’après le corps, qui en est la base et la condition d’existence. Mais le corps n’existe que pour l’âme ; et c’est d’elle qu’il tient le mouvement réglé qui le fait être. C’est en nous inspirant de ce principe d’Aristote que nous allons classer les diverses formes de son activité philosophique.

IV. Classification des sciences. — Sans être arrivé à la précision ni même à l’uniformité dans le détail, Aristote n’en est pas moins le premier qui ait conçu la science à un point de vue encyclopédique, et qui ait cherché un principe de classification complète des connaissances. La science, d’abord, se distingue nettement des choses mêmes auxquelles elle se rapporte. Elle consiste dans la conception des choses comme nécessaires ; et elle comporte des degrés, selon que l’objet qu’elle considère comporte lui même la nécessité, ou seulement la probabilité. La science, dans son ensemble, suit une double direction, selon que l’esprit humain prend pour point de départ ce qui est premier à son point de vue, ou ce qui est premier absolument. Ces deux marches sont exactement l’inverse l’une de l’autre : car ce qui est premier pour nous, ce sont les faits, et les faits, selon l’ordre interne de la nature, sent ce qui vient en dernier lieu ; réciproquement, ce qui est premier en soi, ce sont les principes, et les principes sont la dernière chose que nous puissions atteindre. La philosophie, au sens large du mot, est la science en général. Elle comprend, en premier lieu, la philosophie première ou science des principes inconditionnés ; en second lieu, l’ensemble des sciences particulières, dont les principales sont : la mathématique, la physique, l’éthique et la poétique. La philosophie est une, grâce à la philosophie première qui est le réservoir commun où toutes les sciences particulières puisent leurs principes. Cette division, quoique fondamentale, ne reparaît pas toujours dans les classifications des sciences que l’on trouve chez Aristote. En certains endroits il divise les propositions, à la manière des platoniciens, en éthiques, physiques et logiques, ces dernières comprenant les propositions mêmes qui se rapportent à la philosophie première. Le plus souvent il divise les sciences en théoriques, pratiques (ou relatives à l’action) et poétiques (ou relatives à la production au moyen d’une matière), en mettant, au point de vue logique et absolu, la théorie avant la pratique, la pratique avant la poétique. Puis il divise les sciences théoriques en théologie, mathématique et physique. La théologie peut être rapprochée de la philosophie première : elle en forme le sommet. Les mathématiques s’occupent d’essences stables encore, mais non séparables d’avec la matière, si ce n’est par abstraction. La Physique s’occupe des substances sensibles, c.-à-d. mobiles et périssables. Les sciences pratiques ou sciences des choses humaines se subdivisent si l’on va de la puissance à l’acte, c.-à-d de ce qui est premier pour nous à ce qui est premier en soi, en éthique, économique et politique. L’économique, à vrai dire, est souvent donnée par Aristote comme rentrant dans la politique. La rhétorique est surtout présentée comme une science auxiliaire de la politique. La poétique comprend tous les arts, parmi lesquels la poésie et la musique tiennent le premier rang. Dans cette classification il n’est pas fait mention de la logique. C’est sans doute que cette classification n’embrasse que les sciences portant sur des réalités, tandis que la logique porte sur les concepts.

V. Le point de vue et la méthode. — L’objet qu’Aristote a en vue est essentiellement théorique. Savoir pour savoir, comprendre, ajuster les choses à l’intelligence, telle est la fin de tous ses efforts. Tous les hommes, dit-il, ont un désir naturel de connaître. Nous aimons la science, en dehors de tout intérêt. La sagesse est indépendante de l’utilité : elle est même d’autant plus haute qu’elle est moins utile. La science la plus haute est celle du but ou de la fin en vue de laquelle les êtres existent. Cette science est seule vraiment libre, parce que seule elle n’existe qu’en vue du savoir même. Elle est la moins nécessaire de toutes les sciences, et, par là même, la plus excellente. La science nous fait connaitre les raisons intelligibles des choses. L’ignorant qui observe s’étonne que les choses soient comme elles sont, et cet étonnement même est le commencement de la science : le sage s’étonnerait que les choses fussent autrement qu’il ne les commit. — Comment procède Aristote pour acquérir la science, ainsi entendue ? Aristote n’est ni l’idéaliste dogmatique que suppose Bacon, fabriquant le monde avec les seules catégories, ni l’empiriste que voient en lui beaucoup de modernes. Il est observateur et il est constructeur ; d’une manière générale, il allie et combine intimement l’étude scrupuleuse des faits et l’effort pour les rendre intelligibles. Les faits sont pour lui le point de départ, mais il ne s’y tient pas : il cherche à en extraire les vérités rationnelles qu’il croit a priori y être contenues. Le terme qu’il a en vue, c’est la connaissance des choses sous la forme démonstrative, c.-à-d. sous la forme d’une déduction où les propriétés de la chose se connaissent par son essence même. Le plus souvent, et surtout quand il s’agit de choses métaphysiques ou morales, avant d’aborder l’étude des choses en elles-mêmes, il recherche et discute toutes les opinions qui existent sur la matière. C’est la méthode dialectique, laquelle, tirant ses arguments, non de l’essence même de la chose, mais de ce qui est admis par l’interlocuteur, ne dépasse pas la vraisemblance. Dans l’emploi de cette méthode, Aristote part fréquemment des conceptions populaires : il en dégage un sens philosophique, qu’il utilise pour l’établissement de sa théorie. Il part aussi du langage, qui est pour lui comme un intermédiaire entre les choses et la raison. Surtout il a égard aux doctrines de ses devanciers, il énumère soigneusement toutes les opinions qu’ils ont soutenues ; et lors même qu’il rejette ces opinions, il en cherche la raison et la vérité relative. Ses dissertations philosophiques sont d’ordinaire composées de la manière suivante : Il détermine l’objet de la recherche, afin de n’être pas exposé aux malentendus, comme il arrive à Platon. 2° Il énumère et apprécie les indications et les opinions existant sur la matière. 3° Il recherche et examine, de la manière la plus complète, les difficultés ou άποριαί que présente la question posée. 4° Considérant les choses en elles-mêmes, et utilisant dans ses raisonnements les résultats des discussions précédentes, il cherche la solution du problème dans la détermination de l’essence une et éternelle de l’objet en question. VI. Aristote historien. — Il résulte de ce qui précède qu’Aristote est tout d’abord historien. Il a commencé par apprendre le plus possible. Platon, dit-on, l’appelait le liseur. L’histoire n’est pas pour lui une fin dernière, quoiqu’il ait au plus haut degré la curiosité des faits, mais elle est un moyen indispensable. Elle fournit à l’esprit des matériaux sans lesquels il s’agiterait dans le vide. Aussi Aristote s’est-il livré à des études historiques approfondies dans tous les domaines de la science.

1. Histoire de la philosophie. Il avait écrit notamment sur les pythagoriciens et sur le platonisme. Tout le premier livre de la Métaphysique est historique : c’est un exposé critique des principes mis en avant depuis Thalès jusqu’à Platon. Mais comme l’objet qu’il a en vue est dogmatique, il fait rentrer les systèmes antérieurs dans les cadres de sa propre philosophie. Il en recherche l’idée, la forme parfaite, le terme et l’achèvement ; il veut les comprendre plus profondément que ne les ont compris leurs auteurs eux-mêmes ; et il les résume en des formules créées par lui, qui en font des acheminements à son propre système. S’il classe les doctrines, c’est d’après les ressemblances et différences qu’elles présentent à son point de vue, non d’après leur dépendance historique. C’est ainsi que le résumé contenu dans le premier livre de la Métaphysique est destiné à préparer la théorie aristotélicienne des quatre causes. Aristote montre qu’avant lui on a connu les principes matériel, moteur et formel, mais qu’on n’a parlé de la cause finale que d’une manière accessoire et accidentelle. Anaxagore ayant entrevu la cause finale apparut, nous dit Aristote, comme un homme sensé parmi des gens qui parlaient au hasard. Les recherches chronologiques tiennent peu de place dans ces considérations. De même Aristote s’occupe peu des relations de maître à disciple. Il note les services rendus par chacun de ses devanciers à la philosophie telle qu’il la conçoit ; il relève ce que chacun a trouvé de durable ; il signale les inventeurs et les avocats des idées qui ont joué un rôle dans le développement de la science, et qui lui paraissent mériter examen. En un mot, il ne recherche pas les origines historiques des systèmes, il dégage de la masse informe des faits la formation logique de la philosophie définitive.

2. Histoire politique. Dans ses πολίτειαι, qui ne nous ont pas été conservées, il avait réuni les constitutions de 158 cités grecques et barbares. Cet ouvrage rentrait apparemment dans ce que nous appelons archéologie et histoire de la civilisation. On y trouvait jusqu’aux proverbes et aux chants populaires des différents peuples. L’ordre des matières, selon certains commentateurs grecs, était alphabétique. Selon Diogène, les constitutions étaient classées, d’après leurs ressemblances, en démocratiques, oligarchiques, aristocratiques et tyranniques.

3. Histoire de la rhétorique et de la poésie. Cette histoire, qui ne nous a pas été conservée, est grandement louée par Cicéron. « Aristote, dit-il, y avait noté tous les préceptes donnés par les rhéteurs, et cela avec tant de perfection que l’on trouvait ces préceptes mieux exposés par lui que par leurs auteurs mêmes, et que, quand on voulait les connaître, c’est chez lui que l’on les cherchait. »

4. Il avait aussi dressé des listes chronologiques des représentations dramatiques, et des listes des vainqueurs aux jeux olympiens et pythiques. Tous ces ouvrages sont perdus. Ainsi la curiosité d’Aristote est insatiable et s’étend à tout. Mais Aristote veut savoir et comprendre, non s’amuser au récit des faits : l’histoire n’est pour lui qu’un instrument de la science, les faits n’ont de valeur que comme véhicules de l’idée.

VII. Logique. Aristote veut connaître les faits, non seulement en tant qu’ils sont, mais en tant qu’ils doivent être ; il veut résoudre le contingent au nécessaire. Il lui faut donc, tout d’abord, rechercher les conditions sous lesquelles l’esprit conçoit quelque chose comme nécessaire ; en d’autres termes, il lui faut premièrement envisager la science dans sa forme, abstraction faite de son contenu :


c’est l’objet de la logique. Les textes relatifs à cette partie de la philosophie sont les οργανικά, savoir : les Catégories, l’Hermeneia, les Analytiques premiers et derniers, les Topiques et les Arguments sophistiques. — La logique est la détermination des lois du raisonnement et des conditions de la science. Aristote distingue, dans la connaissance, la forme et la matière, et considère la forme comme ayant une existence et des lois propres. Son existence consiste dans la réalité des concepts, ou idées générales unes, exactement déterminées quant à leur compréhension et quant à leur extension. Sa loi fondamentale est le principe de contradiction : « Il est impossible qu’un même attribut appartienne et n’appartienne pas à un même sujet, considéré sous un même rapport. Il y a d’ailleurs, selon Aristote, proportion et accord entre la pensée et l’être ; et, par suite, notre philosophe ne se fait pas faute d’admettre dans sa logique maint élément d’un caractère métaphysique. La logique aristotélique est une analyse rationnelle des conditions auxquelles doit satisfaire un raisonnement pour que la conclusion en soit conçue comme nécessaire. Il ne s’agit pas de savoir comment, en fait, nous raisonnons, mais comment doit être construit un raisonnement pour que la nécessité de la liaison qu’il établit apparaisse immédiatement et irrésistiblement comme évidente. C’est pourquoi le problème de l’analyse psychologique du raisonnement naturel, qu’a indiqué Locke, ne saurait être substitué à celui d’Aristote que si l’on admet la réduction du nécessaire au contingent, de l’idéal au réel, du précepte au fait, de l’art à la nature. — Il nous faut distinguer : 1° les instruments de la pensée ; 2° le rôle et la valeur de ces instruments dans la constitution de la science. — a. Les instruments de la pensée sont les notions, les propositions et le raisonnement. — 1. Sous le titre général de notions se rangent les catégorèmes ou prédicables, les catégories ou prédicaments, et les notions de rapports logiques. Les catégorèmes sont les notions universelles qui présentent les modes généraux suivant lesquels une chose peut être énoncée relativement à une autre. C’est ce qu’on appelle les universaux, savoir : le genre, l’espèce, la différence, le propre et l’accident. Les catégories sont les genres irréductibles des mots et, par suite, des choses, car les classes des mots sont les classes mêmes des choses. Ce sont les genres suprêmes. Elles sont au nombre de dix : 1° Essence, ex. : homme, cheval ; 2° quantité, ex. : long de deux aunes ; 3° qualité, ex. : blanc ; 4° rapport, ex. : double, moitié ; 5 lieu, ex. : au lycée ; 6° temps, ex. : hier ; 7° situation, ex. : être couché, assis ; 8° manière d’être, ex. : être chaussé, armé ; 9° action, ex. : couper, briller ; 10° passion, ex. : être coupé, brûlé. Les catégories se divisent en deux classes, l’essence constituant la première, elles neuf autres catégories la seconde. Cette table des catégories parait dressée empiriquement par la comparaison des mots entre eux. Elle diffère entièrement de celle de Kant, qui présente les différentes manières de lier a priori et nécessairement le divers d’une intuition en général, c.-à-d. de ramener ce divers à l’unité de l’aperception transcendentale. Les rapports logiques des termes entre eux sont : l’identité et l’opposition, cette dernière comprenant la contrariété, la contradiction, et le rapport de privation à possession. Le principe relatif à l’opposition est que deux termes opposés entre eux relèvent toujours d’une seule et même science. — 2. Les propositions résultent de l’assemblage des concepts. Elles sont affirmatives ou négatives, universelles ou particulières. Seules, elles comportent vérité ou erreur, tandis que les concepts isolés ne sont ni vrais ni faux. La conséquence n’est pas la même, si deux jugements sont entre eux contradictoires, ou simplement contraires. Deux jugements contraires ne peuvent être vrais l’un et l’autre, mais ils peuvent être faux. De deux jugements contradictoires, l’un est nécessairement vrai, l’autre faux : cela résulte du principe du milieu exclu, expression particulière du principe de contradiction. Les propositions comportent des conversions dont Aristote détermine les règles. — 3. Le raisonnement consiste essentiellement dans le syllogisme. La théorie du syllogisme et de la démonstration ou syllogisme parfait est appelée par Aristote analytique. Cette théorie a été créée par lui. Il affirme, en effet (peut-être en pensant tout d’abord à la dialectique, mais en étendant certainement son assertion à toute la théorie du raisonnement), qu’avant lui sur ces matières il n’existait rien, qu’il n’a pas eu seulement à perfectionner, mais à créer, et que c’est à force d’essais laborieux qu’il est arrivé à son but. Kant a dit de la théorie du syllogisme que depuis Aristote elle n’avait pas fait un pas, soit en avant, soit en arrière. Le syllogisme est un raisonnement dans lequel, étant posées certaines choses, quelque chose d’autre s’ensuit nécessairement. Le propre du syllogisme, c’est de mettre en évidence la nécessité de la liaison. Ce résultat est obtenu par l’emploi d’éléments adaptés à une application exacte du principe de contradiction. Ces éléments sont des termes considérés comme étant entre eux dans le rapport de la partie au tout. Soit A contenant B et B contenant C, il s’ensuit, nécessairement, d’après le principe de contradiction, que A contient C. Tel est le type du syllogisme, et les trois termes qu’il implique s’appellent pour cette raison grand, moyen, petit. Cette relation de contenance est considérée par Aristote comme l’équivalent de la relation du général au particulier. Le genre est comme un cercle défini qui contient les espèces. Le syllogisme est parfait ou imparfait, selon qu’il est immédiatement conforme au type que nous venons d’indiquer, on qu’il n’y devient conforme qu’à l’aide de réductions. L’origine de cette théorie se trouve dans les mathématiques. Elle consiste dans une adaptation aux notions qualitatives des rapports de grandeur. Il était naturel qu’Aristote cherchât, dans une imitation analogique des mathématiques, le moyen de démontrer nécessairement en matière qualitative ; car les mathématiques réalisaient, de l’aveu de tous, cette nécessité dans l’enchaînement des termes, qu’il avait en vue. Parmi les cas particuliers du syllogisme, le plus important est l’induction, ou raisonnement qui va du particulier au général. Voici un exemple de ce raisonnement « L’homme, le cheval et le mulet vivent longtemps. Or, l’homme, le cheval et le mulet sont des animaux sans fiel. Donc, tous les animaux sans fiel vivent longtemps. » La condition de la légitimité de la conclusion, c’est la convertibilité de la mineure. Ici, par exemple, il faut qu’à la proposition : « L’homme, le cheval et le mulet sont des animaux sans fiel » il soit légitime de substituer : « Tous les animaux sans fiel sont l’homme, le cheval et le mulet. » La légitimité de cette substitution n’est plus une question de logique. En fait, la série des animaux sans fiel est infinie. Mais l’essence de l’animal sans fiel est tout entière dans chaque animal sans fiel. La question est de discerner cette essence, de dégager le type de l’animal sans fiel, de manière à distinguer les caractères qui appartiennent aux animaux sans fiel en tant qu’ils sont sans fiel, d’avec les caractères qui leur appartiennent indépendamment de cette condition. Pour y parvenir, on considère un certain nombre d’animaux sans fiel, on les compare entre eux, on cherche ce qu’ils ont de commun, ce qui, en eux, est essentiel et nécessaire. En d’autres termes on considère les êtres de la nature, non seulement avec les sens, mais avec le voile, lieu des essences et capable de les retrouver, de les reconnaître dans les données des sens. L’induction d’Aristote vise ainsi à la classification des êtres et des faits, et à une classification naturelle. En tant qu’elle s’applique à discerner les rapports nécessaires des rapports contingents, elle rend possible la prédiction, et ainsi elle fournit de véritables lois, au sens moderne du mot. Mais cette possibilité de prédiction est restreinte aux faits qui découlent immédiatement d’une essence déterminée, elle ne s’étend pas aux faits qui résultent du mélange de plusieurs essences. Car le mélange des essences n’a pas de raison, est chose purement contingente. Les genres, selon


