La Gelée blanche
La Gerbe, nouvelles et poésies, tome 2, série 1 (p. 115-116).


GELÉE BLANCHE.

Oh ! ne viens pas, printanière gelée,
Vierge menteuse au voile blanc !
À ta douceur la souffrance est mêlée :
Tu sais mentir en souriant.

Quand le printemps nous jette à flots la vie,
Oh ! ne viens pas la respirer :
Ton souffle brûle ; et la terre flétrie
Meurt dès qu’il ose l’effleurer.

Déjà les fleurs entr’ouvrent leur corolle,
Déjà la tige s’enhardit ;
Et, moins craintif, le jeune insecte vole
Sur le feuillage qui grandit.

Dans nos jardins se balance l’emblème
De l’espoir et de la beauté ;
Le papillon, sur la plante qu’il aime,
Se repose avec volupté.

Au sein des prés, la pâquerette humide
Dégage son front du gazon,
Et son regard, incertain et timide,
Lit l’espérance à l’horizon.


Oh ! ne viens pas, dans ta mortelle envie
Briser l’augure des beaux jours !
Ne trouble pas l’atmosphère attiédie
Par le souffle pur des amours.

Pitié ! pitié pour l’arbre aux couleurs roses,
Espoir d’un automne lointain !
Tu brûlerais ses feuilles à peine écloses
Si tu passais encor demain.

Ce n’est point seul l’éclat d’une journée
Que ta présence peut ternir ;
C’est la richesse et l’espoir d’une année,
Jalouse, que tu viens cueillir.


Ainsi tout naît, l’homme comme la plante,
Avec l’illusion du cœur,
Qu’il flatte, hélas ! d’une main confiante,
Jusqu’à la première douleur.

Qui n’a pas vu la froide giboulée
Voiler son soleil de plaisir ?
Qui n’a pas vu la tardive gelée
Glacer ses rêves d’avenir ?

camille bias.