La Grève des charbonniers d’Anzin en 1866

Chez E. Picard, libraire (p. 1).



LA GRÈVE
des
CHARBONNIERS D’ANZIN
en 1866




INTRODUCTION



Dans la soirée du 24 octobre le bruit commença à se répandre à Paris qu’un mouvement d’ouvriers avait eu lieu dans l’arrondissement de Valenciennes, qui depuis un mois avait eu tant à souffrir du choléra.

Le lendemain et jours suivants les mêmes bruits continuèrent à circuler ; on parlait d’un vaste mouvement de troupes, d’une concentration de forces militaires dans la direction de Denain ; et l’on cherchait en vain dans les journaux de Valenciennes un seul mot qui pût renseigner sur ces événements.

La presse parisienne s’étonnait de ce silence et reproduisait les dires contradictoires de certains journaux des autres villes du Nord, qui annonçaient, les uns un soulèvement des ouvriers de la Société des Forges et hauts fourneaux de Denain et d’Anzin, les autres, une grève des ouvriers de la Compagnie des Mines d’Anzin.

Ce fut seulement dans la journée du dimanche 28 octobre qu’on commença à être renseigné par l’article suivant, publié par le Courrier du Nord, qui paraît à Valenciennes :


« Depuis quatre ou cinq jours, une partie de la contrée qui nous entoure est en proie à une émotion dont notre ville a nécessairement ressenti le contrecoup. Une question de salaire ayant mis la division entre la Compagnie des Mines d’Anzin et les mineurs de Denain et de quelques communes voisines, ces ouvriers ont pris la résolution de se mettre en grève. L’attitude inquiétante qu’ils ont gardée a nécessité l’envoi sur les lieux de la garnison de Valenciennes, à laquelle on a dû adjoindre des détachements empruntés aux villes de Douai, Cambrai, Arras.

« M. le préfet du Nord, le général commandant le département, le procureur général et les autorités de Valenciennes se sont transportés sur les lieux aussitôt que leur présence a paru nécessaire, et leurs sages conseils, on a lieu de l’espérer, ne tarderont pas à rétablir le calme et la bonne intelligence dans le pays.

« Un certain nombre de meneurs ont été arrêtés et incarcérés à la maison d’arrêt de Valenciennes. La situation n’était pas changée hier soir, mais aucun désordre ne s’est manifesté dans la journée. Toutes les mesures sont prises, du reste, pour assurer le maintien de la tranquillité. La question se trouve maintenant réduite aux proportions qu’elle doit avoir. C’est un débat à vider entre les ouvriers mineurs et la Compagnie d’Anzin.

« Voici le texte d’une proclamation que M. le préfet du Nord a publiée dès son arrivée.

« Les sentiments généreux exprimés dans cette pièce, les conseils paternels donnés aux ouvriers, ont paru produire un excellent effet sur ces hommes égarés, que la réflexion éclairera bientôt sur leurs intérêts véritables.


PRÉFECTURE DU NORD.


 « Ouvriers mineurs !

« Vous vous êtes mis en grève.

« S’il ne s’agissait que d’intérêts réciproques à débattre entre vous et la Compagnie d’Anzin, l’autorité n’aurait pas à intervenir. Le gouvernement de l’Empereur, en effet, veut que les patrons et les ouvriers aient la même liberté, la même indépendance. Vous avez le droit d’accepter ou de refuser les conditions de travail qui vous sont offertes.

Ce droit est incontestable et incontesté. Malheureusement, vous ne vous êtes pas bornés à l’exercer.

« Des hommes se disant ouvriers, mais qui ne sont pas dignes d’être vos camarades, vous ont donné de mauvais conseils et poussés dans une voie compromettante pour vos véritables intérêts. Ces hommes ont troublé l’ordre, amené, par la violence, l’interruption du travail, et par la violence encore vous ont empêchés de le reprendre. Plusieurs d’entre eux sont déjà entre les mains de la justice ; nous saurons atteindre les autres. Je ne pactiserai jamais avec l’indiscipline et le désordre.

« Telle est mon inébranlable résolution.

« Ouvriers mineurs reprenez donc vos travaux, et lorsque vous les aurez repris, choisissez parmi vous, si vous le jugez nécessaire, des délégués, qui, n’en doutez pas, seront écoutés avec la plus grande bienveillance par l’administration du grand établissement auquel vous appartenez ! Répudiez les funestes influences ; écoutez les conseils d’un de vos plus vieux amis ! Rappelez-vous ce qui s’est passé il y a quinze ans, lorsque j’avais l’honneur d’administrer l’arrondissement de Valenciennes : alors comme aujourd’hui on voulait vous égarer. Vous avez répondu aux excitations par le calme et le dédain ; vous êtes restés fidèles au drapeau de celui qui, depuis son avènement à l’empire, vous a prodigué les témoignages les plus éclatants de son affectueuse sollicitude. Il me tarde de vous revoir tels que vous étiez en 1851, et de pouvoir encore dire de vous :

« Il peut arriver qu’ils manifestent des exigences qu’on a parfois le regret d’être dans l’impossibilité d’accueillir, mais ils ont le cœur vaillant, ce sont de braves ouvriers ! Ils sont, en un mot, les dignes enfants de l’arrondissement de Valenciennes, cette terre classique du dévouement, de l’intelligence et du patriotisme.

« Le préfet du Nord,
« L. Sencier.

« Denain, ce 26 octobre 1866. »


Le numéro du 31 octobre du même journal renfermait un article ainsi conçu :


« L’espoir que nous exprimions dans notre dernier numéro de voir bientôt se terminer la grève des ouvriers mineurs de Denain n’à pas été déçu. La tranquillité la plus complète a régné partout dès le 27, et dans les fosses où travaillent les hommes qui passent pour avoir pris l’initiative du mouvement, les ouvriers sont descendus en grand nombre.

« Les nouvelles reçues sont excellentes ; le calme est rétabli et le travail a été repris. M. le préfet est retourné hier à Lille et la troupe est rentrée dans ses quartiers. »

Enfin, dans les premiers jours de novembre plusieurs journaux du Nord publiaient l’article qui suit :


« MM. Thiers, Lambrecht, Chabot-Latour, Casimir Périer, membres du conseil d’administration des mines d’Anzin, et M. Lebret, régisseur, sont allés remercier M. le préfet du Nord à propos de son intervention dans l’affaire des mines d’Anzin, et des efforts qu’il a faits pour ramener les ouvriers à leurs travaux. En faisant cette démarche, ces messieurs ont été guidés par un sentiment de haute convenance aussi bien que d’intérêt personnel. »

Quels étaient en définitive le caractère et la portée d’un mouvement qui, pendant plusieurs jours, avait si vivement préoccupé les imaginations ?

C’est ce que nous ont appris les débats qui ont eu lieu devant le tribunal correctionnel de Valenciennes, dans les audiences des 14 et 15 novembre.

Nous en reproduisons la physionomie générale et les détails principaux, en empruntant son résumé et ses appréciations à l’Écho du Nord, qui se publie à Lille et qui avait envoyé l’un de ses rédacteurs à Valenciennes, afin de pouvoir rendre compte de ces débats, dont la presse locale s’est bornée à annoncer l’issue.




LA GRÈVE
des
CHARBONNIERS D’ANZIN
EN 1866





TRIBUNAL DE VALENCIENNES.


Audience du 14 novembre 1866.


