La Grande Encyclopédie, inventaire raisonné des sciences, des lettres, et des arts/Agathocle tyran de sicile

AGATHOCLE, tyran de Sicile, né à Rhegium, vers l’an 361 av. J.-C, mort en 289. Agathocle "était fils d’un potier nommé Carcinus qui, banni de sa patrie, s’était réfugié à Thermes, ville de Sicile, alors sous la domination des Carthaginois. Orphelin de bonne heure, il dut continuer pour vivre le métier de son père et, plus tard, il servit comme simple soldat. Comme il était d’une grande beauté, d’une belle taille et d’une force extraordinaire, Damas, général sous les ordres duquel il était, en entendit parler, se le fit présenter, lui fit donner une éducation soignée, puis l’éleva au grade de chiliarque, c.-à-d. chef de mille hommes, et l’envoya combattre les Agrigentins. À sa mort, Agathocle épousa la veuve de son général et il devint de ce fait l’un des plus riches citoyens de Syracuse. Cette ville, depuis la mort de Timoléon, était retombée dans l’anarchie. Sosistrate venait d’usurper le pouvoir. Agathocle, qui soutenait les prétentions de la démocratie et s’était signalé parmi les adversaires les plus décidés du nouveau tyran, fut obligé de s’exiler en Italie. Là, il se mit à la tête des mécontents réfugiés à Crotone, à Tarante et se porta au secours des Reggiens, alors en guerre contre le tyran. Sosistrate ayant été chassé de Syracuse avec plus de six cents de ses partisans qu’on accusait de vouloir détruire la démocratie, Agathocle fut rappelé, reçut le commandement de l’armée, et fut chargé de résister à Sosistrate et aux Carthaginois qui menaçaient la ville. Il attaqua ses ennemis et les défit dans un combat oh il reçut sept blessures. — Devenu très puissant, appuyé sur l’armée qu’il avait conduite à la victoire, Agathocle aspirait au pouvoir suprême ; mais les Syracusains, jaloux de conserver leur indépendance politique, et se méfiant de ce nouveau chef, résolurent de placer à côté de lui un homme qui, étranger à la Sicile et n’ayant point de partisans dans l’île, pouvait contre-balancer sa puissance et le combattre s’il tentait de mettre ses projets liberticides à exécution. Ils appelèrent donc Acestoride, de Corinthe, et lui confièrent le commandement de leurs troupes. Ce général essaya de faire assassiner Agathocle. Celui-ci s’échappa, rassembla ses partisans et parut devant Syracuse à la tête d’une armée formidable. Les magistrats effrayés lui envoyèrent des ambassadeurs et lui offrirent de le rappeler s’il licenciait ses troupes et promettait de ne rien entreprendre contre la démocratie. Agathocle accepta ces conditions et dès lors parut l’un des plus zélés partisans de la démocratie. Trompé par ses manières et par ses discours, le peuple le nomma général en chef, malgré le Sénat, et le chargea de marcher contre la ville d’Erbita qui venait de se donner aux Carthaginois. — De nouveau, chef d’une aimée puissante, appuyé par le peuple, Agathocle résolut de détruire, avant de quitter Syracuse, le Sénat ou Conseil des Six-Cents, qui avait combattu sa candidature. Il assemble donc son armée au Timoleonum où doivent venir Pisarque, Declès et quarante autres sénateurs chargés de conférer avec lui sur les affaires de L’État, puis, à leur arrivée, il feint d’être l’objet d’un attentat, t’ait arrêter les envoyés du Sénat, soulevé son armée, et la pousse au carnage. Pendant deux jours, Syracuse « offrit le spectacle d’horribles massacres et des excès les plus déplorables », dit Diodore. Quatre mille citoyens furent égorgés sans pitié et six mille furent proscrits. Après ce massacre, il se fit décerner le pouvoir suprême (317 av. J.-C). Il décréta l’abolition des dettes et le partage des terres entre les riches et les pauvres, devint accessible, équitable, donna plusieurs lois sages, mit de l’ordre dans les finances, fit forger des armes, construire des vaisseaux, et soumit la Sicile à son autorité, sauf quelques places qui restèrent au pouvoir des Carthaginois