Aristote, sont radicalement séparés les uns des autres, chacun d’eux est un absolu. Par cette doctrine de l’indépendance des genres, la théorie aristotélicienne de l’induction est en opposition, tant avec le cartésianisme, qui ramène les lois physiques aux déterminations mathématiques, qu’avec l’évolutionisme, qui admet l’existence des espèces, mais en leur attribuant une genèse dans le passé à partir d’une origine commune. — Le syllogisme proprement dit et l’induction sont entre eux, selon Aristote, comme l’ordre de la nature et l’ordre de la connaissance humaine. En soi, le syllogisme est plus intelligible pour nous, l’induction est plus claire. Le syllogisme part du général. Or, il est impossible de prendre connaissance du général, sinon par induction. Non que les principes généraux reposent sur la sensation et l’induction comme sur leur fondement ; mais c’est l’induction qui nous présente ces principes, c’est elle qui nous fournit les éléments intelligibles que le  reconnaît comme nécessaires et vrais. — b. Tels sont les instruments de la science. Comment, par leur moyen, la science se constitue-t-elle ? La science est la connaissance des choses en tant que nécessaires. Une chose est connue scientifiquement quand nous savons qu’elle ne pouvait être autrement. Or cette connaissance existe quand nous réussissons à rattacher une chose à sa cause. — Il y a dans la nature trois sortes de liaisons : 4° Les conjonctions d’événements qui se réalisent toujours, ex. : les relations des phénomènes astronomiques ; 2° les conjonctions d’événements qui ne se réalisent que d’ordinaire, ex. : les relations des choses physiques, et, davantage encore, des choses morales ; 3° le hasard, c.-à-d. les coïncidences qui ne se reproduisent que peu ou point. La première espèce de liaison comporte la science parfaite, la seconde une science imparfaite bornée à la probabilité ; la troisième reste en dehors de la science. Il n’y a pas de science de ce qui se passe. Ni l’opinion, ni la sensation ne peuvent produire la science, parce qu’aucune d’elles ne peut nous faire connaître les choses comme nécessaires. La dialectique platonicienne, elle aussi, est impuissante à fournir la science, parce que, comme elle consiste en demandes et réponses, elle ne s’appuie que sur le consentement de l’adversaire, non sur le vrai en soi. Partie de l’hypothèse, elle ne dépasse pas la conséquence purement logique et formelle. C’est par la démonstration que s’obtient la science. — La démonstration se fait par syllogisme direct de la première figure. La réduction à l’absurde et les syllogismes de la seconde et de la troisième figure ne sont pas encore la démonstration. La démonstration prend son point de départ dans un principe non seulement accordé par l’adversaire, mais nécessaire en soi. C’est ainsi que raisonnent les mathématiques. La démonstration comprend trois éléments : 1° le sujet ; 2° l’attribut, qu’il s’agit de rattacher au sujet par un lien de nécessité ; 3° les principes généraux sur lesquels se fonde la démonstration. Ces derniers sont le principe de contradiction et ses dérivés. Indispensables, ils sont, en eux-mêmes, vides et insuffisants. C’est dans la nature du sujet que réside la base de la démonstration. Il y a des principes propres au sujet, et ce sont ces principes spéciaux qui ont un contenu et sont féconds. C’est sur ces principes qu’il faut s’appuyer ; l’on ne doit jamais, dans la déduction, passer d’un genre à un autre, excepté quand l’un est proprement subordonné à l’autre. La géométrie, par exemple, ne saurait s’expliquer par l’arithmétique : il est impossible d’adapter à des grandeurs étendues les démonstrations propres au nombre. Quand on viole cette règle, on n’a plus pour se guider que les principes communs à toutes les sciences ; et alors les liaisons que l’on établit ne sont connues que comme accidentelles et contingentes, non comme essentielles et nécessaires : on a procédé par analogie, non par démonstration. L’impossibilité que voit ici Aristote sera levée par Descartes et Leibnitz. Les principes propres sont indémontrables comme les principes communs. Prétendre tout démontrer serait se condamner, ou au progrès à l’infini, ou au cercle vicieux. Chaque science a, de la sorte, ses principes spéciaux irréductibles. D’où viennent ces principes ? Ils ne sont ni innés, ni reçus du dehors purement et simplement. Il y a en nous une disposition à les concevoir ; et, par l’effet de l’expérience, cette disposition passe à l’acte. C’est en cela, en définitive, que consiste l’induction ; et ainsi c’est par induction que nous connaissons les premiers principes propres à chaque science. La démonstration suppose la définition. Il faut qu’il y ait des définitions indémontrables : autrement on irait à l’infini. Il n’y a de définition, ni de l’individu, ni de l’accident, ou général indéterminé, mais seulement des espèces intermédiaires entre le général et l’individu. La définition se fait, par l’indication du genre prochain et des différences spécifiques. Pour arriver à constituer une définition, il faut aller du particulier au général, et contrôler cette induction par une déduction allant du genre aux espèces. En résumé, une chose est connue comme nécessaire, quand elle est rattachée, par voie de déduction, à une essence spécifique. Au-dessous de l’apodictique ou théorie de la démonstration, laquelle montre comment on peut arriver à connaître une chose comme nécessaire, se trouve la dialectique, ou logique du probable : elle est exposée dans les Topiques. Le domaine de la dialectique est l’opinion, mode de connaissance susceptible de vérité ou de fausseté. Le dialecticien prend pour point de départ, non des définitions nécessaires en soi, mais les opinions ou les thèses proposées par le sens commun ou par les philosophes ; et il cherche quelle est, de ces diverses opinions, la plus vraisemblable. Il procède par questions et réponses, il examine contradictoirement le oui et le non sur chaque question. Ainsi il conduit ses questions de manière à poser d’abord une thèse, puis une antithèse ; et il discute l’une et l’autre proposition. Cette discussion consiste à examiner les difficultés qui surgissent, lorsque l’on veut appliquer la proposition à des cas particuliers. Le dialecticien raisonne syllogistiquement, en partant du vraisemblable. Et ce vraisemblable initiel, c’est en définitive l’essence simplement générique, non encore déterminée par la différence spécifique. L’addition du principe spécifique au principe générique est indispensable pour que la conclusion à laquelle on aboutit soit nécessaire. Or les principes spécifiques ne se peuvent déduire des principes génériques. Tout genre comporte également différentes espèces. Le rôle de la dialectique est considérable : elle est le seul mode de raisonnement possible dans les matières qui ne comportent pas de définitions nécessaires. Et, dans la recherche des vérités nécessaires elles-mêmes, elle est l’introduction indispensable à la démonstration. — Ce qu’est la dialectique en matière logique, la rhétorique l’est en matière morale. Si la première cherche le vraisemblable, la seconde le persuade. La rhétorique est ainsi le pendant de la dialectique, ou plutôt, comme la pratique est à la théorie ce que le particulier est au général, la rhétorique est une partie de la dialectique. Le mode de raisonnement propre à la rhétorique est l’enthymême, syllogisme où l’on sous-entend l’une des trois propositions, et où les raisons se tirent, non de l’essence même des choses, mais de vraisemblances et de signes. Le lieu principal de l’enthymême qu’emploie la rhétorique est l’analogie, ou induction qui va du particulier au particulier. — Enfin, de la dialectique se distingue Yéristique. Tandis que celle-là se meut dans le domaine de ce qui est général, ordinaire, sans être nécessaire, l’éristique se meut dans le domaine du pur accident, et cela, volontairement. L’éristique se contente d’une vraisemblance acceptée par l’auditeur. Aussi les raisonnements éristiques sont-ils des sophismes, qu’Aristote décrit et dévoile minutieusement. — Au-dessous des choses qui arrivent toujours, lesquelles dépendent d’une essence à la fois générique et spécifique et peuvent être connues comme nécessaires, au-dessous même des choses qui arrivent d’ordinaire, lesquelles dépendent d’une essence simplement générique et peuvent être connues comme probables, il y a les choses qui arrivent accidentellement, sans aucune règle. Comme les choses qui


arrivent ordinairement résultent du mélange des espèces, ainsi les phénomènes isolés résultent du mélange des genres ; mais, tandis que ce qui n’est pas déterminable par l’espèce l’est encore, dans une certaine mesure, par le genre, fonds commun de plusieurs espèces, ce qui n’est pas même déterminable par le genre ne l’est plus du tout, vu qu’au-dessus des genres il n’y a plus que les principes universels qui s’appliquent absolument à tout, qui, par conséquent, ne déterminent rien. Du hasard donc, comme tel, de la rencontre des deux genres, il n’y a pas de science. Seuls, les éléments du phénomène fortuit peuvent être connus comme nécessaires ou possibles en tant qu’on les rattache à leurs essences spécifiques ou génériques respectives : l’assemblage de ces éléments, qui constitue le phénomène fortuit, est sans raison, parce que les genres sont sans lien entre eux.

La logique aristotélicienne a régné sans conteste jusqu’à Bacon et Descartes. A partir des commencements de la philosophie moderne elle a été battue en brèche de divers côtés, soit qu’on lui reprochât de n’être que la logique de l’exposition, non celle de l’invention, soit même qu’on la considérât comme factice et illégitime. La discussion roule principalement sur la valeur du concept ou idée générale, qui en est la base. Les empiristes notamment, qui ne voient dans les idées que des traces de l’expérience, mesurent la valeur des généralités au nombre de faits constatés dont elles sont, selon eux, l’enregistrement pur et simple, et soutiennent que, d’une manière générale, la vérité de la majeure d’un syllogisme suppose celle de la conclusion, d’où il suit que le syllogisme est un cercle vicieux. La question est de savoir si un concept n’est qu’une idée collective, ou si c’est une unité, statique ou dynamique, valable pour un nombre indéfini de faits passés, présents et à venir. Mais lors même que le concept aristotélicien ne coïnciderait pas exactement avec la nature des choses, comme il arriverait si la continuité était la loi fondamentale de l’être, la logique aristotélicienne n’en conserverait pas moins une réelle valeur : non seulement elle subsisterait comme analyse des conditions de la connaissance idéale pour l’esprit humain ; mais elle serait légitime dans la mesure où il existe des espèces dans la nature. Or, il en existe, sinon d’une manière éternelle et primitive, du moins en fait et actuellement. Les êtres supérieurs, surtout, forment des groupes relativement stables. Lors même que la continuité serait la loi fondamentale, il n’en faudrait pas moins reconnaître dans la nature une tendance à la discontinuité et à la spécification. La logique aristotélicienne répondrait à cette partie ou à ce côté de la nature, qui est gouverné par la loi de spécification. Destituée de la valeur métaphysique et absolue que lui attribuait son fondateur, elle conserverait une valeur relative et expérimentale.

VIII. Métaphysique (Source : la collection appelée Métaphysique). — Tandis que chaque science spéciale considère quelque espèce particulière d’êtres, la physique, par exemple, l’être en tant qu’il y a en lui matière et mouvement, les mathématiques, la forme de l’être mobile en tant qu’on l’isole par abstraction de la matière où elle est réalisée, la philosophie première, ainsi que l’appelle Aristote, considère l’être en tant qu’être, τό όν, ή όν, et en recherche, en ce sens, la nature. — La métaphysique aristotélicienne s’est constituée en opposition avec la métaphysique platonicienne. Aristote commence donc par critiquer son maître. Platon, dit-il, cherche à la fois l’objet de la science et l’absolu de l’être dans les essences générales conçues comme existant à part, en dehors des choses et en dehors les unes des autres. Or, le vrai est ici mélangé avec le faux. Platon a bien vu que le général seul peut être objet de science, et qu’ainsi le monde sensible comme tel ne peut être connu scientifiquement. Mais il s’est trompé en croyant que les genres peuvent exister à part et qu’ils peuvent être principes et substances. Les genres n’existent que dans les individus. On s’engage dans d’inextricables difficultés si l’on veut qu’ils existent à part. Quel est alors, par exemple, le rapport des choses aux genres ? Un rapport de participation ? mais qu’est-ce que cette participation. Et puis, combien y aura-t-il de genres substantiels ? Comment l’idée, substance une, peut-elle se retrouver dans une infinité d’individus ? Si l’idée générale est substance, il n’y a pas d’individus, ou il n’y en a qu’un. De plus, le général ne peut être principe et substance, parce qu’il est destitué de force, parce qu’il ne peut être en soi. Le général est toujours un attribut : la substance, au contraire, est sujet et chose existant à part. Certes, donc, le général seul est objet de science, mais la substance ne peut être qu’individuelle. De là toutefois naît une difficulté. Si, d’une part, toute science porte sur le général, et si, d’autre part, la substance ne peut être que quelque chose d’individuel, comment y aura-t-il une science de la substance ? Notre théorie n’aboutit-elle pas à ce résultat : une science dont l’objet n’est pas, un être qui ne peut être objet de science ? Pour résoudre cette difficulté, il nous faut élargir la notion de la science. Toute science ne porte pas sur le général ; mais la science a deux modes, deux degrés. Il y a la science en puissance et la science en acte. La science en puissance a pour objet le général, mais il n’en est pas de même de la science en acte : celle-ci a pour objet l’être parfaitement déterminé, l’individu. Dans cette doctrine se trouve l’idée maîtresse de l’aristotélisme Le général n’est pas adéquat à l’être : il n’en est que la matière. Déterminé par un côté, il est, par un autre, indéterminé : tout type général peut être réalisé de diverses manières. Un être réel, une substance, est un être achevé qui, sous tous les rapports, est ceci et non cela : partant dans un être réel il y a quelque chose de plus que dans n’importe quelle idée générale. Toute la science du général n’arriverait pas à construire l’individualité de Socrate. Deux choses sont en dehors de cette science abstraite : les accidents parce qu’ils sont au dessous, les individus parce qu’ils sont au dessus. La connaissance des individus s’obtient par une intuition, laquelle immédiatement saisit l’unité substantielle qu’on ne pourrait déduire. Cette irréductibilité de l’individuel au général se retrouvera dans toutes les parties de la philosophie d’Aristote. En vertu de ce principe, la spéculation abstraite sera impuissante à nous faire connaître la nature ; l’expérience y sera nécessaire. Et, dans l’ordre moral, les lois seront insuffisantes à faire régner la justice ; il y faudra joindre le magistrat chargé d’appliquer judicieusement les règles générales à la diversité infinie des cas individuels.

Quels sont les principes de l’être ? L’être qui nous est donné est soumis au devenir. Or, le devenir, en tant qu’il existe, suppose des principes non engendrés : il faut nécessairement s’arrêter dans la régression causale quand il s’agit de trouver les éléments intégrants de l’existence actuelle. Quels sont les principes requis pour l’explication du devenir ? Ces principes sont au nombre de quatre : 1o une matière ou substrat, théâtre du changement, c.-à-d. de la substitution d’une manière d’être à une autre ; 2o une forme ou détermination ; 3o une cause motrice ; 4o un but. Ainsi les principes d’une maison sont : le bois comme matière, l’idée de la maison comme forme, l’architecte comme cause motrice, et la maison à réaliser comme but. Ces quatre principes se ramènent à deux : la matière et la forme. En effet, la cause motrice n’est que la forme dans un sujet déjà réalisé ; ainsi la cause motrice de la maison, c’est l’idée de la maison en tant que conçue par l’architecte. Et la cause finale n’est encore que la forme, car la cause finale de iliaque chose, c’est la perfection ou forme vers laquelle elle tend. — La matière et la forme sont donc en définitive les deux principes non engendrés nécessaires et suffisants pour expliquer le devenir. La matière est le substrat. Elle n’est ni ceci ni cela ; elle peut devenir ceci ou cela. La forme est ce qui fait de la matière une chose déterminée (τόδε τι) et réelle. Elle est la perfection, l’activité, l’âme de la chose. Le mot forme a, chez Aristote, un tout autre sens que chez nous. Ainsi, une main sculptée a, dans le langage d’Aristote, la figure non la forme d’une main, parce qu’elle ne peut accomplir les fonctions propres à la main. Il y a une échelle d’existences depuis la matière infime qui n’a aucune forme jusqu’à la forme suprême qui est sans matière. La matière infime n’existe pas. La forme sans matière est en dehors de la nature. Tous les êtres de la nature sont des composés de matière et de forme. L’opposition de la matière et de la forme est relative. Ce qui est matière à un point de vue est forme à un autre. Le bois de charpente est matière par rapport à la maison, forme par rapport au bois non coupé. L’âme est forme à l’égard du corps, matière à l’égard de l’intelligence. Aristote ne s’en tient pas à cette réduction des quatre principes à la matière et à la forme ; il cherche à rapprocher l’un de l’autre ces deux principes mêmes. Pour cela, il les ramène à la puissance et à l’acte. La matière n’est plus une pure réceptivité, comme chez Platon : elle a une disposition à recevoir la forme, elle la désire. La forme n’est plus quelque chose d’hétérogène à la matière ; elle en est l’achèvement naturel. La matière est puissance, et puissance capable de deux contraires déterminés. Le mécanisme logique de la substitution des formes dans une matière inerte se résout ainsi en un dynamisme métaphysique. Dans le passage de la puissance à l’acte, il y a une action interne. Ce n’est plus une juxtaposition ou séparation d’éléments inertes et préexistants ; c’est une création spontanée d’être et de perfection. S’il faut, dit Aristote, une force d’une quantité déterminée pour produire un certain effet, la moitié de cette force, prise isolément, ne produit cet effet à aucun degré. Autrement, étant donné un navire que plusieurs hommes, réunissant leurs forces, mettent en mouvement, m seul homme pourrait déjà imprimer à ce navire une certaine quantité de mouvement, ce qui est contraire à l’expérience. Telle partie qui produit un mouvement dans son union avec le tout, prise isolément et agissant seule devient totalement impuissante. C’est que la partie, à vrai dire, n’existe pas en tant que partie dans ce qui est véritablement un tout : une partie n’existe qu’en puissance dans le tout dont on peut la tirer. Le concept aristotélicien de la puissance et de l’acte est, on le voit, très empirique. Aristote suppose que l’effort d’un seul homme est sans action sur un navire, parce qu’il ignore que le travail qui ne se manifeste pas sous forme de mouvement engendre du moins de la chaleur. Il n’en reste pas moins que la poussée d’un seul homme est effectivement sans effet aucun en ce qui concerne le mouvement de translation. Et, de nos jours même, une école de chimistes, raisonnant à la manière d’Aristote, ne considère pas l’hydrogène et l’oxygène comme existant en acte dans l’eau ; mais, s’en tenant à l’expérience, ces savants disent que l’hydrogène et l’oxygène existent dans l’eau en puissance, en ce sens qu’en soumettant l’eau à telles ou telles conditions on pourra obtenir de l’hydrogène ou de l’oxygène. En résumé, le devenir, selon Aristote, ne dérive, ni de l’être ni du non-être absolus ; il dérive de l’être en puissance, intermédiaire entre l’être et le non-être. — De cet être en puissance ou matière dérive tout ce qui, dans le monde, est indétermination et imperfection. La matière est le principe de la nécessité brute ou άνάγκη, qui est la causalité mécanique et aveugle, par opposition à la cause motrice agissant en vue d’une fin. S’il existe une telle nécessité, c’est que la nature est obligée d’employer, dans ses créations, des causes matérielles. Or la matière, en un sens, résiste à la tonne. C’est pourquoi les créations de la nature sont imparfaites ; il se produit même beaucoup de choses dépourvues de but, par la seule action des forces mécaniques. Ainsi des esclaves, dont on règle, l’action, agissent néanmoins souvent par eux-mêmes, en dehors de la règle. La matière est le principe de la contingence des futurs. En ce qui concerne l’avenir, la position d’une alternative déterminée est seule nécessaire. La réalisation de l’un ou l’autre terme de cette alternative est indéterminée. Delà matière procède le hasard, Sont fortuits chez un être donné les phénomènes qui ne découlent pas de l’essence de cet être, mais qui résultent, soit de son imperfection, soit de l’influence des causes étrangères. Le hasard se manifeste par la rareté de l’événement. L’événement fortuit est nécessaire mécaniquement, mais il n’est nécessaire qu’à ce point de vue : sous le rapport de la finalité il est absolument indéterminable et inconnaissable. La matière est la cause de l’imperfection des êtres et du mal. Elle est cause aussi de la hiérarchie des espèces, car, à travers leur infinie variété, les êtres de la nature ne sont que des réalisations plus ou moins complètes d’un seul et même type. Les animaux ne sont que des hommes inachevés, fixés à un certain point de leur développement naturel. De la présence de la matière au sein des choses naturelles, il suit que ces choses ne peuvent être objet de science parfaite, c-à-d. ne peuvent être connues comme entièrement déterminées. L’élément matériel des choses, en lui-même, ne comporte pas la science.