Vingt-huit mineurs sont assis sur les bancs de la police correctionnelle. La plupart ont subi une détention préventive de trois semaines environ ; vingt-six sont encore détenus ; deux, laissés en liberté, ont été appelés à l’audience par citation directe.

Tous sont prévenus d’avoir (à Hérin, Desmaizières, Trith, Saint-Léger, Denain, Bellevue, Escaudin, Abscon et Anzin, les 23, 24, 25, 26 et 27 octobre 1866, soit ensemble et de concert avec d’autres, soit séparément, soit comme auteurs principaux, soit comme complices pour avoir aidé ou assisté les auteurs du délit dans les faits qui l’ont préparé, consommé ou facilité, ou pour y avoir provoqué par promesses ou menaces, ou pour avoir donné des instructions pour le commettre) amené ou maintenu, tenté d’amener ou de maintenir, à l’aide de violences, voies de fait, menaces ou manœuvres frauduleuses, une cessation concertée de travail, dans le but de forcer la hausse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail, délits prévus par les articles 414, 59 et 60 du Code pénal.

On se plaît généralement, dans le public, à louer la rapidité exceptionnelle avec laquelle, dans l’intérêt des prévenus, a été conduite une instruction des plus volumineuses ; le magistrat instructeur n’a pas, dit-on, épargné les veilles pour achever aussi promptement qu’il est humainement possible les interrogatoires et les enquêtes préalables. Aussitôt qu’on l’a pu, on a relâché un très-grand nombre de mineurs contre lesquels ne s’élevaient pas de charges suffisantes ou qui paraissaient avoir subi une détention préventive suffisante ; quelques autres ont été renvoyés en simple police.

M. Armand, procureur impérial, tient le parquet.

M. le président de Warenghien tient l’audience.

Me Foucart, du barreau de Valenciennes, est seul assis au banc de la défense.

Diverses observations sont échangées entre M. le président, l’organe du ministère public et le défenseur des prévenus, en vue d’arriver à mettre le plus de clarté possible dans l’instruction de l’affaire.

Un nombre considérable de témoins ont été cités : commissaires de police, gendarmes, directeurs et porions de la Compagnie d’Anzin, simples ouvriers, prévenus mis en liberté, témoins à décharge.

Il nous est matériellement impossible de reproduire le détail de cette longue et minutieuse instruction ; elle porte tantôt sur des faits généraux, tantôt sur des faits spéciaux. Des premiers, les uns sont relatifs aux griefs des ouvriers, les autres à la naissance et au développement de la coalition, ainsi qu’aux circonstances regrettables qui sont venues s’y superposer et qui donnent lieu aux poursuites ; les derniers se rattachent à la situation particulière de chaque prévenu.

Nous remarquons avec une vive satisfaction l’aménité avec laquelle M. le président de Warenghien conduit cette instruction compliquée ; parfaitement au courant des moindres particularités de l’instruction écrite, il s’applique avec un soin et une impartialité remarquables à en vérifier et en rectifier, quand il en est besoin, le résultat par le contrôle de l’instruction orale ; il revient avec une rare patience sur chaque fait douteux, jusqu’à ce qu’il soit complétement élucidé ou que les dissentiments soit de fait, soit d’appréciation, qui devront servir plus tard de texte au réquisitoire et à la défense, soient nettement constatés.

Il résulte de cette instruction, en ce qui concerne les faits délictueux reprochés aux prévenus, qu’une coalition des mineurs d’Anzin s’étant formée, dès le 22 octobre, pour obtenir une augmentation de salaire ou la cessation de certains procédés de fixation du salaire employés à Anzin, cinq à six cents de ces mineurs, au lieu de se borner à cesser le travail ou à demander leurs livrets, parcoururent les routes, du 23 au 24, se livrant à un tapage injurieux et nocturne, troublant la tranquillité de leurs camarades endormis et celle des habitants, démontant quelques volets, cassant quelques vitres, frappant aux portes, pénétrant, pour les y chercher, dans le domicile de certains de leurs Camarades ; que quelques-uns ont proféré des propos grossiers ou menaçants ; que des rixes particulières ont eu lieu ; que les femmes surtout paraissaient exaltées ; que plusieurs d’entre elles suivaient leurs maris et les excitaient ; que, d’un autre côté, l’une de celles qui avaient été réveillées avait lancé au hasard, à travers les vitres de sa maison, un tisonnier qui avait été atteindre à la tête un des prévenus, dont l’identité était devenue ainsi incontestable. À côté d’incidents grotesques, comme il y en a toujours en pareil cas, se placent une ou deux tentatives accompagnées de violences légères pour entraîner dans les groupes des ouvriers qui eussent mieux aimé rester chez eux.

Le lendemain, 24, se placent l’extinction des feux de la fosse Le Bret, à Denain, l’enfoncement de la barrière de la fosse Villard, et à cette fosse une tentative d’extinction de feux non suivie d’exécution, par suite de l’arrivée de l’autorité, bientôt suivie de la troupe.

Un fait surtout nous frappe profondément au milieu de ces incidents tumultueux, c’est le respect immense et pour ainsi dire inné de ces masses populaires pour tout ce qui est organe de la loi. On parle souvent à ce point de vue de la population anglaise, qu’on a l’habitude d’exalter au-dessus des prolétaires français. Nous doutons cependant qu’il soit possible de trouver en Angleterre, parmi la population ignorante et pauvre, des agglomérations qui poussent plus loin que celle du bassin houiller de Valenciennes le respect de l’autorité, depuis le plus élevé jusqu’au plus infime de ses agents. Cette tendance à la soumission immédiate devant les organes ou les instruments de la loi n’est pas seulement révélée par l’instruction, elle est attestée à l’audience par M. le procureur impérial, qui a eu souvent à intervenir au milieu des incidents nombreux de ces journées d’agitation, qui seul a eu à tenir tête à des milliers d’hommes, et avec qui ils se sont toujours entretenus en lui montrant le plus profond respect.

Les faits de la nuit du 24 au 25 rappellent sur une moindre échelle ceux de la nuit précédente ; le 26 est signalé par la poursuite, durant mille à douze cents mètres, d’un vieil ouvrier qui avait travaillé, par les huées d’une bande de quarante à cinquante mineurs ; cette bande s’arrête encore en présence d’un simple préposé à la garde de la fosse Napoléon, jusqu’au carreau de laquelle la foule avait pénétré.

Les autres faits sont relatifs à des propos grossiers ou violents tenus par quelques ouvriers et à quelques menaces individuelles contre ceux qui reprendraient leur travail.

Aux diverses dépositions qui concernent ces faits et aux discussions qu’elles soulèvent, se mêlent des discussions et observations sur les salaires, la journée-type, le marchandage, les maisons données à loyer aux ouvriers, etc.

La continuation des débats est reportée à une séance de relevée pour l’interrogatoire des prévenus et l’audition du réquisitoire de M. le procureur impérial.

Après cet interrogatoire, M. le procureur impérial Armand prend la parole :

« Messieurs, dit-il, je n’ai besoin de rappeler à personne les vives et constantes préoccupations de l’Empereur pour le sort de l’ouvrier, tout ce qu’il a voulu et fait pour lui procurer des demeures saines, la création de la Société du Prince impérial, les enquêtes sur la situation des ouvriers agricoles, et à côté de ses efforts perpétuels pour augmenter son bien-être physique dans le présent, pour lui procurer des garanties d’avenir, ce qu’il a fait et ce qu’il veut faire encore, par l’instruction de plus en plus répandue, pour son amélioration intellectuelle.