Carthage se décida alors à envoyer une armée sous les ordres d’Amilcar, pour s’opposer aux entreprises des Syracusains. Les mécontents et les proscrits s’unissent à Amilcar qu’ils rencontrent aux environs d’Himera et l’armée carthaginoise, d’abord battue dans un premier combat, revient à la charge et taille en pièces les Syracusains qui s’étaient attardés à piller son camp (314 av. J.-C). Assiégé dans Syracuse, Agathocle désespère de sauver la Sicile par les moyens ordinaires et prend la résolution hardie de porter la guerre en Afrique, de bloquer Carthage et d’obliger les Carthaginois à repasser la mer pour venir défendre leur capitale. Ce plan de campagne une fois conçu, il confie le gouvernement de Syracuse à son frère Antandre, s’empare des biens des mineurs sous prétexte qu’il saura mieux les administrer que les tuteurs légaux, emprunte aux marchands qui les reçoivent en garantie, dépouille les temples des trésors qu’ils contenaient, fait arrêter et massacrer les riches qui quittent la ville en emportant leurs richesses, confisque leurs biens, enrôle dans ses troupes quelques jeunes hommes pris dans les meilleures familles, arme tous les esclaves en état de combattre, monte sur ses vaisseaux et attend qu’un moment propice lui permette de quitter Syracuse que surveille la flotte carthaginoise. Ce moment se fait attendre quelques jours, mais, enfin, des vaisseaux chargés de vivres se dirigent vers le port, les Carthaginois s’avancent pour s’en emparer, Agathocle donne des ordres et la flotte syracusaine quitte la côte. Surpris de la voir gagner la haute mer au lieu de venir au secours des vaisseaux ravitailleurs, les Carthaginois abandonnent la proie dont ils auraient facilement pu s’emparer et se lancent à la poursuite d’Agathocle. Les deux flottes, l’une poursuivant l’autre, arrivent dans les eaux africaines presque ensemble ; les Syracusains débarquent, et Agathocle, ayant offert un sacrifice à Cérès et à Proserpine, devant ses soldats rassemblés, brûle ses vaisseaux. « Agathocle, dit Diodore, avait pris cette mesure, d’abord pour enlever aux soldats tout moyen de fuite et pour les forcer à chercher leur salut dans la victoire ; ensuite pour avoir sous sa main toutes ses forces, et n’être point obligé de les diviser en en laissant une partie pour la défense des navires qui, autrement, seraient tombés au pouvoir des Carthaginois. » — Cela fait, Agathocle ne craignit pas d’attaquer les ennemis, bien qu’ils fussent trois fois plus nombreux que ses soldats. Il les bat en plusieurs rencontres, les disperse. Leurs principales villes, Utique, Adrumète, Neapolis tombent en son pouvoir. Carthage continue de lui résister. Cependant, prise de peur, cette République demande de prompts secours à Amilcar qui tient la Sicile, et celui-ci fait annoncer aux Syracusains que leur armée est détruite et qu’Agathocle est mort. À cette nouvelle, les mécontents se soulèvent, Antandre, dit-on, songe à rendre la ville, et déjà Amilcar s’avance pour s’en emparer, lorsqu’une barque échappée à la surveillance des Carthaginois fait savoir aux Syracusains la vérité. Le peuple vole aux armes, se jette en foule sur les Carthaginois, les repousse et tue leur général. La tête d’Amilcar est envoyée à Agathocle qui la montre aux Carthaginois.

Informé que plusieurs villes de la Sicile se sont liguées contre lui et supposant sa présence nécessaire à Syracuse, Agathocle confie le commandement d’Afrique à son fils Archagathe et débarque dans l’île. Sa présence fait tout rentrer dans l’ordre. Rassuré sur ce point, il regagne son armée ; mais tout a changé pendant son absence : son fils a perdu une bataille et ses soldats, manquant de vivres, sont sur le point de se révolter. Agathoele ranime leur courage, apaise leur courroux et les mène au combat, mais battu, puis abandonné par la meilleure partie de ses troupes, manquant de confiance en lui-même, et craignant que la Sicile ne se soulève à la nouvelle de sa défaite, il laisse l’armée sous la conduite de ses deux fils et repasse secrètement la mer. A son arrivée en Sicile il apprend que ses troupes se sont révoltées, que ses fils ont été massacrés et que l’armée d’Afrique, obéissant à de nouveaux chefs, vient de faire la paix avec les Carthaginois. Pris de fureur, il lève de nouveaux soldats, s’empare de la ville d’Egeste, révoltée contre son autorité, et passe les habitants au fil de l’épée. De retour à Syracuse, il fait massacrer par son frère Antandre tous les parents des soldats qui viennent de faire périr ses tils en Afrique et proscrit un grand nombre de citoyens. Ces cruautés soulevèrent la Sicile tout entière et Dinocrate, qu’il avait exilé, se met à la tête des mécontents. Ne pouvant plus compter sur personne, Agathocle fait alliance avec les Carthaginois, leur cède toutes les villes jadis en leur pouvoir et offre même à Dinocrate l’autorité suprême en échange de deux places fortes qu’il veut conserver pour sa suret/ personnelle. Dinocrate refuse, mais Agathoele débauche son armée, le bat complètement et lui fait grâce une seconde fois. La paix intérieure rétablie, il reconquiert la Sicile, à l’exception des villes qu’il a cédées aux Carthaginois, et se trouve plus puissant que jamais. Il gouverne alors très sagement. Mais son esprit d’aventures lui interdisait le repos. Il entreprend des expéditions de véritable piraterie, pille les lies Lipari (303), brûle la flotte du roi de Macédoine, Cassandre, devant Corcyre (301), et fait cadeau de cette île à Pyrrhus, roi d’Epire, qui devient son gendre. Plus tard, il pille Crotone (295) et ravage le pays des Bruttiens. Il préparait une nouvelle expédition contre Carthage, quand il fut empoisonné à l’instigation de son petit-fils. Ce tyran était d’un caractère cruel et dissimulé, mais habile "politique ; il savait afficher à propos la plus grande modestie et le désintéressement le plus profond ; il affectait de faire souvent placer sur sa table des vases de terre, afin, disait-il, de rappeler sa naissance, et d’étouffer l’orgueil auquel poussait l’éclat de la dignité royale. Il venait aux assemblées publiques seul et sans gardes, afin de marquer sa confiance dans le peuple et de soigner sa popularité. Il y contrefaisait les orateurs, répétait leurs gestes en les réfutant, et savait toujours faire rire à leurs dépens le peuple qui l’acclamait. Adhémard Lecler.