Telles sont les causes prochaines de l’être soumis au devenir. Mais cet être ne serait pas complètement expliqué si l’on s’en tenait à la considération de ses éléments. L’être qui devient ne trouve son explication dernière que dans un être éternel. — Déjà l’existence d’un Dieu se prouve d’une manière populaire, par la perfection graduelle des êtres, par la finalité qui règne dans la nature. Elle se prouve scientifiquement par l’analyse des conditions du mouvement. C’est ce qu’on appelle l’argument du premier moteur. Le mouvement, c’est le changement, c’est la relation de la matière à la forme. En ce sens, le mouvement du monde est éternel ; en effet, le temps est nécessairement éternel, et sans le mouvement ou changement le temps ne peut exister. Or, qui dit mouvement, dit par là même mobile et moteur. Donc, le mouvement, en tant qu’éternel, suppose un mobile éternel et un premier moteur immobile. Le mobile éternel se ment suivant un cercle ; c’est le premier ciel, le ciel des étoiles fixes. Le premier moteur immobile est ce qu’on appelle Dieu. Cette preuve peut être généralisée de la manière suivante. L’actuel est toujours avant le potentiel. Le premier, dans l’absolu, n’est pas le germe : mais l’être achevé. De plus, l’actuation ne saurait se réaliser si l’acte pur n’existait déjà. Dieu est cet acte pur. En somme, la démonstration de l’existence de Dieu se fonde sur ce double principe : 1o l’acte est, au point de vue de la nature absolue des choses, antérieur à la puissance ; 2o le conditionné suppose l’inconditionné. — Qu’est-ce que Dieu ? Sa nature se détermine par son rôle de premier moteur. Dieu est acte pur, c.-à-d. qu’il est exempt d’indétermination, d’imperfection, de changement. Il est immobile et immuable. Il est la pensée ayant pour objet la pensée et elle seule (ή νόησιζ νοήιωζ νοήσιζ). Il ne voit point le monde, car ne point voir les choses imparfaites est meilleur que de les voir : la dignité d’une intelligence se mesure à la perfection de son objet. Il est vie éternelle et excellente, et par là il est souverainement heureux. À cette pensée qui se pense est suspendu le monde, comme une pensée qui ne se pense pas et qui tend à se penser. Voici comment Dieu meut le monde. Ce qui est désiré et pensé meut sans se mouvoir soi-même. C’est l’intelligible qui détermine l’intelligence, non l’intelligence qui détermine l’intelligible. Or, Dieu est le suprême désirable et le suprême intelligible. Dieu meut donc le monde comme cause finale, sans se mouvoir lui-même. Dieu n’est pas le dernier produit du développement du monde, il est logiquement antérieur au monde. Et il n’est pas immanent au monde, comme l’ordre est immanent à une armée : il est hors du monde, comme le général est distinct de son armée. — Le produit immédiat de l’action divine, c’est le mouvement rotatoire de l’ensemble de l’univers, d’où résultent les mouvements ou changements des choses périssables. Le monde est un parce que Dieu est un. Parce que Dieu est intelligent, le monde est un tout harmonieux, un poème bien composé. Tout y est ordonné en vue d’une seule fin. Le rapport des êtres au tout y est d’autant plus étroit que


ces êtres sont plus haut placés dans l’échelle de la nature, comme, dans une maison bien ordonnée, les actions des hommes libres sont plus réglées que celles des esclaves. Dieu, pour qui le monde est comme s’il n’existait pas, n’intervient pas dans le détail de ses événements. Cette théologie est un monothéisme abstrait. Tous les êtres et tous les faits de la nature sont ramenés entièrement à des causes naturelles. Ce n’est que la nature prise dans son ensemble qui est suspendue à la divinité, il n’y a ni providence spéciale, ni rémunération surnaturelle dans une autre vie. De la religion populaire, Aristote n’admet comme vraie que la croyance générale à une divinité et à la nature divine du ciel et des étoiles. Le reste ne consiste, selon lui, que dans des additions mythiques, dont le philosophe trouve l’explication, soit dans la tendance des hommes aux conceptions anthropomorphiques, soit dans les calculs des politiques.

IX. Physique générale (Source : la Physique). — La philosophie première avait pour objet l’être immobile et incorporel ; la physique ou philosophie seconde a pour objet l’être mobile et corporel, en tant que celui-ci a en lui même le principe de son mouvement. La φύσιζ c’est le mouvement spontané, par opposition au mouvement qui résulte de la contrainte. La nature existe-t-elle comme telle ? Y a-t-il dans l’univers un principe interne de mouvement, une tendance à une fin ? C’est, selon Aristote, le principe fondamental de la physique, que Dieu et la nature ne font rien en vain, que la nature tend toujours vers le meilleur, qu’elle fait toujours, autant qu’il lui est possible, ce qui doit être le plus beau. L’existence de la finalité dans l’univers est prouvée par l’observation. Dans les plus petites choses comme dans les plus grandes, si nous y prenons garde, il y a une raison, il y a de la perfection et du divin. La nature fait tourner au bien ses imperfections mêmes. Mais si l’ordre et l’harmonie existent dans l’univers, s’ensuit-il que l’univers soit le produit d’une φύσιζ, ou puissance créatrice divine ? N’y a-t-il pas, de cet ordre et de cette harmonie, une autre explication possible ? Qui, par exemple, nous empêche de dire : « Jupiter ne fait pas pleuvoir pour nourrir les graines, mais les graines germent parce qu’il pleut. La nécessité fait pleuvoir ; et, ce phénomène ayant lieu, le froment en profite. De même, la nécessité fait les organes des animaux, et ceux-ci s’en servent. Là où tout a l’air de se produire en vue d’une fin, il n’y a en réalité que des choses qui survivent, parce qu’elles se sont trouvées constituées par le hasard d’une manière conforme à leurs conditions d’existence. Et les choses qui ne se trouvaient pas ainsi constituées ont péri et périssent, comme Empédocle dit qu’il est arrivé à ses bœufs à face humaine. » Vaine explication, répond Aristote. Car les organes des animaux et la plupart des êtres que la nature présente à nos regards sont ce qu’ils sont, ou dans tous les cas, ou au moins dans la majorité des cas. Or, il n’en est jamais ainsi pour les choses que produit le hasard : les rencontres heureuses n’y sont jamais que des exceptions. Mais, dira-t-on, il existe des monstres. Les monstres ne sont que des œuvres manquées, effets d’un effort impuissant pour réaliser le type harmonieux. La nature peut se tromper comme l’art, à cause de l’obstacle que lui oppose la matière même sur laquelle elle travaille. Dira-t-on enfin qu’on ne voit pas le moteur délibérer et choisir ? Peu importe, car l’art non plus ne délibère pas : il agit d’une manière intelligente, sans se rendre compte de ce qu’il fait. Donc, la nature est une cause, et une cause agissant en vue d’une fin. Mais il faut reconnaître qu’elle n’est pas la seule cause de l’univers. Son action n’est possible que grâce à la coopération de la cause matérielle ou mécanique, laquelle, tout en cédant à son attrait, ne se laisse jamais soumettre entièrement. À côté de la finalité, il y a donc partout dans l’univers une part de nécessité brute et de hasard. C’est pourquoi, d’un côté, l’emploi du principe du meilleur est légitime dans l’explication des choses de la nature ; mais, d’un autre côté, les choses de la nature ne peuvent jamais être l’objet d’une science parfaite, où tout serait entièrement déterminé pour l’intelligence. La science de la nature est toujours imparfaite par quelque endroit, et elle comporte des degrés, comme les parties de la nature elle-même. D’après ces principes, la cause des choses naturelles se trouve, soit dans leur matière, soit dans leur forme ou destination. Et l’explication téléologique doit, autant que possible, compléter l’explication mécanique, laquelle, si achevée qu’elle soit, laisse les choses indéterminées aux yeux de la raison. Telle est la méthode que va suivre Aristote dans ses recherches sur les choses naturelles.

Le mouvement ou changement est la réalisation d’un possible. Il y a quatre espèces de changements : 1° le changement substantiel, consistant à naître et à périr. C’est le mouvement qui du non-être relatif va à l’être, et de celui-ci à celui-là. Il n’y a point de génération et de destruction absolues. Les individus seuls naissent et meurent : les genres demeurent ; 2° le changement quantitatif : c’est l’augmentation ou la diminution ; 3° le changement qualitatif ou passage d’une substance à une autre ; 4° le changement spatial, ou déplacement. Tous les modes de changement sont conditionnés par le mouvement dans l’espace. Aristote fait de ce mouvement une étude approfondie. Aux arguments des Eléates contre la possibilité du mouvement, il oppose cette doctrine, que l’infini n’existe qu’en puissance, non en acte. L’infini ne consiste que dans la possibilité d’un accroissement indéfini des nombres et dans la divisibilité indéfinie des grandeurs ; il ne peut être donné. Donc, quand on raisonne sur le réel, on ne doit supposer que des quantités finies. En ce qui concerne l’espace, Aristote étudie la nature du lieu. Le lieu d’un corps n’est pas quelque chose en soi, c’est la limite intérieure du corps ambiant. C’est comme un vase immobile où le corps serait contenu. Par suite, tous les corps, ne sont pas dans un lieu, mais ceux-là seuls qui sont enfermés dans d’autres corps. Le ciel, contenant universel, n’est pas lui-même dans un lieu. L’espace, ou plutôt l’étendue du monde, est limitée. Le temps est le nombre du mouvement par rapport à l’avant et à l’après. Il est illimité dans les deux sens. Le continu est la caractéristique du temps et de l’espace. Il est divisible à l’infini, mais en grandeurs continues elles-mêmes, et non, comme le supposait Zenon, en points indivisibles. Toute grandeur est divisible en grandeurs. Le continu est d’ailleurs une notion imparfaite, relative aux choses sensibles. Car il est divisible à l’infini, et par conséquent indéterminé quant au nombre de ses éléments. De ces principes, Aristote conclut qu’en dehors du monde il n’y a ni espace ni temps, que le vide des atomistes est inconcevable, que tout mouvement se produit dans le plein, par substitution, et que le temps, qui est un nombre, suppose, comme tout nombre, une âme qui en compte les unités. Le mouvement dans l’espace, condition de tous les autres, est le seul qui soit continu. Et le mouvement circulaire est le seul qui puisse être à la fois un et continu, sans commencement ni fin. Aristote ne pense pas qu’on puisse expliquer tous les changements par le seul mouvement dans l’espace. Il tient les qualités pour des réalités, et admet, comme irréductible au mouvement dans l’espace, un changement qualitatif. Il constitue cette théorie en opposition avec le mécanisme de Démocrite et le mathématisme de Platon. Contre ces doctrines il élève deux objections : 1° Démocrite et Platon réduisent les grandeurs en points indivisibles : or, toute grandeur est divisible à l’infini ; 2° il est impossible, de quelque manière qu’on s’y prenne, de faire sortir la qualité de la quantité pure. C’est pourquoi Aristote pose en principe la distinction qualitative des substances. Et, comme il y a une nature qualitative, il y a de même une transformation qualitative. Une substance, sous l’influence d’une autre, se modifie dans son intérieur. Ce phénomène n’est possible que là où deux corps sont, en partie semblables, en partie dissemblables, c.-à-d. là où deux subs-


tances sont opposées l’une à l’autre au sein d’un même genre. Et cette relation d’une substance avec une autre n’est pas un mélange mécanique, où des éléments simples demeureraient identiques dans le changement du composé ; c’est la formation d’une substance nouvelle, autre dans son fond que la précédente. Entre la substance donnée et la substance résultant du changement qualitatif, il y a le rapport de la puissance à l’acte.

X. Mathématiques. — Les mathématiques considèrent les rapports de grandeur, la quantité et le continu, en faisant abstraction des autres qualités physiques. Elles traitent ainsi des choses qui sont immobiles sans exister à part, essences intermédiaires entre le monde et Dieu. Le mathématicien isole par abstraction, dans les choses sensibles, la forme de la matière. La mathématique est pure ou appliquée. La géométrie et l’arithmétique constituent la mathématique pure. La mathématique peut être appliquée, soit aux arts pratiques, ex. : la géodésie ; soit aux sciences naturelles, ex. : l’optique, la mécanique, l’harmonique, l’astrologie. Dans ce dernier cas, la question de fait est l’affaire du physicien, le pourquoi est l’affaire du mathématicien. La mathématique fait usage des notions du bon et du beau, parce que l’ordre, la symétrie, la détermination, objets mathématiques par excellence, comptent parmi les éléments les plus importants du bon et du beau. — Les ouvrages mathématiques d’Aristote ne nous ont pas été conservés. Il avait composé notamment un traité de mathématique, un traité de l’unité, un traité d’optique, un traité d’astronomie. Dans les ouvrages que nous possédons il donne souvent des exemples tirés des mathématiques.

XI. Cosmologie (Sources : De cœlo ; De generat. et corrupt. ; Meteorologica). — De l’éternité de la forme et de la matière suit la perpétuité du mouvement, et aussi celle de l’existence du monde. Les espèces elles-mêmes sont éternelles, et il y a toujours eu des hommes. Les individus seuls naissent et meurent. Le monde étant éternel, la science du monde n’est plus une cosmogonie, mais une cosmologie. Aristote n’a plus à expliquer la formation, mais seulement le système de l’univers. Le monde est un, fini et bien ordonné. C’est une œuvre d’art. Il est beau et bon autant que le permet la résistance de l’élément matériel. Il a une forme parfaite, la seule d’ailleurs qui rende possible le mouvement de l’ensemble sans vide hors de lui : la forme sphérique. Il se compose de deux moitiés inégales : 1° le monde supralunaire ou céleste : c’est la voûte à laquelle sont attachées les étoiles fixes ; 2° le monde infra-lunaire ou terrestre. — Le monde céleste est animé d’un mouvement de rotation qui est produit directement par Dieu. La nature impérissable des étoiles et la régularité immuable de leurs mouvements prouvent qu’elles diffèrent quant à la matière des choses terrestres, qui sont soumises à un changement perpétuel. La matière des étoiles est l’éther, ou cinquième élément (quinte essence), le corps sans contraire et par suite incorruptible, n’admettant d’autre changement que le changement de lieu, ni d’autre mouvement que le mouvement circulaire. Les autres éléments, au contraire, matière des corps terrestres, sont corruptibles et comportent le mouvement de bas en haut et de haut en bas, c.-à-d. du centre à la circonférence et de la circonférence au centre. Le ciel des étoiles fixes est le séjour de l’être et de la vie parfaite, de l’ordre inaltérable. Les étoiles sont des êtres exempts de vieillesse, qui mènent une vie bienheureuse, en exerçant sans fatigue une activité éternelle. Elles sont bien plus divines que l’homme. Nos aïeux ont eu une intuition vague de la vérité quand ils ont considéré les étoiles comme des dieux. — En dedans du ciel des étoiles fixes est la région des planètes, parmi lesquelles Aristote compte, outre les cinq planètes que connaissaient les anciens, le soleil et la lune. Au milieu du monde est la terre, de forme sphérique. Le ciel des planètes est fait d’une substance de moins en moins pure, à mesure qu’il s’éloigne davantage du ciel des étoiles fixes. A la différence du premier ciel, qui est une sphère unique portant toutes les étoiles, le ciel des planètes se compose d’une multiplicité de sphères ; car les mouvements des planètes, relativement irréguliers, supposent une multiplicité de moteurs dont les actions se combinent entre elles. Les êtres autres que les astres fixes sont faits des quatre éléments. Chaque élément a son mouvement propre, qui est la marche rectiligne vers son lieu naturel. De là le poids et la légèreté. Le poids est la tendance de chaque corps à suivre sa direction propre. Il n’est pas possible de dire, avec Démocrite, que tout mouvement résulte purement et simplement d’un choc, et ainsi à l’infini. Il faut s’arrêter dans la régression, du moins sans l’ordre logique. Le mouvement né de la contrainte suppose le mouvement spontané. — Le propre de l’élément terrestre est de se porter vers le centre. De là la situation de la terre, immobile au centre de l’univers. La terre est sphérique. Ses éléments sont entre eux dans une double opposition, de poids et de qualité. D’une part, ils sont lourds ou légers ; d’autre part ils sont chauds ou froids, secs ou humides. Il résulte de cette opposition que les éléments de la terre se changent constamment les uns dans les autres. La chaleur et la lumière sont engendrées par le frottement que fait subir à l’air l’extrême vitesse des sphères célestes. À cause de l’inclinaison de l’écliptique, la production de la lumière et de la chaleur a lieu dans une mesure ditférente aux différentes régions de la terre et aux différentes époques de l’année. C’est l’origine du circulus de la génération et de la destruction, cette image de l’éternité dans la nature périssable. L’action va de la périphérie au centre, le ciel des fixes étant comme la forme suprême, la terre comme la matière infime. Par l’action réciproque des deux puissances actives, qui sont le chaud et le froid, et des deux puissances passives, qui sont l’humidité et le sec, se forment les différents corps minéraux et corps organisés. Les êtres terrestres forment une hiérarchie, depuis l’être le plus voisin de la matière brute jusqu’à l’homme masculin. Chaque forme inférieure est la base des formes supérieures, chaque forme supérieure est l’achèvement relatif des formes inférieures. Les principaux degrés de la hiérarchie sont représentés par les corps sans vie, les plantes, les animaux et l’homme.