« Mais qu’étaient, sans la liberté, tous ces biens pour l’Empereur, qui est l’homme le plus libéral et le plus vraiment libéral de son siècle ? La loi du 25 mai 1864 sur la liberté de la coalition est l’expression de sa pensée personnelle ; c’est la manifestation d’une idée de justice profondément réfléchie, c’est le résultat d’un esprit de modération et de bienveillance pour l’ouvrier, venu d’en haut, et dont vous trouverez la preuve jusque dans les documents particuliers de cette affaire. »

Il se tourne ensuite vers les ouvriers.

« Non ! leur dit-il, vous n’avez pas d’ennemi parmi nous. L’Empereur est votre ami. Comptez sur lui, et comme je parle en son nom, avant que j’aie à requérir contre quelques-uns, je veux vous éclairer tous.

« L’ancien article 414 du Code pénal constituait une législation exorbitante et antilibérale. L’un de vous, sans doute, si les conditions du travail ne lui plaisaient pas, pouvait dire à la Compagnie : Je m’en vais. Mais Si 2, 3, 10, 100, 1,000 ouvriers se concertaient pour tenir ce langage et agir en conséquence, le fait innocent pour un seul devenait coupable par suite du seul fait de ce concert. C’était le délit de coalition, délit factice, né de la réunion d’actes isolément innocents.

« C’est cette disposition exorbitante que l’Empereur a fait effacer de nos Codes par la loi nouvelle, qui n’est plus, comme l’ancienne, une sorte de privilége pour quelques-uns, mais un bienfait pour tout le monde.

« Vous n’êtes plus traités en machines n’ayant pas la disposition d’elles-mêmes ; vous êtes des hommes : vous pouvez, vous devez agir en hommes.

« Concertez-vous, vous le pouvez ; examinez, discutez, débattez les conditions de votre salaire, c’est aujourd’hui votre droit, mais faites-le d’une façon calme, paisible, réfléchie. Pas de violence ! pas de voie de fait, pas de menace ! Votre droit finit où commence votre devoir envers l’ordre, envers vos égaux et autres.

« Est-ce à dire, comme certains l’ont soutenu, que quand quelques-uns seront punis pour avoir employé la menace, la voie de fait, ils seront frappés pour s’être coalisés ? Non ! non ! Ils seront atteints par la loi pour avoir déshonoré la coalition.

« Quand vous serez dans le doute sur la portée de votre droit, venez nous demander des conseils. Nous aimerons toujours mieux prévenir des excès qu’avoir à les réprimer. S’il faut des réunions pour délibérer, adressez-vous à l’autorité administrative : elle peut vous autoriser à vous réunir à plus de vingt. Elle mettra toute sa bienveillance à permettre des réunions calmes, paisibles, les seules que vous deviez avoir, au lieu des attroupements tumultueux qu’il est de notre devoir de dissiper et de réprimer.

« S’il vous plaît de ne pas travailler à des conditions désavantageuses, n’êtes-vous pas libres de vous abstenir, soit individuellement, soit collectivement ? Mais d’autres n’ont-ils pas la liberté d’agir autrement que vous ? n’est-il pas mille circonstances ou certains de vos camarades croiront qu’il est de leur intérêt, de celui de leur famille, de travailler aux conditions qui ne vous plairaient pas plutôt que de ne point travailler du tout ? Pourquoi semer la terreur ? Croyez-vous que quand vous vous répandez en masse, comme vous le faites, sur les routes, dans les corons, sur le carreau des fosses, il vous suffira de dire : « Je réprouve individuellement tels ou tels actes, je n’y ai pas matériellement participé ? » Non. Quand vos attroupements effrayent enfants et femmes, celui qui n’a pas fait acte de violence matérielle a participé par sa présence aux troubles commis ; il n’est pas directement coupable, mais il peut être atteint comme complice.

« Le témoin Dumont pourrait vous citer la triste histoire d’une femme morte pour s’être, le lendemain de son accouchement, enfuie à travers champs, de peur des attroupements. Nul de vous n’est repris pour ce fait ; mais n’est-ce pas, pour vous comme pour nous, une immense douleur qu’un fait pareil ?

« Tous les prévenus ici présents sont, messieurs, prévenus comme auteurs ou complices de faits de menaces ou violences pour faire cesser ou maintenir la cessation du travail à la Compagnie d’Anzin.

« La Compagnie d’Anzin est une grande compagnie ; je n’ai pas mission de la défendre, et il ne me paraîtrait pas courageux à vous de l’attaquer quand elle n’a pas la parole. Elle occupe un grand nombre d’ouvriers ; elle a plusieurs concessions.

« La coalition s’est manifestée d’abord dans la concession d’Anzin, à Saint-Vaast. Les ouvriers n’ont pas d’abord indiqué leurs prétentions d’une façon bien claire ; tout ce qu’on pouvait comprendre, c’est qu’ils voulaient une augmentation de salaire.

« Ils ignoraient que, dans la régie, la veille, le 21, il avait été décidé qu’on les augmenterait de 25 centimes à la journée-type, calculée sur ce que peut faire l’ouvrier le plus faible dans 8 heures de travail. Cela portait le prix de la journée à 3 francs ou davantage.

«  L’ouvrier, d’ailleurs, pouvait déjà gagner 3 francs par le marchandage. Le marchandage a été accordé dans le passé sur la demande des ouvriers courageux, on n’en veut plus maintenant, mais on l’a pratiqué depuis longtemps. On met le travail d’une veine en adjudication ; celui qui demande le prix le moins élevé pour son travail est adjudicataire. La Compagnie n’a pas intérêt à déprimer le salaire des ouvriers. Les porions, avant de mettre en marchandage, ont calculé préalablement ce que l’ouvrier pourra gagner. L’augmentation sur le marchandage n’est pas d’un onzième seulement comme pour la journée ; elle peut devenir de 30 à 50 centimes ; et quand l’ouvrier se trompe, qu’il trouve avoir fait un détestable marché, le marché désavantageux est annulé ; la Compagnie d’Anzin ne force pas l’ouvrier à travailler malgré lui, quoiqu’il y ait contrat passé.

« Les ouvriers ont réclamé contre les étiquettes mises aux berlines (ces étiquettes ont pour but de faire payer chacun suivant ses œuvres) ; ils ont dit qu’on les chargeait au delà de la quantité qu’elles devaient contenir eu égard au salaire donné ; la Compagnie a fait droit à ces réclamations. Ils se sont plaints des pertes de salaires qu’ils éprouvaient par suite de pertes ou changements d’étiquettes. Pour qu’elle ne se perde plus, on mettra désormais l’étiquette au fond de la berline.

« Les hercheurs, ouvriers chargés du transport du charbon à partir de la veine dont il est détaché jusqu’à l’orifice du puits étaient autrefois au compte de la Compagnie ; les ouvriers, depuis quelque temps, avaient désiré qu’ils fussent à leur compte : ils demandent le contraire. On cherche des hercheurs.

« Les ouvriers se plaignaient qu’on les laissât trop longtemps dans la fosse, après leur travail fini, les pieds dans l’eau ; il s’agissait de leur santé : maintenant on les remontera aussitôt que leur travail sera terminé.

« On pouvait donc s’entendre sur tout, sauf sur le salaire. Les ouvriers demandent 4 francs, la Compagnie n’en veut donner que 3. Je ne sais si on paye assez, et je n’ai pas à m’immiscer dans cette question. Je n’y entre pas.

