La Gloire du Verbe/Le Prince d'Avalon

La Gloire du verbe : 1885-1890
Librairie de l’Art indépendant.

LE PRINCE D'AVALON


A Henri de Régnier.




Et le prince vivait dans l'île d'Avalon.
Des parterres de fleurs caressaient ses prunelles ;
Les calices des lys s'ouvraient en ce vallon
Eperdument vers les étoiles fraternelles ;

Les paons constellés d'yeux luisaient sous les halliers
Or mobile, tremblant saphir, vivante flamme
Et les fruits mûrs pendus aux vastes espaliers
Versaient un opulent arôme de cinname

Tandis que dans le parc peuplé par des sylvains
Et des faunes bordant les larges avenues
Le clair de lune épars sur les marbres divins
Faisait étinceler la chair des nymphes nues.

Et le prince sur la terrasse du palais
Inclinait vers le sol ses doigts charges de bagues
Et regardait, là-bas, sous les deux violets,
Fuir des vaisseaux fleuris par la houle des vagues.

« Passez, je vous envie, ô frères ignorés,
Que les vents furieux emportent sur le gouffre.
Te ne la connais plus et vous la reverrez
La terre désirable où l’homme pleure et souffre.

Je suis venu vers les rivages interdits
Pour obéir aux voix des blanches fiancées
Et mon âme succombe au poids des paradis
Ainsi que les joyaux chargent mes mains lassées.

Pour éveiller en moi d’immortelles douleurs
Dont la mémoire accrût mes extases futures,
J’ai déchaîné des sangliers parmi les fleurs ;
Mais les fleurs renaissaient plus belles et plus pures.

J’ai voulu renverser le palais merveilleux
Et je l’ai revêtu de rouges incendies.

Mais des colonnes d'or surgissaient à mes yeux
Et portaient jusque au ciel les voûtes agrandies

Et lorsque j'ai tué la vierge que j'aimais,
Espérant rompre enfin les ineffables charmes,
L'enfant ressuscitée a vaincu pour jamais
Par des baisers plus doux ma tristesse et mes larmes.

Pour moi, le flot des jours s'écoule vainement ;
Vainement le soir tombe et l'aurore rougeoie :
Enveloppé de rêve et d'éblouissement
Je suis le prisonnier de l'immuable joie. »

Ainsi par cette nuit d'étoiles, il parlait :
Les fourrés frissonnants brillaient de lucioles
Et le souffle embaumé de la brise mêlait
La chanson de la mer à la voix des violes.