XII. Astronomie (Sources : De Cœlo ; Métaph., XII, 8). — Aristote s’est beaucoup occupé d’astronomie. Simplicius nous dit, d’après Porphyre, que, en vue de ses études dans cette science, Aristote reçut de Callisthène les observations astronomiques faites par les Chaldéens à Babylone, notamment des observations remontant à 1900 ans avant Alexandre. Aristote lui-même nous dit qu’il utilisa les observations, remontant à une haute antiquité, des Egyptiens et des Babyloniens. Il avait écrit un Άστρνομικόν, qui est perdu. — Tous les êtres célestes, selon Aristote, sont sphériques. Le premier ciel, ou ciel des étoiles fixes, est une sphère. Les planètes sont mues par des sphères ; la terre est sphérique. Tout mouvement simple est un mouvement de rotation autour d’un axe. Le ciel des fixes n’a qu’un mouvement. Le ciel des planètes (Saturne, Jupiter, Mars, Vénus, Mercure, Soleil, Lune), en a plusieurs pour chaque planète. La terre n’a pas de mouvement. Aristote paraît être l’auteur de la doctrine de la sphéricité de la terre, comme de la juste explication des phases de la lune. Il travailla, en commun avec l’astronome Callippe, à compléter et à rectifier la théorie des sphères d’Eudoxe, qui était le premier astronome du temps, et la théorie de Callippe lui-même. Voici le résumé de sa théorie. Il faut, dit Aristote avec Platon, lequel suivait en cela Eudoxe et Callippe, admettre, et le nombre de sphères, et, pour ces sphères, le mode de mouvement nécessaire pour expliquer, sans autres éléments que des mouvements rotatoires uniformes, les révolutions des planètes, telles qu’elles se manifestent à l’observation. En posant ainsi le problème, Eudoxe arrivait à supposer vingt-six sphères, Callippe trente-trois. Aristote admet le chiffre de Callippe. Mais comme, dans sa philosophie, les sphères extérieures sont aux intérieures ce que la forme est à la matière, il lui faut ajouter des sphères antagonistes, pour que chaque sphère extérieure n’imprime pas son mouvement à toutes les sphères qui lui sont intérieures, comme fait la sphère des étoiles fixes, il y a donc, pour chaque planète, autant de sphères antagonistes qu’il en faut pour annuler l’action des sphères planétaires extérieures. Ces sphères supplémentaires sont au nombre de vingt-deux, lesquelles, ajoutées aux trente-trois de Callippe, font cinquante-cinq sphères. Que si l’on estime que le soleil et la lune, très éloignés des autres planètes, n’ont pas besoin de sphères antagonistes, le nombre total des sphères sera réduit à quarante-sept. Voilà, dit Aristote, ce qui est vraisemblable. Quant au nécessaire, nous en laissons l’affirmation à plus hardi que nous. À chacune de ces sphères le mouvement doit être communiqué, comme au premier ciel, par une substance incorporelle, un esprit, un dieu. Les astres, fin des mouvements des sphères, en sont d’ailleurs, par là même, les causes véritables. Les astres sont ainsi des êtres animés, raisonnables, supérieurs à l’homme.

XIII. Météorologie (Source : Meteorologica). — La météorologie avait été beaucoup cultivée depuis Thales. Aristote a profité des travaux de ses devanciers, mais il a fait aussi des recherches originales dans l’esprit de sa propre philosophie. Les phénomènes météorologiques résultent, selon lui, de l’action des quatre éléments les uns sur les autres. Conformément à la nature de ces éléments, les résultats de leur action mutuelle sont moins déterminés, obéissent à des lois moins rigoureuses que les phénomènes qui se produisent dans le premier élément ou éther. C’est pourquoi Aristote cherche pour les météores des explications principalement empiriques et mécaniques. Il fait jouer un rôle prépondérant à la chaleur. Il explique à ce point de vue les comètes, la voie lactée, les nuages, les brouillards, les vents, les rapports des mers et des continents, la formation de la mer ; et ses explications témoignent souvent d’une observation exacte et d’un raisonnement habile. Les vents, par exemple, sont expliqués par les exhalaisons qui traversent l’atmosphère et la chaleur du soleil. Les tremblements de terre sont dus à l’action de gaz souterrains. L’arc-en-ciel n’est qu’un phénomène de réflexion : les gouttelettes des nuages font, à l’égard de la lumière du soleil, l’office de miroirs. Ces recherches sont toutes théoriques : Aristote ne songe pas à en tirer partie pour la prédiction des phénomènes.

XIV. Minéralogie (Sources : Meteorologica, IV. Voir aussi les quelques indications qui nous restent sur l’ouvrage perdu περί μετάλλων, lequel était peut-être d’Aristote, mais plus vraisemblablement de Théophraste). — Les minéraux sont les corps homogènes qui demeurent tels, et ne s’organisent pas en individus composés de parties différentes. Ces corps sont formés par le froid et la chaleur, combinant ou désagrégeant, en tant que propriétés actives, l’humide et le sec, qui jouent le rôle de propriétés passives.

XV. Biologie générale (Sources : Historia animalium ; De partibus animalium ; De generatione animaiium ; De anima ; les Parva naturalia, notamment De longitudine et brevitate vitæ. Le De plantis n’est sans doute pas d’Aristote, mais il est né de son enseignement. Aristote cite aussi son traité d’Anatomie, ouvrage perdu : c’étaient des descriptions avec figures anatomiques). — La biologie est une partie considérable de l’œuvre scientifique d’Aristote. Sans doute il a pu utiliser maints travaux de ses devanciers, notamment de Démocrite, mais il les a tellement dépassés qu’il apparaît comme le véritable créateur de la biologie chez les Grecs. Il procède avant tout par observation, la détermination des phénomènes devant précéder la recherche des causes. À l’observation pure et simple, il paraît avoir joint la dissection. Il va de l’anatomie à la physiologie ; et il appuie, d’une manière générale, la biologie sur la physique, en lui donnant pour base la connaissance des quatre éléments. Il a abordé, non seulement tous les problèmes concevables fie son temps, mais presque tous ceux qui préoccupent la science moderne. Les solutions qu’il présente sont en général soigneusement démontrées ; et ses raisonnements sont corrects et ingénieux, étant donnés les faits alors connus. Souvent aussi, il faut le dire, ses explications sont arbitraires ou trop abstraites ; parfois même Aristote paraît accorder à de simples légendes la valeur d’une démonstration. — La vie est un mouvement. Or tout mouvement suppose, et une forme qui meut, et une matière qui est mue. La forme est l’âme, la matière est le corps. Ni l’âme n’est corps, ni elle n’est sans corps. L’âme meut sans se mouvoir, elle est immobile, et non, comme le voulait Platon, automotrice. Comme forme du corps, elle en est le but ; le corps n’est que l’instrument de l’âme, et sa structure se règle sur cette destination. Aristote définit proprement l’âme l’entéléchie première d’un corps physique organique. Cela veut dire que l’âme est la force permanente qui meut le corps et détermine sa constitution. Il est naturel que la finalité de la nature apparaisse dans les êtres vivants plus clairement que partout ailleurs, parce que, chez eux, tout est, dès le point de départ, calculé en vue de l’âme. Mais, comme la forme ne triomphe de la résistance de la matière que peu à peu, la vie psychique a des degrés, lesquels sont essentiellement au nombre de trois : la nutritivité, la sensibilité, l’intelligence. La nutritivité est la qualité fondamentale des êtres vivants. C’est d’elle que procèdent le développement vital et la mort. Elle existe chez les plantes comme chez les animaux. Ceux-ci ont en plus la sensibilité. L’homme, animal supérieur, a la nutritivité, la sensibilité et l’intelligence. — La biologie aristotélicienne traite principalement des animaux. Le corps des animaux est fait de substances homœomères, lesquelles sont un mélange des substances élémentaires. La matière immédiate de l’âme est le πνεύμα, principe de la chaleur vitale, corps voisin de l’éther, avec lequel l’âme se transmet, dans la semence, du père à l’enfant. Le siège principal de la chaleur est l’organe central, lequel, chez les animaux qui ont du sang, est le cœur. Dans le cœur est cuit le sang, qui se forme des substances nutritives apportées par les veines ; et le sang, nourriture définitive, alimente et entretient le corps. Il devient chair, os, ongle, corne, etc. Le pouvoir nutritif des aliments ne vient pas de ce qu’ils contiendraient des particules de chair, d’os, de moelle, etc., lesquelles iraient directement s’unir aux substances semblables existant dans le corps ; mais c’est grâce à une suite de codions que l’aliment arrive à l’état où il pourra s’assimiler à l’organisme. Très précis sur l’assimilation, Aristote ne paraît pas avoir l’idée de la désassimilation.

XVI. Botanique. — Les ouvrages d’Aristote sur la botanique sont perdus, mais il a certainement donné l’impulsion aux études qui ont été faites sur les plantes dans son école ; et il paraît avoir grandement contribué à la création de la botanique scientifique.

XVII. Anatomie et physiologie animales. — Il y a lieu de distinguer l’anatomie et la physiologie générales et l’anatomie et la physiologie comparées.

1. Les parties de l’organisme sont de deux sortes : les parties homogènes, comme les tissus ; les parties hétérogènes, comme les organes. Les organes ont une fonction ; " exemple, la langue, la main. Les tissus ont des propriétés. Aristote étudie successivement les parties homogènes et les parties hétérogènes. Les parties homogènes sont :1° les veines, les os, les cartilages, les ongles, les poils, la corne, etc. ; 2° la graisse, le suif, le sang, la moelle, la chair, le lait, la liqueur séminale, les membranes. Les explications d’Aristote au sujet de ces parties sont très souvent finalistes, dérivant la nature de la fonction. Ainsi les incisives poussent, dit Aristote, avant les molaires, parce qu’il faut couper ou déchirer l’aliment pour être en mesure de le broyer. En ce qui concerne les parties hétérogènes, l’étude anatomique n’est pas séparée de l’étude physiologique. Le premier des organes


est le cœur. Aristote n’a point l’idée de la circulation telle que nous l’entendons aujourd’hui, ni de deux sortes de sang ; mais il admet que le sang se répand dans le corps par les veines comme par des canaux. Le cœur est le centre de l’être vivant, le siège de la formation du sang et la source de sa chaleur. Tous les animaux ont ou un cœur et du sang, ou des substituts de ces conditions premières de la vie. Les animaux que l’on peut diviser sans que les parties cessent tout de suite de vivre, ne sont pas des animaux simples, mais des agrégats d’animaux. Le degré d’unité mesure la perfection de l’être. Nul animal mutilé ne répare ses brèches comme la plante, où le principe de vie est dispersé dans l’être tout entier., Les autres parties hétérogènes sont : le diaphragme, les organes des sens, les organes du mouvement, l’encéphale, les poumons, les viscères abdominaux, les organes des sexes. Aristote s’étend longuement sur les sens. La sensation consiste à être mù, à éprouver quelque altération. Il y a deux sortes de sens : les sens médiats, qui agissent par l’intermédiaire de l’air : ce sont la vue, l’ouïe, l’odorat ; et les sens immédiats, qui agissent par contact : ce sont le toucher et le goût : ces derniers sont plus importants pour la conservation de l’individu. Les sens médiats apprécient, soit des différences dans la nature des objets, soit des distances : il faut ainsi distinguer leur finesse et leur portée. L’œil n’est pas un simple miroir ; la présence d’une image ne saurait suffire à produire la vision : il faut une propriété psychique qu’un simple miroir ne possède pas. Non seulement le fond de l’œil réfléchit l’image, mais il a la propriété de voir. L’ouïe est indirectement le plus intellectuel de tous les sens, puisqu’elle permet la communication des idées par le langage. La parole n’est qu’une suite des sons qui ont pénétré dans l’oreille : c’est un même mouvement qui se propage de l’oreille à la gorge. Le toucher diffère des autres sens en ce que ceux-ci ne nous fournissent que des oppositions d’un seul genre, tandis que le toucher nous donne le chaud et le froid, le sec et l’humide, le dur et le mou. En ce qui concerne le mouvement, Aristote n’en connaît d’autre organe que les tendons, qu’il appelle nerfs. Mais il en cherche le principe, non dans les membres eux-mêmes, mais dans un organe moteur central. Le principe du mouvement est le cœur, ou son analogue chez les animaux qui n’en ont pas. Les mouvements sont de deux sortes : volontaires et involontaires. Les mouvements du cœur, par exemple, sont de la deuxième sorte. De même que le cœur est un organe calorifique, de même l’encéphale et les poumons sont des organes réfrigérants. Parmi les organes abdominaux, Aristote étudie avec grand soin l’estomac, dont il donne des descriptions remarquablement exactes en ce qui concerne les ruminants et les oiseaux, et les organes des sexes, sur lesquels ses observations sont souvent très heureuses. Il recherche quelle part prennent les deux sexes à la production du nouvel être. Il s’attache aussi à la question de l’hérédité. Il repousse la pangenèse, suivant laquelle les parents fourniraient des germes qui leur ressemblent, par cette raison qu’il y a des produits qui ne ressemblent pas à leurs parents : témoin le vers, nés des papillons. Selon lui, les matériaux du nouvel être se forment à l’aide de substances différentes de ce qu’ils sont eux-mêmes. Il y a un liquide séminal mâle (le sperme), et un liquide séminal femelle (les menstrues). Du mélange de ces deux éléments, comme de l’union de la forme avec la matière, résulte le germe. De l’homme nait ainsi l’âme, et de la femme le corps de l’enfant qui résulte de leur union. La différence des sexes se ramène a une différence de degré. Chez la femme, l’aliment a subi une élaboration moins complète que chez l’homme, la puissance créatrice n’a pas achevé son œuvre. Aristote explique d’une manière analogue les cas de tératologie. Les monstruosités ne sont que des dissemblances plus ou moins grandes, résultant de l’excès ou du défaut. Elles s’écartent du cours ordinaire des choses, mais elles ont leur base dans les forces naturelles. Aristote a traité dans le même esprit de l’embryogénie. Interprétant, suivant les principes de sa philosophie, les résultats de ses délicates observations, il admet que le développement du germe est un raccourci du progrès général de la vie dans la nature. La vie du germe est d’abord comparable à celle des végétaux ; puis l’embryon est dans un état comparable au sommeil, mais à un sommeil sans réveil. Le fœtus devient animal quand il acquiert le sentiment. Alors seulement il est capable du sommeil véritable. L’ordre suivant lequel apparaissent les organes est déterminé par leur utilité et par la part qu’ils ont dans la formation des autres organes. Le cœur est ainsi l’organe qui se développe le premier.

2. On trouve chez Aristote beaucoup d’aphorismes et de considérations biologiques ressortissant à ce que nous appelons anatomie et physiologie comparées. 1o  Il étudie soigneusement les ressemblances et les différences organiques. Les organes peuvent se ressembler par la figure. Des organes en apparence différents peuvent n’être que les développements plus ou moins complets d’un seul et même type, de telle sorte que l’excès ou le défaut fasse au fond toute la différence. Il peut y avoir ressemblance par analogie : ainsi la plume est à l’oiseau ce que l’écaille est au poisson. Même rapport entre les os et les arêtes, entre les ongles et les cornes, etc. Des espèces différentes peuvent présenter les mêmes organes diversement situés. Des organes différents peuvent remplir la même fonction. 2o  Aristote détermine un grand nombre de corrélations organiques. Par exemple : tous les animaux ont du sang, ou un équivalent du sang. Les animaux sans pieds, à deux pieds ou à quatre pieds ont du sang ; tous ceux qui ont plus de quatre pieds ont de la lymphe. Il y a chez les ruminants corrélation entre la présence de cornes et l’absence de canines. Les mouvements latéraux de la mâchoire inférieure n’existent que chez les animaux qui broient leur nourriture. Tous les animaux véritablement vivipares respirent dans l’air, etc. 3o  La loi de la division du travail est nettement formulée. La nature, dit Aristote, emploie toujours, si rien ne l’en empêche, deux organes spéciaux pour deux fonctions différentes. Quand cela ne se peut, elle se sert du même instrument pour plusieurs usages ; mais il est mieux qu’un même organe ne serve pas à plusieurs fonctions. 4o  Les influences du milieu sont indiquées comme contribuant à déterminer les formes animales. Ainsi dans les climats chauds, dit Aristote, ce sont surtout les animaux froids par nature, tels que les serpents, les lézards, les bêtes à écailles, qui prennent des dimensions considérables. 5o  Aristote a étudié aussi la relation du physique au moral, ou physiognomonie. Vraisemblablement les Physiognomonica ne sont pas authentiques, mais ils procèdent sans doute de son enseignement. Dans l’Histoire des animaux, nous le voyons chercher à quelles différences morales correspondent les différences physiques dans le visage de l’homme. 6o  Les espèces proprement dites sont stables et séparées les unes des autres. Mais à côté de l’absolu, Aristote admet l’existence du contingent. Il y a donc un certain jeu dans la nature, et les formes et facultés organiques comportent une variabilité restreinte. Une différence insignifiante en apparence dans de petites parties peut suffire à produire des différences considérables dans l’ensemble du corps de l’animal. Ainsi, par la castration, on ne retranche qu’une petite partie du corps de l’animal ; néanmoins ce retranchement change sa nature et le rapproche de l’autre sexe. Quand l’être est à l’état embryonnaire, une différence très petite fera de lui un mâle ou une femelle. C’est de la disposition différente de petites parties que résulte la différence d’animal terrestre et d’animal aquatique. En somme, selon Aristote, il y a dans la nature unité de composition et continuité progressive. L’homme lui-même, qui, selon notre connaissance, occupe le haut de l’échelle, n’est, au point de vue physique, séparé des animaux que par des différences de plus ou de moins. D’un règne à l’autre le passage est insensible. Ainsi l’on trouve


dans la mer des êtres qui paraissent intermédiaires entre les animaux et les plantes ; par exemple, les éponges. Les types principaux, et comme les étapes du développement, n’en sont pas moins exactement déterminés et irréductibles entre eux.