« J’entre donc dans le détail des faits spéciaux de ce procès. »


M. le procureur impérial rappelle les circonstances de la nuit du 23 au 24 : « Il fallait, dit-il, prendre des mesures. « Des dénonciations venaient, même et surtout de la part de ceux qu’on arrêtait, un peu au hasard d’abord. Peu à peu les faits se sont éclaircis et bien des témoignages aussi se sont évanouis.

« Les ouvriers ne peuvent reprocher à l’administration l’emploi de la force ; on a envoyé deux canons : la défense vous en parlera beaucoup sans doute et vous dira que l’Empereur n’aime les canons qu’en bataille rangée ; ils étaient là pour protéger les bons et terrifier les méchants.

« Quant aux troupes, on les a réparties entre les fosses pour assurer leur sûreté. Il ne fallait ni faiblesse ni rigueurs inutiles. »


M. le procureur impérial vient ensuite aux délits reprochés à chaque prévenu.

Il commence par citer quelques lignes d’un document officiel qui, sous toutes les réserves qu’exige la répression nécessaire au maintien de l’ordre public, est empreint de la plus grande bienveillance pour les prévenus.


« C’est d’après l’esprit de modération venu d’en haut dont je vous parlais tout à l’heure que je requerrai, ajoute-t-il, contre chacun des prévenus, après avoir établi le délit en ce qui le concerne. »


Après cette partie générale de son réquisitoire, que nous nous sommes efforcé de reproduire le plus fidèlement qu’il nous a été possible, M. le procureur impérial entre dans l’examen de la participation de chacun des prévenus au mouvement dont nous avons reproduit plus haut la physionomie ; il le fait en termes succincts, clairs, indiquant le point prouvé, les faits restant à discuter, donnant avec autant de précision que de brièveté ce qui est, suivant lui, la raison de décider, abordant les moyens que la défense a indiqués lors des interrogatoires et des confrontations.

Il conclut en requérant trois jours de prison contre dix prévenus, six jours contre six, dix jours contre deux, quinze jours contre cinq, un mois contre un, trois mois contre quatre prévenus.

Le réquisitoire finit à une heure assez avancée de la soirée et les débats sont continués au lendemain pour entendre Me Foucart dans la défense des accusés.




Audience du 15 novembre.


Me Foucart, avocat, présente la défense des prévenus :


 « Messieurs,

« Les premières paroles du réquisitoire du ministère public reportaient hier mes souvenirs à vingt années en arrière ; je me rappelais le jour où, bien jeune encore, j’avais été chargé, par tous les prévenus amenés sur ces bancs par la mémorable grève de 1846, de la tâche, périlleuse sous la législation d’alors, de mettre leur défense en harmonie avec des prescriptions qui répugnaient à mon cœur et que condamnait la raison publique.

La loi, ou plutôt ce qu’on appelait de ce nom, refusait alors à l’ouvrier le droit le plus élémentaire : celui de disposer de son travail ; ses plaintes les plus légitimes étaient étouffées en vertu de textes qui n’avaient su tenir compte ni des progrès préparés dans le passé par les méditations des penseurs, ni des nécessités de la régénération que l’avenir doit opérer grâce à la liberté.

« La défense avait beau protester contre le présent et en appeler à un temps où la justice entrerait dans un code arriéré, ses regrets comme ses espérances étaient impuissants contre une législation qui paraissait aussi dure au juge qui l’appliquait qu’à l’ouvrier qui continuait à en subir les conséquences.

« 1848 était venu et n’avait pas, sur cette question d’équité, comblé les vœux des amis de l’ordre uni au progrès.

« 1864 a fait plus : le programme de Turgot est enfin réalisé : le travail est libre, et la faculté de se concerter pour déterminer son prix a enfin été reconnue.

« Sans doute il reste, à ce point de vue, des progrès à accomplir :

« Les articles 414, 415, 416 du Code pénal, partie de l’article 419, maintenus par suite de nécessités transitoires et respectables d’ordre public, seront à supprimer purement et simplement un jour, pour faire rentrer tout à fait des actes encore exceptionnels à un certain point de vue, dans les délits de droit commun.

« Mais, quoi qu’on en ait pu dire, il y a dans la loi une amélioration incontestable, immense, dont tout bon citoyen, mettant la convergence des idées au-dessus de certains dissentiments d’opinion, doit louer hautement les auteurs.

« Merci à eux ! Ils ont, autant que le permettait la situation, concilié les exigences élémentaires de la liberté avec les préjugés qui subsistaient et dont, comme gouvernants, il était de leur devoir de se préoccuper afin de ne pas compromettre leur œuvre ; l’avenir, en la complétant, leur sera toujours reconnaissant du pas qu’ils ont fait.

« Mais si la loi a progressé, l’éducation civique des masses, surtout parmi nos mineurs, n’a pas marché aussi vite.

« Doit-on s’en étonner ? Nous qui les connaissons, ne devons-nous pas plutôt les en plaindre ?

« Dès l’âge de dix ans ils sont plongés dans la fosse, et jusque-là l’instruction, la seule richesse qui s’accroisse à mesure que s’élève le nombre de ceux qui en jouissent, leur est si parcimonieusement distribuée ! Beaucoup, sinon tous, ignorent donc encore que la loi, jadis dirigée contre eux, est tournée depuis peu, non pas de leur côté (la loi ne doit jamais avoir de partialité en un sens plus qu’en l’autre), mais du côté de la justice.

« De là parfois des procédés arriérés, regrettables, plus nuisibles aux véritables intérêts de l’ouvrier qu’à tous autres, procédés que vous aurez tout à l’heure à apprécier au point de vue légal, en tenant compte de la position et de l’ignorance de la loi où sont la plupart des prévenus.

« Mais ce ne serait pas comprendre convenablement la façon dont doit être discutée cette cause sous un régime de liberté, que de me borner à plaider comme pour des perturbateurs vulgaires, n’ayant ni excuse ni raison, se bornant à se réfugier dans des supplications et des prières, des dénégations et des récriminations réciproques.

« Au-dessus de la position personnelle des prévenus se trouvent la situation de tous ceux qui sont leurs compagnons de chaque jour, celle du pays tout entier qui a été étonné d’un vaste déploiement de forces, celle de toute notre industrie qui, aujourd’hui, sous prétexte de cette coalition, paye la rançon de la paix. C’est là un côté de la cause que je dois éclairer en répondant à certaines parties du réquisitoire du ministère public, en en complétant d’autres, pour que vous puissiez juger que, s’il y a eu quelques fautes individuelles, expliquées par l’entraînement, au fond il y avait des griefs fondés, sérieux, mal manifestés, mal défendus par cela même, mais qui recevront satisfaction le jour où, mieux instruits et conciliant leurs aspirations légitimes avec les nécessités de l’ordre public, les mineurs sauront mettre le calme du côté du droit.

« Le ministère public vous rappelait hier ce qu’est la Compagnie d’Anzin ; elle-même, choisissant parmi ses régisseurs une plume illustre pour défendre une de ses exploitations séculaires, convoitée par un voisin concurrent, se proclamait naguère, dans un mémoire fameux, l’établissement le plus considérable de la France, et peut-être de l’Europe.

« Cette puissance (c’est ainsi qu’elle s’appelait elle-même et non sans motifs quand, en son nom, Clio adressait la parole à Thémis), cette puissance sans rivale par sa richesse, la position de ses membres, ses influences de toute espèce, visibles ou cachées, possède presque tout le sous-sol de l’arrondissement de Valenciennes ; ses sept concessions forment une propriété sans pareille au monde.

