La Grève de Pordic/Avertissement de l’auteur

Librairie L. Prud’homme (p. i-iii).




AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR


Je crois devoir quelques explications à ceux qui liront ce petit poëme que je livre à l’impression. Quand je l’ai commencé, il n’entrait en rien dans ma pensée de le rendre public. Je n’y travaillais que pour moi, comme je vais l’expliquer, et voici comment je fus amené à l’entreprendre.

J’avais toujours mené une vie très-activement occupée dans les fonctions du ministère ecclésiastique, pendant près de quarante années. Sentant que mes forces commençaient à diminuer, je pensai que je devais m’occuper de prendre ma retraite, pour me donner un peu de repos à la fin de ma carrière. Je fis des démarches eu conséquence, et je parvins, non sans quelque difficulté, à obtenir ma pleine et entière liberté.

Ma première pensée fut de revenir à mon pays, dont je m’étais très-éloigné. J’avais des connaissances intimes à Pordic, et cette paroisse était très-près de mon lieu natal, dont je tenais à me rapprocher ; je vins m’y établir. Mais je m’y trouvai vite sous le poids d’une véritable déception. Moi, à qui les journées avaient coutume de paraître très-courtes, par suite de mes occupations, je commençai au contraire à les trouver très-longues, et je compris que je devais me créer à moi-même une occupation.

Je venais souvent me promener sur le bord de la mer, en face de Binic. J’examinai minutieusement tous les aspects de cette petite baie, et il me sembla qu’il y avait là matière à une composition poétique, que je résolus d’entreprendre. À partir de ce moment je ne sortis plus sans avoir dans ma poche un crayon et un portefeuille, et c’est ainsi que je composai mes premières rimes, pour ainsi dire en marchant. Quand j’eus crayonné de la sorte quelque vingt à trente pages, je les lus à mes amis, qui y prirent goût et m’engagèrent vivement à continuer. Je pris alors le parti d’élargir mon cadre. Je quittai la baie de Binic et je prolongeai mes promenades tout le long de la côte de Pordic, jusques et y compris la baie du Rosaire ou des Rosaires, comme disent les gens du pays. J’étais là tout près de mon lieu natal, et c’est alors que je me suis livré aux bluettes de mon imagination, de manière à rimer d’assez longues tirades de vers qui devaient être ma péroraison, et qui complétèrent au moins un millier de lignes.

Mais tout n’était pas fait. J’avais seulement devant moi un grand nombre de morceaux distincts et peu liés entre eux. Je m’attachai à y mettre de la liaison de manière à ce qu’ils ne soient pas, comme dit Horace : disjuncti membra poetæ, et c’est de ce dernier travail qu’est résulté, ce me semble, un tout assez complet.

Je comprends parfaitement qu’il n’y aura toujours là qu’un intérêt local, et que, par conséquent, un tel poëme ne sera jamais recherché que par ceux (comme je le dis dès le début) à qui ces doux lieux ne sont point étrangers. Mais enfin lira qui voudra. Je me suis donné en le faisant une occupation assez agréable. Je désire que ceux qui le liront puissent aussi s’y occuper pas trop désagréablement, s’ils ont la patience de le parcourir jusqu’au bout.