XVIII. Zoologie. — Aristote a été le premier zoologiste classificateur. À vrai dire, il ne paraît pas avoir eu l’intention de constituer une classification zoologique : ses essais de classification ne se présentent que comme des exemples. Il n’a pas non plus nettement distribué les animaux en une hiérarchie de genres et d’espèces : il se borne à la délimitation des groupes principaux. Mais il a bien vu que le critérium de l’espèce se tire de la reproduction, de l’interfécondité. Il ne considère comme étant de même espèce que les animaux descendus de parents communs. Sa classification vise à être naturelle, c.-à-d. qu’elle tend à mettre ensemble les animaux qui ont entre eux des ressemblances fondamentales. L’effort d’Aristote, ici comme partout, tend à distinguer l’essence de l’accident. La première division est celle des animaux qui ont du sang (ce sont nos vertébrés), et des animaux qui n’ont pas de sang (ce sont nos invertébrés). La division des animaux sanguins est fondée principalement sur l’embryogénie et sur la considération de l’élément qu’habitent les animaux. Les animaux sanguins se divisent en : vivipares vrais, ovovivipares et ovipares. Les animaux qui n’ont pas de sang se divisent en mollusques (correspondant à nos céphalopodes), crustacées, testacés (correspondant à nos mollusques, à l’exception des céphalopodes), et insectes. Dans la description des espèces, dont il mentionne environ 400, Aristote fait preuve de connaissances très étendues. Il traite notamment du moral des bêtes. Ainsi il appelle les abeilles, les sages. En ce qui concerne l’origine première de l’homme et des autres animaux sanguins, il se demande s’ils procèdent d’une sorte de scolex (espèce de ver) ou d’un œuf parfait, dans lequel une portion seulement devient le germe en se développant aux dépens du reste. Il considère la production spontanée d’un œuf parfait comme peu vraisemblable, parce que nous ne voyons jamais se réaliser une telle production. Les testacés et les vers, au contraire, naissent spontanément.

XIX. Psychologie (Source : De anima). — Ce qui différencie l’homme des autres animaux, c’est le νούζ, qui chez lui s’unit à l’âme animale. Il a des facultés qui lui sont communes avec les animaux, et des facultés qui lui sont propres. En commun avec les animaux, l’homme a la sensation et les facultés qui en dérivent. La sensation est le changement qui est produit dans l’âme par l’objet sensible, comme par un contraire, au moyen du corps, et qui consiste en ce que la forme de l’objet senti est communiquée au sujet sentant. La sensation est ainsi l’acte commun du sensible et du sentant. Chaque sens nous renseigne exclusivement sur les propriétés des choses auxquelles il se rapporte spécialement ; et ce qu’il nous dit de ces propriétés est toujours vrai. Les propriétés générales sont connues par le sensorium commune, où se réunissent toutes les impressions sensibles. C’est aussi là que les sensations sont comparées et rapportées aux objets commes causes et à nous-mêmes comme sujets conscients. L’organe du sensorium commune est le cœur. Ses données peuvent être vraies ou fausses. La sensation est la base de la vie psychique animale. Elle est capable, au double point de vue théorique et pratique, d’un développement qui donne naissance à plusieurs autres facultés. Quand le mouvement dans l’organe du sens se maintient au delà de la durée de la sensation, se propage à l’organe central, et, arrivé là, provoque une nouvelle apparition de l’image sensible, c’est l’imagination. Les produits de cette faculté peuvent être vrais ou faux. Si une image est reconnue comme la reproduction d’une perception passée, c’est la mémoire. Aristote joint à l’étude de ces facultés des recherches sur la nature du sommeil, de la mort et des rêves au point de vue psychologique. Considérée au point de vue pratique du bon et du mauvais, la sensation comporte un développement parallèle. Par cela seul qu’un animal est doué de sensation, il est capable de plaisir et de douleur. Quand son activité se déploie sans obstacle, c’est le plaisir ; dans le cas contraire, la douleur. Plaisir et douleur sont, en définitive, chez les êtres qui en sont pleinement capables, des jugement sur la valeur des choses. Les êtres capables de plaisir et de douleur ont, en conséquence, le désir, lequel n’est que la recherche de ce qui est agréable. Ils ont de même les passions. Toutes ces fonctions appartiennent déjà aux animaux, quoiqu’elles ne soient réalisées parfaitement que chez l’homme. L’homme a en outre l’intelligence. Jusqu’ici nous avons assisté à un développement, à un progrès continu : entre l’âme animale et le νοῦς, au contraire, il y a solution de continuité. Le νοῦς est la connaissance des premiers principes. Il n’a pas de naissance, il est éternel. Il est exempt de passivité, il existe en acte. Il n’a pas d’organe. Il ne suit donc pas du développement de la sensation, il vient du dehors et il est séparable. Mais l’intelligence humaine n’est pas seulement ce νοῦς. Elle apprend ; elle connaît les choses périssables, les choses qui peuvent être ainsi ou autrement. Donc le νοῦς, en l’homme, se mélange avec l’âme : il y a une intelligence inférieure intermédiaire entre le νοῦς absolu et l’âme animale. Cette intelligence peut être appelée νοῦς παθητικός, intelligence passive. Ce vous inférieur est sujet, mais non objet ; son objet, ce sont les choses périssables. Il dépend du corps et périt avec lui. De cette intelligence il y a des rudiments chez les bêtes, par exemple, chez les abeilles ; mais elle n’existe pleinement que chez l’homme. Le νοῦς παθητικός a deux sortes de fonctions : des fonctions théoriques et des fonctions pratiques. Considéré au point de vue théorique, le νοῦς παθητικός, à l’origine, n’est νοῦς qu’en puissance. C’est une table rase sur laquelle rien n’est encore écrit. Le νοῦς παθητικός ne pense qu’à l’aide des images, et sous l’influence du νοῦς supérieur. Sous cette influence, il dégage de la sensation le général qui y est contenu, et que la sensation n’atteint que par accident : il se détermine peu à peu grâce à ces essences générales. Mais la science parfaite n’appartient qu’au νοῦς παθητικός ou νοῦς supérieur, lequel procède a priori, en partant des causes. Le νοῦς dans son usage pratique, n’a pas de principes propres : cet usage ne consiste que dans l’application immédiate des idées théoriques. Cette application a lieu de deux manières : 1o  par la production (ποιεῖν) ; 2o  par l’action (πραττεῖν). À propos de l’action, Aristote donne une théorie de la volonté d’où elle procède. La volonté est la combinaison de l’intelligence et du désir. En tant que désir, elle pose des fins à réaliser ; en tant qu’intelligence, elle détermine les moyens qui correspondent à ces fins. Les objets de la volonté sont déterminés par rapport à deux fins principales : le bien et le possible. À l’existence de la volonté est lié le libre arbitre. Dans les êtres sans raison, le désir ne peut naître que de la sensation. Dans l’homme, il peut être engendré soit par la sensation, soit par la raison. Quand il est engendré par la sensation, c’est l’appétit ; quand il est engendré par la raison, c’est la volonté. Entre l’appétit et la volonté se tient le libre arbitre, ou faculté de se déterminer par soi-même. Vertu et vice dépendent de nous ; nous sommes le principe de nos actions. La réalité du libre arbitre est prouvée par l’imputabilité morale, que supposent la législation, la louange et le blâme, l’exhortation et la défense. L’essence du libre arbitre, c’est la spontanéité, et plus précisément cette spontanéité qui est la préférence ; car les enfants et les bêtes ont la spontanéité : l’homme seul est vraiment libre, parce que seul il est capable de choisir.

XX. Morale (Source : Éthique à Nicomaque). — Chez les êtres dépourvus d’intelligence, les fins sont atteintes immédiatement et nécessairement. L’homme a une fin plus relevée, qui ne se réalise pas par le seul jeu des forces naturelles, mais par l’action de sa liberté. Il s’agit de savoir comment il doit organiser sa vie pour réaliser l’idée de l’homme, pour agir suivant son essence propre et non sous l’influence de la nécessité ou du hasard. De là l’idée de la philosophie pratique ou philosophie des choses humaines. Cette philosophie recherche la fin et les moyens de l’activité propre à l’homme. La philosophie pratique comprend trois parties correspondant aux trois sphères d’action qui s’offrent à l’homme. Ces trois parties sont ; l’éthique, ou règle de la vie individuelle ; l’économique, ou règle de la vie de famille ; et la politique, ou règle de la vie sociale. Selon l’ordre chronologique, l’éthique précède l’économique qui précède elle-même la politique. Selon l’ordre de la nature et de la perfection, le rapport est inverse. La politique en effet est l’achèvement de l’économique, qui elle-même détermine l’activité humaine avec plus de précision que l’éthique pure et simple. Nous commencerons par l’éthique ou morale. La morale se divise en morale générale et morale particulière. — 1. Chez Aristote, la morale n’est pas avec la physique dans le même rapport que chez Platon. Le bien n’est pas transcendant ; la nature n’est pas hostile ou purement passive en face de l’idéal. Comme la forme est en puissance dans la matière, ainsi la nature est disposée à la vertu, qui n’est que le développement normal des tendances naturelles. Sans doute nous ne naissons pas vertueux, mais nous tendons à le devenir : la culture et l’art sont l’achèvement de la nature. Il faut d’ailleurs distinguer entre le bien en soi et le bien pour l’homme. Le bien que considère la morale n’est pas le bien en soi, mais seulement le bien dans ses rapports avec la nature humaine. — Qu’est-ce que le bien moral ? Toute action ayant un but, il doit y avoir un but suprême, et ce but suprême ne peut être que le bien supérieur à tous les autres biens, le meilleur. Qu’est-ce que ce meilleur ? On s’accorde généralement à dire que c’est le bonheur, mais on n’est pas d’accord sur la définition du bonheur. Nous devons chercher en quoi il consiste véritablement. Pour tout être vivant le bien consiste dans la perfection ou pleine réalisation de l’activité qui lui est propre. Pour l’homme donc la félicité résidera dans la perfection de l’activité proprement humaine. Tel est le signe distinctif du bonheur véritable. Dès lors on ne peut placer ce bonheur, ni dans la jouissance sensible, qui est commune à l’homme et à l’animal, ni dans le plaisir, lequel n’est pas fin en soi, mais n’est poursuivi qu’en vue du bonheur, ni dans l’honneur, qui n’est pas en notre pouvoir et vient du dehors. Peut-être même la vertu seule ne donne-t-elle pas le bonheur, car on ne saurait appeler heureux un homme vertueux empêché d’agir et accablé de souffrances. Le bonheur consiste dans la constante activité de nos facultés proprement humaines, c.-à-d. intellectuelles. Le bonheur, c’est l’action guidée par la raison, au sein de circonstances favorables à cette action même. S’il en est ainsi, l’élément constitutif du bonheur est sans doute la vertu ou réalisation de la partie supérieure de notre âme : la vertu remplit à l’égard du bonheur le rôle de forme et de principe. Mais le bonheur a en même temps pour matière ou condition la possession des biens extérieurs : santé, beauté, naissance, fortune, enfants, amis ; encore qu’il soit certain que les plus grands malheurs ne peuvent rendre l’homme vertueux véritablement misérable. Quant au plaisir, considéré comme fin, il n’est pas un élément intégrant du bonheur ; mais, attendu qu’il accompagne naturellement l’action, dont il est le complément, il est intimement lié à la vertu. Il s’ajoute à l’action comme à la jeunesse sa fleur. C’est la conscience de l’activité. La valeur du plaisir se mesure ainsi sur celle de l’activité qu’il accompagne. La vertu porte avec elle une satisfaction spéciale que possède nécessairement l’homme vertueux. Les plaisirs sont admissibles dans la mesure où ils découlent de la vertu ou se concilient avec elle. Quant aux plaisirs grossiers ou violents qui troublent l’âme, ils doivent cire rejetés. En un mot, le plaisir, comme résultat, non connue fin, est présent dans le bonheur. Enfin, le bonheur implique le loisir, qui est une condition de l’activité. Celle-ci en effet a besoin de relâche ; mais le loisir n’est pas la fin du travail, c’est le travail qui est la fin du loisir. Le loisir doit être consacré à l’art, à la science, de préférence à la philosophie. — 2. Qu’est-ce maintenant que la vertu, principe du bonheur, et quelles sont les vertus principales ? La vertu est une habitude caractérisée par la réalisation parfaite des puissances de l’homme. Or la nature humaine est double, intellectuelle et morale. La partie intellectuelle a pour objet le nécessaire, et est immobile ; la partie morale désire, agit, en tant qu’elle est en rapport avec le contingent. Il y a par suite deux sortes de vertus : les vertus dianoétiques ou intellectuelles, et les vertus éthiques ou morales. Les vertus dianoétiques sont les plus élevées ; elles ne s’acquièrent pas par un effort de la volonté, mais par l’instruction. La vertu qui donne la plus haute félicité est la science en contemplation. Elle est la plus noble des occupations de l’homme, parce que le vous qui en est l’organe est ce qu’il y a de plus divin. Elle est l’activité la plus désintéressée, celle qui fatigue le moins et admet le plus la continuité. Elle est la plus calme, celle qui se suffit le mieux à elle-même. C’est par la science que l’homme se rapproche le plus de la divinité. Il ne faut donc pas suivre les conseils de ceux qui veulent que l’on n’ait que des sentiments humains, parce qu’on est homme, et que l’on n’aspire qu’à la destinée d’une créature mortelle, parce qu’on est mortel. Nous devons nous appliquer autant qu’il est en nous à nous rendre dignes de l’immortalité. Mais la félicité suprême liée à la possession de la science parfaite n’est donnée à l’homme qu’à de rares instants. Ce qui lui convient véritablement, ce qui est proportionné à sa condition d’esprit uni à un corps, ce sont les vertus éthiques ou morales. La vertu éthique est une disposition ou habitude de l’âme, tendant à choisir en toutes choses le juste milieu qui convient à notre nature, et que détermine le jugement pratique de l’homme intelligent. C’est une habitude, une manière d’être de la volonté. Socrate, en en faisant une science, oubliait que, dans la question de la vertu, il ne s’agit pas de la connaissance des règles morales, mais de leur réalisation. Il faut, pour constituer la vertu, non seulement une détermination de la volonté, mais une manière d’être durable, une habitude. Toute vertu, de plus, est un milieu entre deux vices, milieu qui est d’ailleurs relatif à l’individu. Autre est la vertu d’un homme, autre celle d’une femme, ou d’un enfant ou d’un esclave. Il faut également tenir compte du temps et des circonstances. Le courage est en ce sens un milieu entre la témérité et la lâcheté ; la magnanimité est un milieu entre l’insolence et la bassesse, et ainsi de suite. Enfin, c’est l’homme de bien qui est la règle et la mesure du bien dans chaque cas particulier. Les règles en effet ne déterminent que le bien en général. Dans chaque cas qui se présente, il y a quelque chose de singulier qu’elles n’ont pu ni n’ont dû prévoir. Le jugement vivant et universel de l’homme d’élite supplée à leur insuffisance. — Aristote étudie en détail toutes les différentes vertus dianoétiques et morales. Les vertus dianoétiques sont toutes les habitudes parfaites de la partie intelligente de l’âme. Or l’intelligence a deux degrés : l’intelligence scientifique et l’intelligence logistique. Les vertus de l’intelligence scientifique sont : 1° le vou ;, qui connaît les principes des choses ; 2° la science, qui déduit de ces principes les vérités particulières. La réunion du vofiç et de la science constitue la sagesse (co ? t’a). Les vertus de l’intelligence logistique sont : 1° l’art ou capacité de produire en vue d’une fin ; 2° le jugement ou intelligence pratique. Les vertus morales sont aussi nombreuses qu’il y a de relations différentes dans la vie humaine. Ces relations étant en nombre indéterminé, il n’y a pas de liste complète possible des vertus morales ; à plus forte raison ces vertus ne sauraient-elles se réduire à un seul principe, comme chez Platon. Aristote étudie les vertus morales les plus importantes : ses dissertations sont très remarquables, pleines de fines observations de psychologue


et de moraliste. Ses analyses de la justice et de l’amitié méritent particulièrement d’être citées. La justice est, selon lui, le rétablissement de l’égalité proportionnelle ou vraie dans la vie sociale. L’équité est plus parfaite que la justice, parce que, tandis que celle-ci ne considère les actions qu’à un point de vue général et abstrait, l’équité tient compte de ce qu’il y a de propre à chaque action particulière. C’est un achèvement nécessaire de la justice, la loi ne pouvant prévoir tous les cas. C’est la justice concrète et actuelle, superposée à la justice abstraite et encore indéterminée. L’amitié est la suprême justice, une justice délicate et accomplie, où la règle aveugle et morte est entièrement remplacée par l’intelligence vivante de l’homme de bien. Il y a trois sources d’amitié : le plaisir, l’intérêt et la vertu. La vertu seule fait les amitiés stables.

XXI. Economique (Source : Ethique et Politique, 1er livre. Il existe sous le nom d’Aristote des Οίκονομικά qui ne sont sans doute pas authentiques). — L’homme, par la vie de famille, atteint un degré de perfection supérieur à celui que comporte la vie individuelle. La famille est une société naturelle. Elle comprend trois sortes de relations : la relation d’homme à femme, celles de parents à enfants, et celle de maître à esclave. Le rapport familial de l’homme à la femme est un rapport moral d’amitié et de services réciproques. La femme a sa volonté propre, sa vertu, qui n’est pas celle de l’homme : elle doit être traitée, non en esclave, mais en personne libre. Toutefois, la perfection de la femme étant moins grande que celle de l’homme, celui-ci doit avoir autorité sur elle. La famille est une aristocratie, ou communauté d’êtres libres chargés d’attributions différentes. La femme, libre compagne de l’homme, doit avoir dans la maison son domaine où l’homme ne s’ingère pas. Le rapport des parents aux enfants est un rapport de roi à sujets. Parents et enfants forment une monarchie. L’enfant n’a, vis-à-vis du père, aucun droit, car il est encore une partie du père ; mais le père a le devoir de veiller au bien de son enfant, car l’enfant a, lui aussi, sa volonté et sa vertu, bien qu’imparfaites. Le père doit communiquer sa perfection au fils, et le fils s’approprier la perfection du père. L’esclavage est de la part d’Aristote l’objet d’une étude particulière. Il en démontre la nécessité et la légitimité, et détermine la manière dont on doit traiter les esclaves. L’esclavage est nécessaire, car la maison a besoin d’ouvriers vivants intelligents. L’esclavage est légitime. En effet, étant donné. un être qui n’est propre qu’aux travaux corporels, cet être est la possession légitime de celui qui est capable des fonctions intellectuelles : le rapport du premier au second est celui de la matière à la forme. Or, un tel rapport existe, entait, entre les Barbares et les Grecs. Ainsi, l’homme libre est le propriétaire de l’esclave ; il n’en doit pas moins considérer que l’esclave est un homme, et le traiter comme tel.