« C’est un pur don de l’État fait par la loi de 1810 ; et si, au point de vue social, toute richesse constitue une véritable fonction, imposant à celui qui la détient une série de devoirs, les obligations envers l’ouvrier comme envers le public deviennent ici d’autant plus étroites, que c’est dans l’intérêt général plutôt que dans l’intérêt de ses détenteurs que cette puissance a été primitivement constituée par la loi.

« La Compagnie d’Anzin, qui, plus que toute autre, a tant de devoirs à remplir envers une population qui est véritablement sa sujette, envers une industrie qui est presque sa subordonnée, les a-t-elle toujours et complétement accomplis ?

« Personne ne nie que quand, vers 1717, elle obtint ses premières concessions, temporaires sous la législation d’alors, plus prévoyante peut-être dans l’intérêt public que celle qui nous régit aujourd’hui, elle rendit de véritables services au pays en amenant une diminution du prix du charbon et en améliorant le sort de l’ouvrier ; des souvenirs de bienfaisance, toujours présents dans la mémoire populaire, se rattacheront longtemps au nom de Des Androuins, l’un de ses fondateurs.

« Mais depuis que, par suite de certaines combinaisons rendues possibles par les événements de 1793, une grande partie des premiers propriétaires eurent fait place à des propriétaires nouveaux, les choses ont bien changé.

« L’exploitation avait été interrompue à l’époque où Valenciennes sauva la France en tenant, pendant trois mois, tête aux armées coalisées ; dès les premiers temps de la reprise, le dividende de chaque année fut presque égal au capital exposé, et cependant, à partir de là, la Compagnie d’Anzin, grâce aux appuis gouvernementaux qu’elle s’est pendant longtemps ménagés, poursuivit persévéramment un double système de maintien de ses ouvriers dans une situation toujours au-dessous de celle des ouvriers des autres industries, et d’aggravation des charges pesant sur les consommateurs et les manufacturiers de notre contrée, à laquelle le plus grand nombre de ses intéressés étaient devenus pour ainsi dire étrangers, et qui fut constamment moins bien traitée par elle que les régions plus éloignées.

« La première manifestation de ce système fut, en l’an IX, l’obtention d’une différence sur le fret et sur le tarif des canaux qui, bien que la Belgique fit alors partie de la France, mettait le bassin de Jemmapes dans la presque impossibilité de soutenir la concurrence avec elle.

« L’Empereur, en 1813, se fit expliquer les conséquences de l’arrêté de l’an IX et le révoqua.

« Mais vint la Restauration, et avec elle l’établissement d’un droit d’entrée de 0 fr. 11 sur le charbon belge, droit porté plus tard à 0 fr. 33 et maintenu à ce taux, même quand les importations par la Meuse et la Moselle n’étaient plus frappées que de 0 fr. 11 par quintal métrique.

« Il n’y aurait eu, peut-être, rien à dire, au point de vue moral, si la Compagnie d’Anzin, en même temps qu’elle faisait frapper le consommateur, au nom des devoirs imposés à l’industrie nationale envers les travailleurs attachés à ses exploitations, avait consacré ces excédants de recettes, en se contentant des bénéfices qu’elle faisait sur la différence du fret entre la Belgique et la France et de ceux que lui procurait sa part dans les péages des canaux de Saint-Quentin et du Crozat, à améliorer la situation de ses nombreux ouvriers ; si par suite le salaire était devenu assez rémunérateur pour que le mineur, soumis à tant de hasards, eût pu non-seulement subvenir aux besoins matériels et moraux de sa famille, mais acquérir, fût-ce au bout d’une ou deux générations d’économies, la propriété de son foyer.

« Il n’en était rien, et tandis que la loi lui était favorable, de 1817 à 1833 elle réduisait d’un cinquième environ le salaire des mineurs. La détresse des ouvriers était au comble ; deux fois, en 1824, en 1830, ils se soulevèrent, mais en vain, et il ne fallut rien moins que l’émotion causée en 1833 par ce qu’on appela l’émeute des quatre sous pour faire revenir à l’état de choses antérieur.

« Il y eut alors des ouvriers poursuivis, et quelques-uns furent condamnés ; mais on rapporte parfois encore l’un des mots prononcés du haut du fauteuil de la présidence de ce tribunal par le magistrat qui venait de prononcer la condamnation : ce mot, je ne le répéterai pas. J’expose des griefs, j’espère que des errements regrettables seront complétement abandonnés un jour, que les ouvriers et la Compagnie auront alors des intérêts en tout identiques, les faibles pouvant se soumettre avec respect à ceux qui sont leurs guides industriels, les forts se dévouant aux faibles. Ce mot, hors de la situation où il fut prononcé, n’irait pas avec mes espérances de conciliation et d’apaisement[1].

« Le temps a marché. La concurrence de nouvelles concessions, sans diminuer les bénéfices de la Compagnie d’Azin, favorisés par l’extension de l’industrie, avait élevé progressivement le taux de la rémunération de l’ouvrier ; mais quand on avait accordé une augmentation nominale dans le salaire, on arrivait bien souvent à la faire disparaître en réalité par une augmentation dans la tâche. C’est de ce procédé qu’en 1846 naquit une grève nouvelle à propos de la question des hercheurs, dont la situation, à salaire égal, était aggravée par l’augmentation du poids des berlines où on charge le charbon qui vient d’être détaché de la veine, et du tierme, ou distance qu’ils ont à parcourir en les traînant.

« Il fut fait, à cette époque, grâce à l’intervention de l’autorité, droit aux réclamations des ouvriers.

« Depuis lors les exploitations se sont développées, et les bénéfices de la Compagnie d’Anzin en proportion ; il serait curieux de voir de combien de fois aujourd’hui le dividende d’un an excède la totalité du capital primitivement exposé à Anzin.

« La vie étant devenue plus chère, le prix de la journée de travail a dû être relevé partout.

« Finalement, le salaire nominal était, dans les concessions d’Anzin, de 2 fr. 75 c. par journée-type ; mais à côté de ce taux nominal sont venues successivement se placer (ce sont les griefs que n’ont cessé de formuler les charbonniers) des séries de mesures qui ont eu toutes pour but et pour résultat de l’abaisser en réalité considérablement.

« La journée n’est pas, comme on pourrait le croire, entendue d’un certain nombre d’heures de travail loyalement fournies par le mineur : elle s’entend, pour le détacheur, d’un certain nombre de mètres carrés d’enfoncement calculé suivant le degré de résistance attribué à la veine. C’est là une base essentiellement arbitraire. Quand il s’agit de la déterminer à nouveau, les porions, zélés pour les intérêts de la Compagnie, au lieu de faire opérer les travaux d’essai par des ouvriers de force ordinaire, y emploient ce qu’on appelle des hommes de confiance, individus favorisés, stylés à cette besogne, y mettant tout l’amour-propre qu’on apporte à des travaux passagers, qui placent en vue et donnent des titres à l’avancement, c’est ce travail en dehors des conditions normales qu’on prend pour point de départ de la fixation de la journée-type, quand on ne s’en rapporte pas à l’appréciation pure et simple des porions.

« Ce n’est pas tout : on a organisé un système de mise en marchandage qui produit une dépression habituelle du taux normal des salaires. Le charbonnier de notre arrondissement est le moins nomade, le plus sédentaire de tous les ouvriers français : il est attaché au sol par des habitudes, des liaisons, à défaut de propriété ; il ne le quitte qu’à la dernière extrémité. Mais à la journée, la fixité de son salaire ne lui est jamais complétement garantie : si le porion croit qu’il gagne trop, il peut augmenter la tâche. Le marchandage garantit cette fixité pour un certain temps, mais à la condition d’une baisse sur le prix habituel. La Compagnie met certains travaux en adjudication entre les ouvriers : mais elle a fait ses devis à l’avance, et on n’adjuge jamais que quand on a la certitude d’obtenir par là un taux sensiblement moindre que celui que coûterait la journée ordinaire. L’ouvrier en passe par là, il gagne quelquefois au marchandage un peu plus que s’il ne faisait que sa journée, mais au prix de quels efforts ! Pour combien ce déplorable procédé du marchandage, dont le contre-coup, à Anzin comme ailleurs, se fait bientôt sentir dans la fixation de la tâche à la journée, n’est-il pas dans la constitution grêle et rabougrie, dans le teint hâve de nos populations houillères, dans leur santé débile et dans ce défaut de taille et cette infériorité physique qui les rend si souvent impropres au service militaire !

« L’honorable organe du ministère public vous a dit, d’après les renseignements qu’on lui avait fournis, que le détacheur peut abandonner le marchandage s’il lui est onéreux.

« Sans doute ! Mais comment ?

« L’entreprise est généralement accordée à quatre ouvriers. Ils donnent chacun 12 fr. de garantie, soit 48 fr. Si le travailleur excédé ne peut continuer, s’il résilie, il subit la retenue de la garantie à titre de clause pénale ; et, en outre, bien souvent, quoique le marché soit résilié, on fait continuer le travail à la journée, en prenant le taux de l’adjudication comme base de la journée-type dans la veine ainsi délaissée par les adjudicataires.

« Le ministère public vous a appris un autre grief. Il est assez récent. Autrefois, quand l’ouvrier était à bout, ou qu’il avait, par un vigoureux effort, terminé sa tâche avant l’heure, il pouvait immédiatement remonter au jour. Depuis dix-huit mois environ, les choses ont changé. L’ouvrier, fût-il harassé, ne peut remonter qu’à certaines heures invariablement fixées. Il reste, en attendant, au milieu de l’obscurité de la mine, les pieds dans l’eau, exposé à toutes les conséquences d’un refroidissement après l’échauffement du travail.

« Ce n’est pas tout. Jadis la Compagnie payait les hercheurs. Elle a trouvé une combinaison pour faire peser une portion de leur salaire sur les ouvriers de la veine : c’est le système des étiquettes.

« On attache à chaque berline, au profit du détacheur, une prime apparente de 5 sous. (Il va sans dire que le montant du prix du mètre carré détaché de la veine a été diminué proportionnellement.) Mais on a mis du même coup le payement des hercheurs à la charge des ouvriers à la veine.

« Voici les conséquences de ce système :

« Des étiquettes sont placées sur chaque berline pour indiquer l’ouvrier à qui elles se réfèrent, mais les berlines ne sont pas surveillées de nuit. Si un ouvrier change les étiquettes au détriment d’un autre, ce dernier subit une perte.

« Il en est de même si des étiquettes sont perdues au jour, ce qui n’arrive que trop souvent.

« L’ouvrier à la veine doit garantir un minimum de salaire au hercheur. Si le mètre carré a été fixé à des conditions désavantageuses, si le détacheur est malade ou affaibli, il ne perd pas seulement sur lui-même, il perd sur le hercheur qu’il doit payer.

« La lampe Davy ne permet pas toujours de distinguer la pierre du charbon ni d’en séparer la terre. Quant au jour on ne trouve pas le charbon assez pur, on déprime la berline des 5 sous, et l’ouvrier perd ainsi à la fois une portion du prix de son labeur personnel et le prix du transport qu’il a payé au hercheur. Or, cette détaxe est prononcée par des agents subalternes, d’autant plus ardents à augmenter les bénéfices des concessionnaires qu’ils craignent pour leur responsabilité, et à qui, loin de les stimuler, il faudrait redire à chaque instant : « Pas de zèle, messieurs ; surtout pas de zèle. »

« Voilà les causes des plaintes récentes, et il n’est pas jusqu’à certains des bienfaits que la Société a fait parfois sonner bien haut qui n’aient été récemment diminués.

« Je ne parle pas de la pension de 7 à 10 sous par jour accordée autrefois à cinquante ans d’âge après quarante ans de travaux au service de la Compagnie, c’est-à-dire dans des conditions presque impossibles à remplir : elle ne serait plus, dit-on, donnée qu’à un âge plus avancé.

« La Compagnie se vante de loger ses ouvriers à des prix relativement modérés. Il serait difficile qu’elle agît autrement, puisque les conditions comparées de vie et de salaires ne leur permettent pas, comme aux ouvriers d’une foule d’industries exploitées à la campagne, de devenir propriétaires de leur petite habitation. Mais, outre qu’elle les tient par là sous sa main — et vous avez vu hier qu’on les menaçait parfois d’expulsion instantanée, — elle a depuis quelque temps augmenté ces loyers et mis à la charge des ouvriers des réparations qui autrefois étaient à la sienne.

« Voilà, sans parler de la diminution opérée sur les distributions de charbon, les changements faits à leur position dont se plaignaient les mineurs d’Anzin, tandis qu’autour d’eux chaque chef d’industries bien moins favorisées comprend qu’il y a solidarité entre les patrons et les ouvriers, qu’on poursuit un but commun, l’amélioration du sort de tous, et que, dans notre contrée, les ouvriers d’Anzin voient partout ailleurs le salaire s’élever de façon au moins à équilibrer les conséquences du renchérissement général de toutes les choses nécessaires à la vie.

« La Compagnie d’Anzin a-t-elle au moins l’excuse d’avoir été forcée à ces diminutions, à ces aggravations, par l’amoindrissement de ses splendides profits ? Le charbon a-t-il baissé depuis quelques années ?

« Qu’on le demande, je ne dis pas aux manufacturiers individuellement, leurs doléances seraient trop amères, mais à un corps constitué légalement, lisez le travail si clair et si remarquable de la Chambre de commerce de Lille adressé le 1er  octobre 1866 à l’autorité supérieure. Je le recommande à vos méditations : il vaut également par les choses qu’il dit et par ceux de qui il émane.

« Je n’en extrairai que quelques lignes :


« Tous les développements des besoins de houille pour des causes, les unes permanentes, les autres accidentelles, ont exercé une grande influence sur la valeur de ce combustible. Le prix du charbon moyen sur le carreau de la mine, dans le bassin du Nord et du Pas-de-Calais, était de 12 fr. la tonne en 1864  ; il s’est élevé à 14 fr. vers la fin de l’année 1865, et a continué depuis, sans interruption, sa marche ascendante, sans qu’on puisse apercevoir les limites où elle s’arrêtera…

« Aujourd’hui, les prix moyens se sont élevés à 17 et même 18 fr. ; on s’attend d’un jour à l’autre à les voir atteindre généralement 20 fr. la tonne, et les extracteurs, encombrés de demandes auxquelles il leur sera difficile de satisfaire, refusent en grande partie des engagements nouveaux. »


« Les profits de la Compagnie d’Anzin sont donc loin d’être diminués, et c’était peut-être bien le cas pour elle de songer spontanément qu’elle a charge de protéger les faibles, qu’elle ne doit pas songer qu’à elle, et qu’il n’y aurait pas eu trop de faveur pour le charbonnier à obtenir 4 francs par jour en 1866 dans notre bassin où la vie est si coûteuse, quand déjà, en 1833, l’ouvrier de Rive-de-Gier gagnait 5 fr. par jour.