XXII. Politique (Source : la Politique). — La Politique d’Aristote traite : 1° de l’Etat en général ; 2° des Constitutions. — 1. La politique est la fin et l’achèvement de l’économique, comme celle-ci est la fin prochaine de la morale. L’individu ne peut arriver par lui-même à la vertu et au bonheur. Or dans la nature même de l’homme git le penchant à la vie sociale. Ce genre de vie, qui est pour l’homme une condition d’existence, est aussi un moyen de perfectionnement moral. La politique, qui trace l’idéal et les règles relatifs à la communauté humaine, est ainsi étroitement liée à la morale : elle est le tout dont la morale et l’économique sont les parties, l’acte dont elles sont la puissance. Politique est le vrai nom de toute science pratique. La philosophie doit tracer l’idéal de la politique ; mais, de même que la morale, dans l’application, tient compte des individus, ainsi la politique appliquée tiendra compte des circonstances. — Comment se forme l a société politique ? Selon l’ordre du temps, la première société qui se forme est la famille. Puis, se produit l’union de plusieurs familles, ou xoSp]. L’Etat, ou cité (-oÀ-. ;). vient enfin ; c’est la plus haute des sociétés. Tel est l’ordre chronologique ; mais, au point de vue de la nature, l’État est avant les individus, la famille et le village, comme le tout est avant les parties : celles-ci ont dans celui-là leur cause finale et leur réalisation la plus haute. La fin de l’État est la plus élevée qui se puisse concevoir, puisque l’État est la plus parfaite expression du penchant social. Cette fin ne peut être ni la simple satisfaction des besoins physiques, ni l’acquisition de la richesse, ni le commerce, ni même la protection des citoyens par les lois. Cette fin doit être le bonheur des citoyens. L’État a pour mission de veiller à ce que les citoyens possèdent, d’abord les biens intérieurs ou la vertu, ensuite les biens extérieurs. L’État achève le progrès de la nature humaine s’élevant de la puissance à l’acte. Bien qu’il soit ainsi d’accord avec Platon, quant au but final de la politique, Aristote n’en est pas moins amené à critiquer son maître en ce qui concerne les droits et les devoirs de l’État. Il combat la doctrine platonicienne de la plus grande unité possible de l’État, d’où résultait la nécessité de lui sacrifier la propriété et la famille. L’unité n’appartient qu’à l’individu. Déjà la famille n’est plus une unité. La cité est, par nature, une pluralité, et une pluralité hétérogène. Les théories platoniciennes de la propriété et de la famille sont inadmissibles. Non seulement elles sont inapplicables, mais elles méconnaissent, et la tendance de la nature, et l’intérêt de l’État. La propriété et la famille ne sont pas choses artificielles, mais objets de tendances naturelles. De plus, elles sont utiles à l’État, à qui elles procurent des avantages qu’il ne pourrait réaliser par d’autres moyens. L’État doit donc réglementer la propriété et la famille, non les anéantir. Sans doute, dans la pratique, Aristote se rapproche bien souvent de Platon, qu’il combat en théorie ; mais ce serait exagérer que de dire qu’il n’y a presque pas de différence entre la politique platonicienne et la politique aristotélicienne. La part faite à la nature imprime à cette dernière une direction tout autre. — Voici les principales dispositions de la politique aristotélicienne. Comme le souverain bien réside dans le loisir intellectuel, les professions utiles sont incompatibles avec le titre de citoyen : agriculteurs, commerçants, ouvriers ne peuvent être citoyens. C’est là du moins l’idéal. L’État a, vis-à-vis des citoyens, le rôle d’un éducateur. Il travaille à régler leurs actions. Le pire des États est celui qui laisse chacun vivre comme il lui plaitt L’État règle l’âge et la saison de la procréation, fixe 15 chiffre de la population, ordonne l’avortement pour les grossesses qui conduiraient à dépasser ce chiffre, et l’exposition pour les enfants estropiés. L’éducation doit être publique et commune. Elle doit constamment avoir en vue l’intelligence dans les soins qu’elle donne à la sensibilité* et l’âme dans les soins qu’elle donne au corps. Elle comprend la grammaire, la gymnastique, la musique et le dessin. Elle vise en toutes choses à former les habitudes morales de l’enfant. Elle est essentiellement libérale : les sciences et les arts qui ont un caractère mécanique et utilitaire sont exclus. La vertu de l’État c’est la justice, c.-à-d. l’ordre en vertu duquel chacun a, dans l’État, la place et la condition qui lui conviennent, chacun est investi de la fonction qu’il est capable et digne de remplir.

2. Le principe général qui règle les constitutions, c’est que la réalisation de la fin de l’État suppose deux choses : les lois et le magistrat. Le vrai souverain, le seul, c’est la raison, c’est l’ordre. Mais ce souverain est invisible. La raison est donc, dans la pratique, représentée par les lois. Mais les lois sont nécessairement énoncées dans des formules générales. Or, si compréhensive que soit une formule, elle laisse nécessairement échapper à travers ses mailles une infinité de cas particuliers. De là la nécessité du magistrat. Il est souverain, là où la loi n’a rien pu disposer, par suite de l’impossibilité où l’on est de préciser tous les détails dans des règlements généraux. — En ce qui concerne la forme du gouvernement, Aristote, n’en pose pas, comme Platon, une seule comme bonne, toutes les autres comme mauvaises. Il dit que les constitutions doivent se régler sur le caractère et les besoins des peuples pour qui elles sont faites, que la plus mauvaise en soi peut être la meilleure dans certains cas. Et il examine les moyens de tirer le meilleur parti des mauvais gouvernements quand ils sont seuls possibles. C’est sous ces réserves qu’il classe les formes de gouvernement. Il y a trois sortes de gouvernements, d’après le nombre des gouvernants : le pouvoir peut être entre les mains, soit d’un seul, soit de plusieurs, soit du plus grand nombre. Chacun de ces gouvernements a deux formes, l’une juste, l’autre corrompue, selon que les gouvernants ont en vue l’intérêt général ou leur intérêt propre. Aristote donne aux formes justes les noms de royauté, aristocratie, politie ; aux formes corrompues, les noms de tyrannie, oligarchie, démocratie. La meilleure forme de gouvernement est une république réunissant l’ordre et la liberté. C’est une aristocratie. Tous les citoyens sont admis à prendre part aux fonctions publiques ; mais ne sont citoyens que ceux qui, par leur situation et par leur culture, sont aptes à remplir les devoirs civiques. Tout travail corporel, notamment l’exercice de l’agriculture et de l’industrie, doit être accompli par des esclaves ou des métèques. Au-dessous de] cette forme idéale de gouvernement sont des formes moins parfaites, et néanmoins légitimes, selon les circonstances. La plus pratique dans les conditions ordinaires est une république tempérée, tenant le milieu entre la démocratie et l’oligarchie. La démocratie est caractérisée par la liberté et l’égalité et par ce fait que le gouvernement est entre les mains de la majorité des hommes libres et des pauvres. Dans l’oligarchie, le gouvernement appartient à la minorité des riches et des nobles. La république tempérée donne le pouvoir à la classe moyenne. Elle est l’équivalent politique de la vertu morale, laquelle est un milieu entre deux extrêmes. Il est clair que les idées politiques d’Aristote ne sont souvent que la mise en théorie des faits qu’il a sous les yeux, mais ce serait exagérer que de n’y pas voir autre chose. Si les moyens qu’il préconise sont souvent empruntés à une expérience forcément restreinte, les fins qu’il assigne sont déterminées par la raison et la philosophie ; et la politique d’Aristote fournit aujourd’hui encore des enseignements aux hommes d’État, comme des documents aux historiens.

XXIII. Rhétorique (Source : Rhétorique). — En rhétorique, Aristote n’a pas eu, nous dit-il, à créer. Cet te science avait été développée avant lui par Tisias, Thrasymaque, Théodore, et beaucoup d’autres. Mais ces auteurs restaient enfermés dans le particulier et ne dépassaient pas le point de vue empirique. C’est à Aristote qu’appartient l’idée d’une rhétorique scientifique, et particulièrement la détermination d’un rapport étroit entre la rhétorique et la logique. Platon avait cherché, mais sans y réussir, à fonder ? la rhétorique sur la science. Aristote, grâce à ses théories logiques, trouve dans la dialectique, distinguée de l’apodictique, le fonds mime de la rhétorique. La rhétorique est l’application de la dialectique aux fins de la politique, c.-à-d. à certaines fins pratiques. La dialectique est logiquement antérieure à la rhétorique:elle est le tout dont la rhétorique n’est qu’une partie. Selon l’ordre du temps, la rhétorique est antérieure à la dialectique; mais, selon l’ordre de la science, c’est l’inverse qui est vrai. La rhétorique enseigne à persuader par des raisons vraisemblables. La partie essentielle de la rhétorique est ainsi la doctrine des moyens oratoires. Ces moyens sont de trois sortes: 1o Ceux qui se rapportent à l’objet ; u 2o ceux qui se rapportent à l’orateur ; 3o ceux qui se rapportent à l’auditeur. Le premiers consistent à faire apparaître ses affirmations comme vraies. Ils reposent sur la preuve. La preuve est ainsi l’élément principal de la rhétorique; c’est aussi celui sur lequel Aristote insiste le plus. Comme la dialectique prouve par syllogisme et induction, ainsi la rhétorique prouve par enthymème ou démonstration imparfaite, et exemple ou induction imparfaite. Il n’y a rien, pour ainsi dire, en dehors de ces deux arguments. L’enthymème est un syllogisme où l’on raisonne d’après des vraisemblances ou des signes. L’exemple consiste comme l’induction à juger d’une chose par d’autres choses particulières semblables à celle qui est en question ; mais l’exemple ne va pas de la partie au tout ; il ne va que de la partie à la partie. La rhétorique détermine les points de vue d’où se tirent les enthymèmes et les exemples : cette détermination est l’objet de la topique oratoire. Aristote distingue trois genres de discours : le délibératif, le judiciaire et l’épidictique ; et il trace les règles propres à chaque genre. Tels sont les moyens oratoires relatifs à l’objet. En ce qui concerne l’orateur, son rôle est de faire en sorte qu’on le considère comme doué d’intelligence, de probité et de bienveillance. Enfin, les moyens relatifs à l’auditeur consistent à savoir exciter et calmer les passions. Aristote insiste longuement sur cette partie et y déploie une psychologie très fine. Il fait une étude intéressante de l’influence qu’ont les âges et les situations sur le caractère et les dispositions. À la suite de ces théories qui constituent le fonds de la rhétorique viennent des études sur l’élocution et la disposition qui dénotent une connaissance approfondie de la question, et beaucoup de justesse et de sagacité.

XXIV. Esthétique (Source : Poétique). — Aristote distinguait trois parties de la philosophie : la partie théorique, la partie pratique, et la partie poétique ou relative à l’art. Il n’a pas traité de cette dernière avec développement. Il n’en est pas moins, par les indications et les exemples qu’il fournit, le fondateur de l’esthétique. L’esthétique aristotélicienne part moins du concept du beau que de celui de l’art ; une théorie du beau y est toutefois esquissée. Les caractères essentiels du beau sont la coordination, la symétrie et la précision. La manifestation sensible n’est pas un élément essentiel du beau, car c’est surtout dans les sciences mathématiques qu’il se trouve réalisé. Le beau réside dans le général. La poésie, qui porte sur le général, est plus philosophique, plus sérieuse et plus belle que l’histoire, qui porte sur le particulier. Avec Platon, Aristote place l’essence de l’art dans l’imitation. L’art résulte du penchant de l’homme à l’imitation et du plaisir qu’elle lui procure. Ce que l’homme imite, c’est la nature, c.-à-d., selon la philosophie aristotélicienne, non pas seulement l’apparence extérieure, mais l’essence interne, idéale des choses. L’art peut représenter les choses telles qu’elles sont ou telles qu’elles doivent être. La représentation est d’autant plus belle que l’artiste a mieux su achever, dans le sens de la nature même, l’œuvre que celle-ci laisse nécessairement incomplète. Tout art tend à représenter le général et le nécessaire. Cela est vrai même de la poésie comique, dont le vrai but est la représentation des caractères. Les arts comportent plus d’un genre d’utilité. Ils produisent le délassement, la culture morale, la jouissance intellectuelle, et cet effet particulier qu’Aristote appelle purgation (xxOapatç). La purgation est le propre des arts les plus élevés, notamment de la poésie sérieuse. Qu’est-ce que cette fameuse purgation ? Ce n’est pas précisément une amélioration morale, mais la suppression d’une passion qui domine et trouble l’àme, par le moyen d’un traitement homéopathique. Il importe d’ailleurs de remarquer que toute excitation à la passion n’est pas capable de produire cet effet curatif. L’excitation salutaire, c’est celle qui procède de l’art, celle qui est soumise à une mesure et à une loi, et qui, agrandissant l’objet des passions, détache celles-ci des circonstances de la vie individuelle, pour les appliquer à la destinée commune à tous les hommes. Aristote ne donne pas de classification systématique des arts. Les plus élevés sont la poésie et la musique.

XXV. Poétique. — Ce qui nous reste de la Poétique d’Aristote se borne, presque à l’étude de la tragédie. Mais Aristote avait traité de la poétique d’une manière complète. — La poésie est née du penchant a l’imitation. Une tragédie est l’imitation d’une action sérieuse et complète,


d’une certaine étendue, en un beau langage, sous forme dramatique et non narrative,’imitation qui excite la terreur et la pitié, et qui, par là, purge l’âme de ces mêmes passions. Le poète tragique nous présente, dans ses héros et dans leur destinée, des types généraux de la nature et de la vie humaine. Il nous montre des lois immuables dominant et réglant les événements en apparence accidentels. De là l’efficacité de la tragédie pour purger l’âme de ses passions. La partie la plus importante de la tragédie est l’action. L’action doit être naturelle. Non que l’auteur doive dire ce qui est arrivé, mais il doit montrer ce qui aurait pu arriver, ce qui est possible, soit d’après les lois de la vraisemblance, soit d’après celles de la nécessité. L’action doit être une et complète. Il doit être impossible de déranger ou de retrancher une partie quelconque de l’ouvrage sans disjoindre et altérer l’ensemble. Car ce qui peut, dans un tout, être ajouté ou retranché sans qu’il y paraisse, ne fait pas partie du tout. L’unité d’action est la seule dont Aristote fasse une règle. De l’unité de lieu, il ne parle pas. Quant à l’unité de temps, il se borne à constater que la tragédie s’efforce en général de renfermer l’action dans un seul jour ou de ne dépasser que de peu cette durée. Il détermine les règles relatives aux parties de l’action, aux caractères, lesquels doivent être plus achevés et plus beaux qu’ils ne sont dans la réalité, à la composition, à l’élocution. Comparant la tragédie à l’épopée, il donne l’avantage à la première, parce qu’elle a une unité plus rigoureuse, une unité fermée, tandis que l’épopée comporte des parties dont chacune pourrait faire une tragédie.

XXVI. Grammaire (Sources : De interprétatione, chap. ier ; Rhétorique ; Poétique, chap. xx-xxi). — Aristote était considéré dans l’antiquité comme le fondateur de la grammaire et de la critique. Il avait écrit, pour l’explication et la critique des poètes, des ouvrages qui sont perdus. Les indications relatives à la grammaire que nous possédons ne sont pas données pour elles-mêmes, mais à propos d’autre chose : elles n’en ont pas moins une grande importance en ce qui concerne la formation de la science grammaticale. Aristote s’est occupé de grammaire avec son esprit d’observation habituel ; mais la théorie du langage était alors dans l’enfance. De là le vague et l’obscurité que présentent souvent ses assertions. Aristote admet trois parties du discours : le nom, le verbe et la conjonction. Le verbe et le nom sont soumis à la flexion. Les noms se divisent en masculins, féminins et neutres. Les mots sont plutôt fondés sur un accord des hommes entre eux que sur la nature. Par suite, dans leur formation, c’est moins le principe de l’analogie que l’arbitraire qui domine.

XXVII. Discours et Poésies. — On cite d’Aristote plusieurs discours, entre autres un Xdyoç Sixavixdçou plaidoyer dans lequel il se défend contre l’accusation d’impiété, un éloge de Platon, un panégyrique d’Alexandre ; mais l’authenticité de ces ouvrages est très contestée. Il avait composé aussi des poésies, dont il nous reste, parmi des fragments d’un authenticité très douteuse, quelques parties authentiques. Le plus important de ces spécimens est une scolie en l’honneur d’Hermias d’Atarne, sous la forme d’un hymme à la vertu, à laquelle, pareils aux anciens héros de la Grèce, Hermias a sacrifié sa vie. Mentionnons aussi quelques distiques d’une élégie à Eudème, en l’honneur de Platon. Voici la scolie en l’honneur d’Hermias : « Vertu, objet de labeur pour le genre humain, prix suprême de la vie ! pour toi, vierge, pour ta beauté, les Grecs sont prêts à affronter la mort, à supporter des travaux terribles, infinis. Tant est beau le fruit que tu fais naître dans le cœur, fruit immortel, qui vaut mieux que l’or, et que la noblesse, et que le sommeil au doux regard ! Pour toi. le fils de Zeus, Hercule, et les fils de Léda supportèrent beaucoup d’épreuves, nobles chasseurs poursuivant ta puissance. Par amour pour toi, Achille et Ajax entrèrent dans la demeure d’Hadès. C’est toi, c’est toi toujours qu’aimait, lui aussi, le fils d’Atarne ; et c’est pour ta beauté qu’il a privé ses yeux de la lumière du soleil. C’est pourquoi il est chanté pour ses belles actions ; et les Muses grandiront son nom et le feront immortel, les Muses, filles de Mnémosyne, qui honorent la majesté de Jupiter hospitalier et la gloire d’une amitié fidèle. »

XXYIII. Lettres. — Les lettres d’Aristote sont célébrées par Démétrius et par d’autres auteurs comme des modèles de style épistolaire. Selon Simplicius, le style de ces lettres unissait la clarté à la grâce, à un point que n’atteignait aucun écrivain connu. Diogène mentionne des lettres à Philippe, les lettres des Sélybriens, quatre lettres à Alexandre, neuf à Antipater, et des lettres à Mentor, à Ariston, à Philoxène, à Démocrite, etc. Les fragments qui nous restent étant en général inauthentiques, nous ne pouvons juger par nous-mêmes du contenu et de la forme des lettres d’Aristote.