« Cette augmentation, la suppression du régime des étiquettes, la régularisation du marchandage au moyen de l’engagement pris par la Compagnie d’adjuger au moins offrant une fois un travail mis aux enchères (la baisse faite sur le prix courant du travail fût-elle inférieure à ses espérances), l’appréciation plus équitable et moins capricieuse du mètre carré d’extraction, le retour, pour les loyers et pour d’autres points, à l’ancien ordre de choses : voilà quelle était l’ambition des ouvriers mineurs.

« Cette ambition était, il faut le dire, bien modérée et bien légitime.

« Les ouvriers auraient sans doute atteint leur but, malgré l’inégalité des situations, si, connaissant mieux la loi, s’en servant comme nous nous en servirions, nous qui avons eu le bonheur de l’éducation, ils n’avaient pas, par malheur pour eux, compromis leur cause en donnant l’occasion à la Compagnie d’Anzin de mêler la défense de son intérêt privé avec le maintien de l’ordre public.

« Je dois le dire bien haut : s’il y a des coupables parmi ceux que vous avez à juger, ils doivent d’autant plus regretter leur faute qu’ils ne sont pas seulement coupables envers la loi, mais qu’ils le sont envers eux-mêmes, envers la juste cause de leurs camarades.

« Mais la loi, ils l’ignoraient ! Ce n’est pas la Compagnie d’Anzin, évidemment, qui aurait chargé ses porions, éclairés par l’homme si distingué qui est à la tête de son contentieux, de leur expliquer qu’après un siècle d’efforts et de discussions, l’idée capitale de Turgot avait été enfin adoptée par le législateur.

« Ils n’avaient qu’une chose à faire (et ils la feront, soyez-en sûrs, à l’avenir) : se concerter, s’abstenir en masse, ne buvant que de l’eau, ne s’excitant pas, résistant aux excitations du dehors et n’inquiétant personne. À cet état, ils eussent représenté une force concentrée qui, par son inertie, aurait triomphé aux grands applaudissements de tous, puisque cette force se fût mise, par des moyens avouables, au service d’aspirations légitimes.

« Ils ne l’ont pas fait !

« Un soir, le flot a débordé, au lieu de rester dans le lit pacifique que lui avait creusé la loi nouvelle. Ils se sont épandus à travers les chemins, allant de ci de là ; puis sont venus ces actes dans le détail desquels j’aurai à entrer tout à l’heure.

« Mais, franchement ! y avait-il lieu à ce vaste déploiement de forces qui a jeté la terreur d’un bout à l’autre de la France ?

« Non.

« Sans savoir rien des faits, je disais à ceux qui m’interrogeaient à Paris, où j’étais en vacances tandis qu’ils se passaient ici : « Il suffirait du procureur impérial, du sous-préfet et de cinq gendarmes, un représentant de la loi contre mille, pour tenir tête aux sept mille ouvriers de la Compagnie d’Anzin. »

« Ils savent bien quelle sympathie ils inspirent ! Ils connaissent trop par le passé combien, de cœur, l’administration et la justice de cet arrondissement leur sont sympathiques, pour ne pas s’arrêter devant les représentations.

« Et, de fait, à lui seul, M. le procureur impérial en a contenu des milliers par sa seule présence. C’est que, pour eux, ce n’était pas seulement un homme, c’était l’opposé de l’arbitraire ; dans leur pensée il avait le plus grand, le plus haut de tous les noms : il s’appelait la loi !

« Dépouillons-nous donc de toute idée accessoire née du vaste déploiement de forces qu’a motivé une sollicitude que je comprends pour le maintien de l’ordre public, et voyons, en abordant ce qui reste aujourd’hui de cette mutinerie d’enfants échappés, à quelles faibles proportions se réduit ce monstre qui, au loin, eût pu frapper de terreur ceux à qui les journaux, exagérant les choses, parlaient de marches de garnisons et de ces deux pacifiques canons à propos desquels (quoi qu’en ait pensé M. le procureur-impérial) je ne ferai pas plus de bruit qu’ils n’en ont fait eux-mêmes. »

Ici le défenseur prend successivement le dossier de chaque prévenu, pose les charges, en discute les preuves, les place à côté de la loi, signalant souvent aux mineurs eux-mêmes, en y ajoutant un blâme sévère, ce qui est manque de respect à la liberté d’autrui, leur montrant que, s’ils sont une force comme la Compagnie d’Anzin, ils sont tenus, comme toute force sociale, à de rigoureux devoirs et au respect de l’ordre, condition première de tout progrès, indiquant enfin au tribunal ce qu’il croit devoir être cause d’atténuation des peines requises.

Il nous est impossible de suivre, dans ce compte rendu, cette longue discussion, qui passe forcément d’un ton à l’autre, suivant les incidents de l’instruction, et qui est interrompue pendant un instant par la triste nouvelle qu’apporte le télégraphe de la mort du jeune fils d’un des membres du tribunal, l’estimable M. Boulanger, conseiller général du Nord.

Après quelques mots de regret pour ce jeune homme, subitement frappé au seuil d’une carrière qui promettait d’être aussi brillante qu’honorable, le défenseur reprend et achève l’examen spécial de la conduite de chaque prévenu.

« Mes clients, dit-il en terminant, seront frappés par la loi ! Mais, n’y aura-t-il qu’eux de frappés, et, à part quelques heureux protégés par des marchés, nos industriels ne seront-ils pas, de leur côté, en dehors de cette audience, atteints bien sévèrement par la Compagnie d’Anzin, sans que l’augmentation de 25 centimes par jour accordée aux ouvriers puisse servir d’excuse à ce surcroît de charges qui va peser sur beaucoup d’entre eux ?

« L’extraction annuelle de la Compagnie d’Anzin était, d’après les renseignements fournis par elle à l’Annuaire Valenciennois de 1857, de 8 à 9 millions de quintaux métriques.

« Six fosses nouvelles, du diamètre intérieur de 4 mètres, étaient, dès cette époque, en percement ; d’autres ont pu être percées encore.

« Je laisse de côté, comme pouvant représenter hypothétiquement les marchés à prix ferme qu’elle a conclus, tout le supplément d’extraction qu’elle a pu s’assurer par là.

« Je prends le chiffre de 9 millions de quintaux comme le minimum de l’extraction actuelle libre de tout engagement de la Compagnie.

« L’hectolitre pèse en moyenne 75 kilog. ; si on divise 9 millions par ce chiffre, on obtient en hectolitres le chiffre de 12 millions.

« Quel est maintenant le bénéfice que fait la Compagnie par suite de l’augmentation de 20 centimes par hectolitre qu’elle a décrétée récemment ? »

M. le président : « Maître Foucart, la Compagnie d’Anzin n’est pas en cause. Ces détails regardent les industriels ; ils sont étrangers à la défense des prévenus. »

Me Foucart : « Excusez-moi, monsieur le président. Je trouve la Compagnie dans la cause, et sa main est à chaque page du dossier ; ce sont ses employés (le ministère public nous l’a dit) qui ont donné tous les renseignements qu’il contient sur le caractère de chaque prévenu. Quant à l’intérêt des industriels, je ne le sépare pas de l’intérêt véritable de l’ouvrier. L’opinion regarde tous les intérêts du pays comme solidaires, et je désire qu’elle n’inflige pas un blâme aux mineurs à propos d’une augmentation dont ils peuvent être le prétexte, mais dont ils ne sont pas la cause. Dans mes chiffres, je mets l’extraction disponible de la Compagnie certainement au-dessous de la réalité et les dépenses au-dessus.

« Je calcule donc :

« En multipliant 12 millions d’hectolitres par 20 centimes, je trouve 2 millions 400,000 fr. Je soustrais de ce bénéfice supplémentaire l’augmentation récente du salaire d’après un chiffre très-approximatif de la totalité des ouvriers de toute nature qu’occupe la Compagnie, répété 365 fois : 7,000 multipliés par 25 centimes égalent 1,699 fr. par jour, qui, multipliés par 365, font 640,135 fr. pour un an. Les autres frais généraux étant restés les mêmes, la Compagnie, en dehors de la suppression de certaines primes, bénéficierait donc d’un surcroît de 1,759, 865 fr. pour un an.

« Qu’on ôte quelques centaines de mille francs si on veut, qu’on ne remarque pas que je fais porter l’augmentation sur 7,000 ouvriers, alors qu’en fait le marchandage subsiste, que la situation des hercheurs n’est pas encore déterminée, que l’on ne sait ce que sera la tâche dans l’avenir, et on verra que les faits regrettables qui se sont mêlés à la coalition et qui lui ont donné le caractère de grève sont en somme venus comme à souhait pour servir les intérêts pécuniaires de la Compagnie d’Anzin.

« Cela nous expliquerait les motifs singuliers de la visite qu’un organe officiel ou officieux de la Compagnie d’Anzin raconte avoir été faite à M. le préfet du Nord par MM. Thiers, Lebret, Casimir Périer, Chabaud-Latour et Lambrecht, qui auraient été, par un sentiment de convenance et d’intérêt personnel, remercier ce fonctionnaire d’avoir, après la simple augmentation de 25 centimes, ramené les ouvriers à leurs travaux.

« L’intérêt personnel de ces messieurs ! oui, il est satisfait, je le vois ! Mais je suis en singulier doute, si cette visite a eu lieu, que M. le préfet… »


M. le président : « Maître Foucart, vous n’avez pas mandat de répondre à cet article au nom de M. le préfet. »


Me Foucart : « Certes, non, monsieur le président : je ne défends que ceux qui ont besoin d’être défendus. Je dis seulement que l’opinion publique n’a pu croire à de tels remerciements, qui auraient été bien peu cherchés en tout cas. M. le préfet ne s’est pas, qu’on sache, préoccupé de l’intérêt personnel de ces Messieurs ; il n’a eu en vue que le maintien de la paix publique, et il eût, de l’avis de tous, répudié des remerciements formulés au nom d’intérêts privés, surtout après l’augmentation que ces intérêts viennent d’infliger à l’industrie.

« Espérons, en tout cas, que, plus tard, d’autres situations et d’autres sentiments seront aussi complétement satisfaits.

« Et, pour cela, souhaitons que nos mineurs, s’ils font plus tard valoir de nouveau des aspirations en ce moment ajournées, le fassent sans tumulte, en résistant aux agents provocateurs, de façon que ceux qui ne verraient que leur intérêt personnel, là où ils devraient se rappeler surtout qu’ils ont à remplir les magnifiques devoirs qui incombent à la plus grande force industrielle qui soit dans tout l’Occident, se disent pour cette fois qu’il n’y a plus moyen de substituer une question de trouble matériel à réprimer à une question de salaire et de justice à examiner et à résoudre.

« Que les ouvriers, si ces aspirations renaissent un jour parmi eux, se rappellent les conseils que leur donnait hier l’organe du ministère public ! Qu’ils les méditent, qu’ils les mettent en pratique !

« Le jour où ils sauraient le faire serait un des plus beaux de notre temps.

« Ce jour-là, une population restée jusqu’à présent dans un état d’enfance relative aurait montré qu’elle est arrivée à la virilité. Elle aurait montré que notre prolétariat n’est pas campé au milieu de la société du XIXe siècle comme une force indispensable, mais perturbatrice. Elle aurait montré que les ouvriers du Nord savent s’élever jusqu’à la soumission volontaire aux lois les plus complexes de l’ordre moderne, et qu’ils peuvent, par leur courage, leur prudence, leur calme persévérance, atteindre enfin ce que nous leur souhaitons tous : « La dignité civique dans l’indépendance, représentée par la propriété de leur modeste foyer domestique. »

M. le président : « Maître Foucart, si les grèves servent la Compagnie d’Anzin, votre plaidoirie pourrait la servir : il en peut sortir une grève nouvelle. »

Me Foucart : « Une coalition légale et pacifique, peut- être ; une grève à réprimer, non pas. »

Le tribunal se retire pour délibérer.

Après une heure environ, il rentre à l’audience, et M. le président prononce un jugement qui condamne Cuvelier, Richard et Leclercq à deux mois d’emprisonnement ; Gogneaux et Descamps à un mois ; Delvincourt, Tonneau, Carniaux, Gras et Coquelet à quinze jours, Flament et Crombez à dix jours ; Lemoine, Montuel, Hurez, Tison, Gardinal et Prévost à six jours ; Bricout, Dubois, Souris, Wuilmart, Loubel et Stil à trois jours, Dureux, Détrez, Caudron et Villet à vingt-quatre heures de la même peine.

Une foule nombreuse de parents des prévenus, d’ouvriers et d’industriels a suivi ces longs débats avec la plus grande attention. On voit sur la figure d’une foule de femmes qui envoient des signes de sympathie aux prévenus à leur sortie du Palais de justice la satisfaction que leur fait éprouver la modération des peines prononcées par le tribunal.



Le numéro du Courrier du Nord du 25 novembre publiait la nouvelle suivante :


« Nous sommes heureux d’apprendre que l’Empereur a bien voulu accorder une réduction de peine aux ouvriers mineurs condamnés à la suite de la grève.

« La peine de dix jours de prison infligée à deux mineurs, et celle de six jours à six autres, sont réduites à trois jours.

« La peine de quinze jours appliquée à cinq prévenus est réduite à cinq jours.

« La peine d’un mois appliquée à deux prévenus est réduite à dix jours.

« Enfin trois ouvriers condamnés à deux mois feront vingt jours de prison seulement. »



  1. Voici les paroles auxquelles le défenseur faisait allusion ; elles ont été prononcées par M. Lécuyer, aujourd’hui président honoraire du tribunal de Valenciennes et membre du conseil général du Nord :

     « Ouvriers mineurs,

    « La plupart d’entre vous vont être rendus à la liberté ; tous, cependant, ne sont pas exempts de reproches, mais les motifs d’indulgence pour les coupables furent pour vous, dans le doute, des motifs d’acquittement.

    « Vous allez bientôt reprendre vos occupations ordinaires, vous ne rejoindrez pas vos camarades sans leur répéter les paroles de Me François, votre défenseur ; vous leur redirez avec lui « que votre conduite a été blâmable, que l’émeute n’est pas permise… » Le jugement de condamnation apprendra aussi que l’on ne viole pas impunément les lois protectrices de l’ordre public.

    « Toutes les autorités forment des vœux sincères pour l’amélioration de votre sort ; la voix de l’humanité ne tardera point à se faire comprendre : les riches propriétaires des établissements des mines ne peuvent pas être vos tirans ; non, ils ne peuvent l’être ; un titre plus digne leur est réservé ; ils ne laisseront pas à d’autres le mérite de devenir vos bienfaiteurs. »