XXIX. Aristote écrivain. — Aristote se sert de la langue attique écrite de son temps. Mais la multitude d’idées nouvelles qu’il se propose d’exprimer exerce sur la forme qu’il emploie une influence profonde. La considération des choses dans leur individualité, la distinction précise des domaines scientifiques, l’effort pour arriver à des concepts dégagés de tout élément sensible, se reflètent dans la langue et dans le style d’Aristote. De même que l’analyse logique d’Aristote ne s’arrête dans son travail que lorsqu’elle a saisi les dernières différences, les différences spécifiques, de même, dans la langue d’Aristote, les synonymes apparents se distinguent et se définissent rigoureusement. Pour définir les termes, Aristote avait deux moyens : déterminer scientifiquement la signification des mots traditionnels, et créer des termes nouveaux. Il a usé de ces deux méthodes, mais en faisant prédominer la première. Il part le plus souvent d’un terme usuel ; et, tantôt restreignant, tantôt étendant la signification de ce terme, il en fait l’expression exacte d’un concept logique. Mais, en bien des points, le langage traditionnel présentait des lacunes. Pour les combler, Aristote a créé des mots, en cherchant toutefois le plus possible un point d’appui dans la tradition elle-même. Grâce à la perfection de la terminologie qu’il a ainsi constituée, il a été le véritable fondateur de la langue scientifique universelle. — Voici des exemples d’expressions créées par Aristote : àoiat’psio ; (individu) ; aîxc ï^Oat tô iv âpyjj (pétition de principe) ; âjxsaos (immédiat) ; àvaXofftî (analyse) ; avoiJ.oiop.Eprj ; (hétérogène) ; àviicpamç (contradiction) ; <x-o8si-/.Tiy.d ; (démonstratif), àjtôoaçiç (affirmation) ; yevtxdç (générique) ; ôY/oTop. ;a (dichotomie) ; Eiweeipoidç (empirique) ; èvavtidTT) ; (opposition) ; éve’pyeia (énergie) ; iwzr^ (unité) ; ivisléy^ia. (entéléchie) ; ëÇwcepi /o’ç (exotérique) ; È7ïa-/.T(/.d ; (inductif) ; Itepo’xT) ? (altérité) ; -//Jr/.ô ; (morale) ; 0eoXoyu7J (théologie) ; xaTîjyopixdî (catégorique ) ; Xoyixo’ç (logique) ; opyavtxôç (organique) , etc.

— Parmi les termes dont Aristote s’est borné à déterminer scientifiquement la signification, on peut citer : àvTiOeai ; (antithèse) ; à^w(xa (axiome) ; Ivavii’o ; (contraire) ; ivimàpYÊtv (être immanent) ; èîiaywyr,’ (induction) ; È’aya-cov (dernier) ; loiov (propre) ; aup&ex>i%6i (accident) ; auXXoyiÇeaOat (raisonner) ; ffuveyrf ? (continu) ; auve^sia (continuité ) ; aûvoXov (tout) ; uXr] (matière) ; 6jtoxeip.evov (substrat) ; etc. — Voici enfin quelques exemples de la distinction des concepts par analyse et opposition : ye’vo ; (genre) et eÏBoç (espèce) ; xévtjoiî (mouvement) et Ivs’pyEia (acte) ; àvrlyaoïç (contradiction) et êvavtfev (opposition) ; tcoieîv (fabriquer) et Jtpdtrcstv (agir) ; oûva ;x ;ç (puissance) et evépysta (acte) ; èsayojyrf (induction) et <rjXXoyia ;j.dç (déduction ) ; oiain (essence) et auu.G^ri/.oTa (accidents) ; SiaXexTixo’î (dialectique) et à7ïo5eixTixds (démonstratif) ; jtpdrepov trj epuorst. (antérieur en soi) et npOrepov Tipô ; î]|j.Sç (antérieur à notre point de vue).

Le style d’Aristote n’est pas moins personnel que sa langue. Les anciens vantaient son abondance et son etaarme ; son discours, ditCicéron, s’écoulait en Ilots d’or. Ces éloges, évidemment, s’adressent à ses dialogues, à ses ouvrages publiés. Dans ses ouvrages didactiques, les seuls que nous possédions, on remarque l’exactitude avec laquelle sont définis les concepts, une précision et une brièveté inimitables, une rigueur et une fixité dans l’acception des mots qui rappellent le langage mathématique. En un mot, le style d’Aristote se distingue par une exacte appropriation delà forme au contenu. Mais bien souvent, surtout dans ceux de ses ouvrages qui ne sont qu’ébauchés, Aristote écrit avec sécheresse et négligence. Non seulement les phrases ne sont pas ordonnées en périodes, mais les anacoluthes et les parenthèses y abondent, au grand détriment de la clarté. Parfois aussi, au milieu de ces dissertations abstraites se trouvent des passages qui ne manquent pas d’élan et d’éloquence. Telle est la fin du chapitre vu du livre X de l’Ethique à Nicomaque : « Certes, entre les actions vertueuses, celles du politique ou de l’homme de guerre l’emportent sur les autres en beauté et en grandeur ; mais elles ne comportent pas le loisir, et elles ont leurfin hors d’ellesmêmes. Au contraire, l’action de la raison, déjà plus sérieuse en ce qu’elle est toute spéculative, n’a d’autre fin qu’elle-même, et porte avec elle un bonheur parfait et spécial qui accroît encore l’énergie de l’intelligence. Cette action se suffit à elle-même, elle admet le loisir, et elle est exempte de fatigue, autant que le permet la nature humaine : elle réunit toutes les conditions du bonheur. C’est donc cette action qui constituera pour l’homme le bonheur parlait, si du moins elle remplit une vie d’une durée complète : car rien d’imparfait ne saurait entrer dans le bonheur. Une telle vie serait plus belle que ne le comporte la nature humaine ; car si l’homme peut vivre ainsi, ce n’est pas en tant qu’il est homme, mais en tant qu’il y a en lui quelque chose de divin. Et, autant cette partie divine surpasse en excellence l’être composé d’âme et de corps, autant son action l’emporte sur les autres vertus. Si donc la raison est quelque chose de divin par rapport à l’homme, la vie remplie par l’action de la raison est divine en comparaison de la vie humaine. Et ainsi nous ne devons pas, comme on nous le conseille, n’avoir que des pensées humaines parce que nous sommes hommes, et n’avoir que des pensées mortelles parce que nous sommes mortels ; mais nous devons, autant qu’il est possible, nous faire immortels, et nous efforcer en toutes choses de vivre par la partie de nous-mêaie qui est la plus excellente. Car si ce genre de vie ne peut tenir qu’une petite place dans notre existence terrestre, par sa grandeur et sa dignité il est au-dessus de tout. »

XXX. Influence d’Aristote. — L’enseignement d’Aristote donna tout d’abord naissance à l’école péripatéticienne, qui fleurit pendant deux ou trois siècles et dont les principaux représentants sont : Théophraste de Lesbos (372 ?— 287 ?), Eudême de Rhodes (iv e siècle), Aristoxène de Tarcnte (né vers 350), surnommé le Musicien, Dicéarque de Messine (fl. 320) et Straton de Lampsaque (11. 287). Critolaus, qui fit partie de l’ambassade envoyée à Rome, en 156, par laquelle la philosophie fut introduite dans le monde romain, était un philosophe péripatéticien. L’école se distingua par ses recherches minutieuses en logique, en morale et dans les sciences de la nature ; mais la tendance naturaliste y prévalut de plus en plus sur la tendance métaphysique. Straton alla jusqu’à identifier la divinité avec la cpûai ; qui agit inconsciemment dans le monde, et jusqu’à substituer à la téléologie aristotélicienne une explication toute mécanique des choses, fondée sur les propriétés du chaud et du froid. Avec la publication des œuvres d’Aristote par Andronicus de Rhodes, vers 70 av. J.-C, commença la série des nombreux interprètes et commentateurs du Stagirite, parmi lesquels on remarque Roéthus de Sidon (i Gr siècle av. J.-C.), Nicolas de Damas (i er siècle av. J.-C.), Alexandre d’Aphrodisias en Cilicie (iu° siècle ap. J.-C), surnommé l’Exégète par excellence (Kar’ èîjoyfjv), le néoplatonicien Porphyre de Batanée (ni 6 siècle), Thémistius de Paphlagonie (iv c siècle), Phiiopon d’Alexandrie (vi°et vu siècles), Simplicius, do Cilicie (vi ft siècle). Si l’école péripatéticienne ne se compose guère que de disciples peu métaphysiciens ou de commentateurs purement érudits, les doctrines du maître restent du moins très vivantes et fécondes dans des pliilosophies qui ne procèdent pas de lui, mais qui lui doivent en grande partie leur étendue et leur profondeur. Le principe des stoïciens, intermédiaire entre la puissance et l’acte, caractérisé par la tension, immanent à toutes choses, intelligent et cause finale suprême, parait bien n’être que la yiaiq d’Aristote, dans laquelle on absorberait le voC ;. Par sa distinction précise du mécanisme et de la finalité, de l’ordre physique et de l’ordre métaphysique des choses, du hasard et de l’action intelligente, Aristote a rendu possible l’épicurisme, lequel semble s’être constitué en grande partie avec les doctrines qu’Aristote définissait ou créait pour les réfuter. Le néoplatonisme lui-même, dans sa doctrine du vouç, doit beaucoup à Aristote. Les néoplatoniciens s’efforçaient de concilier Platon et Aristote ; et Plotin soutenait que sa doctrine de l’un transcendant d’où émane le vou ; était la conséquence nécessaire de la doctrine aristotélicienne. — Après avoir soutenu jusqu’à ses derniers moments la philosophie antique, l’aristotélisme, en s’incarnant dans les croyances du moyen âge, les transforma en doctrines philosophiques. Ce fut principalement sous l’influence d’Aristote que se développa, dans cette période de mysticisme religieux, l’esprit de logique et de spéculation rationnelle. Les écrits d’Aristote ne pénétrèrent que tardivement et indirectement dans le monde occidental. Jusque vers le milieu du xu e siècle, on ne connut que de faibles parties de VOrganon, savoir les Catégories etVHermeneia, dans la traduction latine de Boôce. C’était, avecrEîaayarpi de Porphyre et le Timée de Platon, à peu près tout ce qu’on possédait de l’antiquité philosophique. De 1130 à 1210 environ parurent les autres ouvrages d’Aristote sous forme de version latine de traductions arabes, faites elles-mêmes au ix e siècle par des Syriens chrétiens, d’après des traductions syriaques. Peu après (xin° siècle), le texte grec lui-même fut communiqué aux savants de l’Occident, notamment par des Grecs de Constantinople ; et la traduction immédiate en latin se substitua aux traductions indirectes. Robert Greathead, Albert le Grand et saint Thomas travaillèrent particulièrement à cette épuration de la traduction latine. Chose étrange et qui montre combien l’intelligence de l’homme est à la merci de sa volonté, les esprits les plus divers trouvèrent dans Aristote un point d’appui rationnel pour leurs croyances et leurs aspirations. Rien de plus un en apparence que le moyen âge, puisque tout le monde s’y réclame d’Aristote, mais il y a autant d’Aristotes que de philosophes. Il y a même des Aristotes qui n’ont plus que le nom de commun avec le Stagirite. C’est de YOrganon aristotélicien qu’est née la fameuse querelle des universaux qui dure du ix e siècle à la fin du xi e. En même temps se développent chez les Arabes et chez les Juifs, en possession de tous les écrits du maître, des systèmes complets de philosophie aristotélicienne. Les Arabes, monothéistes et naturalistes, sont séduits par la doctrine d’Aristote sur Dieu et par ses recherches en histoire naturelle. Averroès, de Cordoue (1126-1)8), se croit pur aristotélicien quand il soutient que l’Entendement actif est une émanation de Dieu, qu’il est un pour tous les hommes et seul immortel. Le juif Moïse Maïmonide, de Cordoue (1135-1204), concilie sans difficulté avec l’aristotélisme la création de la matière et les miracles. L’époque la plus brillante de la scolastique chrétienne est en même temps celle de l’apogée de l’autorité d’Aristote. Après s’être défié un moment de ses doctrines physiques, où l’on a cru voir professée l’éternité du monde et du temps, on prend, dès 1230 environ, l’ensemble des écrits d’Aristote pour texte des leçons de philosophie. Aristote est l’expression de la lumière naturelle, comme les vérités de foi sont l’expression de la lumière surnaturelle. La raison n’embrasse pas la foi, mais elle y conduit. Aristote, représentant de la raison, est le précurseur du Christ dans les choses de la nature comme saint Jean-Baptiste est son précurseur dans les choses de la grâce. Et l’aristotélisme, ainsi défini, circonscrit et subordonné, devient l’origine de ce qu’on a appelé dans la suite le déisme et la religion naturelle. A cette époque, on y trouve tout ce qu’exige la théologie. Il ne peut démontrer la vérité des dogmes, mais, à leur égard, il réfute les objections et présente des raisons vraisemblables. Il fournit, en particulier, une théorie de la forme substantielle comme distincte de la matière et des formes accidentelles, qui rend concevable la transsubstantiation sous la permanence des espèces sensibles dans l’Eucharistie. Si l’aristotélisme assure l’orthodoxie, il n’est pas moins propice aux dissidents. Amaury de Chartres et David de Dinant (xu e et xui ô siècles) tirent du côté du panthéisme, en identifiant Dieu, l’un avec la forme, l’autre avec le matière universelle. Et les mystiques allemands, comme Théodoric de Fribourg (xiii 9 et xiv e siècles) et maître Eckhart (xiu 9 et xiv e siècles), présentent leur doctrine de l’union substantielle de l’âme avec la divinité comme le développement de la théorie aristotélicienne du vou ; noir^t/o’;. Enfin, Aristote, au moyen âge, n’est pas seulement le maître des philosophes : sous son patronage se mettent également ceux qui, à l’encontre de l’Eglise et de la philosophie d’alors, prétendent surprendre et enchainer les forces mystérieuses de la nature. Pour ces réprouvés, Aristote est un magicien. On lui attribue des traités d’Alchimie sur la philosophie occulte des Egyptiens. On le met, avec Platon, en tête de la liste des alchimistes œcuméniques. Les alchimistes se nomment les nouveaux commentateurs de Platon et d’Aristote. Ainsi, Aristote, au moyen âge, est partout un excitateur des esprits et une autorité ; mais son œuvre la plus considérable est sans contredit la constitution de cette philosophie chrétienne si complète, si précise, si logique, si fortement établie dans ses moindres détails, qu’elle semblait créée pour l’éternité. Elle a fait loi dans les collèges de l’Université en France jusqu’au xvm 9 siècle. En 1624, la Sorbonne défendait à peine de vie de rien enseigner contre les anciens. En 1671, les professeurs sont encore invités à respecter le péripatétisme sous peine d’exclusion. Au commencement du xvm e siècle, l’aristotélisme scolastique cède la place aux idées nouvelles. — Ce n’est pas de la raison qu’est venue la première attaque vraiment meurtrière, c’est de la foi. Luther non seulement remarqua les différences importantes qui séparaient la philosophie aristotélicienne du christianisme, mais surtout il jugea impie de chercher un accord entre la foi donnée par Dieu et la raison corrompue par le péché. Œuvre de l’homme, la philosophie aristotélicienne, avec sa prétention à traiter des choses divines, ne pouvait être qu’erreur et sacrilège ; à se concilier avec elle, la religion ne pouvait que s’altérer et se dénaturer. Aristote était un maître d’hérésies : le salut de la religion était dans l’absolue extinction de ses doctrines.

— Combattu au nom de la religion, l’aristotélisme, malgré la brillante restauration qu’il dut à des érudits de la Renaissance, tels que Pomponace, Scaliger, Vanini, Gennade, ( îeorges de Trébizonde, ne tarda pas à être également battu en brèche au nom de la science et delà philosophie. Bacon ne vit dans la méthode aristotélicienne que la déduction prenant son point de départ dans l’opinion et dans le langage ; et dans la métaphysique aristotélicienne, il ne vit que la prétention d’expliquer les choses, non par des causes mécaniques, mais par des actions surnaturelles et divines. 11 condamna donc la philosophie d’Aristote comme contraire aux conditions de la science, laquelle cherche des explications mécaniques et procède par induction. Pour Descartes, l’aristotélisme fut la doctrine qui réalisait les qualités sensibles, et qui expliquait les phénomènes par ces entités chimériques. Idées obscures et stériles, ces abstractions ne pouvaient être les principes des choses. Au rebours d’Aristote, Descartes ramène la qualité à la quantité et non la quantité à la qualité. — Il semblait que la doctrine aristotélicienne eût définitivement vécu, lorsque Leibnitz la fit rentrer triomphalement dans la philosophie, en déclarant qu’il y avait dans la théorie des formes substantielles et de l’entéléchie, bien comprise, plus de vérité que dans toute la philosophie des modernes. Sur les traces d’Aristote, Leibnitz plaça la substance dans un principe d’action, fit descendre l’étendue et la matière au rang de phénomène, et concilia les causes finales avec les causes efficientes en faisant dépendre le mécanisme de la finalité. Depuis Leibnitz l’aristotélisme a conservé sa place dans la philosophie, il a joué notamment un rôle important dans la formation du système hégélien.

Si grande que soit sa place dans l’histoire, peut-on dire qu’Aristote est aujourd’hui encore un des maîtres de la pensée humaine ? — En ce qui concerne la philosophie proprement dite la chose ne paraît pas douteuse. Il semble même que l’aristotélisme réponde particulièrement aux préoccupations de notre époque. Les deux doctrines qui tiennent aujourd’hui la plus grande place dans le monde philosophique sont l’idéalisme kantien et l’évolutionisme. Or le système d’Aristote peut être mis sans désavantage en face de ces deux doctrines. Il est opposé au kantisme. Kant rejette précisément la dépendance de l’esprit à l’égard de l’être, la valeur ontologique attribuée aux lois de l’esprit, l’inconditionné théorique, la subordination de la pratique à la théorie, qui sont l’essence de l’aristotélisme. La philosophie de Kant s’est constituée en opposition directe avec la philosophie dogmatique, dont Aristote est le représentant par excellence. Mais si Kant a découvert une conception nouvelle des choses dont l’examen s’impose désormais à quiconque veut philosopher, on ne saurait dire qu’il ait entièrement réussi à faire prévaloir cette conception. S’il a pour lui le témoignage de la conscience morale, qu’il se propose d’ailleurs surtout de satisfaire, il ne peut obtenir l’adhésion franche et complète de l’intelligence. Celle-ci persiste à dire avec Aristote : « Tout a sa raison, et le premier principe doit être la raison suprême des choses. Or expliquer c’est déterminer, et la suprême raison ne peut être que l’être entièrement déterminé. De l’infini et du fini, c’est le fini, en tant qu’intelligible, qui est le principe ; l’infini, en tant qu’inintelligible, ne peut être que phénomène. » Entre Aristote et Kant, la question est donc de savoir si l’on attribue la suprématie à la volonté ou à l’intelligence ; il ne paraît pas que cette question soit, aujourd’hui même, définitivement résolue. Tout autre est la situation de l’aristotélisme en face de l’évolutionisme. Loin de s’y opposer, il l’admet et le comprend, en offrant un moyen de le dépasser. Historiquement il en est l’un des antécédents les plus considérables. Soit dans la nature, soit dans l’homme, Aristote montre partout la continuité, le développement allant de l’inférieur au supérieur. Les plantes supposent les minéraux, les animaux les plantes, l’homme les animaux, et l’homme n’est que l’achèvement de l’être ébauché dans les productions inférieures de la nature. Chez l’homme même, l’imagination naît de la sensation, la mémoire de l’imagination et l’intelligence ne peut penser sans images. On ne voit pas quelle thèse scientifique de l’évolutionisme serait incompatible avec la philosophie naturelle d’Aristote. Mais cet ordre mécanique des choses est-il l’ordre absolu ? Ces explications donnent-elles satisfaction à l’intelligence ? Voilà la question que pose Aristote, et qu’il trouve le moyen de résoudre dans le sens d’une métaphysique spiritualiste. Selon lui, l’ordre qui va de l’indéterminé au déterminé, du genre à l’espèce ne peut être considéré par l’intelligence comme l’ordre absolu de la génération des choses, parce que l’indéterminé comporte toujours d’autres déterminations que celles qu’il reçoit effectivement. L’homme est l’achèvement de l’animal, mais l’animal comportait d’autres déterminations que celles qui en font un homme. Pourquoi les genres se réalisent-ils dans telles espèces plutôt que dans telles autres ? De ce choix parmi les développements possibles, la raison ne peut être trouvée que dans l’être même qui est le terme du développement. Il faut que la perfection de cet être soit une force qui dirige l’évolution de la matière dont il doit naître. De la sorte, l’ordre qui va de l’indéterminé au déterminé n’exclut pas, il appelle un ordre symétriquement contraire, principe caché de sa direc-tion et de sa réalisation. C’est ainsi qu’Aristote concilie le mécanisme évolutioniste avec la finalité, par la distinction de l’ordre des choses selon le temps et de l’ordre des choses dans l’absolu. L’évolutionisme est la vérité au point de vue des sens ; mais, au point de vue de l’intelligence, il reste vrai que l’imparfait n’existe et ne se détermine qu’en vue du plus parfait. L’explication finaliste est le complément légitime et indispensable de l’explication mécaniste. Ainsi l’aristotélisme a encore sa place dans la philosophie. Mais n’est-il pas désormais banni de la science ? Il convient sur ce point de distinguer entre les sciences morales et les sciences mathématiques et physiques. La morale d’Aristote, et même, en plusieurs points importants, sa politique, loin d’être oubliées, sont plus que jamais en vigueur. Les préceptes de vivre en homme quand on est né homme, d’attribuer en politique la véritable souveraineté à la raison et à la loi, ne sont pas près de tomber dans l’oubli. Mais les sciences relatives à la nature paraissent n’avoir plus grand chose de commun avec la philosophie naturelle du grand métaphysicien. Pour émettre à ce sujet un jugement équitable, il convient d’abord de remarquer qu’un homme peut avoir exercé sur le développement des sciences une grande influence, sans qu’aucune de ses idées se reconnaisse dans les doctrines actuelles. Les sciences se constituent étage par étage ; et telle théorie ancienne qui ne se retrouve pas dans les théories modernes a pu contribuer à les préparer. Or ce mérite appartient certainement à Aristote. Il a mis en avant des théories et des concepts qui peuvent être fort différents des méthodes et des principes modernes, et qui n’en ont pas moins présidé à la formation de ces principes. Telle est la théorie aristotélicienne de l’induction, laquelle, sans doute, détermine le but à atteindre plus que les moyens à employer, et place ce but même dans la découverte des types plutôt que dans celle des lois, mais n’en est pas moins fort précieuse par la précision avec laquelle elle montre qu’il s’agit dans l’induction de dégager le nécessaire du contingent. Telles sont les idées de genre et d’espèce, de puissance et d’acte, de mélange mécanique et de combinaison qualitative, de hasard, ramené à la rencontre de causes indépendantes les unes des autres, de continuité dans l’échelle des êtres, de classification des sciences, etc. Mais ce n’est pas assez de reconnaître qu’Aristote a fourni à la science plus d’un point de départ. Plusieurs de ses principes sont encore parfaitement reconnaissables dans l’esprit de la science contemporaine. Son grand principe qu’il y a des lois dans la nature, et qu’on ne peut les découvrir qu’en les dégageant de l’expérience par la réflexion, sa préoccupation constante d’étudier les choses dans le détail, de les saisir non à travers des formules toujours vagues, mais en elles-mêmes avec leurs caractères propres, sa définition de la cause placée dans le nécessaire par opposition au contingent, sa doctrine de la continuité biologique et de la solidarité du supérieur à l’égard de l’inférieur : tous ces traits essentiels de la philosophie aristotélicienne se retrouvent dans la science d’aujourd’hui. Aristote est encore un maître, en même temps qu’il est un ancêtre. Mais, dira-t-on, Aristote est finaliste, et la science proscrit la considération des fins. Il y a là peut-être quelque malentendu. La finalité aristotélicienne n’est pas la fabrication du monde comme d’une horloge par un ouvrier qui se propose une idée et calcule les moyens de la réaliser. Elle consiste, peut-on dire, dans les trois principes suivants : 1o l’ordre est dans le monde la règle, le désordre est l’exception : ce qui veut dire que les combinaisons de phénomènes qui résultent immédiatement des lois de la nature groupées en types, et qui, par suite, ont un développement normal, sont beaucoup plus nombreuses que les combinaisons dues à la rencontre fortuite de lois indépendantes les unes des autres ; 2o il y a en chaque individu une force organisatrice ou φύσιζ, en vertu de laquelle il tend à être et à réaliser une certaine forme ; 3o les types spécifiques sont exactement déterminés, séparés les uns des autres, et immuables. Est-il évident que la finalité, ainsi entendue, soit entièrement exclue de la science moderne ? Le premier de ces trois principes signifie que, par l’observation et l’induction, on peut atteindre à la connaissance des lois fondamentales. À l’encontre de cette théorie se dresse la théorie mathématique cartésienne suivant laquelle il n’y a pas en réalité de lois qualitatives et multiples dans la nature, mais seulement des déterminations diverses de la quantité homogène et mathématique. Mais, si la conception cartésienne est devant nous comme un idéal et représente la science achevée, la marche aristotélicienne demeure celle qui est appropriée à nos moyens de connaître. Aristote a seulement eu tort de croire que par l’induction nous puissions arriver à des lois simples et absolues qui ne supposent rien avant elles. Le second principe a une ressemblance frappante avec celui de la lutte pour la vie. Ici comme là, on suppose en chaque individu une tendance à exister et à se développer dans un sens déterminé. Il est vrai que la science moderne voudrait arriver à réduire la vie elle-même à un mécanisme, mais elle n’en reconnaît pas moins que la vie a les caractères et joue le rôle que lui attribuait Aristote. Toute la différence consiste à considérer comme dérivé ce qu’Aristote tenait pour primitif ; mais, en attendant que la réduction soit opérée, nous ne croyons pas errer en disant : tout se passe comme s’il y avait en chaque être vivant une tendance à exister et à exister d’une certaine manière. Enfin le troisième principe, qui a encore ses défenseurs parmi les savants eux-mêmes, n’est pas, dans le sens où l’entend Aristote, en contradiction absolue, même au point de vue physique, avec la doctrine des évolutionistes. Que veut dire Aristote ? Il n’entend pas que l’histoire des êtres de la nature a commencé dans le temps par une création d’espèces séparées ; il veut dire que la réalisation d’un certain nombre de types distincts, en même temps qu’harmoniques, est la fin et la règle des productions de la nature. Il admet que la nature, le plus souvent, arrive à réaliser cette fin ; mais à côté des productions tout à fait régulières de la nature, il admet des productions en partie régulières, en partie irrégulières ; il en admet même de tout à fait irrégulières. Or, si l’on fait abstraction du passé et de l’origine dans le temps, dont ne s’occupait pas Aristote, on ne trouvera pas une si grande divergence entre ce point de vue et celui de l’évolutionisme. À la différence du matérialisme et de la doctrine du hasard, l’évolutionisme admet que les espèces existent, au moins actuellement. Et il reconnaît dans la nature la tendance à une spécification de plus en plus complète. Le principe d’Aristote subsiste donc aujourd’hui même, du moins sous la forme hypothétique, la seule qu’un principe puisse recevoir dans la science : tout se passe comme s’il existait une hiérarchie de formes idéales distinctes les unes des autres, que les êtres de la nature tendent à réaliser.

Emile Boutroux.

Bibl. : Biographie : J.-G. Buhle, Vita Aristotelis per annos digesta, dans son édition inachevée des œuvres d’Aristote, 1791-1800, t. I. — George-Henry Lewes, Aristotle ; Londres, 1864. C. Zell, art. Aristoteles dans l’Encyclopédie de Pauly, 2e éd., t. II, 1866. — Caignet, Essai sur la Psychologie d’Aristote, 1883.

LES ÉCRITS D’ARISTOTE :

I. Ouvrages relatifs à l’ensemble de l’œuvre d’Aristote :

1e Edition Buhle, 5 vol., 1791-1800, édit. inachevée. — Edit. publiée sous les auspices de l’Académie des sciences de Berlin, en 5 vol. (Berlin, 1831-1870) par. Bekker et Brandis ; le 5e vol. contient un index Aristotelicus, très estimé, par Bonitz. — Edit. Tauchnitz, Leipzig, 1831-32. — Edit. Didot, en 5 vol., Paris, 1848-74, texte grec, trad. latine et index alphabétique par Diibner, Bussemaker et Heitz.

2e Traductions’trad. allemande ; Stuttgart, 1836-57 ; trad. française, par Barthélemy Saint-Hilaire, encore inachevée, mais comprenant déjà : la Logique, le Traité de l’âme, la Morale, la Politique, la Poétique, la Rhétorique, la Métaphysique, l’Histoire des animaux (1844-1883).

II. Commentaires et éditions relatives à des ouvrages particuliers : les meilleurs commentaires anciens sont ceux d’Alexandre d’Aphrodisias (commencement du IIIe siècle ap. J.-C.) et de Simplicius (IV siècle ap. J.-C.). Voici les édit. partielles les plus importantes :

Logique, édit. Waitz, texte grec et commentaire, 1844-40.

Métaphysique, édit.

953 ARISTOTE

Schwegler, avec trad. et commentaire en allemand, 184748 ; édit. Bonitz avec commentaire en latin, 1848-49 ; édit. Christ, 1886.

Physique, édit. Prantl, avec trad. et commentaire allemands, 1854.

De coelo et De generatione et corruptione, édit. Prantl 1857.

Meteorologica, édit. Ideler, 1834-36.

De anima, édit. Trendelenburg, 1833 ; 2e édit., revue par Belger, 1877.

Ethique à Nicomaque, édit. Susemihl, 1880 ; édit. Al. Grant, 3e édit. 1874.

Politique, édit. Susemihl, avec trad. allemande, 1879.

Rhétorique, édit. Spengel, 1867, trad. française, par Bonafous, 1856.

Poétique, édit Susemihl, avec trad. allemande ; 2e édit, 1874 ; édit. Schmidt, avec trad. allemande, 1875 ; édit. E. Eger, avec trad. française, 1874 ; édit. Ueberweg, 2e édit. 1575 ; édit. Christ, 1878 ; trad. française de la Rhétorique et de la Poétique, par Ruelle, 1882.

Historia animalium, édit. Aubert et Wiemmer, avec trad. et commentaire, allemands, 1868.

De generatione animalium, édit., trad. et commentaire allemands, par les mêmes, 1860.

De partibus animalium, édit. Frantzius, avec trad. et commentaire allemands, 1853.

V. aussi, dans la Philosophische Bibliothek de Kirchmann, la trad. allemande, avec commentaires, des principaux ouvrages philosophaques d’Aristote.

L’ENSEMBLE DE L’ŒUVRE DARISTOTE :

RITTER, Histoire de la philosophie ancienne.

ZELLER, Die Philosophie der Griechen, 1879, t. III, 3e édit.

GROTE, Aristotle.

RAVAISSON, Essai sur la métaphysique d’Aristote ; Paris, 1837-46.

TEICHMÜLLER, Studien zur Geschichte der Begrife ; Berlin, 1874 ; et Aristotelische Forschungen, 1867-73, 3 vol.

BIESE, Die Philosophie des Aristoteles, 1835-12, 2 vol.

WALTER, Die Lehre von der praktischenVernunft in der griechischen Philosophie, 1874, p. 537.

G.-H. LEWES, Aristotle a chapter from the history of science ; Londres, 1864.

GRANT, Aristotle.

Ewd. WALLACE, Outlines of the philosophy of Aristotle, 1880, 2e édit.

A. THUROT, Etudes sur Aristote (Politique, Dialectique, Rhétorique) : Paris, 1860.

BRANDIS, Aristoteles und seine akademischen Zeitgenossen, 1853-57, Uebersicht über des aristotelische Lelirgebäude, etc., 1860.

BONITZ, Aristotelische Studien ; Vienne, 1862-66.

HEYDER, Kritische Darstellung und Vergleichung der aristotelischen und hegelschen Dialektik, 1845.

EUCKEN, Die Methode der aristotelisohen Forschung, 1872.

ARISTOTE HISTORIEN :

AMEDEE JACQUES, Aristote considéré comme historien de la philosophie ; Paris, 1837.

V. EGGER, De fontibus Diogenis Laertii ; Bordeaux, 1881.

LOGIQUE :

FRANCK, Esquisse d’une histoire de la logique, précédée d’une analyse étendue de l’Organon d’Aristote, 1838.

TRENDELENBURG, Elementa logices Aristotelaea in usum scholarum, 1874, 7e édit.

PRANTL, Gesch. d. Logih in Abendande, 1855-70.

THUROT, Etudes sur Aristote, 1860.

MÉTAPHYSIQUE :

MICHELET, Examen critique de l’ouvrage d’Aristote intitulé Métaphysique, 1836.

E. VACHEROT, Théorie des premiers principes selon Aristote, 1836.

RAVAISSON, Essai sur la métaphysique d’Aristote, 1837-46.

J. SIMON, Etudes sur la théodicée de Platon et d’Aristote.

TEICHMÜLLER, Studien zur Gesch. d. Begriffe ; et, du même auteur, Aristotelische Forschungen, III.

PHYSIQUE :

Ch. LÉVÊQUE, la Physique d’Aristote et la science contemporaine, 1863.

G.-H. LEWES, Aristotle, a chapter from the history of science, 1864.

MATHÉMATIQUES :

BURJA, Mémoires I et II sur les connaissances mathématiques d’Aristote (mém. de l’Acad. de Berlin, 1790).

ASTRONOMIE :

HUMBOLDT, Kosmos, II. Mémoire sur les observations astronomiques envoyées à Aristote par Callisthène, dans les Mém. de l’Institut de France, 1818.

MÉTÉOROLOGIE :

IDELER, Meteorologia veterum Graecorum et Romanorum ; Berlin, 1832.

BIOLOGIE :

J.-B. MEYER, Aristoteles’Thierkunde, 1855.

Dr Jules GEOFFROY, l’Anatomie et la Physiologie d’Aristote.

V. CARUS, Histoire de la zoologie, depuis l’antiquité jusqu’au XIXe siècle, trad. franç. d’après l’allemand, Paris, 1880.

CARRAU, la Zoologie d’Aristote, Revue des Deux Mondes, 1er mai 1814.

Edm. PERRIER, la Philosophie zoologique avant Darwin, 1884.

G. POUCHET, la Biologie aristotélique, Revue philosophique, 1881-85.

F. PILLON, l’Anatomie et la Physiologie d’Aristote, Critique philos., 1886.

PSYCHOLOGIE :

CHAUVET, Des théories de l’entendement humain dans l’antiquité, 1856.

GRATACAP, Aristotelis de sensibus doctrina ; Montpellier, 1866.

Fr. BRENTANO, Die Psychologie des Aristoteles insbesondere seine Lehre vom  , etc. i Mainz, 1867.

KAMPE, Die Erkentnisstheorie des Aristoteles ; Leipzig, 1870.

WALTER, Die Lehre von der praktischen Vernunft in der griechischen Philosophie ; Iéna. 1874.

CHAIGNET, Essai sur la psychologie d’Aristote, 1883.

MORALE :

MICHELET, Die Ethik des Aristoteles in ihrem Verhältniss zum System der Moral ; Berlin, 1827.

P. JANET, Histoire de la philosophie morale et politique dans l’antiquité et dans les temps modernes, 1858.

DENIS, Histoire des théories et des idées morales dans l’antiquité, 1879, 2e édit.

Ollé LAPRUNE, Essai sur la morale d’Aristote, 1881.

Politique : P. Janet, Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale. — Denis, Histoire des théories et des idées morales dans l’antiquité, 1579, 2e édit. — Thurot, Etudes sur Aristote, 1860. — W. Oncken, Die Staatslehre des Aristoteles in historisch politischen Umrissen, 1870-75. — Mann, Die Grundlinien der aristotelischen Erziehungstheorie, Brandebourg, 1813. — Compayré, Histoire de la pédagogie.

Rhétorique : Havet, Etude sur la rhétorique d’Aristote, 1846. — Thurot, Question sur la rhétorique d’Aristote, 1860 ; Etudes sur Aristote, 1880.

Esthétique : E. Müller, Geschichte der Theorie der Kunst bei den Allen, 1834-37. — Reiekens, Aristoteles über Kunst, besonders über Tragödie, 1870. — Teichmüller, Aristotelische Forschungen, 1867-73. — Döring, Kunstlehre des Aristoteles, 1878.

Grammaire : Séguier, la Philosophie du langage exposée d’après Aristote ; Paris, 1838. — E. Egger, Apollonius Dyscole, Essai sur l’histoire des théories grammaticales dans l’antiquité.

Aristote écrivain : Bonitz, Index aristotelicus (t. V de l’édit. de Berlin). — Eucken. Dissertations, 1886, 1868-1869. — Eucken, Geschichte der philosophische Terminologie, 1879.

Influence d’Aristote : Jourdain, Recherches critiques sur l’Age et l’origine des traductions latines d’Aristote, 1819 ; 2e édit, 1843. — Cousin, Ouvrages inédits d’Abélard, 1838. — Ravaisson, Mém. sur la Philosophie d’Aristote chez les Arabes (comptes rendus de l’Acad. des inscr. et belles-let., 1844). — Ravaisson, Essai sur la mét. d’Arist. t. 11, 1846. — Hauréau, De la Philosophie scolastique, 1850 ; Singularités historiques et littéraires, 1861. — Renan, De Philosophie peripatetica apud Syros., 1852. — Munck, Mélanges de philosophie juive et arabe, 1867-1852. — Pranti, Gesch. d. Logih im Abendlande, t. II-IV, 1861-70. — Berthelot, les Origines de l’Alchimie, 1885.